Droit des contrats

Cyril Grimaldi

Agrégé des facultés de droit
Professeur à l’Université Paris 13

2024

Introduction

1 Droit des contrats ? L’expression « droit des contrats » est communément employée pour désigner l’ensemble des règles applicables à tout contrat. Ce sur quoi l’on fera deux observations liminaires.

En premier lieu, le « droit des contrats », ainsi entendu, est parfois appelé « droit commun des contrats », par opposition au « droit spécial des contrats », qui désigne les règles spéciales à des contrats prévus et régis par la loi : droit de la vente, droit du bail, etc. On notera à cet égard que l’expression « droit spécial des contrats » renvoie à un droit qui peut être plus ou moins spécial : ainsi le droit de la vente d’immeuble à usage d’habitation est plus spécial que le droit de la vente d’immeuble qui est plus spécial que le droit de la vente… Le droit spécial des contrats ne doit jamais être ignoré par qui s’intéresse au droit commun des contrats, dans la mesure où le droit spécial déroge au droit commun chaque fois que la règle spéciale est incompatible avec la règle générale.

En second lieu, le droit des contrats, chose originale, se compose de règles qui sont souvent descriptives plus que prescriptives : il n’est pas tant question de prescrire aux individus telles conduites que de décrire les conditions dans lesquelles les individus s’engagent en contractant et dans quelle mesure ils sont ainsi liés. Un exemple parmi tant d’autres : l’article 1114 C. civ. qui prévoit que « l'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation » ne prescrit rien de particulier, mais décrit ce qu'est une offre, en droit. Les règles prescriptives ne sont pas inexistantes en la matière, mais elles sont simplement moins nombreuses que dans d'autres. Ainsi peut-on mentionner la règle de l'article 1169 C. civ. qui prévoit qu'« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » et prescrit donc aux parties de ne pas conclure des contrats déséquilibrés à l'excès. C'est d'ailleurs parce qu'il existe bien des règles prescriptives que la question se pose d'éventuels aménagements conventionnels, possibles dès lors que la règle en cause est supplétive

2 De l’ancien droit des contrats... Les dispositions du Code civil de 1804 relatives au droit des contrats et plus généralement au droit des obligations ne furent pas les plus discutées, les codificateurs s’en remettant pour l’essentiel aux écrits de Domat et de Pothier. De fait, la discussion de leur contenu par les différents tribunaux et Cours fut quasiment inexistante, ces derniers préférant faire porter leurs efforts sur le droit de la famille et le droit des biens1. Il est révélateur que ce n’est pas dans un livre à part entière que le droit des obligations fut logé, mais dans le livre III intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », ce qui était à l’évidence inapproprié2. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.

Si on laisse de côté quelques retouches ponctuelles du droit des contrats, relatives aux clauses pénales3, à la signature électronique4, et aux contrats électroniques5, les textes du droit commun des contrats demeurèrent inchangés jusqu’en 2016. Toutefois, la stabilité des textes ne doit pas éclipser un double phénomène.

En premier lieu, le droit commun des contrats a connu de profondes évolutions. D’une part, la jurisprudence, bien aidée par la doctrine, a réalisé un travail sans égal d’interprétation des textes et, disons-le, de création de « règles », tant et si bien que le droit des contrats (et plus généralement le droit des obligations) était devenu un « droit jurisprudentiel ». D’autre part, l’essor des textes porteurs de droits fondamentaux – nationaux ou internationaux – et la reconnaissance de leur juridicité6 ont revitalisé le « droit écrit » des contrats, tout en octroyant encore au juge un pouvoir considérable, compte tenu de la grande généralité de ces instruments.

En second lieu, les règles spéciales à certains contrats se sont considérablement développées. Compte tenu de la diversification des activités, les contrats nommés, qui sont des contrats prévus et réglementés par la loi, sont aujourd’hui innombrables et à côté des règles spéciales l’on trouve des règles très spéciales et hyper spéciales. Pour ne prendre qu’un exemple, s’il existe un droit de la vente, il existe aussi un droit de la vente immobilière, un droit de la vente d’immeubles bâtis, un droit de la vente d’immeuble bâti aux fins d’habitation, etc. Parce que les règles spéciales complètent ou dérogent souvent aux règles de droit commun, les Leçons contenues dans cet ouvrage mentionneront les plus importantes7 d’entre elles.

La qualification d’un contrat en tel contrat nommé (vente, bail, mandat) est doublement importante. D’une part, certaines règles sont appelées à le régir à titre impératif. D’autre part, certaines règles sont appelées à le régir à titre supplétif. En conséquence, l’opération de qualification est cruciale, qui suppose en amont que soient définis les éléments essentiels d’une catégorie de contrat (éléments essentiels à la qualification ; ex. dans la vente : le transfert de propriété et le prix) et en aval de vérifier si on les retrouve dans le contrat envisagé. Quid du titre donné au contrat par les parties ? Si à l'évidence il ne lie pas le juge (CPC, art 12 al. 2 8 ; les parties auront bon jeu de nommer bail ce qui est une vente, cela reste une vente), le titre reste important au cas où il ne serait pas incompatible avec le contenu du contrat, seulement lacunaire9.

3 ... Au nouveau droit des contrats ... La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures énonçait dans son article 8 :

« Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du Code civil, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme (...) »

De cette habilitation s'ensuivra l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ci-après, l’Ordonnance). Si l’Ordonnance consolide de nombreuses règles d’origine jurisprudentielle, elle comporte d’importantes innovations, qui étaient parfois en germe dans la jurisprudence (comme l’abus de dépendance10) ou induites de règles spéciales (comme la réduction de prix11). Dans tous les cas, l’Ordonnance s’est inspirée de différentes propositions académiques12 : l’« avant-projet Catala » (2005)13, l’« avant-projet Terré » (2008)14, mais aussi les différents projets d’harmonisation européenne du droit des contrats15, sans compter les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international16. Les règles relatives aux contrats figurent désormais au sein du titre III « Des sources d’obligations » du livre III « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », dans un sous-titre I : « Le contrat ». Ce sous-titre comporte quatre chapitres : « Dispositions liminaires » (chapitre 1), « La formation du contrat » (chapitre 2), « L’interprétation du contrat » (chapitre 3) et « Les effets du contrat » (chapitre 4). Une ordonnance ne donnant pas lieu à des travaux préparatoires, elle est accompagnée d’un rapport de présentation17 . Tel fut donc le cas, s'agissant de l'Ordonnance n° 2016-131 18.

L'Ordonnance du 10 février 2016 fut ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ci-après, la Loi de ratification). L’ambition du législateur fut double : clarifier des dispositions obscures de l’ordonnance par des dispositions interprétatives et modifier certaines dispositions, notamment celles qui avaient suscité de la part de la doctrine les critiques les plus vives.

4 Technique législative, leitmotivs, et sauts de cabri. Que les pouvoirs publics aient entendu recourir à des ordonnances pour réformer le droit des contrats pouvait se comprendre dans la mesure où il s’agit d’un droit essentiellement technique19. L’objet premier du droit des contrats n’est pas (ou n’était pas, à l’origine) de protéger les uns contre les autres ou de hiérarchiser des valeurs : liberté, égalité, solidarité, etc. Dans une certaine mesure, le droit des contrats n’est pas tant prescriptif que descriptif : il n’a pas tant pour ambition de prescrire aux individus des comportements que de décrire la procédure de formation du contrat et les mesures offertes aux contractants au cas où ils seraient victimes d’une inexécution.

Il reste que le recours aux ordonnances n’est pas une garantie de résultat. Disons-le d’emblée, si les textes du nouveau droit des contrats sont de loin plus intelligibles que les anciens, le résultat n’est pas parfait. De fait, les textes finaux apparaissent comme un melting pot rassemblant des textes de différents projets, nationaux ou internationaux, piochés ici ou là par une administration guère inspirée. Pouvait-on espérer que la loi de ratification améliorât la chose ? Les travaux préparatoires révèlent que les parlementaires ne sont pas des techniciens du droit des contrats (les erreurs d’analyse, que l’on retrouvait aussi dans le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance, sont fréquentes), que des questions plus que mineures les ont parfois occupées (le sort de l’offre en cas de décès du destinataire...20) et que des questions majeures ont été mal envisagées (le contrôle des clauses créant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion21) ou pas du tout (la détermination du prix en droit commun22).

Comme le révèle le rapport au président de la République qui accompagne l’Ordonnance, ce sont deux objectifs principaux qui ont été poursuivis : la « sécurité juridique », qui « vise tout d’abord à rendre plus lisible et plus accessible » le droit des contrats, mais aussi « l’attractivité du droit français, au plan politique, culturel, et économique » (rien de moins !23). Sécurité, lisibilité, accessibilité, attractivité... Autant de paradigmes qui, tels des miroirs aveuglants, ont empêché ceux qui se sont mis à l’ouvrage de s’intéresser à l’essentiel : la cohérence et la rationalité du nouveau droit des contrats. « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant la sécurité ! la lisibilité ! l’accessibilité ! l’attractivité !... mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien », soufflerait de Gaulle.

5 Esprit général du droit des contrats. La réforme a profondément affecté l’esprit général du droit des contrats.

En premier lieu, alors que, nous le disions, le droit des contrats était traditionnellement et globalement descriptif, dans le nouveau droit, les prescriptions sont multiples au stade de la formation du contrat : la garantie d’un consentement libre et éclairé est renforcée par la consécration d’un devoir général d’information24 et par l’interdiction d’abuser de l’état de dépendance d’autrui25, et le contenu du contrat est placé sous le contrôle du juge, qu’il s’agisse de contrôler les clauses contredisant la portée de l’obligation essentielle26 ou les clauses créant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion27. Pourquoi ? Alors que les règles du Code civil de 1804 avaient été forgées à partir du postulat que ceux qui s’apprêtent à contracter sont des personnes égales (dans leurs connaissances, leur puissance, etc.), le nouveau droit des contrats ne pouvait ignorer que tel n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi, d’une part et en amont, il s’efforce de rétablir une certaine égalité entre les parties avant la conclusion du contrat (par les exigences renforcées de transparence et de bonne foi) et, d’autre part et en aval, après la conclusion du contrat, il octroie au juge des pouvoirs en vue de parvenir à un certain équilibre (par un contrôle du contenu du contrat ou de l’abus dans l’exercice d’une prérogative). Ce double objectif, traditionnellement réservé aux droits spéciaux (droit de la consommation, droit spécial des baux, droit des pratiques commerciales, etc.), ne l’est plus.

En second lieu, dans le nouveau droit des contrats, les prérogatives reconnues à un cocontractant au stade de l’exécution du contrat ont connu un essor important : la fixation du prix28, la mise en œuvre par la victime elle-même de mesures en cas d’inexécution par le débiteur de ses obligations29, par exemple30. La reconnaissance de prérogatives unilatérales au sein d’un mécanisme par essence multilatéral – le contrat – n’est pas choquante dès lors que l’abus est sanctionné en aval par le juge. Au-delà, dans certains cas, elle est un facteur de célérité et de désengorgement des tribunaux : on songe spécialement aux mesures offertes au créancier victime d’une inexécution.

6 Figures oubliées du droit des contrats. Il est a priori étonnant que des figures contractuelles qui se sont considérablement développées au cours des décennies passées n’aient pas fait l’objet d’une attention plus minutieuse du législateur. On songe pour l’essentiel aux contrats multipartites34 , tout juste mentionnés par le Code civil (art 1101 « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes (...) »35) et aux contrats qui ne réalisent pas tant un échange qu’une collaboration entre les parties36. Ce silence s’explique peut-être par la grande hétérogénéité de ces « catégories » de contrats, rebelles à toute systématisation qui soit sûre. Il reste que la formulation de certaines directives aurait pu être tentée37.

7 Liberté contractuelle, valeur constitutionnelle. Après avoir considéré dans un premier temps « qu’aucune disposition de la Constitution ne garanti[ssait] le principe de liberté contractuelle »38 , le Conseil constitutionnel a expressément reconnu la valeur constitutionnelle du principe de « la liberté contractuelle », qui « découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » 39. La liberté contractuelle n’est toutefois pas une liberté classique. D’une part, elle subit, probablement plus que les autres, de nombreuses atteintes en raison de la multiplication des dispositions d’ordre public, et, d’autre part, la liberté contractuelle est elle-même subordonnée aux autres droits et libertés, substantielles : droit au respect de la vie privée, droit de propriété, etc.

Appliquer à un contrat une loi postérieure à sa conclusion constitue un changement de contexte que les parties n’ont pas pu anticiper lorsqu’elles ont fixé les termes du contrat, notamment le prix de la prestation. Dès lors, une telle application – que ce soit au titre d’une application rétroactive ou même d’une simple application immédiate – ne devrait-elle pas, en raison du principe de la liberté contractuelle, être exceptionnelle ?

L’examen des décisions rendues révèle pourtant que tel n’est pas le cas. D’une part, le juge constitutionnel40 censure rarement le législateur pour avoir appliqué la loi nouvelle aux contrats en cours et, d’autre part, le juge judiciaire considère souvent, lorsque la loi nouvelle ne comporte pas de dispositions transitoires, qu’il convient d’appliquer la loi nouvelle aux contrats en cours, cette application étant possible en vertu du principe d’application immédiate41.

En s’en tenant ici à la jurisprudence constitutionnelle42, on observera que le Conseil exerce un contrôle de l’application de la loi dans le temps en vertu de l’article 1643 voire de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 44.

De règle générale, depuis une décision n° 2019-812 du 15 novembre 2019, le Conseil constitutionnel formule le principe dans les termes suivants : « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs ». D’un point de vue méthodologique, le Conseil constitutionnel (i) caractérise l’existence ou non de l’une des deux situations visées et, (ii) dans l’affirmative, établit si l’atteinte portée aux intérêts lésés est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant45.

Comme l’a explicité le Conseil constitutionnel46 :

(i) « Une atteinte à une situation légalement acquise est constituée lorsque la loi nouvelle s’applique à des situations juridiques constituées avant son entrée en vigueur. Il s’agit donc d’un contrôle de la rétroactivité de la loi (...) Il en va ainsi, par exemple, de la réduction rétroactive de la durée pour laquelle une autorisation d’émettre a été accordée47 (...). À l’inverse, des dispositions qui ne jouent que pour l’avenir ne sauraient porter atteinte à une situation légalement acquise (...). Il en va de même de la création d’une nouvelle faculté de résiliation, en ce qu’elle s’applique aux contrats conclus après son entrée en vigueur48 ».

(ii) « La remise en cause des effets qui pouvaient être légitimement attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs se distingue du cas précédent en ce que le contrôle du Conseil constitutionnel ne se limite pas au caractère rétroactif de la mesure mais s’étend à la remise en cause, par la loi, des attentes légitimes que les justiciables avaient pu former à partir de la situation légale dans laquelle ils étaient placés. Ce sont donc les conséquences futures de la loi sur l’anticipation légitime formée à partir d’une situation juridique née dans le passé qui sont examinées par le législateur. Ce faisant, le Conseil constitutionnel s’assure tout d’abord de l’existence d’une telle situation juridique, puis du caractère légitime ou non de l’attente qu’elle a pu faire naître. En distinguant, dans sa formulation de principe, la situation née sous l’empire du droit antérieur et la remise en cause, par la disposition législative contestée, des effets qui pouvaient en être légitimement attendus, le Conseil constitutionnel a visé le cas où une situation juridique n’a pas produit entièrement tous ses effets de droit [Si elle l’avait fait, le problème serait celui d’une atteinte rétroactive à la situation légale en cause], ceux-ci étant encore en cours de réalisation ou susceptibles d’intervenir dans le futur. Il y a donc une dissociation temporelle entre la situation d’origine et celle escomptée à l’arrivée, la loi contestée intervenant entre ces deux moments. Dans cette perspective, ce qui fonde le caractère légitime de l’attente, c’est la plus ou moins grande certitude juridique que les effets attendus découlent nécessairement de la situation initiale. »

S’agissant en particulier de la matière contractuelle, l’application de la loi dans le temps est contrôlée depuis une décision du 10 juin 199849 rendue à l’occasion du contrôle de la loi Aubry I . Le Conseil y décida que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». Par la suite, le Conseil sollicitera l'article 4 et l'article 16 DDHC 50 en en faisant application distributive, suivant qu’il est question de rétroactivité au sens strict ou d’application immédiate de la loi aux contrats en cours. En substance, si l’application rétroactive de la loi suppose un motif « impérieux », l’application immédiate ne nécessite qu’un motif « suffisant ».

Une décision rendue en 2016, qui concernait la question de la mise à disposition de locaux aux organisations syndicales par les collectivités territoriales ou leurs groupements, en fournit une parfaite illustration51. La loi nouvelle, en vue d’assurer aux organisations syndicales les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la liberté syndicale, instituait un droit à indemnisation au profit d’une organisation syndicale lorsque la collectivité territoriale ou le groupement décidait de lui retirer la disposition de locaux dont elle avait bénéficié pendant plus de cinq ans sans lui proposer de locaux de substitution, sauf convention expresse contraire. La loi prévoyait son application aux conventions en cours à la date de la publication de la loi et même aux conventions ayant pris fin avant cette date. Le Conseil constitutionnel a censuré cette double modalité d’application de la loi dans le temps.

(i) S’agissant des conventions ayant pris fin à la date de la publication de la loi, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur la garantie des droits, protégée par l'article 16 DDHC , qui encadre l’application rétroactive de la loi (hors le cas de la loi pénale)52. Il a jugé que les conditions posées par sa jurisprudence pour admettre l’application rétroactive de la loi n’étaient pas réunies dès lors, d’une part, que le cas des décisions de justice ayant force de chose jugée n’était pas réservé et, d’autre part, que le motif d’intérêt général poursuivi par le législateur ne revêtait pas un caractère impérieux53.

(ii) S’agissant des conventions en cours à la date de la publication de la loi, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur la protection des contrats légalement conclus, qui découle de l’ article 4 DDHC , qui encadre l’application immédiate de la loi nouvelle. Précisément, l’atteinte est disproportionnée dès lors que l’application de la loi « a pour effet d’obliger les collectivités et leurs groupements soit à proposer des locaux de substitution aux organisations syndicales soit à leur verser une indemnité, sans qu’ils aient été mis en mesure de s’en exonérer préalablement par une stipulation expresse » (nous soulignons)54.

Le Conseil constitutionnel paraît faire un sort particulier aux contrats s’inscrivant dans un « statut légal »55 . Le Conseil a en effet jugé « qu'en modifiant y compris pour les baux en cours, le cadre légal applicable à la détermination des charges récupérables pour les habitations à loyer modéré, le législateur n'a pas porté atteinte aux conventions légalement conclues ; (...) par suite, le grief tiré d'une atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, garanti par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, doit être écarté » 56. La même année, le Conseil a de nouveau jugé, au sujet de l’application immédiate aux contrats en cours de l’interdiction faite aux distributeurs d’eau d’interrompre la distribution d’eau pour défaut de paiement de l’usager, que « le législateur pouvait modifier, y compris pour les conventions en cours, le cadre légal applicable aux contrats de distribution d’eau afin de mettre en œuvre cet objectif de valeur constitutionnelle sans porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus »57.

8 Valeur des règles relatives au droit des contrats. Seule une disposition prescriptive est susceptible d’être qualifiée de supplétive ou impérative.

Une telle qualification n’aurait pas de sens pour une disposition descriptive, qu’elle définisse une notion (par exemple, l’article 1124, qui définit la promesse unilatérale58) ou un processus (par exemple, l’article 1113, qui énonce que le contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’une acceptation59).

S’agissant de la valeur des dispositions prescriptives du nouveau droit des contrats, ni l’Ordonnance ni la Loi de ratification ne contiennent d’indications.

Le rapport au président de la République contient certes une indication importante :

« L’ordonnance n’affirme pas expressément dans un article spécifique le caractère supplétif de volonté de ses dispositions. En effet, leur caractère supplétif s'infère directement de l'article 6 du Code civil et des nouveaux articles 1102 et 1103, sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné. Il n’y a donc pas lieu de préciser pour chaque article son caractère supplétif, qui constitue le principe, le caractère impératif étant l’exception. La subsistance dans certains articles de la mention “sauf clause contraire” n’autorise par conséquent aucune interprétation a contrario et ne remet nullement en cause le principe général du caractère supplétif des textes : ce rappel résulte seulement d’un pur souci didactique prenant en compte les souhaits exprimés par les professionnels au sujet de certains textes particuliers (en particulier sur le régime des obligations) »60.

Il reste qu’un « rapport » n’est pas une source du droit61, et que celui-ci en particulier laisse dubitatif : comment, par exemple, considérer que la disposition prohibant les clauses créant un déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion dont le caractère impératif n’est pas exprimé, soit supplétive ? Le « rapport » demeure néanmoins utile à l’interprète en ce qu’il emprunte « à la fois aux travaux préparatoires et aux actes d’exécution de la norme. (...). Tourné vers le passé, il explique les motifs de la réforme, sa genèse, son esprit, éventuellement sa méthode et les choix qu’elle opère. Orienté vers l’avenir, le rapport suggère des pistes d’interprétation plus ou moins directement déduites des objectifs énoncés et s’autorise même à formuler certaines directives »62.

Quant aux travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi de ratification, ils montrent que le Sénat avait proposé une liste non exhaustive de dispositions considérées comme étant impératives63. Évidemment, le juge ne sera pas lié par celle-ci, d’autant plus que la méthode fut critiquée par l’Assemblée nationale64.

En tout état de cause, le juge est libre des méthodes d’interprétation de la loi65 et donc de ne pas suivre le rapport ou les travaux préparatoires66 . Il sera en revanche tenu de retenir le caractère supplétif ou impératif d'un texte si celui-ci ressort explicitement du texte lui-même : « sauf clause contraire » (C. civ., art 1216-1 al. 2), « [l]es parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (C. civ., art 1112-1 al. 5), « [c]ette disposition est d'ordre public » (C. civ., art 1104 al. 2), par exemple.

9 Application dans l’espace du droit des contrats. Le nouveau droit des contrats est sans incidence sur les conflits dans l’espace des règles relatives au droit des contrats68. Chaque fois qu’un contrat est « international », c’est-à-dire lorsqu’il met en jeu « les intérêts du commerce international »69, la loi applicable est désignée par le règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). Celui-ci prévoit que les parties sont libres de désigner la loi applicable au contrat (art. 3.170 : principe de la loi d’autonomie) et, qu’à défaut de choix, la loi est désignée par le règlement (sauf cas particulier – ils sont nombreux –, il s’agit en principe de « la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle » (art. 4.2)).

10 Application dans le temps du nouveau droit des contrats71 . De règle générale, l'application de la loi dans le temps en matière contractuelle obéit au principe général figurant à l'article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif » 72.

S’agissant de l’application dans le temps des dispositions du nouveau droit des contrats, celle-ci est définie par les dispositions transitoires de l’Ordonnance et de la Loi de ratification, celles-ci ayant d’ailleurs été modifiées par celles-là. On observera in limine que celles-ci ne prévoient pas d’application rétroactive des règles nouvelles – sous réserve de certaines dispositions de la Loi de ratification dites « interprétatives » de l’Ordonnance102 et d’une modification d’une disposition transitoire de l’Ordonnance par la Loi de ratification103 -, de sorte qu'en vertu de l'article 2 du Code civil 104, celles-ci sont dépourvues de toute rétroactivité.

D’après l’article 9 de l’Ordonnance :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.

Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public105.

Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation106. »

D’après l’article 16, I de la Loi de ratification :

« La présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018.

Les articles 1110, 1117, 1137, 1145, 1161, 1171, 1223, 1327 et 1343-3 du Code civil et les articles L. 112-5-1 et L. 211-40-1 du Code monétaire et financier, dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques conclus ou établis à compter de son entrée en vigueur.

Les modifications apportées par la présente loi aux articles 1112, 1143, 1165, 1216-3, 1217, 1221, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1347-6 et 1352-4 du Code civil ont un caractère interprétatif. »

Il convient dès lors de distinguer trois périodes.

11 Application dans le temps. Contrats conclus avant le 1er octobre 2016 : principe. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis au droit antérieur à celui de l’Ordonnance (art. 9 al. 2 ord.), conformément aux principes de non-rétroactivité et de survie de la loi ancienne en matière contractuelle107 : la validité, les effets passés (principe de non-rétroactivité) et les effets futurs (principe de survie de la loi ancienne) relèveront en principe de la loi ancienne. Il a été « précisé » par une disposition rétroactive de la Loi de ratification que la survie de la loi ancienne valait même pour les « effets légaux » des contrats et les dispositions « d’ordre public » du nouveau droit des contrats (art. 16, III, L. ratif.).

À la lettre, la précision suivant laquelle la loi nouvelle s’applique pas, même dans ses dispositions « d’ordre public », est un coup d’épée dans l’eau car seules des dispositions qui relèvent d’un ordre public « impérieux »108 sont applicables aux contrats en cours, et non les « simples » dispositions d’ordre public. Toutefois, il faut dépasser la lettre du texte pour en saisir l’esprit : malgré les approximations du texte109, les parlementaires ont souhaité qu’aucune disposition de l’Ordonnance ne puisse s’appliquer aux contrats conclus antérieurement. Cette démarche mérite d’être approuvée dès lors qu’elle respecte pleinement les prévisions des parties et conduit à faire l’économie d’une distinction ô combien délicate entre l’ordre public « simple » et l’ordre public « impérieux »...

12 Application dans le temps. Contrats conclus avant le 1er octobre 2016 : application immédiate de la loi nouvelle aux interpellations interrogatoires. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis aux dispositions nouvelles de l’Ordonnance relatives aux interpellations interrogatoires reconnues à l’égard du pacte de préférence (art. 1123 al. 3 et 4110), des pouvoirs du représentant (art. 1158111) et de l’annulation d’un contrat (art. 1183112) (art. 9 al. 3 ord.).

Cette application « anticipée » de l’Ordonnance heurte la raison : elle est non seulement inopportune en ce que ces interpellations sont dangereuses pour celui qui n’y répond pas – d’autant plus que l’interrogé n’aura pas pu être renseigné sur leur sens et leur portée lors de la conclusion du contrat sous l’empire du droit ancien –, mais aussi illégitime, en ce qu’aucune considération d’ordre public ne justifie de telles dispositions transitoires.

13 Application dans le temps. Contrats conclus après le 1er octobre 2016 et avant le 1er octobre 2018 : application des dispositions de l’Ordonnance et des dispositions interprétatives de la Loi de ratification. Les contrats conclus après le 1er octobre 2016 sont soumis aux dispositions nouvelles de l’Ordonnance, date de son entrée en vigueur (art. 9 al. 1 ord.) ainsi qu’aux dispositions interprétatives de la Loi de ratification qui sont énumérées dans son article 16, I alinéa 3.

S’agissant des dispositions interprétatives, il convient de rappeler qu’une loi « ne peut être considérée comme interprétative qu’autant qu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverses »113 et que faisant corps avec la loi ancienne, elle s’applique aux situations antérieures à son entrée en vigueur114, y compris aux instances en cours115. Toutefois, il semblerait que la Cour de cassation ne s’estime pas liée par la qualification retenue par le législateur, encore que des décisions claires manquent à ce sujet116. En contrepoint, les autres dispositions de la Loi de ratification, « non interprétatives » (art. 16, I, al. 2 L. ratif.), ne devraient a priori pas s’appliquer aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur le 1er octobre 2018 (art. 16, I al. 1 L. ratif.).

La distinction entre dispositions « interprétatives » et les autres pourrait avoir un effet pervers. Le législateur, en considérant que certaines dispositions n’étaient pas interprétatives, n’a-t-il pas nécessairement considéré qu’elles devaient conduire à retenir des solutions différentes ? À suivre un tel raisonnement, les juges seraient nécessairement tenus de retenir des solutions distinctes suivant qu’ils appliquent les règles de l’Ordonnance ou celles – non interprétatives – de la Loi de ratification. Pour ne prendre qu’un exemple, la notion de contrat d’adhésion devrait nécessairement être entendue différemment dans l’Ordonnance et dans la Loi de ratification. Outre qu’une telle approche serait inopportune en ce qu’elle morcellerait à l’excès dans le temps le droit des contrats, elle serait également légitime dans la mesure où les dispositions considérées dans la Loi de ratification comme non interprétatives de l’Ordonnance, le plus souvent reprennent un texte qui n’était pas clair...

14 Application dans le temps. Contrats conclus après le 1er octobre 2018. Les contrats conclus après le 1er octobre 2018 sont soumis aux dispositions nouvelles de la Loi de ratification, date de son entrée en vigueur (art. 16, I, al. 1 L. ratif.).

Point sensible : de la prescription de l’exercice d’une prérogative Lorsque l'exercice d'une prérogative nécessite une action en justice, celle-ci peut se heurter à la prescription, fin de non-recevoir qui rend irrecevable l'action intentée (CPC, art 122 31). Or de nombreuses prérogatives peuvent désormais être mises en œuvre par une notification. Il n’est que de penser à la résolution32 . Sans aucun doute la prescription pourra également être opposée à celui qui met en œuvre la prérogative, même si ce n'est pas par une action en justice. Mais comment et à quel moment pourra-t-elle l'être ? À première vue, comme c'est le cas pour les fins de non-recevoir (CPC, art 123 33), on pourrait penser que la prescription puisse en principe être invoquée à tout moment. Pourtant, dans le cadre d’une action en justice, la prescription est nécessairement invoquée avant que le juge ne prononce sa décision. Dès lors, quid, s’agissant de la résolution par notification, lorsque la partie à qui l’on voudrait opposer la prescription a d’ores et déjà notifié la résolution ? Est-il possible de lui opposer après coup la prescription ? En cas de litige, le juge réputera-t-il la notification n’avoir jamais eu lieu ou se contentera-t-il d’allouer des dommages-intérêts ?

Aménagements conventionnels Comment écarter une disposition supplétive ? En principe, il suffit purement et simplement pour les parties d’indiquer qu’elles l’écartent. Toutefois, lorsque c’est un tiers qui établit l’instrumentum du contrat et que ce tiers est tenu d’un devoir de conseil – ce qui est souvent le cas –, il aura tout intérêt à expliciter dans l’instrumentum le sens de la disposition écartée afin de se ménager la preuve que les parties ont bien compris la portée de l’acte67.

Point sensible : de l'application de l'article 2 du Code civil en matière contractuelle En matière contractuelle, la jurisprudence a dégagé à partir de l'article 2 du Code civil un principe ( 1 et deux exceptions ( 2 (1) Le principe : la survie de la loi ancienne Le principe de la survie de la loi ancienne et l’éviction corrélative de la loi nouvelle se manifeste à un triple égard. Primo, la validité du contrat ou de telle(s) de ses clauses s’apprécie à l’aune de la loi ancienne. Le principe de survie de la loi ancienne interdit un réexamen de la validité du contrat73 à l’aune de la loi nouvelle : un contrat valable au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être annulé au regard d’une loi postérieure74 et, réciproquement, un contrat nul au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être validé au regard d’une loi postérieure75. La Cour de cassation a même considéré qu’un contrat valable au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être déclaré caduc pour l’avenir au regard d’une loi postérieure76. Secundo, les effets passés du contrat relèvent de la loi ancienne. Le principe de la survie de la loi ancienne interdit à la loi nouvelle de revenir sur les effets passés du contrat77. Ainsi l’échange de prestations dans le passé ne saurait être remis en cause par l’effet de la loi nouvelle ; en particulier, cet échange ne saurait donner lieu à des restitutions. Tertio, les effets à venir du contrat relèvent de la loi ancienne. Le principe de la survie de la loi ancienne interdit à la loi nouvelle de régir les effets à venir du contrat78 : « aux termes de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif ; (...) il en résulte que les effets des contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle, même s'ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi demeurent régis par les dispositions sous l'empire desquelles ils ont été passés »79. A chaque fois, la survie de la loi ancienne chasse l’application de la loi nouvelle car celle-ci trahirait les prévisions des parties. Or cette trahison est la même que l’on revienne sur des obligations expressément stipulées ou sur des obligations prévues par la loi sur la foi de laquelle les parties avaient contracté80. (2) Les exceptions : l’application de la loi nouvelle Il existe des exceptions au principe de la survie de la loi ancienne qui conduisent à l’application de la loi nouvelle au contrat en cours et donc à un changement des « règles du jeu » en cours de partie. La jurisprudence distingue deux exceptions. Primo, la jurisprudence refuse que la loi nouvelle remette en cause les effets passés du contrat si elle ne l’a pas elle-même expressément prévue. C’est l’exception de rétroactivité : « la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur »81. C’est ainsi que la loi nouvelle ne conduira jamais, sauf disposition transitoire expresse contraire, à revenir sur les effets passés du contrat. Secundo, la jurisprudence n’admet que la loi nouvelle régisse les effets futurs du contrat que dans certains cas. C’est l’exception d’application immédiate de la loi nouvelle. D’une part, c’est le premier cas, la loi nouvelle sera applicable aux contrats en cours lorsque des considérations impérieuses le justifient82, ce qui présuppose a priori une disposition d’ordre public83. Toutefois, toutes les dispositions d’ordre public ne sauraient s’appliquer aux contrats en cours, sauf à vider de toute substance le principe de survie de la loi ancienne ; d’impérieuses considérations de les appliquer aux contrats en cours doivent exister84. D’autre part, c’est le second cas, la loi nouvelle sera applicable aux contrats en cours lorsqu’elle est élément du statut légal dans lequel s’intègre le contrat : c’est la théorie des effets légaux du contrat. La notion de statut légal et ses implications en matière de conflit de lois dans le temps a été développée par Roubier85. Mystérieuse dès l’origine, la notion le demeure à ce jour86. On comprend néanmoins qu’un contrat s’inscrit dans un statut légal lorsqu’il est soumis à un ensemble de règles présentant un certaine consistance et cohérence. Ceci expliquerait pourquoi la Cour de cassation fait application de cette théorie le plus souvent87 en matière de baux88, même lorsqu’il s’agit d’aller à l’encontre de l’intention probable du législateur89. Il reste que la notion de statut légal continue de soulever d’innombrables difficultés, ainsi que cela a déjà été relevé90. À partir de quel seuil considèrera-t-on que le contrat s’inscrit dans un ensemble de règles présentant une certaine consistance et cohérence ? À supposer que l’on soit en présence d’un tel ensemble, n’appliquera-t-on l’exception tirée de l’existence d’un statut légal que lorsque la loi nouvelle modifie une règle préexistante, ou aussi lorsque la loi nouvelle ajoute aux règles préexistantes (et a fortiori crée un nouveau statut légal) ?91. Quelles que soient les réponses que l’on apporte à ces questions, l’exception tirée de l’existence d’un statut légal trahira toujours la prévision des parties, et ce, sans conditions impérieuse d’application immédiate de la loi nouvelle, prévision qui pourtant constitue le fondement principal du principe de survie de la loi ancienne. L’exception tirée de l’existence d’un statut légal doit donc être entendue très restrictivement. Au-delà, les domaines des deux exceptions au principe de survie de la loi ancienne (rétroactivité et application immédiate) ne sont pas toujours faciles à distinguer. Tel est le cas chaque fois que la clause d’un contrat n’ayant pas encore pris effet (ex. clause de non-concurrence post-contractuelle) ou prenant effet de manière répétée dans le temps (ex. clause d’intérêt dans un prêt) ne serait pas valable au regard de la loi nouvelle. Est-ce qu’appliquer la loi nouvelle à un contrat déjà conclu et priver ainsi d’efficacité pour l’avenir92 une clause qu’il comporte constitue une application rétroactive de la loi (ce qui suppose alors une disposition expresse en ce sens dans la loi nouvelle) ou une application immédiate (ce qui suppose « seulement » d’être dans un des deux cas susvisés) ? L’acception que l’on a de la rétroactivité peut être large ou stricte. On peut à cet égard partir de l’exemple pris par Roubier dans Le droit transitoire93 : le législateur décide de limiter, dans les contrats de prêts, le maximum du taux d'intérêt à 6 % alors que, d'après la loi précédente, la fixation des intérêts au taux de 7 % était licite. Appliquer cette loi aux contrats en cours pour les intérêts non encore échus, est-ce faire une application rétroactive ou immédiate de la loi nouvelle ? Suivant une acception large de la rétroactivité, qui est l’acception classique94, il y a bien rétroactivité dans ce cas : « ce que la loi critique, c’est (...) la formation du contrat donc un fait antérieur qui était alors parfaitement licite, à savoir le contrat qui stipulait des intérêts à 7 % » ; or, « la loi ne peut revenir sur les conditions dans lesquelles un contrat a été passé sans qu'il y ait rétroactivité »95. Mais parce que l’application de la loi dans une telle situation ne conduirait pas à revenir sur les intérêts déjà servis par l’emprunteur au prêteur, Roubier parle de « rétroactivité tempérée »96. Suivant une acceptation stricte de la rétroactivité, dès lors qu’il n’est pas question de revenir sur les effets passés du contrat, il ne saurait être question de rétroactivité. La raison qui en est donnée par Bach tient en une phrase : « en matière de contrats, il convient de distinguer l'acte en tant qu'opération normatrice, en tant qu'acte créateur de droit et d'obligations, et les normes juridiques créées par les clauses du contrat, qui vont déterminer la conduite, les actes, de chacun des cocontractants à l'égard des autres ou à l'égard des tiers »97. Appliquant ceci à l’exemple rapporté plus haut, l’auteur note que l’application de la loi nouvelle ne fait « que substituer à une norme contractuelle, une norme législative, mais elle ne le ferait par hypothèse que pour l'avenir et sans que la loi ancienne ait, au moment de la conclusion du contrat, donné l'assurance aux cocontractants que les normes par eux posées auraient valeur obligatoire jusqu'au terme prévu pour le contrat ; il est donc inexact d'affirmer qu'elle remettrait en cause les conditions de formation du contrat, et l'on ne voit pas, dès lors, comment l'application de cette loi pourrait être qualifiée de rétroactive »98. S’agissant de l’application du plafond de l’usure à des prêts en cours, de nombreuses décisions ont été rendues, qui ont retenu de la rétroactivité une interprétation large99. Mais la jurisprudence n'a pas consacré de manière solennelle un principe général de résolution de la difficulté soulevée100, peut-être d'ailleurs parce qu'elle pas été nettement identifiée. On peut néanmoins mentionner un arrêt récent et important de la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant retenu que « la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur (...) remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé »101.

Point sensible : des cas difficiles d’application dans le temps du nouveau droit des contrats On a jusqu’à présent réfléchi à l’application dans le temps du nouveau droit des contrats à un contrat en considération de la date de sa conclusion à un instant t. Quelques cas particuliers qui pourraient soulever des difficultés méritent à présent quelque attention. En premier lieu, il se peut que le contrat se soit formé dans la durée. Primo, et s’agissant de la loi applicable aux pourparlers, par principe, il faut appliquer les règles de conflit de loi dans le temps régissant la matière extracontractuelle, dès lors que le contrat n’est pas à ce stade conclu : on retiendra ainsi en principe la loi en vigueur à la date de la réalisation du fait dommageable. Tel sera le cas pour une rupture fautive des pourparlers engagés avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ou encore de la révocation fautive d’une offre faite également avant. Toutefois, il faut réserver deux séries de cas particuliers. D’une part, lorsqu’un contrat régissait les pourparlers et que la question concerne ce contrat, ce sont les règles de conflit de loi dans le temps applicable en matière contractuelle qui doivent s’appliquer. D’autre part, lorsque les pourparlers entamés sous le droit ancien ont conduit à la conclusion d’un contrat sous le droit nouveau et que la question concerne un fait s’étant produit alors que le droit ancien était en vigueur mais ayant une incidence sur le contrat conclu, quelle règle de conflit de loi dans le temps retenir ? Par exemple, si un abus d’un état de dépendance117 a été commis avant que le nouveau droit n’entre en vigueur, peut-il être sanctionné alors qu’il ne l’était pas (ou pas de la même façon) sous l’empire du droit ancien ? Dès lors que la « situation » s’est parachevée sous l’empire du droit nouveau, c’est l’application de celui-ci qui devrait en principe l’emporter. Secundo, que décider lorsque l’une des parties a exprimé son consentement avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (ce serait le cas de l’offrant ou du promettant s’étant engagé dans une promesse unilatérale118), et l’autre après (ce serait le cas de l’acceptant ou du bénéficiaire de la promesse unilatérale ayant levé l’option) ? Non sans dogmatisme, on considère en général que le contrat ayant été formé après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, il est soumis à celle-ci. Une telle solution est néanmoins très critiquable, chaque fois que les parties n’ont pas entendu artificiellement empêcher l’application de la loi nouvelle119. Prenons l’exemple d’une promesse unilatérale de vente : le contenu du contrat de promesse a été défini par les parties en contemplation d’un droit (le droit ancien) et l’on ne comprend pas que le seul fait que l’option soit levée après l’entrée en vigueur du droit nouveau suffise à emporter soumission du contrat à celui-ci. De même, comment se satisfaire qu’une personne ayant émis une offre dont le contenu a été défini en contemplation d’un droit (le droit ancien) puisse emporter la formation d’un contrat soumis au droit nouveau pour la seule raison que l’acceptation est parvenue postérieurement à l’offrant à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle120 ? Dans tous les cas, la soumission du contrat au droit nouveau pose des problèmes théoriques et pratiques : déjouer les prévisions de celui qui s’est engagé constitue une atteinte excessive à sa liberté contractuelle121 et d’inévitables difficultés d’articulation entre le contrat et le droit nouveau se poseront. En deuxième lieu, la prolongation après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle d’une relation contractuelle peut également susciter quelques hésitations. Primo, la prorogation laissant subsister l’ancien contrat, le principe est celui de la survie de la loi ancienne122. Mais n’y a-t-il pas quelque artifice à empêcher ainsi l’application de la loi nouvelle ? Et si la seule raison qui a conduit les parties à proroger le contrat plutôt qu’à le renouveler ou à le laisser se reconduire était l’éviction de la loi nouvelle ? Secundo, la tacite reconduction ou le renouvellement exprès emportant la formation d’un nouveau contrat, le principe est celui de l’application de la loi nouvelle123. Si la solution s’impose, on prendra garde à privilégier un renouvellement exprès en adaptant le contrat à la loi nouvelle plutôt qu’à le laisser tacitement se reconduire, le contrat n’étant alors plus adapté à la loi à laquelle il est soumis. En troisième lieu, la modification après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle du contrat conclu antérieurement suscite d’importants doutes. Si le contrat a fait l’objet d’une novation, nul doute qu’il sera soumis, en tant que nouveau contrat, à la loi nouvelle. Si, en revanche, il a fait l’objet d’un simple avenant non novatoire, de redoutables difficultés verront le jour. D’un côté, l’avenant est lui-même un contrat qui doit être soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion, c’est-à-dire au nouveau droit (au moins en ce qui concerne sa formation et sa validité) ; d’un autre, le contrat modifié ayant été conclu sous l’empire du droit ancien, on ne voit pas pourquoi, dès lors qu’il subsiste (l’avenant n’étant pas novatoire), il devrait être soumis au droit nouveau. Faut-il alors envisager un dépeçage du contrat : les effets du contrat seront soumis au droit nouveau pour ceux qui ont été modifiés par l’avenant, les autres restant soumis au droit ancien124 ? Mais est-ce seulement pratiquement concevable ? Dans le doute, la solution la plus sûre est donc de provoquer une novation du contrat, tout en réservant le cas échéant le maintien des sûretés (C. civ., art 1334 125). En quatrième lieu, ce sont les actes juridiques pris, après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, en vertu d’un contrat conclu antérieurement qui soulèvent plusieurs questions. On vise notamment la conclusion d’un contrat-cadre avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et d’un contrat d’application après, mais aussi, la mise en œuvre, après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, de prérogatives conférées par le contrat conclu avant (détermination du prix, mise en œuvre d’une clause résolutoire, etc.). S’il ne fait guère de doute que le contrat-cadre reste soumis au droit ancien, le contrat d’application étant un nouveau contrat, celui-ci devrait être par principe soumis au droit nouveau126. Quant à la mise en œuvre de prérogatives découlant du contrat, il faut y voir par principe un effet du contrat conclu antérieurement et soumettre cette mise en œuvre au droit ancien. En cinquième lieu, s’agissant enfin des questions de preuve, des distinctions sont nécessaires. D’un côté, s’il est bien acquis en jurisprudence que les règles nouvelles relatives à la charge de la preuve ne s’appliquent pas aux instances en cours127, la question demeure de leur application à des faits passés. D’un autre côté, s’agissant des règles relatives aux modes de preuve, il ressort de la jurisprudence que si les preuves préconstituées (écrit) et les présomptions légales sont soumises à la loi en vigueur au jour de leur constitution, les autres (témoignage) le sont à la loi en vigueur au jour où elles sont établies128.

Chapitre 1 - Le contrat et les contrats

Plan

15 Localisation. Les questions relatives à la définition du contrat et à la diversité des contrats sont envisagées dans le Code civil au chapitre Ier (« Dispositions liminaires ») du sous-titre consacré au contrat.

16 Qu’est-ce qu’un contrat ? Le contrat est défini à l’article 1101 comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Le contrat est le fruit de volontés qui se sont accordées en vue de l’obtention de résultats : l’achèvement d’une maison, la réparation d’un véhicule, la mise à disposition d’un appartement, la fourniture d’un logiciel, le paiement d’une somme d’argent, etc.

Pour parvenir à ces résultats, les parties « s’obligent », en sorte que l’obligation apparaît comme un moyen ; elle est un pont entre l’accord des parties et les résultats attendus. C’est pourquoi le plus souvent le contrat a pour objet la création d’obligations : ainsi du contrat par lequel une personne donne à bail l’un de ses biens à une autre et qui donne lieu à l’obligation de faire jouir en contrepartie de l’obligation de payer un loyer. Mais le contrat peut également avoir pour objet la modification d’obligations : ainsi du contrat par lequel les parties modifient un précédent contrat (on parle alors d’avenant). Il peut enfin avoir pour objet la transmission d’obligations : ainsi du contrat opérant une cession de créances, de dettes ou de contrat.

Plus généralement, le contrat produit des effets de droit qui n’ont pas nécessairement pour objet des obligations. C’est notamment le cas des contrats constitutifs ou translatifs de droits réels (ex. : la vente), mais aussi de ceux instituant un groupement de biens (ex. la fondation) ou de personnes (ex. la société ou l’association).

En tout état de cause, le contrat modifie nécessairement la situation juridique des parties. Partant, ne sont pas des contrats, d’une part, les actes qui ne font que rappeler la loi129 et, d’autre part, les actes qui ne traduisent pas un engagement de leur auteur de s’engager juridiquement : les engagements d’honneur, de courtoisie, les gentlemen agreements, les non binding offers, etc.

17 Le contrat est à l’acte juridique ce qu’est l’espèce au genre. Les contrats constituent une sous-catégorie de la catégorie des actes juridiques. De fait, les actes juridiques « peuvent être conventionnels ou unilatéraux » (C. civ., art 1100-1 al. 1 in fine). Les actes juridiques sont conventionnels, c’est-à-dire des contrats, lorsqu’ils reposent sur plusieurs volontés. Ils sont unilatéraux, c’est-à-dire des actes unilatéraux, lorsqu’ils reposent sur une seule volonté.

La première catégorie, celle des contrats, n’appelle pas à ce stade d’observations particulières – les contrats font l’objet de cet ouvrage – sauf à observer que s’il est fait référence à la volonté de plusieurs parties, les textes du code qui établissent le régime du contrat ont été pensés pour un contrat conclu à deux alors que de nombreux sont conclus à plus de deux : contrat de société, conventions collectives, (certains) traités... Ces derniers, les contrats « multipartites », font l’objet d’un chapitre spécial135.

Quant à la deuxième catégorie, celle des actes unilatéraux, régulièrement discutée, elle est bien une réalité, même lorsqu’il s’agit pour l’auteur de l’acte de s’obliger : « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [l’article 1100-1 al. 1] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci », indique le rapport au président de la République. Les actes unilatéraux136 produisent des effets alors même qu’ils n’ont pas donné lieu à un accord de volontés entre l’auteur de l’acte et son (ou ses) destinataire(s).

C’est notamment ce qui distingue l’acte juridique unilatéral du contrat unilatéral : si les deux n’obligent qu’une partie, le contrat unilatéral suppose un accord de volontés, à la différence de l’acte juridique unilatéral137.

Les actes unilatéraux sont légion en droit : reconnaissance d’un enfant, testament, constitution d’une société ou d’une entreprise unipersonnelle, promesse d’exécuter une obligation naturelle, promesse de récompense, engagement de l’employeur envers ses salariés, engagements entre États, mais aussi et surtout, offre et acceptation138. En réalité, tout acte juridique est ou repose – lorsqu’il est un contrat – sur des actes unilatéraux – l’offre et l’acceptation étant eux aussi des actes unilatéraux. C’est pourquoi il est vain de rechercher en vue d’une énumération les actes juridiques unilatéraux139. Ils sont partout.

Tous les actes juridiques ont ceci en commun d’être des « manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit » (C. civ., art. 1100-1 al. 1 in limine), définition approximative mais qui ne pose pas de difficulté en pratique. En réalité, l’acte juridique est un engagement, comme le révèle son régime : l’exigence d’une capacité, d’un consentement libre et éclairé, d’une preuve en principe préconstituée, etc.140 Certes, le législateur a fait le choix de ne pas définir un régime des actes juridiques, préférant établir un régime des contrats, mais comme il l’a prévu, les actes juridiques141 « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. » (C. civ., art. 1100-1 al. 2)142.

18 Qu’est-ce qu’une obligation ? Trois éléments constitutifs L’obligation désigne un lien entre deux personnes, le débiteur et le créancier, par lequel le premier doit accomplir une prestation au profit du second. De cette définition ressortent trois éléments constitutifs.

19 Qu’est-ce qu’une obligation ? Premier élément constitutif : un lien entre deux personnes L’obligation est un lien entre deux personnes : elle institue un rapport personnel. Il ne s’agit pas d’un rapport réel, c’est-à-dire d’un rapport entre une personne et une chose (comme le droit de propriété et les autres droits réels) ou d’un rapport entre deux choses (comme l’est une servitude). Le droit des obligations est le droit des rapports personnels alors que le droit des biens est le droit des rapports réels.

Le lien obligationnel peut être appréhendé de deux points de vue. Du point de vue actif, du créancier, l’obligation se nomme créance. Ainsi le client d’un réparateur est titulaire d’une créance de réparation et le réparateur, d’une créance de somme d’argent. De même, l’acheteur est titulaire d’une créance de délivrance contre le vendeur et le vendeur, d’une créance de somme d’argent contre l’acheteur. Du point de vue passif, du débiteur, l’obligation se nomme dette. Ainsi le client d’un réparateur est tenu d’une dette de somme d’argent envers le réparateur, et ce dernier, d’une dette de réparation. De même, l’acheteur est tenu d’une dette de somme d’argent à l’égard du vendeur et le vendeur, d’une dette de délivrance envers l’acheteur. On s’aperçoit donc que créance et dette sont donc les deux revers d’une même médaille, les deux faces que présente une obligation.

20 Qu’est-ce qu’une obligation ? Deuxième élément constitutif  l’obligation a pour objet l’accomplissement d’une prestation L’obligation a pour objet l’accomplissement d’une prestation qui consiste soit en une action – réparer un véhicule, verser des dommages-intérêts en vue de réparer un préjudice – soit en une abstention – ne pas concurrencer tel individu par exemple, ne pas causer un dommage par sa faute à autrui.

21 Qu’est-ce qu’une obligation ? Troisième élément constitutif  l’obligation est un devoir pour le débiteur. Si l’obligation est un devoir pour le débiteur, il importe de bien distinguer deux choses : c’est une chose de dire que le débiteur est tenu d’une obligation, c’en est une autre de savoir si le créancier peut contraindre le débiteur à l’exécuter ou à mettre en œuvre une autre mesure en cas d’inexécution. À cet égard, et dans l’échelle de la contrainte, on peut distinguer trois types d’obligations.

Tout en bas de l’échelle de la contrainte, l’on trouve les obligations morales, pour lesquelles la contrainte n’est qu’intérieure. Ce sont celles qui trouvent leur source, tantôt, dans la morale individuelle de chacun : aller voter, se rendre au culte, aider son voisin, etc. et, tantôt, dans des engagements d’honneur, engagements qui traduisent la volonté de leur auteur de s’obliger moralement, non juridiquement. On en trouve de tels engagements dans différentes sphères. Dans la sphère amicale, et dans ce cas, on parle plus volontiers d’acte de courtoisie : voici un individu qui assure à un autre qu’il viendra pour dîner chez lui tel soir. Dans la sphère professionnelle : voilà une société qui s’engage sur l’honneur à soutenir sa filiale du mieux qu’elle le pourra ou un insolvable qui s’engage sur l’honneur à rembourser ses créanciers en cas d’un retour à meilleure fortune. Dans la sphère publique, les États prennent souvent des engagements envers les autres États sans intention de se lier juridiquement. Quelle que soit la source de l’obligation morale, nul ne peut en obtenir l’exécution forcée ou toute autre mesure en cas d’inexécution. C’est que le droit laisse en dehors de sa sphère le civisme, la religion, la courtoisie, etc. Aussi, si de telles obligations sont sanctionnées, c’est par la conscience du débiteur – le débiteur aura mauvaise conscience –, mais aussi parfois par la réprobation des autres : celle de l’entourage ou de la société. En définitive, de telles obligations n’intéressent pas véritablement le juriste.

Tout en haut de l’échelle de la contrainte, l’on trouve les obligations juridiques, pour lesquelles la contrainte est étatique. Ce sont celles qui trouvent leur source soit dans la loi, entendue le plus largement possible, comme la règle de droit, soit dans la volonté du débiteur, dans les limites autorisées par la loi. Le créancier peut en obtenir l’exécution forcée ou mettre en œuvre toute autre mesure en cas d’inexécution. Ainsi le vendeur peut exiger de l’acheteur qu’il verse le prix de la chose qu’il a voulu acquérir et l’État, par la voie de son procureur, peut demander au juge qu’un délinquant purge une peine en raison d’une infraction.

Au milieu de l’échelle, l’on trouve les obligations naturelles, qui empruntent aux obligations morales et aux obligations juridiques. Elles trouvent leur source dans une espèce de morale sociale. Ainsi, si les enfants sont obligés juridiquement de subvenir aux besoins de leurs parents et autres ascendants (art. 205), de même que le sont les gendres et belles-filles envers leurs beaux-parents (art. 206) – c’est l’obligation alimentaire –, il n’en va pas de même entre frères et sœurs. De sorte qu’un frère ne pourrait demander aux tribunaux, à l’État, de contraindre sa sœur à l’aider s’il est dans le besoin. Néanmoins, parce que la société estime qu’il est conforme à la morale que frères et sœurs subviennent à leurs besoins, l’on considère qu’ils sont liés par une obligation alimentaire naturelle. De même, un débiteur tenu d’une véritable obligation juridique – par exemple, l’acheteur doit payer le vendeur – ne peut être contraint par le créancier de la payer qu’autant qu’elle n’est pas prescrite, c’est-à-dire une fois qu’un certain laps de temps s’est écoulé. Une fois prescrite, la dette du débiteur perd sa qualité d’obligation juridique. Pour autant, parce que la société estime qu’il est conforme à la morale que l’on paye toujours ses dettes, l’on considère qu’une telle obligation dégénère en une obligation naturelle. On voit, avec ces deux exemples, que l’obligation naturelle apparaît tantôt comme une « obligation morale renforcée » (obligation naturelle d’aliments), tantôt comme une « obligation juridique diminuée » (obligation prescrite). En tout état de cause, il appartient au juge de les dénicher. Les obligations naturelles sont assez rares, mais la jurisprudence en rappelle régulièrement l’existence143.

Il s’évince deux conséquences de la qualification d’obligation naturelle. Primo, le paiement volontaire, et non fait par erreur144, d’une obligation naturelle, interdit au solvens d’obtenir restitution de ce qui a été payé à l’accipiens . C'est ce que prévoit aujourd'hui le Code civil : la restitution n'est « pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées » (C. civ., art 1302 al. 2). Cela est très important car, en principe, celui qui paie une dette dont il n'est pas tenu peut en obtenir la restitution sur le fondement des règles du « paiement de l'indu ». Secundo, le débiteur d’une obligation naturelle qui a pris l’engagement de l’exécuter est tenu par son engagement. Un tel engagement a pour effet de transformer l’obligation naturelle en obligation juridique et d’assurer au créancier un moyen de contraindre le débiteur145. Ainsi que l’a affirmé la Cour de cassation, « l’engagement unilatéral pris en connaissance de cause d’exécuter une obligation naturelle transform(e) celle-ci en obligation civile »146. Désormais, la règle figure à l’article 1100 alinéa 2, encore que, curieusement, le terme d’obligation naturelle ne soit pas employé, puisqu’il est seulement prévu que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire147 ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui. » Le rapport au président de la République qui accompagne l’Ordonnance ne laisse pourtant aucun doute sur ce point : ce sont les obligations naturelles qui sont seules visées148.

La distinction entre les obligations morale, naturelle et juridique étant connue, il importe de souligner à présent que le droit des obligations ne s’intéresse qu’aux obligations juridiques et naturelles et, statistiquement aux premières dans l’immense majorité des cas.

22 Droit commun et droit spécial des contrats : poupées russes. Le droit commun des contrats régit par principe tout contrat, même s’il fait l’objet de règles spéciales, voire très spéciales149. Ainsi la vente d’un immeuble bâti relève de règles qui lui sont propres, des règles relatives à la vente de tout immeuble, des règles relatives à la vente, et enfin des règles du droit commun. C’est ce qu’exprime l’article 1105 alinéa 1, qui énonce que les contrats, « qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du [sous-titre Ier relatif au contrat ». Autrement dit, generalia specialibus non dérogant.

Ce n’est qu’en cas d’incompatibilité entre une règle générale et une règle spéciale, c’est-à-dire d’antinomie entre deux règles partageant au moins pour partie le même champ d’application, que la règle spéciale prime la règle générale, ce qu’on tire de l’article 1105 alinéa 3, qui prévoit que les « règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ». Autrement dit, specialia generalibus derogant.

Toute la question est de savoir s’il y a ou non incompatibilité entre la règle générale et la règle spéciale150. Cela ne pose parfois pas de difficulté151, mais il n’en va pas toujours ainsi. La question se pose dans un premier temps de définir si les deux règles, générale et spéciale, s’appliquent en tout ou partie à la même situation, si elles ont, en tout ou partie, le même champ d’application. Dans un deuxième temps, il importe de déterminer si les conditions de mise en oeuvre posées par les règles – par hypothèse applicables152 – ou si les prescriptions qu’elles édictent diffèrent. Dans un troisième temps, enfin, il convient d’observer si l’application de la règle générale en plus de celle de la règle spéciale contrarierait les objectifs de cette dernière : en somme, la règle spéciale a-t-elle été prise parce que la règle de droit commun n’était pas adaptée ?

23 Contrats synallagmatiques et unilatéraux. La distinction des contrats synallagmatiques et des contrats unilatéraux est prévue à l’article 1106 : alors que le contrat est synallagmatique « lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres » (al. 1), il est « unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci » (al. 2). Ce qui est donc essentiel dans un contrat synallagmatique, c’est que les contractants « s’obligent réciproquement » : non seulement ils sont tous obligés, mais les obligations se servent mutuellement de contrepartie. Ainsi le vendeur transfère la propriété, met le bien à disposition de l’acheteur, le garantit contre les vices cachés et l’éviction, en contrepartie de quoi l’acheteur s’oblige à en payer le prix. En revanche, le cautionnement n’est pas un contrat synallagmatique car les obligations (essentiellement d’information) supportées par le créancier153 ne sont pas la contrepartie de l’obligation de la caution154. Manque le « lien d’échange »155 entre les prestations, caractéristique du contrat synallagmatique.

Les intérêts attachés à cette distinction concernent la preuve du contrat156, le jeu de l’exception d’inexécution157, et la perpétuité de l’exception de nullité158.

Le Code civil ne fait pas référence aux contrats synallagmatiques imparfaits, aux contrats qui, unilatéraux lors de leur conclusion, sont devenus synallagmatiques en cours d’exécution. En raison de leur nature hybride, leur régime emprunte aux régimes des contrats synallagmatiques et unilatéraux. Aux premiers, ils empruntent le mécanisme de l’exception d’inexécution, parce qu’elle se conçoit159 ; aux seconds, ils empruntent les règles de preuve car au moment de la conclusion du contrat, rien ne laisse entendre que le contrat deviendra synallagmatique et en tout état de cause, l’étendue de l’obligation éventuelle est inconnue.

24 Contrats onéreux et gratuits. La distinction des contrats onéreux et des contrats gratuits est prévue à l’article 1107 : le contrat est à titre onéreux « lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure » alors qu’il est à titre gratuit « lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie ». In limine, il doit être observé que peu importe ce qui est attendu et ce qui est ou non effectivement reçu : seul importe ce que les parties ont voulu en concluant le contrat. La plupart des contrats sont onéreux dans la mesure où une personne n’est en général prête à octroyer à l’autre un avantage que dans la mesure elle en reçoit un autre en contrepartie. Ce n’est que dans certaines circonstances qu’une personne est disposée à le faire sans contrepartie.

Les intérêts attachés à cette distinction sont très nombreux. Le régime des contrats conclus à titre gratuit, en particulier des libéralités, apparaît comme un régime dérogatoire au régime de droit commun, prévu par le Code civil, qui serait celui des actes à titre onéreux160 . En premier lieu, lorsque le contrat est onéreux, sa validité est subordonnée à ce qu'« au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » (C. civ., art 1169 161 ). En deuxième lieu, les contrats à titre gratuit obéissent à des règles de capacité ou de pouvoirs plus strictes (C. civ., art 387-2 administration des biens du mineur ; C. civ., art 470 curatelle ; C. civ., art 494-6 al. 4 : habilitation familiale ; C. civ., art 476 tutelle ; C. civ., art 490 mandat de protection future ; C. civ., art. 1422 : disposition des biens communs). En troisième lieu, celui qui s'engage à titre gratuit est tenu à des obligations moins strictes que celui qui s'est engagé à titre onéreux. Ainsi le donateur ne garantit pas le donataire contre l'éviction - sauf contre son fait personnel - ou les vices cachés 162 (A cheval donné on ne regarde pas les dents) et les manquements du débiteur sont appréciés avec plus de bienveillance dans un contrat à titre gratuit que dans un contrat à titre onéreux163. En quatrième lieu, l’acte à titre gratuit est plus fragile. Primo , il peut être contesté plus facilement qu'un acte à titre onéreux dans le cadre d'une action paulienne (C. civ., art 1341-2 164). Secundo , le contrat conclu à titre gratuit l'est en général « en considération de la personne » du cocontractant en conséquence de quoi il peut être annulé sur le fondement de l'erreur sur la personne (C. civ., art 1134 165). Tertio, « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité » alors qu’en principe, elle « n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. » (C. civ., art. 1135). Quarto , les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière sont nuls lorsqu'ils ont été accomplis au cours de la période suspecte précédant l'ouverture d'une procédure collective (C. com., art. L. 632-1. Quinto le prêteur à usage, s'il ne peut, en application du droit commun, « retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée » (C. civ., art 1888, « si, pendant ce délai, ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre » (C. civ., art 1889.

En général, les contrats synallagmatiques sont à titre onéreux et les contrats à titre unilatéral sont à titre gratuit. Toutefois, il existe des contrats unilatéraux à titre onéreux, spécialement lorsque celui qui ne s’oblige pas (le contrat est unilatéral) a néanmoins fourni une prestation à l’autre (le contrat est onéreux), laquelle participait de la formation du contrat : ainsi le prêt à intérêt, lorsqu’il est réel166, n’oblige que l’emprunteur mais est conclu à titre onéreux. Existe-t-il également des contrats synallagmatiques à titre gratuit ? On évoque parfois la donation avec charges : il s’agit certes d’un contrat synallagmatique puisque les deux parties sont obligées, mais s’agit-il d’un contrat à titre gratuit, dès lors que le donateur reçoit un avantage ? En réalité, il est permis ici de voir ici un contrat qui serait onéreux à hauteur de la charge et gratuit au-delà167.

25 Contrats commutatifs et aléatoires. La distinction des contrats commutatifs et des contrats aléatoires est prévue à l’article 1108 : le contrat est commutatif « lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit » (al. 1) alors qu’il est aléatoire « lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain » (al. 2). Les contrats commutatifs et aléatoires sont des contrats à titre onéreux168 : dans un contrat commutatif, chaque partie s’engage à « procurer à l’autre un avantage » et dans un contrat aléatoire, « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ». La définition du contrat commutatif appelle deux observations. D’une part, il est excessif d’affirmer que l’avantage procuré par l’une des parties est « regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit » : l’équivalence, même subjective, des avantages n’est pas un élément de qualification169. D’autre part, il est tout à fait possible de considérer que dans un contrat aléatoire, « chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit », par où l’on voit que la définition des contrats commutatifs est trop large. C’est pourquoi est utile la précision suivant laquelle, dans un contrat aléatoire, « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ». En effet, et en substance, dans un contrat aléatoire, on ne sait pas, au moment de la conclusion quelle(s) prestation(s) sera(ont) délivrée(s). Ainsi, dans un contrat d’assurance, le versement d’une indemnité d’assurance dépendra dans son existence et son étendue de la réalisation d’un sinistre ; dans un jeu et dans un pari, le versement d’un gain dépendra dans son existence et son étendue du résultat et de la participation des autres joueurs.

Parmi les intérêts qu’il y a à distinguer les contrats commutatifs des contrats aléatoires, on affirme souvent en premier lieu que « l’aléa chasse la lésion », ce qui signifie que si un contrat s’avère, en cours d’exécution, déséquilibré au vu de ce que les parties ont effectivement reçu, il ne saurait être annulé en raison d’une contrepartie dérisoire. C’est exact dans la mesure où n’encourt pas un risque d’annulation le contrat d’assurance lorsque le sinistre ne s’étant pas réalisé, aucune indemnité n’a été versée à l’assuré, ou encore le contrat de jeu lorsque le joueur aura perdu. Pour autant, on peut tout à fait concevoir que soit annulable le contrat aléatoire lorsque, au moment de sa conclusion, l’engagement de l’une des parties apparaît dérisoire au vu de celui de l’autre. Il convient à cette fin de mettre en perspective les prestations (et leur étendue) qui seraient dues avec la probabilité de survenance de l’événement incertain dont elles dépendent. Ainsi, dans une vente en viager, le montant du bouquet et des arrérages sera déterminé en fonction de la probabilité de la date de survenance du décès de celui sur la tête de qui la rente a été constituée (en général, le crédirentier)173. Lorsque tel n’est pas le cas, ce n’est pas que le contrat est aléatoire et rescindable pour cause de lésion, le contrat n’est pas aléatoire faute d’aléa, et, commutatif, il est rescindable pour cause de lésion174. On affirme également souvent que « l’aléa chasse l’erreur », ce qui signifie que lorsque les parties ont accepté un aléa, par exemple quant à l’authenticité d’une œuvre, le fait que cet aléa devienne une certitude en défaveur d’une des parties, par exemple l’œuvre s’avérant fausse, la nullité ne peut être encourue. Ainsi, l’article 1133 alinéa 3 dispose que « [l]’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité »175. Toutefois, l’annulation du contrat pour erreur est possible lorsqu’une erreur a été commise sur les éléments permettant d’évaluer l’aléa176. Cette erreur peut d’ailleurs avoir été provoquée par l’autre177. Finalement, le seul véritable intérêt de la qualification d’un contrat en un contrat aléatoire est qu’il n’est alors pas possible d’y voir un contrat à titre gratuit, puisque seuls les contrats onéreux sont susceptibles d’être aléatoires (mais alors l’intérêt de la qualification est dérivé...). On en trouve une bonne illustration avec l’épisode jurisprudentiel des contrats d’assurance-vie mixtes. En somme, la notion de contrat aléatoire est mystérieuse et son régime n’apparaît pas si original qu’on peut le penser à première vue : les contrats aléatoires constituent-ils une véritable catégorie autonome de celle des contrats commutatifs ?

26 Contrats consensuels et formalistes. La distinction des contrats consensuels et formalistes intéresse la forme dans laquelle les consentements des parties doivent se rencontrer pour former valablement le contrat.

Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme « par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression » (C. civ., art. 1109 al. 1), solennel, « lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi » (C. civ., art. 1109 al. 2), et réel , « lorsque sa formation est subordonnée à la remise d'une chose » (C. civ., art. 1109 al. 3). Si les contrats en principe consensuels, ils sont exceptionnellement solennels ou réels (C. civ., art 1172 181).

Lorsque le contrat est consensuel, le contrat est valablement formé quelle que soit la forme dans laquelle les consentements des parties se sont rencontrés : l’accord peut être verbal, écrit, résulter de gestes, etc.

Lorsque le contrat est solennel, la validité du contrat est subordonnée à l’accomplissement d’une formalité consistant en l’établissement d’un certain type d’écrit (sous signature privée ou authentique) qui, le cas échéant, comporte certaines mentions. À défaut de respecter la forme requise, le contrat est en principe182 « nul » (C. civ., art 1172 al. 2), « sauf possible régularisation » ( ibid. ). Techniquement, une régularisation n'est pas une « confirmation », c'est-à-dire une renonciation à invoquer la nullité de l'acte (C. civ., art 1182 183). Elle est une « voie de rattrapage », qui consiste à rendre valable un acte annulable « en lui apportant l’élément qui lui fait défaut »184. L’intérêt de la régularisation, par rapport à une réfection du contrat – consistant à refaire un accord respectant les conditions posées par la loi185 -, est de produire effet rétroactivement entre les parties. La régularisation doit-elle être prévue par un texte ? La réponse paraît être négative, la jurisprudence considérant par exemple que la nullité de la vente de la chose d'autrui (C. civ., art 1599 186) est couverte dès lors que le vendeur a acquis, après la vente, la chose d’autrui187.

Lorsque le contrat est réel, ce n’est pas la validité mais la formation du contrat qui est subordonnée à l'accomplissement d'une formalité, la remise de la chose qui en fait l'objet (C. civ., art 1172 al. 3). Ces contrats sont aujourd'hui rares et l'on ne compte guère plus que le dépôt, le prêt à usage, le prêt de consommation qui n'est pas consenti par un professionnel du crédit 189, ainsi que le don manuel, soit des contrats dont le rôle économique est mineur. Le dessaisissement de la chose, le plus souvent gratuit190, permettra au propriétaire de la chose de prendre la mesure de son engagement. Un contrat réel dont la formalité de remise de la chose n’aurait pas été respectée n’en serait pas moins valable (à l’exception du don manuel191, qui est un substitut de don authentique, d’un contrat solennel), quoique non pleinement efficace : son inexécution ne donnera lieu qu’au versement de dommages-intérêts192. Il est d’ailleurs très fréquent de conclure un contrat avant la remise de la chose, en vue d’en expliciter les conditions.

27 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Ordonnance v. Loi de ratification. Les définitions du contrat de gré à gré et d’adhésion retenues par l’ordonnance ont été modifiées par la Loi de ratification193, considérée comme n’étant pas sur ce point « interprétative », en sorte que, théoriquement, les définitions retenues auraient évolué. Toutefois, celles-ci sont si sujettes à discussion que rien n’empêchera la jurisprudence d’interpréter les définitions posées par l’Ordonnance dans le même sens que celles posées par la Loi de ratification.

On commencera donc par exposer les définitions de la Loi de ratification avant d’envisager brièvement celles de l’Ordonnance.

28 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Loi de ratification. D’après l’article 1110, le contrat de gré à gré est « celui dont les stipulations sont négociables entre les parties » alors que le contrat d’adhésion est « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». On est de prime abord surpris par l’absence de symétrie entre les deux définitions, alors pourtant que tous les contrats devraient être soit de gré à gré, soit d’adhésion194. Si le critère de négociabilité des « stipulations » ou des « clauses »195 semble être le véritable et unique critère de distinction196, il eut fallu définir le contrat d’adhésion comme « celui dont les stipulations ne sont pas négociables entre les parties », encore que le sort des contrats dont certaines clauses seulement sont négociables ne serait pas déterminé. Quoi qu’il en soit, il faut considérer que tout contrat qui n’est pas d’adhésion est de gré de gré, cette dernière catégorie constituant une catégorie résiduelle197 en ce qu’elle regroupe les « contrats de droit commun ».

Avant d’envisager les différents éléments des définitions retenues par le législateur, observons d’emblée qu’il était vain de rechercher une « bonne » définition du contrat d’adhésion, tant les situations concevables sont diverses au-delà des cas caricaturaux.

Bien entendu, il y a les situations, qui ne posent pas de difficultés, dans lesquelles une partie impose l’entier contenu du contrat à l’autre (contrat d’adhésion) ou celui où les deux parties élaborent entièrement le contrat à deux (contrat de gré à gré ; encore que ce cas ne soit pas si simple qu’il y paraît). Au-delà, une infinité d’hypothèses, qui sont autant de zones grises, sont concevables : une partie qui dispose d’une trame prérédigée impose l’essentiel à l’autre et accepte de revenir sur le reste, une partie qui ne dispose pas d’une trame prérédigée impose l’essentiel à l’autre et élabore le reste avec l’autre ; une partie qui dispose ou non d’une trame prérédigée accepte d’effacer ou de modifier – le plafond d’une clause limitative de responsabilité – une ou plusieurs clauses importantes, de manière marginale ou sensible – le plafond d’une clause limitative de responsabilité passe de 1 000 000 d’euros à 1 050 000 ou à 1 500 000 euros – ; une partie impose telles clauses du contrat et l’autre partie telles autres clauses, que ces clauses soient imposées mutuellement à partir ou non de trames prérédigées par les deux parties ; une partie impose telles clauses du contrat et accepte à la demande de l’autre d’« accorder » telles autres à l’autre, etc. Et, de règle générale, est-ce négocier que de proposer une première matrice « inacceptable » et, en raison de la protestation de l’autre partie, proposer une autre matrice (le cas échéant déjà prête) qui l’est moins ? Et négocier, est-ce revenir sur sa clause, accepter une autre clause en contrepartie sans modifier la clause imposée ?

Toutes ces illustrations rendent compte de la vanité d’une définition en général (sait-on seulement quelles hypothèses l’on a en vue ?) et des définitions retenues en particulier. Vérifions-le.

En premier lieu, s’agissant de la négociabilité ou non des stipulations du contrat, ce qui importe au fond est que les clauses aient ou non pu être négociées, peu important qu’elles l’aient été effectivement, comme le suggère l’emploi du terme « négociable ». Au-delà, les notions de négociation ou de négociabilité s'annoncent particulièrement délicates à définir... Par exemple, comment appréhender les stipulations qu'une partie n'aura pas voulu modifier mais qui, en raison des réticences de l'autre, auront donné lieu à des concessions dans d'autres stipulations ? Comment appréhender la situation dans laquelle une partie aura proposé un premier contrat et, en raison des réticences de l'autre, un second, cette fois « à prendre ou à laisser », un peu plus favorable à cette dernière ?

Probablement, avec le temps, la Cour de justice, s’agissant d’interpréter la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, apportera des éléments de comparaison intéressants. En effet, il faut se rappeler que celle-ci ne prévoyait le contrôle que des seules clauses « n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle » (art. 3), même si la France a fait le choix de contrôler toutes les clauses et pas seulement celles-ci.

D'un point de vue probatoire, par application du principe posé à l'article 9 du Code de procédure civile 198, déterminer qui doit prouver quoi dépendra de la prétention. Si une partie prétend que le contrat doit être interprété contre celui qui l’a rédigé ou qu’une clause doit être jugée abusive parce que l’on est en présence d’un contrat d’adhésion, ce que l’autre conteste, la qualification de contrat d’adhésion devra être rapportée par celui qui prétend y avoir adhéré. Si en revanche une partie prétend que le contrat doit être interprété en sa faveur parce qu’elle est débitrice et que le contrat est de gré à gré, ce que l’autre conteste, c’est la qualification de contrat de gré à gré qui devra être rapportée. À moins que l’on considère qu’un contrat est normalement de gré à gré et, à ce titre, est présumé l’être.

En pratique, celui qui a intérêt à ce que soit retenue la qualification de contrat de gré à gré devra veiller à se préconstituer les preuves d’une possibilité de négociation voire d’une négociation effective, et à ce que ceci n’ait pas été couvert par la confidentialité...

En second lieu, s’agissant de la détermination à l’avance des clauses par l’une des parties, on ne voit guère ce qu’apporte cet élément de définition à la notion de contrat d’adhésion : toute clause non négociable est nécessairement déterminée à l’avance par l’une des parties199. C’est néanmoins l’occasion de se poser deux importantes questions.

(i) Comment qualifier les contrats dont les clauses ont été déterminées à l’avance par un tiers et non par une partie ? La question a été envisagée à l’occasion des travaux parlementaires, puisqu’il a été fait référence au contrat « rédigé par un tiers à la demande de la partie (notaire, avocat, contrat-type de location saisonnière...) »200. Et le législateur semble avoir considéré, sans distinction, qu’il s’agissait bien dans ce cas de contrats d’adhésion201. En réalité, tout devrait dépendre du rôle du tiers et il convient à cet égard de distinguer les contrats rédigés à la demande des contrats prérédigés.

S’agissant des contrats rédigés à la demande, tout pourrait dépendre du contexte : si le tiers a rédigé le contrat à la demande d’une partie, agissant comme son « porte-plume », il a effectivement rédigé un contrat susceptible d’être qualifié de contrat d’adhésion si les autres conditions en sont remplies ; si le tiers a en revanche rédigé le contrat à la demande des deux parties sans que l’une n’en ait imposé le contenu à l’autre, le contrat sera a priori considéré comme un contrat de gré à gré. S’agissant des contrats prérédigés, les choses sont plus délicates. Si le tiers joue le rôle d’un éditeur de modèles de contrats à la disposition, la question de savoir s’il s’agit ou non d’un contrat d’adhésion dépendra du point de savoir si une partie au contrat en a imposé le contenu à l’autre ; le « tiers-éditeur » n’étant pas partie au contrat, la question est sans objet à son égard. Mais il est d’autres hypothèses où ce tiers ne joue pas simplement ce rôle, soit que le modèle de contrat qu’il a rédigé s’impose, pour telle ou telle raison, aux parties, soit que le tiers soit lui-même partie au contrat qui devient alors multipartite202. Les contrats proposés par des plateformes numériques qui mettent en relation deux parties (market place) illustrent au mieux ce phénomène. Les contrats qui sont conclus par l’intermédiaire de market places, s’ils créent des obligations entre les parties mises en relation, en créent également entre celles-ci et la plateforme, tant et si bien que celle-ci est également partie au contrat. Ne convient-il pas alors de distinguer suivant les relations nouées au sein du contrat multipartite ? Dans les relations entre chacune des parties mises en relation et la plateforme, le contrat devrait pouvoir être considéré comme un contrat d’adhésion : le contrat devrait s’interpréter contre elle et l’appréciation d’un éventuel déséquilibre significatif devrait pouvoir être opéré, le plus souvent d’ailleurs à l’aune du droit de la consommation. En revanche, dans les relations entre les seules parties mises en relation, on ne peut que convenir de ce qu’aucune partie n’a imposé à l’autre le contenu contrat. L’application de la règle d’interprétation contra proferentem n’aurait guère de sens et si le contenu du contrat était significativement déséquilibré au détriment d’une des parties, serait-il légitime de le contrôler alors que la partie avantagée n’est pas responsable d’un tel contenu203 ?

(ii) Comment qualifier les contrats d’ores et déjà conclus mais auxquels postérieurement d’autres adhèrent à leur tour (par ex., règlement de copropriété, cahier des charges d’un lotissement ou statuts d’une société), le cas échéant en succédant à une partie (cession de contrat)205  Là encore, la difficulté n’a pas été ignorée lors des travaux préparatoires206. À juste titre, il fut observé qu’« un contrat de gré à gré le demeure toujours, puisque le code le définit par les seules conditions de sa formation, c’est-à-dire les modalités de négociation de ses stipulations, de sorte que l’adhésion ultérieure d’une nouvelle partie ne saurait en aucun cas avoir d’effet quant à sa qualification de contrat de gré à gré »207. Autrement dit, si le contrat était de gré à gré lors de sa conclusion, il le restera malgré toute substitution de parties postérieure. Pour s’en convaincre, il suffit de raisonner sur une cession de contrat : il ne serait pas compréhensible qu’un contrat de gré à gré puisse se muer en un contrat d’adhésion dès lors qu’il serait cédé sans que ses termes ne soient rediscutés... Ce qui importe,

En troisième lieu, l’expression d’« ensemble de clauses non négociables » pose de sérieuses difficultés.

L’expression avait été proposée par l’Assemblée nationale en vue de définir les « conditions générales »208 auxquelles le Code civil fait référence depuis l'Ordonnance. Mais, non seulement le contrat d'adhésion n'est plus défini par référence à des « conditions générales », et les « conditions générales » visées à l'article 1119 209 ne sont pas définies !

Il ressort des travaux préparatoires que l’expression ne renvoie pas aux « stipulations essentielles », notion jugée aux « contours indéterminés » et qui « nourriraient une abondante jurisprudence »210.

Au-delà, on peut hésiter entre deux approches. Suivant une première, littérale, il y aurait « ensemble de clauses non négociables » lorsqu’il y en a plus d’une. On ne saurait la retenir : on en comprend mal les ressorts (pourquoi un contrat changerait-il de régime au motif que plus d’une de ses clauses est imposée à l’autre ?) et la difficulté rebondirait nécessairement quant à la définition de ce qu’est une « clause »211, même si, en droit de la consommation, la Cour de justice a déjà apporté d’utiles précisions sur cette question212. C’est pourquoi l’on peut préférer une seconde approche, aux termes de laquelle il y aurait « ensemble de clauses non négociables » lorsque le principal ne l’est pas. C’est semble-t-il ce qu’ont souhaité les parlementaires, qui ont entendu viser « les contrats dont l’essentiel des stipulations sont soustraites à la négociation (...) », le contrat de gré à gré étant donc « celui dont au moins l’essentiel des stipulations – et non les stipulations essentielles (...) – est négociable »213. C’est donc le principe suivant lequel l’accessoire suit le principal qui aurait été retenu. Il demeure qu’en pratique, un tel système est quasiment « impraticable », sauf pour le juge à disposer d’une balance magique qui mesurerait le poids des clauses214... Une certitude, toutefois : il n’y a pas que les contrats de masse qui soient désormais concernés215.

En fin de compte, la soustraction à la négociation des clauses du contrat constitue l’élément essentiel de la définition du contrat d’adhésion. Dans ce type de contrat, une partie adhère au contenu du contrat proposé par l’autre, sans négociation possible. Ce faisant, on rétablirait une symétrie entre les définitions des contrats d’adhésion et de gré à gré Par ailleurs, le régime juridique du contrat d’adhésion se comprendrait : celui qui impose le contenu du contrat doit répondre des abus de sa position qui se sont traduits par l’insertion de clauses créant un déséquilibre significatif et des obscurités des clauses dont il est l’auteur. Le régime des contrats d’adhésion profiterait ainsi à toute personne qui n’a pu négocier le contenu de son contrat, qu’elle en ait ou non pris effectivement connaissance. « Les catégories juridiques n’étant pas un “donné” mais un “construit” »216, il reviendra à la jurisprudence de donner à la catégorie des contrats d’adhésion une colonne vertébrale ».

29 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Ordonnance. L’article 1110, tel qu’il ressortait de l’Ordonnance, prévoyait que le contrat de gré à gré était « celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties » et le contrat d’adhésion, « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». En se limitant à l’essentiel, on relèvera deux différences avec le dispositif revu par la Loi de ratification.

En premier lieu, le contrat de gré à gré (et, en négatif, le contrat d’adhésion) n’était pas défini par la circonstance que ses clauses étaient négociables mais le fait qu’elles ont été négociées. Toutefois rien n’interdira217 à la jurisprudence, et tout l’invitera même218, à considérer que c’est la négociabilité plus que la négociation effective qui fait le contrat de gré à gré.

En second lieu et c’est la différence a priori essentielle avec le nouveau dispositif, le contrat d’adhésion supposait des « conditions générales », expression non définie mais dont on peut penser qu’elle visait « l’ensemble des clauses contractuelles types rédigées avant la conclusion de contrats individuels dans lesquelles elles sont destinées à s’intégrer »219. Selon certains, seuls les contrats standardisés auraient été alors susceptibles d’être qualifiés de contrats d’adhésion, l’objet de la réforme ayant alors été pour l’essentiel d’étendre aux professionnels la protection offerte par le Code de la consommation aux non-professionnels220. Cette position pouvait ne pas convaincre, pour plusieurs raisons. Primo, à suivre cette analyse, les contrats particulièrement longs et complexes et souvent peu lus ou compris dans le détail, mais qui ne seraient pas standardisés parce qu’offerts qu’à un seul (voire à plusieurs personnes déterminées), ne pourraient être qualifiés de contrat d’adhésion et emporter l’application du régime correspondant. Il en irait de même des contrats dont l’instrumentum, sans renvoyer à des « conditions générales », comprendrait des clauses qui sont reprises à l’identique ou simplement reprises dans leur substance, moyennant des aménagements, dans d’autres contrats, notamment de distribution221. Secundo, on ne voit pas pourquoi la seule circonstance que l’on est présumé ou réputé ne pas prendre connaissance des conditions générales suffirait à emporter l’application d’un régime protecteur.

30 Contrat-cadre et contrats d’application225 . Le contrat-cadre est un « accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures » tandis que des contrats d'application « en précisent les modalités d'exécution » (C. civ., art 1111. Il ne s'agit pas tant ici d'établir une nouvelle distinction entre deux types de contrats, que d'isoler un contrat spécial, le contrat-cadre, en précisant qu'il est mis en œuvre notamment par des contrats d'application. La définition retenue du contrat-cadre est d'ailleurs très vague, puisqu'il n'est fait référence qu'à des « caractéristiques générales de (...) relations contractuelles futures », sans autres précisions. Sont concernés notamment les contrats de distribution (franchise, concession, etc.) ou de maintenance qui prévoient les « caractéristiques générales » de la relation relatives aux conditions d'approvisionnement, aux exclusivités territoriales, au savoir-faire, au point de vente, au prix, aux modalités de certaines prestations, etc.

L’article  1164 C. civ. comprend d’ailleurs une règle relative au prix dans les contrats-cadres sur laquelle nous reviendrons, et ce qui nous donnera l’occasion d’approfondir la notion de contrat-cadre226 : dans ces contrats, « il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (al. 1) et « [e]n cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. (al. 2) ».

31 Contrats à exécution successive et contrats à exécution instantanée . Le contrat à exécution instantanée « est celui dont les obligations peuvent s'exécuter en une prestation unique » alors que le contrat à exécution successive « est celui dont les obligations d'au moins une partie s'exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps » (C. civ., art 1111-1. Cette distinction introduite lors de la réforme résulte de l'effort conjugué de la doctrine et de la jurisprudence, mais le résultat est décevant. Primo, les notions manquent de clarté. Pour l’essentiel, les concepts de « prestation » et de « prestation unique » sont-ils objectifs ou subjectifs, une prestation pouvant en ce cas être unique pour les uns, et non pour les autres ? Secundo, afin d’établir une symétrie entre les notions, pourquoi ne pas avoir opposé les contrats dont les « obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique » (ce que sont les contrats à exécution instantanée) à ceux dont les « obligations ne peuvent pas s’exécuter en une prestation unique » (ce que seraient les contrats à exécution successive) ou bien les contrats dont les « obligations d’au moins une partie ne s’exécutent pas en plusieurs prestations échelonnées dans le temps » (ce que seraient les contrats à exécution instantanée) aux contrats dont les « obligations ne peuvent pas s’exécuter en une prestation unique » (ce que sont les contrats à exécution successive) ? En fin de compte, l’opposition retenue est bancale car elle ne repose pas sur un critère, mais sur deux. Autrement dit, c’est la pluralité des prestations d’une part et le fait qu’elles s’exécutent de façon échelonnée dans le temps qui caractérisent le contrat à exécution successive, peu important (à supposer que cela fût possible, qu’elle puisse s’exécuter en un trait de temps). On s’aperçoit ainsi que la définition du contrat à exécution successive est suffisamment compréhensive pour englober les contrats à exécution instantanée dont l’exécution est fractionnée dans le temps. On retiendra néanmoins qu’a priori un contrat à exécution instantanée comme la vente ne dégénère pas en un contrat à exécution successive pour la seule raison que les parties ont choisi d’en fractionner l’exécution227 dans le temps : ainsi la vente d’une tonne de farine, que la tonne soit ou non livrée en fractions de 100 kilos, reste un contrat à exécution instantanée car elle est susceptible de s’exécuter en une seule livraison. Au-delà, on se perdra en conjectures : le critère de la « prestation unique » repose sur une vue de l’esprit et se révèle impraticable228. Comment qualifier une cure de sevrage ou un abonnement à un journal, lorsque chaque numéro est accompagné d’un élément d’une maquette à monter ? Probablement la jurisprudence ne sollicitera plus cette distinction mais celle des contrats à exécution continue (dont il est possible de considérer qu’ils donnent lieu à plusieurs prestations) et à exécution globale (dont il est possible de considérer qu’ils donnent lieu à une prestation unique). Tout ceci explique peut-être pourquoi aucune conséquence n’est attachée par la réforme à cette distinction...

Traditionnellement, en droit civil, l'intérêt majeur de la distinction de ces deux types de contrats concernait le sort du contrat partiellement inexécuté et en particulier l'étendue des restitutions. Depuis la réforme, les effets de la résolution (C. civ., art 1229 229 sont toutefois déconnectés de cette distinction puisqu’il est prévu que lorsque « les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre » et que lorsque « les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation »230. Chaque fois que le contrat a été conclu en considération de son entière exécution – indivisible –, toute inexécution, à quelque moment qu’elle survienne, devrait être sanctionnée par l’anéantissement total du contrat. Lorsque tel n’a pas été le cas, il n’y a en revanche pas de raison de revenir sur l’exécution du contrat qui a procuré définitivement satisfaction aux parties. C’est donc un critère subjectif, la volonté des parties, qui serait le critère déterminant. Ainsi, devrait être pleinement rétroactive la résolution d’un contrat de cure de sevrage ou d’abonnement à un journal, lorsque chaque numéro est accompagné d’un élément d’une maquette à monter. Il reste aujourd’hui que les contrats à exécution successive font l’objet d’un traitement spécial en droit des procédures collectives . Les créanciers dont les créances résultent d'un contrat à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues, même si elles ne sont pas nées (C. com., art. L. 622-24 al. 6 231) et donc a fortiori si elles ne sont pas exigibles. D'après l'article R. 622-22 du Code de commerce 232, il faut distinguer : lorsque le contrat à exécution successive a été conclu antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, les créanciers dont les créances, nées régulièrement après le jugement d’ouverture autres que les créances de la procédure, résultent d’un contrat à exécution successive déclarent leurs créances, pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d’une évaluation ; lorsque le contrat est conclu postérieurement à ce jugement, les créanciers déclarent leurs créances pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d’une évaluation, dans un délai de deux mois à compter de la première échéance impayée, qu’elle ait été ou non régularisée. Enfin, on peut se demander si le principe de la prohibition des engagements perpétuels est a priori insusceptible de s’appliquer aux contrats à exécution instantanée, aux contrats dont la durée n’est pas une composante233...

32 Contrats conclus intuitu personae et contrats non conclus intuitu personae. Certains contrats sont conclus en considération de la personne du cocontractant, les contrats conclus intuitu personae, d’autres non. Ainsi, en général, une personne donnera tel bien à son enfant parce qu’il est son enfant alors que telle personne vendra sa voiture à telle autre, peu important qui elle est.

En réalité, les choses ne sont pas si simples. L’expression « intuitu personae », comme de nombreuses formules latines, a le mérite de la concision, mais présente le défaut de l’approximation. Qu’est-ce qu’un contrat conclu intuitu personae, conclu en considération de la personne ? Est-ce un contrat conclu en considération de l’identité civile d’une personne, de telle(s) de ses qualité(s), de son patrimoine ? Existe-t-il des contrats qui soient conclus sans égard pour aucune de ces considérations ? Parce que tout dépend évidemment des circonstances, il est regrettable que des contrats comportent une clause se bornant à affirmer que le contrat est, ou n’est pas, conclu intuitu personae234. Il conviendrait de préciser en considération de quoi exactement une personne s’est engagée envers une autre.

On le mesure bien à la lueur des intérêts du contrat conclu intuitu personae. Le contrat conclu intuitu personae est nul en cas d'erreur sur les qualités essentielles du contractant (C. civ., art 1134 235 ) et caduc en cas de décès ou de disparition du cocontractant (C. civ., art 1186 al. 1 236 ). On dit parfois qu'un tel contrat est incessible, mais en réalité la cession de contrat étant toujours subordonnée à l'autorisation du cédé (C. civ., art 1216 al. 1 237), le régime des contrats intuitu personae ne présente pas de spécificité.

Aménagements conventionnels Il faut distinguer des actes qui ne font que rappeler la loi, ceux qui, en plus de constituer un authentique contrat, renvoient aux dispositions de la loi130. Un tel renvoi peut poursuivre plusieurs objectifs. Primo, le renvoi peut avoir pour effet de soumettre le contrat à des règles qui ne sont pas applicables131 ou qui ne le sont pas encore132. Une telle soumission est possible, sauf à ce qu’elle emporte éviction de règles d’ordre public normalement applicables133. Secundo, le renvoi peut avoir pour effet de rappeler les règles applicables au contrat. Un tel rappel n’est pas rare lorsque le contrat est établi par un tiers-rédacteur, qui pourra ainsi se ménager la preuve qu’il avait correctement informé les parties de leurs droits et obligations. Il convient néanmoins de prendre garde à ce que la seule reproduction de la loi sera parfois insuffisante, lorsque son sens et sa portée méritent d’être explicités134. Tertio, le renvoi peut avoir pour effet d’incorporer au contrat les règles applicables. Ceci pourrait de prime abord étonner dans la mesure (i) où les règles impératives s’imposent de toute façon aux parties et (ii) où les règles supplétives s’imposent à elles pareillement dès lors qu’elles n’ont pas été écartées. Pour comprendre l’intérêt d’une telle incorporation, il faut envisager le cas de règles (supplétives ou impératives) qui viendraient à disparaître de l’ordre juridique, en raison de leur abrogation notamment. Si ces règles n’ont pas été incorporées au contrat, elles ne régiront plus les relations futures des parties alors que si elles l’ont été, elles les régiront, comme n’importe quelle clause contractuelle.

Point sensible : de la distinction des contrats aléatoires et des contrats comportant un aléa Tout contrat, en ce qu’il a vocation à déployer ses effets dans l’avenir et en ce qu’il s’appuie sur une certaine représentation d’un état des choses au moment où il est conclu, comporte de nombreux aléas : les cocontractants se sont-ils engagés sur la base d’exactes représentations ? Les conditions se réaliseront-elles ? À quel moment les termes viendront à échéance ? Quelles obligations devront être exécutées et quelles garanties seront mises en œuvre ? Exécuteront-elles leurs obligations ? Comment les exécuteront-elles ? Que réserve le hasard ? On prendra garde à ne pas qualifier d’aléatoire tout contrat dès lors que le résultat escompté par une des parties est susceptible de ne pas être atteint. On en saurait soutenir qu’un contrat mettant à la charge d’une partie une obligation de moyens170 est un contrat aléatoire dans la mesure où l’obtention du résultat attendu n’est pas certaine. Un cas particulier mérite d’être mentionné, celui des contrats qui libèrent une partie des risques qu’elle doit normalement supporter. C’est le cas des contrats passés « aux risques et périls d’une partie », en particulier de la vente dite « aux risques et périls » de l’acheteur. Si l’on passe sur l’ambiguïté de cette expression (encore que l’article 1629 prévoit expressément que « le vendeur, en cas d’éviction, est tenu à la restitution du prix, à moins que l’acquéreur (...) n’ait acheté à ses périls et risques »171), en réalité, ces contrats ont pour particularité de renverser la charge des risques, en raison d’une suppression des garanties normalement dues en vertu de la loi. C’est la raison pour laquelle, en principe, la conclusion de telles opérations ne devrait être possible que lorsque les garanties écartées ne sont pas d’ordre public172. Ne faut-il pas réserver en tout état de cause la qualification de contrat aléatoire aux contrats pour lesquels le risque s’est concrétisé au jour de la conclusion du contrat, notamment parce qu’il existe un litige sur la propriété du bien vendu (cession de droits litigieux) ou sur la qualité du bien vendu (vente d’une œuvre dont l’authenticité est contestée) ?

Droit spécial : des contrats d’assurance-vie mixtes Traditionnellement les contrats d’assurance-vie étaient tous de véritables contrats d’assurance, c’est-à-dire de véritables contrats aléatoires. On distinguait alors les contrats d’assurance « en cas de décès » garantissant le risque de décès avant une certaine date moyennant des primes perdues en cas de survie à l’échéance, des contrats d’assurance « en cas de vie » garantissant le risque de survie au-delà d’une certaine date, moyennant des primes perdues en cas de décès avant l’échéance. Les premières ont pour objectif d’assurer à la famille du défunt des moyens de subsistance (capital ou rente) en cas de décès de l’assuré et les secondes ont pour objectif d’assurer à l’assuré des moyens de subsistance (capital ou rente) de l’assuré en cas de survie, souvent pour financer sa retraite. Avec le temps, les compagnies d’assurances se sont mises à proposer la conclusion de contrats d’assurance « mixte », dans lesquels, moyennant versement de primes, l’assureur s’engage à reverser soit à l’assuré lui-même s’il est encore en vie, soit aux bénéficiaires désignés par lui s’il est décédé entre-temps, les sommes versées capitalisées et augmentées d’intérêts. L’assuré étant certain que les primes versées ne seront pas perdues, il s’agit de contrats de capitalisation, la seule incertitude tenant à l’identification de la personne qui bénéficiera du reversement. S’agit-il de véritables contrats d’assurance, de contrats aléatoires, ou de contrats commutatifs (l’enjeu était de savoir, s’il s’agissait d’actes à titre gratuit, de libéralités178) ? Pour des raisons d’opportunité économique179 , dans quatre arrêts rendus en chambre mixte le 23 novembre 2004, la Cour de cassation a considéré que « le contrat d'assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1, 1 et R. 321-1, 20 du Code des assurances et constitue un contrat d'assurance sur la vie » 180. Cette solution est, en droit, peu justifiée : on peine à voir en effet en quoi dans de tels contrats « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain », dès lors que les primes ne sont jamais versées à fonds perdu. Le seul aléa concerne l’identité du destinataire du versement, mais il ne s’agit pas d’un aléa affectant les « avantages » et les « pertes » qui résulteront du contrat.

Droit spécial : de la régularisation prévue ou de la régularisation exclue En droit des sociétés , la régularisation est parfaitement admise. S'agissant des sociétés en général, il est prévu qu'en « cas de nullité d'une société ou d'actes ou délibérations postérieurs à sa constitution, fondée sur un vice de consentement ou l'incapacité d'un associé, et lorsque la régularisation peut intervenir, toute personne, y ayant intérêt, peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l'opérer, soit de régulariser, soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (art. 1844-12 al. 1). Et s'agissant des sociétés commerciales, il est mentionné que si « les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution » (C. com., art. L. 210-7 al. 2). En droit des libéralités, il est prévu en contrepoint qu’en « cas de vice de forme, une donation entre vifs ne peut faire l’objet d’une confirmation. Elle doit être refaite en la forme légale »188 et qu’« [a]près le décès du donateur, la confirmation ou exécution volontaire d’une donation par les héritiers ou ayant cause du donateur emporte leur renonciation à opposer les vices de forme ou toute autre cause de nullité » (art. 931-1). Sont exclues ce faisant, tant la confirmation que la régularisation.

Droit spécial : de l’action préventive en droit de la consommation En droit de la consommation, les associations de défense des consommateurs peuvent, au titre de l'action dite « préventive », demander au juge d'ordonner « la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d'exécution. » (C. consom., art. L. 621-8. La Cour de cassation a décidé que l’action préventive pouvait être exercée contre un organisme proposant un modèle de contrat de location saisonnière aux bailleurs et locataires, tout en restant tiers au contrat, au motif que « l'action préventive en suppression de clauses illicites ouverte aux associations agréées de défense des consommateurs a vocation à s'appliquer aux modèles types de contrats destinés aux consommateurs et rédigés par des professionnels en vue d'une utilisation généralisée »204. Cette solution crée un hiatus entre l’action collective, qui peut être intentée par l’association de défense des consommateurs contre le tiers, et l’action individuelle, qui ne peut être intentée que si et seulement si le contrat conclu lie un professionnel à un consommateur...

Point sensible : de l’impossibilité de distinguer le principal de l’accessoire et de la nécessité d’un contrôle clause par clause Il est une difficulté commune aux définitions retenues par l’Ordonnance et la Loi de ratification. Parce qu’il est impossible en pratique de distinguer le principal de l’accessoire, parce que l’abus réside la plupart du temps dans le déséquilibre des clauses accessoires et qu’en tout état de cause l’objet principal du contrat et l’inadéquation du prix à la prestation sont hors de portée du contrôle du juge222, parce qu’on ne voit pas pourquoi toute clause obscure imposée par une partie à une autre ne s’interpréterait pas contre la première... ... Le juge sera peut-être invité à dépasser la lettre du texte et à privilégier une approche clause par clause sans égard à la qualification préalable du contrat223, ce qui pourrait d’ailleurs être l’approche retenue en droit des pratiques restrictives de concurrence224. Ainsi, chaque fois qu’une clause aura été imposée par une partie à une autre, elle devrait s’interpréter contre son auteur et pouvoir faire l’objet d’un contrôle au titre du déséquilibre significatif. Il reste, et c’est une donnée très importante, que le fait que le contrat ait été ou non « dans l’ensemble » négocié est un élément majeur pour déterminer s’il y a déséquilibre significatif. Ainsi, lors de la vérification d’un éventuel déséquilibre causé par une clause qui n’était pas négociable, il faudra tenir compte des concessions éventuellement faites lors de la négociation des clauses négociables ou du simple fait que d’autres clauses étaient négociables, même si elles n’ont pas été négociées. Toutes les clauses négociables doivent être prises en compte, même celles qui portent sur l’objet principal du contrat ou l’adéquation du prix à la prestation. De fait, ce n’est pas parce que ces clauses sont hors du contrôle du juge qu’elles ne peuvent pas rétablir un équilibre du contrat menacé par telle ou telle clause suspectée de créer un déséquilibre significatif.

Aménagements conventionnels Rédiger une clause d’intuitu personae est difficile, pour plusieurs raisons. Primo, il convient de déterminer la personne en considération de laquelle le contrat est conclu. Cela suppose, lorsque le contrat est conclu avec une personne morale, de déterminer si c’est en considération de la personne morale, de sa holding, de ses dirigeants ou associés (etc.), qu’il l’est. Secundo, il convient de déterminer si c’est en considération de l’identité de la personne et/ou de telle(s) de ses qualités que le contrat est conclu. Un contrat conclu avec une personne physique peut l’être intuitu personae alors que l’identité de cette dernière est indifférente, à la différence de certaines de ses qualités : solvabilité, réputation, nationalité, etc. De même, un contrat conclu avec une personne morale peut aussi l’être intuitu personae alors que sa raison ou sa dénomination sociale, ou encore son numéro SIREN, sont parfaitement indifférents. Tertio, lorsque le contrat est conclu avec une personne morale, et en particulier en considération de la personne de ses dirigeants ou de ses associés, la question se pose du sort, d’un point de vue technique, du contrat en cas de changement de dirigeants ou d’associés. En principe, le contrat sera caduc. Il est néanmoins souvent stipulé en pratique qu’il sera résolu, ce qui suppose nécessairement l’inexécution d’une obligation. Mais laquelle ? Le départ de dirigeants ou d’associés pouvant leur être imposé ou procéder de leur choix, techniquement, pour parler de résolution, il faudrait prévoir que la personne morale s’engage à maintenir tels dirigeants ou associés et à se porter fort238 qu’ils se maintiendront. Tout cela peut paraître artificiel...

Chapitre 2 - La formation du contrat

Plan

33 Localisation. Au sein du Code civil, c’est le chapitre II du sous-titre Ier consacré au contrat, intitulé « La formation du contrat », qui comprend quatre sections, la première section portant sur « [l]ar conclusion du contrat », la deuxième section sur « [l]a validité du contrat », la troisième, sur « [l]a forme du contrat », et la quatrième, sur « [l]es sanctions ».

34 Un processus. Il est ici question de s’interroger uniquement sur le processus de formation du contrat : la manière, le moment et la forme de la rencontre des consentements des parties. Peu importe à ce stade que le contrat ait été valablement formé. On envisagera plus tard l’étude des conditions de validité du contrat mentionnées à l’article  1128 C. civ. 239 ainsi que celles de la nullité et de la caducité240.

C’est en revanche dans ce chapitre que l’on étudiera la forme de la rencontre des consentements, pour la double raison que la forme est intimement liée au processus de rencontre des consentements et qu’elle participe autant de l’existence que de la validité du contrat.

35 Plan. Un contrat se forme par la rencontre des consentements des parties (section 1). La période antérieure est envisagée par le Code civil dans la sous-section 1, intitulée « Les négociations » (section 2).

Section 1 - La période antérieure à la rencontre des consentements

36 Plan. Jusqu’à la réforme, la période antérieure à la rencontre des consentements n’était pas prévue et réglementée par le Code civil, qu’elle donne ou non lieu à des négociations du contrat projeté. Cette période est gouvernée par la liberté contractuelle (§ I), laquelle connaît toutefois connaît des limites générales (§ II).

§ I - Le principe de liberté

37 Liberté de contracter et de ne pas contracter. En vertu du principe de liberté contractuelle, une personne est libre de contracter ou non et donc d’engager ou non des négociations, avec qui elle veut.

38 Les négociations (ou pourparlers). Il est fréquent que la conclusion d’un contrat soit précédée de négociations. La liberté domine en droit commun cette période, les parties étant libres dans les manières de conduire les négociations et de les rompre à tout moment.

Droit spécial : de l’obligation de ne pas contracter ou de contracter En premier lieu, il est parfois interdit à une personne de contracter avec une autre. C’est le cas en général lorsque la loi établit une incapacité spéciale de jouissance dans telle hypothèse241 . Au-delà, il existe des cas particuliers. Ainsi un crédit immobilier au sens du Code de la consommation « n'est accordé à l'emprunteur que si le prêteur a pu vérifier que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ce contrat » (C. consom., art. L. 313-16. En second lieu, il est parfois interdit à une personne de refuser de contracter avec une autre. Primo, le refus de vente entre un professionnel et un consommateur est interdit (C. consom., art. L. 121-11 al. 1 242). Entre professionnels, la question du refus de vente a connu une importante évolution. Sanctionné pénalement par une loi du 21 octobre 1940 relative à la législation sur les prix et par l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique, puis dépénalisé par l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, il a finalement été autorisé par la loi n° 96-588 du 1 er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre dans les relations commerciales, dite Loi Galland. Si les raisons d’être de la prohibition du refus de vente étaient diverses, il s’agissait surtout de tenir compte du contexte de pénurie et des réticences des fournisseurs à distribuer leurs produits aux grands distributeurs qui commençaient à apparaître. Ces raisons ayant disparu, en principe un fournisseur peut refuser de vendre ses produits à un acheteur. Toutefois, le refus de vente est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle sanctionnable243. Secundo, importée des États-Unis244, la théorie des infrastructures essentielles, reçue par le droit européen245 et le droit national246 de la concurrence constitue également une atteinte très importante à la liberté contractuelle. L’infrastructure essentielle est celle qui est indispensable à un opérateur économique souhaitant fournir un service ou un produit sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel se trouvent ces infrastructures247, en ce sens qu’il n’existe pas pour lui de « solutions alternatives économiquement raisonnables »248 ou de « substitut réel ou potentiel »249 : ce sont des biens corporels – équipements permettant l’acheminement et le stockage du carburéacteur dans un aéroport250, installations portuaires pour transbordeurs de passagers et de véhicules251, hélistation252, accès à une boucle de télécommunication253, etc. – ou incorporels – outil statistique d’échantillonnage destiné à permettre des études de marché254, le répertoire SIRENE255, grille des programmes d’une chaîne de télévision256, etc. À moins qu’il puisse justifier de considérations objectives257, l’opérateur détenant l’infrastructure essentielle a l’obligation d’en permettre l’accès aux autres opérateurs à des conditions équitables et non discriminatoires258, dès lors qu’il est en situation de monopole ou de position dominante259, qu’un tel accès est possible260, et qu’un refus risquerait d’entraîner une élimination de la concurrence261. Le refus d’accès à l’infrastructure essentielle ne sera sanctionné que s’il fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs262 ou s’il constitue une entrave au développement technique au préjudice du consommateur263. Si l’atteinte portée au droit de propriété et à la liberté contractuelle est manifeste, les autorités de concurrence estiment qu’elle est justifiée et, partant, non excessive, en raison des conditions qui sont posées264. Tertio, en vue de lutter contre le pouvoir de marché de certains opérateurs économiques, le droit de la concurrence – encore lui ! – a développé un outil, les injonctions structurelles, qui portent atteinte au droit de propriété, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle. L’injonction structurelle permet à une autorité de concurrence de contraindre un opérateur économique à modifier sa structure, le cas échéant en cédant certains de ses actifs. S’agissant du droit des pratiques anticoncurrentielles, ce pouvoir est reconnu de manière générale en droit de l’Union européenne à la Commission par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [devenu 101 TFUE] et 82 [devenu 102 TFUE] du traité265 et en droit français depuis l'ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (ECN +), à l'article L. 464-2 du Code de commerce. Dès avant, le législateur français était allé encore plus loin en insérant dans le Code de commerce un nouvel article L. 752-27 concernant le commerce de détail dans certains territoires ultramarins. Lorsqu'une entreprise ou un groupe d'entreprises en position dominante exerce une activité de commerce de gros ou de détail et que des préoccupations de concurrence s'élèvent en raison de prix ou de marges élevés, l'Autorité de la concurrence peut leur faire part de ses « préoccupations » et, en l'absence d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence, leur enjoindre « de modifier, de compléter ou de résilier (...) tous accords et tous actes par lesquels s'est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges » et « de procéder à la cession d'actifs si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective ». L'ensemble du dispositif repose sur l'idée qu'il faut mettre un terme à des « préoccupations de concurrence » dues à des « prix ou (...) marges élevés ». Mais est-ce bien là l'objet du droit de la concurrence que d'intervenir en l'absence de « restrictions de concurrence »266 ? En tout état de cause, le dispositif, tel qu’il a été repris et aménagé dans la Loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, a été jugé conforme à la liberté d’entreprendre par le Conseil constitutionnel, compte tenu notamment de la situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie267. Dans sa décision no 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Conseil constitutionnel a sanctionné une disposition de la loi qui permettait à l’Autorité de la concurrence de prononcer, sous certaines conditions, en France métropolitaine, des injonctions structurelles imposant la modification des accords ou la cession d’actifs d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, en cas d’existence d’une position dominante et de détention d’une part de marché supérieure à 50 % par cette entreprise ou ce groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail. Précisément, l’Autorité de la concurrence aurait pu, aux termes de la disposition litigieuse, enjoindre à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé ne pouvant excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique s’étant traduit par des prix ou des marges élevés et qu’elle pouvait, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder, dans un délai ne pouvant être inférieur à six mois, à la cession d’actifs, y compris de terrains, bâtis ou non. La censure a été prononcée au motif qu’il est porté « tant à la liberté d’entreprendre qu’au droit de propriété une atteinte manifestement disproportionnée au regard du but poursuivi »268. Finalement, l’injonction structurelle a pour effet de remettre en cause la concurrence par les mérites et surtout de sanctionner ceux qui ont – trop bien ? – réussi : l’atteinte portée au droit de propriété paraît excessive et de nature à décourager les stratégies d’expansion des acteurs économiques269.

Aménagements conventionnels Spécialement dans les relations d’affaires, les négociations peuvent durer un certain temps et donner lieu à la remise d’informations sensibles entre les parties. C’est pourquoi il est fréquemment conclu un contrat les encadrant : le contrat définit comment celles-ci devront être conduites, en prévoyant le cas échéant des obligations d’exclusivité, de confidentialité, etc. L’intitulé de « contrat de négociation » doit être préféré à d’autres, peu évocateurs (« accord de principe », « protocole d’accord », etc.). Les règles relatives à l’inexécution des obligations contractuelles s’appliquent bien évidemment en cas de méconnaissance des obligations stipulées dans le contrat de négociation. Il pourrait être opportun de stipuler à cet égard une clause d’indemnisation forfaitaire270 (clause pénale) afin d’éviter toute discussion sur le préjudice réparable et d’inciter chaque partie de respecter ses obligations. Toutefois, en application du principe de liberté contractuelle, la conclusion d’un contrat de négociation ne préjuge pas de la conclusion du contrat projeté. Les négociations peuvent toujours être rompues, conformément aux règles de droit commun par l’une des parties271.

Droit spécial : de l’encadrement légal de la conduite des négociations En droit de la distribution, la loi encadre très précisément les négociations entre fournisseurs et distributeurs. Ainsi, les « conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale »272, ce qui signifie que le contenu du contrat qui sera conclu entre le fournisseur et le distributeur doit donc être négocié à partir de la proposition du fournisseur qui figure dans ses conditions générales273. Ces conditions générales voient leur contenu défini par la loi, puisqu’elles doivent comprendre « le barème des prix unitaires », « les éventuelles réductions de prix » et « les conditions de règlement »274. Dans le cadre d’une négociation commerciale, elles doivent être en principe transmises au distributeur, suivant les produits en cause, dans un certain délai afin que la convention dite récapitulative soit conclue avant une certaine date bien précise275.

§ II - Les limites générales

39 Plan Au cours des négociations, les parties sont tenues par un devoir de bonne foi (A) et du devoir de confidentialité (B). Par ailleurs, elles sont tenues, dans la perspective de la conclusion d’un contrat, d’obligations précontractuelles d’information (C). Enfin, le libre choix du cocontractant connaît également certaines limites (D).

A - Le devoir de bonne foi

40 Un devoir légal d’ordre public . Les contrats « doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (C. civ., art 1104 al. 1). Par ailleurs, l'« initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles », s'ils « sont libres », « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi » (C. civ., art 1112 al. 1). Il s'agit donc d'un devoir d'ordre public.

41 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Généralités. À l’occasion des négociations, le devoir de bonne foi, s’il se manifeste à tout moment et à maints égards276, fait surface le plus souvent à l’occasion de la rupture de celles-ci lorsqu’elle est décidée unilatéralement par une des parties. Si, en principe, toute personne ayant entamé des négociations a le droit de les rompre, l’abus dans l’exercice de ce droit est une faute et oblige son auteur à réparer le préjudice subi par l’autre en vertu des règles de la responsabilité civile extracontractuelle277.

Avant la réforme de 2016, l’état du droit résultait d’un arrêt Manoukian rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 novembre 2003278 . Consacrant cette solution, la loi prévoit désormais que la « faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages » (C. civ., art 1112 al. 2) 279. Tant la faute que le préjudice appellent des observations.

42 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Faute. La faute qu’il s’agit ici d’envisager ne consiste pas dans la violation d’une obligation visée par un texte spécial : manquement au devoir de confidentialité280, manquement à l’obligation précontractuelle générale d’information281, etc. Il est question d’envisager ici les fautes commises par celui qui a rompu les pourparlers et qui peuvent être diverses : une partie a entamé ou prolongé282 les négociations sans intention de contracter, notamment pour éviter que son partenaire négocie avec autrui ; elle a fait preuve d’une légèreté blâmable283 ; elle a caché un élément important rendant la conclusion du contrat aléatoire, par exemple la nécessité d’obtenir un financement284 ; elle a fait croire jusqu’au dernier moment à la conclusion du contrat et s’est brutalement ravisée285. Une question régulièrement posée aux tribunaux est de déterminer si celui qui rompt les pourparlers commet un abus si la rupture n’est pas motivée. Même si la jurisprudence antérieure à la réforme manquait de clarté, il en ressort néanmoins que lorsque les pourparlers étaient très avancés, et la décision de les rompre, brusque, cette décision devait être justifiée par des motifs légitimes286. En tout état de cause, la Cour de cassation a estimé dans l’arrêt Manoukian que rien n’interdit – sauf clause d’exclusivité – pour une partie en pourparlers de contracter avec un tiers : « le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne ayant engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même et sauf s’il est dicté par l’intention de nuire ou s’accompagne de manœuvres frauduleuses, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur ».

43 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Préjudice . Lorsque la rupture est fautive, l'auteur de la rupture doit réparer le préjudice de la victime, sachant qu'en tout état de cause, l'auteur de la rupture ne pourra se voir imposer la conclusion forcée du contrat. Le préjudice ne comprend « ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages » (C. civ., art 1112 al. 2). La victime sera donc, pour l'essentiel, indemnisée pour les pertes subies en raison des négociations (ex. frais de négociations)287, non du gain qu’elle aurait tiré de la conclusion du contrat (ex. plus-value du bien qu’elle comptait acquérir et revendre immédiatement). Quant à la perte de chance de la victime d’avoir pu conclure un contrat avec un tiers, elle devrait être possible, comme elle l’était sous l’empire du droit ancien288. En tout état de cause, conformément aux règles du droit commun de la responsabilité, le préjudice est souverainement apprécié par les juges du fond289.

Point sensible : de la cohérence de la jurisprudence ? Seuls les dommages causés par la faute commise doivent donner lieu à réparation290. Il convient donc, dans une approche casuistique, d’identifier les types de fautes et de s’interroger sur les dommages qui en sont résultés. On envisagera trois cas. Cas n° 1 : une personne engage des pourparlers en sachant très bien qu’elle ne conclura jamais de contrat avec l’autre partie, en raison de quoi elle rompra à un moment ou à un autre les pourparlers. À la suite de la rupture, tous les frais de négociation engagés par cette dernière doivent être indemnisés car si la première s’était comportée raisonnablement, elle n’aurait jamais entamé de pourparlers et les frais engagés ne l’auraient pas été. Il devrait en aller de même de la perte de chance d’avoir conclu le contrat avec un tiers, encore qu’on puisse en discuter si la victime n’était pas tenue par un engagement d’exclusivité dans les négociations. Cas n° 2 : une personne engage des pourparlers avec l’intention de conclure un contrat avec l’autre partie, mais se rend compte plus tard qu’elle ne le désire plus, tout en poursuivant néanmoins les pourparlers qu’elle finira par rompre. Tous les frais de négociation engagés par la victime de la rupture mais seuls les frais engagés après le moment où l’auteur de la rupture avait renoncé à conclure le contrat doivent être indemnisés. En effet, si l’auteur de la rupture s’était comporté raisonnablement, il n’aurait pas poursuivi les pourparlers et les frais auraient cessé d’être engagés. Il en va de même de la perte de chance d’avoir conclu le contrat avec un tiers si cette chance a été manquée postérieurement à la faute commise par l’auteur de la rupture (sous la même réserve que précédemment, en l’absence d’engagement d’exclusivité). Cas n° 3 : une personne engage des pourparlers avec l’intention de conclure un contrat avec l’autre partie, mais se rend compte plus tard qu’elle ne le désire plus, et rompt aussitôt, « brusquement », les pourparlers, sans motif légitime. C’est le cas le plus difficile. En effet, la brutalité de la rupture ne constitue ni « la cause des frais [de négociation] »291 ni la cause de la chance perdue d’avoir conclu un contrat avec un tiers292. Ne faudrait-il pas même saluer l’auteur de la rupture d’y avoir mis fin le plus rapidement possible ?293 Certes, moralement, il pourrait apparaître choquant de laisser l’auteur de la rupture s’en tirer sans rien devoir à l’autre partie et l’on pourrait être tenté de le condamner à indemniser cette dernière de la perte de chance de conclure le contrat294. Il reste que l’évaluation d’un tel dommage est en pratique très difficile et qu’elle porte atteinte en théorie à la liberté contractuelle, précisément à celle de ne pas contracter. C’est pourquoi, en fin de compte, on pourrait préférer retenir l’impunité de l’auteur de la rupture295. La victime devra donc subir les risques de la négociation avortée (de même que l’auteur qui lui aussi pourrait avoir engagé des frais et perdu des occasions) en raison de l’absence d’atteinte à l’un de ses droits : le droit au contrat n’existe pas en droit français !

B - Le devoir de confidentialité

44 Truisme . Celui « qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun » (C. civ., art 1112-2. Cette disposition est mal formulée. D'une part, toute information, même confidentielle, peut être utilisée par la partie qui se la voit remettre lors des pourparlers (sinon, on ne la lui remettrait pas...). D'autre part, qu'une information ne puisse être divulguée sans autorisation est un truisme.

Droit spécial : du secret des affaires La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires296 a introduit dans le Code de commerce un nouveau titre V (« De la protection du secret des affaires ») au sein du livre I. Le secret d’affaires est défini et fait l’objet d’une protection particulière, sous réserve de certaines exceptions297, en cas d’utilisation ou de divulgation illicite. Le secret d’affaires est défini comme « toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret »298. Il pourrait s’agir par exemple du savoir-faire d’un franchiseur, transmis à ses franchisés. Il y a utilisation ou divulgation illicite du savoir-faire lorsque la divulgation est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui l’a obtenu de manière illicite299 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation300, peu important à cet égard que l’obligation dont s’agit découle de l’obligation de confidentialité qui lie les parties aux pourparlers ou des obligations d’un contrat d’ores et déjà conclu301. Celui à qui a été divulgué de manière illicite un secret d’affaires et qui l’utilise ou le divulgue, agit également de manière illicite302. L’obtention, la divulgation ou l’utilisation illicite d’un secret d’affaires engage naturellement la responsabilité civile de son auteur303. À cet égard, la loi fixe la manière d’évaluer les dommages-intérêts304. La victime peut, en plus ou à la place des dommages-intérêts, obtenir « toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte »305, tels que l’interdiction des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires, la destruction ou remise de tout élément contenant le secret des affaires, la destruction ou la confiscation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires, etc. Le juge peut également ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires306. En contrepoint, des garanties procédurales ont été prévues afin d’assurer, en cours de procédure, le maintien du caractère « secret » du secret des affaires307. En cas de recours dilatoires ou abusifs d’une prétendue victime, celle-ci pourra être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant est plafonné à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts et, en l’absence de demande de dommages et intérêts, à 60 000 €308.

Aménagements conventionnels Deux séries d’aménagements peuvent être envisagées au sujet des informations confidentielles. En premier lieu, les parties ont tout intérêt à préciser, soit dans le contrat de négociation éventuellement conclu, soit dans le document renfermant l’information elle-même, celles des informations qui sont confidentielles (et, le cas échéant, la manière dont elles pourront être utilisées ou divulguées). À défaut, on peut toutefois penser que certaines informations sont confidentielles par nature. En second lieu, la sanction de l’inexécution de l’obligation de non-utilisation ou de non-divulgation consistera probablement dans la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de son auteur en l’absence d’un contrat de négociation, et de la responsabilité contractuelle en présence d’un contrat de négociation et en cas de manquement à l’une de ses clauses, ce qui permettra de mettre en œuvre des clauses destinées à régir l’inexécution contractuelle (clauses d’indemnisation forfaitaire, limitative de responsabilité, etc.). Le rapport au président de la République est en ce sens : la « responsabilité sera en principe de nature extracontractuelle, sauf aménagement conventionnel de cette phase de négociation et de sa rupture ».

C - Les obligations précontractuelles d’information

45 Plan. Il est crucial de distinguer plusieurs obligations précontractuelles d'information : l'obligation générale précontractuelle d'information de droit commun qui pèse sur celui qui sait quelque chose (1) et les obligations précontractuelles d'information de droit spécial qui pèsent sur telle personne en raison de sa qualité, de celle de son cocontractant, ou encore du contrat projeté, indépendamment du point de savoir si celui qui doit informer connaît l'information qu'il doit à l'autre (2). Techniquement différentes, ces obligations d'information se cumulent : le créancier d'une obligation spéciale d'information est également créancier de l'obligation générale d'information.

1 - L’obligation générale précontractuelle d’information de droit commun qui pèse sur « celui qui sait quelque chose »

46 Plan. L’obligation précontractuelle d’information est prévue à l’article 1112-1 :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Il s’agit d’une obligation précontractuelle en ce qu’elle est due avant que les parties ne consentent au contrat. Pour l’essentiel, la réforme de 2016 a consolidé la jurisprudence antérieure, tout en apportant des précisions. L’idée générale est que celui qui connaît une information déterminante du consentement de l’autre doit, dans certaines limites – on n’est pas obligé de tout dire à l’autre –, l’en informer avant que ce dernier ne consente. Ce devoir doit être précisé quant à son domaine (a) et à son régime (b).

47 Observation liminaire : portée de l'article 1112-1 . On s’intéresse dans la grande majorité des cas à la méconnaissance de l’obligation précontractuelle d’information lorsqu’un contrat a par la suite été conclu . Il se peut néanmoins qu'une partie ait fait le choix de ne pas conclure un contrat parce que l'autre ne lui délivrait pas les informations qu'elle devait lui délivrer. Est-il possible alors pour celle qui a renoncé à la conclusion du contrat pour ne pas avoir été suffisamment informée de rechercher la responsabilité de l'autre et d'obtenir indemnisation de son préjudice ? La réponse doit être positive, car il y a bien eu méconnaissance d'une obligation et un préjudice en est résulté. Et ce d'autant plus que, ce faisant, le rétenteur d'informations a manqué plus généralement à son devoir de se comporter de bonne foi (C. civ., art 1104.

a - Domaine

48 C. civ., art 1112-1 al. 1 à 3 . Le domaine de l'obligation précontractuelle d'information est circonscrit par les trois premiers alinéas de l'article 1112-1 Distinguons le domaine ratione personae du ratione materiae de cette obligation.

49 Domaine ratione personae. Est débiteur de cette obligation, toute personne qui connaît une information. Parce que toutes les personnes sont visées, sont concernés tant les professionnels que ceux qui ne le sont pas309. Parce que seules les personnes qui connaissent une information sont débitrices, on ne pourra reprocher à une partie de ne pas avoir informé l’autre alors qu’elle ne connaissait pas l’information litigieuse, même si cette ignorance était illégitime310 . Par où l'on voit que cette obligation d'information se distingue des autres multiples obligations précontractuelles prévues par des lois spéciales pour des contrats spéciaux (CCH, art. L. 271-4 pour la vente d'immeubles bâtis 311 , C. com., art. L. 330-3 pour certains contrats de distribution 312, etc.)313. En effet, dans toutes ces hypothèses, le débiteur doit informer le créancier alors même qu’il ignorerait les informations en question : c’est pourquoi il doit s’informer pour informer... Il reste que la jurisprudence pourra tempérer cette exigence en considérant qu’au vu des circonstances, telle personne ne pouvait ignorer tel élément (fiction) ou bien que telle personne était présumée connaître tel élément (présomption)314. En tout état de cause, si le législateur veut être certain que tel type d’information soit délivré dans telle situation (au regard de la qualité des parties et de l’objet du contrat notamment), il doit établir un devoir spécial d’information en ce sens, sans compter sur le devoir général de l’article 1112-1.

Est créancier de cette obligation, celui qui ignore légitimement une information mais aussi celui qui fait légitimement confiance à son cocontractant.

S’agissant, d’une part, de l’ignorance, elle doit être légitime. C’est qu’il pèse sur chacun un « devoir de vigilance »315 qui s’exprimait jadis en droit de la vente par l’adage Emptor debet esse curiosus (l’acheteur se doit d’être curieux)316. Ainsi considère-t-on en général que chacun doit connaître ce que tout le monde connaît317 et recueillir les informations facilement accessibles pour un coût raisonnable318. L’appréciation du caractère légitime de l’ignorance appelle une appréciation au moins en partie in concreto. Compte tenu notamment de l’objet du contrat et de la qualité des parties, l’ignorance sera considérée comme étant ou non légitime.

S’agissant, d’autre part, de la confiance légitime du créancier dans son cocontractant, on peut être réservé. En effet, il est difficile d’accepter qu’une personne qui ignorait de manière illégitime une information puisse se plaindre de ne pas avoir été informée par celui à qui elle faisait légitimement confiance. Et puis, dans quels cas peut-on ou non faire légitimement confiance à autrui ? Probablement doit-on interpréter cette disposition comme suit : l’ignorance du créancier devrait toujours être légitime mais le caractère « légitime » sera apprécié différemment suivant la nature de la relation et le sera plus souplement lorsque la relation traduit une « convergence des intérêts »319 : mandat, société, fiducie, etc. En tout état de cause, malgré les doutes que peut suggérer la référence à la « confiance légitime », on peut y voir l’écho en législation de la jurisprudence Vilgrain qui met à la charge du dirigeant social320 qui acquiert les droits sociaux d’un associé un devoir de loyauté renforcé321 et dont il est peu probable qu’elle ait été abandonnée par le législateur322.

50 Domaine ratione materiae. L’obligation précontractuelle d’information est cantonnée semble-t-il à des renseignements objectifs et ne porte pas sur des conseils323 ou des mises en garde324. En effet, le terme « information » doit être entendu dans son sens strict, compte tenu notamment de son étendue très large.

Il ressort de l’article 1112-1 que seules les informations remplissant deux conditions doivent être dispensées.

La première condition est subjective : seule l’information déterminante du consentement de l’autre doit être dispensée, c’est-à-dire l’information qui, si elle est donnée, conduira celui qui la reçoit soit à ne pas contracter soit à le faire à des conditions différentes. Il convient néanmoins de relever, au moins en droit de la consommation, que lorsque le défaut d’information porte sur des « éléments essentiels » du contrat, la Cour de cassation semble présumer le caractère déterminant du consentement du consommateur325.

La seconde condition est objective : sont dues les informations qui ont un « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties »326 à l’exception de celle portant sur « l’estimation de la valeur de la prestation »327. On s’aperçoit ainsi que l’information doit porter sur les seuls éléments – le contenu du contrat et la qualité des parties – qui sont de nature à constituer le siège d’une erreur cause de nullité328 – ce qui explique d’ailleurs que l’information n’ait pas à porter sur la valeur de la prestation, l’erreur sur la valeur n’étant pas une cause de nullité329. La référence au « contenu du contrat » ne sera probablement pas entendue restrictivement comme ne visant que ses stipulations, mais comme renvoyant aussi à ce sur quoi porte le contrat (ex. la chose faisant l’objet de la vente). Supposons que soit vendu un appartement avec une vue sur mer. Qu’il soit ou non indiqué dans l’acte que l’appartement ait une vue sur mer (une telle indication est une hypothèse d’école) doit être tenu pour indifférent, si le vendeur sait que la vue est compromise en raison d’un projet de construction330.

51 Portée de l’obligation générale précontractuelle d’information. Il est évidemment matériellement impossible pour une personne de donner toutes les informations qui ont un lien, même direct et nécessaire, avec le contenu du contrat ou la qualité des parties et qui sont déterminantes du consentement du cocontractant. De fait, nul ne peut savoir tout ce que l’autre partie ignore et tout ce qui est déterminant pour elle.

Si l’on voit dans l’obligation d’information une manifestation du devoir de bonne foi, on pourrait considérer qu’une personne ne doit délivrer que les informations dont elle sait (ou dont elle doit savoir) qu’elles sont ignorées de l’autre et dont elle sait (ou dont elle doit savoir) qu’elles sont déterminantes du consentement de ce dernier (voire celles dont on ne peut ignorer qu’elles le sont). Il s’agirait donc de sanctionner celui qui, intentionnellement, n’a pas informé l’autre et celui qui ne pouvait pas ignorer qu’il devait l’informer. Il n’est toutefois pas acquis qu’une telle solution s’impose : si l’article 1137 alinéa 2 prévoit que « [c]onstitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »331, l’article 1112-1 ne comporte pas une telle formule, puisqu’il indique seulement que « [c]elle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Aménagements conventionnels Il est parfaitement envisageable de faire déclarer aux parties dans une clause ce qui n’est pas déterminant de leur consentement (ex. la présence de pesticides sur la propriété achetée). Ce faisant, elles ne pourront invoquer par la suite une méconnaissance du devoir d’information. Bien entendu, une telle clause devra être sincère, sauf à constituer une fraude qui sera tenue en échec en cas de contentieux.

b - Régime

52 Preuve . Il appartient à celui qui s'en prétend créancier de rapporter la preuve que les conditions d'application de l'article 1112-1 sont réunies, et au débiteur de rapporter la preuve qu'il a informé le créancier (C. civ., C. civ., 12-1 al. 4) 332. Concrètement, si une personne agit en responsabilité ou en nullité en soutenant qu’elle n’a pas été informée, elle devra dans un premier temps tenter de rapporter la preuve que l’information litigieuse lui était due et, si elle y parvient, l’autre partie devra, dans un second temps, tenter de rapporter la preuve que cette information avait été délivrée.

54 Valeur impérative . Les parties « ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (C. civ., art 1112-1 al. 5). Que ce devoir d'information soit d'ordre public se comprend d'autant plus qu'il est fondé sur le devoir de bonne foi, lui-même d'ordre public (C. civ., art 1104 al. 2). Toutefois, parce qu'une règle impérative ne l'est qu'autant qu'elle est applicable, le caractère impératif de l'obligation d'information n'interdit pas de faire déclarer - sincèrement - à telle partie que tel élément n'est pas déterminant de son consentement 334.

56 Sanctions de l’inexécution . Outre « la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat (...) » (C. civ., art 1112-1 al. 6).

S’agissant de l’annulation du contrat, elle est possible dès lors que les conditions posées pour l’annulation pour vice du consentement sont réunies338.

Quant à la responsabilité du débiteur, elle est toujours encourue, peu important que les conditions de l’annulation pour vice du consentement soient réunies339. En effet, par hypothèse, le créancier aura subi un préjudice car l’information non délivrée était « déterminante » de son consentement. Tout au plus peut-on réserver le cas où l’information, déterminante lors de la conclusion du contrat, ne le serait plus au moment où le créancier entend invoquer l’inexécution de l’obligation d’information pour obtenir une indemnisation. Il y a tout lieu de penser que le débiteur du devoir d’information engagera aussi sa responsabilité sur le fondement de ce texte si, n’ayant pas rempli son devoir, l’autre partie a refusé de conclure le contrat340.

Aménagements conventionnels Parce qu’il appartient au débiteur de rapporter la preuve qu’il a bien informé le créancier, il est important de reproduire dans l’acte ou dans une annexe les déclarations effectuées à ce titre par le débiteur. Quid de la clause, le plus souvent insérée par le débiteur de l’obligation d’information, suivant laquelle telle partie déclare avoir été parfaitement informée ? S'agissant du devoir général d'information (C. civ., art 1112-1, on peut être dubitatif. Comment une partie peut-elle attester avoir été informée de tout ce qui était déterminant de son consentement alors que nul n'est à même lorsqu'il s'engage de pouvoir faire une liste de tout ce qui est déterminant de son consentement. Il n'est que de penser à une vente à l'occasion de laquelle le vendeur reste muet sur un élément important et si peu fréquent qu'il était légitime pour l'acheteur de ne pas y avoir pensé (ex. installation prochaine d'une usine dans le voisinage immédiat d'une maison de campagne). S’agissant des devoirs spéciaux d’information, les choses se présentent différemment. Une partie peut en principe attester avoir reçu les informations énumérées par la loi. Il reste que la jurisprudence333, quoique n’étant pas d’une clarté absolue, semble ne voir dans pareille attestation qu’un indice dès lors qu’elle est souvent contenue dans une clause de style.

Point sensible : des informations secrètes Comment régler la difficulté dans laquelle se trouve une personne qui connaît des informations qui devraient être délivrées à l’autre en vertu de l’article  1112-1 C. civ., mais qui a l’interdiction de le faire ? Probablement convient-il de distinguer suivant la cause de l’interdiction. Si l’interdiction découle d’un texte335, on pourrait considérer que ce texte spécial, incompatible avec le texte général, l’emporte et autorise le sachant à contracter sans informer son partenaire. Si l’interdiction découle d’un contrat conclu avec un tiers ou d’une négociation antérieure avec un tiers à l'occasion desquelles des informations confidentielles ont été délivrées, par application du principe de la force obligatoire des contrats (C. civ., art 1103 336 ) et de l'interdiction de divulguer des informations confidentielles (C. civ., art 1112-2 337), le « sachant » serait a priori enfermé dans un dilemme s’il contracte, soit qu’il méconnaisse son devoir d’information, soit qu’il le respecte en violant les droits d’un tiers... Ne faut-il pas considérer, comme précédemment, qu’il puisse contracter sans informer l’autre ?

2 - Les obligations spéciales précontractuelles d’information

55 Idée générale. En raison de l’asymétrie d’information qui existe entre ceux qui s’apprêtent à contracter, la loi considère parfois que telle personne doit, en toute circonstance, informer telle autre. Peu importe que le débiteur de l’information connaisse réellement l’information ; il doit la connaître, ce pour quoi il devra souvent s’informer pour informer l’autre partie.

56 Inventaire à la Prévert. Il est impossible d’énumérer toutes les obligations spéciales précontractuelles d’information. On se contentera d’en relever parmi les plus importantes.

Le droit de la consommation est particulièrement riche. Le titre Ier (« Information des consommateurs ») du livre Ier (« Information des consommateurs et pratiques commerciales ») du Code de la consommation prévoit une obligation générale d’information341, une information sur les prix et conditions de vente342, une information sur les conditions sociales de fabrication des produits343, ainsi que la remise de contrats types sur demande du consommateur344. Toujours en droit de la consommation, le législateur a prévu pour certains contrats, notamment les contrats de crédit, des obligations d’information supplémentaires345.

En réalité, on retrouve encore de nombreuses obligations d’information spéciales dans toutes les branches du droit : droit immobilier (ex. vente d’un immeuble bâti346, d’un lot de copropriété347, d’une installation classée348), droit de la distribution (ex. contrat de distribution avec engagement d’exclusivité et mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle349), etc.

57 Distinctions. Les différentes obligations d’information se distinguent à plusieurs titres.

En premier lieu, quant à leur mise en œuvre : tantôt l’information fait l’objet d’un document remis au créancier un certain temps avant la conclusion du contrat (ex. contrat de distribution avec engagement d’exclusivité et mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle350), tantôt elle fait l’objet de mentions dans l’acte (ex. vente de fonds de commerce351), tantôt l’information n’obéit à aucune exigence de forme particulière (ex. obligation générale d’information précontractuelle du droit de la consommation352).

En deuxième lieu, le plus souvent la loi se borne à exiger du débiteur de l’obligation d’information qu’il donne au créancier certains renseignements objectifs. Ainsi, en matière de vente, conseiller, c’est informer l’acheteur « quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue »353. Ratione personae, on considère en général que le vendeur, si et seulement s’il est professionnel, est tenu de conseiller l’acheteur. Il en est tenu « envers un client dépourvu de toute compétence en la matière »354, peu importe qu’il soit profane ou professionnel355. Et si ce devoir cesse envers l’acheteur compétent, de même spécialité, il perdure envers un acheteur non compétent, même accompagné d’un vendeur de même spécialité356. Ratione materiae, le devoir de conseil était traditionnellement cantonné aux choses complexes, mais il a été étendu avec le temps à toutes choses357. Il arrive que le législateur attende davantage du débiteur lorsqu’on l’oblige à conseiller voire à mettre en garde le créancier, sachant que ces obligations ont été dégagées par la jurisprudence, avant, pour certaines d’entre elles, d’être consacrées par la loi. En matière de crédit immobilier, la loi prévoit désormais que « le prêteur ou l’intermédiaire de crédit met en garde gratuitement l’emprunteur lorsque, compte tenu de sa situation financière, un contrat de crédit peut induire des risques spécifiques pour lui »358.

En troisième lieu, les obligations spéciales d’information diffèrent encore quant à leurs sanctions. Elles consistent certes le plus souvent dans la nullité en cas de vice du consentement359 et dans la responsabilité en cas de préjudice. Mais d’autres sanctions sont parfois édictées. Ainsi, la méconnaissance de l’obligation générale d’information précontractuelle du Code de la consommation est sanctionnée par une amende administrative360, de même que l’information sur les prix et conditions de vente361. D’ailleurs, ces sanctions spéciales ne sont pas exclusives d’une action en nullité en cas de vice du consentement. En comparaison, la méconnaissance de l’obligation d’information des actionnaires avant la tenue d’une assemblée n’est sanctionnée que par une nullité facultative de l’assemblée362.

D - Le choix du cocontractant

58 Limites générales et particulières. Si le principe de liberté contractuelle implique la faculté de choisir son contractant, il connaît une limite générale et plusieurs limites spéciales.

59 Limite générale : l’interdiction des discriminations . La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 363 prohibe toute discrimination directe ou indirecte notamment dans l’accès aux biens et services ou dans la fourniture de biens et services. D’après son article 1 :

« Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».

Autrement dit, il n’est pas possible de procéder à des discriminations visées par cette loi lorsque l’on vend un bien ou lorsque l’on fournit un service.

60 Limites particulières : la préférence. Certains mécanismes, dits de préférence, permettent à une personne, si elle le désire, de bénéficier d’une priorité dans la conclusion du contrat ou de se substituer au cocontractant avec qui une partie a d’ores et déjà contracté. La préférence peut être prévue par la loi ou par un contrat.

61 Limites particulières : la préférence légale. Lorsque le droit de préférence est prévu par la loi, il est d’usage de parler de droit de préemption. Par exemple, le locataire titulaire d’un bail d’habitation bénéficie d’un droit de priorité dans l’acquisition de l’immeuble loué368, de même que les communes le peuvent, dans certains cas se substituer à l’acquéreur d’un immeuble ou d’un fonds de commerce369.

62 Limites particulières : la préférence contractuelle. Lorsque la loi n’a pas prévu de droit de priorité au bénéfice d’une partie, un contrat ou la clause d’un contrat a pu en prévoir un : c’est le pacte de préférence, prévu et réglementé à l’article 1123. Le pacte de préférence est « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle se déciderait de contracter » (al. 1).

S’agissant des sanctions encourues en cas de violation du pacte, il est prévu que « [l]orsqu'un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi » et que « [l]orsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu » (al. 3).

En premier lieu, et en toute hypothèse, lorsqu’un contrat a été conclu en violation du pacte, le bénéficiaire peut donc obtenir la réparation du préjudice subi. Il le peut évidemment auprès du débiteur du pacte, auteur d’une inexécution contractuelle, mais aussi du tiers qui se serait rendu complice, ce qui suppose en principe que soit rapportée la double preuve qu’il connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir371. Toutefois, (i) si le pacte figure dans un acte publié aux fins de l’opposabilité aux tiers, le tiers qui contracte avec le débiteur du pacte peut se voir reprocher une « faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur »372 et (ii) en cas de collusion frauduleuse ayant empêché le bénéficiaire d’exprimer sa volonté, la responsabilité du tiers n’est pas subordonnée à cette double preuve373.

En second lieu, lorsque le tiers avait connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier dispose également de la faculté d’agir en nullité du contrat (auquel il n’est pourtant pas partie) ou de demander sa substitution dans les droits du tiers. Par ailleurs, comme précédemment, en cas de collusion frauduleuse ayant empêché le bénéficiaire de se prononcer, la nullité ou la substitution devrait pouvoir être obtenue pour cette seule raison. On observera que la nullité374 sera préférée à la substitution notamment chaque fois que le débiteur du pacte aura conclu le contrat à des conditions non conformes à celles prévues par le pacte (par exemple, au prix de la vente projetée qui était d’ores et déjà fixé). Elle ne devrait cependant pas donner un droit subséquent au profit du bénéficiaire à la conclusion du contrat aux conditions éventuellement prévues dans le pacte : le débiteur du pacte n’a jamais émis une offre en ce sens375. Conformément aux règles de preuve, il appartient au bénéficiaire qui réclame une sanction de rapporter la preuve de la réunion de ces conditions. À cet égard, la double preuve de la connaissance du tiers de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, si elle est difficile à rapporter, n’est pas pour autant impossible376 ; elle est, en toute hypothèse, écartée en cas de collusion frauduleuse. Il reste que, de manière générale, il serait de bonne politique que la jurisprudence posât une présomption de connaissance par le tiers de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte lorsqu’il est acquis que ce tiers connaissait l’existence du pacte377.

La loi a institué une interpellation interrogatoire au bénéfice des tiers. Il est ainsi prévu que « [l]e tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir » et que « [l]'écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat ». Cette prérogative est dans l’intérêt du tiers et non dans celui du bénéficiaire, puisqu’elle n’est pour le tiers qu’une faculté (à moins que « peut » signifie « doit », ce qui serait pour le moins étonnant). Aussi bien elle offrirait au tiers qui l’exercerait un moyen d’éviter tout débat ultérieur sur sa mauvaise foi ou sur l’existence d’une collusion frauduleuse. Mais, en contrepoint, il ne semble pas que l’on puisse réputer de mauvaise foi le tiers qui connaîtrait l’existence du pacte ou en présumerait l’existence pour la seule raison qu’il n’aurait pas interrogé le bénéficiaire378, même si on peut le regretter. On observera que le délai laissé au bénéficiaire du pacte doit être fixé et raisonnable (la faculté d’interroger devra, comme toute prérogative, être exercée de bonne foi), ce qui s’appréciera au regard de l’opération envisagée et des modalités du pacte de préférence : vente d’un local d’habitation ou d’un fonds de commerce, péremption-priorité ou préemption-substitution, etc.

Une difficulté se présentera rapidement : l’exercice de l’interpellation interrogatoire par le tiers vaut-il purge du droit de préférence ? Ainsi, si le contrat est conclu avec le tiers sous condition du non-exercice du droit de préférence par le bénéficiaire et que celui-ci, interrogé par le tiers, dit ne pas vouloir s’en prévaloir, la condition est-elle levée ? En principe et a priori, la réponse doit être négative. En effet, le pacte prévoit souvent des règles de purge précises, de fond (comme la transmission d’une offre, d’un projet conclu avec un tiers, etc.) et de forme, auxquelles l’action interrogatoire, dont les contours sont définis par la loi, n’est pas soumise. D’ailleurs, le bénéficiaire ne sera pas toujours en mesure d’indiquer au tiers s’il entend ou non exercer son droit, tant que ne lui sont pas communiqués les éléments requis par le pacte en vue d’effectuer sa purge. En tout état de cause, la stipulation d’une clause de confidentialité dans le pacte de préférence ou dans un acte contenant ledit pacte ne saurait permettre à la personne interrogée de refuser de répondre ou de répondre par la négative tout en pouvant se prévaloir du pacte379 : l’essence du pacte de préférence est qu’il puisse être opposé aux tiers et ne le sont que les actes qui sont préalablement portés à leur connaissance... Aussi bien pourrait-il être opportun de prévoir soit que le pacte de préférence n’est pas confidentiel, soit, a minima, que son existence ne l’est pas.

Droit spécial : de la négociation commerciale et de la discrimination La Cour de cassation, s’inspirant d’anciens textes, avait défini la discrimination comme « le fait pour une entreprise de pratiquer ou d’obtenir à l’égard d’un partenaire économique des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou d’achat différents, sans justification par des contreparties réelles, de ceux négociés avec des concurrents du partenaire, créant de ce fait un désavantage ou un avantage dans la concurrence pour ce dernier »364. Les pratiques de discrimination ont été sanctionnées pénalement par un décret du 4 juin 1958 avant d'être dépénalisées par l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Les raisons d’être de la sanction des pratiques discriminatoires ont évolué : à l’origine, l’interdiction des discriminations avait pour but de protéger les grands distributeurs qui suscitaient la réticence des fournisseurs alors que par la suite, elle avait pour but de protéger les fournisseurs contre les grands distributeurs. Les économistes se sont montrés hostiles à une telle interdiction per se de discriminer : interdire la discrimination revient à limiter la négociation. C’est la raison qui a conduit le législateur à finalement autoriser les pratiques discriminatoires, par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). Toutefois, la discrimination est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle prohibée, ce qui peut être le cas des remises de fidélité accordées par une entreprise en position dominante365. Lorsque les pratiques discriminatoires étaient sanctionnées, la faculté reconnue à tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur d'avoir des conditions générales de vente « différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services » supposait que ces catégories soient « fixées par voie réglementaire en fonction notamment du chiffre d'affaires, de la nature de la clientèle et du mode de distribution » (anc. C. com., art. L. 441-6. Depuis que les pratiques discriminatoires ne le sont plus, une telle condition n'est plus posée. Le vendeur est donc libre de déterminer les catégories d'acheteurs : grossiste, revendeur de détail, GSA, cash and carry, vendeur à distance, etc. 366. Toutefois, depuis la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (Egalim 2), une nouvelle pratique restrictive est sanctionnée, consistant, s'agissant de produits alimentaires et produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, à « pratiquer, à l'égard de l'autre partie, ou d'obtenir d'elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles (...) en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ». Le sens et la portée de ce texte sont bien mystérieux : quelle frontière entre la libre négociation et la discrimination367 ?

Aménagements conventionnels Le terme « traiter » invite à préciser dans le pacte les contours de l’engagement pris par le débiteur. Le rédacteur peut à cet égard s’inspirer des différents droits de préemption reconnus en législation, dont les modalités sont très diverses. Pour l’essentiel, il s’agira de déterminer ce à quoi s’oblige le débiteur et à quel moment. À quoi s’oblige-t-il ? Selon les stipulations du pacte, le débiteur s’oblige à faire au bénéficiaire une proposition de contracter ferme (offre) ou non (invitation à entrer en pourparlers, qui permettrait au débiteur de renoncer à l’opération au cas où le bénéficiaire souhaiterait exercer son droit). S’il s’agit d’une offre, son contenu est-il d’ores et déjà fixé dans le pacte, est-il librement défini par le débiteur, est-il celui sur lequel il se sera accordé avec un tiers que le titulaire du droit de préférence aurait la faculté d’exclure en exerçant un droit de substitution370 ? À quel moment l’obligation du débiteur du pacte est-elle exigible ? Tout dépend là encore des clauses du pacte et l’on observera d’ailleurs que cette question est, d’une certaine manière, relative à l’objet de la préférence (spéc. préférence dans le bénéfice d’une offre ou dans le contrat). Si le pacte est muet, il doit être possible de faire auparavant une offre à un tiers, voire conclure une promesse avec lui, (sous condition suspensive de non-exercice de la préférence dans ce cas). Ce dernier cas sera d’ailleurs le processus normal en présence d’une préemption-substitution. Au-delà, il convient de faire preuve d’une grande minutie quant à la détermination de plusieurs éléments : le bien (ex. tout ou partie) qui forme l’assiette du pacte, les actes (ex. à titre onéreux, gratuit) et les droits qui en font l’objet (ex. propriété, démembrement), les actes interdits au débiteur (ex. conclusion d’un bail, constitution d’un droit réel), la durée de validité du pacte (ex. deux ans), les conditions de la notification (durée, modalités de paiement, etc.) qui sera éventuellement faite, ainsi que la durée pour réaliser la vente en cas d’exercice de la préférence, etc.

Section 2 - La rencontre des consentements

63 Plan. Il faut, pour que le contrat se forme, que les parties accordent leur volonté, que leurs consentements se rencontrent. Cette rencontre se fait suivant une certaine technique, question envisagée dans les sous-sections 2 à 4 de la section 1 (« La conclusion du contrat ») du chapitre Ier (« la formation du contrat ») (sous-section 1) et dans une forme en principe librement choisie par les parties, question envisagée dans la section 3 (« La forme du contrat ») du chapitre Ier (« la formation du contrat ») (sous-section 2).

Droit spécial : de l’acte passé par une société qui ne peut être partie Une « partie » est normalement une « personne », c’est-à-dire un sujet de droit. Lorsque le contrat a été « conclu » par une « partie » qui n’a pas la personnalité juridique, par principe, le contrat ne devrait pas exister, puisqu’il n’est possible d’imputer tel consentement à telle personne. Ce principe connaît toutefois des aménagements en droit des sociétés. En premier lieu, l’acte peut avoir été passé par des associés agissant au nom d’une société en formation avant son immatriculation380. Deux techniques permettent d’imputer un tel acte à la société, une fois formée381. D’une part, il existe une procédure dite de « reprise des engagements ». Cette situation est expressément envisagée par l’article 1843 : les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant son immatriculation sont liées par les contrats qu’elles ont passés, mais la société, une fois immatriculée, peut « reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci »382. D’autre part, il est fréquent en pratique de stipuler dans le contrat conclu entre les associés et un tiers une clause dite « de substitution », permettant aux associés de se substituer la société, une fois celle-ci formée. La mise en œuvre d’une telle clause dispense du respect de la procédure de reprise des engagements383 ; en particulier, l’acte n’a pas à être conclu « au nom de la société en formation ». En second lieu, l’acte peut avoir été passé par une société non immatriculée, et non par des associés agissant en son nom (hypothèse précédente). D’après la jurisprudence, un tel acte est nul, de nullité absolue384. Si la qualification d’« acte inexistant » peut apparaître de prime abord plus exacte, la solution de la nullité permet au cocontractant de la société qui s’est immatriculée entre-temps de faire exécuter le contrat, si l’action en nullité est prescrite385.

Sous-Section 1 - Les techniques de rencontre des consentements

64 Plan. Le contrat est « formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager » (C. civ., art 1113 al. 1 386) (§ I). Toutefois, la technique de conclusion du contrat est différente lorsque les parties ont conclu préalablement une promesse de contracter (§ II) ou ont échangé leurs conditions générales (§ III).

Droit spécial : de la portée de l’autorisation ou de l’agrément d’un tiers dans le processus de conclusion du contrat La loi exige parfois qu’un tiers (le juge, le conseil de famille, etc.) autorise la conclusion d’un contrat, ou le ratifie (voire l’homologue). On en trouve des illustrations dans plusieurs branches du droit : en droit de la famille387, en droit des procédures collectives388, notamment. Par ailleurs, la loi ou la convention des parties peuvent également prévoir un agrément d’une des parties. Ainsi le bailleur peut être amené à agréer le locataire cessionnaire si une clause du bail le prévoit389 et, de manière générale, le cédé doit donner son « accord » à la cession d'un contrat (C. civ., art 1216 390). La question de savoir si un contrat peut être conclu sous la condition de l’autorisation ou de l’agrément d’un tiers (cela ne fait pas de doute pour la ratification puisque, par hypothèse, le contrat a d’ores et déjà été conclu) sera abordée à l’occasion de l’étude de la condition dans le chapitre qui lui est consacré391.

§ I - L’acceptation d’une offre

66 Plan . Le contrat « est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager » (C. civ., art 1113 al. 1).

Si l’offre précède l’acceptation, le laps de temps qui s’écoule entre l’offre et l’acceptation peut être plus ou moins important, voire être quasi inexistant lorsque les parties s’accordent au moment de la signature d’un instrumentum.

Étudions l’offre (A), puis l’acceptation (B).

A - L’offre

66 Plan. Envisageons les conditions de l’offre (1) puis son effet (2).

1 - Conditions

67 Plan. Les éléments constitutifs de l’offre (a) doivent être distingués de ses caractères (b).

a - Éléments constitutifs

68 Fermeté et précision. L’offre « comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation » (C. civ., art 1114 392). Dit autrement, l’offre est une proposition de contracter qui doit être précise et ferme.

69 Proposition précise. L’offre doit être précise en ce qu’elle comporte tous « les éléments essentiels du contrat envisagé » c’est-à-dire les éléments essentiels à la validité du contrat projeté, que ceux-ci aient ou non été au préalable négociés ou déterminés unilatéralement par une partie. Ces éléments essentiels varient suivant le type de contrat dont la conclusion est offerte. Par exemple, une vente, pour être valable, suppose une chose et un prix déterminés, de sorte que l’offre de vente ne sera valable que si elle détermine la chose vendue et le prix de vente. Il existe un test pour déterminer si l’offre est suffisamment précise : un simple « oui » doit pouvoir valablement former le contrat envisagé.

Ce principe doit être assorti d’un double correctif.

En premier lieu, en vertu de règles spéciales, l’offre doit parfois comporter, pour être efficace, non seulement les éléments essentiels à la validité du contrat projeté, mais aussi des éléments accessoires. C’est très fréquemment le cas lorsqu’une personne est tenue de faire une offre à une autre en vertu d’un droit de préemption, voire d’un droit de préférence conventionnel (suivant la manière dont le pacte de préférence est rédigé). Pour ne prendre qu’un exemple, l’article 815-14 prévoit que l’indivisaire qui entend « céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir ». On voit bien que l’offrant est tenu de préciser dans son offre d’autres éléments que la chose et le prix.

En second lieu, en toute hypothèse, l’offre comporte en général d’autres éléments que les éléments essentiels, c’est-à-dire des éléments accessoires. Ainsi, dans une vente, l’offre énoncera souvent les modalités de paiement du prix, la date et le lieu de livraison, etc. D’ailleurs, le « projet contractuel » étant contenu dans l’offre dès lors que l’acceptation n’est qu’un simple acquiescement, l’offre devrait393 comporter, outre les éléments essentiels à la validité du contrat, la totalité des éléments du contrat.

70 Proposition ferme. L’offre est une proposition ferme de contracter en ce qu’elle exprime la volonté de son auteur d’être lié contractuellement en cas d’acceptation401. Si une proposition est assortie de réserves, il faut distinguer. N’est pas une offre la proposition de contracter assortie de réserves discrétionnaires : par exemple, Paul propose de vendre sa maison mais il doit encore réfléchir ou encore une banque peut faire une « offre » de crédit tout en se réservant la possibilité d’étudier le dossier des éventuels emprunteurs. En revanche, chaque fois que les réserves ne sont pas discrétionnaires, en ce qu’elles ne dépendent pas de la volonté de l’auteur de la proposition, on considèrera la proposition de contracter comme étant une véritable offre : ainsi constitue une véritable offre la proposition de contracter faite dans la limite des stocks disponibles ou encore la proposition faite par le prêteur sous réserve d’agrément du dossier par l’assureur402. On est alors souvent en présence d’un acte juridique affecté d’une condition.

Point sensible : des documents publicitaires (et les clauses d’intégralité) Comment le droit appréhende-t-il les éléments contenus dans des documents publicitaires ? Trois solutions générales sont concevables au regard des règles du droit des contrats394 : (i) tenir ces éléments pour indifférents, (ii) considérer que leur destinataire a pu contracter en en tenant compte (logique des vices du consentement) et (iii) considérer que ces éléments ont pu intégrer le contrat et obliger en conséquence leur auteur (logique de l’inexécution). En principe, dès lors que les documents publicitaires sont suffisamment précis395 et qu’ils ne vont pas au-delà d’une « exagération d’usage »396, la Cour de cassation ne semble pas les tenir pour indifférents. Ainsi lui est-il déjà arrivé de considérer que les documents publicitaires obligeaient leur auteur397. Mais le plus souvent elle considère que ces documents peuvent être à l’origine d’un vice du consentement chez leur destinataire398, à moins que le contrat comporte une clause aux termes de laquelle le consentement des parties n’a pas été donné en considération des éléments figurant dans le document publicitaire, conformément toujours à la logique des vices du consentement399. Toutefois, dès lors que le contrat conclu comporte une clause « d’intégralité » (dite encore « des quatre coins »), les documents publicitaires devraient être tenus pour indifférents. Comme toute clause, les clauses d’intégralités ne sont pas normalisées et sont donc en pratique stipulées en des termes différents. Mais elles ont, en général, un double objet. En premier lieu, elles interdisent aux parties ou au juge de se référer à la période précontractuelle pour interpréter ou définir le contenu du contrat. Elles ont donc naturellement pour effet d’écarter tout document publicitaire aux fins d’interprétation ou de délimitation du contenu du contrat. C’est ce que la Cour de cassation a jugé de la manière la plus claire qui soit400. En second lieu, elles circonscrivent le contenu du contrat à ce que l’écrit qui comprend la clause, renferme. Sur ce point, l’efficacité des clauses d’intégralité est peut-être moins assurée. Si ces clauses assurent à chaque partie que l’autre ne pourra prétendre qu’un acte antérieur comportait d’autres obligations, prérogatives et devoirs pour les parties, elles ne leur assurent pas qu’une partie n’invoquera pas un acte postérieur comportant d’autres obligations, prérogatives et devoirs... On peut probablement se prémunir d’un tel risque en stipulant une autre clause aux termes de laquelle l’acte ne pourra être modifié autrement que dans une certaine forme, notamment par écrit.

b - Caractères

71 Trois séries. Les différentes offres peuvent être distinguées en raison de leur(s) destinataire(s), de leur(s) durée(s) et de leur degré de spontanéité.

72 Destinataire(s) de l’offre. Ainsi que le prévoit l’article 1114, l’offre peut être adressée à une personne déterminée (Paul offre de vendre sa maison à Pierre) ou à personne indéterminée (Paul offre, par une « petite annonce » au public, de vendre sa maison)403. Dans le premier cas, le contrat sera formé par l’acceptation du destinataire désigné de l’offre ; dans le second, il le sera par l’acceptation du premier acceptant.

73 Durée(s) de l’offre. Deux délais. Non envisagée par le Code civil, la durée d’une offre appelle une distinction. Il convient en effet de distinguer le délai d’efficacité404 de l’offre de celui de son irrévocabilité.

74 Durée(s) de l’offre. Délai d’irrévocabilité. À compter du moment où elle parvenue à son destinataire405, l’offre ne peut plus être révoquée « avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable » (C. civ., art 1116 al. 1). C'est le délai d’irrévocabilité406. Que l’offre soit irrévocable est un des signes qu’elle est un engagement, un acte juridique407.

Quid si ce délai n’est pas respecté par l’offrant ? La loi indique que la rétractation de l’offre en violation de cette interdiction « empêche la conclusion du contrat » (C. civ., art 1116 al. 2), et qu'elle n'engage que « la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat » (C. civ., art. 1116 al. 3). Autrement dit, la rétractation est illicite et sanctionnée, mais efficace, en ce qu'elle empêche la conclusion du contrat. La situation du destinataire d'une offre n'est donc pas véritablement plus enviable que celle de la victime d'une faute commise à l'occasion des négociations, car dans ce cas aussi, « la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu » (C. civ., art 1112 al. 2) 408. Toute offre étant un engagement, sa violation aurait dû être assortie expressément d’une sanction plus énergique...

76 Durée(s) de l’offre. Délai d’efficacité. À l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, l’offre est « caduque », ce qui signifie qu'elle s'éteint (C. civ., art 1117 al. 1). C'est le délai d’efficacité.

À l’échéance de ce délai, point n’est donc besoin pour l’offrant de révoquer son offre, elle disparaît d’elle-même.

Avant même l’échéance de ce délai, l’offre est caduque en cas de décès ou d’incapacité de l’offrant ou de décès de son destinataire409 (C. civ., art. 1117 al. 2)410. Existe-t-il d’autres causes de caducité anticipée ? La question se pose notamment en cas d’incapacité du destinataire de l’offre. On peut hésiter : certes, seule est expressément prévue la caducité de l’offre en cas de décès de son auteur, cela ne l’est pas en cas d’incapacité de son destinataire mais, n’est-il pas opportun que l’offre faite à une personne capable disparaisse en raison d’un tel changement de contexte, ô combien important ? À la recherche d’éventuelles autres causes de caducité, on peut s’interroger sur le refus de l’offre ou d’une contre-offre . Si le refus de l'offre doit rendre celle-ci caduque car le destinataire a marqué sa volonté de ne pas l'accepter, la contre-offre (de laquelle on peut rapprocher « l'acceptation non conforme à l'offre » à laquelle se réfère l'article 1118 C. civ.) est d'analyse plus difficile : si celle-ci vaut nouvelle offre 411, le destinataire de l’offre a-t-il pour autant entendu refuser définitivement l’offre initiale ou cherche-t-il seulement à négocier, quitte à accepter l’offre initiale si son auteur n’entend pas négocier ?

76 Degré de spontanéité. Il est des offres qui sont faites de façon tout à fait spontanée, et d’autres, non. On désigne par ces dernières les offres qui sont faites dans un cadre préétabli plus ou moins précis : offre faite dans le cadre d’un pacte de préférence ou encore offre faite dans le cadre d’un appel d’offres, privé418 ou public419. Il s’agit dans tous les cas d’offres, mais elles s’insèrent dans un cadre juridique qu’il convient de respecter.

Aménagements conventionnels Si la loi distingue bien la question de l’efficacité de celle de l’irrévocabilité de l’offre, il semble que le délai raisonnable auquel elle se réfère à l’article 1116 (délai d’irrévocabilité) et à l’article 1117 (délai d’efficacité) soit le même dans les deux cas412. Il est néanmoins tout à fait envisageable de dissocier délai d’efficacité et d’irrévocabilité, de prévoir expressément que l’offre est à tout moment librement révocable413, la règle étant, faute de précision particulière, supplétive (ex. l’offre est efficace pour six mois mais révocable au bout d’un mois ; l’offre est efficace pour six mois mais révocable à tout moment ; l’offre est efficace pour six mois et irrévocable au cours de ce délai). Il est également possible de faire du délai d’irrévocabilité un délai de préavis (ex. l’offre pourra être révoquée à tout moment mais la révocation ne prendra effet que dix jours après qu’elle est parvenue à son destinataire).

Droit spécial : de quelques offres particulières Certaines offres présentent des singularités quant à leur régime. En premier lieu, le délai d’efficacité de certaines offres particulières relève d'un traitement circonstancié. Ainsi l'offre faite par voie électronique demeure efficace « tant qu'elle est accessible par voie électronique de son fait » (C. civ., art 1127-1 al. 2). Par ailleurs, en droit de la vente internationale de marchandises, une « offre verbale doit être acceptée immédiatement, à moins que les circonstances n'impliquent le contraire » (art 8 Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980). En deuxième lieu, la révocation414 d’une offre faite à personne indéterminée soulève un certain nombre d’incertitudes415. Probablement faut-il distinguer l’offre faite au public, c’est-à-dire à tous, de l’offre faite à toutes les personnes appartenant à un groupe déterminé (des salariés d’une entreprise par exemple). Si, à défaut de délai déterminé, un délai raisonnable semble s’imposer dans ce second cas, ne doit-on pas considérer que l’offre puisse être révoquée sans délai dans le premier416 ? En troisième lieu, si, en principe, une révocation fautive, avant terme, empêche la formation du contrat, en droit spécial, une telle révocation est parfois tenue pour indifférente et n’empêche pas, en cas d’acceptation, la formation du contrat. Ce devrait notamment être le cas chaque fois que la loi instaure un délai de réflexion interdisant au destinataire d’accepter l’offre avant un certain délai417 : on comprendrait mal que ce délai qui est dans l’intérêt du destinataire de l’offre et auquel il ne peut renoncer, se retourne contre lui, si l’offrant pouvait révoquer de manière illicite, mais efficacement, son offre....

2 - Effet : l’octroi d’un droit d’option

77 Prise d’effet : acte réceptice. L’offre est un acte réceptice en ce qu’elle lie son auteur au moment où elle parvient à son destinataire ; elle peut être rétractée « tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire » (C. civ., art 1115, conformément à la théorie de la réception.

La loi est en revanche muette sur la date de prise d’effet de la rétractation de l’offre. À ce sujet, il faut avoir à l’esprit qu’un acte juridique engage et plus généralement produit effet parce qu’il a été voulu et parce qu’il est parvenu à son destinataire chez qui il a suscité des attentes420. C’est ainsi que l’acceptation peut être librement rétractée tant qu’elle « n’est pas parvenue à l’offrant », et que l’efficacité de cette rétractation suppose que la rétractation « parvienne à l’offrant avant l’acceptation »421 (C. civ., art 1118: de fait, lorsque l'acceptation parvient à l'offrant, le contrat est techniquement formé (C. civ., art 1121. Il convient de retenir des règles identiques au sujet de l'offre : d'une part, elle ne peut être librement rétractée que « tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire » (C. civ., art 1115 et, d'autre part, l'efficacité de cette rétractation suppose que la rétractation parvienne au destinataire avant l'offre 422. Certes, l’argument suivant lequel un contrat serait techniquement formé est sans objet mais, en tout état de cause, la rétractation de l’offre, même faite antérieurement à sa réception, trahirait les attentes de l’acceptant, dès lors qu’elle est reçue postérieurement à l’offre.

78 Pouvoir du destinataire de l’offre de former le contrat. Le ou les destinataire(s) d’une offre bénéficie(nt) d’un droit d’option : celui de former ou non le contrat. C’est un droit dont le destinataire de l’offre bénéficie sans contrepartie puisqu’il n’a pris par hypothèse aucun engagement. Le seul moyen dont bénéficie une personne de monnayer le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat est de conclure un contrat préparatoire avec le bénéficiaire d’un droit d’option : c’est la promesse unilatérale de contrat423.

B - L’acceptation

79 Plan. Il convient d’envisager les conditions de l’acceptation (1) puis son effet (2).

1 - Conditions

80 Fermeté et univocité. L’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. Celle-ci doit être ferme et univoque.

L’acceptation n’a pas à être précise , comme doit l'être l'offre. C'est que tout est dit, par hypothèse, dans l'offre. L'acceptation n'est qu'acquiescement. En revanche, si l'acceptation n'est pas conforme à l'offre en ce qu'elle ajoute, retranche, ou modifie, elle « est dépourvue d'effet, sauf à constituer une offre nouvelle » (C. civ., art 1118 al. 2). En somme, l'acceptation est le miroir de l'offre.

81 Fermeté. L’acceptation doit être ferme. En principe, l’acceptation doit être, comme l’offre, dépourvue de réserves discrétionnaires424. Mais il semble aussi qu’elle doive être dépourvue de toute réserve, même non discrétionnaire. En effet, le destinataire de l’offre ne saurait imposer par exemple une condition à son acceptation, si l’offrant ne lui a pas proposé : ce serait une contre-offre.

82 Univocité. L’acceptation doit être univoque. L’adhésion peut revêtir différentes formes, pourvu qu’elle ne soit pas univoque : elle peut résulter d’un écrit (bon de commande), d’un geste (on lève la main aux enchères), d’un comportement (le commencement d’exécution du contrat).

Une question classique est de savoir si le silence vaut acceptation. Dans le prolongement de la jurisprudence antérieure à la réforme425, la loi prévoit que le silence « ne vaut pas acceptation, à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières » (C. civ., art 1120. Ce n'est donc qu'exceptionnellement que le silence, normalement équivoque, vaut donc acceptation, parce qu'il est alors univoque. Si, en principe, « qui ne dit mot refuse », dans certains cas, « qui ne dit mot consent » 426. La loi en prévoit trois. D’abord, les cas où la loi ou l’usage, notamment professionnel, prévoit que le silence gardé par une partie vaut acceptation. Ensuite, en cas de relations d’affaires antérieures entre les parties qui se sont traduites par la conclusion répétée de contrats de même nature sans acceptation formelle, le silence vaudra acceptation ; ce n’est plus l’usage professionnel, mais l’habitude des parties qui ôteront au silence son équivoque427. Enfin, des circonstances particulières peuvent ôter au silence son caractère équivoque : en cas d’offre faite dans le seul intérêt du bénéficiaire par exemple428, mais pas seulement429. En toute hypothèse, l’accomplissement d’un « fait actif » n’est pas exigé de la part de celui qui a conservé le silence430.

83 Moment. L’acceptation doit être faite tant que l’offre est efficace, avant que cette dernière ne soit caduque.

Mais quid tant que la cause de caducité n’est pas connue du destinataire de l’offre ? Une offre pourrait-elle par exemple être acceptée entre la survenance du décès ou de l’incapacité et la connaissance de cet événement par le destinataire de l’offre431 ? L’analogie avec les dispositions relatives au mandat conduirait à y répondre par l’affirmative. En effet, si l’article 2003 prévoit que le mandat prend fin par « la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire », l’article 2008 précise que si « le mandataire ignore la mort du mandant ou l’une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu’il a fait dans cette ignorance est valide ». Mais cette dernière disposition n’a-t-elle pas pour objet, sinon pour effet, de protéger les tiers ?

2 - Effet : la formation du contrat

84 Formation du contrat. L’acceptation forme le contrat : l’offre et l’acceptation, deux actes unilatéraux, se mêlent au point de disparaître et de donner naissance à un contrat.

85 Rétractation de l’acceptation . Le contrat étant conclu « dès que l'acceptation parvient à l'offrant » (C. civ., art. 1121), c'est à cet instant qu'elle produit son effet. C'est pourquoi, d'une part, l'acceptation peut être librement rétractée tant qu'elle « n'est pas parvenue à l'offrant », et, d'autre part, l'efficacité de cette rétractation est subordonnée au fait que la rétractation « parvienne à l'offrant avant l'acceptation » (C. civ., art 1118: dès lors que l'acceptation est parvenue à l'offrant, le contrat est techniquement formé (C. civ., art. 1121) et, en tout état de cause, la rétractation de l'acceptation, même faite antérieurement à sa réception, trahirait les attentes de l’offrant, dès lors qu’elle a été reçue postérieurement à l’acceptation.

86 Cas particulier d’un délai rétractation et de réflexion, cooling off period. Aux termes de l’article  1122 C. civ., la « loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion, qui est le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ou un délai de rétractation, qui est le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement »432.

Parce que le temps fait réfléchir et que la conclusion de certains contrats présente un certain degré de gravité, des lois spéciales exigent en effet parfois le respect d’un délai de réflexion ou d’un délai de rétractation. Ces délais sont le plus souvent reconnus par des dispositions qui sont d’ordre public. Tant et si bien qu’il n’est pas possible d’y renoncer433. Le consentement donné avant l’échéance d’un délai de réflexion aura donné lieu à un contrat nul434, le cocontractant ne pouvant s’y opposer en offrant de démontrer l’intégrité du consentement donné prématurément435. On rencontre des difficultés d’un autre ordre en présence d’un délai de réflexion. Le droit immobilier en témoigne : si celui qui s’apprête à acquérir un immeuble bâti en concluant une promesse bénéficie à certaines conditions d’un délai de rétractation qui court après l’accomplissement de certaines formalités et la remise de certains documents, comment régler le sort de l’acte définitif de vente si le délai n’a pas été purgé ou l’a mal été ? Un délai de rétractation qui n’a jamais commencé à courir court-il indéfiniment ?436

Quant aux délais qui seraient prévus par contrat, on ne conçoit guère qu’il puisse s’agir de délais de réflexion449 ; en revanche, la stipulation de délais de rétractation, de clauses de dédit, est en pratique commune.

La clause de dédit doit être distinguée de la clause permettant de rompre de manière anticipée un contrat à durée déterminée. Alors que la première instaure un droit de rétractation qui ne devrait jouer qu’avant que le contrat n’ait commencé à être exécuté, la seconde offre un droit de rupture avant terme d’un contrat en cours d’exécution. La distinction n’est cependant pas toujours nette : tantôt la jurisprudence assimile la clause de rupture anticipée à une clause de dédit et tantôt elle requalifie même la clause de rupture anticipée en clause pénale en raison du montant de l’indemnité stipulée, ce qu’elle se refuse de faire en présence d’une authentique clause de dédit450.

La validité d’une clause de dédit n’est pas en principe subordonnée à la stipulation d’une indemnité, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation451. Toutefois, une faculté de dédit qui ne serait reconnue qu’à une partie et qui ne serait pas assortie d’une indemnité pourrait participer à la création d’un déséquilibre significatif sanctionné dans certains cas452. En tout état de cause, le bénéficiaire du dédit peut y renoncer453.

En toute hypothèse, l’exercice du droit de rétractation et l’absence d’acceptation à l’issue du délai de réflexion sont en principe discrétionnaires (au fond) et n’ont pas à être motivés (sur la forme). Toutefois, la faculté de se rétracter, comme toute faculté, est susceptible d’abus454 et l’on conçoit que la faculté de rétractation puisse être subordonnée à tel motif (au fond) et ait à être motivée (sur la forme).

La question se pose de savoir si un contrat peut être exécuté avant l’échéance du délai de rétractation. Par principe, la réponse doit être négative, dès lors le contrat n’est pas parfaitement formé. La faculté de mettre fin à un contrat après qu’il a commencé à être exécuté constitue en réalité une faculté de résiliation. Il reste que le législateur permet parfois l’accomplissement de certains actes participant d’un début d’exécution du contrat455.

87 Intérêts de la détermination du moment de la formation du contrat. La détermination du moment de la formation du contrat importe à plusieurs égards : la rétractation de l’acceptation n’est plus possible car un contrat a vu le jour, de nombreux délais commencent à courir, notamment des délais de prescription, la loi applicable est en principe celle en vigueur à ce moment, et c’est à ce moment encore qu’est déterminé le lieu où demeure le consommateur en vue de désigner la juridiction compétente458.

88 Intérêts de la détermination du lieu de la formation du contrat. La détermination du lieu de formation du contrat importe moins. Traditionnellement, en droit international privé, la forme des contrats était soumise à la loi du lieu de formation du contrat (locus regit actum). Mais le Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), prévoit dans son article 11 que, lorsque les parties se trouvent dans des pays différents, le contrat est « valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi d’un des pays dans lequel se trouve l’une ou l’autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion ou de la loi du pays dans lequel l’une ou l’autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là », ce qui fait perdre à la détermination du lieu de formation du contrat son intérêt. Le lieu de formation reste, de manière très résiduelle, important en vue de déterminer la juridiction compétente en matière prud’homale459.

89 Plan. La date et le lieu de formation du contrat ne font pas difficulté lorsque les deux cocontractants concluent le contrat en un même lieu et expriment leur consentement au même instant, chaque fois qu’il y a unité de lieu et de temps. Les choses sont plus compliquées lorsque cette unité de lieu et de temps n’est pas respectée, lorsque l’on est en présence d’un contrat entre absents, d’un contrat conclu à distance. Il existe un principe qui vaut pour tous les contrats (a), aménagé en présence d’un contrat électronique (b).

Droit spécial : de certains délais de rétractation et réflexion Un droit de réflexion ou de rétractation est reconnu le plus souvent au profit d’une partie non professionnelle qui s’apprête à conclure un contrat important. Le droit de la consommation reconnaît un droit de se rétracter au profit du consommateur qui a conclu un contrat à distance ou hors établissement437, un contrat conclu à distance portant sur des services bancaires, financiers et d’assurance438, un contrat de courtage matrimonial439, au profit de l’emprunteur qui a conclu un crédit à la consommation440 – cependant que celui qui a conclu441 ou renégocié442 un crédit immobilier bénéficie d’un délai de réflexion –, de même que celui qui a conclu un prêt viager hypothécaire443 ou qui a conclu avec un établissement privé dispensant un enseignement à distance444. En droit du travail, en cas de rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée, à « compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation »445. En droit de la famille, bénéficient d’un délai de réflexion ceux qui ont conclu une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire446. En droit immobilier, le non-professionnel bénéficie d’un délai de rétractation pour tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitation ou la vente d’immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière447 et il existe un délai de rétractation de 14 jours pour les contrats de jouissance d'immeuble à temps partagé448.

Droit spécial : de règles spéciales à certaines rétractations L’article  1590 C. civ. prévoit que « [s]i la promesse de vendre a été faite avec des arrhes chacun des contractants est maître de s’en départir, (al. 1) Celui qui les a données, en les perdant, (al. 2) Et celui qui les a reçues, en restituant le double. (al. 3) ». Les arrhes ne sont en réalité qu’une indemnité de dédit, versée dès la conclusion du contrat par l’acheteur. Dans la vente avec arrhes, le dédit est donc bilatéral, car le vendeur peut lui aussi se désengager, lui aussi en payant. L’article 214-1 du Code de la consommation prévoit d’ailleurs que « [s]auf stipulation contraire, pour tout contrat de vente ou de prestation de services conclu entre un professionnel et un consommateur, les sommes versées d’avance sont des arrhes (...) ». Et, de règle générale, dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, « sont présumées abusives (...) sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet [d'] (...) autoriser le professionnel à conserver des sommes versées par le consommateur lorsque celui-ci renonce à conclure ou à exécuter le contrat, sans prévoir réciproquement le droit pour le consommateur de percevoir une indemnité d'un montant équivalent, ou égale au double en cas de versement d'arrhes (...) si c'est le professionnel qui renonce » (C. consom., art. R. 212-2, 2 ). Autrement dit, si le consommateur bénéficie d'une faculté de dédit moyennant indemnité, si le professionnel peut se dédire, ce devra être également moyennant une indemnité équivalente.

Point sensible : de la renonciation à la rétractation Alors que la Cour de cassation avait jugé s’agissant du droit de rétractation reconnu par la Code de la construction de l’habitation qu’il n’était pas possible pour celui s’étant rétracté de renoncer à sa rétractation456, elle a jugé postérieurement le contraire s’agissant d’un droit de rétractation conventionnel457. Cette dernière décision est d’autant plus remarquable qu’elle se fonde sur l’ancien article 1134 alinéa 1 du Code civil posant le principe de la force obligatoire des contrats, tout comme les décisions antérieures. Cette dernière solution est critiquable. Primo, l’exercice du droit de rétractation emporte la destruction du contrat « en voie de formation », sans que l’on comprenne bien par quel miracle il serait possible de le faire « ressusciter ». Secundo, pourquoi la rétractation serait susceptible de renonciation, non les autres droits potestatifs ? Tertio, la solution est source d’une grave insécurité juridique (pour quelle durée, d’ailleurs ?) pour le cocontractant qui s’expose au repentir de celui s’étant rétracté. C’est la raison pour laquelle, si la jurisprudence devait se maintenir en l’état, il serait peut-être opportun de ne permettre qu’au cocontractant de celui s’étant rétracté de soutenir que ce dernier a renoncé à sa rétractation. En réalité, il conviendrait de considérer qu’à la suite de la rétractation et de l’anéantissement du contrat, un nouveau contrat a pu se former, le cas échéant tacitement, encore que si tel est le cas, ce nouveau contrat relèverait de tout droit de rétractation d’origine légale.

a - Le principe

90 Solutions envisageables. Pour l’essentiel, il existe quatre solutions envisageables : le moment ou le lieu où l’acceptant déclare accepter l’offre (thèse de la déclaration) ; le moment ou le lieu où l’acceptant expédie son acceptation (thèse de l’émission) ; le moment ou le lieu où l’offrant reçoit l’acceptation (thèse de la réception) ; le moment ou le lieu où l’offrant prend connaissance de l’acceptation (thèse de l’information). Il est d’ailleurs possible de retenir une thèse pour résoudre la question du moment et une autre pour résoudre celle du lieu.

91 Solutions retenues par le Code civil. Le législateur a apporté une réponse nette alors que la jurisprudence antérieure n’en offrait pas460. D’une part, « le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant » (C. civ., art 1121 461 et, d’autre part, il « est réputé être conclu au lieu où l’acceptation est parvenue » (ibid.)462.

92 Modes de communication de sa manifestation de volonté. L’offre comme l’acceptation peuvent être transmises par tout mode de communication.

La signification par voie d’huissier en constitue un excellent, dès lors qu’elle fait foi de sa date et de son contenu466.

La voie postale souffre en comparaison de certains handicaps : une lettre simple ne fait foi ni de son contenu ni de son envoi ou de sa réception et la lettre recommandée avec accusé de réception, si elle fait foi de son envoi et de sa réception, ne faisait traditionnellement pas foi de son contenu tel qu’allégué par l’expéditeur467. Il en va toutefois différemment aujourd’hui avec l’envoi recommandé électronique (CPCE, art. L. 100 s. et R. 53 s.468). Commençons par observer que l’« envoi recommandé électronique » est par principe « équivalent »469 à l’envoi par lettre recommandée dès lors qu’il satisfait à certaines exigences470. Constitue un « envoi recommandé électronique » la « lettre recommandée électronique »471. S’agissant de celle-ci, le processus commence par un envoi donnant lieu à la remise à l’expéditeur d’une preuve du dépôt électronique de l’envoi comportant certaines mentions, conservée au moins un an par l’expéditeur472. Le prestataire informe le destinataire, par voie électronique, qu’une lettre recommandée électronique lui est destinée – sans indication de l’identité de l’expéditeur – et qu’il a la possibilité, pendant un délai de quinze jours, d’accepter ou non sa réception473. Si le destinataire accepte la lettre, le prestataire la lui transmet, établit une preuve de la réception (comportant les mêmes mentions que la preuve de dépôt) par le destinataire des données transmises et du moment de la réception, et la conserve pour une durée d’au moins un an474. Mais si le destinataire refuse la lettre ou ne la réclame pas, le prestataire établit une preuve de ce refus ou de cette non-réclamation, qu’il met à disposition de l’expéditeur, et qu’il conserve pour une durée d’au moins un an475 . En toute hypothèse, le processus garantit à l'expéditeur une preuve du contenu de l'envoi. Enfin, en cas de retard dans la réception ou en cas de perte des données, la responsabilité du prestataire est celle de tout prestataire de services postaux du fait de la perte ou de l'avarie des envois postaux, autres que les colis, dont le régime est défini à l'article R. 2-1 du Code des postes et des communications électroniques 476.

Droit spécial : du cas très particulier de la donation La loi prévoit que la donation entre vifs « n’engagera le donateur, et ne produira aucun effet, que du jour qu’elle aura été acceptée en termes exprès » et que l’« acceptation pourra être faite du vivant du donateur par un acte postérieur et authentique, dont il restera minute ; mais alors la donation n’aura d’effet, à l’égard du donateur, que du jour où l’acte qui constatera cette acceptation lui aura été notifié » (C. civ., art 932 463). Interprétant cette disposition, la Cour de cassation considérait que la donation se formait à l’égard du donataire, dès son acceptation, et à l’égard du donateur, au moment de la notification de cette acceptation464. Autrement dit, entre l’acceptation et la notification de celle-ci au donateur, le bien est approprié par deux personnes différentes, ce qui explique que le donataire puisse accomplir des actes de propriétaire. Il serait souhaitable que la jurisprudence prenne prétexte de la réforme des textes relatifs à la formation du contrat pour mettre fin à cette bizarrerie465.

Point sensible : de la notification par courrier et de la preuve de son contenu Quid lorsque le destinataire d’un courrier conteste son contenu tel qu’allégué par l’expéditeur ? Qui doit prouver quoi ? Certaines décisions laissent entendre qu’il convient de distinguer suivant que le destinataire allègue ou non avoir reçu une enveloppe vide : si le destinataire n’allègue pas avoir reçu une enveloppe vide, mais une enveloppe ayant un autre contenu que celui allégué par l’expéditeur, c’est à ce dernier qu’il appartiendrait de rapporter la preuve (quasi impossible) du contenu de l’envoi477 ; si au contraire le destinataire allègue avoir reçu une enveloppe vide, c’est à lui de « prouver que celle-ci était vide et non pas à l’expéditeur d’établir que l’acte notifié était contenu dans cette enveloppe »478. D’autres décisions ne font pas cette distinction byzantine et retiennent qu’« il appartient au destinataire, qui conteste le contenu de l’envoi, d’établir l’absence du document l’informant de la modification intervenue »479. D’ailleurs, la distinction est difficilement praticable : que décider lorsque l’expéditeur prétend avoir envoyé plusieurs documents et que l’expéditeur prétend n’avoir reçu que certains d’entre eux ?480.

b - Cas particulier du contrat conclu en la forme électronique

93 Distinction – plan. La détermination du processus de conclusion du contrat en la forme électronique est l’œuvre de la directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur , transposée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), dont les dispositions qui nous intéressent ont été transposées dans le Code civil.

Deux procédures doivent être distinguées suivant que le contrat est conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel (α) ou qu’il ne l’est pas (β

a. - Le contrat conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel

94 Trois temps . Les articles 1125 et 1127-2 C. civ. organisent une procédure de conclusion du contrat qui s'impose aux parties, à moins qu'elle n'ait été écartée par elles à la condition qu'elles soient toutes deux professionnelles (art 1127-3 al. 2).

Dans un premier temps, aux fins d'information du client, l'offrant met à disposition des clients potentiels ses conditions contractuelles qui le lient tant qu'il ne les a pas retirées (les fameuses conditions générales de vente ou de service) (C. civ., art 1127-1.

Dans un deuxième temps, le destinataire de l'offre doit avoir eu « la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d'éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive », afin que le contrat soit valablement conclu (C. civ., art 1127-2 al. 1). C'est donc le vendeur ou prestataire de service qui a la qualité d'offrant. L'acceptation par le client se réalise en deux temps : par la commande et par la confirmation de la commande - règle du « double clic » 481.

Dans un troisième temps, le professionnel accuse réception de la commande (C. civ., art 1127-2 al. 2). Bien que la disposition ne soit pas parfaitement claire, il semble que le contrat soit formé par la confirmation de la commande, et non par l'accusé de réception de celle-ci par le professionnel. S'il en allait ainsi, le professionnel pourrait empêcher le processus de conclusion du contrat en n'accusant pas réception. En réalité, l'accusé de réception atteste que la confirmation de la commande, c'est-à-dire l'acceptation est bien parvenue à son destinataire.

95 Réception ou émission ? La loi prévoit que la « commande », la « confirmation de l’acceptation de l’offre » – il faut comprendre, confirmation de la commande - et l'« accusé de réception » sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès (C. civ., art 1127-2 al. 3). Cette disposition ne fait que définir ce qu'est la réception, sans la consacrer explicitement ou y attacher des conséquences. On peut néanmoins penser que dans l'esprit du législateur, c'est bien au moment de la réception que la « commande », la « confirmation de l'acceptation de l'offre » et « l'accusé de réception » prennent effet.

96 Technique et date de conclusion du contrat. La question de la date de conclusion du contrat n’est pas envisagée expressément par les textes. Toutefois, on ne voit pourquoi celui-ci ne se formerait pas, comme en droit commun, par l’acceptation d’une offre. Le texte employant depuis la réforme l’expression d’acceptation « définitive » (C. civ., art. 1127-2 al. 1), c’est bien celle-ci qui devrait former techniquement le contrat. Parce que la théorie de la réception paraît avoir été reçue par la loi (C. civ., art. 1127-2 al. 3) et parce que telle est, au demeurant, la solution du droit commun482, elle doit également être retenue ici.

b. - Le contrat non conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel

97 Simple échange. Lorsque le contrat n’est pas conclu via le site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel, il l’est par un échange de courriers électroniques. Dans ce cas, quelle que soit la qualité des parties (professionnelle ou non), l’article 1127-3 alinéa 1 prévoit que la procédure décrite aux articles 1127-1 et 1127-2 est sans application, sans pour autant que ne soit précisé comment se forme le contrat... L’article 1127-3 renvoie au seul troisième alinéa de l’article 1127-2 : « la commande, la confirmation de l’acceptation de l’offre et l’accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès ». Il est donc permis de penser que le contrat, dont la seule particularité est d’avoir été conclu par échange de courriers électroniques, se formera lors de la réception de l’acceptation par l’offrant.

98 Conclusion – diversité des offres. En conclusion on relèvera que la présentation qui a été faite de l’offre et de l’acceptation, si elle est commandée par les textes qui leur sont consacrés, manque souvent de réalisme en pratique. Il est en effet assez rare que l’on distingue clairement l’offre de l’acceptation483. Par exemple, lorsqu’une personne recourt à un prestataire de service, c’est en général – mais pas toujours – ce dernier qui fait une offre, mais celle-ci fait souvent l’objet d’une contre-offre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé : les deux parties prennent tour à tour la qualité d’offrant. Autre exemple, lorsque deux entreprises négocient un contrat important, elles échangent fréquemment par mails des projets de contrat, en général avec un numéro, par ex. V1, V2, etc. ; le jour où la signature du contrat est prévue – ce qui suppose évidemment un accord sur un projet –, celui qui prendra juridiquement la qualité d’offrant sera le premier à avoir signé le contrat, le plus souvent quelques secondes avant que l’autre n’accepte en signant à son tour. Parler d’« offre » et d’« acceptation » dans ce dernier cas est assez artificiel.

§ II - Les promesses de contrat

99 Plan. Il existe deux types de promesses de contrat : la promesse unilatérale (A) et la promesse synallagmatique (B). L’une et l’autre, qui préparent la conclusion du contrat définitif, sont elles-mêmes des contrats et sont soumises aux règles qui les gouvernent.

Parce que les parties qui « promettent » donnent d’ores et déjà leur consentement au contrat final, les conditions de fond et de forme du contrat projeté sont celles de la promesse. Tel n’est cependant pas toujours le cas et des règles spéciales peuvent par exemple soumettre telles promesses à tel formalisme.

Droit spécial : du formalisme des promesses de cession d’un droit réel immobilier conclues pour une longue durée En raison de la gravité des promesses de longue durée, surtout pour le vendeur qui va voir son bien « immobilisé », toute promesse unilatérale ou synallagmatique de vente484 , consentie par une personne physique et qui a pour objet la cession d'un immeuble ou d'un droit réel immobilier et dont la durée est supérieure à dix-huit mois (ou toute prorogation d'une telle promesse portant sa durée totale à plus de dix-huit mois) est nulle si elle n'est pas constatée par un acte authentique (CCH, art. L. 290-1 485).

A - La promesse unilatérale

100 Premières vues. La promesse unilatérale est prévue et réglementée à l’article 1124. Elle est le « contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire » (al. 1).

Si promettant et bénéficiaire ont consenti à la promesse, seul le promettant a d’ores et déjà consenti au contrat définitif puisqu’il ne « manque que le consentement du bénéficiaire ». Quant au bénéficiaire, il dispose d’un droit d’option, comme le destinataire d’une offre486.

101 Différence entre l’offre et la promesse unilatérale de contrat. Il existe deux différences majeures entre la promesse unilatérale de contrat et l’offre.

En premier lieu, le bénéficiaire d’une promesse unilatérale, à la différence du bénéficiaire d’une offre, peut se voir imposer des obligations car il y aura consenti, la promesse étant un contrat. Si, en théorie, la promesse unilatérale de vente est un contrat unilatéral dans la mesure où seul le promettant s’est engagé, en pratique, elle est le plus souvent synallagmatique, le bénéficiaire supportant des obligations. Tout spécialement, il est fréquemment stipulé à sa charge une indemnité due au cas où il déciderait de ne pas lever l’option, une indemnité d’option (appelée en pratique « indemnité d’immobilisation »), sous réserve de la faculté de se rétracter gratuitement489.

En second lieu, le droit d’option du bénéficiaire d’une promesse unilatérale est plus solide que celui du destinataire d’une offre. D’une part, à la différence de l’offre501, la promesse unilatérale survit au décès ou à l’incapacité d’une partie502. D’autre part, la révocation de la promesse unilatérale est inefficace503.

102 Sanctions de l’inexécution de la promesse : mesures offertes à la victime. La loi invite à distinguer deux hypothèses lorsque le promettant ne respecte pas sa promesse.

En premier lieu, la révocation de la promesse « pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis » (C. civ., art 1124 al. 2). La loi a brisé la jurisprudence antérieure (jurisprudence Cruz) qui retenait504 l’efficacité de la révocation de la promesse, même si elle était illicite, ce qui avait pour conséquence d’exposer le promettant à ne devoir que des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice – souvent exclusivement moral – subi par la victime. La jurisprudence administrative505, qui avait fait sienne la jurisprudence Cruz, abandonnera-t-elle sa position ?

En second lieu, le contrat « conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul » (C. civ., art 1124 al. 3) 508. Il convient donc de distinguer : lorsque le tiers qui a conclu le contrat était de bonne foi, le bénéficiaire doit se contenter de dommages-intérêts auprès du promettant ; dans le cas contraire, le bénéficiaire se voit reconnaître une action en nullité509. Quid lorsque le promettant a conclu avec un tiers un contrat qui n’est pas le contrat promis, mais qui en contrarie l’exécution ?510 Faut-il distinguer suivant que le contrat conclu avec le tiers rende l’exécution du contrat impossible (le bien promis à la vente a été donné), ou qu’elle ne la rende pas impossible, mais cause un préjudice au bénéficiaire qui lèverait l’option (le bien promis à la vente a été loué) ? La solution la plus simple est probablement d’ouvrir dans tous les cas l’action en nullité au bénéficiaire en considérant qu’un tel contrat a été conclu en violation de la promesse unilatérale. Au demeurant, en pratique, les promesses assurent bien au bénéficiaire une jouissance libre du bien, laquelle ne sera pas possible si le bien est à l’usage d’un tiers...

L’hypothèse de la révocation d’une promesse et celle de la conclusion d’un contrat violant la promesse unilatérale peuvent être combinées, lorsque la conclusion d’un contrat conclu avec un tiers a été précédée d’une révocation. Il convient là encore de distinguer.

Si, entre la révocation et la conclusion du contrat avec un tiers, il y a eu levée de l’option par le bénéficiaire , le contrat promis est considéré comme s'étant formé avec ce dernier (C. civ., art 1124 al. 2). S'élève alors un conflit entre deux contrats, celui qui l'a été avec le bénéficiaire et celui qui l'a été avec le tiers, le second devant être inopposable en principe au premier. Toutefois, en cas de conflit de ventes immobilières, l'article 1198 C. civ. retient une solution particulière : « Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d'acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu'il soit de bonne foi. » 511 . Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l'Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière512 abroge en effet l'article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.).

Si, entre la révocation et la conclusion du contrat avec un tiers, il n’y a pas eu levée de l’option, le contrat conclu avec le tiers est nul par application de l’article 1124 alinéa 3.

103 Évaluation des dommages-intérêts. Dès lors que la conclusion d’une promesse empêche toute révocation efficace de la part du promettant, le bénéficiaire victime d’une inexécution devrait pouvoir réclamer une indemnisation, soit de l’intérêt négatif (en vue de mettre la victime dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas conclu la promesse), soit de l’intérêt positif (en vue de mettre la victime dans une situation équivalente de celle qui aurait été la sienne si la promesse n’avait pas été inexécutée) et permettre ainsi l’indemnisation pour la perte des avantages attendus du contrat513 . Par ailleurs, l'inexécution étant dolosive, tous les préjudices, même non prévisibles, devraient être indemnisés (C. civ., art 1231-3 514)515.

Aménagements conventionnels Il est important de stipuler une durée dans la promesse. Si la promesse unilatérale n’est pas assortie d’une durée, l’état du droit n’est pas certain. La jurisprudence considérait par le passé tantôt que la promesse pouvait être résiliée dès la conclusion de la promesse487, tantôt qu’elle ne pouvait l’être qu’après mise en demeure du bénéficiaire de lever l’option488. Cette dernière solution est préférable et paraît désormais être imposée par le nouvel article  1211 C. civ. : « Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable. » Si la promesse unilatérale est assortie d’une durée, celle-ci est librement définie par les parties. Il peut être prévu une franchise ou des fenêtres pour lever l’option : l’option pourra ne pas être levée avant telle date (on parle de franchise) ou à l’intérieur d’intervalles déterminés (on parle de fenêtres).

Droit spécial : de la promesse unilatérale d’achat immobilière En présence d’une promesse unilatérale d’achat, l’article  1589-1 C. civ.  prévoit qu’est « frappé de nullité tout engagement unilatéral souscrit en vue de l’acquisition d’un bien ou d’un droit immobilier pour lequel il est exigé ou reçu de celui qui s’engage [et lui seul] un versement, quelles qu’en soient la cause et la forme »490. Le législateur a souhaité éviter que des professionnels de l’immobilier réalisent une certaine forme d’« enchères » en recueillant le maximum d’offres, et en exigeant des offrants qu’ils aient à payer une certaine somme, sans garantie de voir leur offre acceptée et sans garantie de retrouver leur pécule rapidement...

Aménagements conventionnels Qu’est-ce qu’une indemnité d’option ou une indemnité d’immobilisation en matière immobilière ? Dans une promesse unilatérale, la somme exigée par le bénéficiaire en contrepartie de l’option qui lui est octroyée est une « indemnité d’option » (quoique souvent nommée, en pratique, « indemnité d’immobilisation »)491 : si le bénéficiaire refuse de lever de l’option, la somme stipulée sera due492 au promettant493. En contrepoint, dans toute promesse, unilatérale ou synallagmatique494, l’indemnité qui serait due pour le cas où la vente ne se réaliserait pas en raison de la défaillance fortuite d’une condition (par exemple, en cas de non-obtention d’un permis de construire), est une véritable indemnité d’immobilisation, c’est-à-dire une indemnité qui constitue la contrepartie de l’obligation pour le propriétaire d’immobiliser son bien tant que la condition est pendante495. Toutefois, en vertu d’une règle spéciale, une telle indemnité ne peut être stipulée en contrepartie de la condition suspensive d’obtention d’un crédit immobilier au sens du Code de la consommation496. Quelle qu’elle soit, l’indemnité n’est pas révisable, sauf si les parties l’ont convenu, expressément ou tacitement, en général en fonction de la durée d’immobilisation du bien497. Traditionnellement, lorsque l’indemnité stipulée en contrepartie du droit d’option était très importante, la Cour de cassation requalifiait la promesse unilatérale en promesse synallagmatique498. La requalification avait pour fin de faire échapper les promesses à la nullité pour défaut d’enregistrement ; mais elle était critiquable, faute pour le bénéficiaire d’avoir pris un engagement d’achat. La Cour de cassation avait semble-t-il reviré dans une hypothèse où l’enjeu de la qualification était de déterminer le caractère propre ou commun du bien formant l’assiette de la promesse499. Pourtant, plus récemment encore, un arrêt, certes inédit et ambigu, a semblé considérer qu’une cour d’appel ne pouvait requalifier une promesse unilatérale en une promesse synallagmatique « sans relever que la promesse de vente était assortie d’une indemnité si importante par rapport au prix de vente qu’elle privait [le bénéficiaire] de sa liberté d’acheter ou de ne pas acheter »500.

Aménagements conventionnels Est-il possible pour un promettant, que la promesse soit unilatérale ou synallagmatique, de conclure une promesse tout en étant assuré qu’il pourra se « désengager » moyennant, le cas échéant, le paiement d’une somme d’argent au bénéficiaire ? Oui, s’il a été stipulé une clause de dédit (C. civ., art 1122 506) au profit du promettant. Stipuler une clause d’indemnisation forfaitaire ou une clause pénale507 serait inefficace car le bénéficiaire resterait libre de préférer de demander l’exécution en nature de la vente.

Aménagements conventionnels Il est possible de renforcer l’efficacité de la promesse en prévoyant une clause d’indemnisation forfaitaire ou une clause pénale516 à la charge du promettant en cas de violation de sa promesse unilatérale. Plutôt que de chercher à obtenir l’exécution forcée du contrat, qui est complexe, voire impossible si le contrat a été conclu avec un tiers de bonne foi, le bénéficiaire se contentera de dommages-intérêts d’ores et déjà fixés, pour un montant le cas échéant élevé et donc comminatoire.

B - La promesse synallagmatique

104 Pas de texte de droit commun. La promesse synallagmatique est, depuis 1804, évoquée au sujet de la vente, à l’article 1589, qui prévoit que « [l]a promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ».

En réalité, tous les contrats peuvent faire l’objet d’une promesse synallagmatique517 et il est regrettable que la promesse synallagmatique en général n’ait été envisagée, ni par l’Ordonnance, ni par la Loi de ratification.

La promesse synallagmatique peut être définie comme le contrat par lequel les deux parties, qui se sont accordées sur les éléments essentiels d’un contrat, promettent de le conclure518. À la différence de la promesse unilatérale, les deux parties ont d’ores et déjà consenti au contrat définitif. C’est d’ailleurs pourquoi la promesse synallagmatique de tel contrat équivaut à ce contrat519.

105 Intérêt de la promesse synallagmatique de vente ? La promesse synallagmatique de contrat n’offre de véritable intérêt que lorsqu’elle n’équivaut pas à ce contrat. Ce sera le cas notamment lorsque les parties auront érigé en élément essentiel un élément qui ne l’est pas d’après la loi. Par exemple, le vendeur et l’acheteur d’un immeuble conviennent que leur accord devra être constaté en la forme notariée alors que la vente d’immeuble est en principe consensuelle. La promesse synallagmatique qu’il conclurait par acte sous signature privée ne vaudrait donc pas vente en ce cas et l’exécution forcée ne serait pas possible. Mais, parce qu’elle est efficace, si une des parties refuse de constater la vente en la forme authentique, elle expose à des dommages-intérêts520.

106 Cas particulier des promesses croisées. Il n’est pas rare, en matière d’ingénierie financière, de recourir à des promesses unilatérales croisées. En 2005, la Cour de cassation avait considéré que « l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes »524. Le raisonnement est erroné : si aucune des parties ne lève l’option dont elle est bénéficiaire, la vente ne peut pas se former. Dans des décisions postérieures525, la Cour de cassation avait reconnu, sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, l’efficacité de la révocation par une partie de la promesse : n’était-ce pas là reconnaître qu’il s’agissait de réelles promesses unilatérales et non d’une promesse synallagmatique ? Dans une décision plus récente, la Cour de cassation a alimenté toutes les spéculations en approuvant une cour d’appel d’avoir « retenu que les promesses d’achat et de vente que s’étaient consenties les parties étaient synallagmatiques, ayant le même objet et stipulées dans les mêmes termes, et partant, que la vente était parfaite dès la levée de l’option »526. Promesse synallagmatique et levée d’option ? Les mots jurent entre eux !

Aménagements conventionnels Les promesses synallagmatiques étant le plus souvent assorties de conditions, le bien est immobilisé : il est alors possible, sauf exception légale521, de stipuler une indemnité d’immobilisation qui serait due au propriétaire au cas où la condition défaillirait indépendamment de la volonté des parties522. Celle-ci ne doit pas être confondue avec l’indemnité que doit verser le bénéficiaire d’une promesse unilatérale au promettant au cas où il ferait le choix de ne pas lever l’option, l’indemnité d’option (très fréquemment appelée en pratique également « indemnité d’immobilisation »). On a déjà rencontré ces questions523.

Aménagements conventionnels La clause de réitération527 est la clause qui, stipulée dans une promesse de vente d’un immeuble, prévoit que les parties « réitèreront » leur accord dans l’acte définitif de vente passé en la forme authentique en vue de sa publication. On trouve une telle clause dans les promesses de vente sous signatures privées ou authentiques, unilatérales ou synallagmatiques, que la promesse vaille ou non vente. La réitération n’est ni une condition ni un terme528, elle est l’objet d’une obligation. En stipulant une clause de réitération, les parties s’obligent à réitérer leur accord en signant l’acte définitif. Si la clause de réitération met à la charge des parties une obligation de réitérer, celle-ci n’est pas immédiatement exigible : cela est évident lorsque la promesse est unilatérale et que l’option n’a pas été levée, mais cela l’est également, quelle que soit la promesse, tant que les conditions n’ont pas toutes été levées. L’obligation de réitération à laquelle sont soumises les parties n’est jamais exigible avant une certaine date qui constitue un terme ; elle est assortie d’un terme suspensif529. La date est en général d’ores et déjà fixée lors de la conclusion de la promesse : le terme est certain. Mais il se peut que celle-ci ne le soit pas, notamment lorsqu’il est prévu que l’obligation de réitérer sera exigible lors de la levée de la dernière condition : le terme est incertain. En tout état de cause, une partie ne peut pas exiger de l’autre qu’elle réitère avant le terme, l’obligation n’étant pas exigible ; elle ne le peut qu’à l’échéance du terme. Si l’obligation de réitérer est assortie d’un terme suspensif, la question se pose de savoir de combien de temps chaque partie dispose pour contraindre l’autre à réitérer, une fois ce terme échu. C’est cette fois la question du terme extinctif de l’obligation de réitérer. La réponse est claire : une partie peut contraindre l’autre à réitérer tant que la promesse est valable, d’où l’intérêt de stipuler un terme extinctif à la promesse. Ainsi pourra-t-il être stipulé que la promesse sera efficace quinze jours, un mois ou plus, après la date fixée pour la réitération. Chacune des parties disposera de ce délai pour exiger de l’autre qu’elle réitère, si la réitération n’est pas spontanée. Mais que décider si un tel délai n’est pas stipulé ? Faut-il considérer que la promesse sera caduque à l’issue d’un délai raisonnable ? Faut-il au contraire raisonner en termes de prescription ?530 En définitive, les promesses de vente devraient comporter un double terme : un terme suspensif à l’échéance duquel les parties doivent réitérer et un terme extinctif à l’échéance duquel la promesse est caduque et les parties, libérées531.

§ III - L’échange de conditions générales

107 Premières vues. À l’occasion notamment de ventes de marchandises (ou de prestations de service), il est fréquent que le vendeur (ou le prestataire de service) professionnel, plutôt que de discuter les termes du contrat avec tous ses clients, énonce tout ou partie du contenu des contrats des ventes (ou des prestations de service) qu’il propose dans des conditions générales de vente – CGV – (ou conditions générales de prestation de service). Si l’acheteur ou le client est lui aussi un professionnel, il est possible qu’il dispose lui aussi de ses propres conditions générales d’achat – CGA. Les conditions générales se caractérisent donc par leur « prérédaction » et l’« indifférenciation [de leurs] termes »532.

Si les conditions générales jouent un rôle très important tant dans les relations entre professionnels que dans les relations consuméristes, la communication des conditions générales se fait différemment et les conflits entre conditions générales n’existent qu’entre professionnels (les consommateurs n’en ayant pas).

Les difficultés concernent pour l’essentiel les conditions d’opposabilité des conditions générales au cocontractant et les conflits entre conditions générales incompatibles, sachant qu’en pratique, les litiges portent le plus souvent sur les clauses attributives de juridiction533 ou de réserve de propriété534.

108 Formation du contrat à la suite d’un échange de conditions générales. Il est difficile de parler ici de formation du contrat par la rencontre d’une offre et d’une acceptation dans la mesure où chaque partie propose à l’autre le contenu du contrat alors que dans le schéma classique de la rencontre d’une offre et d’une acceptation, c’est l’offrant seul qui le propose. On verra d’ailleurs que le contrat peut ici se former malgré des discordances entre les conditions générales535, alors que cela est impossible lorsqu’il y en a entre une offre et une acceptation536.

109 Communication des conditions générales. Même si aucun texte de droit commun ne le prévoit, en vertu du droit spécial, les conditions générales doivent être transmises aux potentiels clients qui en font la demande.

110 Contenu des conditions générales. Si le droit commun est muet sur le contenu des conditions générales, le droit spécial ne l’est pas.

111 « Opposabilité » des conditions générales. Les conditions générales d’une partie ne sont « opposables » à l’autre et détermineront (en tout ou partie) le contenu du contrat que si et seulement « elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées » (C. civ., art 1119 al. 1 542), la preuve pesant sur celui qui s’en prévaut543.

Cette condition sera remplie si, comme c’est souvent le cas en pratique, les conditions générales figurent sur les bons de commande, par exemple au verso. Quid cependant lorsqu’un document signé par une partie renvoie aux conditions générales que cette partie déclare avoir acceptées ? La jurisprudence antérieure manquait de clarté : si certains arrêts pouvaient laisser entendre qu’il s’agissait là d’un procédé établissant (ou réputant établir) la connaissance du signataire544, d’autres arrêts, meilleurs, paraissaient exiger au moins implicitement la preuve que les conditions générales avaient été effectivement portées à la connaissance de celui à qui on voulait les opposer545 : c’est le cas des conditions générales figurant au verso de l’acte signé546 ou lorsque les parties sont en relations d’affaires, dès lors que celle à qui les conditions étaient opposées les a véritablement acceptées, même tacitement547. En tout état de cause, les conditions générales doivent être clairement reproduites. Tel ne sera pas le cas des clauses pratiquement illisibles ou difficilement lisibles548. La jurisprudence se livre à une appréciation in concreto549.

En second lieu, en cas d’incompatibilité entre conditions générales552 (battle of forms), le législateur français a fait le choix de la neutralisation des conditions générales contradictoires (knock out rule) plutôt que celui de la prévalence des dernières conditions générales communiquées par l’acceptant (last shot rule)553 ou celle des premières conditions générales communiquées par l’offrant non expressément écartées par l’acceptant (first shot rule)554. En effet, l’article 1119 dispose qu’« [e]n cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet » (al. 2). Autrement dit, le contrat est formé mais expurgé des clauses incompatibles. Si l’on raisonnait purement et simplement en termes d’offre et d’acceptation, en raison de l’incompatibilité des deux consentements, le contrat ne serait pas formé. Par où l’on voit que la règle du miroir555 est ici écartée.

112 Cas particulier des conditions particulières incompatibles avec des conditions générales. Par application de l’article 1119, « [e]n cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières » (al. 3). On peut y voir une banale application de l’adage specialia generalibus derogant que la jurisprudence antérieure avant la réforme avait dégagée557. Tantôt les conditions particulières précisent des éléments que l’on ne trouve pas dans les conditions générales (le prix et la chose par exemple), tantôt elles y dérogent.

Droit spécial : de la communication des conditions générales Dans les relations consuméristes, les conditions générales font l’objet du titre premier « conditions générales des contrats ») du livre deuxième (« Formation et exécution des contrats ») du Code de la consommation, même si ce titre ne traite pas stricto sensu des « conditions générales » au sens où nous les entendons ici, mais davantage du contenu du contrat. Dans les relations entre professionnels, toute « personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui établit des conditions générales de vente est tenue de les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle »537. En toute hypothèse, lorsque le contrat est conclu par voie électronique538 , « [q]uiconque propose à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les stipulations contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction » (C. civ., art 1127-1, sans pour autant qu'une sanction soit spécifiquement prévue.

Droit spécial : du contenu des conditions générales Dans les relations consuméristes, les conditions générales mentionnent, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie539, « l’existence, les conditions de mise en œuvre et le contenu de la garantie légale de conformité et de la garantie relative aux défauts de la chose vendue, dues par le vendeur » et, le cas échéant, « l’existence d’une garantie commerciale et d’un service après-vente »540. Dans les relations entre professionnels541, les conditions générales doivent comporter, au-delà des conditions de vente, qui décrivent les droits et obligations non pécuniaires des parties (moment de paiement du prix, du transfert de propriété, monnaie, etc.), un certain nombre de rubriques : le barème des prix unitaires (ou barèmes d’écart), qui désigne les prix des marchandises à l’unité en fonction du nombre des marchandises commandées (ex. : 2 euros entre 1 et 100 ; 1 euro entre 101 et 200, etc.) ; les éventuelles réductions de prix (« RRR » et escompte), qui désignent les diminutions du prix : Remises (réductions de prix immédiates, accordées en raison des quantités achetées), Ristournes (réductions de prix différées se traduisant donc par un remboursement au client d’une partie du prix versé) conditionnelles (en raison par exemple des quantités vendues, de la progression des ventes, etc.) ou non conditionnelles (ristourne de fin d’année payable au début de l’année suivante), les Rabais (réductions de prix en cas d’exécution défectueuse par le fournisseur de sa prestation, en raison par exemple de la mauvaise qualité des marchandises, les escomptes (réductions de prix en cas de paiement anticipé) ; les conditions de règlement, qui renvoient aux modes de paiement (virement, chèque, CB, etc.), aux délais de paiement, aux conditions de taux et de mise en œuvre des intérêts de retard et au montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Droit spécial : de certaines exigences de forme particulières En général, toute clause qui, « directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée » (CPC, art 48 550). Cette clause obéit à une exigence de forme particulière car on n’y prête pas forcément toujours attention en contractant, faute d’envisager que les choses puissent un jour mal aller... Dans les relations consuméristes, sont de manière irréfragable présumées abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « [c]onstater l’adhésion du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l’écrit qu’il accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n’est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n’a pas eu connaissance avant sa conclusion »551, ce qui renvoie directement à l’acceptation des conditions générales du professionnel, même si celles-ci ne sont pas expressément visées.

Point sensible : de la portée de la neutralisation des conditions générales incompatibles La neutralisation des clauses incompatibles des conditions générales n’est pas toujours neutre. En effet, en raison du « vide » laissé par l’effacement des clauses incompatibles, la règle supplétive s’appliquera, souvent en faveur de l’une des parties. On peut prendre l’exemple de la propriété réservée. Il est fréquent que le vendeur dans ses conditions générales prévoie une clause de réserve de propriété. Si l’acheteur a pris le soin d’indiquer dans ses conditions générales d’achat, par une clause idoine, qu’il devient acquéreur des marchandises conformément au droit commun, avant même d’en avoir payé le prix, cette clause et celle prévoyant une réserve de propriété se neutraliseront car elles sont incompatibles556. Mais in fine, c’est bien l’acquéreur qui aura gain de cause car la règle supplétive de droit commun relative au transfert de propriété trouvera à s’appliquer...

Sous-Section 2 - La forme de la rencontre des consentements : consensualisme et formalisme

113 Avènement progressif du consensualisme. En vertu du principe du consensualisme, les consentements engagent les parties quelle que soit la forme dans laquelle ils ont été échangés. Tel n’a pas toujours été le cas. En droit romain, la plupart des contrats étaient formalistes558, encore qu’au fil du temps, quatre contrats devinrent consensuels : la vente, le louage, la société et le mandat. Sous l’Ancien droit, et sous l’influence du droit canonique en particulier, le consensualisme va finir par l’emporter, tant et si bien qu’au xvie siècle, Loysel (1536-1617) affirmait : « on lie les bœufs par les cornes et les hommes par la parole ». Finalement, en 1804, la forme du contrat n’est pas évoquée au titre des conditions nécessaires à la validité d’une convention. Depuis la réforme du droit des contrats, l’article 1172 prévoit expressément que « [l]es contrats sont par principe consensuels ».

114 Avantages v. inconvénients. Le consensualisme présente des avantages : éviter qu’une personne prenne prétexte que le contrat n’ait pas été passé dans les formes requises pour se désengager par opportunisme et permettre la conclusion de contrats rapidement pour un coût minimal. Toutefois, le consensualisme présente en retour des inconvénients : les parties peuvent contracter sans réfléchir suffisamment à la portée de leur engagement et l’absence de forme imposée rend plus difficile la preuve de l’existence d’un contrat et de son contenu, en même temps que l’absence de publicité en rend l’opposabilité aux tiers plus compliquée.

115 Principe du consensualisme, exceptions et tempéraments – Plan. En raison de ses nombreux avantages, le consensualisme a été érigé en principe. Néanmoins, ses inconvénients ont été pris en considération de deux façons. En premier lieu, la conclusion de certains contrats particulièrement graves a justifié l’imposition de formes destinées à faire réfléchir les parties, ce qui constitue des exceptions au consensualisme (§ I). En second lieu, afin de ménager la preuve des contrats et d’assurer plus facilement l’opposabilité de certains contrats aux tiers, des tempéraments au consensualisme ont également été apportés (§ II).

Deux observations :

(i) La loi exige parfois que les consentements ne puissent être donnés qu’après une autorisation, un avis, ou le respect d’une certaine procédure, alors même que le contrat serait consensuel. Cela est fréquent lorsque celui appelé à consentir est incapable d’exercer ses droits et fait l’objet d’une mesure de protection559. On parle de formalités habilitantes.

(ii) En tout état de cause, la jurisprudence est réticente à faire une application pure et simple du principe du consensualisme lorsque le contrat est un contrat grave, pourtant non assujetti par la loi à des règles de forme. La vente immobilière en constitue un très bon exemple. Alors qu’elle reste encore aujourd’hui par principe un contrat consensuel560, les juges sont réticents à considérer que la vente est formée par la simple rencontre d’une offre et d’une acceptation sans forme précise561.

§ IV - Les exceptions au consensualisme : le formalisme

116 Plan. Il existe deux types de contrats formalistes, les contrats réels (A) et les contrats solennels (B).

A - Les contrats réels

117 Notion et domaine. Dans un contrat réel562, « la loi subordonne la formation » du contrat « à la remise de la chose » (C. civ., art 1172. Seuls les contrats portant sur une chose sont susceptibles de constituer des contrats réels, mais tous les contrats portant sur une chose ne sont pas des contrats réels.

La catégorie s’épuise peu à peu avec le temps et aujourd’hui, seuls les prêts, à l’exception des prêts de consommation consentis par un professionnel du crédit563, le dépôt et le don manuel sont des contrats réels, soit des contrats qui, économiquement, jouent un rôle mineur.

118 Le dessaisissement fait réfléchir. On considère que la remise de la chose permet à celui qui se dessaisit de la chose de prendre conscience de la gravité de son acte (ce qui explique que les prêts de consommation consentis par un professionnel du crédit, qui n’a pas à être protégé, soient devenus des contrats consensuels), ce qui justifie que le contrat ne soit formé qu’à ce moment précis.

119 Portée de la formalité. Tout accord des volontés antérieur à la remise de la chose s’analyse par conséquent en une promesse contrat réel. Celle-ci est en principe valable mais son inexécution ne donnera lieu qu’à des dommages-intérêts en cas d’inexécution et non à la remise de la chose564. Toutefois, la promesse de don manuel est nulle565, probablement car en principe le don est un contrat solennel566, ce qui suppose qu’il doive être conclu dans une certaine forme, comme la promesse de don.

B - Les contrats solennels

120 Notion. Dans un contrat solennel567, la « validité » du contrat « est subordonnée à l’observation des formes déterminées par la loi à défaut de laquelle le contrat est nul, sauf possible régularisation » (C. civ., art 1172 al. 3). Le contrat solennel est celui qui, pour être valable, doit être conclu par un écrit signé des parties.

Le Code civil ne comporte une définition de l’écrit et de la signature que depuis une loi du 13 mars 2000 568. L’écrit est défini comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support » (C. civ., art 1365. Quant à l'article 1367 al. 1 C. civ., il prévoit que « la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose [et] manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte (...) ».

121 Écrit électronique . Une loi du 21 juin 2004 573 a prévu la possibilité de contracter par voie électronique des contrats solennels, la question étant dominée par un principe d’équivalence entre l’acte matériel et l’acte électronique : « [l]orsqu'un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique (...) » (art. 1174 al. 1574).

Ce principe est assorti de corollaires : d'une part, lorsque la loi exige « une mention écrite de la main même de celui qui s'oblige, ce dernier peut l'apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu'elle ne peut être effectuée que par lui-même » (C. civ., art 1174 al. 2), d'autre part, lorsque l'écrit sur papier est « soumis à des conditions particulières de lisibilité ou de présentation, l'écrit électronique doit répondre à des exigences équivalentes » (C. civ., art 1176 al. 1).

Quant à la mise en œuvre du principe, la loi apporte une triple précision : l'exigence d'un « formulaire détachable » est satisfaite « par un procédé électronique qui permet d'accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie » (C. civ., art 1176 al. 2), l'exigence d'une « pluralité d'originaux » posée pour les contrats synallagmatiques 575 est réputée satisfaite lorsque « le procédé permet à chaque partie de disposer d'un exemplaire sur support durable ou d'y avoir accès » (C. civ., art 1375 al. 4), et l'exigence d'un « envoi en plusieurs exemplaires » est réputée satisfaite par voie électronique « si l'écrit peut être imprimé par le destinataire » (C. civ., art 1177.

Le principe d’équivalence connaît enfin des exceptions : le recours à l'écrit électronique n'est pas permis pour les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions (C. civ., art 1175. En revanche, lorsque l'acte est authentique, le recours à l'écrit électronique est autorisé 576.

122 L’écrit fait réfléchir et présente certaines garanties. On considère que la solennité fait réfléchir les parties, ce qui explique que les contrats solennels soient des contrats particulièrement graves, comme tous les contrats formalistes d’ailleurs. Par ailleurs, lorsque l’écrit doit être signé des parties et contresigné par un tiers, il peut présenter certaines garanties, comme celle de la date de conclusion : c’est le cas des actes authentiques et contresignés par avocat.

De règle générale, et quel que soit le contrat conclu, l’écrit est vertueux. Comme on l’a relevé, l’écrit « est, tout d’abord, nécessaire pour concevoir. La palabre connaît ses limites. Nous n’avons pas seulement appris à lire, la plume à la main, mais, tout pareillement, à réfléchir ainsi. La faiblesse même de notre esprit qui ne peut développer plusieurs idées à la fois nous impose de griffonner, disposer les unes par rapport aux autres, voire dessiner ou symboliser par divers schémas nos idées et puis à les modeler, les sculpter en chaînes de mots, phrases, alinéas, paragraphes... et nous pensons à l’instant que, sans écrit, nous n’aurions ni pensé ni prononcé la phrase que nous venons d’écrire ! Nul juriste, eût-il à sa disposition le cerveau le plus puissant et l’expérience la plus poussée, ne pourrait par la force de sa seule pensée, fût-elle secourue par la richesse du verbe et l’art du geste, concevoir, à un certain taux de nuance et de subtilité, le contrat qu’à l’aide de l’écrit qu’il façonnera aisément. Tout comme le sculpteur heurtant la pierre et le peintre choisissant et disposant des couleurs traduisent dans leur art leurs sensations ou sentiments, le juriste a besoin de l’écrit pour maîtriser sa pensée, la conduire, la faire progresser. »577

Tout accord des volontés antérieur à l’accomplissement de la formalité, qui s’analyse en une promesse de contrat solennel, est-il nul s’il ne respecte pas les formes du contrat solennel ?578 C’est vrai par principe, chaque fois que l’exigence d’un écrit est en partie au moins justifiée par la protection des parties (ex. donation). Mais lorsque ce sont les intérêts des tiers qui sont en cause (ex. hypothèque), la jurisprudence reconnaît une certaine efficacité à ces promesses : valables, leur inexécution ne donne lieu qu’à des dommages-intérêts579.

123 Distinction – plan. Les solennités requises de l’écrit signé des parties ne sont pas les mêmes pour tous les contrats solennels. Il faut distinguer les contrats pour lesquels un acte authentique ou contresigné par avocat(s) est exigé (1) des contrats pour lesquels un acte sous seing privé suffit (2).

Point sensible : du courriel et de l’écrit Lorsque la loi exige que tel contrat soit conclu par écrit, peut-il l’être par un échange de courriels569 ? Cette question en réalité est double : (i) un échange de courriels constitue-t-il un écrit et si oui, (ii) cet écrit est-il considéré comme étant signé ? À la première question, la Cour de cassation570 a répondu par l'affirmative. S'était posée la question de savoir si un échange de courriels pouvait valoir conclusion d'un contrat écrit au sens de l'article L. 222-17 du Code du sport, exigeant que le contrat en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 du même code soit « écrit ». La Cour de cassation jugea d'une part, que l'article L. 222-17 du Code du sport « n'impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d'un acte écrit unique » et d'autre part, aux visas de l'« article L. 222-17 du Code du sport, ensemble l'article 1108-1 du Code civil [devenu 1174 du Code civil] », qu'il résultait de ce dernier texte que « lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil [devenus 1366 et 1367 du Code civil] » et que la cour d'appel avait violé ces textes en considérant « qu'un message électronique ne peut, par nature, constituer l'écrit concentrant les engagements respectifs des parties ». Mais à la seconde question, et dans la même affaire (!), la Cour de cassation571 a répondu par la négative. Elle a estimé que « si le contrat en vertu duquel l'agent sportif exerce son activité peut être établi sous la forme électronique, il doit alors être revêtu d'une signature électronique » et que des courriels échangés ne sont pas revêtus d’une signature électronique. Toutefois, chaque fois qu’un écrit n’est pas exigé par la loi, rien ne s’oppose à ce que des parties échangent leur consentement par courriels (on relèvera d’ailleurs que la loi elle-même reconnait un tel mode de formation du contrat572).

1 - Les contrats pour lesquels un acte authentique ou contresigné par avocat est exigé

124 Plan. Les actes authentiques sont les actes conclus par les parties par-devant un officier public (notaire, huissier, maire, etc.) et les actes contresignés par un avocat sont ceux sur lesquels un avocat appose son contreseing. On envisagera ici uniquement les contrats devant obligatoirement être conclus en la forme authentique ou contresignés par avocat, tout en ayant bien à l’esprit que tous les contrats peuvent l’être (qui peut le plus peut le moins). Dans tous les cas, l’acte qui n’est pas authentique ou d’avocat pour défaut de forme vaut néanmoins comme acte sous seing privé si les conditions de validité d’un tel acte sont réunies (réduction par conversion)580 : la question est alors essentielle de savoir si l’intervention de l’officier public ou de l’avocat était requise à peine de nullité...

On envisagera les règles légales (a) puis les assouplissements jurisprudentiels (b).

a - Les règles légales

125 Certains contrats graves . Quatre contrats prévus et réglementés par le Code civil doivent être conclus par acte authentique : la donation (art 931, le contrat de mariage (C. civ., art. 1594), la constitution d'hypothèque (C. civ., art. 2127) et la subrogation conventionnelle par volonté du débiteur (C. civ., art 1346-2. Mais il en existe d'autres aujourd'hui, prévus et réglementés hors du Code civil : c'est notamment le cas de la vente d'immeuble à construire lorsqu'elle a pour assiette un immeuble d'habitation (CCH, art. L. 261-11. Parfois, la loi exige le contreseing d'un avocat. Ainsi est-il aujourd'hui possible de divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire (C. civ., art. 229-1 s.).

126 Raisons d’être de la formalité. Dans toutes ces hypothèses, l’exigence s’explique en général par la gravité de ces actes pour celui qui s’oblige, et parfois par la protection des tiers, s’agissant en particulier de la subrogation conventionnelle par le débiteur581. En effet, le devoir de conseil et les garanties de sécurité offertes par l’officier public voire l’avocat permettent d’éclairer les parties, d’assurer la liberté de leur consentement et de garantir la sécurité du contrat.

b - Les assouplissements jurisprudentiels

127 Double manifestation. La jurisprudence a assoupli, sur deux points en particulier, l’exigence d’authenticité.

En premier lieu, la jurisprudence a admis, de façon exceptionnelle, la validité de certaines promesses non authentiques de contrats solennels, quoique l’efficacité en soit limitée. Ainsi, une promesse non authentique d’hypothèque, valable, pourra être sanctionnée par des dommages-intérêts si elle n’est pas tenue582.

En second lieu, la jurisprudence a admis la validité de donations conclues autrement qu’en la forme authentique, en raison de considérations essentiellement pratiques. La donation n’étant toutefois pas devenue un contrat consensuel, seules sont reconnues en jurisprudence les formes qui garantissent une suffisante protection des parties. Ainsi sont admis les dons manuels, les donations indirectes et les donations déguisées. Ripert (1880-1958) proposait de dire que le dépouillement ou l’énergie dépensée à faire le montage ou le déguisement montraient bien que la donation avait été réfléchie583.

2 - Les contrats pour lesquels un acte sous seing privé suffit

128 Plan. Nous verrons les règles légales (a) puis les assouplissements jurisprudentiels (b).

a - Les règles légales

129 Accomplissement de la formalité. Doivent donner lieu à un écrit sous signature privée de nombreux autres contrats. L’acte sous signature privée est un acte signé par les parties, peu important qu’elles l’aient ou non écrit, sachant que la signature « identifie celui qui l’appose » et « manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte » (double fonction d’identification et d’approbation ) (C. civ., art 1367.

130 Mentions manuscrites. Parfois, afin de mieux protéger les parties, la loi exige au surplus que les parties écrivent elles-mêmes tout ou partie du contenu de l’acte (« mention manuscrite »).

La loi prévoyant le texte exact de la mention manuscrite, le cocontractant doit être particulièrement vigilant et se livrer à un travail de « relecture » afin de vérifier que l’auteur de la mention manuscrite a bien « copié » le texte. Si tel n’est pas le cas, chaque fois que la mention est exigée ad validitatem, l’acte sera en principe nul. Mais que décider si l’écart entre la mention manuscrite exigée par la loi et ce qui a été écrit est tout à fait mineur ? Aujourd’hui, la jurisprudence se montre moins pointilleuse qu’elle ne le fût jadis et tolère la simple « erreur matérielle » qui « n’affecte ni le sens ni la portée des mentions manuscrites prescrites » et « n’en rend pas sa compréhension plus difficile pour la caution ». Tel sera le cas en présence d’une erreur de ponctuation584, d’une signature mal placée585, voire de l’emploi d’autres termes que ceux prévus par la loi, s’ils sont neutres586. En contrepoint, en présence d’une « erreur non matérielle », le cautionnement n’est pas valable, sauf à pouvoir être réduit, si la difficulté concerne non pas tant la compréhension par la caution du sens de son engagement que son étendue587.

En tout état de cause, l'acte qui est conclu en la forme authentique ou contresigné par un avocat est toujours dispensé de reproduire les mentions manuscrites exigées par la loi (C. civ., art 1369 al. 3 et C. civ., art 1374 al. 3).

Droit spécial : de quelques mentions manuscrites Le droit de la consommation exige souvent l’apposition d’une mention manuscrite. Lorsqu’une personne entend acquérir notamment un immeuble à usage d’habitation et que l’acte d’acquisition indique que le prix sera payé sans l’aide d’un ou plusieurs prêts, cet acte porte, de la main de l’acquéreur, une mention par laquelle celui-ci reconnaît avoir été informé que s’il recourt néanmoins à un prêt il ne pourra se prévaloir de son défaut d’obtention pour être libéré de la vente588. Par ailleurs, une mention manuscrite doit être apposée par la « personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution » pour une opération de crédit à la consommation ou de crédit immobilier589. Toujours en matière de cautionnement, de manière générale, une mention manuscrite doit être apposée par la « personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel »590.

b - Les assouplissements jurisprudentiels

131 Le doute profite au consensualisme. Jacques Flour avait relevé dans une célèbre étude que, chaque fois qu’ils le pouvaient, les tribunaux minimisaient la portée des textes exigeant une forme, en ne retenant pas que la forme est requise à peine de nullité de l’acte591. Intervenant a priori et raisonnant en général, le législateur verrait davantage les aspects positifs du formalisme que le juge, qui intervient a posteriori , et constate que certains contractants cherchent à se désengager en invoquant par opportunisme une irrégularité formelle. Ainsi, la jurisprudence a souvent tendance à considérer que lorsque la loi n'indique pas qu'un écrit est exigé à peine de nullité, c'est qu'il ne l'est qu'à titre de preuve. On en trouve un exemple en droit des assurances. D'après l'article L. 112-3 du Code des assurances, le contrat d'assurance est « rédigé par écrit en français en caractères apparents » ; or, comme l'a décidé la Cour de cassation, « si le contrat d'assurance doit, dans un but probatoire, être signé par les parties, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l'assureur et de l'assuré » 592.

§ V - Les tempéraments au consensualisme

132 Plan . Les formes « exigées aux fins de preuve ou d'opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats » (C. civ., art 1173. On entend ici envisager les formes qui sont exigées, non pour la validité du contrat, mais pour sa preuve (A) ou son opposabilité aux tiers (B).

A - Les règles de preuve

133 En principe par écrit . La loi pose le principe de la preuve littérale pour les actes juridiques, pourvu que leur valeur excède une certaine somme - 1 500 euros - et que l'on ne soit pas entre commerçants (C. civ., art 1359 al. 1) 593. À défaut d’écrit, l’acte reste pleinement valable, mais sa preuve sera très délicate. On envisagera ces règles dans le chapitre 14594.

La différence entre une forme exigée ad validitatem et une forme qui l’est ad probationem doit être tempérée. Certes, dans le premier cas, non dans le second, le défaut d’écrit n’entraîne pas en lui-même la nullité de l’acte. Reste que la distinction entre un contrat que l’on ne peut pas prouver et un contrat annulé est fragile (idem est non esse aut non probari, c’est la même chose de n’être pas que de ne pas être prouvé). Toutefois en présence d’un commencement de preuve par écrit ou en cas d’impossibilité morale ou matérielle d’avoir pu établir ou de produire un écrit, la preuve de l’acte est libre et il peut être prouvé par tout moyen (notamment par témoins).

B - Les règles d’opposabilité

134 Principe : seuls sont opposables aux tiers les contrats portés à leur connaissance. En principe, les contrats ne sont opposables aux tiers qu’à la condition que ceux-ci en aient connaissance (C. civ., art 1200, implic.). Or cette preuve peut être difficile à rapporter alors qu'il est crucial de pouvoir opposer son contrat aux tiers. C'est le cas notamment d'une clause de non-concurrence imposée à un salarié, que l'ancien employeur voudrait opposer au nouveau.

135 Cas particulier : certains contrats sont opposables aux tiers dès qu’ils ont été publiés, peu important qu’ils en aient eu effectivement connaissance. Le législateur a prévu que certains contrats, dès lors qu’ils étaient publiés, étaient opposables aux tiers qui étaient réputés les connaître, indépendamment de leur connaissance réelle. C’est le cas des actes portant mutation de droits immobiliers595, des sûretés réelles596, des actes portant transmission ou modification de droits attachés à un brevet597 et marques598, etc.

Tantôt, cette publicité est la seule voie de l’opposabilité : en son absence, peu important la connaissance effective par les tiers de l’acte puisque l’acte ne leur sera jamais opposable. Tantôt, cette publicité est une voie de l’opposabilité qui s’ajoute à celle de droit commun qui suppose la connaissance effective des tiers : en son absence, le contrat sera opposable aux tiers qui en ont eu effectivement connaissance. S’agissant de l’opposabilité des droits réels immobiliers, c’est aujourd’hui ce second parti qui est en général retenu. Révélateur, l’article 1198 alinéa 2 dispose que « [l]orsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi » (nous soulignons). Autrement dit, le droit du premier acquéreur, même non publié, peut être opposé au second, dès lors que ce dernier en avait connaissance. Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l'Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière599 abroge en effet l’article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.).

On reviendra sur ces règles dans le chapitre 9 consacré aux effets du contrat à l’égard des tiers600.

Chapitre 3 - La qualité des consentements

Plan

136 Localisation. La qualité des consentements fait l’objet de la première sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II consacré à « La formation du contrat ».

137 Première des conditions de fond posées à l’article 1128. Pour qu’un contrat se forme, il doit y avoir eu rencontre des consentements, processus que nous avons décrit dans le chapitre 2601.

Pour qu’un contrat se forme valablement , des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent en outre être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »602. Dans le cadre de ce chapitre, c’est la première condition qui nous intéresse, et plus précisément l’intégrité du consentement, l’existence du consentement étant une condition d’existence même du contrat, envisagée dans le précédent chapitre comme il vient d’être rappelé. Quant à la deuxième et à la troisième conditions, elles feront l’objet respectivement des chapitres 4603 et 5 604.

138 Plan. S’agissant de l’intégrité du consentement, la condition se dédouble : le consentement doit être, d’une part, réel (section 1), et, d’autre part, intègre (section 2).

Section 1 - La réalité du consentement

139 Facultés cognitives . Comme le rappelle le Code civil dans ses dispositions relatives au contrat, « [c]onformément à l'article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat » (C. civ., art 1129. De fait, l'article 414-1 C. civ. pose exactement la même exigence. Et l'on retrouve (encore !) celle-ci au sujet des donations par l'article 901 C. civ. 605. L’idée générale est que le consentement d’une personne qui n’a pas la faculté naturelle de comprendre ce à quoi elle s’engage n’est pas réel et est donc sans portée.

Tel est le cas de la personne atteinte d’un trouble mental, par exemple de la maladie d’Alzheimer, ou de toute autre maladie affectant ses facultés cognitives606. L’intérêt de cette disposition se manifeste essentiellement lorsque la personne atteinte d’un trouble ne fait pas l’objet d’une mesure de protection. En revanche, lorsque tel est le cas, des règles spéciales607 prennent le relais du dispositif de droit commun.

Les articles 414-1 et 1129 peuvent également être invoqués par celui qui, en dehors de toute maladie, n’était pas doté de discernement au moment de l’acte, par exemple parce qu’il était sous l’emprise de l’alcool ou, dans certaines circonstances, d’une « grande fatigue »608. Elles peuvent l’être également, par analogie, par ceux qui ne peuvent réellement consentir à un acte en le signant – la personne illettrée et celle qui ne maîtrise pas la langue du contrat609 – et par ceux qui n’en comprennent pas la portée610...

D’un point de vue probatoire, l’article 414-1 précise que c’est à celui qui agit « en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ». La jurisprudence interprète cette disposition avec pragmatisme : lorsqu’une personne est habituellement en état de dégradation mentale, elle est présumée l’être au moment de la conclusion de l’acte, sauf preuve contraire que le contrat a été conclu au cours d’un intervalle de lucidité611.

140 Sanction : nullité . Le Code civil pourrait laisser entendre que dans un tel cas le consentement n'existerait pas, l'article 1129 figurant dans un paragraphe intitulé « L'existence du consentement ». Partant, c'est le contrat lui-même qui n'existerait pas, en sorte que celui-ci ne se serait pas même formé. Autrement dit, il ne serait pas nécessaire d'agir en nullité pour le détruire puisque celui-ci est dépourvu d'existence. Il reste que l'article 414-1 C. civ. prévoit expressément le contraire : le contrat existe mais il est annulable.

Parce qu’il s’agit d’une nullité relative612, l’action n’appartient qu’à l’intéressé de son vivant (C. civ., art. 414-2 al. 1). À sa mort, il faut distinguer. Si la nullité des donations et testaments peut être invoquée par les héritiers sans restriction613, la nullité des autres actes pour insanité d’esprit ne peut l’être que dans trois cas : « l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental », « il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice », « une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future » (C. civ., art. 414-2 al. 2 s.). Cette disposition, qui limite les cas de recours en annulation, ne porte pas atteinte, d’après le Conseil constitutionnel614 , au droit à un recours effectif garanti par la Constitution (DDHC, art. 16) dès lors que « le législateur a entendu assurer un équilibre entre, d'une part, les intérêts des héritiers et, d'autre part, la sécurité des actes conclus par le défunt et en particulier des transactions », qu'il a entendu, « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, éviter les difficultés liées à l'administration de la preuve de l'état mental d'une personne décédée » 615, et que « ces dispositions ne font pas obstacle à l’exercice, par les héritiers, des actions en nullité qui seraient fondées sur les règles du droit commun des contrats [violences, fraudes ou abus de faiblesse] »616.

Section 2 - L’intégrité du consentement

141 Consentement libre et éclairé. Un consentement est intègre lorsqu’il remplit deux conditions.

En premier lieu, le consentement est éclairé, ce qui suppose que son auteur se soit fait une exacte représentation des circonstances de fait et de droit avant de consentir. Tel n’est pas le cas s’il a commis une erreur. On distingue deux types d’erreurs : l’erreur commise spontanément par l’errans et l’erreur provoquée intentionnellement par autrui. On parle tout simplement d’erreur dans le premier cas et de dol dans le second.

En second lieu, le consentement est libre, en ce que son auteur n’a pas été illégitimement contraint de consentir. S’il a été, il y a eu violence.

142 Plan. Lorsque le consentement n’est pas éclairé ou libre, lorsqu’il a été donné à la suite d’une erreur, d’un dol ou d’une violence, il est vicié. Les vices du consentement font l’objet de règles propres (§ II) et de règles communes (§ III).

Point sensible : du consentement de la personne morale617 La personnalité morale, quelle que soit l’analyse que l’on en fasse, est une construction juridique anthropomorphiste. Ainsi, quoique les personnes morales contractent, nul ne prétend qu’elles consentent par elles-mêmes. Alors que le consentement des personnes physiques est une réalité, le consentement des personnes morales est une fiction. Cela étant, comment appréhender le consentement des personnes morales, et notamment son intégrité ? Le point de départ de toute réflexion réside dans le fait que le consentement de la personne morale est le résultat d’une décision prise par tel organe compétent de la personne morale (ex. le dirigeant) au nom et pour le compte de la personne morale. Au-delà, se pose « la question de la pertinence d’une théorie dont le but est de protéger l’intelligence de la volition humaine, la volonté de la personne morale présentant la singularité d’être, non pas une volonté psychologique, mais une volonté purement formelle, une volonté juridique, une volonté abstraite »618. C’est ce qui peut expliquer que certains619 mécanismes protecteurs du consentement soient réservés aux personnes physiques620... sans pour autant que cela soit toujours justifié, dès lors que derrière le masque de la personne morale, on trouve bien des personnes physiques. La jurisprudence reconnaît aux personnes morales la faculté d’invoquer un vice du consentement, aux conditions du droit commun621. Et c’est bien dans le consentement des personnes habiles à engager la personne morale et elles seules622 que les vices s’apprécieront. C’est ainsi qu’à un moyen qui faisait valoir que le vice de violence ne peut concerner que « la violence exercée sur une personne physique », la Cour de cassation répondit que « le consentement d'une société est exprimé par ses représentants légaux, personnes physiques vis-à-vis desquelles la violence peut avoir effet »623.

§ I - Les règles communes à tous les vices du consentement

143 Deux règles communes. Il existe deux règles communes à tous les vices du consentement, qui tiennent au caractère déterminant du vice et à la nature de la nullité encourue, qui est relative.

144 Caractère déterminant du vice . L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement « lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes » (C. civ., art 1130. C'est donc à une « recherche (...) au conditionnel passé » 624 qu’il faut se livrer : qu’aurait fait tel contractant s’il ne s’était pas mépris, s’il n’avait pas été trompé ou s’il n’avait pas subi de contrainte ?

En premier lieu, le vice du consentement doit avoir été déterminant du consentement de celui qui s’en plaint. Alors que ce caractère déterminant du vice devrait être apprécié cas par cas, comment comprendre que l’article  1130 C. civ. précise que le caractère déterminant s’apprécie « eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné » ? En effet, qu’apporte une telle précision s’il s’agit seulement de vérifier le caractère ou non déterminant du vice ? On pourrait peut-être comprendre cette disposition comme objectivant dans une certaine mesure une notion par essence subjective. Mais parce que l’appréciation du vice doit toujours se faire in concreto – il ne s’agit jamais que d’apprécier dans un cas particulier l’intégrité d’une volonté –, la disposition pourrait avoir une visée d’ordre probatoire : de fait, plus le vice est, au vu des faits, généralement considéré comme déterminant, plus le juge sera enclin à le reconnaître. Et inversement.

En deuxième lieu, lorsque la partie dont le consentement a été vicié aurait contracté à des conditions différentes, mais qui ne le sont pas substantiellement, le vice ne peut être considéré comme déterminant au sens de la loi. La victime ne pourra donc obtenir l’annulation du contrat. Mais parce que tout préjudice doit être réparé, elle devrait pouvoir obtenir l’indemnisation du préjudice subi. Par où l’on voit une consécration en creux et dans une certaine mesure625, de la théorie du vice du consentement incident, au-delà de celle du dol incident626. En fin de compte, le vice du consentement incident constituera demain dans certains cas un moyen indirect, mais probable, de rééquilibrage du contrat par l’octroi de dommages-intérêts.

En troisième lieu, les juges considèrent parfois qu’en cas de réticence dolosive, la dissimulation – qu’on présuppose intentionnelle – d’une information présumerait en quelque sorte le caractère déterminant de celle-ci et donc de l’erreur qui en est découlée627. Tout est certes affaire de circonstances, mais il convient de prendre garde à ne pas déduire mécaniquement de la dissimulation le caractère déterminant de l’erreur.

146 Nullité relative. Les vices du consentement sont une cause de « nullité relative du contrat » (C. civ., art 1131 645). Ainsi, seule la personne dont le consentement a été vicié peut agir en nullité, ainsi que ses ayants cause universels646. En effet, c’est elle que la loi protège, non son cocontractant. Quant au point de départ de la prescription de l’action, dans le sillage de l’article 2224 C. civ.647, l’article 1144 C. civ. prévoit que le délai « ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé »648. Le point de départ est donc flottant, mais par application du droit commun de la prescription, l’action ne pourra être engagée plus de vingt ans après la conclusion du contrat (art. 2232649).

Point sensible : de l’articulation de l’action en nullité et de l’action en responsabilité en cas de méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information L’action en nullité doit être articulée avec une action en responsabilité, chaque fois que le vice du consentement a été causé par une faute du cocontractant, que celui-ci ait commis une violence, un dol, ou même qu’il ait causé non intentionnellement une erreur en n’exécutant pas une obligation d’information précontractuelle dont il ignorait qu’elle lui incombait. C’est en cas de méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information que l’on rencontre les difficultés les plus importantes. Elles se posent dans deux hypothèses, lorsque seule l’action en responsabilité est exercée, ou lorsqu’elle l’est en même temps qu’une action en nullité628. À cet égard, l’état du droit est très incertain, notamment en ce que certaines décisions fixent l’indemnisation en considération de l’annulation ou non du contrat, d’autres non. En tout état de cause, c’est toujours de perte de perte de chance dont il est question et non d’indemnisation égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée629. S’il y a donc bien des décisions (I), le « droit de l’évaluation » reste à construire (II). I. Les décisions Deux hypothèses doivent être distinguées. Première hypothèse : seule l’action en responsabilité est exercée. Lorsque seule une action en responsabilité est exercée par la victime, la Cour de cassation n’a pas fixé de cap certain. Plusieurs arrêts énoncent que lorsque la victime a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable « correspond uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses ». Mais attention, car si certains de ces arrêts utilisent cette formule pour exclure l’indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter630, d’autres le font pour exclure d’autres types de préjudice, sans se prononcer clairement sur le refus de l’indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter631, d’autres encore se prononçant sur des demandes mêlant tous ces préjudices632. D’autres arrêts énoncent que lorsque la victime a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable « correspon[d] uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ou de ne pas contracter », pour exclure l’indemnisation des pertes subies et du gain manqué révélés par les résultats comptables633. D’autres arrêts encore énoncent que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est « constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies », pour exclure notamment l’indemnisation des pertes subies et du coût de la procédure collective, sans distinguer suivant que la victime agit ou non par ailleurs en nullité634. Peu de certitudes donc, sauf l’exclusion de l’indemnisation du gain manqué et des pertes subies, au moins dans leur totalité. En admettant que la victime puisse être indemnisée de la perte de chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, la Cour de cassation reconnaît bien que la victime a perdu une chance de ne pas avoir conclu le contrat tel qu’il a été conclu. Dès lors, il serait critiquable d’exclure par principe l’indemnisation de la perte de chance de ne pas avoir contracté du tout, et le cas échéant d’avoir contracté avec un tiers. D’ailleurs, la Cour de cassation elle-même semble parfois ne pas faire différence entre tous ces préjudices. Ainsi a-t-elle considéré dans un arrêt récent, au sujet d’une action en responsabilité intentée par des acquéreurs d’un bien revendu entre-temps, que les juges du fond en évaluant « souverainement le préjudice à un pourcentage appliqué à la perte de valeur de ce bien à la revente, [avaient] indemnisé une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses »635. Seconde hypothèse : lorsque tant une action en responsabilité qu’en nullité est exercée par la victime, on peut considérer, par une interprétation a pari ou a contrario des arrêts précédemment cités, que la victime pourra être indemnisée de la perte de chance de ne pas avoir contracté et donc de ne pas avoir pu contracter avec un tiers, mais aussi des dépenses636 voire des pertes637 subies en raison de la conclusion du contrat. II. Un « droit de l’évaluation » à construire638 Observation liminaire sur le rôle des plaideurs et l’importance des notions de comptabilité. Parce que les juges se prononcent au vu des demandes et des arguments des plaideurs, ceux-ci jouent un rôle crucial dans l’élaboration du droit. Cela vaut tout particulièrement s’agissant de l’évaluation du préjudice, au vu du constat fait ci-dessus. On prendra ainsi garde à distinguer les pertes comptables des dépenses et, parmi celles-ci les dépenses d’investissement (amortissables ou non, utiles ou non, même après l’expiration du contrat), des charges d’exploitation. On gardera également à l’esprit qu’une société qui fait des pertes (notamment lors de ses premiers exercices) peut avoir une valeur économique. Critère pertinent : existence d’une erreur déterminante ? Il n’est pas pertinent de distinguer suivant que seule une action en dommages-intérêts est exercée ou qu’elle l’est en même temps qu’une action en nullité : en effet, ce n’est pas parce qu’un contrat n’aurait pas été conclu que la victime en demandera la nullité (dont les conséquences pourraient être trop compliquées : ne pas agir est plus simple qu’effacer ses agissements...)639. Seule importe la question de savoir si la victime établit que la méconnaissance de l’obligation d’information a provoqué chez elle une erreur (erreur simple ou consécutive à un dol) déterminante, qu’elle n’aurait pas conclu le contrat (ou qu’elle aurait conclu à des conditions substantiellement différentes). En revanche, en toute hypothèse, la victime ne peut demander à être placée dans la situation qu’elle pouvait espérer au vu de l’information qui lui a été délivrée : l’objet de la responsabilité n’est pas d’indemniser celui dont les expectatives ont été déçues à hauteur de celles-ci, mais de le replacer dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n’avait pas été commise (retour au statu quo ante)640. Première hypothèse : la victime établit qu’elle a été trompée par une erreur déterminante. Il est ici établi que la victime n’aurait pas contracté (ou l’aurait fait à des conditions substantiellement différentes) si elle avait été correctement informée. Dès lors qu’il est acquis que la victime n’aurait pas contracté au jour de la conclusion du contrat, peu importe, au jour où elle agit, qu’elle fasse le choix de ne pas demander l’annulation du contrat et d’agir seulement en responsabilité. Au cas où le contrat serait annulé, la victime devra autant que faire se peut être replacée dans la situation qui aurait été la sienne si elle n’avait pas conclu le contrat. En raison de l’annulation du contrat, on procédera aux restitutions641. En raison de la mise en œuvre de la responsabilité, on indemnisera la victime, conformément au droit commun de la responsabilité civile : de la perte subie (au vu du résultat d’exploitation, mais en tenant compte de la valeur de l’entreprise, le cas échéant), mais aussi du gain manqué ou, plus exactement, l’analyse contrefactuelle étant toujours incertaine, de la « perte de chance » d’avoir réalisé un tel gain en concluant un contrat plus avantageux avec un tiers ou avec le cocontractant. Au cas où le contrat ne serait pas annulé parce que l’annulation n’en a pas été demandée (les conditions d’annulation étant par ailleurs remplies), là encore, la victime devra autant que faire se peut être replacée dans la situation qui aurait été la sienne si elle n’avait pas conclu le contrat. On l’indemnisera comme précédemment, sous réserve de quelques aménagements pour tenir compte, le cas échéant, de la poursuite du contrat entre les parties. Seconde hypothèse : la victime n’établit pas qu’elle a été trompée par une erreur déterminante. Il n’est pas acquis qu’elle n’aurait pas contracté, mais elle a pu perdre une chance de ne pas contracter. On voit bien que ce qui distingue cette hypothèse de la précédente, c’est l’incertitude qui tient à ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu de manquement à l’obligation précontractuelle d’information. Dès lors, le contrat étant maintenu par hypothèse, si l’on décide d’indemniser la victime nonobstant l’absence de preuve du caractère déterminant de l’erreur, l’indemnisation sera calculée sur la base de l’indemnisation de la victime qui établit le caractère déterminant de son erreur mais fait le choix de n’agir qu’en responsabilité, la perte de chance étant affectée d’un coefficient d’incertitude642 pour tenir compte de l’absence de preuve du caractère déterminant de l’erreur. Bien entendu, le cocontractant peut toujours démontrer que l’erreur n’était pas déterminante pour échapper à l’indemnisation d’un tel préjudice. En toute hypothèse, la Cour de cassation ne subordonne pas l’indemnisation du préjudice résultant d’un manquement à une obligation d’information à la certitude que la victime n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes643. Par ailleurs, le juge ne peut refuser d’indemniser une perte de chance dont il constate l’existence en se fondant sur le fait que c’est la réparation de de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée644.

§ II - Les règles propres à chaque vice du consentement

146 Plan. Distinguons les règles propres à l’erreur (A), au dol (B) et la violence (C).

A - L’erreur

147 Plan. L’erreur consiste en une fausse représentation des circonstances sur laquelle s’est fondée une personne pour consentir à un contrat : l’errans s’est trompé sur un motif l’ayant conduit à contracter. Le Code civil invite à distinguer l’erreur sur un motif intrinsèque (sur les « qualités essentielles », C. civ., art 1132( 1 de l’erreur sur un motif extrinsèque (un « simple motif », C. civ., art 1135( 2.

Aménagements conventionnels Dans le langage juridique, il est important de distinguer ce qu’est un « motif » d’une « condition ». Le terme « condition » est employé dans la pratique contractuelle en vue de renvoyer, selon les cas, à des concepts très différents : on l’emploie d’abord, à travers l’expression « conditions du contrat », pour désigner n’importe quelle « clause » du contrat ; on l’emploie ensuite pour désigner les circonstances dans lesquelles une personne a émis son consentement, c’est-à-dire les « motifs » (représentations d’un état préexistant) qui peuvent être le terreau d’une erreur ; on l’emploie enfin, et cette fois à juste titre, pour désigner la modalité de l’obligation, c’est-à-dire la véritable « condition » (événement futur et incertain), suspensive ou résolutoire650.

1 - L’erreur sur un motif intrinsèque

148 Plan. Envisageons l’objet (a) puis les caractères (b) de l’erreur.

a - L’objet de l’erreur

149 Plan. D’après l’article 1132, l’erreur, qui peut être de fait ou de droit, porte sur les « qualités » de la prestation (α) ou du cocontractant (β

c. - L’erreur sur les qualités de la prestation

150 Prestation de l’un ou de l’autre. L’erreur est une cause de nullité lorsqu’elle porte sur les « qualités de la prestation » (C. civ., art 1132, étant précisé qu'il peut s'agir de la « prestation de l’une ou de l’autre partie » (C. civ., art 1133 al. 2). Dans le sillage d'un arrêt Poussin651, l’erreur peut donc être invoquée par celui qui s’est mépris sur sa propre prestation.

151 « Qualités de la prestation » : substance ou autres qualités de la prestation. En posant que l’erreur, pour être source de nullité, doive porter sur les « qualités de la prestation », la loi exige qu’elle porte sur la substance même de la prestation sou sur d’autres qualités.

Cela étant, l’erreur peut être de fait ou de droit.

En premier lieu, s’agissant de l’erreur de fait, celle qui suppose une fausse représentation de circonstances de fait, elle peut en premier lieu porter sur la substance. Ainsi l’erreur peut concerner la substance de la voiture vendue – son kilométrage, par exemple. De même elle peut porter sur la substance du travail promis par un plombier – l’étendue des travaux promis. Mais l’erreur peut porter sur d’autres qualités de la prestation. Suivant un exemple fameux emprunté à Pothier, « [s]i, voulant acheter une paire de chandeliers d’argent, j’achète de vous une paire de chandeliers que vous me présentez à vendre, que je prends pour des chandeliers d’argent, quoiqu’ils ne soient que de cuivre argenté ; quand même vous n’auriez eu aucun dessein de me tromper (...), la convention sera nulle, parce que l’erreur dans laquelle j’ai été détruit mon consentement »652, mais il y aura également erreur si j’achète des chandeliers que je croyais avoir appartenu à Napoléon, alors que tel n’est pas le cas.

Comment appliquer le principe suivant lequel l'erreur est une cause de nullité quand elle « porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie » (C. civ., art 1133 al. 2), lorsque l'erreur porte sur des droits sociaux cédés ? Dans les faits, il n'est pas rare que le cessionnaire 653 se plaigne à la suite d'une méprise sur les actifs ou le passif de la société et que donc les droits sociaux acquis valent moins que ce qu'il pensait : s'agit-il d'une erreur sur les « qualités essentielles de la prestation », cause de nullité, ou simple « erreur sur la valeur », indifférente ? La jurisprudence considère que l'erreur ne porte sur les qualités essentielles de la prestation que si la société ne peut « poursuivre l'activité économique constituant son objet social »654 ; à défaut c'est une erreur sur la valeur655. Cette impossibilité pour la société de poursuivre son activité peut, comme on l'a vu, résulter de l'absence d'actifs essentiels à l'activité656, ou d'un important passif dissimulé657.

En second lieu, s’agissant de l’erreur de droit, celle qui suppose une fausse représentation de l’état du droit658, les choses sont plus complexes. Commençons par observer qu’elle porte sur la substance même de la prestation lorsqu’elle porte sur l’existence ou la nature des droits qui font le contenu du contrat659, alors qu’elle sera considérée comme une erreur sur les motifs extrinsèques, lorsqu’elle porte sur d’autres motifs (la Cour de cassation utilise alors souvent l’expression ambiguë d’erreur sur « les conséquences juridiques » d’un acte)660.

Pour bien comprendre dans quel cas un contrat peut être annulé pour erreur de droit, il faut garder à l’esprit l’adage suivant lequel nul n’est censé ignorer la loi. En vertu de cet adage – dont la lettre embrasse trop –, nul ne peut se prévaloir de l’ignorance de la loi pour échapper à son application. Mais l’adage n’interdit pas à celui s’est engagé de se prévaloir de l’ignorance qu’il avait de la loi au moment où il s’est engagé, si c’est pour échapper à son engagement (un contrat ou une offre).

Point sensible : de l’erreur sur la nature du contrat Il arrive qu’une partie à un contrat soutienne s’être méprise sur la nature du contrat qu’elle a conclu, le plus souvent après qu’une décision de justice s’est prononcée à ce sujet. Dans certains cas, le juge aura retenu une autre qualification que celle qui le fut par les parties (auquel cas l’erreur aura été commise par les deux parties)661 alors que dans d’autres il aura retenu une qualification alors qu’aucune ne le fut par les parties (auquel cas l’erreur n’aura pas été nécessairement commise par toutes les parties). Dès lors que la qualification a une influence sur le contenu du contrat, ce qui sera souvent le cas, il est permis d’y voir une erreur sur la substance du contrat (voire une erreur-obstacle662)663. Mais encore faut-il, comme pour toute erreur, que celle-ci ait été déterminante du consentement de l’errans664 et excusable665.

d. - L’erreur sur les qualités du cocontractant

152 Intuitus personae ? L’erreur est une cause de nullité lorsqu’elle porte sur les qualités du cocontractant, telle son identité, mais pas seulement. Ainsi, celui qui donne un bien à une personne qu’elle croit être son fils peut en demander la nullité si celle-ci s’avère ne pas l’être, de même que la personne qui contracte avec un professionnel dans la conviction erronée qu’il a les diplômes et les qualifications requises. La Cour de cassation a également considéré que celui qui cautionne une dette dans l’ignorance de ce que le débiteur principal était frappé de l’interdiction d’exercer une activité commerciale peut demander la nullité du cautionnement666 (c’est un cas particulier, puisque le débiteur est tiers au contrat de cautionnement).

Deux cas particuliers suscitent un certain contentieux.

Le premier cas est celui de l’erreur dans les « compétences »667 de son contractant. La jurisprudence y voit le plus souvent une erreur inexcusable668 ou non déterminante669. Mais il arrive également qu’elle soit retenue, au titre de l’erreur sur la personne670. La casuistique règne, et les directives manquent. À la réflexion, admettre une telle erreur reviendrait à brouiller la frontière entre ce qui relève de la formation et de l’exécution du contrat. De fait, chaque fois que l’exécution du contrat n’aura pas été satisfaisante pour l’une des parties, celle-ci pourrait obtenir l’annulation du contrat pour erreur, délaissant ce faisant le terrain naturel des sanctions de l’inexécution du contrat. La prendre en considération par principe est un moyen trop commode d’anéantir un contrat mal exécuté : contracter, et notamment choisir son cocontractant, comporte toujours des risques. Admettre l’erreur dans les compétences du contractant n’est-ce pas permettre d’une certaine manière l’erreur sur le fait que le contrat allait bien être exécuté, ce qui, en droit, n’a pas de sens ?

Le second cas est celui de l’erreur sur la solvabilité du débiteur. La jurisprudence admet dans certains cas qu’une telle erreur soit une cause d’annulation du contrat. C’est le cas en matière de cautionnement, encore qu’il faille immédiatement préciser que le débiteur n’est pas le cocontractant de la caution (c’est le créancier qui contracte avec la caution), mais un tiers (un peu particulier, il est vrai)671. En réalité, les difficultés consistent ici, plus qu’ailleurs encore, à distinguer ce qui relève des qualités du débiteur et ce qui relève des « simples motifs », pour parler comme la loi, les conditions d’annulation étant plus strictes dans ce second cas672.

Aménagements conventionnels Il n’est pas rare qu’un contrat indique qu’il est conclu (ou non) intuitu personae. La formule est aussi répandue qu’imprécise puisqu’elle revient à dire que le contrat est conclu en considération de la personne. Mais, précisément, le contrat est-il conclu en considération de l’identité et/ou de telle(s) autre(s) qualité(s) de la personne ? Si le contrat est conclu avec une personne morale, l’est-il en considération de la personne morale elle-même et/ou de tel(s) dirigeant(s) ou associé(s) ? On a déjà rencontré cette question673 et on la retrouvera à l’occasion de l’étude de la caducité674 et de la cession de contrat675.

Droit spécial : de l’erreur en mariage À l’origine, l’ancien article  180 C. civ., relatif à la nullité du mariage, qui visait « l’erreur dans la personne », ne renvoyait, d’après la jurisprudence, qu’à « l’erreur qui porte sur l’identité de la personne et par le résultat de laquelle l’une des parties a épousé une personne autre que celle à qui elle croyait s’unir »676. Mais par une loi du 11 juillet 1975, le législateur a modifié la disposition en prévoyant que la nullité du mariage peut être demandée « [s]'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne ».

b - Les caractères de l’erreur

153 Deux caractères. Pour que l’erreur soit une cause d’annulation du contrat, elle doit présenter deux caractères : porter sur les qualités essentielles et être excusable.

154 Qualités essentielles entendues subjectivement. L’erreur doit porter sur les « qualités essentielles » (C. civ., art 1132. Or, d'après l'article 1133 C. civ., il s'agit des qualités « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». Ce sont donc deux conditions subjectives et cumulatives (« et ») qui sont requises pour qu’une qualité soit considérée comme essentielle.

En premier lieu, il s’agit des qualités « en considération desquelles les parties ont contracté ». Si l’on veut distinguer cette première condition de la seconde, il faut comprendre que la qualité doit avoir été déterminante pour l’errans. Il s’agirait donc d’une application de l’exigence générale formulée à l’article  1130 C. civ.677. Elle s’apprécie bien évidemment in concreto678. Au-delà, le texte doit être interprété utilement : il ne saurait exiger que les deux parties à un même contrat aient contracté toutes deux en considération de telle qualité, mais seulement que le demandeur en nullité l’ait fait.

En second lieu, les qualités doivent avoir été « expressément ou tacitement convenues ». Cette exigence est fondamentale en vue d’assurer la sécurité des transactions : la circonstance que telle qualité était déterminante pour l’errans doit avoir été expressément ou tacitement convenue avec le cocontractant. Aussi, la simple connaissance par le cocontractant de l’errans du caractère déterminant pour lui de telle qualité paraît insuffisante pour emporter la nullité du contrat679. Toutefois, en présence d’un acte à titre gratuit et par une interprétation a fortiori de l’article 1135680, peu importe que l’erreur revête ce caractère en présence d’une libéralité et, par analogie peut-être, de tout acte à titre gratuit681.

En tout état de cause, lorsque les parties sont convenues que le contrat présentait, s’agissant de telle qualité de la prestation, un caractère aléatoire , l'erreur ne saurait être par la suite invoquée si cette qualité fait défaut. C'est ce qu'exprime l'article 1133 al. 3 C. civ. : « L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité » 682. Il faut toutefois réserver le cas de l’erreur qui porterait sur les éléments d’appréciation de l’aléa683.

155 Excusable . L'erreur doit être « excusable » (C. civ., art 1132. Si l'erreur était facilement décelable, ou si elle n'a pu être décelée à la suite d'une faute commise par l' errans, elle sera considérée comme inexcusable : De non vigilantibus non curat praetor684. En s’en tenant à la jurisprudence antérieure, le caractère excusable ou non de l’erreur sera apprécié in concreto, en considération de la nature du contrat envisagé, de la nature de la chose ou du travail sur lequel il porte, de la qualité des parties. Le contentieux porte le plus souvent685 sur l’acquisition d’œuvres d’art686, le recrutement de personnel687.

Le cas particulier de l’erreur sur la valeur d’une chose ou d’une prestation suscite d’importantes difficultés. Chacun devant s’assurer de la valeur des choses ou des prestations qu’il fournit ou reçoit, l’article 1136 prévoit que l’erreur sur la valeur « par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-­ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité »688. De fait, prendre en compte l’erreur sur la valeur conduirait le plus souvent à sanctionner la lésion, laquelle ne l’est en principe pas en droit français689. Bien entendu, si l’erreur sur la valeur prend sa source dans une erreur sur les qualités de la prestation, le contrat pourra être annulé (par exemple, des chandeliers en cuivre ont été payés au-delà de leur valeur, l’acheteur les ayant cru lors de l’acquisition être en argent). Il en va de même chaque fois que l’erreur trouvera sa source dans des éléments de valorisation erronés690. Si l’idée qui sous-tend une telle règle est que chacun doit s’assurer de la valeur de ce qu’il reçoit ou procure à l’autre – son erreur est dans une certaine mesure inexcusable –, la frontière est parfois ténue avec l’erreur sur la substance, à la lecture de certains arrêts691. L’erreur sur la valeur doit être distinguée de l’erreur sur l’unité monétaire et de l’erreur d’« affichage ». En cas d’erreur sur l’unité monétaire (ex. le vendeur avait entendu vendre son bien en nouveaux francs alors que l’acheteur comptait l’acheter en anciens francs), la jurisprudence considère, on le verra692, tantôt que le contrat n’est pas formé en ce qu’il y a eu une erreur-obstacle, tantôt que le contrat n’est pas valable en ce qu’une erreur sur la substance de la prestation (l’unité monétaire) a été commise. En cas d’erreur d’« affichage » (ex. le vendeur a affiché un prix de vente inférieur au prix souhaité, à la suite d’une erreur matérielle), la jurisprudence considère tantôt que l’on est en présence d’une erreur qui n’est pas cause de nullité693, tantôt que le contrat ne s’est pas formé694.

L’erreur sur la valeur doit être mise en perspective avec l’erreur sur la rentabilité d’un bien ou d’une prestation. Est-il possible d’obtenir la nullité d’un contrat conclu dans l’expectative de réaliser un certain résultat comptable, lorsqu’un tel résultat n’a pas été atteint ? Par exemple, un industriel acquiert une machine pensant que son chiffre d’affaires s’en trouvera amélioré ou encore un commerçant conclut un contrat de franchise avec un franchiseur dans le même espoir ; or ni la machine ni la franchise ne permettent de dégager le chiffre d’affaires escompté695. Traditionnellement, la Cour de cassation considérait que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement »696. Mais, depuis quelques années, elle admet que peut donner lieu à l’annulation du contrat une erreur commise par un franchisé sur la rentabilité de l’activité « portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante »697. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’« erreur sur la rentabilité », étant entendu qu’il est ici question de rentabilité économique et non de rentabilité technique698. La Cour de cassation a par ailleurs précisé que « [l]'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur »699. Dès lors que la Cour de cassation ne retient de sanction que lorsque l’« erreur » prend sa source dans des comptes prévisionnels fantaisistes établis par le franchiseur de manière fautive, c’est naturellement sur le terrain de la responsabilité que les difficultés devraient être tranchées700. Et non sur celui de l’« erreur sur la rentabilité » qui n’est pas une erreur au sens de la théorie des vices du consentement, et qui est en tout état de cause un instrument inadapté pour trancher les difficultés qu’elle entend résoudre.

Primo, alors que toute erreur est en théorie susceptible être caractérisée dès la conclusion du contrat, l’erreur sur la rentabilité n’est a priori susceptible de l’être qu’après la conclusion du contrat, souvent longtemps après Dans les décisions rapportées, il a ainsi fallu attendre la clôture des comptes envisagés par les prévisionnels pour déterminer si erreur il y avait eu. Certes, certains diront que l’erreur pouvait être caractérisée lors de la conclusion du contrat, par une expertise sérieuse des comptes prévisionnels établis. Mais un juge sera-t-il vraiment enclin à annuler un contrat avant même la fin de l’exercice comptable (ou de plusieurs exercices comptables), au prétexte que les chiffres escomptés lui apparaissent « irréalisables » ? Secundo , seule l'erreur « sur les qualités essentielles de la prestation due » (C. civ., art 1132 constitue un vice du consentement. Or le franchisé qui s'est mépris sur les chiffres qu'il allait réaliser ne s'est pas mépris sur les prestations qui font le contenu du contrat. Le franchisé ne s'est pas mépris sur ce que le franchiseur lui a procuré (savoir-faire, signes de ralliement de la clientèle et assistance, etc.) ou ce qu'il lui a procuré (droit d'entrée, redevances, etc.). Ce n'est donc qu'au prix de contorsions contre-nature que l'on intègre les résultats prévisionnels du franchisé aux prestations réciproquement procurées au titre du contrat de franchise 701... Le rattachement de l’erreur sur la rentabilité à l’erreur sur la substance ou les qualités essentielles en matière de franchise n’est permis que si l’on admet qu’une erreur puisse porter sur une prédiction, en particulier une prédiction comptable. Ceci implique nécessairement une extension du domaine de l’erreur, traditionnellement cantonné aux fausses représentations d’un état de fait ou de droit contemporain à la conclusion du contrat, et qui engloberait alors les fausses prévisions d’un état à venir702. Si la tentation d’une telle extension peut se comprendre dans la mesure où représentations et prévisions sont les moteurs d’un consentement, il n’en demeure pas moins que toute assimilation doit être, technique juridique oblige, rejetée. C’est pourtant bien à une telle assimilation que procède la jurisprudence en reconnaissance l’« erreur sur la rentabilité », l’erreur sur l’avenir. Sortie de son lit, la notion d’erreur s’en trouve ainsi déformée et les hypothèses, dans lesquelles l’erreur sur la rentabilité sera retenue, imprévisibles. Tertio, depuis la seconde décision rapportée703, il est acquis que l’erreur sur la rentabilité ne pourra être invoquée par le franchisé que si elle prend racine dans les déclarations du franchiseur, son cocontractant. Or c’est là une condition que l’on ne retrouve pas s’agissant des autres erreurs et qui ne peut d’ailleurs qu’entretenir une confusion avec le dol, encore que, c’est important, la Cour de cassation n’exige pas que les déclarations du franchiseur fussent être intentionnellement mensongères. Certes, pour celui qui pense que la difficulté doit être résolue sur le terrain de la responsabilité, cette décision est la bienvenue. De fait, si le franchisé avait pu invoquer une erreur en se fondant sur les prévisionnels par lui établis, le franchiseur serait associé à son insu ou contre son gré à la mauvaise fortune de l’entreprise du franchisé. Comment s’en satisfaire ?! Il reste que l’exigence posée par cette décision révèle une fois de plus que l’erreur sur la rentabilité n’est pas une erreur comme les autres, puisqu’elle obéit désormais à un régime ad hoc. Quarto, la logique du vice du consentement est celle du tout ou rien, de l’existence ou de l’absence de vice et donc du maintien ou de la destruction du contrat. Or, d’une part, le succès ou l’insuccès d’une franchise est plus ou moins important, et il n’est pas rare d’ailleurs aujourd’hui que des entreprises aux résultats médiocres soient hautement valorisées. D’autre part, le succès ou l’insuccès d’une franchise est aussi plurifactorielle. De même qu'un arbre mal planté mais bien arrosé peut donner de beaux fruits, un arbre bien né mais mal entretenu pourra ne donner que des fruits gâtés. C'est ainsi qu'une opération a priori non rentable pourra s’avérer rentable, et inversement. C’est là l’essence de toute entreprise. Alors que la mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur laisse une marge de manœuvre au juge dans l’évaluation d’éventuels dommages-intérêts, l’erreur sur la rentabilité conduira à l’anéantissement rétroactif du contrat, sans pour autant qu’on évite toute discussion sur les dommages-intérêts dans la mesure où une telle erreur suppose de toute façon une faute du franchiseur... En conclusion, voici en effet une erreur (i) qui n’est a priori susceptible d’être caractérisée qu’après la conclusion du contrat, (ii) qui ne porte pas sur qualités des prestations dues au titre du contrat ; (iii) qui nécessairement, comme le dol, est imputable au cocontractant de l’errans et (iv) qui aboutit à une solution radicale, l’anéantissement du contrat, là où l’aléa, inhérent à toute entreprise, pourrait conduire à une solution plus mesurée. De règle générale, celui qui ne veut s’engager sans être assuré de résultats à venir ne le pourra sans clause de garantie de la part de son contractant. À défaut, la rentabilité est toujours extérieure au contrat et seule la responsabilité devrait pouvoir, le cas échéant, venir au secours de l’entrepreneur déçu de ses résultats.

Illustration : la vente d’une œuvre d’art La vente d’une œuvre d’art a donné lieu à un contentieux important sous l’empire du droit antérieur à la réforme, mais les solutions devraient rester les mêmes aujourd’hui. Dans l’affaire du Poussin, des époux avaient décidé de vendre un tableau qu’un expert avait attribué à l’École des Carrache, en en fixant la valeur à 1 500 F. Il fut vendu 2 200 F, mais ainsi qu’ils le peuvent, les Musées nationaux préemptèrent. On s’aperçut alors qu’il s’agit d’un Poussin dont la valeur était donc bien supérieure. Les vendeurs demandèrent l’annulation de la vente en invoquant une erreur substantielle. Ils l’obtinrent car la vente avait été consentie dans la conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être l’œuvre de Nicolas Poussin704. Dans l’affaire table de Boulle, des époux avaient acquis sur adjudication une table d’époque Louis xvi, le catalogue comportant les mentions « accidents et restaurations ». Les acheteurs ayant plus tard découvert que la table avait fait l’objet, lors de sa restauration au XIXe siècle, de transformations, ils agirent en nullité en invoquant une erreur sur les qualités substantielles (on dirait aujourd’hui, « essentielles ») et en responsabilité contre le commissaire-priseur et l’expert. La question était celle de savoir si les restaurations dont avaient été avertis les acquéreurs par le catalogue lors de l’acquisition et qui avaient nécessité une transformation du bien, ce dont cette fois ils n’étaient pas avertis, pouvaient caractériser une erreur substantielle705. Constatant que les mentions du catalogue « avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté ce meuble n’avait subi aucune transformation depuis l’époque Louis xvi de référence », la Cour de cassation censura les juges du fond qui avaient refusé de prononcer la nullité de la vente706. Sur renvoi, la cour d’appel de Paris estima, par décision du 21 septembre 2010, que les acheteurs n’avaient pas établi avoir « consenti à la vente en considération de la seule intégrité matérielle de la table prise en son entier et avec la volonté d’acquérir un meuble conservé dans son état d’origine ». Autrement dit, la cour d’appel n’a pas nié que la transformation n’était pas une qualité substantielle, mais a considéré que l’erreur commise n’était pas déterminante. Dans une décision du 20 octobre 2011, la Première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel ayant souverainement estimé que les acquéreurs s’étaient engagés en considération de « l’installation de la marqueterie Boulle sur ce meuble d’époque Louis xvi et l’estampille C.I. Dufour » et « de la provenance du meuble issu de la collection Salomon de Rothschild »707, et non de l’absence de transformations, en conséquence de quoi la nullité ne pouvait être prononcée. L’arrêt porte finalement sur le caractère déterminant de l’erreur alors qu’il concernait initialement la notion d’erreur sur les qualités essentielles.

2 - L’erreur sur un motif extrinsèque

157 Plan. L’erreur sur un motif extrinsèque est nommée erreur sur un « simple motif » (C. civ., art 1135. D'après l'alinéa 1 er de cette disposition, il s’agit d’une erreur sur un motif « étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant ». On est en présence d’une erreur sur les motifs chaque fois qu’il y a fausses représentations portant sur des éléments extérieurs au contrat.

Envisageons l’objet (a) puis les caractères (b) d’une telle erreur.

a - L’objet de l’erreur

157 Distinction. L’erreur peut être, là encore, de fait ou de droit708.

158 Fausse représentation d’un état de fait. L’erreur sur un motif extrinsèque se conçoit dans tout acte. C’est le cas dans les actes à titre onéreux. Par exemple, une personne acquiert des tuiles qui résistent au gel car elle pense que les siennes n’y résistent pas. C’est également le cas, dans des actes à titre gratuit. Par exemple, une personne donne des biens à une fondation qui protège les animaux parce qu’elle pense, à tort, ne pas avoir d’enfants. Les illustrations en jurisprudence concernent le plus souvent des actes à titre gratuit709, et rarement des actes à titre onéreux710.

159 Fausse représentation de l’état du droit. Les erreurs qui résident dans une fausse représentation de l’état du droit ne sont pas rares. Par exemple, une personne fait par erreur une offre prioritaire à une personne qu’elle croit, à tort, être titulaire d’un droit de préemption711.

Quid lorsqu’une personne acquiert un bien croyant, à tort, pouvoir bénéficier de mesures fiscales favorables ?

Traditionnellement, la jurisprudence considère qu’il s’agit d’une erreur sur un motif extrinsèque712, ne pouvant emporter la nullité que si ce motif avait été intégré au champ contractuel par une stipulation expresse713. C’est ainsi qu’une plaquette publicitaire indiquant à tort tel avantage fiscal pouvant être retiré de l’opération ne peut emporter l’annulation du contrat si elle précise être dépourvue de valeur contractuelle714.

Toutefois, récemment, une décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation a laissé entendre qu’il s’agirait d’une erreur sur un motif intrinsèque, une erreur sur la substance715. La solution a certes été rendue sous l’empire du droit ancien, mais elle n’aurait pas été différente en application du droit nouveau.

Les motifs juridiques ayant conduit une personne à contracter pouvant être très divers716. Selon la Cour de cassation, lorsque l’erreur porte sur les conséquences juridiques d’un acte (l’obtention de mesures fiscales favorables par exemple717), elle doit être considérée comme une banale erreur sur les motifs extrinsèques et remplir les conditions strictes qui sont posées en vue de l’annulation de l’acte. En revanche, lorsque l’erreur a consisté pour l’errans à s’être cru obligé de contracter, peu importe d’après la jurisprudence que lesdites conditions soient réunies, probablement parce qu’il n’est guère envisageable qu’elles le soient.

b - Les caractères de l’erreur

160 Erreur excusable. L’erreur doit en principe être excusable (C. civ., art 1132 « L'erreur (...), à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat »). Celui qui a commis une erreur qu'il n'aurait pas dû commettre est déchu du droit d'invoquer son erreur. Par où l'on voit que derrière l'exigence du caractère excusable de l'erreur se niche une incombance718, celle de se renseigner sur telle ou telle circonstance. L’appréciation du caractère excusable de l’erreur se fait in concreto, en considération notamment de la qualité de l’errans ; la jurisprudence est plus sévère avec le professionnel qu’avec celui qui ne l’est pas719.

Avant la réforme, la Cour de cassation avait décidé, au sujet de l’erreur de droit commise par celui qui avait notifié une offre alors qu’il se croyait à tort obligé de le faire, que le caractère excusable de l’erreur n’était pas requis720. Cette solution, difficilement justifiable, doit être tenue pour enterrée par la réforme, qui pose une exigence générale quant au caractère excusable de l’erreur721.

161 Représentation expressément entrée dans le champ contractuel ? La question de savoir si l’erreur, pour donner lieu à l’annulation du contrat, doit consister en une fausse représentation expressément entrée dans le champ contractuel, appelle une distinction.

En premier lieu, dans les actes à titre onéreux, en raison de la grave insécurité juridique qui règnerait si tout contractant pouvait invoquer des motifs extrinsèques pour obtenir l’annulation d’un contrat, l’article  1135 C. civ. exige que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». La loi a ainsi consacré la jurisprudence antérieure722. Toutefois, celui qui a mal informé l’autre sur un élément qui l’a conduit à contracter, sans que cette considération n’ait été expressément érigée en élément déterminant du consentement, engage sa responsabilité723 ; si cette mauvaise information a été délivrée sciemment, le contrat pourra le cas échéant être annulé pour dol724.

En second lieu, dans les libéralités, et peut-être par analogie725, dans les actes à titre gratuit, cette condition est écartée par l’alinéa 2 de l’article 1135726. L’idée qui justifie que l’errans (celui qui s’est appauvri) puisse plus facilement obtenir la nullité de l’acte est la suivante et tient à ce que dans la balance des intérêts en présence, la pesée est nécessairement différente dans les actes à titre onéreux et dans les actes à titre gratuit : celui qui s’est enrichi moyennant un sacrifice mérite davantage de conserver ce qu’il a reçu que celui qui s’est enrichi sans un tel sacrifice. Il reste que l’annulation lèse pareillement, quel que soit l’acte en cause, l’intérêt des tiers727. Finalement, la loi ne distingue pas ce qui aurait peut-être mérité de l’être, suivant que le gratifié a ou non disposé (consommé ou aliéné) de ce qu’il a reçu...

Point sensible : de l’erreur-obstacle Il se peut que les parties aient émis des consentements qui ne se sont rencontrés qu’en apparence : les parties n’ont en réalité pas voulu la même chose. Comme le relevaient Planiol et Ripert au siècle dernier, « c’est un malentendu, ce n’est pas un contrat »728. Les erreurs-obstacle sont rares, car les personnes savent en général bien communiquer. On en trouve néanmoins quelques illustrations en jurisprudence. Par exemple, telle partie a voulu vendre tel bien et l’autre acheter tel autre (erreur sur l’assiette du contrat, erreur in corpore)729 ; ou encore, telle personne pensait vendre en euros ce que l’autre pensait acquérir en francs (erreur sur la nature du contrat, erreur in negotio)730. À la réflexion, cependant, la notion d’erreur-obstacle est confondante. En effet, de deux choses l’une : soit les volontés déclarées des parties concordent en ce qu’elles se sont manifestées, par exemple, dans un écrit cohérent et non ambigu (ex. s’agissant d’une vente : le bien est décrit de la même façon dans tout l’acte ; le prix est libellé dans telle unité monétaire) signé par les deux parties. Si l’un des cocontractants s’est mépris sur ce à quoi il a déclaré consentir, on est en présence d’une erreur classique qui procède d’une discordance entre la volonté déclarée d’une partie et sa volonté réelle et il est abusif de parler d’erreur « obstacle »731. soit les volontés déclarées des parties ne concordent pas en ce qu’elles se sont manifestées, par exemple, dans un écrit incohérent ou ambigu (ex. s’agissant d’une vente : le bien n’est pas décrit de la même façon dans tout l’acte ; le prix n’est pas libellé dans une unité monétaire) signé par les deux parties. Alors aucun contrat ne s’est formé car il y a au fond une discordance entre les deux volontés déclarées et il est abusif de parler d’« erreur » : le contrat n’est pas nul, mais inexistant en sorte que le juge devrait se borner à constater, à la demande de l’une ou l’autre des parties, que le contrat n’existe point, sans avoir à le détruire732. En conclusion, on appliquerait volontiers le test suivant : est-ce que l’acte instrumentaire, lorsqu’il en existe, est susceptible d’exécution ou d’appeler une sanction en cas d’inexécution ? Si oui, le contrat existe, même s’il est annulable en raison de l’erreur qu’aurait commise une partie ; dans le cas contraire, il n’existe pas.

B - Le dol

162 Erreur provoquée intentionnellement. Le dol désigne le comportement d’une personne destiné à induire en erreur une autre pour la décider à conclure un contrat. Il est une erreur provoquée intentionnellement.

163 Double avantage du dol sur l’erreur. La victime d’un dol est doublement avantagée par rapport à la victime d’une erreur. En premier lieu des erreurs qui ne sont normalement pas sanctionnées sur le terrain de l’erreur le sont sur celui du dol. En effet, l’erreur « qui résulte d’un dol est toujours excusable » et « elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat » (C. civ., art 1139 733. En second lieu, la victime peut obtenir la réparation de son préjudice causé par le dol, celui-ci étant une faute. À cet égard, il convient d’observer que toute victime d’une erreur découlant d’une information erronée ou d’une absence d’information qui devait être délivrée par le cocontractant pourra obtenir des dommages-intérêts même si le manquement n’est pas intentionnel et qu’il n’y a donc pas dol, car faute et préjudice, il y a bien.

164 Plan. Envisageons l’objet du dol (1) puis ses caractères (2).

1 - L’objet du dol

165 Plan. Le dol se compose d’un élément matériel (a) et d’un élément intentionnel (b), éléments dont la réunion est souverainement appréciée par les juges du fond734.

a - L’élément matériel

166 Deux types. On distingue deux sortes de dol : le dol par action et le dol par abstention (réticence dolosive).

167 Dol par action. Le dol par action consiste dans « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges » (C. civ., art 1137 al. 1 735). Il peut s’agir d’un simple mensonge – ce tableau « est de Picasso » alors qu’il s’agit d’une copie – ou encore d’une manœuvre – le compteur kilométrique d’une voiture est trafiqué736

Il convient de réserver ce que l’on appelle parfois l’« argument de vente ». De fait, l’exagération d’un cocontractant sur les qualités de sa prestation est souvent considérée comme un argument de vente autorisé ; on y voit un dolus bonus, par opposition au dolus malus737. Le commerce n’a-t-il pas toujours ainsi fonctionné ?

168 Dol par abstention (réticence dolosive). Le dol par abstention consiste dans « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » (C. civ., art 1137 al. 2 738). Il s’agit de sanctionner un silence coupable, une réticence dolosive. Parce que le silence n’est coupable que lorsque celui qui s’est tu était tenu d’informer, il ne saurait y avoir de réticence dolosive sans obligation précontractuelle d’information. Ainsi, aucune obligation d’information ne pesant sur l’acheteur d’informer le vendeur de la valeur de ce qui lui est vendu, il ne saurait y avoir de réticence dolosive739, même si l’acheteur est professionnel740 . C'est pourquoi le rapport au président de la République qui accompagne l'Ordonnance est critiquable lorsqu'il énonce que « [l]a réticence dolosive est consacrée (article 1137 alinéa 2), sans toutefois la subordonner à l'existence d'une obligation d'information par ailleurs consacrée à l'article 1112-1, le texte mettant l'accent sur l'intention de tromper ».

Au lendemain de la réforme, la question s’est donc posée de savoir si ce texte était le vecteur d’une information précontractuelle bis au champ d'application distinct de celui de l'article 1112-1 celui qui sait que tel élément est déterminant du consentement de l'autre doit le dire à l'autre, alors même cet élément n'a pas « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ». Notamment, lorsqu'une partie indique spontanément à l'autre à l'occasion des pourparlers que tel élément va la déterminer à contracter et que celle-ci s'aperçoit que celle-là se fourvoie, elle devrait alors corriger la réalité. Faudrait-il aller jusqu'à informer l'autre de la valeur de la prestation ?

Un amendement proposé par le Sénat en vue de modifier l’article 1137 et « de subordonner la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation d’information préalable existe »741 était à cet égard légitime et opportun. Mais, une fois de plus, l’absence de réflexion globale et technique suffisante eut raison de cette proposition et l’article 1137 vu adjoindre un troisième alinéa dans le seul dessein de sauver la jurisprudence Baldus742 en n’obligeant pas les parties à s’informer sur la valeur de la prestation. Ainsi est-il désormais743 prévu que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » Au vrai, en retenant cette solution a minima, l’article 1137 pose peut-être plus de difficultés qu’il n’en résout. En effet, cet alinéa étant introduit par le terme « néanmoins », on pourrait être tenté de considérer que la réticence dolosive n’est en général pas subordonnée à l’existence d’une obligation d’information préalable... Cette interprétation, pour les raisons évoquées ci-dessus, doit cependant être fermement rejetée. Soit la loi oblige telle personne à informer telle autre et toute dissimulation intentionnelle sera dolosive, soit elle n’oblige pas telle personne à informer telle autre et le silence est en toute circonstance, licite.

b - L’élément intentionnel

169 Intention de tromper. Que l’on soit en présence d’un dol par action ou par abstention, celui-ci ne sera caractérisé que s’il a été commis intentionnellement. Cela est évident pour le dol par action, car il n’existe pas de mensonge et de manœuvre (au sens où l’article 1137 les entend) qui ne soit pas intentionnel. En revanche, cela ne l’est pas forcément pour le dol par abstention dans la mesure où un silence, même coupable, peut ne pas être intentionnel. C’est pourquoi, mettant fin à des incertitudes jurisprudentielles, l’article 1137 alinéa 2 prévoit que la dissimulation doit avoir été « intentionnelle »744. D’un point de vue probatoire, la jurisprudence semble déduire parfois, de l’importance des informations non révélées et de la connaissance de ce caractère, le caractère intentionnel de l’absence de révélation745.

En cas de manquement non intentionnel à une obligation précontractuelle d’information, la victime ne pourra pas certes pas obtenir la nullité du contrat pour dol, mais elle pourra obtenir réparation de son préjudice, car il y a bien faute, et même l’annulation du contrat pour erreur (spontanée) si les conditions en sont réunies ; on l’a déjà dit746.

2 - Les caractères du dol

170 Plan. Ils concernent l’origine (a) et le caractère déterminant (b) du dol.

a - L’origine

171 Cocontractant et tiers assimilés. Si l’article 1137 vise le dol « d’un cocontractant »747, l’article 1138 précise que le dol « est également constitué s’il émane du représentant748, gérant d’affaires749, préposé ou porte-fort750 du contractant » (al. 1751) ou d’un « tiers de connivence » (al. 2752). Alors que l’alinéa 1 vise des « alter ego »753 du contractant, l’alinéa 2 vise des complices754.

En raison de la « proximité » de ces tiers avec l’une des parties, il est normal qu’on impute à celle-ci le comportement dolosif de celui-là. Deux précisions méritent d’être apportées. Primo, par une interprétation a contrario – justifiée par le caractère dérogatoire de l’imputation du comportement dolosif à autrui –, le dol qui émane de tiers non mentionnés par l’article 1138 n’est pas une cause d’annulation du contrat. Dans ce cas, le contrat ne pourra être annulé que si l’erreur provoquée par le tiers est une cause d’annulation du contrat sur le terrain de l’erreur (spontanée), comme l’avait décidé la jurisprudence sous l’empire du droit ancien755. Secundo, il y a tout lieu de penser que dans le cas précis où le représentant est un mandataire756, la solution suivant laquelle le mécanisme d’imputation dérogatoire permettait à la victime du dol d’agir en nullité, non d’agir en responsabilité contre son contractant757, sera maintenue en application des textes issus de la réforme du droit des contrats.

Droit spécial : des libéralités Avant que ne soit réformé le droit des contrats, le dol d’un tiers était une cause de nullité des libéralités, en vue de protéger le disposant758. Rien ne justifie que cette jurisprudence soit remise en cause par les nouvelles dispositions, les auteurs de la réforme n’ayant manifestement pas cherché à remettre en cause ce particularisme des libéralités.

b - Le caractère déterminant

172 Exigence de droit commun. Celui qui se prétend victime d’un dol doit démontrer que l’élément sur lequel il a été trompé revêtait pour lui une importance telle que, s’il avait été au courant de la réalité, il n’aurait pas conclu le contrat. Cette exigence, qui n’est pas expressément mentionnée au sujet du dol, découle de l’article 1130. Toutefois, on l’a vu, certaines décisions tirent du caractère intentionnel d’une réticence dolosive le caractère déterminant de l’erreur qui en est découlée759.

C - La violence

173 Plan. La violence affecte la liberté du consentement760 et non son caractère éclairé. Le consentement a été donné sous la contrainte sans que pour autant, il y ait eu une fausse représentation de la réalité. Envisageons l’objet de la violence (1), puis ses caractères (2).

1 - L’objet de la violence

174 Plan. Il est un cas général (a) et des cas particuliers (b).

La question se posera inévitablement de déterminer si une situation ne présentant pas toutes les conditions d’un cas particulier de violence peut néanmoins relever du cas général. Par exemple, une situation ne pouvant être caractérisée d’abus de dépendance761 peut-elle néanmoins constituer un cas de violence ?

a - Le cas général

175 Deux éléments . Il y a violence « lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » (C. civ., art 1140. La violence suppose ainsi une contrainte de la part de l’auteur et une crainte qui s’ensuit chez la victime.

176 La contrainte. La contrainte est susceptible de plusieurs manifestations. Primo, elle peut être physique : par exemple, une personne menace une autre de mort ou de blessures ou de détruire ses biens si elle ne conclut pas le contrat. La plupart du temps, la violence n’est que morale : le harcèlement sexuel caractérise un acte de violence, justifiant l’annulation d’un acte de rupture d’un commun accord d’un contrat de travail762. Secundo, elle peut s’exercer sur l’auteur du consentement ou sur celle d’un de ses proches. Peu importe le destinataire de la contrainte, dès lors que la crainte se produit chez l’auteur du consentement.

Comme on l’a justement relevé, « le Code civil laisse à penser que, même si la victime craignait pour la fortune ou la personne d’un tiers avec lequel elle n’entretient aucun lien, et qu’elle ne contractait que pour éviter à ce tiers la matérialisation d’un mal considérable, le contrat ne pourrait pas être annulé... Quid si une personne ne s’est engagée que parce que l’autre partie menaçait de tuer “le premier venu” ? L’engagement ne serait-il pas forcé et le consentement du contractant vicié ? Aussi (...) on comprend mal pourquoi le législateur ne s’est pas contenté de l’exigence de la crainte d’un mal considérable (...) peu important que la menace ait porté sur sa fortune ou sa personne, ou sur celle d’autrui »763. Ce serait un mauvais signal sur l’état de nos mœurs si la jurisprudence interprétait donc, à la lettre, le texte764.

Le terme « contrainte » est trop large, en ce qu’il pourrait englober non seulement la contrainte personnelle exercée par une personne –, mais aussi la contrainte contextuelle - causée par d'autres circonstances : telle personne contracte car elle est dans le besoin, par exemple -. Or la violence, dit-on, ne peut sanctionner qu'une contrainte personnelle : elle est exercée « par une partie ou par un tiers » (C. civ., art 1142 765. Dit autrement, parce que la violence « suppose la pression d’une contrainte par une personne sur une autre, il ne paraît pas possible d’assimiler l’état de nécessité à la violence »766. Les faits montrent néanmoins que la contrainte est le plus souvent un alliage, comme le révèlent la jurisprudence767 et la prohibition par la loi de l’abus d’un état de dépendance768. La jurisprudence sera appelée à jouer un rôle majeur dans les années à venir à ce sujet.

La violence est en tout état de cause une contrainte qui doit être illégitime. Tel sera le cas si la contrainte constitue en elle-même un comportement sanctionné : un fait de harcèlement sexuel, notamment. Mais on peut très bien considérer qu’une contrainte non sanctionnée en elle-même puisse donner lieu à une violence : par exemple, une personne menace de dénoncer le comportement répréhensible de telle autre si elle ne contracte pas avec elle. En revanche, la jurisprudence considère en général que les simples pressions d’ordre économique qu’une entreprise exerce sur une autre pour la conduire à contracter avec elle ne constituent pas une contrainte illégitime769.

177 La crainte. La contrainte exercée par une personne sur une autre ne donnera lieu à l’annulation du contrat que si elle a suscité chez cette dernière une crainte qui l’a conduite à contracter et sans laquelle elle ne l’aurait pas fait.

En tout état de cause, la crainte est purement appréciée in concreto. Avant la réforme, elle était également entendue in concreto770 , mais la loi enjoignait de tenir compte de paramètres abstraits (C. civ., anc. art 1112 al. 2 : « On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes »).

b - Les cas particuliers

178 Menace d’une voie de droit. Si, en principe, la menace d’une voie de droit « ne constitue pas une violence » (C. civ., art 1141, c'est parce que la contrainte est légitime771. Ainsi du vendeur qui menace de faire jouer une clause pénale si l’acheteur ne signe pas l’acte notarié de vente772. Il en va toutefois autrement « lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif », car la contrainte est cette fois illégitime773. Ainsi de celui qui signe une reconnaissance de dette sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance774, ou de celui qui conclut un contrat avec une personne pour éviter que cette dernière ne la dénonce pour une infraction pénale sans aucun rapport775.

179 Abus de dépendance. Généralités. Une personne qui estime avoir été contrainte de contracter en raison de son état de vulnérabilité peut-elle agir en nullité du contrat conclu, son consentement ayant été contraint et non donné librement ? Si, traditionnellement, la réponse était négative, la jurisprudence puis la loi ont infléchi cette position.

Trois systèmes principaux776 peuvent se concevoir en vue de sanctionner une telle contrainte. Le premier consiste à exiger une situation de dépendance ou de faiblesse, un abus d’exploitation de cette situation et un contrat déséquilibré qui n’aurait pas été autrement conclu : c’est le système de la lésion qualifiée. Le deuxième consiste à exiger une situation de dépendance ou de faiblesse, un abus d’exploitation et un contrat qui n’aurait pas été autrement conclu, peu important qu’il soit ou non déséquilibré : c’est le système de la violence économique. Le troisième consiste à se contenter d’une situation de dépendance ou de faiblesse ayant abouti à un contrat qui n’aurait pas été autrement conclu : c’est le système du vice de faiblesse.

180 Abus de dépendance777. Jurisprudence antérieure à la réforme du droit des contrats. Avant la réforme, la Cour de cassation avait retenu le système de la violence économique dans deux arrêts778, encore qu’elle n’ait rendu aucune décision significative l’appliquant779 ! Depuis la réforme, la Cour de cassation, faisant application du droit antérieur, a également retenu un tel système, au profit d’un avocat qui estimait avoir été contraint d’accepter des honoraires particulièrement faibles780.

181 Abus de dépendance. Législation. Depuis la réforme du droit des contrats, il existe désormais un vice d’abus de dépendance, qui peut être rapproché du système de la lésion qualifiée : il y a également violence « lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (C. civ., art 1143.

Les mots « à son égard » furent ajoutés par la Loi de ratification, dans une disposition considérée comme interprétative781, en sorte que l’article 1143 doit être ainsi lu, même pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la Loi de ratification.

Cinq conditions ressortent du nouveau texte, dont on ne peut prédire s’il sera appliqué strictement ou non par les juges.

182 Abus de dépendance. Législation. Première condition. La première condition consiste dans l’état de dépendance dans lequel se trouve la victime à l’égard de l’auteur de l’abus.

L’origine de la dépendance n’est pas précisée : si la loi vise « l’état de dépendance dans lequel se trouve [le] cocontractant [d’une partie] à son égard », elle n’exige pas que les parties soient d’ores et déjà en relation contractuelle782, autrement dit que l’état de dépendance découle de la conclusion d’un « contrat de dépendance »783.

Quant à la nature de la dépendance, elle n’est pas davantage précisée : elle pourra être économique, mais aussi psychologique, affective, etc.784 Quid de la personne en elle-même fragile, vulnérable, dépendante ? Le rapport au président de la République accompagnant l’Ordonnance visait bien les « personnes vulnérables ». Mais, alors même que la Loi de ratification n'est qu'interprétative, l'ajout par celle-ci des termes « à son égard » n'est pas neutre. Il ressort des travaux préparatoires que « la lettre de l'article 1143 du Code civil ne permet pas de protéger, au sens strict, une personne considérée comme faible ou vulnérable, mais bien une partie à un contrat qui se trouverait dans une situation de dépendance, c'est-à-dire une personne en position de sujétion par rapport à une autre » 785, en l’espèce le cocontractant. Autrement dit, la dépendance doit désormais être perçue comme une notion relative (on est dépendant d’un autre786) et non absolue (on est dépendant en raison de son état). Sur quoi, trois précisions. Primo, on peut voir là un écho au principe suivant lequel la violence doit être personnelle et non contextuelle787. Secundo, il ne faut pas surestimer cette opposition : plus une personne est elle-même vulnérable, plus elle sera encline à devenir dépendante d’une autre, notamment psychologiquement : la secte exploite bien les faiblesses préexistantes de ses membres. Tertio , ce n'est pas parce que l'article 1143 C. civ. ne sanctionne l'exploitation abusive que par celui qui tient un autre sous sa dépendance que celui qui exploite abusivement celui qui est dépendant d’un tiers ne sera pas sanctionné : elle le sera le cas échéant en vertu du principe général de responsabilité pour faute (C. civ., art 1240 et, si l'auteur de l'abus est un « faux » tiers (l'auteur de l'abus et celui qui tient la victime sous sa dépendance appartiennent au même groupe de sociétés) ou une « personne interposée », en raison de ses liens avec celui qui tient la victime sous sa dépendance, l'article 1143 C. civ. devrait trouver à s'appliquer.

La jurisprudence des juges du fond est pour le moment, sur la question, partagée. À raison, il a été décidé que la personne qui contracte alors qu’elle connaît des difficultés financières ne peut invoquer un état de dépendance788. Et si certaines décisions ont laissé entendre que celui qui n’était pas dépendant de l’autre ne pouvait invoquer un état de dépendance789, d’autres ne posent pas une telle exigence, à tout le moins lorsque l’état de dépendance invoqué n’est pas matériel, mais psychologique ou physique790.

183 Abus de dépendance. Législation. Deuxième condition. La deuxième condition tient à ce qu’une personne a abusé de l’état de dépendance, en usant de moyens contraires à l’éthique, sans qu’il soit réellement possible d’en donner de définition plus précise : il s’agira souvent de menaces ou de pressions de toute sorte. L’hypothèse dans laquelle au terme d’une longue négociation, une partie impose, à la dernière minute, des conditions nouvelles et défavorables à l’autre qui a pris de dispositions telles qu’il est pour elle difficile de refuser ces modifications – qu’elle n’aurait pas acceptées au départ – donnera probablement lieu à contentieux791. Si, selon certains, la constatation d’un avantage manifestement excessif devrait suffire pour établir l’abus792, tel n’est pas selon nous le cas : outre que l’on gommerait dans le texte la condition d’« abus », cela reviendrait à sanctionner la lésion dans les contrats de dépendance, ce qui serait manifestement excessif793. La jurisprudence des juges du fond paraît bien exiger réellement un abus794.

184 Abus de dépendance. Législation. Troisième condition. La troisième condition consiste dans l’engagement qui a été pris par la victime. Il ne faudrait pas croire que le législateur a retenu la logique du « tout ou rien »795, en ne prévoyant pas que l’abus puisse être sanctionné si l’engagement a été pris à des « conditions substantiellement différentes » de celles dans lesquelles il aurait été pris dans un autre contexte. En effet, c’est l’engagement qui révèle un avantage manifestement excessif qui est sanctionné. On y vient.

185 Abus de dépendance. Législation. Quatrième condition. La quatrième condition tient à ce que l’engagement pris révèle un avantage manifestement excessif. Ce sera le cas si le contrat est manifestement déséquilibré796, mais peut-être la jurisprudence estimera-t-elle que l’avantage excessif peut être extrinsèque : par exemple, l’acquéreur d’un bien dut s’endetter excessivement pour acquérir un bien qui ne lui est pas utile. Si l’abus de dépendance était retenu en présence d’un contrat non lésionnaire, on s’éloignerait alors d’un pur système de lésion qualifiée.

186 Abus de dépendance. Législation. Cinquième condition. La cinquième condition consiste dans le lien de causalité entre l’engagement pris et la « contrainte » puisqu’est visé l’engagement que la victime « n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte ». On pourrait y voir l’expression du caractère déterminant de la violence797, mais le lien de causalité n’est pas tant entre l’abus et l’engagement qui en est découlé qu’entre la situation de dépendance et ledit engagement.

187 Abus de dépendance. Législation. Distinction entre abus de dépendance et menace d’une voie de droit. La frontière entre l’abus de dépendance et la menace d’une voie de droit n’est pas évidente, comme en témoigne un arrêt de la Cour de cassation rendu sous l’empire du droit ancien798. La Première chambre civile avait en apparence sollicité l’ancien vice de violence économique dans une affaire où, pour annuler une transaction, les juges du fond avaient retenu la contrainte économique exploitée par l’un des signataires de l’acte pour amener l’autre à lui consentir une indemnité d’un montant particulièrement élevé. En l’espèce, un constructeur s’était vu contraint de transiger avec une petite société, afin que cette dernière cesse d’attaquer systématiquement ses permis de construire.

Droit spécial : de la myriade d’abus de dépendance Le législateur n’a pas attendu la réforme du droit des contrats pour sanctionner telle ou telle forme d’abus d’un état de dépendance. Les droits spéciaux le montrent bien. Le droit pénal sanctionne comme délit l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse « soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables »799. Ne sont visées que les personnes physiques, peu important que l’acte soit à titre gratuit ou onéreux. Le droit de la consommation sanctionne dans trois séries d’hypothèses un abus de faiblesse : – « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte »800 ; – « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour obtenir des engagements : 1° Soit à la suite d’un démarchage par téléphone ou télécopie ; 2° Soit à la suite d’une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, effectuée à domicile et assortie de l’offre d’avantages particuliers ; 3° Soit à l’occasion de réunions ou d’excursions organisées par l’auteur de l’infraction ou à son profit ; 4° Soit lorsque la transaction a été faite dans des lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé ou dans le cadre de foires ou de salons ; 5° Soit lorsque la transaction a été conclue dans une situation d’urgence ayant mis la victime de l’infraction dans l’impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés, tiers au contrat »801 ; - « le fait d'abuser de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour se faire remettre, sans contreparties réelles, des sommes en numéraire ou par virement, des chèques bancaires ou postaux, des ordres de paiement par carte de paiement ou carte de crédit ou bien des valeurs mobilières, au sens de l'article 529 du Code civil » 802. Ces pratiques sont sanctionnées, civilement, par la nullité du contrat803 et, pénalement, comme des délits804. On observera que les abus sanctionnés par le Code pénal et le Code de la consommation sont des abus qui consistent souvent à profiter de la vulnérabilité intrinsèque de la personne, en sorte que son consentement n’a pas été donné ni librement ni de manière éclairée. Le droit des transports prévoit, au sujet de l’assistance en mer, qu’« un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés [notamment] si : 1° Le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables (...) »805. Ce texte spécial est important dans la mesure où le « danger » n’est pas imputable au cocontractant mais à des circonstances extrinsèques. Quant au droit de la concurrence, il sanctionne comme pratique anticoncurrentielle « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur », « dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence »806. Trois conditions doivent être réunies : un état de dépendance économique d’une entreprise envers une autre, une exploitation abusive de cet état, et le fait que cette exploitation soit susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence. Ces conditions sont si difficiles à caractériser – spécialement l’état de dépendance807 – que l’abus de dépendance économique n’est presque jamais retenu808. À l’origine, celui-ci fut « défini » par la loi comme l’état de l’entreprise « qui ne dispose pas de solution équivalente »809 à celle de rester sous la domination de celui dont elle se plaint d’un abus. Si la référence à l'absence de solution équivalente a été supprimée de l'article L. 420-2, alinéa 2, par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE), c’est dans des circonstances assez mystérieuses qui ne révèlent pas une intention de rupture de la part du législateur. C’est ce qui explique qu’à peine quelques semaines après l’adoption de la loi, le Conseil de la concurrence relevait que « si, au cours des débats [parlementaires], s’est manifestée la volonté de permettre de sanctionner plus facilement l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, la discussion sur la manière d’obtenir ce résultat et la solution adoptée pour y parvenir ont concerné l’atteinte à la concurrence sur le marché ; qu’à aucun moment les débats n’ont porté sur la condition tenant à l’absence de solution équivalente »810. Il ressort aujourd’hui de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence une pluralité de critères destinés à retenir ou non un état de dépendance économique, sans que l’on ne sache trop s’ils participent d’un faisceau d’indices ou s’ils constituent de véritables conditions indépendantes et cumulatives : la part du dominant dans le chiffre d’affaires du dominé, de la notoriété et de la part de marché du dominant, et encore et toujours de la possibilité d’obtenir une solution équivalente811. Tous ces éléments ne doivent pas être mis sur le même plan : il convient de distinguer ceux qui intéressent l’« état de dépendance économique » de ceux qui concernent l’« imputabilité » de cet état. L’« état de dépendance économique », en premier lieu, devrait être caractérisé dès lors que le chiffre d’affaires de celui qui se plaint de son état est substantiellement réalisé grâce à celui dont il se prétend être dépendant : la dépendance économique désigne la situation d’une entreprise dont la prospérité, voire l’existence même dépendent d’une autre812 ? L’état de dépendance économique établi, il convient de vérifier, en second lieu, qu’il n’est pas « imputable » à celui qui s’y trouve : « la notion de “dépendance” est une notion objective qui ne résulte pas des choix stratégiques de l’entreprise qui allègue qu’elle est en situation de dépendance ». C’est ici seulement que devraient par principe intervenir les critères de « notoriété »813, de « part de marché » du dominant, ainsi que celui de la « possibilité d’obtenir une solution équivalente » pour le dominé, tous ces éléments étant liés. En effet, si le dominé peut, malgré son état de dépendance, en sortir, en contractant avec d’autres partenaires disposant également d’une certaine part de marché et d’une notoriété comparable, alors il dispose de solutions équivalentes (il peut contracter « dans des conditions techniques et économiques comparables »)814. L’état de dépendance lui étant imputable, il ne saurait se prévaloir de son état afin de bénéficier de la protection spécifique qui en découle815. Évidemment, le jeu des clauses d’exclusivité est de nature à exercer une influence sur cette difficulté. En l’absence de telles clauses, la dépendance économique sera plus facilement imputée à un choix délibéré du dominé (sauf structure particulière du marché)816. En présence de telles clauses, il en ira différemment et on ne saurait imputer l’état de dépendance économique au dominé au prétexte qu’il a consenti auxdites clauses, dès lors que ce qui est stigmatisé, c’est davantage l’impossibilité de sortir d’une relation de dépendance que le fait d’avoir contribué à s’y retrouver817. C’est pourquoi la Cour de cassation s’attache à vérifier que les juges du fond ont fait ressortir l’absence d’obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de l’entreprise prétendant être dominée, en raison de l’absence de clause d’exclusivité – absence d’obstacle juridique – et d’une certaine pression concurrentielle subie par celui qui serait dominant – absence d’obstacle matériel818. Ce raisonnement en deux temps – caractérisation de l’état de dépendance, puis détermination de son imputabilité – n’est pas celui suivi par la Cour de cassation, qui opère par raccourci819.

2 - Les caractères de la violence

188 Plan. Envisageons l’origine (a) puis le caractère déterminant (b) de la violence.

a - L’origine

189 Cocontractant ou tiers. La violence est une cause de nullité « qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers » (C. civ., art 1142. Pourquoi, sur ce point, des règles différentes sont-elles retenues pour le dol et la violence ? Probablement parce que l'impératif de sécurité juridique doit céder en présence d'une violence, fait jugé plus grave qu'un simple dol.

Toutefois, s’agissant de l’abus de dépendance économique, cas particulier de violence, la lettre de l’article 1143 exige que l’abus émane d’une partie : « (...) une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant (...) »820. L’esprit du texte est dans le sens de sa lettre : il s’agit de sanctionner le comportement qu’a eu une partie pour en tirer à son profit un avantage manifestement excessif. Un abus de dépendance doit donc a priori ne pouvoir être imputé qu’à une partie.

b - Le caractère déterminant

191 Exigence de droit commun. Bien que cela ne soit pas rappelé par les textes propres à la violence, comme tous vices du consentement, le vice de violence doit avoir été déterminant , ce qui signifie que sans l'acte de violence, la partie n'aurait pas contracté (C. civ., art 1130.

Chapitre 4 - La capacité et la représentation

Plan

191 Localisation. « La capacité et la représentation » font l’objet de la deuxième sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II consacré à « La formation du contrat ».

192 Qui peut contracter ? En droit des contrats, les notions de capacité et de représentation ont pour objet de déterminer ceux qui peuvent contracter, que ce soit pour leur compte ou pour le compte d’autrui.

La capacité désigne plus particulièrement la faculté d’une personne de devenir partie à un contrat (capacité de jouissance) et de le conclure elle-même (capacité d’exercice). Par exemple, est-ce qu’un médecin peut se voir consentir une donation de la part de l’un de ses patients ? Est-ce qu’un mineur peut acheter tel bien ?

La représentation désigne un mécanisme d’imputation particulier de la qualité de partie au contrat. En principe, est partie à un contrat celui qui le conclut. Mais peut être partie au contrat celui pour le compte de qui le contrat a été conclu. La représentation est le mécanisme par lequel une personne, le représentant, conclut un contrat auquel elle ne sera pas partie, car elle le conclut pour le compte d’une autre, le représenté. Par exemple, un mandataire est chargé de vendre le bien d’autrui ; ou encore, les représentants légaux d’un mineur décident de vendre un bien lui appartenant. Par où l’on voit que la technique de la représentation est parfois utilisée en considération de l’incapacité d’exercice d’un sujet : il existe des points de contact entre la capacité et la représentation.

193 Plan. Seule la capacité est envisagée de manière générale par l’article 1128 qui énonce les conditions de validité du contrat. En effet, si la question de la capacité (section 1) se pose chaque fois qu’un contrat est conclu, celle de la représentation (section 2) ne se pose que lorsque la personne qui s’apprête à conclure un contrat le conclut pour le compte d’autrui.

Section 1 - La capacité

194 Plan. Il convient de distinguer, à titre de summa divisio, la capacité de jouissance (§ I) de la capacité d’exercice (§ II). À ce sujet, si l’article 1145 envisage bien ces deux types de capacité, les articles suivants n’envisagent que la seconde, les incapacités de jouissance étant prévues et régies par des règles spéciales.

Pour qu’un contrat se forme valablement , on a vu que des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »821. Dans le cadre de ce paragraphe, c’est donc la deuxième condition qui nous intéresse.

§ I - La capacité de jouissance

195 Plan. Envisageons le contenu (A) puis la sanction de cette condition (B).

A - Contenu de la condition

196 Plan. La capacité de jouissance est « l’aptitude à devenir titulaire d’un droit ou d’une obligation »822. En matière contractuelle, elle désigne plus particulièrement l’aptitude d’une personne à devenir partie à un contrat. Il convient à ce titre de distinguer la capacité des personnes physiques (1) de celle des personnes morales (2).

1 - Les personnes physiques

197 Pleine capacité des personnes physiques. Parce que toute personne physique « peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi » (C. civ., art 1145 al. 1), les personnes physiques disposent par principe d'une pleine capacité de jouissance, ce qui est la conséquence directe de la liberté individuelle (DDHC, art 4 823)824 . Et parce qu'une personne ne peut plus être privée de tous ses droits depuis que la mort civile a été abolie en 1854 825, les incapacités de jouissance sont toujours spéciales.

La plupart du temps, l’édiction d’une incapacité de jouissance est destinée à protéger un intérêt particulier. Tantôt il s’agit de protéger une personne des autres : ainsi, s’il est en principe interdit à toute personne travaillant dans un établissement hébergeant des personnes âgées ou dispensant des soins psychiatriques d’acquérir un bien appartenant à ces pensionnaires, c’est que l’on craint que ne soit abusivement exploitée la faiblesse de ces derniers826 . Tantôt il s'agit de protéger une personne d'elle-même. C'est ainsi que les mineurs non émancipés ne peuvent avoir la qualité de commerçant et effectuer des actes de commerce à titre habituel (C. com., art. L. 121-2 827 ) et que le mineur de moins de seize ans ne peut consentir de libéralité (C. civ., art 903 828).

Parfois, l’incapacité de jouissance peut aussi avoir pour but la protection de l’intérêt général . C'est la raison pour laquelle certaines personnes ne peuvent se marier, un frère et une sœur par exemple (C. civ., art 162 829).

2 - Les personnes morales

198 Capacité limitée des personnes morales. La capacité de jouissance des personnes morales830 est par principe limitée, en vertu d’un principe de spécialité. De fait, l’existence d’une personne est, à la différence de celle d’une personne physique, tendue vers la réalisation d’un objet. Par exemple, telle société a pour objet l’achat pour revendre de produits électroménagers et telle association pour objet la protection des espèces menacées. Dès lors, la personne morale ne peut avoir une pleine capacité de jouissance comme l’a une personne physique. Si les personnes physiques peuvent en principe accomplir tous les actes (licites) qu’elles souhaitent, les personnes morales ne peuvent accomplir en principe que celles qui rentrent dans leur objet831, tel qu’il résulte des statuts et de la loi.

Les dispositions du Code civil relatives au droit des contrats ne comportent pas de disposition substantielle relative à la capacité des personnes morales ; il est seulement dit que la capacité des personnes morales est « limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles » (C. civ., art. 1145 al. 2).

L'article 1145 al. 2 C. civ. n'est donc plus aujourd'hui qu'un texte d'annonce renvoyant à des textes spéciaux. Il faut néanmoins rappeler que la disposition, issue de l'Ordonnance, a fait l'objet d'une réécriture par la Loi de ratification. Elle prévoyait à l'origine que la capacité des personnes morales était « limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d'entre elles ». Il pouvait ainsi être inféré de cette disposition que les actes entrant dans l'objet social mais dépourvus d'utilité pour la personne morale étaient nuls. Outre que le sens et la portée de la notion d'« utilité » étaient particulièrement sujets à controverse (quel rapport, notamment, en matière de sociétés, avec la notion d'« intérêt social » ?), la rupture avec le droit en vigueur, notamment en ce qui concerne les sociétés, aurait été manifeste et dangereuse 833. C’est ce qui explique que la Loi de ratification soit revenue sur ce texte. Même si le nouvel article 1145 alinéa 2 n’a pas été considéré comme étant interprétatif834, il est fort probable que la jurisprudence interprétera l’ancien article 1145 alinéa 2 conformément au nouveau.

S’agissant en particulier des sociétés, il convient d’appliquer les règles qui leur sont propres. Or, en principe, une société n’a la capacité d’accomplir que les actes qui entrent dans son objet social statutaire. Toutefois, la limitation de la capacité à l’objet statutaire est plus apparente que réelle, à un triple égard. En premier lieu, comme le relevait la première version de l’article 1145 (celle de l’Ordonnance) il est possible à une société d’accomplir des actes accessoires à ceux qu’autorise l’objet social. Par exemple, une société qui a pour objet l’achat pour revendre de viennoiseries pourra acheter pour revendre accessoirement des pâtisseries835. En deuxième lieu, à l’égard des tiers de bonne foi, les dirigeants engagent la société même par les actes passés en dehors de l’objet social, dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et les sociétés par actions836. La société ne peut donc invoquer le dépassement de l’objet social à l’encontre des tiers de bonne foi pour échapper aux actes accomplis, mais une action en responsabilité contre le dirigeant qui passé l’acte pourra être engagée s’il en est découlé un préjudice. En troisième lieu, la jurisprudence a décidé de manière générale qu’un tiers ne peut interdire à une société commerciale d’exercer toute activité commerciale qui ne rentre pas dans son objet social dès lors qu’elle n’est « ni soumise à autorisation préalable, ni interdite, ni contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs », « le non-respect des formalités prescrites pour les mentions au registre du commerce et des sociétés n’ayant aucune incidence sur son caractère licite ou illicite »837.

Droit spécial : des objets des différentes catégories de groupements Si l’objet d’un groupement est en principe défini dans les statuts par les membres de celui-ci, cet objet doit être conforme à l’objet ou au but du groupement tel qu’il est défini par la loi. À cet égard : - une société est instituée « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter » (C. civ., art 1832 832 ; – une association est instituée « dans un but autre que de partager des bénéfices » (art. 1 L. 1er juillet 1901 relative au contrat d’association) ; - un groupement d'intérêt économique est institué en en vue « de faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même. » (C. com., art. L. 251-1 al. 2) ; – un syndicat des copropriétaires a pour objet « la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes » (art. 14 al. 4 L. n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis).

B - Sanction de la condition

199 Nullité . Un acte accompli par une personne qui n'en avait pas la capacité (de jouissance) est un acte nul, de nullité relative ou absolue suivant la nature de l'intérêt protégé par la règle transgressée. Tout dépend donc de l'intérêt poursuivi par la règle énonçant une incapacité de jouissance. Ainsi les règles édictant des empêchements à mariage sont sanctionnées par une nullité absolue (C. civ., art 184 838) puisque l’intérêt général est en cause. C’est pourquoi l’article 1147 C. civ., qui dispose sans nuances que l’« incapacité de contracter est une cause de nullité relative », ne peut donc concerner que l’incapacité d’exercice.

§ II - La capacité d’exercice

200 Premières vues. La capacité d’exercice est l’aptitude d’une personne à exercer les droits dont elle est titulaire, « l’aptitude à faire valoir par soi-même et seul un droit dont on est titulaire sans avoir besoin d’être représenté ni assisté à cet effet par un tiers »839. La question de la capacité d’exercice est seconde par rapport à celle de la capacité de jouissance : la question de savoir si une personne peut exercer un droit ne se pose donc que si et seulement si elle est titulaire du droit. En matière contractuelle, précisément, la capacité d’exercice désigne la capacité d’une personne à conclure le contrat auquel elle est destinée à devenir partie : si elle est dotée de cette capacité, elle le pourra ; à défaut, elle sera représentée ou assistée par un tiers.

Pourquoi une personne ne pourrait-elle pas exercer elle-même les droits dont elle titulaire, et notamment conclure les contrats qui vont la lier ? La question se pose dans des termes différents suivant que la personne dont s’agit est une personne morale ou une personne physique. Une personne morale étant une « abstraction », elle n’est pas en mesure d’exprimer une volonté et donc d’exercer les droits dont elle est titulaire : ce sont ses organes qui vont le faire pour elle. Quant à la personne physique, elle exerce normalement les droits dont elle est titulaire, et lorsque la loi ne le lui permet pas, c’est qu’elle se trouve dans une situation dans laquelle elle n’est pas en mesure d’exprimer une volonté suffisamment autonome. On ne parle d’ailleurs en pratique d’« incapacité d’exercice » qu’à l’endroit des personnes physiques. Parce qu’il s’agit de protéger l’incapable (de lui-même et des autres), les règles relatives à l’incapacité des personnes physiques protègent toujours l’intérêt privé de l’incapable lui-même.

201 Plan. Là encore, il faut distinguer la capacité des personnes morales (A) de celle des personnes physiques (B).

A - Les personnes morales

202 Distinctions . Il convient, ainsi qu'y invite l'article 1145 al. 2 C. civ. en renvoyant à des règles spéciales, de respecter les procédures d'engagement des personnes morales prévues par les règles qui leur sont spécialement consacrées. Or ces règles varient suivant la nature de la personne morale (société, association, etc.), le contrat dont la conclusion est envisagée (convention libre, convention réglementée), et ce que prévoient les statuts, pour l’essentiel.

203 Illustrations : pouvoirs des représentants légaux. En principe, les représentants légaux d’une société doivent agir dans les limites de l’objet social, lequel délimite en principe la capacité de jouissance de la société, même si l’on a vu qu’il y avait des nuances840. La question que l’on se pose ici est celle des actes accomplis dans l’objet social, mais par un représentant qui n’avait pas les pouvoirs suffisants pour le faire. Si les limitations légales des pouvoirs des représentants sont opposables aux tiers, il n’en va pas de même des limitations statutaires : c’est le cas dans les sociétés civiles (C. civ., art 1849 al. 3 : « Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers » 841) et dans les sociétés commerciales (C. com., art. L. 223-18 pour les SARL 842 , C. com., art. L. 225-56 pour les sociétés anonymes 843 , C. com., art. L. 226-7 pour les sociétés en commandite par action 844 et C. com., art. L. 227-6 845 pour les SAS).

B - Les personnes physiques

204 Plan. Les personnes physiques, même placées sous un régime de protection (1) disposent d’une sphère de capacité (2).

En tout état de cause, parce que pour « consentir valablement, il faut être sain d’esprit », l’article  1129 C. civ.846 prévoit que le contrat conclu par une personne dont les facultés mentales sont altérées au jour de la conclusion du contrat est nul, alors même qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une mesure de protection (notamment parce que personne n’a pris l’initiative d’en instaurer une)847.

1 - Le régime de protection des personnes physiques

205 Distinction . Sont « incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : 1° Les mineurs non émancipés ; 2° Les majeurs protégés au sens de l'article 425 du présent code » (C. civ., art 1146. Alors que normalement, les premiers sont des incapables parce qu'ils ne sont pas encore capables, les seconds étaient des personnes capables devenues incapables.

206 Mineurs non émancipés. Les mineurs non émancipés sont de règle générale incapables d’exercer les droits dont ils sont titulaires, en particulier de conclure des contrats : ils sont frappés d’une incapacité générale d’exercice.

Toutefois, parce qu’ils ne sont pas frappés d’une incapacité de jouissance, les mineurs peuvent être parties à des contrats, mais ceux-ci seront conclus en leur nom et pour leur compte par leurs représentants légaux – les administrateurs légaux ou le tuteur848.

207 Majeurs protégés. En vertu du principe général énoncé à l’article 425, « [t]oute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique ».

Cette protection peut avoir été organisée par le majeur lui-même, alors qu’il était apte à exprimer une volonté libre et éclairée, par la conclusion d’un mandat de protection future (art. 477 s.) : le majeur définit à l’avance les modalités de sa protection et la personne qui le protègera si un jour il n’est plus sain d’esprit. À défaut d’un tel mandat, ou si un tel mandat s’avère insuffisant, la protection sera organisée par la loi sous le contrôle du juge à travers, suivant un ordre décroissant de gravité, une tutelle (art. 440 s.), une curatelle (art. 440 s.), ou une sauvegarde de justice (art. 433 s.). Par ailleurs, il est également possible pour le juge des tutelles d’habiliter une ou plusieurs personnes, choisies parmi certains membres de sa famille, à représenter un majeur en vue de passer certains actes en son nom : c’est l’habilitation familiale qui peut être générale ou spéciale (art. 494-1 s.). Ce n’est pas une mesure de protection judiciaire dans la mesure où le juge des tutelles ne peut la prononcer au titre des mesures de protection judiciaires849 et où il n’est pas appelé à intervenir ensuite du prononcé de l’habilitation. Prononcée pour une durée limitée, elle prendra fin notamment si le majeur est placé sous sauvegarde de justice, sous curatelle ou sous tutelle. On peut enfin mentionner les mesures d’accompagnement judiciaire (art. 495 s.) : lorsque la gestion par une personne majeure de ses prestations sociales n’est pas satisfaisante et que sa santé ou sa sécurité en est compromise, le juge des tutelles peut à certaines conditions ordonner une mesure d’accompagnement judiciaire « destinée à rétablir l’autonomie de l’intéressé dans la gestion de ses ressources » (art. 495 al. 1).

Certaines de ces mesures emportent l’incapacité du majeur protégé, d’autres non.

Le majeur sous sauvegarde de justice (sous réserve des actes pour lesquels un mandataire spécial a été désigné ; art. 435), le majeur protégé par un mandataire de protection future (arg. art. 488), le majeur bénéficiant d’une habilitation familiale spéciale (sous réserve des droits dont l’exercice a été confié à la personne habilitée ; art. 494-8 al. 1), et le majeur bénéficiant d’une mesure d’accompagnement judiciaire (sous réserve de la perception et de la gestion des prestations incluses dans la mesure d’accompagnement judiciaire ; art. 495-3) ne sont pas incapables de contracter : ils ont la capacité d’exercice. Cela peut se comprendre pour le majeur sous sauvegarde de justice dont les facultés mentales ne sont que légèrement atteintes, mais cela se comprend beaucoup plus difficilement pour le majeur protégé par un mandataire de protection future dans la mesure où ses facultés mentales peuvent être atteintes comme le sont celles d’un majeur sous curatelle ou tutelle.

Le majeur sous tutelle, le majeur sous curatelle et le majeur bénéficiant d’une habilitation familiale générale n’ont en revanche pas la capacité d’exercice850. Cette incapacité, en vue de protéger les droits des tiers, doit faire l’objet d’une publicité : une mention « RC » (Répertoire civil) est portée sur l’acte de naissance de l’intéressé851.

208 Sanction : nullité. En vertu de l’article  1147 C. civ., l’incapacité de contracter « est une cause de nullité relative »853.

En réalité, il faut distinguer. Si l'acte accompli par un mineur, un majeur sous tutelle ou un majeur faisant l'objet d'une habilitation (l'acte relevant des pouvoirs de la personne habilitée à le représenter) est nul sans condition particulière, en curatelle, la nullité ne sera prononcée que si le majeur a « subi un préjudice » (C. civ., art 465.

En tout état de cause, parce que la nullité est relative, seule la personne protégée – et non son cocontractant – peut s’en prévaloir. Si, en application des règles relatives aux nullités854, chaque partie, y compris l’incapable, devra restituer à l’autre ce qu’elle a reçu du contrat, il existe une règle particulière à l’article  1352-4 C. civ.855.

209 Sanction : obstacles à la nullité. La loi dresse trois séries d’obstacles au succès d’une action en nullité.

Une première série d'obstacles est envisagée à l'article 1151 al. 1 C. civ., qui prévoit que le contractant capable « peut faire obstacle à l'action en nullité engagée contre lui en établissant que l'acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion ou qu’il a profité à celle-ci »856. Bien ne soient a priori concernés que les actes que l’incapable n’avait pas le pouvoir de conclure seul, on comprend que le cocontractant pourrait néanmoins en obtenir le maintien en établissant, en substance, soit qu’ils étaient lors de leur conclusion objectivement équilibrés (« exempt de lésion ») et intéressants pour l’incapable (« utile »)857, soit que par la suite ils lui devinrent profitables858 (« profité »859). Cela reviendrait « de fait à transformer la nullité pour incapacité en une forme de nullité pour simple lésion »860, appréciée au moment de la conclusion du contrat et par la suite, et ainsi à subordonner l’annulation des actes accomplis par un incapable à l’existence d’un préjudice pour lui861. Exit, ce faisant, les actes nuls per se ! Outre que ce ne semble pas avoir été l’intention du législateur, retenir une telle lecture serait contraire à l’esprit qui gouverne le droit des incapacités : ce n’est « pas l’équilibre du contrat que l’exigence de la capacité vient protéger », c’est « plus fondamentalement le consentement » : « peu importe que le cocontractant ou le juge estiment que l’acte était utile ou profitable à l’incapable. Si ce dernier demande l’annulation, il doit l’obtenir »862.

Une deuxième série d'obstacles est envisagée à l'article 1151 al. 2 C. civ., qui dispose que le contractant capable peut aussi « opposer à l'action en nullité la confirmation de l’acte par son cocontractant devenu ou redevenu capable »863. Il ne s’agit là que d’une conséquence du caractère relatif de la nullité864.

Une troisième série d’obstacles est envisagée à l’article  1152 C. civ. et concerne la prescription : « La prescription de l'action court : 1° À l'égard des actes faits par un mineur, du jour de la majorité ou de l'émancipation ; 2° À l'égard des actes faits par un majeur protégé, du jour où il en a eu connaissance alors qu'il était en situation de les refaire valablement ; 3° À l'égard des héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l'objet d'une habilitation familiale, du jour du décès si elle n'a commencé à courir auparavant ». L'idée générale est que l'action en nullité ne se prescrit qu'à compter du jour où l'incapable est devenu ou redevenu capable ou, s'il ne l'est pas redevenu, au jour de son décès : le point de départ est donc reporté dans le temps. C'est ainsi que la prescription de l'action en nullité des actes accomplis par un mineur court à compter de sa « majorité » ou de son « émancipation », de ceux accomplis par un majeur protégé, « du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement » et au cas où ce dernier serait décédé, au plus tard à compter de son « décès ». En tout état de cause, le délai butoir de l'article 2232 C. civ. s'applique, interdisant ainsi d'agir en nullité plus de vingt ans après la conclusion du contrat.

Point sensible : de l’incapable commerçant ? En principe, seul un majeur est en principe doté de la capacité d’exercer une activité commerciale. Il convient toutefois de distinguer plusieurs hypothèses. En premier lieu, à certaines conditions, le mineur émancipé peut être commerçant. C'est ce que prévoit l'article L. 121-2 du Code de commerce : « [l]e mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d'émancipation et du président du tribunal de grande instance s'il formule cette demande après avoir été émancipé ». C'est la raison pour laquelle le mineur non émancipé ne peut exercer une activité commerciale lui conférant la qualité de commerçant : exercer en son nom propre ou en tant qu'associé d'une société de personnes (société en nom collectif, par ex.) de tels associés ayant la qualité de commerçants. Au contraire, rien n'interdit à un mineur de devenir associé d'une société de capitaux (SARL ou société anonyme, par ex.) ou d'une société de personnes ayant une activité civile. Les droits sociaux sont alors souscrits en son nom par son représentant légal par application du droit commun de l'incapacité d'exercice. En second lieu, et s’agissant des majeurs, il convient de distinguer. S’agissant du majeur sous tutelle , l'article 509, 3 C. civ. interdit au tuteur, même autorisé par le juge, « d'exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ». Si le tuteur ne peut jamais exercer une activité commerciale ou libérale au nom de la personne qu'il représente, c'est que l'on a considéré que le majeur en tutelle était incapable de jouir de la qualité de commerçant. S’agissant du majeur en curatelle, l’article 467, alinéa 1 prévoit que la personne en curatelle « ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ». L’exercice d’une activité commerciale n’étant, on vient de le voir, pas permis en tutelle, même avec l’autorisation du juge, a fortiori, il ne devrait pas être possible pour le majeur sous curatelle d’exercer une activité commerciale sans l’assistance de son curateur. En revanche, cette disposition ne permet pas de savoir si l’exercice d’une profession commerciale ou d’une profession libérale est autorisé au majeur sous curatelle avec l’assistance de son curateur. Si une telle faculté était reconnue, sa mise en œuvre serait en pratique extrêmement difficile dans la mesure où le curateur devrait continuellement assister le majeur protégé. Elle l’a cependant été, par un avis de la Cour de cassation852. Quant au majeur sous sauvegarde de justice , rien ne s'oppose à ce qu'il puisse exercer une activité commerciale ou libérale. En effet, l'article 435, alinéa 1 in limine C. civ. prévoit qu’il « conserve l’exercice de ses droits ». Il n’en demeure pas moins que la situation est périlleuse pour les tiers, dans la mesure où l’alinéa 2 prévoit que les actes conclus par le majeur sous sauvegarde « (...) peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès (...) ». Le danger pour les tiers est d’autant plus grand que, contrairement à ce qui se passe en cas de tutelle ou de curatelle, le jugement d’ouverture de la sauvegarde de justice ne fait pas l’objet d’une inscription au registre du commerce et des sociétés. On retrouve une même difficulté lorsque la personne protégée fait l'objet d'un mandat de protection future puisque, d'une part, la personne protégée n'est pas privée de sa capacité et que, d'autre part, le Code de commerce ne prévoit pas de publicité au registre du commerce et des sociétés alors même que là encore, les actes conclus « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d'excès » (C. civ., art 488.

2 - La sphère de capacité des personnes physiques incapables

210 Disposition générale. Tout incapable d’exercer les droits dont il est titulaire bénéficie néanmoins d’un îlot de capacité : toute personne incapable de contracter « peut néanmoins accomplir seule les actes courants autorisés par la loi ou l’usage, pourvu qu’ils soient conclus à des conditions normales » (C. civ., art 1148. La validité d'un acte accompli par un incapable sera donc subordonnée à la réunion de deux conditions : il s'agit d'un acte courant autorisé par la loi ou l’usage (première condition) et conclu à des conditions normales (seconde condition).

S’agissant de la première condition865, sont visés des actes dont il est raisonnable d’autoriser la conclusion parce qu’ils sont sans danger. L’expression « actes courants866 autorisés par la loi ou l’usage » renvoie à d’autres dispositions propres à telle mesure de protection : l’article  388-1-1 C. civ. indique que si l'administrateur légal représente le mineur dans tous les actes de la vie civile, c'est « sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes » ; l'article 408 C. civ. dispose que si le tuteur prend soin de la personne du mineur et le représente dans tous les actes de la vie civile, c'est « sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage » autorise le mineur à agir lui-même ; l'article 473 al. 1 C. civ. prévoit que si le tuteur représente la personne en tutelle dans tous les actes de la vie civile, c'est « [s]ous réserve des cas où la loi ou l'usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même ». Tantôt c'est la loi qui autorise l’incapable à accomplir seul un acte. Ainsi le majeur sous curatelle peut tester seul (art. 470). De règle générale, la loi confère au juge le pouvoir d’accorder au majeur sous tutelle (art. 473 al. 2) ou au majeur (art. 471) sous curatelle la possibilité de passer seuls certains actes. Tantôt c’est l’usage qui permet à l’incapable d’accomplir seul l’acte. Cela se vérifie notamment pour le mineur : parce qu’il est difficilement admissible qu’un « petit enfant » de 8 ans soit traité comme « grand enfant » de 17 ans, on admettra que celui-ci puisse passer des actes que celui-là ne peut pas ; plus le mineur est âgé, plus son incapacité d’exercice est rognée.

S’agissant de la seconde condition, il faut comprendre qu’alors même que tel acte serait autorisé par la loi ou l’usage, celui-ci doit encore être conclu à des conditions normales. Pour l’essentiel, il ne doit pas être lésionnaire867 et dépourvu d’intérêt pour l’incapable. Dès lors que cette condition n’est pas posée par les textes spéciaux, on peut s’interroger sur sa portée. On pourrait être tenté d’y voir un texte général auquel les textes spéciaux dérogeraient, mais il s’agit là d’un trompe-l’œil, dès lors que ce texte s’adresse spécialement aux incapables visés par les textes spéciaux...

En tout état de cause, par application du droit commun, l’acte pourra être annulé sur le fondement des articles  1129 C. civ. et 414-1 C. civ. 868 s’il est établi que la personne protégée n’était pas saine d’esprit au moment de la conclusion du contrat.

211 Dispositions propres aux mineurs. L’article  1149 C. civ., d'une part, précise les circonstances dans lesquelles les actes courants accomplis par le mineur peuvent être remis en cause et d'autre part, élargit la sphère de capacité des mineurs telle qu'elle est définie de règle générale par l'article 1148 C. civ.

Si la loi indique que « la simple déclaration de majorité faite par le mineur ne fait pas obstacle à l'annulation » (C. civ., art 1149 al. 2), c'est une règle de bon sens qui doit être retenue par analogie pour les majeurs protégés. Décider le contraire reviendrait à ruiner en grande partie leur protection.

En premier lieu, les « actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion » (C. civ., art 1149 al. 1). Cette disposition peut apparaître superfétatoire, si on la met en perspective avec l'article 1148 C. civ. 869 dès lors qu’un acte lésionnaire (C. civ., art 1149 n'est pas un acte conclu à des conditions normales (C. civ., art 1148. Reste que la sanction est précisée : la nullité 870, a priori facultative. En énonçant que la nullité n'est pas encourue « lorsque la lésion résulte d'un événement imprévisible » (C. civ., art 1149 al. 2), le législateur rappelle que la lésion s'apprécie au jour de la conclusion du contrat.

En second lieu, le mineur « ne peut se soustraire aux engagements qu’il a pris dans l’exercice de sa profession » (C. civ., art 1149 al. 3). Cette disposition est très importante. Elle signifie que le mineur qui exerce une profession ne peut remettre en cause les actes qu'il a accomplis dans l'exercice de celle-ci en invoquant sa condition de mineur. Comme on l'a relevé, il s'agit d'une « sorte d'émancipation par et pour le travail » 871.

212 Dispositions propres aux majeurs protégés. Il est renvoyé par l’article  1150 C. civ. à des règles spéciales prévoyant en des termes identiques que les actes que cette personne a valablement passés peuvent être rescindés pour simple lésion, c’est-à-dire rétroactivement anéantis, ou réduits en cas d’excès, c’est-à-dire rééquilibrés872.

Section 2 - La représentation

213 Premières vues. Il y a représentation, en droit, lorsqu’une personne (le représentant) conclut un contrat ou tout autre acte juridique pour le compte d’une autre (le représenté).

Tantôt, le représentant n’est que la « courroie de transmission » du consentement du représenté. Ce dernier a bien participé au negotium (ex. mandat de vendre tel bien à telles conditions), mais il ne pourra participer à la confection de l’instrumentum, signer l’écrit par exemple, car il est empêché d’être présent. Dans ce cas, l’intervention du représentant est purement matérielle, ce de quoi l’on peut tirer plusieurs conséquences, notamment que les éventuels vices du consentement devront être appréciés dans la personne du représenté et non du représentant.

Tantôt, le représentant est bien plus qu’une courroie de transmission du consentement du représenté, puisque c’est lui qui va participer au negotium (ex. mandat de vendre tel bien aux conditions déterminées par le mandataire) et, accessoirement, à la confection de l’instrumentum. Dans ce cas, l’intervention du représentant n’est plus purement matérielle, elle devient intellectuelle, ce de quoi l’on peut tirer plusieurs conséquences, inverses des précédentes, notamment que les éventuels vices du consentement devront être appréciés dans la personne du représentant.

Évidemment, des situations intermédiaires peuvent se présenter (ex. mandat de vendre tel bien aux conditions déterminées par le mandataire, à l’exception du prix), qui appellent une approche des difficultés cas par cas.

Il existe trois sources de représentation : conventionnelle (ex. mandat873), légale (ex. représentation des mineurs non émancipés et des majeurs sous tutelle874), judiciaire (ex. représentation de l’absent875, de l’époux empêché876, d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté877).

Il n’existait avant la réforme que des règles spéciales aux différents types de représentation, même si au-delà des règles spéciales, on appliquait souvent par analogie les règles propres au mandat, qui étaient les plus complètes878.

214 Distinction de la représentation parfaite et imparfaite. La distinction entre représentation parfaite et imparfaite est consacrée et explicitée à l’article 1154.

D’une part, lorsque le représentant « agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté » (al. 1). La représentation est parfaite, le représentant étant « transparent » ; c’est la solution la plus courante, que l’on retrouve dans le mandat et dans différentes hypothèses de représentation judiciaire.

D’autre part, lorsque le représentant « déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l’égard du tiers contractant » (al. 2). La représentation est imparfaite, le représentant étant cette fois « opaque » puisqu’il fait écran entre le représenté et le tiers, en sorte que c’est lui qui participe à l’exécution du contrat – il réclame et se voit réclamer l’exécution du contrat – même si, économiquement, c’est le représenté qui profite ou souffre des opérations conclues ; c’est l’hypothèse du contrat de commission879, mais aussi du mandat à effet posthume880.

215 Pouvoirs du représenté. Est-ce que la représentation implique le dessaisissement du représenté, c’est-à-dire son incapacité d’exercer de passer les actes pour lesquels le représentant a reçu pouvoir ? La loi établit une distinction entre la représentation légale ou judiciaire d’un côté et la représentation conventionnelle d’un autre : l’« établissement d’une représentation légale ou judiciaire dessaisit914 pendant sa durée le représenté des pouvoirs transférés au représentant » (C. civ., art 1159 al. 1) alors que la « représentation conventionnelle laisse au représenté l'exercice de ses droits » (C. civ., art 1159 al. 2). On comprend en effet que celui qui donne mandat à un autre ne perd pas le droit de conclure lui-même les actes qui l'engageront !

Pourtant, le dessaisissement n’est pas tant la conséquence de la source légale ou judiciaire de la représentation que la conséquence de ce que la personne qui donne le pouvoir n’est pas celle qui est représentée (ex. mandat à effet posthume).

216 Pouvoirs du représentant. Principe de spécialité . La loi pose un principe de spécialité : le « représentant légal, judiciaire ou conventionnel n'est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés » (C. civ., art 1153, sachant que le sort des actes accomplis en dehors des pouvoirs ou à la suite d'un détournement de ceux-ci est réglé aux articles 1156 C. civ. et 1157 C. civ. 915.

La question de l’exacte détermination des pouvoirs octroyés au représentant est donc essentielle. À ce sujet, l’article 1155 prévoit d’abord, dans le sillage de l’article 1988916 propre au mandat, que « [l]orsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration » (al. 1917), à l’exclusion des actes de disposition. Le pouvoir de « gérer » les biens du représenté est normalement considéré comme un pouvoir donné en termes généraux.

L’article 1155 prévoit ensuite, dans le sillage de l’article 1987918 relatif au mandat, que « [l]orsque le pouvoir est spécialement déterminé, le représentant ne peut accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire » (al. 2919). Si cette disposition est effectivement dans le prolongement de l’article 1987, elle est davantage descriptive que prescriptive et signifierait que le représentant peut se voir confier des affaires déterminées ou toutes les affaires du représenté, voire que le représentant, s’il ne peut qu’accomplir les actes qui lui sont permis (manifestation du principe de spécialité), peut néanmoins accomplir les actes qui en « sont l’accessoire ».

En vertu du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil, « [c]onstituent des actes d’administration les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal920.

Figure d’abord dans la colonne 1 du tableau constituant l’annexe 1 du présent décret une liste des actes qui sont regardés comme des actes d’administration.

Figure ensuite dans la colonne 1 du tableau constituant l’annexe 2 du présent décret une liste non exhaustive d’actes qui sont regardés comme des actes d’administration, à moins que les circonstances d’espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu’ils répondent aux critères de l’alinéa 1er en raison de leurs conséquences importantes sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie » (art. 1921).

Par ailleurs, « [c]onstituent des actes de disposition les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire922.

Figure encore dans la colonne 2 du tableau constituant l’annexe 1 du présent décret une liste des actes qui sont regardés comme des actes de disposition.

Figure enfin dans la colonne 2 du tableau constituant l’annexe 2 du présent décret une liste non exhaustive d’actes qui sont regardés comme des actes de disposition, à moins que les circonstances d’espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu’ils répondent aux critères de l’alinéa 1er en raison de leurs faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie. » (art. 2923).

Annexe 1 Liste des actes regardés comme actes d’administration ou comme actes de disposition
Colonne 1 : actes d’administration Colonne 2 : actes de disposition
I. – Actes portant sur les immeubles : I. – Actes portant sur les immeubles :
- convention de jouissance précaire (C. civ., art 426, al. 2) ; - disposition des droits relatifs au logement de la personne protégée, par aliénation, résiliation ou conclusion d'un bail (C. civ., art 426, al. 3) ;
- conclusion et renouvellement d'un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (C. civ., art 595 et 1718 ou preneur ; - vente ou apport en société d'un immeuble (C. civ., art 505, al. 3) ;
– bornage amiable de la propriété de la personne protégée ; - achat par le tuteur des biens de la personne protégée, ou prise à bail ou à ferme de ces biens par le tuteur (C. civ., art 508, al. 1) ;
– travaux d’améliorations utiles, aménagements, réparations d’entretien des immeubles de la personne protégée ; - échange (C. civ., art 1707;
– résiliation du bail d’habitation en tant que bailleur ; - acquisition d'immeuble en emploi ou remploi de sommes d'argent judiciairement prescrit (C. civ., art 501;
– prêt à usage et autre convention de jouissance ou d’occupation précaire ; - acceptation par le vendeur d'une promesse d'acquisition (C. civ., art 1589;
- déclaration d'insaisissabilité des immeubles non professionnels de l'entrepreneur individuel (art. L. 526-1 du Code de commerce) ; - acceptation par l'acquéreur d'une promesse de vente (C. civ., art 1589;
– mainlevée d’une inscription d’hypothèque en contrepartie d’un paiement. – dation ;
– tout acte grave, notamment la conclusion et le renouvellement du bail, relatif aux baux ruraux, commerciaux, industriels, artisanaux, professionnels et mixtes, grosses réparations sur l’immeuble ;
– constitution de droits réels principaux (usufruit, usage, servitude...) et de droits réels accessoires (hypothèques...) et autres sûretés réelles ;
- consentement à une hypothèque (C. civ., art 2413;
– mainlevée d’une inscription d’hypothèque sans contrepartie d’un paiement.
II. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels : II. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d’argent : 1° Sommes d’argent :
- ouverture d'un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 4) ; - modification de tout compte ou livret ouverts au nom de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 1 et 2) ;
- emploi et remploi de sommes d'argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (C. civ., art 468 et 501; - ouverture de tout nouveau compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 1 et 2) ;
- emploi et remploi des sommes d'argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (C. civ., art 501; - ouverture de tout compte, y compris d'un compte de gestion du patrimoine, auprès de la Caisse des Dépôts et consignations (C. civ., art 427, al. 3, et art 501, al. 4) ;
– perception des revenus ; - lorsque la personne protégée a fait l'objet d'une interdiction d'émettre des chèques, fonctionnement de ses comptes sous la signature de la personne chargée de la mesure de protection et disposition par celle-ci de tous les moyens de paiement habituels (C. civ., art 427, al. 7) ;
– réception des capitaux ; - emploi et remploi des capitaux et des excédents de revenus (C. civ., art 468 et 501;
– quittance d’un paiement ; – à compter du 1er février 2009 : contrat de fiducie par une personne sous curatelle (C. civ., art 468, al. 2) ;
– demande de délivrance d’une carte bancaire de retrait. – clôture d’un compte bancaire ;
– ouverture d’un compte de gestion de patrimoine ;
– demande de délivrance d’une carte bancaire de crédit.
2° Instruments financiers : 2° Instruments financiers (au sens de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier) :
- résiliation d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (C. civ., art 500, al. 3). - conclusion d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (C. civ., art 500, al. 3) ;
- vente ou apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé (C. civ., art 505, al. 3) ;
- vente d'instruments financiers (C. civ., art 505, al. 4).
3° Autres meubles, corporels et incorporels : 3° Autres meubles, corporels et incorporels :
– louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d’usage courant ou de faible valeur ; - aliénation des meubles meublants du logement ou résiliation ou conclusion d'un bail sur ces meubles (C. civ., art 426, al. 3) ;
- vente ou apport d'un fonds de commerce en société (C. civ., art 505, al. 3) ;
– perception des fruits ; – louage-prêt-vente-échange-dation de meubles de valeur ou qui constituent, au regard de l’inventaire, une part importante du patrimoine du mineur ou du majeur protégé ;
– location d’un coffre-fort. – vente-échange-dation d’un fonds de commerce ;
– conclusion d’un contrat de location-gérance sur un fonds de commerce.
III. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale : III. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
– candidature aux fonctions de gérant et d’administrateur ;
- copropriété des immeubles bâtis : actes visés aux art. 25 à 28-1, 30, 35 et 38 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
IV. – Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale : IV. – Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
- en cas d'indivision légale : vente d'un bien indivis pour payer les dettes de l'indivision (C. civ., art 815-3 3°]). – communauté conjugale : actes qu’un époux ne peut pas faire seul ;
– indivision conventionnelle : actes que le gérant ou l’un des coïndivisaires ne peut pas faire seul ;
– en cas de démembrement du droit de propriété : vente-échange-dation du droit démembré, actes auxquels les titulaires des droits démembrés doivent consentir conjointement, grosses réparations non urgentes.
V. – Actes à titre gratuit : V. – Actes à titre gratuit :
- inventaire (C. civ., art 503; - donation consentie par une personne protégée majeure (C. civ., art 470, al. 2 et 476, al. 1 er) ;
- acceptation d'une succession à concurrence de l'actif net (C. civ., art 507-1; - partage amiable (C. civ., art 507;
- acceptation d'un legs universel ou à titre universel à concurrence de l'actif net (C. civ., art 507-1 et 724-1; - acceptation pure et simple d'une succession (C. civ., art 507-1, al. 1 er) ;
- acte de notoriété (C. civ., art 730-1; - révocation d'une renonciation à une succession ou à un legs universel ou à titre universel (art 507-2 du Code civil) ;
- action interrogatoire à l'encontre des héritiers taisants (art 771, al. 2, du Code civil) ; - acceptation pure et simple d'un legs universel ou à titre universel (C. civ., art 724-1;
- mandat aux fins de partage (C. civ., art 837; - révocation d'une renonciation à un legs (C. civ., art 724-1;
– acceptation de legs à titre particulier et de donation non grevés de charge ; - choix par le donataire de rapporter en nature le bien donné (C. civ., art 859;
– délivrance de legs ; - renonciation à une succession (C. civ., art 507-1, al. 2) ;
– déclaration de succession ; - renonciation à un legs (C. civ., art 724-1;
– attestation de propriété. - renonciation à une action en réduction des libéralités excessives après le décès du prémourant (C. civ., art 920;
– acceptation de legs à titre particulier et de donations grevés de charges ;
– renonciation à un legs universel grevé de charges ;
- révocation d'une donation entre époux (C. civ., art 953;
– consentement à exécution d’une donation entre époux.
VI. ― Actions en justice : VI. – Actions en justice :
- toute action en justice relative à un droit patrimonial de la personne sous tutelle (C. civ., art 504, al. 2) ; - toute action en justice relative à un droit extrapatrimonial de la personne sous tutelle (C. civ., art 475, al. 2) ;
– tout acte de procédure qui n’emporte pas perte du droit d’action. - toute action en justice relative à un droit patrimonial ou extrapatrimonial de la personne en curatelle (C. civ., art 468, al. 3) ;
- action par la personne chargée de la protection en nullité, rescision ou réduction, selon le cas, des actes accomplis par la personne protégée (C. civ., art 465, al. 6) ;
– tout acte de procédure qui n’emporte pas perte du droit d’action.
VII. – Assurances : VII. – Assurances :
– conclusion ou renouvellement d’un contrat d’assurance de biens ou de responsabilité civile. - demande d'avance sur contrat d'assurance (C. assur., art. L. 132-21.
VIII. – Actes de poursuite et d’exécution : VIII. – Actes de poursuite et d’exécution :
- mesures conservatoires (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991) ; - saisie immobilière (C. civ., art. 2206, al. 1 et art. 13 du décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006).
- procédures d'exécution mobilière (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991).
IX. – Actes divers : IX. – Actes divers :
- indivision légale : actes visés par l'article 815-3 1° et 2) du Code civil (acte d'administration des biens indivis et mandat général d'administration) ; - transaction et compromis et clause compromissoire au nom de la personne protégée (C. civ., art 506;
– tout acte relatif à l’animal domestique de la personne protégée. ― changement ou modification du régime matrimonial (C. civ., art 1397;
- souscription ou rachat d'un contrat d'assurance-vie et désignation ou substitution du bénéficiaire (C. assur., art. L. 132-4-1 et C. mut., art. L. 223-7-1;
- révocation du bénéfice non accepté d'un contrat d'assurance-vie (C. assur., art. L. 132-9 et C. mut., art. L. 223-11;
- confirmation de l'acte nul pour insanité d'esprit (C. civ., art 414-2;
- confirmation d'un acte nul pour avoir été accompli par le tuteur ou le curateur seul (C. civ., art 465, al. 8) ;
– convention d’honoraires proportionnels en toute ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires.
Annexe 2 Liste des actes regardés comme des actes d’administration ou de disposition sauf circonstances d’espèce
Colonne 1 : actes d’administration Colonne 2 : actes de disposition
I. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels : I. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d’argent : 1° Sommes d’argent :
– paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital ; – prélèvement sur le capital à l’exclusion du paiement des dettes ;
– octroi de délai raisonnable en vue du recouvrement de créances. – emprunt de sommes d’argent ;
– prêt consenti par la personne protégée.
2° Instruments financiers (au sens de l'art. L. 211-1 du Code monétaire et financier) : 2° Instruments financiers (au sens de l'art. L. 211-1 du Code monétaire et financier) :
– actes de gestion d’un portefeuille, y compris les cessions de titres à condition qu’elles soient suivies de leur remplacement ; – cession du portefeuille en pleine propriété ou en nue-propriété ;
– exercice du droit de vote dans les assemblées, sauf ce qui est dit à propos des ordres du jour particuliers ; – acquisition et cession d’instruments financiers non inclus dans un portefeuille ;
– demandes d’attribution, de regroupement ou d’échanges de titres ; – nantissement et mainlevée du nantissement d’instruments financiers.
– vente des droits ou des titres formant rompus ;
– souscription à une augmentation de capital, sauf ce qui est dit sur le placement de fonds ;
– conversion d’obligations convertibles en actions admises à la négociation sur un marché réglementé.
3° Autres meubles, corporels et incorporels : 3° Autres meubles, corporels et incorporels :
– cession de fruits ;
– vente-échange-dation de droits incorporels ;
– conclusion d’un contrat d’exploitation d’un droit ou d’un meuble incorporel.
II. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale : II. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
– engagement de conservation de parts ou d’actions. – tout apport en société non visé à l’annexe 1 ;
– détermination du vote sur les ordres du jour suivants : Reprise des apports – Modification des statuts – prorogation et dissolution du groupement – fusion – scission – apport partiel d’actifs – agrément d’un associé – augmentation et réduction du capital – changement d’objet social – emprunt et constitution de sûreté – vente d’un élément d’actif immobilisé – aggravation des engagements des associés ;
– maintien dans le groupement ;
– cession et nantissement de titres.
III. – Actes relatifs à la vie professionnelle : III. – Actes relatifs à la vie professionnelle :
– conclusion et rupture d’un contrat de travail en qualité d’employeur ;
– conclusion et rupture d’un contrat de travail en qualité de salarié ;
- adhésion à un contrat d'assurance de groupe en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d'activité professionnelle ou adhésion à un contrat de prévoyance complémentaire (sauf en matière d'assurance-vie : C. assur., art. L. 132-4-1 et L. 132-9 et C. mut., art. L. 223-7-1 et L. 223-11;
- adhésion à un contrat d'assurance afférent au risque décès dans le cadre d'un contrat collectif (C. assur., art. L. 141-5 et C. mut., art. L. 233-6).
IV. – Assurances : IV. – Assurances :
– acceptation de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie sans charge. – acceptation de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie avec charges ;
– versement de nouvelles primes sur un contrat d’assurance-vie.
V. – Actes divers : V. – Actes divers :
– contrat de crédit

217 Pouvoirs du représentant. Distinction. Les actes accomplis par le représentant qui n’aurait pas respecté les limites des pouvoirs conférés, dans leur objet (actes accomplis sans pouvoir ou au-delà des pouvoirs) ou leur but (actes accomplis à la suite d’un détournement de pouvoirs), sont sanctionnés, encore qu’ils le soient différemment.

218 Pouvoirs du représentant. Absence de pouvoirs. L’acte accompli sans pouvoir ou au-delà des pouvoirs (C. civ., art 1156 est en principe inopposable924 par le tiers au représenté. Cette sanction est légitime et opportune.

La sanction est en premier lieu légitime. Le pseudo représentant n’ayant pas le pouvoir de représenter le représenté, il n’est pas possible d’imputer à ce dernier les actes passés pour son compte. L’inopposabilité « n’est pas tant une sanction, que la constatation d’un état de fait »925, celle d’un acte que le représenté peut tenir pour inexistant à son endroit926. D’une certaine manière, l’article  1156 C. civ. est un corollaire du principe de l'effet relatif des contrats (C. civ., art 1199 927) : le représenté ne peut être lié par un acte auquel il n’a pas consenti lui-même ou par l’intermédiaire d’une personne à qui il avait conféré le pouvoir de consentir pour elle.

La sanction est en second lieu opportune. De fait, l’inopposabilité est plus commode pour le représenté, puisqu’il n’a « rien à faire », alors que la nullité suppose une action en justice, laquelle se prescrit au surplus. La sanction de l’inopposabilité rompt avec le droit antérieur (du mandat) puisque l’acte accompli en dehors des pouvoirs par un mandataire semblait être annulable à la demande du représenté928 (l’article 1998, propre au mandat, est particulièrement imprécis, se contentant d’indiquer que le mandant « est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné » (al. 1) et qu’il « n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement » (al. 2)).

L’inopposabilité du contrat est écartée au profit du tiers de bonne foi. En effet, le tiers qui a « légitimement cru » dans les pouvoirs du représentant pourra opposer le contrat au représenté. On retrouve l’idée qui a présidé à l’admission par la jurisprudence de la théorie du mandat apparent929. Par ailleurs, le tiers qui « ignorait » (sans qu’il soit précisé que cette ignorance doive être légitime) que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs pourra préférer obtenir l’annulation du contrat930, sanction qui a suscité la perplexité931. La nullité, à défaut d’avoir fait l’objet d’un accord, devant être prononcée par le juge, le contrat mandaté est valable jusqu’à ce moment, sans pour autant être efficace, dans la mesure où il est inopposable au représenté. Deux possibilités, donc : soit le représenté le ratifie, soit le tiers en provoque l’annulation932. L’annulation aurait pour effet de rompre tous les liens dans l’opération prétendument triangulaire et de procéder aux restitutions, si des prestations ont été effectuées en vertu du contrat mandaté conclu. En tout état de cause, on comprend que l’article 1156 interdit au tiers de demander la nullité du contrat s’il n’ignorait pas que l’acte était accompli sans ou au-delà des pouvoirs et espérait une ratification du pseudo représenté. En somme, l’intérêt pour un tiers de conclure le contrat mandaté sans ignorer que le « représentant » n’a pas les pouvoirs nécessaires réside essentiellement dans le porte-fort933 que souscrira souvent ce dernier : le « représentant » se porte-fort que la personne qu’il entend représenter ratifiera le contrat mandaté conclu.

En tout état de cause, en cas de ratification de l’acte par le représenté, l’inopposabilité ne peut plus être invoquée (par le représenté), pas plus que la nullité (par le tiers). Quant au moment de la ratification, elle doit être possible tant que le représenté n’a pas manifesté sa volonté auprès du tiers de tenir le contrat comme lui étant inopposable934. Quant aux effets de la ratification, ils sont doubles : rendre l’acte valable et opposable au représenté. A priori, La ratification joue rétroactivement935. Toutefois, si la rétroactivité est de principe entre les parties, en va-t-il de même à l’égard des tiers ? C’est douteux936 , dès lors que la loi prévoit le contraire s'agissant de la confirmation d'un acte, qui joue « sans préjudice (...) des droits des tiers » (C. civ., art 1182 al. 4).

220 Pouvoirs du représentant. Détournement de pouvoirs. L’acte accompli à la suite d’un détournement de pouvoirs au détriment du représenté (C. civ., art 1157, c'est-à-dire dans un autre intérêt que celui de ce dernier (ex. le mandataire d’un acheteur payé par une commission proportionnelle ne tente pas d’obtenir le prix le plus bas auprès du vendeur), ce qui appelle une appréciation plus fine de l’opération, est également sanctionné, mais autrement : l’acte est en effet en principe valable.

Toutefois, il pourra être annulé à la demande du représenté942, chaque fois que le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

Bien que cette faculté n’ait pas été prévue, la ratification doit être offerte au représenté. Elle a ici techniquement pour effet de rendre l’acte valable chaque fois que le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

220 Pouvoirs du représentant. Synthèse. En schématisant, alors que les actes accomplis sans ou au-delà des pouvoirs sont en principe non efficaces, sauf bonne foi du tiers, les actes accomplis à la suite d’un détournement de pouvoirs sont en principe efficaces, sauf mauvaise foi de ce dernier. En tout état de cause, le représentant a commis une faute et engage sa responsabilité, le cas échéant avec le tiers de mauvaise foi, envers le représenté.

221 Interpellation interrogatoire. Eu égard aux sanctions qui frappent l’ensemble des actes accomplis en dehors des pouvoirs ou à la suite d’un détournement de pouvoirs, l’article  1158 C. civ. instaure une « interpellation interrogatoire » au bénéfice du tiers qui doute de « l’étendue du pouvoir » du représentant conventionnel943 « à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure »944.

Le tiers peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte. Le peut-il alors même qu’il ne douterait pas de l’étendue mais de l’existence même de pouvoir ? Distinguer serait oiseux : d’une part, agir au-delà de pouvoirs est agir sans pouvoir et, d’autre part, on ne voit pas pourquoi l’action ne pourrait être engagée lorsque l’on craint un pouvoir falsifié ou périmé. L’interpellation doit, en toute hypothèse, être permise945.

À défaut de réponse, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. On mesure ici la gravité particulière de l’absence de réponse : une personne va se trouver engagée par un acte alors qu’elle n’y avait pas consenti. Comme cela a été exactement relevé, l’article 1158 « conduit à donner au silence la valeur d’acceptation [et à] reconnaître une nouvelle source d’obligation car on peine à y voir une obligation de nature authentiquement contractuelle »946 . Certes, l'« écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte » (C. civ., art 1158 al. 2), mais il eut été préférable d'indiquer que cette sanction est celle qui est prévue expressément par une disposition légale (autrement dit : « [l]'écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, conformément à l'article 1158 al. 2, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte »).

Pourrait-on imaginer des tiers se faire une profession de « l’interrogation », en pariant sur le silence des personnes interrogées ? Ce serait oublier que l’interpellation interrogatoire est une prérogative qui, comme toute prérogative, doit être mise en œuvre de bonne foi947 (cela vaut aussi pour la détermination du délai, qui doit être raisonnable).

222 Double représentation et contrepartie. L’article  1161 C. civ.  interdit la double représentation ainsi que la faculté pour le représenté de se porter contrepartie, à peine de nullité de l’acte accompli948, sauf l’autorisation a priori de la loi ou du représenté ou la ratification a posteriori de ce dernier : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. (al. 1) En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié. (al. 2) ».

La lettre du texte a été retouchée par la Loi de ratification, dans une de ses dispositions devant s’appliquer aux contrats conclus après le 1er octobre 2018, dès lors qu’elle n’est pas considérée comme interprétative949. Alors qu’en vertu de l’Ordonnance, il était prévu qu’« [u]n représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté », en vertu de la Loi de ratification, il est désormais prévu qu’ « [e]n matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. » La nouvelle version apporte à la première deux précisions.

Primo, l’interdiction ne concerne que la représentation des personnes physiques et non celle de toutes les personnes, y compris morales. Cette première précision était attendue : dès lors qu’il existe en droit des sociétés des règles précises sur les « conventions réglementées » ayant pour but de remédier aux conflits d’intérêts950, il était inutile et dangereux de leur appliquer le texte général de l’article  1161 C. civ.951. Dans l’élan, c’est la représentation de toutes les personnes morales qui a été écartée du champ d’application de l’article  1161 . Reste toutefois le cas d’un contrat conclu entre une personne physique représentée et une personne morale, par hypothèse elle aussi représentée. Le représentant de la personne morale pourrait-il également représenter la personne physique ou encore un tiers pourrait-il représenter et la personne morale et la personne physique ? La lettre du texte ne permet pas de répondre à cette question de manière certaine ; mais son esprit ne commande-t-il pas de considérer le texte applicable tout en limitant la faculté d’agir en nullité à la personne physique952 ?

Secundo, l’interdiction ne vise plus les « deux parties au contrat », mais les « parties au contrat en opposition d’intérêts ». D’une part, même si cela s’imposait déjà, le texte joue quel que soit le nombre de parties au contrat. D’autre part, le législateur a envisagé le cas du contrat conclu au moins par une partie plurale. Par exemple, deux époux vendent un immeuble commun à une ou plusieurs personnes. Bien qu’il puisse exister des conflits d’intérêts au sein d’une partie plurale (ex. les deux époux sont en instance de divorce et l’un d’entre eux est « prêt à tout » pour exaucer les souhaits de celui qui désire le quitter), il semble que le législateur ait estimé, au vu de l’application de l’article 1161, que ceux formant la partie plurale étaient mus par de mêmes intérêts953.

Au-delà des précisions apportées par la Loi de ratification, l’article  1161 C. civ. constitue une rupture avec les solutions traditionnellement applicables au mandat954. Le double mandat était en principe admis955, sauf l’impossibilité pour le mandataire d’intérêt commun de représenter deux concurrents956 et les hypothèses dans lesquelles le double mandat était prohibé par la loi957 . Quant à la possibilité de se porter contrepartie, elle était également en principe admise sauf, pour l'essentiel, en matière de vente (C. civ., art 1596 958).

D’après le rapport au président de la République, « [l]'article 1161 clarifie enfin les règles applicables en cas de conflit d’intérêts entre le représentant et le représenté ou le tiers, conformément à ce qui est admis dans les projets européens ». Or, non seulement ce texte ne clarifie rien, mais revient sur le droit existant et continue de soulever, même après la Loi de ratification, de très graves interrogations, essentiellement quant à son champ d’application. A-t-il vocation à s’appliquer à toutes les situations d’intermédiation, dans lesquelles l’intermédiaire n’est pas stricto sensu un représentant, mais où il est considéré comme un mandataire (on pense notamment à l’agent immobilier, « mandataire », d’après la loi Hoguet) ? La question se pose d’autant plus que le conflit d’intérêts paraît plus prégnant lorsqu’un intermédiaire négocie pour le compte des deux parties que lorsqu’une personne ne fait que représenter deux parties qui ont négocié les termes du contrat mais qui ne peuvent être présentes lors de sa conclusion. Le texte a-t-il par ailleurs vocation à s’appliquer aux situations dans lesquelles il existe deux représentants distincts, mais qui sont subordonnés à la même personne (ex. deux clercs d’une même étude) ? Le texte a-t-il plus généralement vocation à s’appliquer lorsque les représentants ne sont que les porte-plume de leur donneur d’ordre ?959

224 Caducité en cas d’incapacité ou d’interdiction du représentant . Les pouvoirs du représentant « cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction » par l'effet d'une caducité (C. civ., art 1160 même si le texte n'y fait pas expressément référence, on est bien dans une hypothèse de caducité au sens de l'article 1186 al. 1 C. civ. 961). Certes, ce n’est pas le représentant qui est appelé à devenir partie aux contrats à conclure pour le compte du représenté en sorte que l’on pourrait s’interroger à première vue sur la pertinence de cette disposition. Mais il faut bien concéder que ce n’est pas la même chose d’être représenté par une personne ab initio incapable ou interdite – et que l’on a néanmoins choisie – et par une personne devenue incapable ou interdite962... Reste la question de l’incapacité et de l’interdiction à laquelle il est fait référence : s’agit-il de celle de conclure le contrat projeté ou de celle d’être représentant ? En bonne logique, le mécanisme de la représentation conduit à retenir la seconde branche de l’alternative.

Droit spécial : du mandat, de la commission et du courtage Le contrat de mandat est celui par lequel « une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » (art. 1984). Cette définition est relativement imprécise et on peut la préciser triplement. Primo, l’objet du pouvoir est d’accomplir des actes juridiques. Si l’intermédiaire n’accomplit aucun acte mais se borne à rapprocher des personnes, c’est un courtier. S’il accomplit des actes matériels, du moins à titre principal, on est en présence d’un contrat de prestation de service (contrat d’entreprise). Secundo, le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant, ce pourquoi le mandant est partie au contrat conclu par le mandataire et les actes juridiques conclus produiront des effets dans son patrimoine. Tertio, le mandataire n’est pas subordonné au mandant, à défaut de quoi il serait considéré comme un salarié. De nombreux intermédiaires sont qualifiés par la loi d’agents (agents commerciaux881 ou agents immobiliers882, par exemple) et, partant, considérés comme des mandataires. Pourtant, le plus souvent, ces agents n’en sont pas de véritables alors même que la loi les réputerait comme tels, dès lors qu’ils n’ont pas le pouvoir de conclure des contrats au nom et pour le compte du donneur d’ordre. Ainsi l’agent commercial est un « mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale »883 et l’agent immobilier ne peut « engager son mandant pour l’opération envisagée à moins qu’une clause de ce mandat ne l’y autorise expressément »884. Ils sont donc bien plus proches des courtiers que des mandataires. Cela n’empêche pas que, en tant que de raison, on leur applique les règles relatives au mandat, et désormais celles relatives à la représentation. Le contrat de commission est celui par lequel une personne, le commissionnaire, a reçu d’une autre, le commettant, le pouvoir d’agir ostensiblement (celui qui a reçu de tels pouvoirs d’agir, mais de façon occulte, est un prête-nom885) en son nom propre mais pour le compte de ce dernier. C’est une hypothèse de représentation imparfaite, envisagée à l’article 1154 alinéa 2. La loi réputant actes de commerce « [t]oute entreprise de (...) de commission »886, le commissionnaire est un commerçant. Le recours à la commission est possible en tout domaine, encore qu’il soit particulièrement fréquent en droit des transports887, en droit douanier888 ou en droit de la distribution889. Le Code de commerce consacre au contrat de commission en général deux dispositions. Primo , l'article L. 132-1, après avoir donné une définition du commissionnaire (« Le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant »), renvoie pour son régime au droit commun du mandat (« Les devoirs et les droits du commissionnaire qui agit au nom d'un commettant sont déterminés par le titre XIII du livre III du Code civil »). De fait, les rapports entre le commettant et le commissionnaire sont similaires à ceux d'un mandataire. Secundo , l'article L. 132-2 reconnaît au commissionnaire un privilège 890 . Le contrat de commission relève également aujourd'hui des dispositions du Code civil relatives à la représentation, et en particulier de l'article 1154 alinéa 2 : lorsque le représentant « déclare agir pour le compte d'autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l'égard du cocontractant. » Par où l'on voit que le contrat de commission se distingue du mandat dans les rapports avec les tiers. Comme il a été suggéré 891, le contrat de commission invite à distinguer les « effets personnels » des « effets réels » du contrat passé par le commissionnaire892. D’une part, le commissionnaire a personnellement la qualité de partie au contrat conclu avec le tiers : c’est lui qui réclame l’exécution du contrat au tiers et c’est à lui seul et non au commettant que ce dernier peut la réclamer (sauf le cas particulier de la commission de transport893). D’autre part, c’est le commettant qui profite ou souffre des effets patrimoniaux du contrat : dans une commission à la vente, le bien ne transite pas par le patrimoine du commissionnaire et le commettant fait sien le prix de la vente894 ; dans une commission à l’achat, le bien acquis appartient au commettant. Le contrat de courtage est celui par lequel une personne, le donneur d’ordre, en charge une autre, le courtier, de rechercher un tiers en vue de conclure un contrat avec ce dernier. L’activité de courtage étant réputée être un acte de commerce895, des dispositions sont consacrées au courtier dans le chapitre Ier (« Des courtiers ») du titre III du livre Ier du Code de commerce. Il reste que l’on n’y trouve qu’une seule règle générale, à l’article L. 131-11, laquelle prévoit que le fait pour un courtier d’être chargé d’une opération de courtage pour une affaire où il avait un intérêt personnel, sans en prévenir les parties auxquelles il aura servi d’intermédiaire est puni d’une amende sans préjudice de l’action des parties en dommages-intérêts et de sa radiation s’il est inscrit sur la liste des courtiers, dressée conformément aux dispositions réglementaires. Quant aux autres dispositions, elles concernent en réalité certains courtiers particuliers que sont les courtiers de marchandises, les courtiers interprètes et conducteurs de navires, les courtiers de transport par terre et par eau896. Ces règles relatives à des opérations de courtage spécial ne sont pas pour autant les seules et il existe, hors du Code de commerce, d’autres règles particulières à d’autres types de courtage : c’est le cas pour les courtiers en assurance897 qui sont des intermédiaires en assurance au sens du livre V du Code des assurances, pour les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement898, pour les courtiers en vins899, pour ceux qui fournissent des services de placement au sens du Code du travail900, mais aussi pour plusieurs « agents » dépourvus en principe du pouvoir de conclure des contrats, tels l’agent commercial901, l’agent immobilier902 et l’agent sportif903. Quant aux courtiers dont l’activité n’est pas régie par des règles spéciales, on peut mentionner les places de marché (qui ne sont pas de simples hébergeurs904), mais aussi les courtiers matrimoniaux, ainsi que les courtiers « para-matrimoniaux » qui n’intermédient pas forcément en vue du mariage ou d’une union stable... Ainsi, le courtage est a priori susceptible d’intervenir dans tout secteur économique, sauf à relever qu’il est pénalement sanctionné, au nom de valeurs supérieures, dans certaines hypothèses : est ainsi interdit le fait d’apporter son entremise pour favoriser contre un paiement l’obtention d’un « organe »905, « de tissus, de cellules ou de produits humains »906, « d’embryons humains »907, « du sang »908, « de gamètes »909. Une question classique est celle de l’application au contrat de courtage, par analogie, des règles du mandat, voire aujourd’hui celles de la représentation. Si les règles techniques visant à imputer à une personne un acte conclu par autrui et à lui faire supporter les frais et pertes occasionnés (le remboursement des avances et frais engagés sur le fondement de l’article  1999 C. civ. et l'indemnisation des pertes de gestion prévue à l'article 2000 C. civ.) ne peuvent par principe être appliquées au courtage, d'autres pourraient l'être, d'autant plus que certains courtiers sont désignés par la loi comme des mandataires (c'est le cas de l'agent immobilier ou de l'agent commercial, comme il vient d'être vu). Ainsi se posera la question de la licéité du double courtage (pourtant en pratique très fréquente), au-delà de la disposition visée du Code de commerce qui prohibe la faculté pour le courtier de devenir la contrepartie de son donneur d'ordre 910, au vu du nouvel article  1161 C. civ. qui dispose qu’« [e]n matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté » (al. 1, réd. L. ratif.911), l’acte accompli étant nul, « à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié » (al. 2)912. Il est vrai que les conflits d’intérêts contre lesquels vise à lutter cette disposition sont bien réels. Par ailleurs, l’indemnisation en fin de contrat de certains courtiers, comme cela se fait pour certains mandataires, se pose régulièrement913.

Droit spécial : du mandat a effet posthume Toute personne « peut donner à une ou plusieurs autres personnes, physiques ou morales, mandat d'administrer ou de gérer, sous réserve des pouvoirs confiés à l'exécuteur testamentaire, tout ou partie de sa succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou de plusieurs héritiers identifiés » (C. civ., art 812 al. 1). Si un tel mandat dessaisit les héritiers, qui sont les personnes représentées, c'est parce que celui qui a donné pouvoir (le défunt) n'est pas celui qui est représenté. Il reste que les héritiers peuvent mettre fin au mandat en aliénant les biens mentionnés dans le mandat ( C. civ., art 812-4, 5), ce qui montre qu'ils ne sont pas totalement dessaisis.

Droit spécial : du mandat En présence d’un mandat, il conviendra de mettre en perspective l’article  1156 C. civ. avec la disposition spéciale de l'article 2005 C. civ. aux termes de laquelle la « révocation notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l'ignorance de cette révocation, sauf au mandant son recours contre le mandataire ». De fait, le mandataire révoqué est certes devenu sans pouvoir, mais encore faut-il demander si la révocation est opposable aux tiers. D’une part, dans les rapports internes, la révocation prend effet au moment où elle est portée à la connaissance du mandataire révoqué (arg. art.  2006 C. civ.937). Le mandataire révoqué doit remettre immédiatement au mandat l’expédition de la procuration qu’il lui avait donnée (art.  2004 C. civ.938). Cette restitution permet d’empêcher le mandataire révoqué d’user frauduleusement du pouvoir. D’autre part, dans les rapports externes, la révocation prend effet au moment où elle est portée à la connaissance des tiers : « La révocation notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l’ignorance de cette révocation, sauf au mandant son recours contre le mandataire » (art.  2005 C. civ.)939. La jurisprudence considère que le fait d’avoir retiré au mandataire la procuration dont il était détenteur n’interdit pas aux tiers de prétendre qu’ils ont ignoré la révocation du mandat940. Au contraire, si le tiers a traité avec le mandataire dans l’ignorance de la révocation, l’acte est valable à son égard et doit être exécuté par le mandant, sauf le recours de celui-ci contre le mandataire941.

Droit spécial : du courtage Les conflits d'intérêts étant particulièrement aigus, l'article L. 131-11 du Code de commerce 960 interdisait déjà avant la réforme au courtier d'être chargé d'une opération de courtage pour une affaire où il avait un intérêt personnel, sans en prévenir les parties auxquelles il aura servi d'intermédiaire. Ce texte ne donne toutefois pas lieu à conflit et il n’y a pas de décisions significatives qui en font application.

Droit spécial : du mandat La portée de l’article  1160 C. civ. devra être tempérée en présence d'un mandat, en raison de certaines règles spéciales. Ainsi, le mandataire de bonne foi pourra invoquer l'article 2008 C. civ. aux termes duquel « si le mandataire ignore la mort du mandant ou l'une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu'il a fait dans cette ignorance est valide » et les tiers de bonne foi, l'article 2009 C. civ., d'après lequel « (...) les engagements du mandataire sont exécutés à l'égard des tiers qui sont de bonne foi ».

Chapitre 5 - Le contenu du contrat

Plan

224 Localisation. « Le contenu du contrat » fait l’objet de la troisième sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II intitulé « La formation du contrat ».

Pour qu’un contrat se forme valablement , on a vu que des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »963. Dans le cadre de ce chapitre, c’est donc la troisième condition qui nous intéresse.

On verra toutefois qu’il n’est pas question d’envisager le seul but stricto sensu, mais aussi qu’il s’agit également des buts poursuivis par les parties964.

225 L'article 1101 ne dit pas tout... On sait que le contrat est défini par le Code civil comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (C. civ., art 1101 965). Cette définition appelle des précisions liminaires, quant à la définition et quant aux sources du contenu du contrat.

226 Définition du contenu du contrat : obligations, prérogatives et incombances. Le contenu du contrat ne se limite pas à la création, la modification, la transmission ou l’extinction d’« obligations », c’est-à-dire de créances et de dettes. Si le contenu du contrat se limitait à cela, les instrumenta ne seraient pas aussi épais que ce qu’ils le sont en pratique ! Certes, les obligations forment bien le cœur du contrat dans la mesure où ce sont elles qui permettent aux parties d’obtenir les prestations966 qu’elles attendent du contrat. Mais en périphérie, le contrat confère aux parties des prérogatives et met parfois à leur charge des incombances.

En premier lieu, l’obligation est le lien de droit qui astreint son titulaire passif, le débiteur, à une prestation (action ou abstention) envers son titulaire actif, le créancier967.

En deuxième lieu, une prérogative est un droit conféré à une partie qui lui permet de modifier la situation contractuelle968. Il s’agit par exemple du droit de lever une option, du droit de déterminer unilatéralement le prix en cours d’exécution du contrat, du droit de résoudre le contrat, du droit de réduire le prix, etc. On se rend bien compte qu’elle n’est pas une créance, en ce qu’elle ne tend pas à obtenir l’exécution d’une prestation de la part d’une autre personne, en ce qu’elle n’a pas de titulaire passif. Pouvoir par essence unilatéral, la prérogative est susceptible d’abus969.

En troisième lieu, une incombance est un devoir qui pèse sur une partie préalablement à la mise en œuvre d’un droit, créance ou prérogative et dont « l’inobservation expose son auteur non à une condamnation, mais à la perte des avantages attachés à l’accomplissement du devoir »970. Il s’agit par exemple du devoir de mettre en demeure le débiteur de s’exécuter avant de résoudre le contrat, du devoir pour le bénéficiaire d’un pacte de préférence de signaler un changement d’adresse afin qu’on lui permette d’exercer sa préférence (l’incombance précède la prérogative), du devoir de signaler un sinistre à son assureur dans un délai déterminé pour obtenir une indemnité ou de faire des réserves lors de la réception d’un bien pour ne pas être déchu du droit de se plaindre des défauts apparents (l’incombance précède la créance), etc. On se rend encore bien compte que l’incombance n’est pas une dette, en ce qu’elle ne tend pas à l’exécution d’une prestation due à une autre personne, en ce qu’elle n’a pas de titulaire actif.

227 Sources du contenu du contrat. Il n’y a pas d’identité nécessaire entre ce que les parties ont exprimé en contractant et ce à quoi elles seront tenues. En effet, la loi prévoit que le contrat oblige non seulement à ce que les parties ont exprimé mais aussi aux suites qui découlent de la loi, de l'usage et de l'équité (C. civ., art 1194 974).

Ainsi, dans une vente, le vendeur est normalement tenu de la garantie des vices cachés alors même que les parties n’auraient rien stipulé ou même auraient voulu l’écarter, tout simplement parce que la loi le prévoit et que dans ce cas précis elle est d’ordre public.

228 Plan. Dans cette mesure, on distinguera le contenu exprimé (section 1) du contenu imposé (section 2).

Point sensible : de la prérogative qui est aussi une obligation ou une incombance ? La Cour de cassation juge parfois que l’absence d’exercice d’une prérogative constitue une faute971. Il en va ainsi de l’absence d’exercice de la faculté pour un transporteur de décharger la marchandise dans un autre port en raison des grèves affectant les ports français972. Il en va également ainsi de l’absence d’exercice de la faculté pour un bailleur de mettre en œuvre une clause résolutoire pour non-paiement des loyers, car il fait supporter de mauvaise foi les conséquences du non-paiement du loyer pendant une longue période sur les tiers garants973. Ces décisions ouvrent la boîte de Pandore et il est impérieux d’en circonscrire le domaine. De fait, les hypothèses dans lesquelles l’exercice par une personne d’une prérogative qui lui est reconnue peut servir les intérêts d’autrui sont évidemment très nombreuses. Une piste : plutôt que de se demander si l’exercice d’une prérogative par son titulaire sert aussi l’intérêt d’autrui, ne faudrait-il pas se demander si la prérogative a été reconnue non pas seulement dans l’intérêt de son titulaire, mais aussi dans celui de tiers déterminés ?

Section 1 - Le contenu exprimé

229 Plan. Le contenu exprimé doit être déterminé (§ I), possible (§ II), équilibré (§ III) et licite (§ IV).

En revanche, peu importe que les obligations qui font le contenu du contrat aient « pour objet une prestation présente ou future » (C. civ., art 1163 al. 1).

Droit spécial : des contrats portant sur les choses futures Un contrat qui porte sur une chose future est un contrat qui peut être dangereux. En s’engageant d’ores et déjà à céder ou à acquérir un bien à venir, les parties aliènent leur liberté – parfois leur force de travail car elles devront réaliser le bien – et prennent des engagements au regard de biens qu’elles n’ont pas, qu’elles ne voient pas, qui n’existent pas, ce qui suppose de leur part un effort d’abstraction particulier. C’est la raison pour laquelle les contrats portant sur des choses futures retiennent particulièrement l’attention du législateur. Tantôt, ces contrats sont réglementés : c'est le cas notamment des donations de biens à venir (C. civ., art 1081 s.), de la vente d'immeuble à construire qui peut prendre la forme d'une vente à terme ou, beaucoup plus souvent, d'une vente en l'état futur d'achèvement (CCH, art 1601-1 s. et L. 261-1 s.). En revanche, le « bail en l'état futur d'achèvement », qui connaît un important succès en pratique et qui s'appuie le plus souvent sur une vente en l'état futur d'achèvement ne fait pas l'objet de règles particulières. Tantôt, ces contrats sont interdits en raison de l'atteinte excessive à la liberté qu'ils causent : le pacte sur succession future (C. civ., art 722 975 ) en raison de la liberté testamentaire, la cession globale d'œuvre future (CPI, art. L. 131-1 976) en raison de la liberté de création, notamment.

§ I - Détermination

230 Plan. Il faut distinguer la détermination du contenu en général (A) de la détermination des obligations portant sur une somme d’argent (B).

A - Le contenu en général

231 Sens et portée. Le Code civil ne prévoit pas directement que le contenu du contrat doive être déterminé lors de sa conclusion. Mais il l’exige indirectement en posant que l'obligation soit « déterminée ou déterminable » (C. civ., art 1163 al. 2), précision devant être apportée que ce n'est pas seulement l'obligation, mais tous les effets qui sont concernés (ex. transfert de propriété de tel bien).

C’est une exigence de bon sens que les parties doivent s’être accordées dès la conclusion du contrat afin d’être en mesure de savoir à quoi elles se sont engagées. On ne comprendrait pas qu’une partie puisse déterminer seule, une fois le contrat conclu, ce à quoi elle est obligée ou ce à quoi l’autre l’est à son endroit. Si tel était le cas, ce sont les fondements mêmes de la liberté contractuelle qui s’en trouveraient sapés : savoir ce à quoi l’on s’engage et savoir ce à quoi l’autre s’engage977.

Cela étant, l’obligation n’a pas à être déterminée, elle peut n’être que déterminable.

232 Obligation déterminée. L’obligation est déterminée lorsqu’elle est identifiée. Par exemple, l’obligation de transférer la propriété d’un terrain est identifiée par les références cadastrales, l’obligation de transférer la propriété de marchandises l’est par leur quotité et leur type et l’obligation de réaliser des réparations l’est par la nature des travaux à effectuer. Lorsque l’obligation n’est pas déterminée, le contrat n’est pas valable978, et probablement même pas formé.

233 Obligation déterminable. L’obligation est déterminable lorsqu’elle est identifiable . La « prestation » est considérée comme étant « déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire » (C. civ., art 1163 al. 3). En réalité, si la jurisprudence ancienne était reconduite, deux conditions devraient être réunies : d'une part, les parties ont prévu les éléments de sa détermination ; d’autre part, ces éléments ne dépendent pas d’un nouvel accord de volonté des parties ou même de la volonté unilatérale d’une partie. Ainsi est déterminable l’objet de la vente portant sur tous les biens, même non désignés, d’un garde-meubles979, mais ne l’est pas celui qui a pour objet la distribution et la vente de produits dont la liste, qui devait être annexée à l’acte, ne l’a pas été980 ou encore le mandat de vente d’un terrain à détacher d’une parcelle sans davantage de précision, référence cadastrale et plan annexé981.

234 Qualité de la prestation ? Ce sont les parties qui déterminent la qualité des prestations dues. Si elles ne l’ont pas fait – ce qui est possible : c’est la prestation elle-même et non sa qualité qui doit être déterminée ou déterminable en vertu de la loi –, c’est au juge qu’il reviendra de le faire, à partir de critères posés par la loi : lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, « le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie » (C. civ., art 1166 984)985. En pratique, c’est souvent le prix qui permettra d’éclairer les attentes légitimes du créancier et du débiteur. Par exemple, le nettoyage d’une voiture est de plus ou moins bonne qualité suivant la formule choisie et le prix payé.

Point sensible : de la détermination en partie unilatérale du contenu du contrat Il existe une difficulté chaque fois qu’une clause contractuelle confère à l’une des parties, dans une certaine mesure, une prérogative lui permettant de déterminer l’objet du contrat. La Cour de cassation a rendu deux décisions concernant des contrats de location de vidéocassettes, par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 23 mai 1995982, et par la chambre commerciale, le 19 novembre 1996983. Dans la première espèce, un contrat de location de cassettes vidéo est conclu entre un propriétaire bailleur et un commerçant voulant ouvrir un point club vidéo en vue de les louer à son tour à sa clientèle. Le contrat prévoyait pour une durée de 12 mois la location de 200 vidéocassettes réparties par genre (« karaté, enfant, policier », etc.) sans que soient mentionnés les titres, et sachant que le locataire propriétaire du vidéoclub disposait d’une faculté d’échange gratuit au sein d’un genre . La Cour de cassation considère l'objet du contrat déterminable en application de l'ancien article 1129 C. civ. : « la désignation de l'objet du contrat était déterminée quant à l'espèce et à la quantité, et que son identification dépendait, pour le surplus, de la volonté du locataire, et non du bailleur ». Il y avait une prérogative suffisamment circonscrite (par le genre) du bailleur, au surplus balancée par une réelle prérogative du locataire (par la faculté d’échange gratuite). Dans la seconde espèce, un contrat de même nature prévoyait pour une durée de 4 mois renouvelable, la location de 200 vidéocassettes réparties non pas par genre mais par série (films récents, grands succès, autres films) et si une faculté d’échange des cassettes au sein de leur série respective était reconnue au locataire, seul le premier échange était gratuit, les suivants étant facturés au prix respectif de chaque série. La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir annulé le contrat après avoir relevé que « la répartition des films entre les séries n’obéit à aucune logique et laisse ainsi [au bailleur] la définition discrétionnaire de l’objet de la convention, en lui permettant de répartir, à sa guise, entre les séries, les films donnés en location, à des rémunérations différentes » et « que si des échanges de cassettes étaient prévus au contrat, seul le premier échange était gratuit ». Ici, la prérogative du bailleur était trop importante (par la série) et n’était pas balancée par une réelle prérogative du locataire (par la faculté d’échange onéreuse).

B - Les obligations monétaires

235 Modèles théoriques. Les obligations monétaires font, depuis la réforme du droit des contrats et dans le sillage de la jurisprudence antérieure986, l’objet de règles particulières quant à leur détermination. En s’en tenant à la seule question de la détermination initiale du prix, sans envisager celle de sa révision, les modèles possibles sont déjà nombreux. On peut en, s’en tenant au principal, en distinguer cinq987.

236 Plan. Si les règles du Code civil comportent deux règles spéciales relatives à la détermination du prix pour les contrats-cadres et les contrats de prestation de service (2), il n’existe pas expressément de règle générale (1).

1 - Une règle générale ?

237 Le prix, une prestation ? S’il n’existe pas de règle générale expresse dans le Code civil relative à la détermination du prix, on peut se demander si une telle règle ne figurerait pas à l’article  1163 C. civ. qui exige que les parties aient, au moment de la conclusion du contrat, déterminé les prestations qui font l’objet de leurs obligations. De fait, l’article  1163 C. civ. énonce que « l’obligation a pour objet une prestation » qui doit être « déterminée ou déterminable », comme le prévoyait naguère et un peu autrement l’ancien article  1129 C. civ.

Est-ce que l’article  1163 C. civ. s’applique au prix, autrement dit, que le prix est une prestation au sens de ce texte ? La lettre du texte ne s’y oppose pas, certes, mais on peut douter que cela soit conforme à son esprit. À titre liminaire, si le législateur avait considéré le prix comme une « prestation » au sens de l’article  1163 C. civ., on peut penser qu’il l’aurait dit expressément eu égard à l’importance de la question, lui qui s’est montré si soucieux de l’accessibilité et de l’intelligibilité des nouveaux textes. Mais là n’est pas l’essentiel. Le rapport au président de la République indique, non sans emphase, au sujet de l’article  1163 C. civ., que « conformément au droit positif, (...) l’objet de l’obligation (...) doit être (...) déterminé ou déterminable, conformément aux principes actuels du Code civil » (nous soulignons) : le législateur n’a donc semble-t-il pas voulu rompre avec les solutions antérieures dégagées par la jurisprudence à partir de l’ancien article  1129 C. civ. Or, depuis plusieurs arrêts rendus en 1995989, la Cour de cassation considérait l’ancien article  1129 C. civ. comme n’étant pas applicable au prix, en conséquence de quoi celui-ci n’avait pas à être déterminé.

L'article 1163 C. civ. pourrait donc ne pas concerner le prix, et le prix n'aurait pas à être déterminé, ce qui expliquerait pourquoi le rapport prévoit que ce ne sont que les « dispositions suivantes », soit les articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ., qui « s’intéressent plus particulièrement au prix ». Si tel était bien le cas, il resterait à prendre parti sur deux questions. En premier lieu, le juge devrait se voir reconnaître, en cas de désaccord des parties sur la détermination du prix en cours d’exécution, un pouvoir de fixation du prix, même si tel n’était pas le cas sous l’empire de la jurisprudence de 1995. Ne pas l’admettre mènerait à une impasse telle qu’on en connaît en matière de baux commerciaux lorsque les parties ont prévu un loyer binaire, en partie fixe et en partie variable : en cas de désaccord lors du renouvellement, le juge ne s’estime pas compétent pour réévaluer la partie fixe du loyer si les parties ne lui ont pas accordé ce pouvoir990. En second lieu, si le prix n’a pas à être déterminé, il est évident qu’il peut l’être. Pourrait-on alors fixer un mode de détermination dépendant de la volonté d’une des parties, comme la jurisprudence de 1995 l’admettait ? Si l’on s’en tient au rapport, la solution pourrait être négative : « Compte tenu du danger qu’il y aurait à autoriser une fixation unilatérale du prix dans tous les contrats, le champ de ce texte a été limité aux contrats-cadres ». Mais le rapport est inexact, dans la mesure où la fixation unilatérale du prix par une des parties est aussi et expressément autorisée dans les contrats de prestation de service991. D’ailleurs, ne pas admettre un tel mode de fixation du prix conduirait concrètement à une remise en cause de la jurisprudence rendue au sujet des taux d’intérêt dans les contrats de prêts. De fait, sous l’empire du droit ancien, la Cour de cassation avait appliqué la solution retenue en 1995 au taux d’intérêt d’une opération de crédit, en conséquence de quoi il était tout à fait possible pour la banque, malgré les termes de l’article 1907 C. civ.992, de retenir un taux d’intérêt dépendant de son « taux de base »993.

En conclusion, donc, dans le creux des textes, c’est le modèle n° 4, le plus libéral, qui pourrait être retenu. Si au contraire l’article  1163 C. civ. devait s’appliquer à la détermination du prix, ce serait le modèle n° 1 qui s’appliquerait, le moins libéral.

2 - Les règles spéciales

238 Plan. S’il n’existe pas de règle générale expresse dans le Code civil relative à la détermination du prix, on peut se demander si une telle règle ne figurerait pas à l’article  1163 C. civ. qui exige que les parties aient, au moment de la conclusion du contrat, déterminé les prestations qui font l’objet de leurs obligations. De fait, l’article  1163 C. civ.C. civ.

Il s'agit ici d'évoquer les règles spéciales issues de l'ordonnance, soit les articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ . S'agissant des règles issues des articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ., elles concernent, d’une part, la détermination du prix des contrats pris en application d’un contrat-cadre et des contrats de prestation de service (a) et, d’autre part, la sanction de l’abus en cas de détermination unilatérale dans ces contrats, puisque l’on verra qu’elle est possible (b).

Droit spécial : des applications du modèle n° 1 Il y a une multitude de règles spéciales, dans le Code civil ou hors du Code civil, lesquelles exigent le plus souvent que le prix soit déterminé, en interdisant de retenir un mode de calcul dépendant de la volonté d’une des parties (modèle n° 1) : la vente994, le bail d’habitation995, le contrat de promotion immobilière996, le contrat d’assurance997, le contrat conclu avec un agent immobilier998, les conventions récapitulatives conclues entre le fournisseur et le distributeur à l’issue de la négociation commerciale999, les contrats conclus entre un professionnel du droit et son client1000 et peut-être l’ensemble des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur1001.

a - La détermination du prix dans les contrats-cadres et les contrats de prestation de service

Plan. Les règles diffèrent pour le contrat de prestation de service (α) et le contrat-cadre (β

e. - Les contrats de prestation de service

239 Questions. Qu’est-ce qu’un contrat de service ? Quelle est la règle applicable à la détermination du prix dans ces contrats ? Le régime éclairant la notion, il faut commencer par envisager cette seconde question avant la première.

L’article 1165 C. civ. est écarté par la Cour de cassation lorsqu’il existe un texte spécial « envisageant » la question de la détermination du prix pour une prestation de service particulière. C’est ainsi qu’elle a considéré que les règles régissant la mission d’expertise-comptable1002 tenaient en échec ce texte, alors pourtant que ces règles n’envisagent pas expressément la question de la détermination du prix…. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a par ailleurs considéré que dès lors que le prestataire en question ne disposait pas du pouvoir de fixer le prix, c’est au juge qu’il revenait de le fixer, dès lors que des prestations ont été réalisées1003.

240 Régime : modèle n° 5. D’après l’article 1165, « à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. » C’est donc très clairement le modèle n° 5 qui est retenu.

Primo, donc, le prix n’a pas à être déterminé (ou déterminable) lors de la conclusion du contrat, comme sous l’empire du droit ancien1004, et ce malgré les termes de l’article  1710 C. civ. qui prévoyait et prévoit toujours que « [l]e louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. »

Secundo, lorsque le prix n’est pas déterminé (ou déterminable) lors de la conclusion du contrat, la loi reconnaît au prestataire de service le droit de fixer le prix alors que sous l’empire du droit ancien, c’est le juge qui le faisait lorsque les parties ne s’accordaient pas1005. Le prestataire gagne en quelque sorte une prérogative que le juge perd1006. C’est pourquoi le rapport au président de la République commet une erreur lorsqu’il relève que « [c]onsacrant (...) une jurisprudence de la Cour de cassation, l’ordonnance autorise le créancier à fixer unilatéralement le prix dans les contrats de prestation de service, tels les contrats d’entreprise, lorsque les parties ne l’ont pas fixé avant l’exécution. » Il y a bien là une rupture avec le droit ancien. La rupture n’est-elle que théorique, le client pouvant toujours contester devant le juge le prix qu’il estimerait abusif ? Non, semble-t-il, pour deux raisons. D’une part, sous l’empire du droit ancien, en cas de désaccord des parties, le prix était fixé par le juge alors que, désormais, il l’est par le prestataire, en sorte qu’il est exigible dès cet instant, alors même qu’il serait contesté. D’autre part, et en conséquence, sauf remise en cause ultérieure de celui-ci par un juge, des dommages-intérêts moratoires seront dus dès la fixation unilatérale du prix par le prestataire.

Tertio, dans les contrats de prestation de service donnant lieu au paiement d’honoraires, alors même que le prix aurait été fixé d’un commun accord, le juge devrait pouvoir, comme c’était le cas avant, en contrôler le montant et sanctionner l’excès1007, à moins que la prestation ait été librement payée une fois le service rendu1008. Manifestement le législateur n’a pas entendu revenir sur cette solution.

241 Notion. L’expression de contrat de prestation de service est parfois entendue de manière si large qu’elle comprendrait tous les contrats non translatifs de propriété. C’est du moins ce qui ressort du Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant qui définit la « Prestation de services » comme un « [t]erme générique englobant, à l’exception de la fourniture de produits (en pleine propriété), celle de tout avantage appréciable en argent (ouvrage, travaux, gestion, conseil, etc.), en vertu des contrats les plus divers (mandat, entreprise, contrat de travail, bail, assurance, prêt à usage, etc.) »1009. Toutefois, une telle définition n’apparaît pas ici appropriée.

Primo, rien ne commande de retenir la même définition de la prestation de service en toute matière : en droit de la libre prestation de service1010, en droit international privé (au sens du règlement Rome I1011 ; l’ordre juridique européen n’est pas le même), en droit fiscal, en vue de l’application de l’article  1127-1 C. civ. relatif au processus de conclusion d’un contrat par voie électronique1012, et en vue de l’application de l’article  1165 C. civ

Secundo, si le prix n’a pas à être déterminé lors de la conclusion d’un contrat de prestation de service, c’est, dit-on (mais est-ce bien toujours le cas ?) que cela est a priori difficile voire, dans certains cas, impossible. C’est ce qui pourrait justifier que le bail, le prêt ou la constitution d’usufruit, notamment, ne soient pas être considérés comme des contrats de prestation de service au sens de l’article 1165 C. civ. : la détermination du prix ne pose pas de problème pour ceux-ci.

f. - Les contrats-cadres

242 Questions1013. Qu’est-ce qu’un contrat-cadre ? Quelle est la règle applicable à la détermination du prix dans ces contrats ? Cette fois, parce qu’il existe une définition légale de la figure, l’inversion des questions ne se justifie pas.

243 Notion. L’article  1111 C. civ. le définit comme « l’accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution. » La définition ne brille pas par sa clarté, même si l’on comprend qu’il n’y a pas de contrat-cadre sans contrat d’application. Si l’on peut y ranger sans difficulté certains contrats de distribution et de maintenance, il demeure des incertitudes. Certains ont suggéré d’y inclure les ouvertures de crédit, probablement en vue de les faire profiter de la possibilité d’asseoir le taux sur le taux de base de la banque. Mais, d’une part, on a vu qu’un tel détour n’était pas nécessaire si l’on retient une règle générale libérale1014 et, d’autre part, si tel n’était pas le cas, un simple prêt n’ayant rien d’une convention-cadre, la référence au taux de base de la banque ne serait plus possible.

244 Régime : modèle n° 4, a priori. Dans les contrats-cadres, « il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (C. civ., art. 1164)1016. Malgré une lettre ambiguë, l’article 1164 ne traite pas de la détermination du prix du contrat-cadre lui-même, mais de celle des contrats pris pour son application. En effet, c’est la détermination du prix des contrats d’application qui a toujours fait difficulté et non celle du contrat-cadre. À cet égard, si l’article 1164 C. civ., prévoit la possibilité de fixer un mode de prix dépendant de la volonté d’une partie, permet-il de ne rien prévoir (on retiendrait le modèle n° 4, comme pour la règle générale) ou exige-t-il que le prix soit déterminé (on retiendrait le modèle n° 2, ce qui serait un retour à la jurisprudence Alcatel du 29 décembre 19941017) ? Là encore, la règle la plus libérale doit, semble-t-il, prévaloir.

On peut, sur la fixation du prix dans le contrat-cadre, faire trois observations.

Primo, dans un contrat-cadre de distribution, en application duquel des ventes seront conclues, il est acquis que le prix de ces dernières pourra être fixé par le fournisseur unilatéralement si le contrat-cadre le prévoit. Il faut ici relever néanmoins une zone d’ombre qui n’est pas nouvelle. Si le contrat-cadre de distribution oblige le distributeur à acheter les marchandises du fournisseur et/ou ce dernier à les lui vendre, le cas échéant dans des quantités prédéfinies, n’est-on pas en présence de promesses de vente qui supposent un accord sur le prix ? Parce qu’il serait inopportun d’y répondre par l’affirmative, mais parce que l’interrogation est bien légitime, il faut y réfléchir. L’idée ne pourrait être défendue que s’il y a bien une promesse de vente, celle-ci a perdu son identité dans le contrat-cadre qui l’intègre, ce qui conduirait donc à écarter les règles de la vente.

Secundo, dans un contrat-cadre de prestation de service, en application duquel des prestations de service seront rendues, il est acquis que le prix des prestations pourra être fixé par le fournisseur unilatéralement si le contrat-cadre le prévoit. Il ne faudrait pas croire que l’article  1165 C. civ. reconnaissant de toute façon au prestataire une prérogative légale de fixer le prix, l’article  1164 C. civ. serait superflu. L’intérêt de reconnaître ce pouvoir au prestataire dans le contrat-cadre est d’interdire au client de refuser de conclure les contrats de prestation de service en application du contrat-cadre, faute d’accord sur le prix fixé par le prestataire : les parties se sont accordées dès le contrat-cadre sur la méthode de détermination du prix des prestations de service.

Tertio, si l’article  1165 C. civ. concerne la question de la détermination du prix des contrats d’application et non des contrats-cadres, qu’en est-il de la détermination du prix du contrat-cadre lui-même ? La question se pose notamment au sujet du contrat de franchise, qui prévoit presque systématiquement le paiement de redevances à la charge du franchisé. Au vrai, la question est théorique dans la mesure où le mode de calcul est toujours déterminé, et le plus souvent indépendant de la volonté d’une partie car assis sur des considérations objectives telles que le chiffre d’affaires du franchisé. Il n’empêche qu’elle se pose. À cet égard, il est possible de considérer les contrats-cadres eux-mêmes comme des contrats de service.

Droit spécial : de quelques contrats-cadres spéciaux Le contrat-cadre étant un outil privilégié d’organisation d’une relation de distribution, souvent déséquilibrée, le législateur en a réglementé certains. C’est le cas notamment des conventions récapitulatives prévue aux articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce et qui sont conclues entre un fournisseur et un distributeur à l'issue d'une négociation commerciale 1015. On peut également mentionner le contrat d’intégration prévu aux articles L. 326-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime et qui est conclu entre un producteur et un industriel ou distributeur, dès lors qu'il comporte obligation réciproque de fournitures de produits ou de services.

b - La sanction de l’abus dans la détermination du prix dans les contrats-cadres et les contrats de prestation de service

245 Abus d’exercice d’une prérogative contractuelle. Les articles 1164 et 1165 sanctionnent tous deux l’abus dans l’exercice d’une prérogative contractuelle1018, celle de fixer le prix unilatéralement.

246 Constitution de l’abus. Dans le contrat de prestation de service, l’abus résultera d’une comparaison entre le prix exigé et le travail fourni. À cet égard, il sera tenu compte d’un certain nombre d’éléments, telles la qualité du travail et la réputation du prestataire. En tout état de cause, comme c’était le cas auparavant, le client du prestataire sera interdit d’invoquer l’abus du prix fixé unilatéralement chaque fois que le prix a été accepté par le client après service rendu1019 et l’excès du prix fixé d’un commun accord, chaque fois que le prix aura été payé après service effectué1020. Dans le contrat-cadre, l’abus devrait supposer non seulement un prix objectivement discutable1021, mais aussi, en amont, l’absence de solution alternative pour le client1022. On observera que dans tous les cas, la loi prévoit une obligation de motivation (dont on trouvait, pour la prestation de service, le germe dans la jurisprudence antérieure1023) du montant du prix fixé en cas de contestation. Cela permettra au juge de caractériser plus facilement l’abus ou l’absence d’abus, ce qui n’est pas sans conséquence sur la charge de la preuve qui pèse normalement sur la victime1024.

247 Sanction de l’abus . L'idée générale est que l'exercice abusif d'une prérogative n'est pas l'inexécution d'une obligation. C'est ce qui explique que les articles 1164 et 1165 ne renvoient pas à l'ensemble des mesures offertes au créancier en cas d'inexécution par l'article 1217 C. civ. Pour autant, il faudra expliquer pourquoi certaines des mesures prévues à l'article 1217 C. civ. ne sont pas ici applicables.

Primo, seules deux des mesures mentionnées à l’article  1217 C. civ.  sont ici reconnues. En cas d’abus dans la fixation du prix, il est prévu tant pour le contrat de prestation de services que le contrat-cadre que le juge pourra octroyer des dommages-intérêts. Devront-ils être d’un montant tel qu’on retrouve un prix correspondant à la valeur de marché ou qu’on gomme le seul excès ?1025 C’est l’éternelle question de la sanction de l’excès. S’il apparaît plus satisfaisant intellectuellement de gommer le seul excès, en pratique, il est plus simple de retenir la valeur de marché. Cela a, au surplus, des vertus prophylactiques en décourageant la fixation d’un prix excessif qui sera invariablement ramené à la valeur-marché. Outre l’octroi de dommages-intérêts, la résolution est expressément offerte à la victime de l’abus dans un contrat-cadre mais aussi dans un contrat de prestation de services, depuis que la loi de ratification, dans une disposition interprétative1026, a corrigé une malfaçon de l’ordonnance1027. S’agissant du contrat-cadre, la question se pose du contrat résolu ? On évoque en général la résolution du contrat-cadre, mais n’est-ce pas excessif ? Ne conviendrait-il pas davantage de résoudre les seuls contrats d’application ?

Secundo, les autres mesures prévues à l’article  1217 C. civ.  ne sont pas ici reconnues, notamment parce que l’exercice abusif d’une prérogative ne se confond pas avec l’inexécution d’une obligation. Il en va ainsi d’abord de l’exécution en nature. Le législateur avait envisagé dans le projet d’ordonnance que le juge puisse réviser le prix – ce qui s’approchait d’une exécution en nature –, mais il ne l’a pas autorisé dans la version définitive (il faut cependant réserver ce qui a été vu au sujet des contrats donnant lieu au paiement d’honoraires). Il en va ainsi ensuite de la réduction de prix, probablement car cela permettrait à celui qui n’avait pas, en vertu de la loi ou de la convention, le pouvoir de fixer unilatéralement le prix, la possibilité indirecte de le faire. Il en va ainsi enfin de l’exception d’inexécution, encore qu’ici, on puisse exprimer des doutes. Il serait en effet paradoxal que la victime puisse résoudre le contrat, c’est-à-dire y mettre fin, le cas échéant par notification, mais qu’elle ne puisse faire opposer l’exception d’inexécution, c’est-à-dire le suspendre.

§ II - Possibilité

248 Distinction. L’exigence de la possibilité est prévue à l’article  1163 C. civ. Si l’exécution du contrat est impossible pour toute personne (vente d’une poule avec des dents), alors le contrat est nul, voire inexistant. Conçoit-on en effet que si l’action en nullité n’était pas possible (comme étant prescrite, par exemple), une sanction du fait de l’inexécution (qui aura nécessairement lieu, par hypothèse) puisse être prononcée ? En contrepoint, si l’exécution du contrat n’est pas possible pour le cocontractant mais l’est pour un tiers (construction d’un bâtiment), le contrat est valable mais son inexécution sera sanctionnée.

§ III - Équilibre

249 Plan. Il convient de distinguer l’équilibre économique du contrat (A) de son équilibre juridique (B).

A - Équilibre économique

250 Principe de commutativité subjective – Liberté de conclure des contrats lésionnaires... ... Jusqu’à un certain point . Parce que dans un contrat commutatif, « chacune des parties s'engage à procurer à l'autre un avantage qui est regardé comme l'équivalent de celui qu'elle reçoit » (C. civ., art 1108 al. 1), il est sans importance que le contrat soit objectivement déséquilibré. L'article 1168 C. civ. le confirme : dans « les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n'en dispose autrement. » On dit encore que la lésion n’est pas une cause de nullité des contrats. Encore faut-il préciser que sont en réalité visés, malgré la lettre du texte, tous les contrats à titre onéreux, en ce compris les contrats unilatéraux (ex. prêt à intérêt non consenti par un professionnel du crédit par exemple).

Il est toutefois une limite à ne pas franchir : un « contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire » (C. civ., art 1169 1028. Autrement dit, lorsque la contrepartie convenue est inexistante ou quasi inexistante (chaque fois que le prix est vil), le contrat est nul. La contrepartie sera dérisoire lorsque la prestation reçue par un des contractants sera très déséquilibrée par rapport à celle qu’il fournit1029. Si le terme illusoire est plus mystérieux, on peut penser que la contrepartie sera tenue pour illusoire lorsqu’il est à peu près certain qu’un contractant ne pourra recevoir la contrepartie escomptée1030. Tel serait le cas d’une cession de clientèle qui était particulièrement attachée à la personne du cédant1031 ou d’un quelconque contrat aléatoire qui ne présente pas d’aléa sérieux.

La référence à la « contrepartie » est appréciée différemment suivant le type de contrat onéreux.

Lorsque le contrat est synallagmatique, il faut distinguer. S’il est commutatif, la contrepartie des obligations d’une partie réside en général dans les obligations assumées par l’autre : ainsi les obligations du vendeur trouvent leur contrepartie dans les obligations de l’acheteur, et réciproquement. Il se peut néanmoins que la contrepartie des obligations d’une partie se trouve à l’« extérieur » du contrat : par exemple, un contractant accepte de s’obliger en considération, non pas tant des obligations que son cocontractant assume au titre du même contrat, mais au titre de celles qu’il assume au titre d’un autre. Si le contrat est unilatéral, une seule partie assumant par hypothèse des obligations, la contrepartie de celles-ci ne peut résider dans les obligations de l’autre. S’il est aléatoire, la contrepartie des obligations de l’une des parties réside encore semble-t-il dans les obligations assumées par l’autre : la contrepartie de l’obligation de miser du joueur réside dans l’obligation de verser un gain si le joueur gagne, la contrepartie de l’obligation du souscripteur d’une assurance de dommage de verser les primes, dans la couverture du risque par l’assureur, celle du débirentier, dans le transfert de la propriété d’un bien à son profit, etc., peu important que la contrepartie dépende d’un événement incertain. Toutefois, l’appréciation du caractère non dérisoire de la contrepartie se fait différemment dans le contrat commutatif et le contrat aléatoire. Dans le premier, il suffit de mettre en balance les obligations et de regarder si celles assumées par l’une des parties n’apparaissent pas dérisoires. Dans le second, il importe de mettre en perspective l’importance de la contrepartie avec la probabilité de survenance de l’événement incertain duquel en dépend l’octroi. Ainsi le contrat par lequel un joueur participe au loto comporte une cause, même si le joueur a très peu de chances de gagner, car sa mise est très substantiellement inférieure au lot espéré (En réalité, le cas du loto est très particulier car le gain espéré est fonction de la somme des mises de l’ensemble des joueurs. Par ailleurs, en ce qui concerne l’appréciation de l’aléa, il est difficile d’envisager isolément le contrat liant un joueur à l’organisme de jeu des contrats conclus entre ledit organisme et les autres joueurs. Le contrat conclu par un joueur pourrait ne plus apparaître aléatoire si un autre joueur avait, en concluant le même contrat, plus de chances de gain...) ; de même en va-t-il du contrat de vente en viager même si le décès du crédirentier est proche, dès lors que le montant des arrérages est suffisamment élevé. Autrement dit, la contrepartie doit être d’autant plus importante (gain au loto, montant des arrérages versés) que le risque de ne pas la percevoir est élevé (ne pas avoir le bon tirage, décéder rapidement)1032.

Lorsque le contrat est unilatéral et à titre onéreux – ce qui est l’hypothèse –, la contrepartie des obligations de l’obligé se trouvera nécessairement dans un avantage octroyé par le cocontractant. Ainsi l’obligation pour l’emprunteur de verser un intérêt au prêteur résidera dans l’avance octroyée par le prêt.

Droit spécial : de la lésion parfois sanctionnée Dans plusieurs hypothèses, la lésion est sanctionnée : vente d’immeuble1033 ou d’engrais1034, partage1035, cession de droits d’exploitation d’une œuvre1036, charges de copropriété1037, contrats conclus par des personnes protégées dans leur sphère de capacité1038, contrats d’assistance en mer1039, usure1040. Le plus souvent, la lésion est sanctionnée car le cocontractant qui a subi la lésion n’était pas en mesure compte tenu de sa position de faiblesse de défendre au mieux ses intérêts : l’incapable ne peut être le meilleur juge de ses intérêts et le vendeur d’immeuble peut devoir vendre pour payer ses dettes, par exemple. On peut également observer que dans de nombreux contrats, le prix ne peut être supérieur à un plafond : on songe au loyer initial d’un bail d’habitation dans certaines zones, au loyer de tous baux d’habitation et baux commerciaux renouvelés, aux honoraires des agents immobiliers pour certaines prestations, au taux d’intérêt – qui ne peut être usuraire–, etc. Inversement, dans d’autres contrats, le prix ne peut être inférieur à un plancher . Ainsi n'est-il pas possible de revendre à perte (C. com., art. L. 442-5 même si l'interdiction, en l'état, est probablement contraire au droit européen), de proposer aux consommateurs des prix abusivement bas (C. com., art. L. 420-5, et une entreprise en position dominante ne peut pratiquer des prix prédateurs. Deux cas particuliers méritent quelques approfondissements. Il s’agit en premier lieu des honoraires convenus avec un mandataire1041 ou un professionnel libéral1042. Alors même que le prix aurait été fixé d’un commun accord, le juge devrait pouvoir, comme c’était le cas avant la réforme, en contrôler le montant et sanctionner l’excès, à moins que la prestation ait été librement payée une fois le service rendu1043. Il s’agit en second lieu du droit des pratiques restrictives de concurrence . En vertu de l'article L. 442-1, I du Code de commerce, « [e]ngage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : 1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » . Alors que le 2° sanctionne classiquement le déséquilibre juridique, le 1° paraît sanctionner de manière générale le déséquilibre économique, la lésion, ce qui est très difficilement acceptable. Il est crucial que la jurisprudence cantonne un tel contrôle tant l'atteinte qu'il porte à la liberté contractuelle, en s'intéressant au cœur du contrat, est importante et singulière 1044.

B - Équilibre juridique

251 Plan. Deux types de clauses spécifiques qui altèrent l’équilibre juridique du contrat sont prohibés : les clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion (1) et les clauses qui privent de leur substance l’obligation essentielle dans tout contrat (2).

De telles clauses sont réputées non écrites, ce qui signifie qu’elles sont réputées ne pas exister1045.

1 - Les clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion

252 Droit commun. D’après l’article  1171 C. civ., « [d]ans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (al. 11046), sachant que l’« appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (al. 21047).

On observera à titre liminaire que l’article  1171 C. civ. a été réécrit à l’occasion de la Loi de ratification. Alors que l’Ordonnance avait prévu que « [d]ans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (nous soulignons), depuis la Loi de ratification, seules celles qui sont non négociables et déterminées à l’avance par l’une des parties sont susceptibles de l’être. Ainsi les clauses du contrat d’adhésion qui étaient négociables ne pourront être réputées non écrites par le juge. La précision est salutaire et on peut espérer que le juge la considère comme interprétative, même si ce n’est pas ce qu’a retenu la Loi de ratification1048.

253 Étendue du contrôle. Le contrôle opéré à l’aune de l’article  1171 C. civ. ne concerne ni « l’adéquation du prix à la prestation », ni « l’objet principal du contrat ».

La première exclusion, qui concerne « l’adéquation du prix à la prestation » est conforme au principe général suivant lequel la lésion n'est pas en principe une cause de nullité des contrats (C. civ., art 1168 1063.

La seconde exclusion, qui concerne « l’objet principal du contrat », est a priori plus mystérieuse. Afin d'en saisir le sens et la portée, il faut remonter à la source. Cette expression figure dans la loi n° 95-96 du 1 er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial (art. 1) et dans la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs qu’elle transpose. Le sens de l’expression « objet principal du contrat » est livré dans un de ses Considérants :

« Pour les besoins de la présente directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; (...) l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses ; (...) il en découle, entre autres, que, dans le cas de contrats d’assurance, les clauses qui définissent ou délimitent clairement le risque assuré et l’engagement de l’assureur ne font pas l’objet d’une telle appréciation dès lors que ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur ».

Par où l’on voit que c’est principalement le contrat d’assurance que le législateur européen a eu à l’esprit, même si tous les contrats sont finalement concernés. Par la suite, la jurisprudence européenne a précisé que l’objet principal du contrat désignait en réalité ses « obligations essentielles »1064.

En définitive, c’est tout ce qui ne formera pas le cœur – entendu comme les obligations essentielles – du contrat d’adhésion qui sera contrôlé. S’il sera donc permis de contrôler les obligations dites accessoires, il semble qu’en pratique l’essentiel du contrôle concernera autre chose. À cet égard, il faut se rappeler qu’un contrat ne se borne pas à la création d’obligations en vertu desquelles telle partie doit telle prestation à l’autre ; le contrat comporte des clauses qui organisent la relation contractuelle1066.

Primo, il octroie des prérogatives1067, c’est-à-dire des pouvoirs de modifier la situation contractuelle (ex. fixer le prix ; mettre en œuvre une clause de dédit, une clause pénale, une clause résolutoire ; exercer une action interrogatoire).

Secundo, il met à la charge des parties des incombances1068, c’est-à-dire des devoirs devant être accomplis préalablement à l’exercice d’un droit (ex. se renseigner sauf à se voir opposer le caractère inexcusable d’une erreur ; mettre en demeure le débiteur avant de se plaindre d’une inexécution ; faire une demande de prêt ; répondre à une action interrogatoire).

Or la jurisprudence rendue en matière de « clauses abusives », tant en droit de la consommation qu’en droit des pratiques restrictives, montre bien que c’est dans la répartition de ces prérogatives et incombances que gît le plus souvent le déséquilibre significatif : telle partie a des prérogatives que l’autre n’a pas, telle autre supporte des incombances que l’autre ne supporte pas. Le plus souvent cette répartition inégale sera d’ailleurs stipulée en vue de déroger à des règles supplétives1069. Il apparaît que le contrôle du déséquilibre significatif, contrairement à ce que pourrait laisser entendre une interprétation littérale de ses termes, ne portera pas tant sur les obligations (entendues stricto sensu), que sur les clauses organisant la situation contractuelle en créant prérogatives et incombances.

Bien entendu, au regard de la lettre du texte, générale, d’autres types de stipulations pourraient être considérées comme constituant un déséquilibre significatif1070.

Le nouveau contrôle en droit commun des clauses créant un déséquilibre significatif est une révolution majeure. Alors qu’auparavant, seules les clauses illicites, qui heurtaient une prescription précise, étaient sanctionnées, désormais des clauses licites en elles-mêmes seront sanctionnées dès lors que, créant un déséquilibre significatif, elles sont abusives. Les juges devront faire montre de la prudence la plus grande, eu égard aux incertitudes très importantes dans lesquelles sont les rédacteurs d’actes. Qu’il est difficile en effet de savoir si telle(s)s clause(s) ne crée(nt) pas un simple déséquilibre autorisé, mais un déséquilibre significatif1071 sanctionné.

Droit spécial : des droits de la consommation et des pratiques restrictives Les clauses abusives sont interdites en droit de la consommation, entre un professionnel et un consommateur ou non professionnel1049, en droit des pratiques restrictives de concurrence, entre partenaires commerciaux1050, et désormais en droit commun des contrats, même si le dispositif concerne les seuls contrats d’adhésion. Toutefois, les dispositifs du droit de la consommation et du droit des pratiques restrictives sont plus « puissants » que celui du droit commun. En droit de la consommation, non seulement le juge peut déclarer abusive toute clause qui répond à la définition qui en est donnée par la loi, mais il existe deux listes de clauses irréfragablement1051 et simplement présumées abusives1052 et une commission des clauses abusives recommande la suppression ou la modification des clauses qui présentent un caractère abusif1053. Quant aux sanctions, la stipulation d’une clause abusive est par ailleurs sanctionnée par une amende administrative prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, c’est-à-dire la DGCCRF1054. Quant au cadre procédural, des associations de consommateurs peuvent agir dans l’intérêt collectif des consommateurs1055, en représentation conjointe1056, exercer une action de groupe1057. Dans le cadre d’une action dans l’intérêt collectif des consommateurs, le juge peut ordonner la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d’exécution et il est possible de demander au juge de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs dans le cadre d’une action civile1058 ou d’une action autonome1059. En droit des pratiques restrictives, le contrôle du juge porte sur l’entier contrat car il n’est pas indiqué qu’il ne peut porter sur l’« objet principal du contrat » ou l’« adéquation du prix » à la prestation, comme c’est le cas en droit de la consommation et en droit commun. Par ailleurs, l’action peut être introduite par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une clause créant un déséquilibre significatif1060. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation de la pratique litigieuse, faire constater la nullité des clauses illicites, demander la répétition de l’indu et également demander le prononcé d’une amende civile (ibid.). Toutefois, élément qui n’est pas nécessairement favorable à la victime, l’action doit être portée devant des juridictions spécialisées1061, sans que la victime ne puisse préférer agir sur le fondement de l’article 11711062.

Point sensible : de l’obligation essentielle La notion d’« obligation essentielle » est aussi employée qu’elle est imprécise. À vrai dire, elle ne signifie rien, en elle-même : « essentielle », oui, mais à quoi ? De fait, la notion d’obligation essentielle est susceptible de renvoyer, suivant le contexte, à trois réalités1065. Primo, elle peut renvoyer aux obligations déterminantes du consentement des parties (obligations essentielles au consentement des parties ; ex. A n’aurait pas contracté avec B s’il ne s’était pas engagé à le livrer avant telle date). Secundo, elle peut renvoyer aux obligations nécessaires pour emporter telle qualification ; ce sont les obligations qui sont nécessaires au rattachement d’un contrat à une catégorie donnée (obligations essentielles à la qualification ; ex. la qualification de vente suppose l’obligation de payer un prix). Tertio, elle peut renvoyer aux obligations imposées par la loi aux parties (obligations essentielles au maintien de l’ordre public ; ex. la vente emporte une garantie d’éviction du fait personnel qui est d’ordre public).

2 - Les clauses qui privent de leur substance l’obligation essentielle

254 Cœur du contrat. D’après l’article 1170, « [t]oute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. » Le dispositif concerne tous les contrats et, pour l’essentiel, ce qui formera l’objet principal du contrat. Par où l’on voit que l’article 1170 permet de contrôler ce qui n’était pas possible à l’aune de l’article 11711072.

Il s’agit d’une règle d’origine jurisprudentielle qui par le passé était le plus souvent appliquée pour apprécier la validité des clauses limitatives de responsabilité1073. De manière générale, on s’aperçoit ainsi que l’article 1170 permet de contrôler non seulement l’étendue substantielle des obligations, mais aussi la sanction de leur inexécution1074. C’est du reste ce qu’avait retenu en substance il y a fort longtemps un célèbre arrêt de la Cour de cassation : « un contrat ne peut légalement exister s’il ne renferme les obligations qui sont de son essence et s’il n’en résulte un lien de droit pour contraindre les contractants à les exécuter »1075. Mais les virtualités de ce texte sont grandes1076.

En tout état de cause, « est réputée non écrite la clause 1) qui porte atteinte au cœur même du contrat1077 ; 2) qui y porte atteinte dans une mesure considérable »1078. Les exclusions d’assurance et les limitations de responsabilité ne sont pas en effet en elles-mêmes inefficaces.

Comme on l’a fait observer, le contrôle des clauses créant un déséquilibre significatif étant cantonné aux contrats d’adhésion, on ne saurait a priori sanctionner dans un contrat de gré à gré de telles clauses, non pas à l'aune de l'article 1171 C. civ. (inapplicable), mais à l'aune de l'article 1170 C. civ., pris comme « instrument de contournement de l'article 1171 1079. On ajoutera d’ailleurs que les deux dispositions ne concernent pas les « mêmes parties » du contrat : alors que l’article 1170 C. civ. s’intéresse aux clauses portant sur les obligations essentielles , l'article 1171 C. civ. interdit tout contrôle de l'objet principal du contrat, c'est-à-dire des obligations essentielles 1080. Reste que la distinction, en théorie nette, ne le sera probablement pas en pratique : il n’est que de penser aux clauses dites parfois de « force majeure »1081 ou aux clauses d’indemnisation (clause limitative de responsabilité, clause d’indemnisation forfaitaire, etc.).

Droit spécial : les clauses d’exclusion de garantie dans les contrats d’assurance En vertu de l’article L. 113-1 C. ass., « [l]es pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police » (nous soulignons). Daprès la Cour de cassation, « une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’ellevidelagarantiedesasubstance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire »1082C’est à l’aune de cette interprétation de cette disposition du Code des assurances qu’ont été écartées de nombreuses clauses d’exclusion de garantie1083. Mais les juges du fond n’ont pas à relever d’office cette règle1084. Le texte spécial de l'article L. 113-1 du Code des assurances a été jugé comme étant exclusif de l'application de l'ancien article 1131 1085 et il devrait en aller de même aujourd’hui de l’article 1170.

§ IV - Licéité

255 Plan. Le contrat « ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » (C. civ., art 1162. Ce à quoi il faut ajouter que l'article 6 prévoit que l'on « ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».

Il convient de distinguer les normes de contrôle, les normes auxquelles on ne peut déroger (A), de l’objet du contrôle, ce que l’on peut contrôler (B).

A - Les normes de contrôle

256 L’ordre public. Que le contrat doive être conforme à l’ordre public est une évidence. Ceci explique que les arrêts sanctionnant les contrats portant atteinte à l’article 1162 ne soient pas nombreux1086. Il convient donc de déterminer celles des règles qui sont d’ordre public avant de vérifier si les parties n’y ont pas porté atteinte.

Un pan important de l’ordre public est aujourd’hui composé des droits fondamentaux, dont la valeur est supra-législative, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être librement remis en cause par les trois « pouvoirs » constitués : législatif, exécutif, judiciaire. Alors qu’à l’origine ces droits étaient des droits des personnes privées contre l’État (effet vertical), depuis plusieurs années, la plupart de ces droits peuvent également être invoqués par les personnes privées contre d’autres personnes privées, notamment par un contractant contre son cocontractant (effet horizontal1093). Évidemment, pas plus que les pouvoirs constitués, les cocontractants ne peuvent remettre en cause librement ces droits. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’aucune atteinte ne soit pas possible ; il est possible d’y porter atteinte, si celle-ci, en substance, poursuit un objectif légitime et est proportionnée1094.

257 Les bonnes mœurs. Que le contrat doive être conforme aux bonnes mœurs ne ressort pas de l’article  1162 C. civ., mais de l'article 6 C. civ. On en tire qu'un contrat qui serait conforme à la loi pourrait néanmoins ne pas l'être aux bonnes mœurs.

Portalis, dans l’exposé des motifs du titre préliminaire du code civil (4 Ventôse an XI) affirmait ainsi que conventions contraires aux bonnes mœurs «  sont proscrites chez toutes les nations policées [et] les bonnes mœurs peuvent suppléer les bonnes lois : elles sont le véritable ciment de l’édifice social ». A cet égard, le droit français se rapproche du droit allemand, puisque le BGB, très clair sur ce point, distingue clairement la contrariété du contrat à la loi (§134) de la contrariété du contrat aux bonnes mœurs (§138).

On peut définir les bonnes mœurs comme la morale des bonnes gens à un instant donné dans une société donnée. De fait, c’est de bonne morale qu’il est question celle-ci est relative, dans le temps et l’espace1101.

Le cas des Fleurs du mal témoigne du caractère évolutif des bonnes mœurs. Le Tribunal correctionnel de la Seine le 20 août 1857 condamna Baudelaire à une amende lors de la publication des Fleurs du Mal et ordonna la suppression du recueil de six poèmes. Mais près d’un Siècle plus tard, le 31 mai 1949, la Chambre criminelle de la Cour de cassation revenait sur la condamnation : « si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des Fleurs du mal et apparaître aux premiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ». « Autre temps, autres mœurs », disait le poète grec Pindare.

Le cas des donations faites entre concubins illustre également le caractère évolutif des bonnes mœurs. Le Code civil mit certes un terme aux incapacités de recevoir et de donner entre concubins. Mais la Cour de cassation considéra très tôt qu’étaient nulles les libéralités entre concubins « qui avaient pour cause impulsive et déterminante la formation, le maintien ou la reprise de relations immorales »1102, invitant ainsi à scruter les mobiles de l’auteur de la libéralité, que le concubinage fût ou non adultérin. La Cour de cassation revira en 1999 en considérant de règle générale que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec la bénéficiaire »1103, allant jusqu’à décider par un arrêt d’Assemblée plénière du 29 octobre 20041104 qu’était valable une libéralité faite en vue de rémunérer des faveurs sexuelles (la maîtresse avait clairement écrit à son amant : « pas d’argent, pas d’amour »...).

L’exigence de conformité du contrat aux bonnes mœurs donne lieu aujourd’hui à peu de contentieux1105. Cela peut s’expliquer pour deux raisons. En premier lieu, les pratiques contraires aux bonnes mœurs sont le plus souvent condamnées par la loi, le recours à l’ordre public rendant inutile le recours aux bonnes mœurs1106. En second lieu, aujourd’hui, tout ce qui n’est pas interdit est le plus souvent non contraire aux bonnes mœurs1107. Il faut voir là une manifestation de l’essor des libertés individuelles, qui connaît cependant une limite importante : Si la liberté individuelle permet aux individus d’adopter des comportements qui autrefois auraient été interdits comme contraires aux bonnes mœurs, il est un roc sur lequel toutes libertés se brisent : la dignité.

Depuis une loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, l'article 16 du code civil dispose : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». A l'occasion de l'examen de la constitutionnalité de cette loi, le Conseil constitutionnel a même considéré que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » 1108. L'année suivante, dans l'affaire dite du « lancer de nains », le Conseil d’Etat a élevé la notion de « dignité humaine » au rang de composante de l'ordre public1109.

Illustrations : de la personne dans tous ses états Les limites à la liberté contractuelle sont particulièrement visibles lorsqu’est en jeu « la personne ». En premier lieu, on ne peut en principe disposer des éléments du corps humain : la Cour de cassation a admis que « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité des personnes »1087. Aujourd’hui, l’article 16-1 consacre le principe de non-patrimonialité du corps humain : « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Il existe néanmoins à ce principe des exceptions, au rang desquelles la possibilité de disposer à titre gratuit des éléments et produits du corps humain. En deuxième lieu, on ne peut disposer des droits de la personnalité. Ainsi on ne peut vendre son droit à l’image, son droit au respect de la vie privée. En revanche, et c’est une sérieuse limite au principe, on peut monnayer une atteinte limitée à ce droit, a priori par la conclusion d’un contrat d’exploitation d’une image ou d’une information relative à la vie privée ou a posteriori, lors d’un litige. En troisième lieu, il convient de mentionner le cas des cessions de clientèle. On a toujours admis que l’on peut céder les clientèles commerciales (clientèles de commerçants) à l’occasion de la cession d’un fonds de commerce. On le refusait à l’égard des clientèles civiles1088 (clientèles de professions libérales) au prétexte du fort intuitu personae dans la relation entre un professionnel et sa clientèle, ce qui n’était pas convaincant, pour une double raison. En premier lieu, le problème est de toute façon mal posé : on ne cède jamais des clients, même en matière commerciale, mais seulement les éléments attractifs de la clientèle – l’emplacement, l’enseigne, etc. – qui forment ce que l’on appelle un fonds. En second lieu, en quelque matière que ce soit, les clients sont toujours libres de ne pas contracter avec le cessionnaire. D’ailleurs, en matière civile, il était permis de présenter sa clientèle au successeur, même moyennant finance, non de la lui céder1089. La solution de la Cour de cassation était donc hypocrite dans la mesure où la présentation avait bien pour effet de céder la clientèle. Tout n’était qu’une question de mots : un acte intitulé « cession de clientèle » était nul, non un acte intitulé « présentation de clientèle ». Cette subtilité a cessé depuis un arrêt qui a retenu que « si la cession de clientèle médicale (...) n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient »1090. En réalité, cet arrêt reconnaît l’existence d’un fonds libéral comme il existe un fonds de commerce, et qui forme l’assiette de la cession. Il reste une limite qui tient à la préservation de la liberté de choix des clients. Autrement dit, le médecin cédant, si ses clients le souhaitent, peut soigner ces derniers et le dossier médical ne peut être transmis au cessionnaire contre l’avis du client. De même, la Cour de cassation a eu à connaître d’une clause qui interdisait à un notaire ayant cédé son office de se réinstaller sur le territoire de certaines communes et l’obligeait à reverser les sommes qu’il pourrait recevoir des clients de l’office cédé qui l’auraient suivi dans les communes où il avait le droit de se réinstaller, pendant une période de dix ans. La Cour de cassation a considéré que la clause, par la sanction de la privation de toute rémunération du travail accompli, soumettait le cédant à une pression sévère de nature, sinon à refuser de prêter son ministère, du moins à tenter de convaincre le client de choisir un autre notaire, de sorte que la liberté de choix de cette clientèle n’était pas respectée : la clause est donc nulle1091. En contrepoint, la Cour de cassation a estimé que ne pouvait être annulée une clause de garantie de clientèle contenue dans un acte de vente d’un fonds d’un expert-comptable par laquelle le cédant devait rembourser au cessionnaire la partie du prix correspondant à la clientèle qui ne s’adressait pas à lui pour une autre raison que sa faute lourde, dès lors que la cour d’appel n’avait pas « constaté que ladite clause portait atteinte à la liberté de choix des clients »1092. Ces arrêts peuvent être conciliés. Dans la première espèce, la clause de rétrocession d’honoraires qui conduit le professionnel à travailler gratuitement incite à refuser les clients, ce qui porte finalement atteinte à leur liberté ; dans la seconde espèce, la clause de garantie de clientèle qui ne conduit pas à rétrocéder les honoraires et à travailler gratuitement n’a pas un tel effet incitatif et donc des effets comparables quant à la liberté de choix des clients (en réalité, le cédant reverse au cessionnaire le prix de la chose qui s’est volatilisé).

Droit spécial : de la mise en œuvre de la protection de certaines libertés fondamentales Plusieurs dispositions spéciales manifestent l’impossibilité de porter librement atteinte aux droits fondamentaux. S’agissant du droit de propriété, les clauses d’inaliénabilité sont contrôlées dans les actes à titre gratuit1095, onéreux1096, et dans les statuts des sociétés1097. S’agissant de la liberté d’entreprendre, les clauses d’exclusivité et de non-concurrence sont étroitement contrôlées par différents corps de règles1098. Et, de règle générale, en droit du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »1099.

Droit spécial : des bonnes mœurs En s'en tenant au Code civil, au-delà de l'article 6 C. civ., deux dispositions font expressément référence aux bonnes mœurs : l'une est relative à la naturalisation (C. civ., art 21-23 « Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et mœurs (...) ») et l'autre aux régimes matrimoniaux (C. civ., art 1387 « La loi ne régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent ». Les décisions qui y font référence ne sont pas nombreuses, sans être pour autant inexistantes1100.

B - L’objet du contrôle

258 Plan. Bien que l’article 1162 fasse partie d’une sous-section intitulée « Le contenu du contrat » et que l’article 1128 ne vise que l’exigence d’un « contenu licite », l’article 1162 exige que soient licites, non seulement le « contenu » (1) du contrat, mais aussi son « but » (2).

1 - Le contenu du contrat

259 Contrôle des prestations . Le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (…) par ses stipulations (…) » (C. civ., art 1162. Le contrôle du contenu du contrat ne pose pas de difficultés particulières. Pour l'essentiel, le contrat doit obliger les parties à se procurer des prestations licites. C'est ainsi que « la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente... » 1110 ou encore que la cession d’un fichier clientèle informatisé qui contient des données à caractère personnel non déclaré à la CNIL est nulle car portant sur une chose qui n’est pas dans le commerce juridique1111. Les difficultés concernent pour l’essentiel l’appréciation du caractère licite de la prestation. En tout état de cause, il serait excessif de considérer que chaque fois qu’un contrat porte sur une chose qui a été fabriquée, construite, ou modifiée sans les autorisations requises, le contrat est nul. Si la vente de stupéfiants l’est manifestement, tel n’est pas le cas de la vente d’un appartement ayant fait l’objet de travaux sans les autorisations requises !

2 - Le but du contrat

260 But du contrat ou buts des contractants ? Le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (…) par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » (C. civ., art 1162 1112.

La référence au « but du contrat » faite par l’article  1162 C. civ. est maladroite. De fait, un contrat ne poursuit pas de but. Ce sont les parties qui en poursuivent, un ou plusieurs. Le « but » doit être entendu au sens de « mobile ». À cet égard, il convient de relever que les mobiles poursuivis par les contractants sont infinis, comme le sont les pensées et les désirs, et qu’ils sont propres à chacun. Suivant ce que comptent faire deux vendeurs d’un même bien pour un même prix avec la somme d’argent reçue, les buts par eux poursuivis seront ou non licites.

Celui qui loue une maison en vue en vue d’y installer une affaire de prostitution poursuit un but illicite, ce qui rend annulable le contrat conclu. De même, est nul le contrat d’assurance prévoyant que le versement d’une indemnité à l’organisateur de l’événement en cas d’abandon, d’annulation ou d’ajournement d’une exposition exhibant des cadavres1113. Le cas particulier des dettes de jeu doit être mentionné. Aux termes du laconique article 1965, « la loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari ». On tire de cette disposition que les contrats de jeu sont nuls en raison de leur objet et que les contrats destinés à favoriser le jeu, comme le prêt, sont nuls pour but illicite1114. Toutefois, ne sont pas nuls en raison de leur objet les contrats de jeu ou de pari conclus avec une société autorisée par la loi, tel un casino régulièrement exploité. Mais, même dans ce cas, le prêt consenti en vue de favoriser le jeu reste nul pour but illicite1115.

Bien que cela paraisse acquis en droit français, il n’y a rien d’évident à ce que le droit sanctionne par la nullité du contrat le but illicite poursuivi par un cocontractant. La vente d’un couteau de cuisine à une personne qui entend l’utiliser pour commettre un meurtre doit-elle être annulée ? Si le contenu du contrat n’est pas en lui-même illicite, mais que sa conclusion est l’occasion, soit de conclure un autre contrat au contenu illicite, soit d’exercer une activité illicite, ce contrat et cette activité seront per se sanctionnés sans que l’annulation du contrat initial soit nécessaire voire simplement utile... Ce n’est pas tant le but illicite qui doit être sanctionné, que sa concrétisation1116 ou sa prévention (fonction mal remplie par les procédures d’annulation et de restitutions).

En tout état de cause, le droit français continue aujourd’hui de prescrire un contrôle des buts. À cet égard, on observera que peu importe que le mobile ait été connu de l’autre. Dans un souci de sécurité juridique, la jurisprudence avait longtemps posé que le motif illicite ou contraire aux bonnes mœurs, pour entraîner la nullité de l’acte, devait être connu des deux parties1117, avant de revirer1118, encore que la jurisprudence n’était pas si clairement établie1119. La règle est désormais consolidée depuis la réforme du droit des contrats (art.  1162 C. civ.).

261 Quid des effets du contrat ? Le but est parfois entendu très largement comme désignant les effets d’un contrat, lesquels ne se confondent pas avec son contenu.

Un arrêt rendu par la Première chambre civile le 4 novembre 20111120 l’illustre bien. La Cour de cassation y examina la validité d’un contrat de courtage matrimonial conclu entre un homme marié en instance de divorce et un organisme à qui il avait menti sur sa qualité d’homme encore marié. L’organisme, qui finit par être au fait, demanda la nullité du contrat pour but immoral (à l’époque, pour cause immorale). D’après la Cour de cassation, « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause [un but] contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée ». Outre le fait que l’arrêt est critiquable en ce qu’il laisse à tort entendre que le seul le but réalisé est sanctionnable et non le seul but poursuivi1121, il confond semble-t-il ce qui relève du but d’un cocontractant et un effet du contrat. En effet, l’homme marié n’avait pas contracté dans le but de méconnaître son devoir de fidélité, mais dans le but de nouer une relation avec un tiers. De même le contenu du contrat ne violait en rien un tel devoir. En réalité, la méconnaissance du devoir de fidélité n’était qu’un effet (au demeurant simplement potentiel) de la conclusion du contrat. À cet égard, doit-on contrôler les effets potentiellement illicites d’un contrat, qu’ils se soient ou non réalisés ?

La Cour de cassation avait d’ailleurs bien distingué, quoiqu’implicitement, le but poursuivi par un cocontractant des effets d’un contrat à l’époque où elle contrôlait les libéralités faites entre concubins1122. En effet, à l’origine, les libéralités faites entre concubins, adultères ou non, n’étaient pas condamnées en tant que telles ; elles ne l’étaient que si et seulement si elles avaient été consenties dans le but de former, continuer ou reprendre la relation de concubinage1123.

Section 2 - Le contenu imposé

262 L’équité, l’usage et la loi . Le contenu du contrat n'est pas entièrement déterminé par les parties. Si, traditionnellement et naturellement, il appartient aux parties de déterminer le contenu du contrat en sorte que celui-ci à une source volontaire, d'après l'article 1194 du Code civil, les contrats « obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi ». Il s'agit d’obligations et plus généralement d’effets1124 dits « complétifs » en ce qu’ils complètent le contenu du contrat1125.

En premier lieu, le contenu du contrat est en partie défini par la loi ou par les usages. À ce titre, le droit propose aux parties des règles destinées à gouverner leur relation : c’est le cas des règles supplétives que l’on retrouve dans la loi et les usages. Mais parfois, le droit impose aux parties des règles destinées à gouverner leur relation : c’est le cas des règles impératives que l’on retrouve dans la loi mais rarement dans les usages, par nature supplétifs1126.

En second lieu, le contenu du contrat est en partie défini par l’équité alors pourtant qu’il est dit que l’équité n’est pas une source du droit1127. Au titre de l’équité, le pouvoir conféré au juge est important car c’est lui qui la dégage. C’est ainsi que sur ce fondement, la Cour de cassation a enrichi le contenu de certains types de contrats qui viennent s’ajouter aux obligations stipulées par les parties. Ont ainsi été dégagées une obligation de sécurité dans le contrat de transport de personnes1128 et dans tous les contrats dans lesquels la sécurité des personnes ou des biens est susceptible d’être affectée (vente, entreprise, bail, etc.), une obligation d’information et de conseil dans les contrats de vente, de prêt et de prestation de service1129, une obligation de garantir celui qui travaille pour soi dans le cadre d’une convention d’assistance bénévole1130 ou d’un contrat de travail1131 et dont l’objet est de garantir l’assistance des dommages causés à un tiers, une obligation pour l’employeur de prendre en charge les moyens nécessaires au salarié pour qu’il accomplisse son travail1132. De telles obligations sont tantôt tenues pour impératives1133, tantôt pour supplétives1134.

Chapitre 6 - La nullité et la caducité

Plan

263 Localisation. « Les sanctions » de la formation du contrat que sont la nullité et la caducité font l’objet de la quatrième section du chapitre II intitulé « La formation du contrat ». La nullité et la caducité sont deux causes d’anéantissement du contrat, envisagées dans deux sous-sections de cette section.

Si la nullité sanctionne bien un défaut dans la formation du contrat – l’absence d’un élément essentiel à la validité d’un contrat (ou d’une clause du contrat) lors de sa conclusion –, tel n’est pas le cas de la caducité, qui frappe le contrat en raison de circonstances diverses : la perte d’un élément essentiel à la validité ou à l’efficacité d’un acte, l’échéance de la durée d’une offre, etc. Il n’était donc guère judicieux de les envisager ensemble, dans cette partie du Code civil au surplus.

Si la nullité est envisagée au sein du chapitre 2 comme ayant pour objet le contrat, il se peut que seule une clause soit nulle. Est-ce que la nullité de la clause emportera celle du contrat ? Nous reviendrons sur cette question1135.

264 Plan. On envisagera dans cette leçon les hypothèses de nullité et de caducité (section 1) ainsi que leur mise en œuvre (section 2). Quant aux effets de l’anéantissement, qui sont d’ailleurs variables, on les envisagera dans le chapitre 10.

Section 1 - Hypothèses de nullité et de caducité

265 Plan. Distinguons la nullité (§ I) de la caducité (§ II).

§ I - La nullité

266 Plan. Après avoir précisé la notion de nullité (A), on exposera la distinction des nullités relatives et nullités absolues (B).

A - Notion

267 « Nul donc annulable » . Un contrat « qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul » (C. civ., art 1178 al. 1). C'est ainsi qu'est nul le contrat conclu par une partie dont le consentement a été vicié 1136 ou le contrat dont le contenu est illicite1137.

L’expression de « nullité » est trompeuse. En effet, la nullité, on y reviendra1138, doit être prononcée par le juge ou convenue entre les parties. Autrement dit, un contrat nul est en réalité annulable tant que la nullité n’a pas été prononcée.

269 Nullité textuelle ou virtuelle ?1158 Les conditions de validité des contrats sont posées par l’article  1128 C. civ. et un contrat « qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul » (C. civ., art 1178.

Deux précisions importantes doivent à cet égard être apportées.

(i) Certaines règles sont prescrites à peine de nullité du contrat sans qu’elles énoncent des conditions de validité du contrat posées par l’article 1128 : c’est le cas par exemple des règles instituant des droits de préemption.

(ii) D’autres règles ne sont pas prescrites à peine de nullité du contrat. De deux choses l’une alors : soit ces règles sont des conditions de validité du contrat au sens de l’article  1128 C. civ. et leur méconnaissance sera ce faisant sanctionnée par la nullité en vertu de l'article 1178 C. civ., soit elles n'en constituent pas au sens de l'article 1128 C. civ., et la question se pose de savoir si leur méconnaissance peut être sanctionnée par la nullité. Dans ce dernier cas, la règle transgressée doit-elle être expressément sanctionnée par la nullité pour que cette sanction soit encourue ? Autrement dit, les nullités sont-elles textuelles ou virtuelles ?

En dépit de la formule évocatrice de l’adage « pas de nullité sans texte », le principe est aujourd’hui que les nullités sont virtuelles et non textuelles1159. Pour ne prendre qu’un seul exemple parmi tant d’autres, le mariage entre personnes de même sexe, avant qu’il ne fût autorisé, fut sanctionné par la Cour de cassation par la nullité1160, de même que le mariage du mort civil1161 alors même qu’aucun texte ne prévoyait cette sanction et qu’au surplus la matière du mariage est souvent présentée comme un des berceaux1162 de l’adage1163. Si les nullités sont donc en principe virtuelles, dans quels cas la méconnaissance d’une règle est-elle sanctionnée par la nullité ? Que la règle doive être impérative est bien entendu une condition nécessaire, puisqu’il est permis de déroger à une règle supplétive. Pour autant, il ne saurait s’agir d’une condition suffisante, comme le révèle la jurisprudence. En réalité, il appartient au juge de s’interroger sur la finalité de la règle méconnue afin qu’il détermine si la nullité est une sanction appropriée. L’intention du législateur joue évidemment un rôle majeur. Ainsi est-il permis de considérer que lorsque le prêteur encourt, en vertu de la loi, la déchéance du droit aux intérêts1164, le contrat ne saurait être nul bien qu’une disposition légale impérative ait été méconnue par le prêt. Lorsqu’on ne peut déceler l’intention du législateur – parfois parce qu’elle n’existe pas, le législateur ne s’étant pas posé la question –, la casuistique est inévitable. C’est ainsi que la jurisprudence considère en général que la méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information n’est pas sanctionnée par la nullité du contrat1165, sauf à ce que le consentement du créancier ait été vicié, dès lors la finalité d’une telle obligation est d’assurer le consentement éclairé du créancier. La casuistique ne doit cependant pas conduire à des solutions incohérentes. C’est pourquoi on eut aimé que la Cour de cassation expliquât pourquoi la conclusion d’une opération de banque conclue en violation du monopole bancaire n’en emporte pas la nullité1166 à la différence d’une consultation juridique délivrée par une personne qui n’en a pas la capacité1167, même si l’on voit bien que prêter de l’argent ne suppose pas les mêmes compétences que celles nécessaires à l’établissement d’une consultation juridique... L’efficience de la règle impérative ne justifie-t-elle pas l’annulation ?

Point sensible : de la nullité, de l’inexistence et du réputé non écrit Lorsque l’on évoque la nullité, il convient de la distinguer de notions voisines.            En premier lieu, un contrat nul doit être distingué d’un contrat inexistant. Si un contrat nul est un contrat qui ne remplit pas les conditions posées par la loi pour sa validité, un contrat inexistant est un contrat qui ne s’est pas même formé, le plus souvent parce que les consentements des parties ne se sont pas rencontrés : par exemple, les volontés déclarées des parties ne sont pas concordantes (l’un veut vendre un chien que l’autre veut prendre à bail), une offre falsifiée ou venue à expiration a été « acceptée ». Le juge n’ayant pas à détruire ce qui n’existe pas, on considère traditionnellement que : 1°/l’inexistence n’a pas à être prononcée par le juge, 2°/aucune action n’est nécessaire et donc qu’aucune prescription n’est encourue1139, 3°/aucune confirmation n’est possible, 4°/tout intéressé peut s’en prévaloir. Certaines décisions paraissent parfois s’écarter de ces directives de bon sens, mais ces décisions peuvent s’expliquer par le fait que le juge a en réalité tenu le contrat pour nul et non pour inexistant1140. En second lieu, une clause nulle doit être distinguée d’une clause réputée non écrite. Si une clause nulle est une clause qui ne remplit pas les conditions posées par la loi pour sa validité, une clause réputée non écrite est une clause qui, bien que stipulée, est réputée ne pas l’avoir été1141. Le « réputé non écrit » est une notion qui existait déjà dans le Code de 1804, à l’article 900, qui disposait que les conditions impossibles, illicites et contraires aux bonnes mœurs, étaient « réputées non écrites ». L’expression a fait florès et on la retrouve aujourd’hui dans différentes matières : le droit de la copropriété1142, des sociétés1143, des baux1144, des assurances1145 et, s’agissant des clauses abusives, en droit de la consommation1146 et en droit commun des contrats1147 mais pas – au moins en s’en tenant à la lettre du texte – en droit des pratiques restrictives de concurrence1148. Le « réputé non écrit », s’il est véritablement autonome de la nullité, doit être tenu pour une situation d’« inexistence » : de même qu’il est des contrats inexistants, il est des clauses réputées inexistantes. En conséquence, nul besoin d’une action en justice pour l’éradiquer et donc de prescription encourue1149, aucune confirmation possible1150, tout intéressé peut s’en prévaloir1151. L’étude de la jurisprudence montre que tel est parfois effectivement le cas : il n’est pas nécessaire de saisir le juge1152 pour faire disparaître une clause réputée non écrite. C’est d’ailleurs cette différence conceptuelle entre la nullité et le réputé non écrit qui a conduit le législateur à substituer la sanction du réputé non écrit à celle de la nullité en matière de baux commerciaux1153 : exit, ce faisant, la prescription biennale1154. Toutefois, dans certaines matières, la jurisprudence assimile le réputé non écrit à une simple nullité partielle1155. Il existe donc de grandes incertitudes lorsque le législateur emploie l’expression de « clause réputée non écrite ». La question se posera rapidement de déterminer si chaque fois que les nouvelles règles du droit des contrats visent le « réputé non écrit » (ex. art.  1170 C. civ. et 1171 C. civ.) un régime autonome de celui de la nullité trouvera à s'appliquer. Lorsque la clause d’un contrat est infectée d’un vice de nature à la réputer non écrite, la Cour de cassation invite les juges du fond à se demander si la clause doit être entièrement réputée non écrite ou si elle ne peut l’être que partiellement. La clef de la distinction réside dans la divisibilité ou non de la clause1156. Et on ne voit pas pourquoi ce qui vaut pour la sanction du « réputé non écrit » ne vaudrait pas pour celle de la « nullité ». En définitive, le choix entre la sanction de la « nullité » et du « réputé non écrit » est avant tout un choix de politique juridique du législateur, voire du juge1157.

Droit spécial : des matières régies par le principe des nullités textuelles Par exception, dans certaines matières, les nullités sont textuelles. En procédure civile , on distingue les vices de forme des vices de fond. S'agissant des premiers, « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public » (CPC, art 114 al. 1) et la nullité « ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public » (CPC, art 114 al. 2). Quant aux vices de fond, ils sont énoncés à l'article 117 du Code de procédure civile : « Le défaut de capacité d'ester en justice ; Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ; Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice ». La sanction n'est en revanche pas précisée. À cet égard, la Cour de cassation considère que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du Code de procédure civile » 1168. En droit du travail, et s’agissant du licenciement, la jurisprudence de la Cour de cassation est désormais bien assise et se trouve résumée dans cette formule : « le juge ne peut annuler un licenciement en l’absence de disposition le prévoyant expressément et à défaut de violation d’une liberté fondamentale »1169. En droit des sociétés, le droit positif est le résultat d’une « longue marche du législateur » qui s’est traduite par une admission de plus en plus stricte des nullités en la matière1170. Aujourd’hui, deux dispositions, relevant l’une du droit commun des sociétés, l’autre du droit commun des sociétés commerciales, retiennent l’attention, précision faite qu’elles doivent être interprétées à l’aune de la directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, chaque fois qu’elle est applicable (elle l’est en France aux société anonyme, société en commandite par actions, société à responsabilité limitée, société par actions simplifiée)1171. La première disposition, l’article 1844-10, invite à distinguer trois hypothèses, ce qui montre que la question de savoir si la nullité est textuelle ou virtuelle n’appelle pas nécessairement une réponse binaire (comme pourraient le laisser accroire ces imprécises expressions) : la « nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions de l’article 1832 et du premier alinéa des articles 1832-11172 et 18331173, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »1174. Autrement dit, la nullité de la société est encourue chaque fois en cas de méconnaissance d’une part des règles posant les conditions de validité de tout contrat – la société étant un contrat – et d’autre part de certaines règles déterminées du titre IX consacré au droit commun des sociétés. la « clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite »1175. Cette disposition est ambiguë car elle distingue nettement la « nullité » du « réputé non écrit » alors que cette distinction n’est pas claire en droit positif1176. Quoi qu’il en soit, que la clause statutaire contrevienne aux règles expressément sanctionnées par la nullité de la société ou qu’elle contrevienne aux règles impératives du titre IX consacré au droit commun des sociétés qui n’est pas expressément sanctionnée par la nullité et ce faisant soit réputée non écrite1177, elle n’est jamais efficace. la « nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l'exception du dernier alinéa de l'article  1833 C. civ., ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »1178. Autrement dit, la nullité des actes ou délibérations est encourue en cas de méconnaissance d’une part des règles posant les conditions de validité de tout contrat et d’autre part des règles impératives du titre IX consacré au droit commun des sociétés. Peu importe donc que la règle impérative prévoie la sanction de la nullité, pourvu qu’elle figure dans ledit titre1179. La seconde disposition, l’ article L. 235-1 du Code de commerce , invite à distinguer deux hypothèses : – la « nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement ni de l’incapacité, à moins que celle-ci1180 n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l'article 1844-1 du Code civil » (al. 1). La nullité de la société ou d'un acte modifiant les statuts est donc encourue en cas de méconnaissance soit des règles posant les conditions de validité de tout contrat soit des règles du livre II « Des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique » du Code de commerce qui prévoient expressément cette sanction. S'agissant des règles relatives à la validité des contrats, il convient de distinguer les SARL et les sociétés par actions des autres sociétés commerciales (sociétés en nom collectif et sociétés en commandite simple) à deux égards. D'une part, les causes de nullité des SARL et des sociétés par actions doivent être interprétées à l'aune de la directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017, restrictive. Ainsi, alors même que l'article 1844-10 C. civ., de droit commun, prévoit que la nullité est encourue pour absence d'apport ou d' affectio societatis (par le renvoi à l'article 1832 C. civ.), dès lors que ces causes de nullité ne sont pas prévues par la directive, elles ne paraissent pas pouvoir être retenues. Elles pourraient l'être en revanche à l'égard des sociétés non régies par la directive, les sociétés en nom collectif et sociétés en commandite simple. D'autre part, lorsque la nullité est invoquée pour vice du consentement ou incapacité d'un ou plusieurs associés, la nullité des SARL et des sociétés par actions suppose que le vice ou l'incapacité ait atteint tous les fondateurs (à défaut, seule la souscription de l'associé incapable ou dont le consentement a été vicié est nulle) alors que la nullité des autres sociétés commerciales est encourue alors même qu'un seul associé serait atteint. S'agissant des règles du livre II, il n'existe en réalité qu'une seule règle, à l'article L. 235-2 du Code de commerce (défaut d'accomplissement des formalités de publicité dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple 1181), le maintien de celle-ci étant probablement dû à un oubli puisqu’en 1966 on supprima toutes les autres causes de nullité pour vice de forme ou de publicité1182. Quoi qu’il en soit, en dehors de ces cas, aucune nullité n’est encourue1183. Dans le cas particulier des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés par actions, le non-respect de certaines conditions de validité de tout contrat ne sera sanctionné que si tous les associés fondateurs sont concernés. – la « nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre1184, à l'exception de la première phrase du premier alinéa de l'article L. 225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l'article L. 225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833 du Code civil » (al. 2)1185. Autrement dit, sous réserve des exceptions expressément mentionnées par le texte, la nullité des actes ou délibérations ne modifiant pas les statuts est encourue chaque fois que sont méconnues d’une part les règles posant les conditions de validité de tout contrat – les actes et délibérations étant des actes juridiques – et d’autre part toutes les règles impératives propres aux sociétés du livre II : « Des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique » du Code de commerce. Tout manquement à une des dispositions impératives visées emporte la nullité, peu important que cette sanction soit prévue par ladite disposition1186, mais aucun manquement à une autre règle ne peut être sanctionné par la nullité (ex. méconnaissance de l’intérêt social1187).

B - Distinction

271 Nullités absolues et relatives. La nullité « est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général » (C. civ., art 1179 al. 1 1188) et « est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé » (C. civ., art 1179 al. 2 1189).

L’opposition entre l’intérêt privé et l’intérêt général est résolument manichéenne, pour ignorer les cas intermédiaires dans lesquels un intérêt non pas individuel, mais catégoriel, est protégé : l’intérêt de la famille ou encore l’intérêt des créanciers dans une procédure collective1190. Fort heureusement, la loi règle souvent les difficultés : c’est le cas lorsqu’un contrat méconnaît les règles relatives à la disposition du logement1191 ou encore lorsqu’un acte interdit a été conclu au cours de la période suspecte1192.

Il est par ailleurs souvent impossible de déterminer si la règle transgressée protège un intérêt particulier ou l’intérêt général, d’autant plus qu’« il revient à la loi [toujours], expression de la volonté générale, de définir l’intérêt général »1193 . Ainsi, les règles de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs qui protègent le locataire titulaire d’un bail à usage d’habitation et qui donc a priori concerne des intérêts privés ont évidemment des répercussions sur le marché locatif et donc l’intérêt général. Autre illustration, les règles qui prescrivent qu’un acte juridique soit conclu dans une certaine forme ou les règles qui instituent des formalités dans le processus de conclusion d’un tel acte peuvent poursuivre des buts divers : protéger un contractant et donc un intérêt privé (c’est le cas des mentions manuscrites exigées par la loi pour les cautionnements souscrits par des consommateurs1194), protéger l’intérêt général (c’est le cas de la règle exigeant l’enregistrement des promesses unilatérales de vente, en vue de déjouer des fraudes fiscales), tantôt les deux (c’est le cas des donations où il est question de protéger les deux parties et les intérêts du fisc). La jurisprudence est donc conduite à s’interroger sur la finalité de la règle transgressée1195.

Malgré les incertitudes relatives au critère de distinction, le critère de l’intérêt sauvegardé explique d’une part que ne puissent être confirmés que les contrats nuls de nullité relative et non ceux qui le sont de nullité absolue1196 car il n’est pas dans l’intérêt général que de permettre aux parties de renoncer à faire disparaître le contrat qui le contrarie, et d’autre part que lorsqu’elle est absolue, la nullité puisse être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt car encore une fois l’intérêt général le commande, et que lorsqu’elle est relative, seule puisse agir la partie1197 que la loi entend protéger1198.

Droit spécial : de la nullité et de la confirmation L’impossibilité de confirmer un acte nul de nullité absolue et la possibilité de confirmer un acte nul de nullité relative connaissent toutefois des exceptions. De la possible confirmation d’une donation entachée d’une cause de nullité absolue... Alors même que la donation non passée dans les formes requises est nulle de nullité absolue1199, la confirmation, certes impossible pour le donateur (art. 931-1 al. 1 : « En cas de vice de forme, une donation entre vifs ne peut faire l’objet d’une confirmation. Elle doit être refaite en la forme légale »), est néanmoins possible pour ses héritiers ou ayant cause (art. 931-1 al. 2 : « Après le décès du donateur, la confirmation ou exécution volontaire d’une donation par les héritiers ou ayant cause du donateur emporte leur renonciation à opposer les vices de forme ou toute autre cause de nullité. » ). ... À l’impossible confirmation d’un crédit consenti à un consommateur entaché d’une cause de nullité relative. Si un crédit immobilier ne peut être accepté avant l’expiration d’un délai de dix jours (délai de réflexion), la Cour de cassation a considéré que la nullité de l’acceptation prématurée ne peut être « couverte par la réitération de l’acceptation »1200. N’est-ce pas pourtant excessif : pourquoi celui qui par erreur aurait accepté le neuvième jour serait-il privé du droit d’accepter le onzième1201 ?

§ II - La caducité

270 Article  1186 C. civ. et autres. Si, en vertu de l’article  1186 C. civ., un contrat est caduc dans deux hypothèses, il en existe en droit commun d’autres, tant et si bien que l’on peut finalement distinguer quatre hypothèses de caducité.

271 Première hypothèse : disparition d’un élément essentiel ( C. civ., art 1186 al. 1 ). Un contrat est caduc « si l’un de ses éléments essentiels disparaît »1202. L’expression « éléments essentiels » est vague, tellement vague, qu’on a pu y voir une « démission législative »1203. L’idée générale paraît néanmoins être la suivante : « le contrat est, toute sa vie durant, porté par des “éléments” alimentant en continu sa force obligatoire, à la manière d’un courant électrique »1204 : si ces éléments viennent à disparaître, le contrat aussi. On pourrait dès lors et a priori envisager deux séries d’éléments.

D’une part, pourraient être visés les éléments essentiels à l’exécution du contrat, en ce que leur disparition rend impossible l’exécution du contrat (ex. un contrat d’approvisionnement porte sur une marchandise retirée du commerce). Toutefois, en ce cas, le contrat sera le plus souvent considéré comme résolu pour cas de force majeure (C. civ., art 1218 1205)1206. Aussi bien la caducité ne devrait être retenue que lorsque les conditions de la force majeure ne sont pas réunies. Ainsi, si des parties envisagent une convention de fourniture de marchandises sur une certaine durée alors qu’il est prévisible qu’avant même l’échéance, la marchandise sera retirée du marché, les conditions de la force majeure ne seront pas remplies, mais celles de la caducité le seraient1207.

D’autre part, pourraient être visés les éléments en considération desquels une partie s’était engagée, en ce que leur disparition bouleverse le contexte dans lequel le contrat avait été conclu. Par exemple, une partie s’était engagée en considération de la personne du cocontractant qui est décédé1208 ou en considération de tout autre élément1209 qui a disparu. On voit bien ici la proximité cette fois avec la nullité pour erreur : il n’est pour autant pas question d’erreur dans la mesure où l’intégrité du consentement s’apprécie une fois pour toutes lors de la conclusion du contrat. En fin de compte, il y aurait donc erreur lorsqu’une personne s’est trompée sur un élément en considération duquel elle a contracté et caducité lorsqu’un élément en considération duquel elle a contracté a disparu. Cette proximité justifierait que la caducité ne soit possible qu’à la condition que les éléments ayant disparu soient entrés dans le champ contractuel, comme cela est exigé en cas d’erreur1210. En tout état de cause, le fait qu’un contrat n’ait pas procuré l’intérêt escompté ne saurait être une cause de caducité – mais reste la possibilité de stipuler une clause particulière et le jeu éventuel de la théorie de l’erreur sur la rentabilité1211.

272 Deuxième hypothèse : non-réalisation d’un élément essentiel (à la perfection de l’acte). Un contrat est encore caduc, bien que le terme ne soit pas expressément employé par la loi, lorsqu’il est conclu sous une condition suspensive et que celle-ci ne s'est pas réalisée (C. civ., art 1304-6 al. 3 : « En cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé. » ) 1214. Par exemple, la vente d’un immeuble sous condition de l’obtention d’un prêt est caduque si le prêt n’est pas accordé.

Une telle hypothèse est très proche de celle de la disparition d’un contrat interdépendant, la condition suspensive étant, à certains égards, un moyen de rendre interdépendants plusieurs contrats.

273 Troisième hypothèse : arrivée de l’échéance de l’acte . Il est également possible de considérer qu'un contrat est caduc, bien que cela ne soit pas expressément prévu de manière générale par le Code civil, lorsqu'il arrive à son terme. C'est la solution d'ailleurs expressément prévue au sujet de l'offre, « caduque à l'expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l'issue d'un délai raisonnable » (C. civ., art 1117 al. 1). Par ailleurs, pour des raisons de politique juridique, il est également prévu que l'offre est caduque « en cas d'incapacité ou de décès de son auteur, ou de décès de son destinataire » (C. civ., art 1117 al. 2) 1215.

274 Quatrième hypothèse : disparition d'un contrat interdépendant (C. civ., art 1186 al. 2 et 3) . Lorsque plusieurs contrats sont interdépendants, l’anéantissement de l’un emporte la caducité de l’autre1216.

Droit spécial : des causes de caducité prévues dès 1804 dans le Code civil Le Code civil, dès 1804, prévoyait expressément plusieurs causes de caducité concernant les donations (C. civ., art 1088 « Toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s'ensuit pas ») et les legs (v., au sein du chapitre relatif aux « Dispositions testamentaires », la section 8 consacrée à la révocation des testaments et à leur caducité).

Droit spécial : de la proximité entre nullité et caducité Le droit des assurances illustre les liens entre nullité et caducité, l’une ou l’autre étant retenue dans l’assurance de chose, suivant le moment de la perte de la chose assurée. Si l’assurance « est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri ou ne peut plus être exposée aux risques »1212, « [e]n cas de perte totale de la chose assurée résultant d’un événement non prévu par la police, l’assurance prend fin de plein droit et l’assureur doit restituer à l’assuré la portion de la prime payée d’avance et afférente au temps pour lequel le risque n’est plus couru »1213, cette hypothèse de disparition de plein droit étant en réalité un cas de caducité. Le droit de la représentation offre également une illustration d'un tel lien. D'un côté, le contrat de représentation est nul si l'une des parties était incapable ou interdite de le faire ; d'autre part, il est caduc si cette incapacité ou cette interdiction survient en cours d'exécution du contrat (C. civ., art 1160 « Les pouvoirs du représentant cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction. »).

Section 2 - Mise en œuvre

275 Plan. Un contrat est en théorie susceptible d’être anéanti de quatre manières : par une décision du juge, par un accord des parties, par la décision unilatérale de l’une d’entre elles, automatiquement1217.

Si la nullité peut être prononcée en vertu d’une décision du juge ou d’un accord des parties (§ I) rien n’est malheureusement prévu par la loi s’agissant de la caducité (§ II).

§ I - La nullité

276 Plan. Il est des règles communes à toutes les nullités (A) et des règles propres à chaque type de nullité (B).

A - Règles communes à tous les types de nullité

277 Mise en œuvre de la nullité. Généralités. La nullité peut résulter d’une décision du juge, ce qui a toujours été le cas, ou d’un accord des parties, ce qui est a priori nouveau1218 (C. civ., art 1178 al. 1). Cette dernière faculté permettrait, d'après le rapport au président de la République, « d'éviter dans les cas les plus simples la saisine d'un juge et il a paru opportun de la consacrer pour des raisons de simplicité et d'efficacité ». En aucun cas, toutefois, la nullité ne peut être prononcée par une partie seule, contrairement à la solution retenue par de nombreux droits étrangers et à la solution retenue s'agissant de la résolution 1219.

278 Mise en œuvre de la nullité. Nullité judiciaire. La nullité judiciaire est la voie traditionnelle du prononcé d’une nullité. Le juge saisi d’une demande d’annulation doit en général la prononcer, si les conditions en sont réunies : elle est de droit. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il dispose d’un réel pouvoir d’appréciation, que la nullité est pour lui facultative.

279 Mise en œuvre de la nullité. Nullité conventionnelle. La nullité conventionnelle se distingue de la révocation d’un contrat d’un commun accord en ce qu’elle doit reposer sur une cause de nullité, à la différence de la seconde.

L’accord de « nullité conventionnelle » peut, bien entendu, comme tout contrat être annulé. Il s’ensuivrait que le contrat annulé par suite de l’accord de nullité conventionnelle lui-même annulé redeviendrait efficace.

280 Prescription de l’action en nullité. L’action en nullité se prescrit par cinq ans , par application du droit commun (C. civ., art 2224 1225). Toutefois, l’exception de nullité, opposée à une demande d’exécution du contrat ou à toute autre action fondée sur le contrat1226, est en principe imprescriptible (naguère en vertu de la maxime Quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum alors érigée en « principe » par la Cour de cassation1227 ) : de fait, lorsqu'un contrat est annulable et qu'une partie ne s'en voit pas réclamer l'exécution, elle peut penser que l'autre y a renoncé en raison du vice de l'acte ou, en tout cas, elle peut ne pas voir d'utilité à agir en nullité. Si toutefois elle se voyait réclamer l'exécution du contrat, même après l'échéance du délai de prescription de l'action en nullité, l'imprescriptibilité de l'exception l'autoriserait à demander la nullité à tout moment, pourvu toutefois que le contrat « n'[ait] reçu aucune exécution » (C. civ., art 1185 1228)1229. C’est que si le contrat avait commencé à être exécuté, le défendeur ne pouvait ignorer que son cocontractant attendait de lui qu’il l’exécute : l’exception de nullité sera soumise à la prescription quinquennale et son point de départ devrait coïncider avec celui de la prescription de l’action en nullité1230. Il reste que la distinction entre le contrat qui n’a reçu aucune exécution et les autres est parfois redoutable, notamment lorsque le contrat faisait naître une obligation de ne pas faire1231... Quoi qu’il en soit, depuis que les actions relatives aux contrats se prescrivent en principe toutes par cinq ans, l’invocation de l’exception n’aura de véritable intérêt que lorsque l’action exercée par une partie, telle une action en exécution forcée, n’est pas prescrite alors que l’action en nullité l’est1232.

Quant au point de départ de la prescription, il se situe en principe au jour de la conclusion du contrat , car c'est à compter de ce jour que l'action est « née » au sens de l'article 2224 C. civ. 1233 – d’où l’intérêt de déterminer le moment de la formation du contrat. Toutefois, il est trois correctifs importants. Primo , en cas d'erreur, de dol ou de violence, le délai ne commence à courir qu'à compter du jour où l'erreur ou le dol ont été découverts, ou à compter du jour où la violence a cessé (C. civ., art 1304 al. 2) : c'est en effet à compter de cette date que la victime est en mesure de critiquer l'acte qui avait été passé. Secundo , à l'égard des mineurs, le délai ne commence à courir qu'à compter de la majorité (C. civ., art 1304 al. 3) : c'est en effet à compter de cette date que le mineur devient capable de critiquer l'acte qui avait été passé, en son nom, alors qu'il était incapable. Tertio , et en tout état de cause, le délai butoir de vingt ans de l'article 2232 C. civ. court à compter de la naissance de l'action, c'est-à-dire de la conclusion du contrat, devrait constituer un couperet à toute action en nullité quel qu'en soit le point de départ.

Quid de la prescription s’agissant de la nullité conventionnelle ? Supposant par hypothèse un accord, la nullité conventionnelle ne devrait pas être affectée par quelque prescription (sauf le jeu d’une erreur de droit ?). La question se serait toutefois posée si la nullité par notification avait été admise en droit français ; il n’eut guère été envisageable de ne pas appliquer les règles relatives à la prescription.

Droit spécial : des nullités facultatives Les cas de nullité facultative d’un acte juridique sont rares. C’est le cas en matière de procédures collectives , des paiements effectués au cours de la période suspecte : « Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements » (C. com., art. L. 632-2 al. 1). Le droit des incapacités1220 appelle une réponse nuancée. Lorsque le majeur est placé sous sauvegarde de justice, les actes qu'il a passés « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d'excès alors même qu'ils pourraient être annulés en vertu de l'article 414-1 (C. civ., art. 435 al. 2). La nullité est donc bien facultative, sachant que le juge doit prendre « notamment en considération l'utilité ou l'inutilité de l'opération, l'importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté » (ibid.). Il devrait en aller de même des actes courants accomplis par le mineur : les « actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion » (C. civ., art 1149 al. 1). Plus ambigu est l'article 465 qui concerne le majeur sous curatelle : « Si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l'acte ne peut être annulé que s'il est établi que la personne protégée a subi un préjudice ». Si préjudice il y a, le juge peut-il ou doit-il prononcer la nullité ?

Point sensible : de la nullité conventionnelle, une nullité comme les autres ? Pour l’essentiel, la nullité conventionnelle soulève deux séries de difficultés. En premier lieu, elle ne saurait avoir un champ d’application aussi large que celui de la nullité judiciaire. Il n’est que de penser à la nullité d’un mariage : comment concevoir que les parties puissent convenir de sa nullité ? Comment alors délimiter le champ d’application de la nullité conventionnelle ? Une piste : lorsque l’acte est solennel, l’annulation de celui-ci doit être judiciaire, à moins que l’accord d’annulation ne soit passé dans les mêmes formes (ce qui suppose que cela soit possible1221, et ce qui n’est pas le cas en matière de mariage). De même, lorsque l’acte, bien que non solennel, a été conclu en la forme authentique en vue de sa publication et qu’il a été publié, par exemple au fichier immobilier, l’annulation devrait être judiciaire, les parties ne pouvant contraindre le notaire à instrumenter l’accord d’annulation en vue de sa publication. En second lieu, s’agissant des effets de la nullité conventionnelle, il faut probablement distinguer. Entre les parties, la nullité conventionnelle doit produire les mêmes effets que la nullité judiciaire, notamment quant à la rétroactivité, à défaut de quoi la nullité conventionnelle ne présenterait pas d’intérêt sensible par rapport à un banal accord révocatoire du contrat. Les parties devront seulement prendre garde à préciser si la nullité est totale ou seulement partielle. À l’égard des tiers, les difficultés sont plus importantes. Par principe, encore, on ne voit pas pourquoi les effets d’une nullité conventionnelle seraient distincts de ceux d’une nullité judiciaire, dès lors que les conditions de l’annulation sont bien réunies et que la nullité conventionnelle n’est pas frauduleuse1222. De fait, un contrat, comme une décision de justice, est opposable aux tiers1223. Et par comparaison, la résolution par notification produit les mêmes effets qu’une résolution judiciaire, même à l’endroit des tiers. Certes, il est probable que des « nullités simulées » (comme des « résolutions simulées ») ayant pour objet ou effet de léser les droits des tiers verront le jour. Mais, de même que les tiers peuvent agir en tierce-opposition d’une décision de justice prononçant la nullité d’un contrat, ils devraient pouvoir tenir pour inopposable un accord d’annulation lésant leurs intérêts. Il ne serait dès lors pas choquant, en cas de contestation d’un tiers, de faire peser sur les parties la preuve de la réalité de la cause de la nullité1224 : seraient ainsi ménagés les intérêts des tiers et ceux des parties. On mentionnera enfin le cas d’un tiers particulier, le fisc . Chaque fois que le contrat annulé avait donné lieu au paiement d'un impôt, la double question de la restitution de l'impôt et du non-paiement d'un nouvel impôt se trouve posée. Le vieil article 1961 alinéa 2 du Code général des impôts, qu'il conviendrait peut-être de réexaminer un jour, prévoit, notamment en matière de vente d'immeubles, que « dans tous les cas où il y a lieu à annulation, [les droits d'enregistrement ou la taxe de publicité foncière lorsqu'elle tient lieu de ces droits et la contribution prévue à l'article 879 perçus sur l'acte annulé (...) ne sont restituables que si l'annulation (...) a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée. » À suivre ce texte à la lettre, point de salut si l'annulation n'est pas judiciaire !

B - Règles propres aux nullités relatives et absolues

281 Plan. Les règles propres aux nullités relatives et absolues concernent les titulaires du droit d’agir (1) et la faculté du titulaire de renoncer au droit d’agir (2).

1 - Titulaires du droit d’agir

282 Qualité et intérêt. En application des règles de procédure civile, la personne qui demande la nullité doit avoir qualité et intérêt à agir (CPC, art 31 1234).

En premier lieu, ont qualité à agir la personne que la loi protège en cas de nullité relative (C. civ., art 1181 al. 1 ; ainsi dans un contrat nul pour erreur, seule la victime de l'erreur et non son cocontractant peut invoquer la nullité 1235) et toute personne en cas de nullité absolue (C. civ., art. 1180 al. 1 ; par exemple les parties à un contrat illicite, leurs créanciers, le ministère public qui défend l’intérêt général1236, etc.). Davantage de personnes ont donc qualité à agir en nullité absolue qu’en nullité relative. En général, lorsqu’un contrat est nul de nullité relative, c’est une partie qui peut agir en nullité ; toutefois, exceptionnellement, c’est un tiers qui le peut, car c’est lui que la loi protège (ex. méconnaissance d’une promesse unilatérale de vente1237).

En second lieu, a intérêt à agir la personne qui trouve une utilité à ce que la nullité soit prononcée (la condition est importante spécialement en matière de nullité absolue car toute personne a « qualité » pour agir...). Il se peut néanmoins que celui qui a un intérêt à agir en présence d’un contrat nul de nullité absolue poursuive en agissant un intérêt privé, et non l’intérêt général. Ceci peut conduire à des résultats à première vue injustes, mais qui assurent, même de manière contingente, la préservation de l’intérêt général.

Illustration : seuls comptent la qualité et l’intérêt à agir, non les mobiles ! La Cour de cassation a eu à connaître d’une hypothèse dans laquelle une société avait conclu un contrat avec une commune, avant d’en demander la nullité – le contrat ne s’étant pas avéré profitable –, le maire n’ayant pas reçu pouvoir pour conclure le contrat. Les juges du fond avaient refusé de faire droit à la demande en nullité de la société au motif que celle-ci était exercée « dans le seul but, parfaitement étranger à l’intérêt général qu’elle invoque, d’échapper aux stipulations d’un contrat qu’elle a librement signé et exécuté pendant huit années ». Leur décision est cassée, aux motifs que « la méconnaissance des dispositions d’ordre public relatives à la compétence de l’autorité signataire d’un contrat conclu au nom de la commune est sanctionnée par la nullité absolue, en sorte qu’elle peut être invoquée par toute personne, justifiant ainsi d’un intérêt légitime à agir »1238.

2 - Renonciation au droit d’agir

283 Conditions. La confirmation est l’acte « par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce (...) » (C. civ.,art 1182 al. 1). Seuls les contrats nuls de nullité relative peuvent donner lieu à une confirmation (C. civ., art 1180 al. 2 et C. civ., art 1181.

Quant au fond, la confirmation doit être libre et éclairée . C'est ce qui explique qu'en cas de violence, la confirmation ne peut intervenir « qu'après que la violence a cessé » (C. civ., art 1182 al. 3 in fine). C’est ce qui explique également que celui qui renoncerait à agir en nullité pour toute cause que ce soit ne le ferait pas valablement s’il ne connaît pas la ou (les) cause(s) de nullité au moment où il renonce.

Quant à la forme, la confirmation peut être expresse ou tacite . Lorsqu'elle est expresse, il est prévu que l'« acte mentionne l'objet de l'obligation et le vice affectant le contrat ». La loi exige-t-elle un acte instrumentaire ? Si la lettre du texte pourrait le laisser à penser, c'est douteux, car on ne comprendrait pas alors que la confirmation puisse être tacite. Or il est bien indiqué que l'« exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation » (C. civ., art 1182 al. 3 in limine).

Quant au moment de la confirmation, elle « ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat » (C. civ., art 1182 al. 2 1239). On ajoutera qu’elle ne peut intervenir que lorsque le renonçant sait exactement ce à quoi il renonce et y renonce librement, ce qui rejoint l’exigence d’une confirmation libre et éclairée.

284 Objet et Effet. La confirmation n’emporte ni formation d’un nouveau contrat valable qui succèderait à un contrat annulable, ni même validation rétroactive d’un contrat annulable. Elle est une abdication du droit d’agir – pour le confirmant et ses ayants cause universels – en nullité : la confirmation « emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés (...) » (C. civ., art 1182 al. 4).

La confirmation est doublement relative.

Primo, lorsque plusieurs personnes peuvent agir en nullité relative, « la renonciation de l’un n’empêche pas les autres d’agir » (C. civ., art 1181 al. 3).

Secundo, en tout état de cause, sont réservés les « droits des tiers », c’est-à-dire les droits acquis par les tiers entre la conclusion du contrat et la confirmation1245. De prime abord, la précision laisse dubitatif : si des droits ont été acquis par des tiers après la conclusion du contrat, c’est probablement sur la foi du contrat conclu, en sorte que la confirmation, loin de porter atteinte à leurs droits, les consolide. Il reste que dans certaines hypothèses, la précision pourrait être utile. On met souvent en avant l’exemple suivant : une personne qui vend un bien au titre d’un acte de vente annulable, puis donne ledit bien à un tiers tenant la vente pour nulle, et enfin confirme l’acte de vente : si les droits du tiers donataire n’étaient pas préservés, il serait évincé. Il reste que le donataire a acquis un bien à un moment où il appartenait à un tiers, faute pour la vente d’avoir été annulée préalablement à la donation... En tout état de cause, sous cette réserve de la protection des droits des tiers, la confirmation leur est bien entendu opposable. C’est ainsi que les créanciers du confirmant ne pourront exercer par voie oblique l’action en nullité pour le compte de leur débiteur ayant confirmé l’acte annulable – mais il leur reste l’action paulienne1246.

285 Interpellation interrogatoire. Depuis la réforme du droit des contrats, il est possible de contraindre le titulaire d’une action en nullité, lorsque celle-ci est relative, à prendre parti en renonçant ou en agissant , sans attendre l'échéance de la prescription, afin de mettre fin aux incertitudes sur le devenir du contrat. En effet, la loi ouvre une interpellation interrogatoire à son cocontractant, en prévoyant qu'une partie « peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (C. civ., art 1183 al. 1). Autrement dit, il est possible de contraindre une personne, en l'interpellant, soit à agir en nullité, soit à confirmer le contrat.

Si le texte ne vise que l’interrogation d’une partie par une partie au contrat, c’est parce que, statistiquement, dans l’immense majorité des cas, c’est une partie au contrat qui a qualité pour agir en nullité lorsque celle-ci est relative et c’est une partie au contrat qui a intérêt à interroger. Aucune raison ne commande une interprétation du texte a contrario : dans certaines circonstances, un tiers doit pouvoir interroger ou être interrogé. Ainsi le tiers qui a acquis un bien au mépris d’une promesse unilatérale de vente devrait pouvoir interroger le bénéficiaire (interrogation d’un tiers par une partie au contrat annulable) et le tiers qui entend acquérir un bien auprès de celui qui a lui-même acquis le bien au mépris d’un droit de préemption ou de préférence devrait pouvoir, afin de « sécuriser » l’opération, interroger le titulaire du droit de préférence ou de préemption (interrogation d’un tiers par un tiers au contrat annulable).

À la différence des autres interpellations interrogatoires, le délai ne saurait être fixé par l’auteur de l’interpellation. En effet, dès lors que le mécanisme a pour effet d’affecter le délai normal de prescription, on ne comprendrait que celui-ci ait le pouvoir de fixer lui-même et lui seul un délai. Raison pour laquelle la loi l’a fait : il est de six mois.

S’il est précisé que la « cause de la nullité doit avoir cessé », c’est une maladresse. De fait, la cause de la nullité s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et à ce seul moment. Par conséquent, une cause de nullité ne peut pas « cesser ». Lorsque l’errans s’est rendu compte de son erreur après la conclusion du contrat, la cause de nullité n’a pas pour autant cessé : il peut bien entendu agir en nullité et on ne conçoit pas d’ailleurs qu’il ait pu le faire avant ! Ce que le législateur a probablement voulu dire, c’est que la confirmation devant être libre et éclairée1247, ne peut répondre efficacement à une interpellation que celui qui le fait de manière libre et éclairée (ex. la violence a cessé, l’errans a découvert son erreur, l’incapable est devenu capable, etc.).

Formellement, l’interpellation doit être faite par écrit, et cet écrit doit mentionner « expressément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé » (al. 2). En effet, il est important pour la personne interrogée de savoir ce à quoi elle s’expose si elle ne répond pas à l’interpellation, même s’il eut été préférable que le législateur exigeât dans l’interpellation la mention du texte de loi attachant au silence une telle conséquence1248. L’inexécution de ce devoir doit être sanctionnée par la perte du droit de se prévaloir du silence conservé par la personne interrogée, même si la loi ne le prévoit pas : c’est une véritable incombance1249.

Droit spécial : de la clause de non-contestation d’un droit de propriété industrielle Il n’est pas rare, notamment dans un contrat de licence de marque ou de brevet, que soit stipulée une clause aux termes de laquelle le licencié s’interdit de contester la validité de la marque ou du brevet. Si la Cour de cassation en a semble-t-il reconnu la validité par le passé, leur interprétation est stricte1240 et cette solution pourrait être remise en cause au regard de l’article  1182 C. civ. Au cas où l’annulation d’un brevet ou d’une marque serait prononcée, la nullité ayant aujourd’hui un effet erga omnes1241, on voit mal comment le contrat de licence pourrait survivre à celle-ci. Si la validité de telles clauses devait être remise en cause, il devrait être permis de concéder une licence « aux risques et périls » du licencié1242, le contrat devenant aléatoire. On relèvera par ailleurs que dès lors que le commerce entre États membres est affecté et qu’est applicable le règlement (UE) n° 316/2014 de la Commission du 21 mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie , la clause de non-contestation est exclue du bénéfice de l'exemption (art. 5 § 1, b)1243). Comme l’a relevé la Commission, « les droits de propriété intellectuelle non valables devraient être éliminés, parce qu’ils paralysent l’innovation au lieu de la favoriser »1244.

Droit spécial : de l’interpellation interrogatoire dans certains domaines particuliers En premier lieu, l’interpellation interrogatoire existait déjà en droit des sociétés . En droit commun des sociétés, il est prévu qu'en cas de « nullité d'une société ou d'actes ou délibérations postérieurs à sa constitution, fondée sur un vice de consentement ou l'incapacité d'un associé, et lorsque la régularisation peut intervenir, toute personne, y ayant intérêt, peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l'opérer, soit de régulariser, soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (C. civ., art 1844-12 1250 ). Et la même règle figure à l'article L. 235-6 du Code de commerce, en ce qui concerne le droit commun des sociétés commerciales 1251. En second lieu, la question se pose de savoir si l’interpellation interrogatoire de droit commun, qui a pour effet de raccourcir la prescription, pourra jouer dans les matières où la prescription ne peut faire l’objet d’aménagements conventionnels , comme c'est le cas en droit de la consommation (C. consom., art. L. 218-1 1252)1253. Dans la mesure où ce n’est pas la convention mais la loi qui instaure l’interpellation interrogation, celle-ci devrait pouvoir naturellement jouer.

§ II - La caducité

286 Automatisme ? Aucune disposition n’est consacrée à la mise en œuvre de la caducité, l’article 1187 alinéa 1 prévoyant uniquement que la caducité « met fin au contrat »1254. Joue-t-elle de plein droit, suppose-t-elle une décision du juge, des parties ou de l’une d’entre elles1255 ?

Dans le silence de la loi, c’est à la raison et au pragmatisme qu’il faut s’en remettre, lesquels invitent à distinguer.

Soit l’exécution du contrat est devenue objectivement impossible, sans que l’on soit en présence d’une cause de résolution du contrat1256 : la caducité jouerait alors de plein droit à supposer que ce soit également le cas pour la force majeure.

Soit l’exécution du contrat est encore objectivement possible, mais le contexte dans lequel il a été conclu a été tellement modifié que l’on est en présence d’une cause de caducité : la caducité devrait être prononcée, et cela par celle des parties dans l’intérêt de qui l’élément disparu servait les intérêts, sans intervention nécessaire du juge1257.

Chapitre 7 - L’interprétation du contrat

Plan

287 Localisation. « L’interprétation du contrat » fait l’objet du chapitre III.

288 Qu’est-ce qu’interpréter ?1258 Interpréter, c’est donner sens. En principe, les règles d’interprétation ont pour objet de dégager la commune intention des parties1259, dans le prolongement du principe d’autonomie de la volonté1260. Le juge doit donc mener un travail d’historien pour rétablir, au moment de la conclusion du contrat la commune intention des parties. Mais parce que cette commune intention est parfois difficile et parfois même impossible1261 à dégager, le Code civil prévoit des règles d’interprétation subsidiaires – on parle parfois d’interprétation objective.

289 Que doit-on interpréter ? Ce qui doit être interprété est l’instrumentum, support tangible du contrat1262. C’est donc à la volonté déclarée des parties qu’il faut donner sens, parce que celle-ci est censée constituer l’exact reflet de leurs deux volontés internes. En revanche, l’interprétation ne s’intéresse pas à l’éventuel hiatus qui pourrait exister, « une fois leur sens connu », entre la volonté interne et la volonté déclarée de chacune des parties, entre les volontés internes ou encore entre les volontés déclarées de celles-ci : c’est là une question qui regarde l’existence de la rencontre des consentements ou leur validité.

290 Quand interpréter ? Parce qu’interpréter c’est donner sens à ce qui n’en a pas, l’interprétation est requise chaque fois que l’instrumentum n’est pas clair, ce qui n’est pas rare. Comme on l’a observé, le « langage, qu’il soit exprimé oralement ou par écrit, n’est jamais qu’un véhicule imparfait de la pensée », et « [a]utant et peut-être plus que d’autres, le langage juridique souffre de cette infirmité congénitale »1263. En contrepoint, lorsque l’instrumentum est clair, il n’y a pas lieu à interprétation, car il n’y a pas à donner sens à ce qui en a déjà ou, si l’on préfère, il n’y a pas à donner un sens différent à l’instrumentum de celui qui s’en évince clairement : ce serait le dénaturer. C’est ainsi que l’article 1192 prévoit qu’ « [o]n ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Reste qu’à dire que l’interprétation commence là où cesse la clarté, la question n’est que déplacée, car il s’agit alors de savoir quand un instrumentum n’est pas clair, quand il se révèle obscur. On peut, semble-t-il, distinguer deux types d’obscurité.

Il est, en premier lieu, des cas d’obscurité intrinsèque, où l’obscurité ressort de la seule lecture de l’instrumentum. Par exemple, nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval et le lui livre « en écartant toute garantie des vices mais en restant tenu des défauts cachés ». De quoi suis-je tenu ? Une telle clause, susceptible de recevoir plusieurs sens, doit être interprétée.

Il est, en second lieu, des cas d’obscurité extrinsèque, où l’obscurité ressort de la mise en perspective de l’instrumentum, soit avec d’autres documents, soit avec des circonstances de fait particulières. Par exemple, nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval « et le lui livre » alors que dans le document portant quittance du prix, « il est convenu que Paul en prenne livraison ». M’appartient-il de livrer le cheval à Paul ou seulement de le lui mettre à disposition ? Il faudra interpréter. Autre exemple : nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval, alors que j’ai un « cheval de chair et de sang » mais aussi « un cheval de bois ». Nous sommes-nous accordés sur la vente du même cheval1264 ? Il faudra à nouveau interpréter.

Il convient par ailleurs de mentionner le cas de l’erreur matérielle1265 : l’écrit aura beau jeu d’être « clair » s’il ne reflète pas la volonté des parties.

Section 1 - Le contenu des règles d’interprétation

291 Règle subjective principale : la commune intention des parties. Le principe est simple, est énoncé à l’article 1188 alinéa 1 : le contrat s’interprète « d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. » Les contrats étant obligatoires dans la mesure où les parties ont voulu s’engager, il serait incompréhensible que la commune intention1266 des parties ne soit pas au premier chef recherchée afin d’interpréter un contrat.

Trois observations peuvent être formulées.

Primo, la recherche de cette commune intention sera parfois vaine, soit que cette commune intention fasse défaut – les parties n’ont pas envisagé la difficulté objet du litige ou il est établie que leur intention ne fut pas la même au moment de contracter, soit que le juge ne parvienne à l’établir.

Tertio, la recherche de la commune intention ne se conçoit pleinement que lorsque le contenu du contrat a été établi par les parties après avoir été négocié. Lorsque les obligations contractuelles figurent dans un instrumentum qui a été prérédigé par une des parties et imposé à l'autre, l'existence d'une commune intention des parties n'est pas exclue, mais elle est plus hasardeuse. Celle qui n'a pas rédigé l'instrumentum n'aura pas toujours pris connaissance de tous ses termes et, même si elle a pris connaissance, elle ne les aura pas toujours entendus de la même façon que le rédacteur.

Tertio, il convient de relever que le plus souvent les parties rédigent leur contrat en contemplation de la loi. Or, lorsque la loi a été modifiée postérieurement à ce qu’elle était lors de la conclusion du contrat, faut-il interpréter la commune intention des parties au regard de la loi applicable au jour de la conclusion du contrat ou de la loi applicable au jour du litige ? Nul n’étant devin, c’est à juste titre que la Cour de cassation retient la première des deux solutions envisageables1267.

292 Règles objectives subsidiaires : interprétation raisonnable, utile et cohérente . À titre subsidiaire, il est prévu que « [l]orsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation » (C. civ., art 1188 al. 2). Cette règle est très vague et difficile d'application : comment rétrospectivement placer un tiers dans la situation dans laquelle étaient les parties lorsqu'elles ont conclu le contrat ? En réalité, il y a fort à parier que c'est très rapidement le juge qui vêtira les habits de la « personne raisonnable » et retiendra le sens qu'il perçoit.

En tout état de cause, le juge pourra trouver quelque secours dans deux autres règles d'interprétation, très proches, et bien plus sûres. La première est celle de l'interprétation cohérente : « [t]outes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier » et « [l]orsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci » (C. civ., art 1189 1268 ; la seconde est celle de l'interprétation utile : « [l]orsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun » (C. civ., art. 1191). Cette seconde règle, qui vise à donner « effet » aux clauses polysémiques, est particulièrement importante et le plus souvent mise en œuvre en vue de fixer arbitrairement un sens au contrat obscur, un « sens validant ». Les règles posées par ces deux dispositions doivent être considérées comme des moyens permettant au juge de mettre en œuvre l'article 1188 C. civ. et non comme des moyens d'aller à l'encontre de ce dernier 1269.

293 Règle objective très subsidiaire ou dérogatoire ? L’interprétation contra proferentem et contra creditorem. L’article  1190 C. civ. indique que « [d]ans le doute », « le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. » Cette règle est aussi dure dans un contrat d’adhésion pour le rédacteur de l’acte qui supporte le risque d’obscurité (contra proferentem) qu’elle est profitable dans un contrat de gré à gré au débiteur (contra creditorem). La référence au « doute » persistant laisse entendre que la règle serait subsidiaire par rapport à celle de l’article 1188. D’ailleurs, si tous les contrats sont de gré ou d’adhésion, et que l’article  1190 était dérogatoire à l'article 1188 et non subsidiaire, cette dernière disposition serait sans application 1270...

Quoi qu’il en soit, l’idée d’interpréter un acte contre une personne (le rédacteur ou le créancier) suscite une interrogation d’ordre logique : faut-il systématiquement donner raison à celui en faveur d’une personne (l’adhérent ou le débiteur) alors même que son interprétation est déraisonnable ? Il serait excessif de faire droit aux prétentions les plus exotiques d'une partie pour la seule raison que l'article 1190 lui est favorable. Par où l'on voit que l'article 1188 dans son second alinéa ne sera peut-être pas tout à fait exclu. Conçoit-on une interprétation contra proferentem ou contra creditorem « déraisonnable » ?

294 Synthèse. Au fond, la logique paraît être la suivante : soit la commune intention peut être décelée et il faut la rechercher avant tout ; soit elle ne l’est pas, et on interprétera l’acte conformément aux attentes d’une personne raisonnable, à l'aide le cas échéant des règles objectives prévues par le Code. Si les incertitudes subsistent, le contrat sera interprété en faveur du débiteur dans un contrat de gré à gré et contre le rédacteur de l'acte dans un contrat d'adhésion, tout en veillant à ce que l'interprétation ne soit pas déraisonnable...

Section 2 - La valeur des règles d’interprétation

295 Plan. La valeur des règles d’interprétation doit être appréciée à l’égard des juges (§ I) et des parties (§ II).

§ I - À l’égard du juge

296 Pouvoir souverain des juges du fond. La Cour de cassation a très vite reconnu, dans l’arrêt Lubert rendu le 2 février 18081271, un pouvoir souverain aux juges du fond dans l’interprétation des contrats. L’interprétation des contrats est donc considérée comme une question de fait1272. Les raisons en sont diverses : d’abord, la Cour de cassation doit assurer l’unité des règles de droit et a priori n'a pas d'égards à la diversité des contrats ; ensuite, elle ne dispose pas de moyens lui permettant de se livrer à des investigations de fait lui permettant de déceler la volonté des parties (notamment les procédés prévus aux articles 10 et 11 du Code de procédure civile) ; enfin, elle pourrait craindre, à vouloir contrôler l'interprétation des juges du fond, un afflux important de pourvois.

Ces raisons sont plus ou moins convaincantes : d'abord, interpréter les contrats, c'est assurer leur force obligatoire et donc le respect de la loi (C. civ., art 1103 1273) ; ensuite, si la Cour de cassation ne dispose pas des moyens de s’assurer de la bonne interprétation des contrats donnée par les juges du fond, rien ne s’oppose à ce qu’elle s’assure du respect par ces derniers d’une certaine méthode d’interprétation ; enfin, l’afflux des pourvois ne devrait pas être sensible, lorsque l’on sait le nombre déjà important de ceux qui invoquent la dénaturation.

297 Contrôle de la dénaturation. La Cour de cassation s’est octroyé, dans l’arrêt Veuve Foucauld rendu le 15 avril 18721274, le pouvoir de sanctionner l’éventuelle dénaturation des contrats par les juges du fond, ce qui signifie qu’en présence d’un contrat clair et précis (par la suite, nous ne ferons que référence à la « clarté », la « précision » en constituant un des éléments d’appréciation), les juges du fond ne pourront retenir un autre sens que celui-ci qui s’évince de la lettre du contrat. Il y a dénaturation du contrat lorsque les juges du fond l’ont interprété dans un sens différent de celui qui ressortait de sa lettre claire et précise.

Or, d’après la Cour de cassation, « une clause est claire et précise lorsqu’elle n’est susceptible d’un seul sens »1275. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de l’interpréter en lui donnant un autre sens : « lorsque les conventions sont claires et précises, aucune considération d’équité n’autorise le juge à modifier, sous prétexte de les interpréter, les stipulations qu’elles renferment »1276. C’est ce qui ressort aujourd’hui de l’article 1192 : « [o]n ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ». Reste que la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation est assez souple ; elle se laisse en effet volontiers convaincre de l’ambiguïté d’une convention, autorisant alors l’interprétation.

298 Simples directives d’interprétation. Dans un arrêt rendu par sa chambre des requêtes le 16 février 1892, la Cour de cassation avait eu à connaître d’un pourvoi formé par le créancier d’un cautionnement qui reprochait aux juges du fond de n’avoir interprété la convention qu’au vu de l’intention de la caution, non de leur intention commune. Le pourvoi fut rejeté, la Cour estimant « que le législateur, dans l’article 1156 [devenu l’article 1188 alinéa 1], a inscrit des conseils aux juges, pour l’interprétation des conventions, sans caractère impératif, et n’a imposé aucune règle absolue, dont l’inobservation puisse donner ouverture à cassation »1277. Auparavant déjà, la Cour de cassation avait considéré, pareillement, que l’ensemble des règles d’interprétation n’énonçait que de simples conseils donnés aux juges1278. Et depuis, elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de rappeler sa jurisprudence1279.

En contrepoint, toutefois, on note certaines décisions qui ont donné quelque force aux règles d’interprétation.

La plus symptomatique1280 est celle rendue par la Première chambre civile le 20 janvier 19701281. Au visa de l’article 1156 et après avoir énoncé que, « selon ce texte, on doit, dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes », la Cour de cassation casse, pour fausse application de cet article, une décision qui, « après avoir énoncé qu’il convenait de faire prévaloir l’intention des parties sur le sens littéral des termes de la convention, s’est bornée, à cet effet, à déterminer la seule intention de la dame Y en contractant avec la société française de recours sans aucunement faire état ni de la volonté, ni de l’acceptation de celle-ci ». La mise en perspective avec la décision rendue en 1892 est éloquente.

À l'avenir, et bien que l'interprétation des contrats relève en principe du pouvoir souverain des juges du fond, l'on pourrait souhaiter que les dispositions relatives à l'interprétation se voient reconnaître le statut de règles de droit, à tout le moins, l'article 1188 alinéa 1. Ce faisant, et en application de l'article 604 du Code de procédure civile (le « pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit »), leur inobservation pourrait donner lieu à un pourvoi en cassation. La Cour de cassation contrôlerait ainsi le principe mais non l'exercice de l'interprétation. Il est d'ailleurs probable que la Cour de cassation reconnaisse la valeur contraignante de l'article 1190 qui pose le principe de l'interprétation contra proferentem dans les contrats d’adhésion1282 (et peut-être celle de l'interprétation contra creditorem dans les contrats de gré), dans le sillage de sa jurisprudence rendue à l'aune de l'article L. 211-1 alinéa 2 du Code de la consommation 1283. Par ailleurs, une clause dérogeant au principe de l’interprétation contra proferentem pourrait être constitutive d'un déséquilibre significatif au sens de l'article 1171 1284 , à moins qu'elle soit purement et simplement tenue pour nécessairement inefficace, si la règle est considérée comme étant d'ordre public. Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques , il faut également relever que l'article L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire prévoit notamment que les juges du fond peuvent solliciter l'avis de la Cour de cassation avant de statuer sur l'interprétation d'une convention présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Autrement dit, un contrat standardisé pourrait faire l’objet d’un tel avis de la Cour de cassation.

Point sensible : de la valeur contraignante des règles d’interprétation En premier lieu, c’est surtout « en droit spécial » que la Cour de cassation française est plus encline à reconnaître la force contraignante des règles d’interprétation. Ainsi en va-t-il de l’article 1602 qui, après avoir énoncé que « [l] e vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige », dispose que « [t]out pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur ». En effet, dans un arrêt rendu le 13 avril 19991285 la Cour de cassation approuve un tribunal d'avoir « exactement déduit (...) que la convention conclue entre les parties devait être interprétée en faveur des [acheteurs] ». Quant à l'article L. 211-1 alinéa 2 du Code de la consommation, qui énonce que « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible » et qu'elles « s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel », il donne lieu à un contrôle par la Cour de cassation, depuis deux arrêts rendus par les première et deuxième chambres civiles de la Cour de cassation, respectivement le 21 janvier 2003 1286 et le 13 juillet 20061287. À l’étranger, tant le droit belge que le droit italien affirment le caractère contraignant des règles d’interprétation pour les juges du fond. En droit belge , la jurisprudence a évolué. Pendant longtemps, elle a considéré que les articles 1156 et suivants du Code civil étaient de simples conseils et non des règles impératives 1288. Mais, dans un arrêt rendu le 25 juin 1942, la Cour de cassation belge considéra que « le juge avait le devoir de rechercher dans le contexte de l’acte et dans les faits constants de la cause, l’intention que les parties avaient voulu traduire dans l’écrit »1289 à ce stade, le caractère impératif de l’article 1156 du Code civil était acquis1290. Par la suite, la Cour de cassation belge conférera expressément ce caractère impératif à l’article 1162 du Code civil1291. Aujourd’hui, la doctrine s’accorde à étendre ce caractère aux autres dispositions relatives à l’interprétation du Code civil1292. En droit italien, un arrêt rendu le 30 janvier 1995 par la Cour de cassation italienne est venu fixer la jurisprudence sur l’interprétation des contrats : si la Cour relève que l’interprétation du contrat, qui vise à souligner une vérité historique – la volonté commune des parties –, est typiquement un jugement de fait, institutionnellement réservé au juge du fond, ce jugement est attaquable devant le juge de cassation en cas de violation des canons légaux d’herméneutique contractuelle1293.

§ II - À l’égard des parties

299 Règles supplétives ? Bien que les règles contenues aux articles 1188 et suivants paraissent davantage s’adresser aux juges, et en particulier aux juges du fond, elles sont parfois qualifiées en doctrine de règles supplétives1294. Quoi qu’il en soit, la question se pose de savoir si les parties peuvent préciser, écarter ou modifier les règles d’interprétation qui sont prévues aux articles 1188 et suivants1295. Si certaines clauses d’interprétation doivent pouvoir être stipulées efficacement (par exemple celle qui établirait une hiérarchie entre les clauses de l’instrumentum), il serait curieux que les parties puissent enjoindre au juge d’interpréter des obligations négociées dans un sens différent de celui qui ressort de leur volonté commune.

Aménagements conventionnels Deux séries de clauses peuvent conduire à diminuer l’office du juge. En premier lieu, des clauses peuvent limiter le champ des investigations du juge. À cet égard, l’on évoque souvent la clause d’intégralité1296, dont la portée dépend cependant étroitement de sa rédaction. Le plus souvent, cette clause a pour effet d’interdire au juge de compléter les dispositions de l’instrumentum à partir d’autres éléments antérieurs à la conclusion du contrat1297. Mais, ainsi rédigée, la clause, et c’est ce qui nous intéresse, n’interdit pas au juge d’interpréter les dispositions de l’instrumentum litigieux au vu d’autres éléments. Ainsi les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international prévoient-ils que « le contrat écrit qui contient une clause stipulant que le document renferme toutes les conditions dont les parties sont convenues ne peut être contredit ou complété par la preuve de déclarations ou d’accords antérieurs. Ces déclarations ou accords peuvent cependant servir à l’interprétation du document » (art. 2.1.17)1298. En second lieu, en vue de prévenir l’interprétation par le juge, le mieux est encore que le contrat soit clair. Dans cette perspective, la plupart des instrumenta comportent des définitions des termes employés. Dans cette perspective encore, les Incoterms1299 apparaissent comme des standards fort utiles à la détermination du sens à donner aux stipulations de contrats parfois lapidaires. Reste à se demander si, en pratique, les parties cherchent bien à prévenir toute interprétation du juge ou bien si, au contraire, elles ne l’encouragent pas à interpréter. De fait, on relève bien souvent, en pratique, que les conseils de deux parties, en vue de parvenir à un accord, s’accommodent fort bien d’une obscurité qui permettra, le cas échéant, à chacune des parties de faire son miel.

Chapitre 8 - Les effets du contrat entre les parties

Plan

300 Localisation. « Les effets du contrat entre les parties » font l’objet de la première section du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat ». Elle se compose de deux sous-sections, l’une consacrée à la « [f]orce obligatoire » et l’autre à l’« [e]ffet translatif ».

301 La loi des parties. Un contrat emporte des effets pour les parties qui sont variables suivant son contenu. On envisagera les effets de tout contrat (section 1) puis les effets particuliers des contrats translatifs (section 2).

Section 1 - Les effets de tout contrat

302 Plan. À l’égard des parties, le contrat est une norme. C’est d’une part une norme contraignante en ce qu'un débiteur doit exécuter ce qu'il a promis : « [l]es contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (C. civ., art 1103: tout contrat est doté de la force obligatoire (§ I). C'est d'autre part une norme comportementale en ce qu'un débiteur doit s'exécuter d'une certaine manière : « [l]es contrats doivent être (...) exécutés de bonne foi » (C. civ., art 1104 al. 1) (§ II).

§ I - La force obligatoire

303 Plan. Envisageons les fondements de la force obligatoire du contrat (A), ses manifestations (B), et la limite tenant à sa révision ou résiliation pour imprévision (C).

A - Fondements

304 Diverses conceptions. Plusieurs conceptions du contrat peuvent expliquer sa force obligatoire.

Suivant une conception subjective, la force obligatoire est fondée sur la volonté des parties qui se sont engagées : un contrat est obligatoire parce que les parties ont voulu s’engager. Il serait néanmoins excessif de penser que la seule volonté suffise à engager son auteur : si une personne s’engage en son for intérieur envers une autre, par exemple en acceptant une offre dont elle est destinataire, elle ne sera pas liée pour autant. Pourquoi ? Tout simplement parce que, ce faisant, celui qui s’est « engagé » n’a suscité aucune attente chez l’autre qui n’a pas reçu son engagement. Aussi, il est probablement plus exact de considérer que la force obligatoire des contrats et plus généralement des actes juridiques, repose tant sur la volonté que sur les attentes que cette volonté a pu susciter.

Suivant la conception objective, la force obligatoire est fondée sur la loi, sur l’article 1103. Cette explication est peut-être insuffisante : on a peine à imaginer que les contrats ne seraient plus obligatoires, si l’article 1103 n’existait pas. C’est qu’il est dans la nature des choses d’un contrat d’être obligatoire : il n’y a pas de société sans contrat. La force obligatoire du contrat serait une règle supra-législative, (elle est le corollaire de la liberté contractuelle qui a valeur constitutionnelle) de droit naturel, dit-on parfois. Il ne faut cependant pas minorer le rôle de la loi : celle-ci peut toujours disposer que tel contrat ou telle stipulation est nulle en lui ôtant sa force obligatoire, ou encore enrichir le contenu d’un contrat d’obligations qu’elle imposerait. Aussi bien, la force obligatoire des contrats, dans une perspective objectiviste, serait tant fondée sur la loi que sur le droit naturel, qui ressort de la nature des choses1300.

305 Pertinence des diverses conceptions. La question du fondement de la force obligatoire de l’obligation est une question que l’on peut se poser sans fin. Probablement les deux conceptions, bien comprises, peuvent être invoquées pour expliquer des règles particulières.

En premier lieu, la conception subjective explique ou expliquerait certaines règles du processus de la formation du contrat. Parce que la force obligatoire de l’acte juridique repose sur la volonté, la volonté doit être libre et éclairée lors de son émission. Parce que la force obligatoire de l’acte juridique repose également sur les attentes de son destinataire, celui-ci devrait pouvoir être retiré tant qu’il n’est pas parvenu à son destinataire : l’offre (C. civ., art 1115 et l’acceptation (C. civ., art 1118 al. 2) peuvent être rétractées tant qu’elles ne sont pas parvenues à leur destinataire.

En second lieu, la conception objective explique que les règles de droit objectif peuvent enrichir1301 (C. civ., art 1194 voire prohiber certains contrats ou stipulations1302 (C. civ., art 6.

B - Manifestations

306 Plan. La force obligatoire du contrat se manifeste au premier chef et tout naturellement dans l’obligation qu’ont les parties de l’exécuter, de « payer » (1), et dans la procédure de modification ou révocation du contrat (2).

1 - Le paiement

307 Principe du paiement. Le « paiement est l’exécution volontaire de la prestation due » (C. civ., art 1342 al. 1 1303). Parce que le contrat est doté de la force obligatoire, les prestations promises doivent être « payées », c’est-à-dire exécutées volontairement par les parties.

Le paiement produit un double effet libératoire (du débiteur) et extinctif (de la dette) (C. civ., art 1342 al. 3). Toutefois, lorsque la dette est payée, non par le débiteur, mais par un tiers (par exemple une caution) qui n'est pas animé par une intention libérale, ce dernier peut être subrogé dans les droits du créancier. En payant au créancier la dette de son débiteur, le tiers « prend sa place » et peut à son tour réclamer le paiement de la dette au débiteur. Techniquement, la créance est transmise au tiers qui peut s’en prévaloir à l’encontre du débiteur : la dette n’est pas éteinte et le débiteur, s’il est libéré à l’égard du créancier originaire, ne l’est pas à l’endroit du tiers devenu créancier. L’intérêt principal de la subrogation pour le tiers est de profiter des accessoires de la créance payée et notamment des sûretés qui y étaient attachées. Indépendamment de son recours subrogatoire, le tiers qui a payé la dette d’autrui dispose en principe d’un recours personnel contre le débiteur dont il a payé la dette (qui dépend du rapport juridique entre le solvens et le débiteur : mandat, caution, gestion d’affaires, paiement de l’indu1304).

309 Auteur du paiement. Celui qui effectue le paiement, le solvens, est généralement le débiteur, mais ce peut aussi être un tiers, comme il vient d’être vu : le paiement « peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (C. civ., art 1342-1. Différentes raisons peuvent l'expliquer : il est animé d'une intention libérale (il réalise ce faisant une donation indirecte), il y est tenu (il est un garant du débiteur), il s'y croit à tort tenu, il vient en aide au débiteur.

Le refus du créancier ne sera légitime que chaque fois que la personne du débiteur importe dans l’exécution de la prestation. Tel ne sera pas le cas pour le paiement d’une obligation monétaire – pourvu que l’auteur du paiement soit capable de le faire – mais tel pourra être le cas pour le paiement d’une obligation non monétaire : par exemple, un client ne veut pas qu’un autre entrepreneur que celui avec lequel il a contracté effectue les réparations convenues.

311 Bénéficiaire du paiement . Le créancier et lui seul doit en principe être payé, dès lors qu'il est capable de recevoir le paiement (C. civ., art 1342-2 al. 1). S'il ne l'est pas, le paiement devra être effectué à la personne ayant en charge ses intérêts ; le paiement qui serait fait à l'incapable ne serait pas libératoire, sauf si ce dernier en a tiré profit (C. civ., art. 1342-2 al. 1, in fine).

Ce principe est assorti d’un tempérament et de deux exceptions.

Le tempérament consiste en ce que le paiement peut être effectué à un tiers désigné par le créancier (C. civ., art 1342-2 al. 1), par exemple un mandataire.

La première exception tient à ce que le paiement fait à un tiers est encore valable si le créancier l’a ratifié ou en a profité (C. civ., art 1342-2 al. 2), par exemple parce que la somme d'argent versée au tiers lui a été reversée.

La seconde exception tient à ce que le paiement fait à un créancier apparent est valable dès lors qu'il a été effectué de bonne foi (C. civ., art 1342-3; chaque fois que le paiement a été fait à tiers dont le solvens avait toutes les raisons de croire qu’il était le créancier et qu’il l’a effectivement cru (ex. usurpation d’identité), alors le paiement est valable. En revanche, l’article est sans grande utilité lorsqu’il s’agit de considérer que le paiement fait à celui qui a cédé sa créance sans en avertir le cédé est libératoire : les règles relatives à la cession de créance suffisent à fonder la solution (« La cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »).

313 Moment du paiement. Le paiement « doit être fait sitôt que la dette devient exigible » (C. civ., art 1342 al. 2 1305), c’est-à-dire dès la conclusion du contrat, si la loi ou une clause du contrat n’a pas reporté l’exigibilité des obligations. Ainsi la délivrance de la chose louée doit être immédiate, sauf si l’exigibilité de l’obligation de délivrance n’a pas été reportée dans le temps, par l’effet d’un terme suspensif.

311 Lieu du paiement. Le paiement « doit être fait au domicile du débiteur » (C. civ., art 1342-6 1306) : on dit que les dettes sont quérables, qu’il appartient au créancier de se déplacer pour se faire payer. La loi réserve bien évidemment la volonté1307, la décision et la règle contraires.

312 Objet du paiement. Le débiteur doit payer tout ce qu’il doit et exactement ce qu’il doit.

En premier lieu, le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible (C. civ., art 1342-4 al. 1).

En deuxième lieu, le créancier peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû (C. civ., art 1342-4 al. 2), ce qui veut surtout dire qu'il peut le refuser. Seul l'accord du créancier permettra au débiteur de s'acquitter de sa dette en payant autre chose que ce qui était dû au titre du contrat. C'est le mécanisme de la dation en paiement, c’est-à-dire la remise, à titre de paiement et avec l’accord des deux parties, d’une chose différente de celle qui faisait l’objet de l’obligation1310.

En troisième lieu, « le débiteur d’une obligation de remettre un corps certain est libéré par sa remise au créancier en l'état, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n'est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre » (C. civ., art 1342-5. Celui qui doit délivrer ou livrer un corps certain n'est donc tenu que de le faire dans l'état qui est le sien à ce moment. Toutefois, si la chose est détériorée, il ne sera libéré que si cette détérioration ne lui est pas imputable, qu'elle l'est à un cas de force majeure.

En quatrième lieu, s’agissant du paiement d’une somme d’argent, le principe du nominalisme est consacré (C. civ., art 1343 al. 1), sous réserve d'une double exception.

Primo, la dette de somme d’argent peut être indexée (C. civ., art 1343 al. 2), sous réserve de respecter la stricte réglementation du Code monétaire et financier 1311. En substance, si l’indexation est en principe interdite1312, il existe des exceptions. Pour l’essentiel1313, l’indexation est libre, quel que soit l’indice choisi, pour les dettes alimentaires1314 et les titres de créance et instruments financiers à terme1315 ; l’indexation est possible sur le niveau général des prix pour certaines dettes énumérées par la loi, comme celles issues de remboursement de prêts professionnels1316 ; l’indexation, quelle que soit la dette, est possible si l’indice présente « une relation directe » avec l’objet du contrat ou l’activité de l’une des parties1317 (par exemple, la dette de l’acheteur d’un immeuble à construire peut être indexée sur l’indice du coût de la construction bâtiment BT01 ou encore, la dette de remboursement d’un prêt peut être indexée sur une monnaie étrangère car le change a un lien direct avec les opérations de banque1318).

Secundo, certaines dettes qui n’ont pas pour objet un montant nominal, mais la valeur d’un bien ou d’un service (« dette de valeur [d’un bien ou d’un service] »1319) : le débiteur « d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation » (art. 1343 al. 3). La somme qui sera finalement due sera celle égale à la valeur du bien ou du service qui fait l’objet de l’obligation, au jour de son exigibilité1320. Par exemple, lorsqu’un héritier rapporte à la succession une donation, le montant à rapporter est égal à la valeur du bien reçu, appréciée au jour du partage (C. civ., art 843 et C. civ., art 860 1321. De même, celui qui est tenu de réparer un préjudice doit indemniser la valeur du préjudice au jour de la décision qui ordonne la réparation. Soit un bâtiment détruit par la faute d’un individu. L’obligation de réparation naît au jour du dommage, mais sera évaluée au jour de la décision du juge car le responsable est tenu d’une « dette de la valeur du préjudice », fixée au jour de la décision. Si, en raison de l’évolution du coût de la vie, le coût des réparations a augmenté entre le dommage et la décision, il conviendra donc d’en tenir compte.

313 Frais du paiement. Les frais du paiement « sont à la charge du débiteur » (C. civ., art 1342-7 1339). Que coût de l’exécution de l’obligation doive être supporté par le débiteur s’explique par deux raisons : d’une part, il est souvent variable suivant la personne du débiteur et on ne comprendrait pas que ce soit l’affaire du créancier (qui concevrait qu’il dût payer les salariés du débiteur qui exécuteront la prestation ?) et, d’autre part, ce coût est déjà intégré dans le prix convenu pour la prestation due par le débiteur.

314 Preuve du paiement. Dans le sillage de plusieurs décisions rendues par la Première chambre civile de la Cour de cassation1343, la loi prévoit que « le paiement se prouve par tout moyen » (C. civ., art 1342-8 1344 ), notamment par les « registres » et « papiers domestiques » qui « énoncent formellement un paiement reçu » lorsqu'il s'agit d'invoquer ces documents à l'encontre de celui qui les a tenus (art 1378-1.

La loi pose par ailleurs deux présomptions.

En premier lieu, la « remise volontaire par le créancier au débiteur de l'original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération » (C. civ., art 1342-9 al. 1). En effet, si l'acte constatant la dette a été remis au débiteur, il est probable que le créancier a été payé. Pour la même raison, le législateur a également considéré que la « même remise à l'un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l'égard de tous » (C. civ., art 1342-9 al. 2). Parce qu'il ne s'agit que d'une probabilité, il serait sage de tenir la présomption comme étant simple, alors qu'auparavant elle était considérée comme irréfragable par la Cour de cassation 1345.

En second lieu, la « mention d'un paiement ou d'une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur » (C. civ., art 1378-2 al. 1) et il en est « de même de la mention portée sur le double d'un titre ou d'une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur » (C. civ., art 1378-2 al. 2). De fait, la mention par le créancier lui-même d'un paiement présume à l'évidence qu'un tel paiement a eu lieu.

315 Imputation des paiements . Lorsqu'un débiteur est tenu de plusieurs dettes envers son créancier, la question se pose de l'imputation de son paiement partiel. Le principe est qu'il appartient au débiteur d'indiquer « lorsqu'il paie, celle qu'il entend acquitter » (C. civ., art 1342-10 al. 1). À défaut, sous l'empire du droit antérieur à la réforme de 2016, c'est le créancier qui définissait les règles d'imputation (C. civ., anc. art. 1255) ; désormais, « l'imputation a lieu comme suit : d'abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d'intérêt d'acquitter. À égalité d'intérêt, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement » (C. civ., art 1342-10 al. 2). Les règles d'imputation sont donc en faveur du débiteur et non plus du créancier dans la mesure où les dettes productives d'intérêts, car échues, seront les premières à être payées.

Droit spécial : du paiement de sommes d’argent L’exception principale au principe de la quérabilité des dettes concerne le paiement des sommes d’argent. À défaut d’une autre désignation par la loi, le contrat ou le juge, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est « le domicile du créancier »1308. L’expérience a en effet montré qu’il était plus simple de trouver le créancier pour lui verser une somme d’argent que le débiteur pour qu’il en fasse autant... Des textes spéciaux, qui concernent également le paiement d’une somme d’argent, retiennent la même solution Ainsi la prime d’assurance est en principe payable « au domicile de l’assureur ou du mandataire désigné par lui à cet effet »1309.

Point sensible : de la monnaie de paiement et de la monnaie de compte Le Code civil distingue implicitement la monnaie de paiement, qui est celle utilisée pour payer et qui ne peut être refusée par le créancier lorsqu’elle a cours légal, et la monnaie de compte, qui est celle dans laquelle est libellée une dette. « Le paiement, en France, d'une obligation de somme d'argent s'effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l'obligation ainsi libellée procède d'une opération à caractère international ou d'un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s'il intervient entre professionnels, lorsque l'usage d'une monnaie étrangère est communément admis pour l'opération concernée » (C. civ., art 1343-3. Soit un prêt de somme d’argent d’une devise X. Le prêt devra être remboursé dans la devise X ou Y, suivant la monnaie de paiement convenue. Alors même que le prêt devrait être remboursé dans la devise X, il se peut que les mensualités dues soient fixées en raison de l’évolution du taux de change avec la devise Y, monnaie de compte1322. La monnaie de paiement est en principe l’euro si le paiement a lieu en France1323, l’euro étant la monnaie de la France1324. Toutefois, le paiement, même en France, peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée découle d’une « opération à caractère international »1325 ou d’un jugement étranger1326 et si les parties en sont ainsi convenues, que le paiement intervient entre professionnels, et que l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée1327. Par ailleurs, en toute circonstance, par « dérogation au premier alinéa de l’article  1343-3 C. civ., le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant »1328. En contrepoint, le recours à une monnaie de compte est en principe permis, que l’opération soit internationale ou interne, pourvu que soient respectées les règles de l’indexation1329. Il reste que, compte tenu de la dangerosité potentielle du recours à une monnaie de compte étrangère, cela est parfois interdit1330.

Droit spécial : des titres de monnaie locale complémentaires À côté de l’euro, qui a cours légal et forcé en France1331, plusieurs « monnaies » sont apparues (l’eusko, le buzuk, le galais, etc.) dans le but de promouvoir les échanges à l’échelon local : les monnaies locales complémentaires (MLC)1332. Les « titres de monnaies locales complémentaires » peuvent être émis et gérés par certains acteurs de l’économie solidaire et dont c’est l’unique objet social1333 : il s’agit de personnes morales de droit privé qui remplissent certaines conditions et dont le but est autre « que le seul partage des bénéfices »1334. La MLC ne peut donc être un instrument purement spéculatif (certaines, on l’a vu, ne sont pas convertibles). L’émetteur de monnaie locale, en échange d’euros, remet des billets ou coupons de monnaies locales, une unité de MLC égalant un euro. La MLC est analysée par la doctrine dominante comme un titre incorporant une créance contre l’émetteur1335 et la circulation de MLC en une cession de créance. La MLC est acceptée par les professionnels qui ont adhéré au réseau de monnaie locale en question. Au-delà, il existe des particularités suivant les réseaux en question. Dans certains réseaux, la MLC est ou non convertible en euro (si elle l’est, elle peut l’être pour tous ou pour les professionnels seulement, avec ou sans pénalité), se déprécie ou non périodiquement (la « fonte »). Lorsque l’émission ou la gestion de titres de MLC relève d’un service bancaire de paiement, d’un service de paiement ou de la monnaie électronique, l’émetteur ou le gestionnaire sont soumis aux règles relatives aux établissements de crédit ou aux prestataires de services de paiement, les changeurs manuels et les émetteurs de monnaie électronique1336. Il semblerait que pour parler de « services de paiement », l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution exigerait que tous les utilisateurs (et non pas seulement les professionnels) puissent se faire rembourser leurs titres de MLC en euros ou que des rendus de monnaie en euros soient faits. Même si tel était le cas, l’émetteur ou le gestionnaire qui devraient en principe se faire agréer, pourraient, le cas échéant, bénéficier d’une exemption d’agrément1337. Il reste que, une monnaie locale complémentaire n’est pas une véritable monnaie1338. Elle est un titre de créance circulant de manière simplifiée.

Droit spécial : de la vente Parce que les frais du paiement sont à la charge du débiteur, les frais à la charge de l’acheteur sont les frais qui découlent de son obligation de payer le prix et les frais à la charge du vendeur, ceux qui découlent de celle de transférer un bien conforme aux stipulations et dépourvu de vices. Les dispositions relatives à la vente explicitent cette distinction. Ainsi est-il prévu que « les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur, (...) s'il n'y a eu stipulation contraire » (C. civ., art 1608 1340) : il s’agit des frais de mise à disposition (remise des clefs, etc.), frais de division (bornage, arpentage, état descriptif de division, mise à jour du règlement de copropriété, etc.), frais de garantie de contenance. Pour les frais relatifs à la garantie d’éviction et à la garantie des vices , il n'existe pas de règle spéciale. Toutefois, en application de l'article 1342-7 C. civ. ci-dessus mentionné, les frais liés à la garantie d'éviction (apurement de la situation hypothécaire 1341 et frais d'apurement de la situation locative par exemple) et les frais liés à la garantie des vices cachés (élaboration d'un dossier de diagnostic technique, CCH, art. L. 271-4 devront être supportés par le vendeur. S’agissant en revanche des frais d’acte, l’article  1593 C. civ. apporte une utile précision en prévoyant que « les frais d’actes et autres accessoires à la vente sont à la charge de l’acheteur » car le principe suivant lequel le débiteur est tenu des frais du paiement est ici sans objet. Ces dispositions sont supplétives1342.

2 - La modification et la révocation du contrat

316 Distinction. Les contrats « ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise » (C. civ., art 1193 1346).

317 Modification. Qu’un contrat ne puisse être modifié que d’un commun accord est une règle de bon sens. Il serait même inconcevable que, par principe, chaque partie puisse modifier seule ce qui a été convenu à deux.

Reste des cas particuliers.

En premier lieu, la loi autorise parfois une partie à déterminer1347 ou à modifier1348 le contenu du contrat. Ce qui est permis par la loi dans des cas particuliers peut-il l’être de manière générale par le contrat ? Une clause peut-elle stipuler que le contrat sera modifié autrement que par un accord des parties, par la décision d’une partie seule1349 ? La réponse1350 doit par principe être négative1351. En effet, lorsque le contrat accorde à une partie le droit de modifier unilatéralement son contenu, il est difficile de considérer que le contenu est (définitivement) déterminé, ce qu’exige pourtant la loi1352. C’est qu’il n’y a pas de réelle différence entre le contrat dont le contenu serait ab initio abandonné au pouvoir d’une seule partie et celui dont le contenu, ab initio déterminé d'un commun accord, pourrait par la suite être modifié unilatéralement par une partie. C'est pourquoi doit être approuvé l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation par lequel il fut décidé que « la clause, par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier, en tout ou en partie, le contrat de travail, est nulle comme contraire aux dispositions de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil, [v. auj. C. civ., art 1193 le salarié ne pouvant valablement renoncer aux droits qu'il tient de la loi » 1353. En tout état de cause, à supposer même que le contrat puisse licitement prévoir une faculté de modification du contrat au profit d’une partie, le risque que la clause octroyant une telle faculté soit déclarée abusive est très important1354. Bien évidemment, si une telle clause était admise, tout abus dans l’exercice d’une telle prérogative serait sanctionné, conformément aux principes généraux du droit des contrats1355.

En second lieu la loi autorise parfois le juge à modifier le contenu du contrat : réviser une clause pénale (C. civ., art 1231-5, accorder un délai de grâce au débiteur pour s'exécuter (C. civ., art. 1343-5, en droit commun, C. consom., art. L. 314-20, en matière de crédits régis par le Code de la consommation), en surendettement, rééchelonner les dettes, voire les effacer (C. consom., art. L. 733-1 s.) et, depuis la réforme de 2016, modifier le contrat ou y mettre fin en cas d'application du mécanisme d'imprévision (C. civ., art 1195. Dans tous ces cas, le juge vient ainsi au secours du débiteur en souffrance pour payer ces dettes, en tempérant la rigueur du contrat.

318 Révocation. Qu’un contrat ne puisse être révoqué que par un accord des parties est encore une règle de bon sens, mais qui comporte davantage de nuances.

En premier lieu, la révocation doit être distinguée de la rétractation. La rétractation permet à une partie seule, si la loi ou le contrat le prévoit, de « retirer » son consentement au contrat, ce qui explique qu’en principe elle doit avoir lieu avant que le contrat ne soit exécuté, celui-ci étant réputé ne jamais avoir été conclu1366. En contrepoint, la révocation permet aux deux parties, d’un commun accord, de mettre fin à un contrat dont on ne considèrera pas qu’il n’a jamais existé.

En deuxième lieu, la révocation ne vaut traditionnellement que pour l’avenir dans un contrat à exécution successive, mais rétroactivement dans un contrat à exécution instantanée, sauf volonté contraire des parties1367. De fait, la « rétroactivité doit être à la mesure de l’utilité subsistante » et le contrat à exécution instantanée « obéit à une logique du tout ou rien » : « le seul moyen d’éviter une injustice entre les parties est de mettre fin au contrat pour le passé »1368. La Cour de cassation doit toutefois être invitée à reprendre la distinction entre les contrats qui ne présentent d’utilité que s’ils sont exécutés totalement et les autres, que l’on trouve à l’article  1229 C. civ.  au sujet des effets dans le temps de la résolution1369. On dit parfois qu’un accord révocatoire ne pourrait pas porter atteinte aux droits des tiers, un tel accord leur étant inopposable1370. C’est excessif, dès lors que tout contrat, même révocatoire, est opposable aux tiers. En revanche, il est permis de considérer que, conventionnellement, les parties à un contrat ne peuvent rétroactivement anéantir les droits des tiers en dehors des cas prévus par la loi1371.

En troisième lieu, la révocation du contrat peut être unilatérale si le contrat est conclu pour une durée indéterminée . En effet, en raison du principe de prohibition des engagements perpétuels (C. civ., art 1210 al. 1 1372 ), lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, « chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (C. civ., art 1211. En revanche, si le contrat est conclu pour une durée déterminée, « chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme » (C. civ., art 1212, pourvu, là encore, que la durée n'en soit point excessive au point qu'on puisse y voir un engagement perpétuel 1373.

319 Considérations de forme : absence de principe de parallélisme des formes. L’article 1173 du projet d’ordonnance avait posé un principe de parallélisme des formes1384 : « [l]es contrats qui ont pour objet de modifier un contrat antérieur ou d’y mettre fin sont soumis aux mêmes règles de forme que celui-ci, à moins qu’il en soit autrement disposé ou convenu ». De nombreux actes auraient été concernés : accords révocatoires, accords modificatifs, novation, notamment.

La réception d’un tel principe de manière aussi générale eut été fort critiquable. D’une part, lorsque la forme du contrat initialement conclu a été choisie par les parties, on ne voit pas pourquoi, en vertu du principe de liberté contractuelle, elles ne pourraient plus modifier ou révoquer leur contrat dans une autre forme. D’autre part, lorsque la forme du contrat initialement conclu a été imposée par la loi, l’exigence de la forme ne devrait s’imposer à l’acte subséquent que lorsque l’exigence de forme s’impose par analogie. C’est pourquoi il fut suggéré de retenir le principe suivant : « [s]i la finalité de la forme le commande, les contrats qui ont pour objet de modifier un contrat antérieur ou d’y mettre fin sont soumis aux mêmes règles de forme que celui-ci »1385.

Finalement, le principe de parallélisme des formes (large ou restreint) n’a pas été consacré par la réforme. Une approche casuistique continuera donc à s’imposer1386.

Droit spécial : de la modification du contrat de consommation, du contrat de travail et du contrat de franchise En droit de la consommation, les clauses de modification unilatérale du contrat sont présumées abusives. Le sont simplement celles qui, en général, réservent « au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives aux droits et obligations des parties »1356. Mais le sont irréfragablement celles qui réservent « au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre »1357. En droit du travail, compte tenu de l’évolution du contexte notamment économique, social et concurrentiel, l’employeur s’est vu reconnaître un pouvoir d’apporter sous certaines limites, des modifications dans la situation du salarié. Si le pouvoir de l’employeur a toujours pu être rattaché à son « pouvoir de direction », ses limites ont évolué jusqu’à l’arrêt Le Berre, dans lequel la Cour de cassation a finalement distingué la « modification du contrat de travail » du « changement des conditions de travail »1358. Autant la modification du contrat de travail ne peut avoir lieu que d’un commun accord, autant la modification des conditions de travail peut être imposée par l’employeur seul1359. En droit de la franchise, un pouvoir particulier a été reconnu au franchiseur afin de lui permettre de faire évoluer le réseau, notamment « de modifier [son] organisation »1360, sans recueillir l’adhésion de tous les franchisés, dès lors qu’il ne modifiait pas seul les contrats de franchise. L’hypothèse est fréquente notamment dans le cas de modification dans la gouvernance d’un réseau. Le franchiseur n’exerçant pas comme l’employeur un « pouvoir de direction », un franchisé n’étant pas un salarié, il paraît plus juste de parler d’un « pouvoir d’organisation ». C’est ainsi que le franchiseur peut faire évoluer le savoir-faire (nouvelles recettes dans une franchise de restauration), l’apparence de l’enseigne (afin de la mettre au « goût du jour »), etc. En tout état de cause, ces prérogatives ne sauraient être exercées de manière discrétionnaire ; comme toute prérogative, leur exercice ne doit pas être abusif. Par ailleurs, comme en droit du travail, en franchise, le pouvoir reconnu au franchiseur ne saurait lui permettre de modifier le contrat conclu avec le franchisé1361. La question se pose fréquemment à l’occasion de la réorganisation du réseau. L’idée générale est que l’évolution du réseau ne doit pas conduire le franchiseur à méconnaître ses obligations contractuelles1362. Mais il faut être réaliste : bien souvent, l’évolution du réseau supposera une modification plus ou moins importante des contrats. Aussi convient-il de prévoir cette difficulté dès la rédaction du contrat de franchise par des « clauses d’évolution du réseau »1363. Plusieurs solutions peuvent être envisagées. En premier lieu, on peut extraire du champ contractuel certaines questions et les faire relever du pouvoir d’organisation du franchiseur. Il s’agira par exemple de l’apparence de l’enseigne ou du contenu savoir-faire1364. De la sorte, toute modification ultérieure ne constituera pas une modification du contrat, mais l’exercice d’une prérogative de l’employeur rattachée à son pouvoir d’organisation. Il convient donc en amont de distinguer ce qui relève du pouvoir d’organisation du réseau et ce qui relève de la matière contractuelle. Mais, à cet égard, les obligations essentielles du contrat de franchise ne sauraient être arbitrairement « décontractualisées ». En second lieu, il pourrait être stipulé que l’inexécution (définitive) de telle ou telle obligation du contrat de franchise en raison de l’évolution du réseau ne donnera lieu qu’au versement d’un forfait de dommages-intérêts, sans possibilité pour les franchisés de solliciter une autre mesure comme l’exécution forcée en nature du contrat (qui compromettrait l’évolution du réseau) ou sa résolution (qui appauvrirait le réseau)1365.

Droit spécial : du droit de révoquer unilatéralement certains contrats Pour différentes raisons, la loi autorise parfois un cocontractant à mettre fin unilatéralement au contrat. Dans le dépôt, la chose déposée doit en principe être remise au déposant aussitôt qu’il la réclame, même si le contrat avait fixé un délai déterminé pour la restitution (art.  1944 C. civ.). L’intérêt du déposant est préféré à celui du dépositaire, qui de toute façon n’a pas accès aux utilités de la chose. En comparaison, dans le prêt à usage , le prêteur « ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée » (C. civ., art 1888 et « si, pendant ce délai, ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre ». L'intérêt du prêteur n'est pas préféré comme l'était celui du déposant, car cette fois la restitution anticipée nuira à l'emprunteur qui, à la différence du dépositaire, a accès aux utilités de la chose. Dans le prêt de somme d’argent, si le prêteur ne peut par principe exiger la restitution anticipée des fonds prêtés, l’emprunteur peut-il la lui imposer, afin d’éviter le paiement d’intérêts ? Le terme étant l’intérêt des deux parties, en droit commun, un tel remboursement anticipé ne serait pas possible1374. Mais en droit de la consommation, c’est la règle contraire qui l’emporte, tant pour les crédits à la consommation1375 que pour les crédits immobiliers1376. Quant au mandat, il faut distinguer. En premier lieu, le mandant « peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (C. civ., art 2004: il serait de fait intolérable qu'une personne continue à être engagée par autrui alors qu'elle ne le souhaite plus. Cette règle est tempérée en présence d'un « mandat d’intérêt commun ». Le mandataire d’intérêt commun est celui qui commercialise les produits du mandant, au nom et pour le compte de celui-ci en vue de créer, maintenir ou développer sa clientèle, en étant commissionné1377. Un tel mandat « ne peut être révoqué par la seule volonté de l’une des parties, mais seulement de leur consentement mutuel ou pour une cause légitime reconnue en justice ou enfin suivant les conditions et clauses spécifiées au contrat »1378. L’auteur de la rupture (en général le mandant), devra indemniser l’autre du préjudice subi, sans qu’il n’y ait à la qualifier d’abusive ou de brutale1379. Parmi les « causes légitimes » reconnues en jurisprudence, on peut mentionner la faute du mandataire, la cessation d’activité, l’absence de rentabilité de l’activité du mandataire, la disparition des marges bénéficiaires du mandant, la réorganisation nécessaire de l’entreprise, pourvu qu’elle soit réelle et qu’elle n’ait pas été effectuée dans le seul but de se soustraire au paiement des commissions. En second lieu, le mandataire « peut renoncer au mandat » (art 2007 al. 1 C. civ.). De fait, représenter autrui est de fait une mission éminemment personnelle à laquelle il doit pouvoir renoncer à tout moment. La faculté pour le mandataire de mettre fin au mandat est toutefois largement tempérée dans la mesure où si cela « préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire, à moins que celui-ci ne se trouve dans l'impossibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable » (art 2007 al. 2 C. civ.). On relèvera enfin qu’en vue de la protection de tel contractant, la loi reconnaît parfois à celui-ci le droit de mettre fin avant terme au contrat : – le locataire titulaire d’un bail d’habitation (art. 12, L. 6 juillet 19891380), d’un bail professionnel (art. 57 A L. 23 décembre 19861381 ), ou d'un bail commercial, tous les trois ans (C. com., art. L. 145-9 1382) ; – le salarié qui a conclu un contrat à durée indéterminée (C. trav., art. L. 1343-2 al. 11383).

Droit spécial : du parallélisme des formes Tantôt, dans le prolongement du droit commun, le parallélisme des formes est écarté, tantôt, au contraire, il trouve à s’appliquer. L’absence d’un principe de parallélisme des formes se manifeste en droit des libéralités. S’agissant des testaments, un testament fait dans une des formes prévues par la loi peut être révoqué ou modifié dans une autre forme que celle du testament initial, dès lors bien évidemment qu’il s’agit d’une forme permise par la loi : ainsi un testament olographe peut révoquer un testament authentique1387. S’agissant des donations, la révocation par le donataire de son acceptation doit être faite par acte notarié1388 mais la jurisprudence admet que la modification d’une donation puisse être faite autrement que par acte notarié1389. En contrepoint, un (certain) parallélisme des formes est parfois exigé. Il peut l’être d’abord à des fins de validité : le contrat de fiducie « et ses avenants sont enregistrés dans le délai d’un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France » (C. civ., art. 2109). Il peut l’être ensuite à des fins probatoires : on ne peut prouver outre ou contre un écrit que par écrit (C. civ., art 1359 al. 2 1390). Il peut l’être enfin à des fins d’opposabilité : la conclusion comme la fin d’un contrat de location-gérance doit donner lieu à publication (C. com., art. R. 144-1 1391).

C - Limite : la révision et résiliation pour imprévision

320 Premières vues. L’article  1195 C. civ. reconnaît au juge le pouvoir de mettre fin ou de modifier un contrat dont l’exécution est devenue excessivement onéreuse pour une des parties en raison d’un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion.

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Sous réserve des contrats faisant l’objet de dispositions spéciales incompatibles1392, tout contrat relève en principe de cette disposition, encore qu’en pratique le seront pour l’essentiel ceux dont l’exécution s’inscrit dans la durée : contrats de construction, contrats de bail, contrats de distribution, etc. Ont toutefois été exclus par la Loi de ratification les contrats relatifs aux instruments financiers1393, exclusion jugée conforme à la constitution malgré les différences de traitement qu’elle institue entre cession d’actions et cession de parts sociales1394. Ainsi, la cession d’un titre d’une société par action affectée d’un terme ne pourra être remise en cause en cas de bouleversement affectant leur valeur entre la date de conclusion du contrat et le terme1395. L’exclusion faite par la Loi de ratification n’ayant pas été considérée comme « interprétative » de l’Ordonnance, les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 20181396 pourraient être remis en cause, sauf pour les juges à considérer que l’exclusion était déjà implicite dans le texte issu de l’Ordonnance.

321 Rupture avec le droit antérieur1397. L’admission de la théorie de l’imprévision constitue une rupture avec une tradition bien ancrée dans la jurisprudence civile, puisque le juge judiciaire n’avait jamais accepté, depuis le célèbre arrêt Canal de Craponne1398, de modifier ou de mettre fin à un contrat en cas d’apparition d’un déséquilibre économique grave entre les prestations au cours de l’exécution du contrat.

En l’espèce, un contrat conclu en 1560 fixait la redevance due par une partie pour utiliser l’eau d’un canal. La société exploitant le canal avait demandé une augmentation de la redevance en raison de la dépréciation de la monnaie et de l’augmentation du coût de la main-d’œuvre. La cour d’appel d’Aix avait admis une augmentation de 60 centimes ; son arrêt fut cassé au visa de l’ancien article 1134 : « la règle que consacre l’[ancien] article 1134 est générale et absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même que ceux de toute autre nature. Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ».

En droit administratif, une solution différente fut retenue dans l’affaire Gaz de Bordeaux1399.

La compagnie générale d’éclairage de Bordeaux avait demandé à la ville de Bordeaux qu’elle supporte le surcoût résultant pour elle de l’envolée du coût du charbon, en raison de la guerre. Le Conseil d’État jugea que si, en principe, un contrat de concession règle de façon définitive les obligations des parties qui doivent supporter les risques d’une évolution des circonstances économiques, lorsque l’économie du contrat est bouleversée de telle manière que le concessionnaire ne peut plus assurer le fonctionnement du service dont il a la charge, il convient de rechercher une solution qui tienne compte de l’intérêt général et permette la continuation du service pour mettre fin à des difficultés temporaires. Le Conseil d’État décida d’indemniser la compagnie tenue d’assurer le service. La technique choisie est celle de l’indemnisation et l’objectif est d’assurer la pérennité du contrat en cas de bouleversement temporaire de leur économie1400. Cette particularité du mécanisme administratif se maintiendra-t-elle en dépit du nouvel article 1195 ?

322 Plan. Distinguons les conditions (1) des effets (2) du nouveau mécanisme.

1 - Conditions

323 Trois séries de conditions. Le mécanisme suppose que soient réunies trois séries de conditions : un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat », une « exécution excessivement onéreuse », et l’absence d’une clause l’écartant.

324 Un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». La première condition, un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat », appelle trois séries de précisions.

Primo, les circonstances visées peuvent être économiques (par exemple, la dépréciation monétaire ou l’évolution considérable du coût d’une matière première1401). Mais elles pourraient être fiscales, juridiques, sociales, etc. N’importe quelle circonstance est susceptible d’être prise en considération, dès lors qu’elle a participé au contexte dans lequel le contrat a été conclu.

Secundo, le changement de circonstances doit avoir été imprévisible lors de la conclusion du contrat. L’idée générale est la suivante : « l’événement, venant bouleverser l’acte de prévision, touche au cœur l’acte de volonté et agit, en quelque sorte, à la façon d’un vice du consentement a posteriori »1402. Comme dans l’absolu rien ou presque rien n’est imprévisible, le juge exigera que le changement de circonstances ait été raisonnablement imprévisible, in concreto, compte tenu des parties, de la durée du contrat, etc. Par ailleurs, le changement de circonstances ne doit pas être imputable aux parties, car il ne s’agit jamais que d’une question de répartition des risques et que ce qui dépend d’une partie ne peut constituer un risque.

Tertio, on doit être en présence d’un changement objectif des circonstances. Ainsi, a priori, une des parties ne pourra invoquer le mécanisme de l’imprévision si elle se rend compte après la conclusion du contrat d’un événement préexistant à la conclusion du contrat et qui va rendre son exécution excessivement onéreuse (ex. le sol est plus dur que prévu et la construction de l’immeuble, en conséquence, plus onéreuse). Cette découverte ne pourra donner lieu qu’à une annulation du contrat en raison de l’existence d’un vice du consentement1403.

325 Une « exécution excessivement onéreuse ». Il s’agit de la conséquence du changement de circonstances. Le changement de circonstance doit rendre « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie »1404.

Primo, le dispositif de l’imprévision n’a ni pour objet ni pour effet de rééquilibrer des contrats initialement déséquilibrés. Autrement dit, c’est en cas de modification de l’équilibre initial tel qu’il était voulu par les parties que le juge pourra mettre en œuvre ce mécanisme.

Secundo, on peut s’interroger sur la détermination précise de la conséquence du changement de circonstances : celui-ci doit il conduire à un coût d’exécution excessivement onéreux, comme le texte le laisse entendre, et/ou à un déséquilibre dans la valeur des prestations échangées ? On ne peut répondre à cette question sans égard à l’issue du processus de mise en œuvre de l’article 1195 C. civ. : la modification du contrat, ou son anéantissement.

Dès lors, deux choses l’une.

Si c’est l’équilibre initial du contrat qui est bouleversé, ce qui suppose au préalable de mettre en perspective, au regard du marché en cause, la valeur de ce qu’une partie fournit et la valeur ce qu’elle reçoit de l’autre1405, le dispositif pourrait naturellement trouver à s’appliquer, tant la modification du contrat que son anéantissement étant concevables. La question se posera alors de déterminer, en présence d’un tel bouleversement, s’il conviendra d’établir, en sus, une exécution excessivement onéreuse pour l’une des parties1406.

Si l’équilibre initial du contrat n’a pas été bouleversé, mais que l’exécution du contrat est devenue excessivement onéreuse pour l’une des parties (en raison par exemple d’une modification de la législation juridique ou fiscale), le dispositif pourrait trouver à s’appliquer – c’est ce que semble commander la lettre du texte –, mais seul l’anéantissement du contrat est concevable. De fait, ne voit pas un juge modifier l’équilibre initial et persistant du contrat. Et encore, l’anéantissement est-il véritablement justifié ? Le mécanisme de l’article 1195 C. civ. a-t-il pour objet de protéger les entreprises qui sont moins efficientes que leurs concurrentes, celles pour lesquelles les coûts d’exécution sont excessif 1407 ? En tout état de cause, il ne serait pas admissible que la jurisprudence mît en œuvre le mécanisme de l’imprévision pour la seule raison que le contrat ne présentât plus d’intérêt pour une partie. En effet, aucun contractant ne devrait avoir à subir les risques de l’entreprise de son cocontractant, auquel il n’est pas associé !

Par exemple, s’il me coûtait 60 d’exécuter une prestation valant 90 sur le marché et que je me suis engagé à commercialiser à ce prix pour 5 ans et qu’une année après la conclusion du contrat, mes coûts sont de 95 alors que la prestation vaut toujours 90 sur le marché, je ne devrais pouvoir solliciter une modification du contrat pour imprévision car, si tel était le cas, le cocontractant pâtirait injustement de l’inefficience de son cocontractant et paierait un prix supérieur à celui du marché. Toutefois, parce que l’exécution du contrat peut s’avérer ruineuse pour le prestataire, un anéantissement du contrat est concevable, mais mérite d’être discutée.

En tout état de cause, il ne serait pas admissible que la jurisprudence mît en œuvre le mécanisme de l’imprévision pour la seule raison que le contrat ne présentât plus d’intérêt pour une partie. En effet, aucun contractant ne devrait avoir à subir les risques de l’entreprise de son cocontractant, auquel il n’est pas associé !

Ainsi, celui qui s’est engagé à passer des commandes qu’il craint à présent ne pouvoir écouler ne devrait pouvoir invoquer le mécanisme de l’imprévision. De même que celui qui a emprunté pour lancer telle activité commerciale ne pourra demander révision de son prêt si le contexte de son activité a évolué défavorablement, en raison notamment d’une concurrence accrue (le chauffeur de taxi ne pourra demander la révision de son prêt au motif de la concurrence nouvelle de voitures de transport avec chauffeur (VTC)).

Tertio, le mécanisme de l’article  1195 C. civ. n’est pas exclu dans les contrats aléatoires, qui sont des contrats onéreux1408. Dès lors, si les éléments d’évaluation d’une prestation en considération d’un aléa ont été bouleversés, il n’est pas inconcevable que l’article  1195 trouve à s'appliquer. À supposer que l'homme devienne demain immortel, laisserait-on en l'état les contrats d'assurance en cas de vie ou en cas de décès ? Il n'en demeure pas moins que l'application du mécanisme en tant que tel de l'aléa ne saurait bien évidemment être remise en cause sur le fondement de l'article 1195 C. civ. Aussi bien, en définitive, la question est probablement celle de déterminer si ce sont les ressorts de l’aléa et eux seuls qui ont été bouleversés (et non le résultat du jeu du mécanisme de l’aléa, ce qui n’aurait d’ailleurs guère de sens au regard de la lettre de l’article  1195 C. civ.1409). Ainsi, celui qui a acheté en viager au doyen de l’humanité ne peut invoquer le bénéfice de la révision pour imprévision dès lors que les tables de mortalité n’ont pas elles-mêmes été bouleversées.

Quarto, si les prestations susceptibles d’être affectées ont d’ores et déjà été exécutées, le mécanisme n’a plus vocation à jouer. Comme on l’a justement souligné, « si l’exécution est achevée la richesse créée ou transférée grâce au contrat n’est plus une prestation due mais une richesse entrée définitivement dans le patrimoine du créancier. Que la chose ou le service vienne à perdre toute valeur en raison d’un événement inattendu (une autoroute est construite au fond du jardin de la maison achetée), il s’agit là d’un risque pour son patrimoine [du créancier] et non plus d’un risque du contrat »1410.

326 Un mécanisme non écarté par les parties. Le mécanisme ne doit pas avoir été écarté par les parties. Il est certain que le mécanisme peut être écarté par les parties, tant la lettre que l’esprit du texte étant en ce sens. Il ressort ainsi de l'article 1195 C. civ., qui ne prévoit pas au demeurant qu'il soit impératif, que la mise en œuvre du mécanisme suppose « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat qui rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque »1411. Et d’après le rapport au président de la République, « [c]omme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un caractère supplétif, et les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat ».

Reste une question d’ordre technique, importante en pratique : le texte est-il purement et simplement supplétif , ce qui permettrait aux parties de l'écarter de la manière la plus simple qui soit (« les parties écartent l'application de l'article 1195 du Code civil ») ou est-il impératif , ce qui signifierait que si les parties peuvent écarter le mécanisme, elles doivent le faire comme le prescrit l'article 1195 C. civ., en indiquant qu'une ou plusieurs partie(s) « accepte(nt) d'assumer le risque découlant d'un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l'exécution excessivement onéreuse » ? À supposer qu'il faille retenir la seconde branche de l'alternative, la question se poserait alors de déterminer si les « circonstances » doivent être énumérées. Le rapport, qui indique que les parties pourront « choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l'économie du contrat » (nous soulignons), pourrait donner du crédit à la thèse suivant laquelle il serait nécessaire de viser les circonstances dans lesquels le mécanisme l'article 1195 ne s'applique pas. Mais en même temps, le rapport indique bien que le texte « revêt un caractère supplétif »... Quoi qu'il en soit, n'est-il pas impossible ou à tout le moins fastidieux de contraindre les parties à énumérer toutes les circonstances ou catégories de circonstances en vue d'écarter le mécanisme légal d'imprévision ? En définitive, la solution la plus simple doit être privilégiée et le texte doit donc être considéré purement et simplement comme étant supplétif. On ajoutera seulement que les parties qui auraient écarté l'article 1195 C. civ. pourraient en même temps prévoir leur propre mécanisme d'imprévision (clause de hardship, clause MAC dans les sell and purchase agreement1412) et qu’en tout état de cause, dans certains types de contrats, devrait subsister l’obligation de renégociation1413 consacrée par la jurisprudence avant la réforme dans les arrêts Huard (distributeur agissant pour son compte), Chevassus-Marche et Holder (distributeur agissant pour le compte d’autrui).

Droit spécial : des mécanismes spéciaux de révision Le dispositif de l’article  1195 C. civ. doit être mis en perspective avec des mécanismes spéciaux de révision pour imprévision et des mécanismes de revalorisation. En premier lieu, il faut mentionner plusieurs mécanismes spéciaux de révision pour imprévision. En droit des libéralités , il existe un processus de révision des conditions et charges des libéralités (C. civ., art. 900-2 à 900-8 lorsque « l'exécution en est devenue pour lui soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable » (C. civ., art 900-2, la demande n'étant « recevable que dix années après la mort du disposant ou, en cas de demandes successives, dix années après le jugement qui a ordonné la précédente révision » (C. civ., art. 900-5). En droit de la propriété intellectuelle , il est prévu en cas de cession du droit d'exploitation, « lorsque l'auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat » (CPI, art. L. 131-5 al. 1) sauf à ce que l'œuvre ait « été cédée moyennant une rémunération forfaitaire » (CPI, art. L. 131-5 al. 2). En droit du partage , lorsque le débiteur d'une soulte « a obtenu des délais de paiement et que, par suite des circonstances économiques, la valeur des biens qui lui sont échus a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion, sauf exclusion de cette variation par les parties » (C. civ., art 828. Dans toutes les hypothèses, l’admission de la révision est subordonnée à des conditions distinctes, en sorte que ces textes devraient primer l’article  1195 C. civ. (même si celui-ci autorise également le juge à résilier le contrat, ce que ne permettent pas, pour des raisons diverses, ces dispositifs spéciaux1414). Il en va différemment, dans d’autres matières. En droit de la construction, l’article  1793 C. civ.1415 qui régit le marché à forfait tient à l’écart, d’après les premières décisions rendues par les juges du fond, le jeu du mécanisme de l’imprévision1416, les parties étant en tout état de cause libres d’aménager les conditions du forfait1417. En droit de la négociation commerciale , l'article L. 441-8 du Code de commerce 1418 prescrit aux parties qui concluent un contrat d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente de certains produits (produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses, pour les produits de l’aquaculture, ainsi que pour les produits alimentaires de consommation courante issus de la première transformation de ces produits) de stipuler une clause de renégociation (sous peine d’une amende administrative) et organise sa mise en œuvre de manière minutieuse. Ce texte, qui ne va pas jusqu’à instaurer un mécanisme de révision du contrat pour imprévision, devrait trouver application aux côtés de l’article 1195 C. civ. En second lieu, il faut mentionner les mécanismes de revalorisation. On pense aux mécanismes d’indexation1419, de révision des rentes1420, de révision des loyers en droit spécial des baux1421, etc. A priori, dès lors que ces mécanismes ont pour objet de rapprocher le prix de la prestation à sa valeur, le dispositif de la révision pour imprévision n’a pas vocation à entrer en conflit avec ceux-ci. Toutefois, parce qu’ils jouent à des échéances définies, la question de la révision pour imprévision se pose entre ces échéances. Pour ne prendre qu’un exemple, la question se pose de savoir si le loyer commercial peut être révisé pour imprévision entre chaque période de révision triennale ou de renouvellement du bail. Faute d’antinomie entre ces mécanismes de révision et celui de la révision pour imprévision, un concours d’application n’est pas exclu1422.

2 - Effets

327 Trois temps. Si les conditions sont réunies, se met en place un mécanisme à triple détente à la disposition de la partie lésée.

328 Demande de révision. Dans un premier temps, la partie lésée peut demander à l’autre la renégociation du contrat. Un refus pourrait être opposé par cette dernière, sans qu’il puisse constituer une faute1423, sauf les cas où une obligation de renégociation s’imposerait (jurisprudences Huard, Chevassus-Marche et Holder1424 ). Au cours de la renégociation - à supposer qu'elle ait lieu -, la partie l'ayant demandée doit continuer à exécuter ses obligations (C. civ., art 1195 al. 1 in fine), tout comme l’autre, évidemment. Il reste que si une partie éprouve des difficultés, l’ouverture d’une procédure collective est à envisager1425.

Cette demande de renégociation est semble-t-il un préalable nécessaire. La partie lésée pourrait s’en rendre compte à ses dépens si, poursuivie pour inexécution, elle invoquait le jeu de l’article 1195 sans avoir pris la peine de demander à l’autre la renégociation du contrat...

329 Tentative d’accord de révocation ou accord pour saisir le juge . Dans un deuxième temps, en cas de refus ou d'échec de la renégociation, la loi prévoit précisément que « les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation » (C. civ., art 1195 al. 2 in limine). Primo, s’agit-il véritablement de résolution ? Oui, si et seulement s’il y a bien eu inexécution. Mais si tel n’est pas le cas, ne faut-il pas davantage considérer qu’il y a une simple révocation, par principe dépourvue d’effets rétroactifs et restitutoires, ce qui n’est pas sans enjeu pour les tiers. Secundo, le pouvoir du juge d’« adapter » le contrat ne paraît pas différent de celui de le « réviser » auquel la loi fait par la suite référence, on y vient.

330 Saisine du juge pour révision ou résiliation du contrat . Dans un troisième temps, faute d'accord dans un délai raisonnable, une partie (le débiteur voire le créancier qui voudrait mettre un terme à la situation conflictuelle) peut demander au juge de le « réviser » ou d'y « mettre fin », « à la date et aux conditions qu'il fixe » (C. civ., art 1195 al. 2 in fine). Cette demande faite au juge n’est possible que s’il y a bien eu auparavant demande de renégociation par la partie lésée à l’autre, incombance dont le non-respect devrait être sanctionné par une irrecevabilité1426.

À supposer que le juge soit saisi par une partie, il « peut », d’après la loi, « réviser le contrat ou y mettre fin ». Toutefois, tant la lettre du texte (« Le juge peut, à la demande d’une partie ») que le principe dispositif (CPC, art 4 s.) s'opposeraient à ce que le juge mette fin à un contrat alors qu'il est saisi d'une demande en révision, et inversement 1427. En revanche, parce que le juge peut réviser ou mettre fin au contrat « à la date et aux conditions qu’il fixe », il lui est a priori possible de moduler dans le temps les effets de sa décision, soit en les reportant, soit en la faisant jouer rétroactivement.

Au-delà, les pouvoirs du juge suscitent plusieurs questions : son pouvoir d’adaptation pourra-t-il être encadré par les parties (par exemple, le prix ne pourra être révisé qu’à l’intérieur d’une fourchette) ? Son pouvoir de modifier ou de mettre fin au contrat est-il également une obligation ou une faculté1428 ? Pourra-t-il adapter temporairement le contrat s’il ne prononce pas immédiatement l’extinction ? Quid des droits des tiers, notamment des sûretés consenties par eux ? La plus importante est probablement celle de l’étendue du pouvoir de modification du juge. Pourra-t-il seulement corriger des quotités (baisser ou augmenter un prix par exemple) ou pourra-t-il modifier l’objet de toute prestation ? Aucune limite n’étant fixée par la loi, le pouvoir du juge paraît sans autre limite que ce qu’exige la liberté contractuelle. Toutefois, il est probable, à supposer que cela lui soit demandé, que si un rééquilibrage par les quotités n’est pas possible, il ordonnera la fin du contrat. Par ailleurs, le juge devra-t-il gommer le seul « excès », ou pourra-t-il revenir à l’équilibre initial ? Si gommer le seul excès apparaît plus conforme à la raison1429, non seulement les juges auront probablement une tendance naturelle à vouloir rechercher l’équilibre, mais aussi la législation montre, notamment au sujet de la révision des clauses d’indexation des loyers commerciaux, qu’un système du tout ou rien est tout à fait concevable1430.

§ II - L’exécution de bonne foi

331 Devoir comportemental1431 . Les contrats « doivent être (...) exécutés de bonne foi » (C. civ., art 1104 al. 1), en vertu d'une disposition « d'ordre public » (C. civ., art 1104 al. 2).

La bonne foi est un devoir comportemental qui pèse sur les parties : (i) elle n’est pas un moyen pour le juge d’enrichir1432 ou d’amputer le contenu d’un contrat ; (ii) elle n’est pas une obligation en ce qu’elle n’est pas un lien de droit permettant à une partie d’exiger d’une autre une prestation à part entière.

La jurisprudence prend toutefois quelque liberté avec ces directives.

Primo, dans plusieurs arrêts rendus dans des contrats instituant une relation de dépendance entre professionnels, essentiellement des contrats de distribution, la Cour de cassation avait mis en place avant la réforme une obligation de renégociation fondée sur le devoir de bonne foi : ce sont les arrêts Huard (distributeur agissant pour son compte), Chevassus-Marche (distributeur agissant pour le compte d’autrui) et plus récemment Holder (distributeur agissant pour son compte)1433. Outre qu’une telle obligation ne devrait pouvoir être fondée sur le devoir de bonne foi pour les raisons qui viennent d’être évoquées, ces décisions suscitent des interrogations1434. Dans l’arrêt Holder, la Cour de cassation n’a pas mis à la charge d’une partie le devoir de parvenir à un nouvel accord, ce qui aurait été manifestement excessif, mais celui de « proposer des conditions acceptables », ce qui est plus sage, mais reste discutable1435. En tout état de cause, en cas de manquement à l’obligation de renégociation, la Cour de cassation interdit au juge de porter atteinte aux modalités de paiement du prix fixé par les parties, lesquelles constituent la substance même des droits et obligations1436.

Secundo, dans certaines circonstances, la Cour de cassation a également considéré qu’un contractant avait le devoir d’avertir l’autre d’une erreur grossière qu’il commettait en accomplissant tel acte1437, ce qui revient à instaurer une certaine forme d’obligation de correction de l’incurie du cocontractant. L’intention est louable, mais la pente est glissante.

Tertio, il n’est pas rare que, de règle générale, la jurisprudence fonde sur le devoir de bonne foi des obligations dérivées des obligations stipulées, en ce qu’elles participent de leur mise en œuvre. Ainsi une cour d’appel n’a « pas méconnu la loi du contrat en appréciant les conditions dans lesquelles il devait être exécuté de bonne foi » et, ce faisant, en condamnant une entreprise de peinture à une remise en état de cuves qu’elle avait peintes sans préparation préalable de la surface à peindre, ce qui avait provoqué un décollement de la peinture1438. Dans toutes ces hypothèses, n’est-il pas permis de considérer que les obligations mises à la charge du débiteur sont en réalité des obligations qui découlent implicitement des obligations dont les parties sont convenues, cela « allant sans dire »1439 ?

Quarto, il arrive enfin que certains comportements soient appréciés à l’aune du devoir de bonne foi alors que celui-ci est manifestement hors de cause1440. Cela peut s’expliquer par la volonté de ne pas casser des décisions du fond qui auraient manifestement pu être autrement fondées.

Si l’on tient le devoir de bonne foi comme un devoir intéressant l’exécution du contrat, précisément, la manière de l’exécuter, il reste à en déterminer précisément le sens et la portée.

En premier lieu, le devoir de bonne foi consiste tout simplement « pour chacune des parties à ne pas surprendre la confiance qu’elle a suscitée en contractant ; cette prévisibilité est au cœur du contrat, spécialement lorsque le lien contractuel doit durer. (...) le contraire de la loyauté est la duplicité (...), qui ruine la prévisibilité »1441. Ainsi se trouve condamnée l’inconstance1442, la malice1443 du créancier, ou encore les manœuvres du débiteur destinées à « embêter » le créancier1444, voire à le priver de ses droits1445. Mais ce devoir ne saurait en principe1446 obliger une partie à sacrifier ne serait-ce qu’en partie ses intérêts au profit de ceux de l’autre partie1447. La jurisprudence va parfois jusqu’à sonder les motifs des contractants1448. Tout au plus faudrait-il réserver les prérogatives discrétionnaires du contractant, mais on peine aujourd’hui à en identifier1449 : ainsi même la faculté de dédit serait susceptible d’être exercée de mauvaise foi1450.

En second lieu, il résulte du célèbre arrêt Les Maréchaux que « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties »1451. L’idée générale est que le juge ne peut modifier le contenu du contrat, sa « substance », mais seulement sanctionner l’usage déloyal des « prérogatives » auxquels il donne naissance, spécialement en en paralysant les effets dans le cas précis ayant été l’occasion du comportement déloyal. Au-delà, la distinction entre prérogative et substance, summa divisio, est pourtant à ce jour encore empreinte d’un certain mystère. Primo, en laissant la « substance » du contrat à distance des pouvoirs du juge, la Cour de cassation lui interdit-elle de modifier les seuls droits et obligations essentiels, tous les droits et obligations mais seulement eux, ou encore tout le contenu du contrat, en ce compris les clauses conférant des prérogatives et imposant des devoirs1452 ? Cette dernière solution est la préférable : le juge ne saurait invoquer la mauvaise foi d’une partie pour réécrire les termes du contrat, quels qu’ils soient. Secundo, en permettant au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, on comprend avant toute chose que le juge peut contrôler l’usage de prérogatives qui ne participent pas de la mise en œuvre du paiement des créances : mise en œuvre d’une clause résolutoire, d’un pouvoir de fixation du prix, etc.1453 Mais quid, justement, des prérogatives qui participent de la mise en œuvre du paiement des créances, au premier rang desquelles celle d’exiger le paiement de sa créance ? Selon certains, il faudrait distinguer : si « le créancier n’est évidemment pas de mauvaise foi quand il se borne à exiger le paiement de sa créance », il peut l’être quand « il l’exige dans des circonstances et des conditions qui révèlent sa déloyauté »1454. La frontière entre les deux hypothèses reste ténue1455. Selon d’autres, « il convient de limiter le jeu [du devoir de bonne foi] aux prérogatives du créancier (droit conventionnel de rupture, agrément, révision unilatérale...), accessoires au droit de créance, lequel ne devrait jamais être affecté par la bonne foi »1456, limitation qui n’irait pas sans difficulté dans certains cas1457. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence paraît hostile à ce qu’un créancier doive, sur le fondement du devoir de bonne foi, accorder à son débiteur des facilités de paiement.

Section 2 - Les effets des contrats translatifs

332 Plan. Un contrat translatif est un contrat qui transfère la propriété d’une chose ou d’un autre droit réel sur la chose (§ I). Les contrats translatifs de propriété emportent au surplus transfert des risques liés à la perte de la chose (§ II).

§ I - Le transfert de propriété ou de tout autre droit réel

333 Plan. Distinguons le moment (A) des suites (B) du transfert.

A - Le moment du transfert

334 Principe du transfert solo consensu. Lorsqu’un contrat a pour objet le transfert de la propriété ou de tout autre droit réel sur un bien, le transfert se fait en principe solo consensu (C. civ., art. 1196 al. 1). Toutefois, en vertu du second alinéa de l’article 1196, le transfert peut être différé par la volonté des parties (les parties peuvent différer le transfert de propriété de la chose vendue au complet paiement du prix, notamment en stipulant une clause de réserve de propriété), la nature des choses (le transfert de propriété des choses de genre est reporté à leur individualisation par le vendeur) ou l’effet de la loi (dans les ventes en l'état futur d'achèvement, le transfert de propriété se fait au fur et à mesure de la construction de l'immeuble vendu, C. civ., art 1601-3 1458).

335 Cas particulier du double transfert de propriété par un même auteur. Une difficulté se pose lorsqu’une personne cède deux fois la propriété de sa chose ou tout autre droit sur celle-ci.

Le principe est que le premier acquéreur l’emporte sur le second : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a (prior tempore, potior jure).

Toutefois, le principe souffre deux exceptions , lorsque le second acquéreur est de bonne foi (C. civ., art 1198.

Primo, lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi (al. 1).

Secundo, aujourd’hui encore, lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d'acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu'il soit de bonne foi (al. 2). Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l'Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière1459 abroge en effet l'article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.). La portée du changement dépendra de la manière dont les juges apprécieront la fraude.

Ces deux exceptions révèlent une incohérence profonde du droit français. Comment considérer d’un côté que le transfert de propriété se fasse solo consensu et donc que le premier acquéreur soit devenu propriétaire et, d’un autre côté, qu’il ait « perdu » sa propriété lorsque l’auteur a cédé « son » bien à un second acquéreur entré en possession ou ayant publié son titre ?1460

B - Les suites du transfert

336 Délivrance et autres. Celui qui a transféré la propriété ou un autre droit réel sur une chose doit en principe sans délai délivrer celle-ci, c’est-à-dire la mettre à disposition de l’acquéreur qui doit la retirer. Dans l’intervalle, l’article 1197 prévoit que le débiteur de l’obligation de délivrance est tenu d’une obligation de conserver la chose « en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable ». S’il ne le fait pas, il aura inexécuté le contrat.

§ II - Le transfert des risques

337 Principe : concomitance du transfert de propriété et du transfert des risques . C'est la loi qui prévoit que le transfert de propriété emporte transfert des risques de la chose (C. civ., art 1196 al. 3). Si la chose périt après le transfert de propriété et avant que la chose n'ait été retirée, il convient de s'interroger sur la cause de la perte de la chose : si la chose a péri sans que l'ancien propriétaire n'y ait apporté les soins d'une personne raisonnable, la perte lui est imputable (C. civ., art 1197; dans les autres cas, non (C. civ., art 1196 al. 3), et c'est alors le nouveau propriétaire qui supporte la perte de la chose et qui aura donc payé ou devra payer sans rien recevoir. C'est la théorie des risques : res perit domino.

Cette règle est bien entendu supplétive et les aménagements contractuels ne sont pas rares en pratique.

338 Exception : retard dans la délivrance de la chose . Si le propriétaire a tardé à mettre à disposition la chose au profit de l'acquéreur et qu'il a été mis en demeure de le faire, les risques sont « à la charge du débiteur », c'est-à-dire de l'ancien propriétaire, sauf « s'il prouve que la perte se serait pareillement produite si l'obligation avait été exécutée » (C. civ., art 1344-2 et C. civ., art 1351-1.

Aménagements conventionnels En matière de vente internationale de marchandises, il n’est pas rare que les parties se réfèrent à des Incoterms, abréviation anglo-saxonne de l’expression « International Commercial Terms », signifiant « Termes du commerce international » et traduite en français par « C.I.V. » ou « conditions internationales de vente ». Les Incoterms1461 ne sont pas des règles de droit mais des clauses établies par la Chambre de commerce internationale, auxquelles un contrat peut renvoyer. Ces clauses concernent essentiellement les obligations des parties à un contrat de vente, en ce qui concerne la livraison de la marchandise vendue, la répartition des frais et des risques liés à cette marchandise, ainsi que la charge des formalités d’export et d’import. L’objectif est de normaliser les contrats, de les standardiser et ainsi de diminuer les coûts de transaction dus à la diversité des droits à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, il y a 11 Incoterms, certains étant utilisables pour le transport par mer et par voies navigables intérieures, d’autres quel que soit le mode de transport. Par exemple, lorsque la vente est conclue EXW ou Ex-Works (À l’usine), la marchandise est mise à disposition de l’acheteur dans les locaux du vendeur à une date fixée et l’acheteur organise et paie le transport et en supporte aussi les risques ; lorsque la vente est conclue FCA ou Free Carrier (Franco transporteur), le vendeur remet les marchandises au transporteur désigné et payé par l’acheteur, moment auquel les risques sont transférés à l’acheteur ; lorsque la vente est conclue DDP ou Delivered Duty Paid (Rendu droits acquittés), les marchandises sont livrées au lieu de destination, prêtes à être déchargées. En réalité, les Incoterms comportent davantage de précisions, notamment quant aux frais, formalités, taxes et droits de douane, etc. Quel que soit l’Incoterm choisi, la Cour de cassation peut le neutraliser dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une partie a effectué des prestations qu’elles n’avaient pas à réaliser1462.

Chapitre 9 - Les effets du contrat à l’égard des tiers

Plan

339 Localisation. « Les effets du contrat à l’égard des tiers » font l’objet de la deuxième section du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat », la première section étant consacrée aux « effets du contrat entre les parties ». Elle se compose de deux sous-sections, l’une énonçant des « Dispositions générales » et l’autre portant sur les deux mécanismes que sont « Le porte-fort et la stipulation pour autrui ».

340 Deux principes – plan. Dans quelle mesure la conclusion d’un contrat affecte-t-elle la situation des tiers ? Intuitivement, on perçoit bien que si un contrat ne peut lier que ceux qui y sont parties, sa conclusion est également un fait que les tiers ne peuvent ignorer. Cette double intuition se vérifie à travers deux dispositions majeures du Code civil.

La vente d’un bien ne lie que le vendeur et l’acheteur mais ne peut être ignorée par celui qui voudrait louer ledit bien. La stipulation d’une clause de non-concurrence dans un contrat de travail lie le salarié à l’employeur mais ne peut être ignorée par un autre employeur qui voudrait engager ledit salarié.

Primo , d'après l'article 1199, le contrat « ne crée d'obligations qu'entre les parties » (al. 1), ce qui explique que les tiers, en principe, « ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter » (al. 2). C'est le principe de l’effet relatif du contrat (section 1). Secundo , d'après l'article 1200 C. civ. , « [l]es tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat » (al. 1) et, d'autre part, « [i]ls peuvent s'en prévaloir notamment pour apporter la preuve d'un fait » (al. 2). C'est le principe de l’opposabilité du contrat aux tiers et par les tiers (section 2).

341 Observation liminaire : concurrence ou hiérarchie des principes ? Le principe de l’opposabilité du contrat ne doit pas être considéré comme un principe concurrent du principe de l’effet relatif, mais comme un principe correcteur. En effet, ainsi qu’on le verra1463, le fait qu’un contrat soit opposable aux tiers, tenus de le respecter, d’une certaine manière, les oblige en diminuant leur espace de liberté.

Section 1 - Le principe de l’effet relatif du contrat

342 Plan. Évoquons le sens (§ I) et les limites (§ II) de ce principe.

§ I - Sens

343 Sens unique ? Le principe de l’effet relatif signifie qu’un contrat ne peut rendre un tiers ni créancier ni débiteur des obligations qu’il renferme. Sous réserve d’une distinction, toutefois.

En premier lieu, qu’un tiers ne puisse être débiteur d’une obligation ayant pour fait générateur un acte juridique auquel il n’a pas consenti est une évidence qu’impose le volet négatif de la liberté contractuelle et qui ne souffre pas de véritables exceptions. Une personne ne peut être engagée sans l’avoir voulu. C’est ce qu’exprime clairement l’article  1203 C. civ.  : « [o]n ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même. » C’est ainsi que la Cour de cassation a pu décider que les intérêts débiteurs du compte bancaire dont est titulaire un syndic de copropriété ne peuvent être réclamés au syndicat des copropriétaires concerné par ledit compte, celui-ci n’étant pas celui-là1464.

En second lieu, qu’un tiers ne puisse être créancier d’une obligation ayant pour fait générateur un contrat1465 auquel il n’a pas consenti doit être nuancé. D’une part, ce principe connaît cette fois de nombreux tempéraments et exceptions1466. D’autre part, par essence, les actes juridiques unilatéraux peuvent rendre un tiers créancier sans son consentement. En particulier, l’offre de contracter crée bien un droit au profit de son destinataire, celui de conclure un contrat en l’acceptant. Et, en général, les actes juridiques unilatéraux créent bien des droits, variables, au profit de leurs destinataires.

Ainsi le syndic de copropriété qui licencie un salarié du syndicat des copropriétaires doit respecter la clause du règlement de copropriété qui instaure une procédure particulière et qui emporte à son endroit « engagement unilatéral du syndicat des copropriétaires »1467.

344 Effet relatif et autonomie des personnes morales. Une personne morale étant autonome de ses membres et, le cas échéant, des autres personnes morales d’un même groupe (ex. groupe de sociétés), le principe de l’effet relatif des contrats interdit d’imputer un contrat conclu par une personne morale à l’un de ses membres ou aux autres personnes du groupe. Ainsi, lorsqu’une personne morale conclut un contrat, ses associés, fussent-ils tenus sur leur patrimoine personnel, ne sont pas parties au contrat en raison de l’écran de la personnalité morale1468. De même, des modifications de statuts types décidées par une fédération nationale ne peuvent s’appliquer directement et automatiquement à une association affiliée, même si celle-ci est tenue d’adopter ces modifications1469. Par ailleurs, une société mère ne saurait être considérée comme étant partie aux contrats conclus par une de ses sociétés filiales, en raison du principe d’autonomie des personnes morales d’un même groupe1470, sauf le cas particulier où la société mère se serait immiscée dans la gestion de sa filiale, créant ainsi une apparence trompeuse permettant à l’autre partie de croire légitimement qu’elle était aussi sa cocontractante1471.

345 Cas particulier de la cession de dette. Il n’est pas rare qu’un débiteur, pour telle raison, convienne avec un tiers de lui céder sa dette.

Si le créancier autorise la cession , il s'agit d'une authentique cession de dette au sens du Code civil (C. civ., art 1327 1479). La cession peut être parfaite ou imparfaite, suivant qu’elle libère ou non le cédant (C. civ., art 1327-2.

Si le créancier n’autorise pas la cession, le débiteur devrait encore pouvoir, dans le silence de la loi, convenir avec un tiers que ce dernier supportera le paiement de cette dette. Autrement dit, si le débiteur vient à payer, il bénéficiera d’un recours contre le tiers ayant accepté de supporter la dette. En tout état de cause, cette « reprise de dette » n’a d’effets qu’entre les parties et en est dépourvue à l’égard des tiers. C’est en ce sens que se prononçait la jurisprudence avant la réforme de 2016 : le propriétaire d’un immeuble qui engage sa responsabilité ne peut opposer à la victime un acte de vente postérieur aux termes duquel l’acquéreur faisait son affaire personnelle de la dette de responsabilité1480 ; le propriétaire d’un immeuble qui reçoit un « dépôt de garantie » ne peut opposer au locataire un acte de vente postérieur aux termes duquel l’acquéreur se voit transférer le dépôt de garantie versé par le locataire1481 ; de règle générale, la cession d’un fonds de commerce qui comporte une clause organisant la transmission des créances et dettes du cédant à l’acquéreur ne peut avoir d’effet à l’égard du créancier qui n’y a pas consenti1482.

Droit spécial : du contrat de transport1472 Le Code de commerce énonce que la « lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier », étant précisé que le voiturier a ainsi une « action directe en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport (...) »1473. Il faut comprendre que le contrat de transport est conclu entre deux personnes, le transporteur d’un côté, et l’expéditeur ou le destinataire d’un autre. Lorsqu’il est conclu entre l’expéditeur et le transporteur, le destinataire « adhère » au contrat de transport. Comme l’a précisé la Cour de cassation1474, l’« adhésion s’opère par la réception » par le destinataire des marchandises. En conséquence, en cas de perte des marchandises en cours de transport, le destinataire, qui n’a pas accepté le contrat de transport, dispose d’une action extracontractuelle contre le transporteur, à charge « de justifier de son intérêt pour agir et de démontrer la faute personnelle du transporteur ainsi que le préjudice que la perte des marchandises lui a causé ». En revanche, lorsque l’expéditeur, le destinataire et le transporteur ont bien consenti au contrat (ou « adhéré »), ils disposent les uns contre les autres d’actions contractuelles1475. En fin de compte, il serait « plus exact de dire que le destinataire devient partie au contrat lorsqu’il consent au contrat de transport, ce qu’il fait le plus souvent, mais pas nécessairement. »1476 Les clauses attributives de compétence contenues dans les contrats de transport font l’objet d’un traitement particulier. D’après la Cour de cassation, le « consentement du destinataire au contrat de transport ne s’étend pas à la clause attributive de compétence qui, insérée dans la lettre de voiture, ne fait pas partie de l’économie du contrat et doit être acceptée par lui »1477. C’est que, « lorsque le destinataire devient partie au contrat de transport, il n’adhère ou ne consent qu’au principe du transport, d’aucuns diraient à son économie. Autrement dit, les clauses dérogatoires ne lui sont opposables que s’il les spécialement acceptées »1478.

§ II - Limites

346 Plan. Il existe de nombreuses limites au principe de l’effet relatif. Certaines constituent de véritables exceptions (A), d’autres, de simples tempéraments (B).

A - Exceptions

347 Plan. Au titre des véritables exceptions à l’effet relatif des contrats, on trouve l’action directe (1), la stipulation pour autrui (2), ainsi que les mécanismes de transmission des contrats, créances et dettes, dès lors que le consentement de tous les intéressés n’est pas requis (3).

Le cas des accords collectifs suscite l’intérêt dans la mesure où des accords conclus entre des groupements représentants des intérêts souvent divergents (ex. conventions collectives de travail conclues entre syndicats de salariés et d’employeurs ; accords collectifs de location d’immeubles à usage d’habitation entre les organisations nationales représentatives de bailleurs et les organisations nationales représentatives des locataires)1483 s’imposent aux parties qui en relèvent. Cette dérogation à l’effet relatif peut s’expliquer soit par la représentativité du groupement, soit par le caractère réglementaire de ces accords.

1 - L’action directe

348 Idée générale. L’action directe est l’action par laquelle un créancier réclame en son nom et pour son compte le paiement de sa créance à un débiteur (sous-débiteur) de son débiteur (débiteur intermédiaire). En principe, l’exercice de l’action directe vaut opposition auprès du sous-débiteur de payer au débiteur intermédiaire la créance qu’il détient contre lui et a pour effet d’affecter la créance immobilisée au paiement de la créance de l’auteur de l’action. Exceptionnellement, il est des cas dans lesquels, avant même l’exercice de l’action directe, la créance du débiteur intermédiaire contre le sous-débiteur est affectée dès sa naissance au paiement de la créance que détient le créancier contre le débiteur intermédiaire, ce qui en interdit la mobilisation1484.

L’exception au principe de l’effet relatif tient à ce que le créancier, tiers au rapport entre le débiteur intermédiaire et le sous-débiteur, peut réclamer à celui-ci le paiement de sa créance.

349 Action d’exception. C’est seulement dans « les cas déterminés par la loi » que « le créancier peut agir directement en paiement de sa créance contre un débiteur de son débiteur » (C. civ., art 1341-3: il n'existerait donc pas d’action directe sans texte. Est-ce à dire que les actions « découvertes » par la jurisprudence avant la réforme de 2016 soient condamnées et que de nouvelles actions ne pourraient l’être ? Rien ne le justifie rationnellement, spécialement dans les sous-contrats, où il est parfois naturel que le sous-contractant ait une action contre le cocontractant de son contractant. Il suffirait à la jurisprudence de les découvrir par voie d’interprétation.

350 Opposabilité des exceptions. Parce que le sous-débiteur ne peut devoir plus au créancier agissant que ce qu’il doit au débiteur intermédiaire, il peut opposer au créancier les exceptions qu’il pourrait opposer au débiteur intermédiaire. Ainsi le mandant peut opposer au sous-mandataire qui agirait en paiement contre lui, le fait qu’il ait déjà payé le mandataire intermédiaire1497.

Tel ne serait pas toujours le cas, et l’on cite à titre d’illustration l’action de la victime contre l’assureur ou encore celle des sous-traitants de marchés publics bénéficiant de la procédure de paiement direct. Toutefois, on l’a vu1498, il ne s’agit pas véritablement d’actions directes.

Droit spécial : des actions directes reconnues par un texte De nombreuses actions directes sont prévues dans les sous-contrats1485 : action directe du bailleur contre le sous-locataire pour le paiement du loyer1486, du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage pour le paiement du prix du marché1487, du mandant contre le sous-mandataire1488, du fréteur contre le sous-affréteur pour le paiement du fret1489. Certaines de ces actions ont été bilatéralisées par la jurisprudence1490, d’autres non1491. En dehors de l’hypothèse du sous-contrat, des « actions directes » ont été reconnues dans des hypothèses diverses : l’avocat peut agir directement contre la partie condamnée aux dépens pour ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision1492, ou encore le créancier d’aliments peut agir directement contre tous les débiteurs de son débiteur pour le paiement de sa créance1493. En contrepoint, d’autres actions, parfois présentées comme des actions directes, n’en sont pas de réelles. Tel est le cas, en matière d’assurance responsabilité, de l’action de la victime : si la loi vise l’« action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (...) »1494, il s’agit en réalité d’une stipulation pour autrui et non d’une action directe, dès lors que le droit direct de la victime est un droit né du contrat d’assurance conclu entre l’auteur du dommage et son assureur et non un droit né de son rapport avec l’auteur du dommage1495. C’est ce qui explique notamment que la victime ne soit pas en concours avec les autres créanciers de l’auteur du dommage pour l’appréhension de l’indemnité d’assurance. On peut également faire état du droit de « paiement direct » du sous-traitant direct du titulaire d’un marché public qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage1496. Il s’agit là en réalité, non pas d’une action directe, mais d’une véritable exception au principe de l’effet relatif des contrats, le paiement du sous-traitant étant seulement dû par le maître de l’ouvrage, tiers au contrat de sous-traitance.

2 - La stipulation pour autrui

351 « Profit » pour autrui. En prévoyant que l’« on peut stipuler pour autrui »1499, le Code civil reconnaît qu’un contrat puisse rendre un tiers créancier. Précisément, l’« un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire (...) »1500. La stipulation pour autrui est une exception importante au principe de l’effet relatif : elle rend créancier un tiers au contrat sans son consentement et sans même nécessairement qu’il ait été au courant.

L’exception n’a cependant rien de choquant car le principal intéressé est rendu créancier, non débiteur : la stipulation pour autrui ne peut être que profitable au tiers.

352 Manifestations. Les manifestations de la stipulation pour autrui sont diverses. De règle générale, le mécanisme permet au stipulant de réaliser une libéralité au profit du bénéficiaire (stipulation à titre gratuit) ou d’éteindre une dette à son égard (stipulation à titre onéreux). C’est en particulier sur elle que reposent de nombreuses opérations d’assurances, comme l’assurance-vie (le souscripteur obtient de l’assureur qu’il verse une somme d’argent à un tiers au jour de son décès)1501.

Il reste que la jurisprudence a parfois retenu des stipulations pour autrui alors pourtant que la volonté de stipuler pour autrui était largement fictive.

Le secteur du transport en fournit une célèbre illustration. En cas de décès d’un passager par suite d’un manquement par le transporteur à son obligation de sécurité du transporteur, les héritiers reçoivent l’indemnisation due au passager décédé par l’effet des règles successorales. Mais la Cour de cassation décidait également que les personnes envers lesquelles le voyageur était tenu en vertu d’un lien légal d’assistance étaient, par l’effet d’une stipulation pour autrui (le passager-stipulant faisait prendre au transporteur-promettant l’engagement de verser une indemnisation au profit de ces personnes-bénéficiaires), créanciers d’une indemnisation venant réparer leur propre préjudice, matériel et moral1502. Le fondement de cette stipulation était factice : comme l’avait relevé Rodière dans une célèbre formule, « [c]e testament mental fait au guichet de la Compagnie par les voyageurs relève de l’imagination »1503. La Cour de cassation a d’ailleurs semble-t-il reviré, en considérant au début du xxie siècle, que les victimes par ricochet qui ne sont pas des ayants cause des parents décédés (qui n’agissent ni en qualité de cessionnaires, ni d’héritiers) ne peuvent pas bénéficier d’une stipulation pour autrui implicite au titre du contrat de voyage1504.

353 Manifestations. Cas particulier de la stipulation de contrat pour autrui. La « prestation » promise au profit du tiers peut consister en une offre de contracter : on parle alors de « stipulation de contrat pour autrui ».

La stipulation de contrat pour autrui présente cette particularité qu’elle peut aboutir à la formation d’un contrat qui rendra le bénéficiaire non seulement créancier, mais aussi débiteur1513. Mais pour ce faire, encore faut-il que le bénéficiaire l’accepte : le consentement du bénéficiaire n’est pas nécessaire pour profiter de la prestation (l’offre), mais il l’est pour former le contrat.

On trouve en droit français un certain nombre d’illustrations de stipulations de contrat pour autrui. Ainsi, d’après la jurisprudence, constitue une stipulation pour autrui efficace la vente d’une parcelle de terre dans laquelle l’acquéreur s’engage à en faire donation à son fils1514. On trouve par ailleurs aujourd’hui une illustration très importante des stipulations de contrat pour autrui dans le secteur des télécommunications. L’ETSI (European Telecommunications Standards Institute ) est un organisme de normalisation dans le secteur des télécommunications - une association relevant de la loi de 1901 1515 – qui élabore des normes : GSM, UMTS, etc. Ces normes sont le résultat d’un agrégat de brevets que détiennent les adhérents (des constructeurs, notamment). Techniquement, chaque adhérent qui est titulaire de brevets nécessaires à la norme s’engage en adhérant à l’ETSI à accorder envers les autres une licence dans des conditions équitables, dites FRAND (« fair, reasonable and non-discriminatory »)1516. Dit autrement, l’ETSI (stipulant) fait promettre à chaque adhérent (promettant) qu’il s’engage à faire une offre de licence aux autres adhérents (bénéficiaire).

354 Plan. Sous le bénéfice de ces observations liminaires, distinguons maintenant les conditions (a) des effets (b) de la stipulation pour autrui.

Point sensible : de l’existence d’un principe général suivant lequel les contrats comporteraient tous une stipulation au profit des tiers ? Dans un arrêt Myr’Ho (Boot shop) rendu le 6 octobre 2006, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »1505. Si certaines décisions de la Cour de cassation semblèrent s’écarter de cette solution1506, la solution fut réitérée mot pour mot par l’Assemblée plénière dans une décision rendue le 13 janvier 20201507. Puis, afin de ne pas déjouer les prévisions du débiteur et ne pas mieux traiter le tiers que le créancier, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que « le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants »1508. N’est-ce pas là reconnaître que tout contrat comporte une stipulation pour autrui au profit des tiers, au mépris d’un principe qui semeble élémentaire, selon lequel nul ne devrait être engagé envers une personne à moins qu’il ne l’ait voulu ? Quoi qu’il en soit, de nombreux contrats, spécialement ceux relevant des droits de common law, comportent une clause suivant laquelle le contrat ne saurait créer de droits au profit des tiers, ce qui laisse entendre qu’il pourrait en aller autrement à défaut d’une telle stipulation. Une telle solution est néanmoins doublement critiquable. Primo, la stipulation au profit du tiers est fictive. Voici des tiers autorisés à mettre en œuvre la responsabilité d’une partie en cas d’inexécution du contrat (réclamer des dommages-intérêts ou faire cesser la violation du contrat1509) sans qu’aucune des parties n’ait pourtant voulu leur reconnaître un tel droit1510. Secundo, la responsabilité encourue par le cocontractant à l’égard du tiers est extracontractuelle, en sorte que ses contours ne sont pas définis par les limites de l’engagement pris par celui-là... Si le principe d’une telle responsabilité devait être maintenu – certaines décisions en ont fait douter, mais l’assemblée plénière l’a solennellement réitérée1511 –, celle-ci devrait être de nature contractuelle. Par ailleurs, elle devrait être techniquement fondée sur une stipulation pour autrui fictive, ce qui permettrait aux parties au contrat de l’écarter par une clause idoine, privant les tiers du droit de se plaindre d’une inexécution du contrat1512. En effet, il ne faut pas oublier que tout trouble n’est pas réparable : seul le trouble accompagné de la lésion d’un droit constitue un préjudice réparable. Supprimez le droit, et de préjudice réparable, il n’y aura plus !

a - Conditions

355 Un contrat entre le stipulant et un tiers. La stipulation pour autrui repose sur un contrat conclu entre le stipulant et le promettant, par lequel celui-là fait prendre à celui-ci un engagement envers un tiers. Par exemple, le souscripteur d’une assurance en cas de décès (stipulant) fait promettre à l’assureur (promettant) qu’il versera une somme d’argent à son conjoint (bénéficiaire) s’il venait à décéder avant telle date. Chaque fois qu’une stipulation pour autrui entend également mettre une dette à la charge du bénéficiaire accessoirement à la créance, il faut que la stipulation ait été acceptée par lui car on ne devient pas débiteur sans son consentement.

Quant au bénéficiaire, il « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse »1517. Cette solution généralise une solution particulière à l’assurance-vie1518.

b - Effets

356 Distinction. Il convient de distinguer trois séries de rapports.

357 Rapports entre stipulant et promettant. Dans les rapports entre stipulant et promettant, le stipulant, en sa qualité de partie, « peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire » (C. civ., art 1209. Autrement dit, le stipulant peut contraindre le promettant à exercer sa promesse envers le tiers bénéficiaire. Peut-il mettre en œuvre d'autres mesures en cas d'inexécution ? Tout devrait dépendre de la stipulation à son profit. À défaut de stipulations particulières, le bénéficiaire, qui n'a pas la qualité de partie du contrat, ne devrait guère pouvoir solliciter, outre l'exécution de la promesse, que la mise en œuvre de la responsabilité du promettant.

359 Rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire. S’agissant des rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire, celui-ci acquiert contre celui-là un « droit direct à la prestation » (C. civ., art 1206 al. 1), ainsi que l'avait décidé la jurisprudence dès le xixe siècle1519. Ce droit naît du seul contrat conclu entre le promettant et le stipulant, sans que le consentement du tiers soit requis. Là réside la dérogation à l’effet relatif. En conséquence, les créanciers du stipulant ne pourront saisir ce droit, cette créance, dans le patrimoine de ce dernier. Toutefois, le droit du tiers reste dans la dépendance du rapport principal qui l’a fait naître : aussi, sauf clause contraire, le promettant devrait pouvoir opposer au bénéficiaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant (ex. le non-paiement des primes d’assurance).

361 Rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire. S’agissant des rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire, la stipulation peut être révoquée jusqu’au moment où l’éventuelle acceptation du tiers parvient au stipulant ou au promettant (C. civ., art 1206.

Précisément, la révocation peut être le fait du stipulant (C. civ., art 1206 ou, après son décès, de ses héritiers (C. civ., art. 1207). Toutefois, la révocation du fait des héritiers ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jour où ils ont mis le bénéficiaire en demeure de l’accepter (même article), comme cela était déjà prévu en matière d’assurance-vie1520. En principe, la révocation produit effet dès lors que le tiers bénéficiaire ou le promettant « en a eu connaissance » –, ce qui ne sera pas sans poser des difficultés probatoires1521 - ; mais lorsqu'elle est faite par testament, elle prend effet « au moment du décès » (C. civ., art 1207 al. 3 et 4). En cas de révocation, le tiers initialement désigné est censé n'avoir jamais bénéficié de la stipulation faite à son profit (C. civ., art. 1207). Elle peut être l'occasion, soit de désigner un nouveau bénéficiaire, auquel cas la révocation profite à ce dernier, soit de n'en désigner aucun, auquel cas elle profite par la force des choses au stipulant ou à ses héritiers.

L’acceptation1522 peut être le fait, du bénéficiaire ou de ses héritiers1523, même après le décès du stipulant1524 et du promettant (C. civ., art. 1208 al. 1)1525. De fait, de nombreux bénéficiaires apprennent leur qualité au décès du stipulant et acceptent la stipulation à cet instant. L’acceptation, qui n’est pas une condition de la naissance du droit du bénéficiaire1526, rend toutefois la stipulation irrévocable , et ce au moment où elle « parvient au stipulant ou au promettant » (C. civ., art 1206 al. 3), peu important que le stipulant ou le promettant en ait eu effectivement connaissance 1527 . En contrepoint, la révocation ne produit effet que dès lors que le tiers bénéficiaire ou le promettant « en a eu connaissance » (C. civ., art 1207 al. 3) 1528.

Droit spécial : de l’acceptation d’une assurance-vie en cas de décès du bénéficiaire Il convient de distinguer deux hypothèses. Première hypothèse : le bénéficiaire prédécède au souscripteur . Par application de l'article L. 132-9 du Code des assurances, il faut à nouveau distinguer. S’il existe une clause de représentation, les héritiers du bénéficiaire peuvent accepter et recueillir le bénéfice de l’assurance-vie. S’il n’en existe pas, c’est le bénéficiaire de second rang, s’il y en a un, qui profitera de l’assurance-vie1529. Seconde hypothèse : le souscripteur prédécède au bénéficiaire. Il faut à nouveau distinguer. Si le bénéficiaire décède après avoir accepté, le bénéfice de l’assurance-vie revient aux héritiers du bénéficiaire. Si le bénéficiaire décède sans avoir accepté, avant la réforme, la Cour de cassation considérait que le bénéfice de l’assurance-vie revenait, non à ses héritiers, mais aux personnes désignées à titre subsidiaire1530. Depuis la réforme, l’acceptation devrait être possible par les héritiers, à la condition toutefois que cela soit conforme à l’intention du souscripteur.

3 - Les mécanismes de transmission des contrats, créances et dettes sans le consentement de tous les intéressés

360 Plan. Différents mécanismes de transmission des contrats, créances et dettes dérogent au principe de l’effet relatif chaque fois que le contrat, la créance ou la dette sont transmis à un ayant cause1531 sans le consentement de tous les intéressés.

La question n’ayant pas été envisagée par la réforme du droit des contrats, les solutions antérieures perdurent et il faut à ce titre distinguer deux types d’ayants cause. Envisageons la transmission aux ayants cause universels ou à titre universel (a) et la transmission aux ayants cause à titre particulier (b).

a - La transmission aux ayants cause universels ou à titre universel

361 Transmission de patrimoine. L’ayant cause universel ou à titre universel est celui qui recueille la totalité ou une quote-part du patrimoine de son auteur dont il continue la personne à la suite de son décès (personne physique) ou de sa dissolution (personne morale). Par exemple, les héritiers et les légataires universels ou à titre universel recueillent tout ou partie du patrimoine du de cujus ; la société absorbante recueille le patrimoine de la société absorbée.

Sauf si le contrat comportait une clause contraire ou s’il était conclu intuitu personae1532, l’ayant cause devient contractant, débiteur ou créancier à la place de son auteur. Il ne s’agit pas d’une entorse au principe de l’effet relatif car l’ayant cause est censé continuer, par l’effet d’une fiction, la personne de son auteur.

Le principe était posé avant la réforme du droit des contrats par l’ancien article 1122 : « on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause »1533. La règle n’a pas été reprise, mais il ne fait aucun doute qu’elle perdure.

Droit spécial : de l’intransmissibilité de certains contrats Le contrat ne se transmet pas en cas de décès d’une des parties lorsqu’il a été conclu en considération de la personne du cocontractant décédé ou de telle de ses qualités ou lorsque cette transmission porterait une atteinte excessive à la liberté des héritiers. Parmi ces contrats, on trouve le mandat, en cas de décès des deux parties1534, le contrat d’entreprise, en cas de décès de l’entrepreneur1535, le prêt à usage en cas de décès de l’emprunteur si le contrat a été conclu en considération de sa personne1536, la fiducie, en cas de décès du constituant personne physique, sauf fiducie-sûreté1537, le contrat de travail1538. Quant au bail d’habitation, il prend normalement fin par le décès du locataire, sauf sa transmission au profit de certaines personnes désignées par la loi1539.

b - La transmission aux ayants cause à titre particulier

362 Transmission d’un bien. L’ayant cause à titre particulier est celui qui acquiert un bien d’autrui : acheteur, donataire, légataire à titre particulier, etc. Devient-il partie aux contrats conclus par son auteur dès lors qu’ils sont « relatifs » au bien, bénéficie-t-il des créances et souffre-t-il des dettes « afférentes » au bien ? Par exemple, l’acquéreur du bien loué se voit-il transmettre le bail ? L’acquéreur d’un immeuble présentant des désordres se voit-il transmettre les actions en garantie et en responsabilité contre le constructeur ?

363 Principe de non-transmission des contrats, des créances et des dettes. En application du principe de l’effet relatif, les contrats relatifs au bien ainsi que les créances et les dettes qui lui sont afférentes ne sont pas transmises à l’ayant cause à titre particulier.

364 Exceptions au principe de non-transmission des contrats, des créances et des dettes. Exceptions légales. La loi prévoit dans certains cas la transmission de contrats relatifs au bien, parfois à certaines conditions : ainsi la vente de l’immeuble loué emporte la cession du bail à l’acquéreur1540 et la vente du fonds de commerce emporte celle de plusieurs contrats qui lui sont intimement liés1541.

365 Exceptions au principe de non-transmission des contrats, des créances et des dettes. Exceptions jurisprudentielles. En dehors des cas prévus par la loi, la jurisprudence a toujours été réticente à admettre la transmission des dettes et contrats : un accord de tous les intéressés est nécessaire. De fait, on comprend que la jurisprudence soit réticente à imposer la transmission d’une charge (dette ou contrat) à une personne qui n’y a pas consenti.

En revanche, dans certaines chaînes de contrats, le sous-acquéreur d’un bien se voit transmettre certaines des créances que son vendeur détenait à l’égard de précédents auteurs. C’est le cas lorsque la chaîne est dite « translative », c’est-à-dire lorsqu’elle comporte une succession de contrats portant sur une chose dont le dernier au moins est un contrat translatif.

Par exemple, A vend un bien à B qui le revend à C : il s’agit d’une chaîne composée de deux contrats, tous deux translatifs. Autre exemple, A fait construire ou réparer un bien par B puis le revend à C ou encore A fait construire ou réparer son bien par B qui acquiert des matériaux auprès de C : il s’agit d’une chaîne composée de deux contrats dont tous les contrats ne sont pas translatifs ou du moins purement translatifs, le dernier l’étant toujours.

En effet, au terme d’une longue évolution1542, la Cour de cassation a admis que le propriétaire de la chose s’était vu transmettre les droits attachés à la chose contre le premier vendeur (chaîne homogène) ou contre l’entrepreneur (chaîne hétérogène), en sorte que son action était bien contractuelle1543. Précisément, le propriétaire exerce, non pas une action directe lui appartenant, mais l’action qui appartenait au cocontractant du défendeur, et qui lui a été transmise avec la chose. C’est pourquoi, primo, les droits du demandeur contre le défendeur dérivent du contrat conclu entre ce dernier et son cocontractant (son ayant cause immédiat). Ainsi, le défendeur (par exemple, le vendeur originaire) peut opposer au demandeur (le propriétaire actuel) les clauses qu’il avait insérées dans le contrat conclu avec son cocontractant (le revendeur) : nemo plus juris ad allium transfere potest quam ispe habet (nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a)1544. Dans le prolongement, afin de déterminer si le demandeur peut se plaindre d’une clause abusive au sens du Code de la consommation à l’encontre d’un défendeur professionnel, ce qui importe n’est pas qu’il soit un consommateur, mais que le soit son auteur de qui il tient ses droits1545. Secundo, le contrat conclu entre le demandeur et son auteur est sans incidence sur les droits du demandeur contre le défendeur. Ainsi, le défendeur ne saurait opposer au demandeur une clause du contrat conclu par le premier et son propre auteur1546.

Illustration : de la revente d’un immeuble présentant des désordres1547 En matière immobilière, la loi a prévu que les acquéreurs successifs bénéficient des garanties contre le vendeur d’un immeuble à construire (C. civ., art 1646-1 al. 2 : les garanties décennale et biennale « bénéficient aux propriétaires successifs de l'immeuble ») ou contre le constructeur (C. civ., art 1792 tout constructeur d'un ouvrage « est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination »). Quant aux actions de droit commun (pour les dommages intermédiaires qui ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale), la jurisprudence considère que « le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose, contre les locateurs d’ouvrage, d’une action contractuelle fondée sur un manquement à leurs obligations envers le maître de l’ouvrage »1548. Une difficulté particulière tient au conflit d’actions entre le vendeur et l’acquéreur une fois la vente passée : qui du vendeur ou de l’acquéreur peut agir en responsabilité contre le constructeur ? Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation avait considéré qu’« en l’absence de clause expresse, la vente de l’immeuble n’emporte pas de plein droit cession au profit de l’acquéreur des droits et actions à fin de dommages-intérêts qui ont pu naître au profit du vendeur en raison de dégradations causées à l’immeuble antérieurement à la vente »1549. Toutefois, elle a par la suite décidé que « les acquéreurs successifs d’un immeuble sont recevables à agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale qui accompagne, en tant qu’accessoire, l’immeuble, nonobstant la connaissance, par les acquéreurs, des vices de celui-ci lors de la signature de l’acte de vente et l’absence, dans ce dernier, de clause leur réservant un tel recours, à moins que le vendeur ne puisse invoquer un préjudice personnel lui conférant un intérêt direct et certain à agir »1550. La Cour de cassation a par ailleurs précisé par la suite qu’il était indifférent que le vendeur ait avant la vente, engagé une action1551. Autrement dit, sauf clause contraire, quelles que soient les circonstances, la transmission avait lieu, le vendeur ne conservant droit à agir que pour son préjudice personnel. En tout état de cause, une double indemnisation de l’acquéreur et du vendeur pour un même préjudice n’est pas concevable. Si le vendeur et l’acquéreur sont tous deux indemnisés, ce sera nécessairement pour des préjudices distincts. De fait, un même dommage causé à un bien peut en effet être à l’origine de différents préjudices pour les propriétaires successifs du bien. Ainsi peut-on imaginer à titre d’exemple qu’un vice affectant un balcon cause un préjudice de jouissance au premier propriétaire, lequel ne peut l’utiliser, puis à l’acquéreur, pour la même raison, jusqu’à ce qu’il soit procédé à la remise en état. Que chaque propriétaire obtienne alors réparation du trouble de jouissance qu’il subit personnellement, sur le même fondement contractuel en agissant directement contre le constructeur, n’apparaît pas choquant1552. En revanche, le vendeur et l’acquéreur ne sauraient demander tous deux des dommages-intérêts en vue de la remise en état du balcon. En fin de compte, il faut distinguer suivant ce qui est demandé : le droit de demander la remise en état du bien ou son équivalent appartient au propriétaire actuel ; en revanche, le droit de demander réparation des conséquences du désordre d’un immeuble avant sa remise en état appartient à toutes les personnes de la chaîne qui en ont souffert ou en souffrent.

B - Tempéraments

366 Plan. Au titre des tempéraments, on peut mentionner l’action oblique (1) et la promesse de porte-fort (2).

1 - L’action oblique

367 Notion. L’action oblique est l’action par laquelle un créancier exerce pour le compte de son débiteur les droits et actions de celui-ci à l’encontre d’un de ses propres débiteurs : « [l]orsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne » (C. civ., art 1341-1.

L’action oblique se présente en réalité comme une manifestation du droit de gage général du créancier sur le patrimoine de son débiteur. Si dans le patrimoine de ce dernier figurent des créances dont le paiement n’est pas réclamé, le créancier du débiteur, en vertu de son droit de gage général, doit pouvoir le faire.

368 Plan. Distinguons les conditions (a) des effets (b).

a - Conditions

369 Conditions expresses et implicites. Trois conditions ressortent de l’article 1341-1, auxquelles il faut probablement ajouter une condition préalable relative aux caractères de la créance de l’auteur de l’action, autrefois dégagée par la jurisprudence.

370 Certitude, exigibilité et liquidité de la créance. À titre préalable, l’auteur de l’action devrait, si la jurisprudence antérieure se maintenait, être titulaire une créance certaine, exigible et liquide1553 contre son débiteur.

La certitude et l’exigibilité de la créance s’imposent, car on voit mal comment le créancier pourrait prétendre exercer les droits d’autrui si sa propre créance est incertaine ou pas encore exigible : l’action oblique n’a pas pour objet d’augmenter les droits du demandeur. La liquidité de la créance s’impose également chaque fois que la créance porte sur une somme d’argent1554.

371 Carence du débiteur. La première condition posée par le texte concerne la carence du débiteur. L’action oblique ne peut être exercée que pour le compte d’un débiteur qui néglige d’exercer ses droits et actions1555 et qu’il n’est pas en liquidation1556. D’ailleurs, l’introduction de l’action oblique vaut mise en demeure du débiteur1557. En contrepoint, si le débiteur n’est pas négligent, par exemple, par ce qu’il a lui-même intenté une action, l’action oblique ne peut être exercée1558.

372 Menaces des droits du créancier. La deuxième condition posée tient à ce que le débiteur, en étant en situation de carence, « compromet les droits de son créancier ». Dit autrement, l’action oblique ne peut être exercée que si la carence du débiteur a pour effet de lui préjudicier. Lorsque les créances du demandeur et du débiteur intermédiaire ont pour objet le paiement d’une somme d’argent, la condition sera bien évidemment remplie en cas d’insolvabilité de ce dernier1559. Toutefois, l’action peut être exercée, même si l’insolvabilité du débiteur n’est pas avérée, dès lors que les droits du créancier sont en péril1560. Et la condition d’insolvabilité est d’ailleurs sans objet chaque fois que le demandeur invoque une créance n’ayant pas pour objet le paiement d’une somme d’argent1561. La jurisprudence relative aux demandes de partage de l’indivision révèle certaines hésitations sur la question de savoir si cette demande doit présenter un intérêt1562 pour le demandeur créancier1563.

373 Patrimonialité des droits et actions du débiteur. La troisième condition mentionnée concerne les droits que le demandeur entend exercer : il doit s’agir des « droits et actions à caractère patrimonial » de son débiteur, que ceux-ci aient ou non pour objet une somme d’argent. Cette exclusion est en harmonie avec l’idée suivant laquelle l’action oblique est une manifestation du droit de gage général du créancier1564.

De manière générale, peuvent être exercées par le biais de l’action oblique une action nullité1565, en résolution1566, en rescision pour lésion1567, ou en exécution forcée1568 d’un contrat, ainsi qu’une voie d’exécution1569 et tout acte conservatoire1570. En particulier, un syndicat des copropriétaires peut exercer l’action en résolution appartenant à un copropriétaire-bailleur contre un locataire qui contrevient aux obligations découlant de son bail lorsque ses agissements, qui causent un préjudice aux autres copropriétaires, sont en outre contraires au règlement de copropriété1571 ; un locataire peut exercer l’action de son bailleur contre un autre locataire de ce dernier afin qu’il cesse une activité interdite par le bail1572, ou encore exercer l’action en garantie décennale de son bailleur1573 . Peu importe que le « droit » ou l'« action » du débiteur soit postérieur au droit du demandeur, dès lors que ce dernier a pour gage général tous les biens « présents et à venir » du débiteur (C. civ., art 2284 1574.

En contrepoint, le demandeur ne peut exercer les droits et actions « exclusivement attachés à la personne » du débiteur. Sous l’empire des anciens textes, similaires, la jurisprudence considérait que ne pouvaient faire l’objet de l’action oblique les droits et actions qui relèvent de « considérations personnelles d’ordre moral et familial »1579, lesquelles ne pouvaient être appréciées que par le débiteur : ainsi ne pouvaient être exercées les actions en suppression de pension alimentaire1580, en révocation de donations entre époux1581 ou de stipulation pour autrui, et a priori, en réparation des conséquences d’une violation de ses droits de la personnalité ou en réparation de préjudices extrapatrimoniaux à la suite d’un dommage corporel1582, etc. La Cour de cassation était très réticente à admettre l’action oblique en droit du travail en vue d’agir au lieu et place du salarié : action contre l’employeur à l’occasion du contrat de travail1583, action en reconnaissance d’un contrat de travail1584, notamment. De règle générale, il faut considérer que le créancier ne peut, en exerçant l’action oblique, porter une atteinte excessive à un droit fondamental du débiteur : c’est ainsi qu’elle ne lui permettrait pas d’accepter au nom et pour le compte du débiteur une offre de contracter1585, d’exercer le droit de retrait d’une société civile1586. Il reste que la casuistique règne et que la jurisprudence est difficile à synthétiser.

Droit spécial : du partage1575 En prévoyant que les créanciers ont « la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui » et que les coïndivisaires « peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur », l’article 815-17 alinéa 3 prévoit un cas particulier d’action oblique. C'est ce qu'avait expressément jugé la Cour de cassation avant la réforme de 2016 : « le droit ouvert par l'article 815-17, alinéa 3, du Code civil au créancier personnel d'un indivisaire de provoquer le partage si la carence de son débiteur est de nature à compromettre ses droits n'est que l'application de l'action oblique de l'[ancien] article 1166 du Code civil » 1576. C’est pourquoi « le créancier personnel d’un indivisaire dispose d’une action en partage si la carence de son débiteur est de nature à compromettre ses droits »1577. Toutefois, le créancier agissant par voie oblique n'est pas tenu des exigences posées par l'article 1360 du Code de procédure civile qui imposent au coïndivisaire qui assigne en partage de préciser dans son assignation un certain nombre de renseignements 1578.

b - Effets

374 Amélioration de la situation du débiteur. Le créancier agissant pour le compte du débiteur et non pour son propre compte, c’est le débiteur qui est directement intéressé au résultat de l’action et, indirectement, tous ses créanciers. L’action oblique profitant à tous les créanciers du débiteur, c’est un pour tous !

375 Cas où l’action oblique a pour objet le paiement d’une somme d’argent. Lorsque l’action oblique n’a pas pour objet le paiement d’une somme d’argent, l’action oblique aura pour effet de substituer dans le patrimoine du débiteur intermédiaire une somme à une créance.

Parce que l’action oblique ne permet pas au créancier agissant de se faire payer1587, d’un point de vue procédural, le débiteur intermédiaire n’a pas à être mis en cause. Toutefois, le créancier agissant peut, en même temps qu’il formule une demande fondée sur l’action oblique, formuler une demande en paiement, le débiteur intermédiaire devant alors être mis en cause1588. Certes, l’exercice avec succès de l’action oblique ne confère aucun droit exclusif ou préférentiel au paiement, mais le paiement des créanciers se faisant au prix de la course (en cas de concours avec des créanciers chirographaires), le créancier augmente ses chances d’être payé.

376 Alternatives à l’action oblique. En exerçant une action directe1589, le demandeur agit pour son compte et exerce un droit propre : il profitera directement du produit de l’action.

De manière générale, les voies d’exécution constituent également une alternative efficace à l’action oblique. La saisie-attribution qui emporte attribution immédiate au saisissant de la créance saisie à concurrence des sommes dues au créancier saisissant (CPC exéc., art. L. 211-2). Quant à la saisie conservatoire d’une créance, elle rend la créance indisponible à concurrence du montant autorisé par le juge ou, lorsque cette autorisation n’est pas nécessaire, à concurrence du montant pour lequel la saisie est pratiquée, et confère au créancier saisissant le droit de préférence d’un créancier gagiste (CPC exéc., art. L. 523-1).

377 Absence de dessaisissement du débiteur intermédiaire. Le débiteur intermédiaire ne voit pas sa liberté dégradée par l’exercice par son créancier d’une action oblique. Il peut lui-même réclamer le paiement de sa créance contre son débiteur défendant à l’action oblique, la céder à un tiers, y renoncer ou transiger1590. Si, ce faisant, le débiteur intermédiaire commettait une fraude aux droits du créancier agissant sur le fondement de l’action oblique, une action paulienne pourrait alors être exercée1591.

378 Absence de véritable atteinte au principe de l’effet relatif. En fin de compte, l’action oblique n’est pas, pour deux raisons, une véritable exception à l’effet relatif du contrat. D’une part, et à la différence de l’action directe, l’auteur de l’action n’agit pas pour son compte, mais pour le compte de son débiteur, qu’il représente1592. De fait, le produit de l’action est reversé au débiteur intermédiaire et non à celui qui a intenté l’action et le défendeur, débiteur du débiteur intermédiaire, peut opposer au demandeur tous les moyens de défense qu’il pourrait opposer à son propre débiteur, le débiteur intermédiaire1593 – la situation du défendeur poursuivi ne saurait être aggravée lorsqu’il défend à une action oblique. D’autre part, l’action oblique permet à un créancier d’exercer tous les droits de son débiteur, qu’ils aient ou non une origine contractuelle1594.

2 - Le porte-fort

379 Intérêt de l’institution ? Dans une disposition dont on peut penser qu’elle n’ajoute, en substance, pas grand-chose aux principes qui régissent le droit des contrats, le Code civil prévoit qu’on « peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers » (C. civ., art. 1204 al. 1). Cela ne va-t-il pas sans dire ? Et n’en va-t-il pas de même de la précision suivant laquelle le promettant « est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis » de même que celle, aux termes de laquelle, dans le cas contraire, « il peut être condamné à des dommages et intérêts » (C. civ., art. 1204 al. 2) ?

En réalité, on le verra, c’est essentiellement au travers d’un trait de son régime, la rétroactivité de la ratification du tiers, que l’institution présente un véritable intérêt.

380 Distinction suivant le « fait promis ». Le fait promis peut avoir deux objets.

En premier lieu, il peut s’agir de la conclusion d’un contrat par un tiers avec le bénéficiaire du porte-fort. C’est le porte-fort de ratification. Par exemple, un indivisaire se porte-fort de ce que son coïndivisaire consentira à la vente du bien indivis. Si le tiers refuse de ratifier, le contrat principal est privé de son efficacité et le porte-fort, qui aura manqué à son obligation, devra indemniser le bénéficiaire de sa promesse inexécutée. Au contraire, la ratification par le tiers est libératoire pour celui qui s’était porté fort. Et le contrat ratifié « est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit » (C. civ., art. 1204-3).

En second lieu, il peut s’agir de l’exécution par un tiers d’une prestation. C’est le porte-fort d’exécution. Par exemple, le vendeur d’un fonds de commerce se porte fort que ses salariés ne concurrenceront pas l’acquéreur1595. Si le tiers n’exécute pas le fait promis par le porte-fort, ce dernier engage sa responsabilité dans les termes de son engagement envers le créancier. Au contraire, si le tiers exécute le fait promis par le porte-fort, ce dernier est libéré.

Bien entendu, l’objet du porte-fort peut être double : la conclusion d’un contrat par un tiers avec le bénéficiaire du porte-fort et de sa bonne exécution.

On relèvera enfin que si la jurisprudence antérieure à la réforme considérait que le porte-fort était tenu d’une « obligation de résultat »1596, rien n’interdit aux parties de ne mettre à la charge du porte-fort qu’une obligation de moyens. Il ne s’agit jamais que d’interpréter un accord de volonté entre le promettant et le bénéficiaire.

381 Absence de véritable atteinte au principe de l’effet relatif. Le porte-fort n’est pas une véritable exception au principe de l’effet relatif dans la mesure où le porte-fort s’engage pour lui et non pour un tiers. Il est donc curieux d’avoir envisagé cette figure dans une section consacrée aux « effets du contrat à l’égard des tiers ».

Droit spécial : du porte-fort d’exécution et le cautionnement Lorsqu’une personne se porte-fort auprès d’un créancier du paiement d’une somme d’argent par son débiteur, elle doit indemniser le préjudice du créancier en cas d’inexécution par le débiteur de son obligation. Certes, le porte-fort ne paye pas alors la dette du débiteur, puisqu’il indemnise le créancier de son préjudice. Il reste qu’économiquement, la frontière est ténue, dès lors que l’indemnité due sera normalement égale au montant de la dette du débiteur. Le porte-fort apparaît alors très proche du cautionnement. Il reste que le porte-fort est une « garantie indemnitaire » et que les mécanismes protecteurs de la caution et de celui qui s’engage à payer une somme d’argent ne lui sont pas applicables, d’après la Cour de cassation1597.

Section 2 - Le principe de l’opposabilité du contrat

382 Sens. Parce que le contrat n’a qu’un effet relatif, son exécution ne peut être exigée ni contre un tiers ni par un tiers. Mais parce que le contrat est opposable, les tiers « doivent respecter la situation juridique créée par le contrat » et « peuvent s’en prévaloir » (C. civ., art 1200.

Au vrai, ce que les tiers doivent respecter et ce dont ils peuvent se prévaloir concernent tant la conclusion du contrat que les effets produits.

383 Plan. Distinguons suivant que le contrat est opposé aux tiers (§ I) ou par les tiers (§ II).

§ I - L’opposabilité du contrat aux tiers

384 Plan. Le principe (A) de l’opposabilité aux tiers souffre d’exceptions (B).

A - Principe

385 Plan. Distinguons les conditions de l’opposabilité (1) de ses effets (2).

1 - Conditions

386 Opposabilité des droits personnels. En principe, un contrat n’est opposable aux tiers, et en particulier ses obligations, que s’il a été porté à leur connaissance. On ne voit pas en effet comment l’on pourrait attendre des tiers qu’ils respectent la situation née d’un contrat dont ils ignorent l’existence et le contenu... Quant à l’opposabilité du contrat par les tiers, la question ne se conçoit même pas si les tiers n’en ont pas connaissance.

387 Opposabilité des droits réels. L’opposabilité de la constitution ou du transfert d’un droit réel est le plus souvent invoquée par son titulaire en vue de tenir autrui à l’écart du bien. Le droit réel est en principe1598 en lui-même opposable erga omnes, c’est-à-dire à tous et sans conditions particulières. L’automaticité de l’opposabilité des droits réels se trouve justifiée par la connaissance que chacun doit avoir que ce qui ne lui appartient pas appartient à autrui, que le bien sur lequel il est sans droit fait l’objet du droit d’un tiers1599. Peu importe que l’on ignore l’identité de son propriétaire ou des titulaires d’autres droits sur celui-ci1600.

Il convient toutefois de réserver les hypothèses de conflits de droits réels. Il y a conflit dans deux hypothèses distinctes. En premier lieu, des personnes se sont vues octroyer du même auteur des droits réels inconciliables sur un même bien. Par exemple, deux personnes ont acquis la propriété du même bien auprès de son propriétaire ou bien l’une a acquis l’usufruit et l’autre un droit d’usage sur le même bien auprès de son propriétaire. Si, en vertu du principe de l’opposabilité erga omnes des droits réels, il est a priori naturel de rendre opposable le droit réel consenti en premier pour cette seule raison qu’il est le premier à avoir été consenti – prior tempore potior jure1601 –, il existe en réalité des règles particulières au sujet des immeubles et de la plupart des meubles, en sorte que tel est finalement rarement le cas. En second lieu, il y a également conflit lorsque des personnes se sont vues octroyer du même auteur des droits réels conciliables sur un même bien. Par exemple, une personne s’est vue octroyer une sûreté réelle sur un bien et un autre, sa propriété, ou bien une personne s’est vue octroyer un usufruit et une autre, sa propriété. Encore une fois, si en vertu du principe de l’opposabilité erga omnes des droits réels, il peut paraître naturel de considérer tous les droits réels comme étant opposables, il existe en réalité des règles particulières au sujet des immeubles et de la plupart des meubles, en sorte que tel est finalement encore rarement le cas.

Quelles sont ces règles particulières que l’on rencontre dans ces deux séries d’hypothèses ?

En matière immobilière, l’absence de correctif au principe de l’opposabilité erga omnes des droits réels serait source d’une grave insécurité juridique pour celui qui désire acquérir un droit réel sur un immeuble et qui n’a pas les moyens de savoir si son auteur est bien le titulaire du droit cédé ou si ce dernier n’a pas consenti à des tiers d’autres droits, telles des sûretés réelles. C’est la raison pour laquelle ont été mis en place en la matière, depuis fort longtemps, des systèmes de publicité des opérations immobilières, plus ou moins élaborés, en vue d’assurer la connaissance de ces droits par tous et de trancher les conflits de droits. Aujourd’hui, cette publicité est assurée en général par un des registres de publicité foncière tenus par le Service de publicité foncière et réglementés principalement par le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière. Mais dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la publicité est assurée suivant un système différent par un Livre foncier tenu par des bureaux fonciers et réglementé par la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. S’agissant notamment des mutations ou constitutions de droits réels immobiliers qui n’ont pas été publiés, elles sont « inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques (...) »1602. Dans le cas particulier d’un conflit entre deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble qui tiendraient leur droit d’une même personne, « celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi » (C. civ., art 1198 al. 2 ; nous soulignons) : le droit du premier acquéreur est ainsi opposable au second si ce dernier en avait connaissance. Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l' Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière1603 abroge en effet l'article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.). Quant à l'inscription des hypothèques et au classement des créanciers hypothécaires, elle est régie par le Code civil (C. civ., art 2418 s.).

En matière mobilière, l’absence de correctif au principe de l’opposabilité erga omnes des droits réels serait encore la source d’une grave insécurité juridique pour celui qui désire acquérir un droit réel sur un meuble et qui n’a pas les moyens de savoir si son auteur est bien le titulaire du droit cédé ou si ce dernier n’a pas consenti à des tiers d’autres droits, telles des sûretés réelles. C’est la raison pour laquelle un rôle est donné à la possession, laquelle constitue l’apparence d’une propriété, et que, s’agissant des certains meubles et de certaines opérations, il existe des systèmes de publicité. Primo , l'article 1198 alinéa 1 1604 prévoit qu’en cas d’aliénations successives de la même chose, le premier qui est entré en possession de bonne foi est préféré à l’autre, nonobstant l’antériorité du titre de ce dernier1605. Secundo , l'article 2276 C. civ. 1606 prévoit que le possesseur de bonne foi d’un meuble en est propriétaire. Alors que l’article 1198 al. 1 C. civ. tranche un conflit de propriétés entre deux acquéreurs successifs ayant acquis du véritable propriétaire1607 (la logique est celle d’une acquisition dérivée), l’article 2276 al. 1 C. civ. tranche un conflit de propriétés entre le véritable propriétaire et l’acquéreur ayant acquis d’une personne non-propriétaire (la logique est celle d’une acquisition originaire). Tertio, il existe en matière mobilière de nombreux systèmes de publicité aux effets divers. C’est d’abord le cas pour certains meubles corporels : navires, bateaux et aéronefs notamment. Ces meubles sont, comme les immeubles, identifiables en raison de leur immatriculation et dotés d’une valeur importante. En raison de leur mobilité, un système de publicité plus développé que la possession a été mis en place, et dont les effets sont d’ailleurs plus énergiques que ceux du système de la publicité foncière : l’inscription conditionne en effet l’opposabilité du droit à tous les tiers, et non pas seulement à l’ayant cause d’un même auteur1608. Il existe ensuite des règles particulières s’agissant de certains meubles incorporels. La possession d’un meuble incorporel n’est pas aussi perceptible que celle d’un meuble corporel, ce qui explique que le législateur ait institué une technique de publicité différente : l’inscription sur un registre, dont la portée diffère suivant le meuble incorporel en cause. Tantôt, mais c’est exceptionnel, l’inscription est une condition du transfert de propriété : c’est le cas par exemple du transfert de la propriété des valeurs mobilières1609. Tantôt, l’inscription est une condition d’opposabilité du transfert : c’est le cas du transfert de la propriété des droits attachés à une marque ou à un brevet qui doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits respectivement sur le registre national des brevets et le registre national des marques, tous deux tenus par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI)1610. Parce que le transfert de propriété est indépendant de l’inscription, le cédant ne peut, si elle n’a pas eu lieu, agir en contrefaçon contre le cessionnaire. Il reste que la portée de l’inscription est plus importante que ne l’est la publicité foncière, celle-ci n’étant en principe requise qu’aux fins d’opposabilité du droit publié aux seuls ayants cause de l’auteur titulaires de droits concurrents sur la chose alors que celle-là l’est aux fins d’opposabilité à tous les tiers. Il existe enfin aujourd’hui des règles relatives à la publicité des sûretés mobilières. À l’origine, il n’existait pas de publicité des sûretés mobilières, en raison de la difficulté d’identifier les meubles, mobiles par nature, et souvent fongibles. Aussi, l’opposabilité des sûretés réelles mobilières résultait de la dépossession du constituant au profit du créancier1611 . Or la dépossession présentait l'inconvénient d'empêcher le constituant de jouir de son bien, alors que celui-ci peut lui être utile, notamment en vue de l'exercice de son activité professionnelle. Aujourd'hui, l'opposabilité du gage peut résulter soit d'une formalité de publicité, d'une inscription, soit d'une dépossession (entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu) (art. 2337 C. civ.). Lorsque l'opposabilité du gage est assurée par une inscription, celle-ci a lieu sur un registre spécial tenu par les greffes des tribunaux de commerce et dont le fonctionnement est régi par un le décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006. Le fichier qui mentionne l'identité du constituant et quelques éléments relatifs au bien lui-même 1612. Il reste que cette publicité est imparfaite : certes efficace lorsque le bien est acquis du constituant, l’ayant cause pouvant vérifier que celui de qui il acquiert son droit n’a pas gagé ledit bien, elle ne l’est plus lorsque le bien est acquis auprès d’un détenteur précaire à qui le bien a été confié par le constituant ou auprès d’un ayant cause du constituant, par un sous-acquéreur, car seul le nom du constituant figure sur le fichier. Aussi, lorsque l’article 2337 alinéa 3 prévoit que [l]orsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du constituant ne peuvent se prévaloir de l'article 2276 , seul peut être visé l'ayant cause du constituant, à qui seule la publicité est utile, et non les sous-acquéreurs 1613.

2 - Effet

388 Responsabilité du tiers complice de l’inexécution du contrat par une partie. Les tiers ont une obligation négative de ne pas porter atteinte aux contrats auxquels ils ne sont pas parties, en empêchant ou en gênant son exécution. Ainsi, d’après la Cour de cassation, « toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction »1614. C’est pourquoi il n’est pas permis d’employer un salarié tenu par une clause de non-concurrence post-contractuelle.

389 Nature de la responsabilité du tiers. En raison de l’effet relatif des contrats, la responsabilité d’un contractant envers un tiers à qui l’inexécution du contrat causerait un préjudice est de nature extracontractuelle. On s’est toutefois demandé si, dans certains cas, cette responsabilité ne pourrait pas être contractuelle, ce qui permettrait notamment au responsable d’opposer au tiers les clauses de son contrat inexécuté. La question s’est posée dans ce que l’on a appelé les groupes de contrats (notamment dans une chaîne de contrats non translative), situation dans laquelle plusieurs contrats conclus entre différentes personnes concourent à la réalisation d’une même opération économique. Lorsqu’une action oppose deux parties à des contrats distincts dépendant du même groupe, le défendeur peut-il soutenir que sa responsabilité n’est engagée que dans les termes du contrat conclu par lui ? Par exemple, le sous-traitant peut-il opposer au maître de l’ouvrage, avec lequel il n’a pas contracté, que sa responsabilité est définie par le contrat de sous-traitance ? L’architecte et l’entrepreneur peuvent-ils, dans leurs rapports réciproques, prétendre n’être responsables qu’aux conditions et dans les limites des contrats qui les lient respectivement au maître de l’ouvrage ?

On a vu que dans les chaînes translatives, la réponse était positive dans la mesure où le dernier propriétaire s’était vu transmettre les droits attachés à la chose1615. Faute de « transmission » dans les hypothèses que nous envisageons, il est bien question ici d’opposabilité du contrat. Celui dont la responsabilité est engagée par un tiers au contrat peut-il user de son contrat comme d’un « bouclier » en défense aux actions des tiers ? La Première chambre civile de la Cour de cassation l’a un temps admis. Par des arrêts rendus en 19881616, elle a jugé que dans une chaîne de contrats, et plus généralement dans un groupe de contrats, les actions en responsabilité entre contractants, bien que parties à des contrats différents, sont nécessairement contractuelles. La solution était justifiée par le respect des prévisions contractuelles : « le débiteur (a) dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables [en la matière] ». La Première chambre civile fut finalement désavouée par l’Assemblée plénière, qui, dans l’arrêt Besse, rendu en 19911617, affirma le principe du caractère délictuel de la responsabilité encourue par le sous-traitant envers le maître de l’ouvrage, même lorsque le sous-traitant fournissait les matériaux1618.

B - Exceptions

390 Plan. Il s’agit de la simulation (1) et de l’action paulienne (2).

1 - La simulation

391 Hypothèses. L’article  1201 C. civ.  ne vise qu’une seule hypothèse de simulation, celle dans laquelle « les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte », appelé aussi « contre-lettre ».

Pourtant, les hypothèses de simulation sont nombreuses, et l’on peut en distinguer de trois sortes : un acte apparent dissimule un acte occulte (un acte de vente apparent dissimule une partie du prix ; un acte de vente dissimule une donation), un acte apparent dissimule l’absence de tout acte (un débiteur fait semblant de vendre ses biens par exemple pour échapper aux saisies de ses créanciers) ; un acte dissimule l’identité véritable des parties (telle personne déclare acquérir un bien pour son compte alors qu’elle l’acquiert pour le compte d’autrui, par exemple pour échapper aux règles sur les incapacités ; elle est un prête-nom).

392 Principe d’efficacité. La simulation est en principe valable1619. Tout au plus faut-il préciser que la validité de la simulation suppose que l’acte apparent en respecte les conditions de forme (une donation déguisée devra respecter les conditions de forme du déguisement, par exemple de la vente) et que l’acte occulte en respecte les conditions de fond (une donation déguisée devra respecter les conditions de fond d’une donation1620). En revanche, peu importe que l’acte apparent respecte les conditions de forme de l’acte occulte (par où l’on voit que la simulation peut valoir formalisme de substitution) et que l’acte occulte respecte les conditions de fond de l’acte apparent1621.

S’agissant des effets de la simulation, il faut distinguer Entre les parties, c’est le contrat occulte qui prime. À l’égard des tiers, il faut à nouveau distinguer. D’une part, le contrat occulte n’est pas opposable aux tiers, même à ceux qui en ont eu connaissance. D’autre part, au cas où ils en auraient connaissance, ils pourraient « s’en prévaloir » (art. 1201, in fine), ce qui signifie qu’ils ont en réalité une option : ils peuvent se prévaloir de l’acte occulte ou de l’acte apparent. Dans le cas particulier d’une convention de prête-nom, la jurisprudence considère que la seule connaissance par le tiers de la convention de prête-nom ne le prive pas de son action contre le prête-nom1622, sauf « participation active » de celui-ci à l’opération1623.

393 Nullité exceptionnelle. En vertu de l’article  1202 C. civ. , sont nuls « toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel » et « tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle ». Il s’agit ici de sanctionner une dissimulation du prix dans certains contrats, laquelle réalise une fraude aux droits de mutation.

Dans tous ces cas, et en vue notamment de décourager le vendeur d’exiger un « dessous-de-table », la nullité « ne s’applique qu’à la convention secrète et ne porte pas atteinte à la validité de l’acte ostensible »1624, en sorte que l’acquéreur pourra refuser de verser le complément de prix ensuite de la conclusion de la vente (ou pourra obtenir la restitution de celui-ci s’il a été versé) sans craindre l’anéantissement de la vente. Dit autrement, le vendeur n’a aucun moyen de contrainte contre l’acquéreur pour obtenir le paiement du « dessous-de-table » ou pour s’opposer à sa restitution. Les parties encourent également des sanctions fiscales et pénales. D’une part, l’impôt sera majoré (CGI, art. 1729), ainsi que des intérêts de retard (CGI, art. 1727). D’autre part, la dissimulation du prix est un délit pour les parties puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (CGI, art. 1837).

Si la liste des actes visés à l’article  1202 C. civ.  est limitative1625, la simulation peut encore être contestée sur d’autres fondements. Ainsi, la simulation destinée à échapper aux règles gouvernant les incapacités sera sanctionnée en vertu du principe suivant lequel l’acte occulte doit satisfaire aux exigences de fond qui gouvernent un tel acte1626 ; la simulation destinée à laisser accroire que l’on s’est dessaisi de certains de ses actifs le sera par une action paulienne1627.

394 Preuve. Sur le terrain probatoire, il faut distinguer. Entre les parties, en principe, la preuve de la contre-lettre se fait suivant celle des actes juridiques et donc souvent par écrit, car il s’agit de prouver outre ou contre un écrit1628. Mais en cas de fraude, la preuve est libre1629. À l’égard des tiers, la simulation étant un fait, sa preuve peut être rapportée par tout moyen1630.

395 Action en déclaration de simulation. En vue de faire constater la simulation et d’en tirer les conséquences (le plus souvent, faire primer l’acte occulte ou faire constater la nullité de la simulation) il convient d’exercer une action en déclaration de simulation, laquelle fait l’objet, comme toute action, d’une prescription1631. Cette action est offerte tant aux parties qu’aux tiers (sans que la preuve d’une fraude ne soit nécessaire1632).

2 - L’action paulienne

396 Plan. En substance, l’action paulienne permet au tiers de se rendre inopposable un acte par lequel son débiteur s’est frauduleusement appauvri. Précisément, l’article 1341-2 dispose que le « créancier peut (...) agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. » Par exemple, un débiteur, afin d’éviter de voir ses biens saisis par son créancier, les cède au profit de membres de sa famille.

L’action paulienne1633 se distingue à deux égards de l’action oblique : d’une part, elle suppose une fraude et non une carence du débiteur et, d’autre part, le créancier agit pour son propre compte et non pour celui du débiteur.

Distinguons les conditions (a) des effets de l’action paulienne (b).

a - Conditions

397 Plan. Les conditions sont relatives à la créance de l’auteur de l’action (α), à la nature de l’acte accompli par le débiteur (β), et à son caractère frauduleux (γ

g. - Créance de l’auteur de l’action

398 Antériorité, par principe, de la créance à l’accomplissement de l’acte attaqué. Seul le créancier disposant d’une créance antérieure à l’acte qu’il entend attaquer peut exercer une action paulienne1634. En effet, par principe, l’acte n’est accompli en fraude des droits du créancier que si et seulement si, à ce moment, ce dernier est bien créancier...

Toutefois, dans les cas exceptionnels où une personne, sachant qu’elle allait devenir débitrice d’une autre, a accompli en avance des actes de nature à l’appauvrir (« fraude par anticipation »), cette condition est logiquement écartée1635.

D’après la jurisprudence, la preuve de la date de la créance peut être rapportée par tout moyen par le demandeur, car elle est un des éléments de la fraude, et que la fraude se prouve traditionnellement par tout moyen. Il n’est ainsi pas nécessaire que l’acte critiqué ait date certaine, alors même que l’action paulienne est intentée contre un tiers à l’acte1636.

399 Certitude de la créance. La jurisprudence exigeait avant la réforme que la créance invoquée fût certaine dans son principe au moment de l’acte argué de fraude, peu important sa liquidité et son exigibilité (et ce, même au jour où l’action est exercée, semble-t-il)1637. La condition de certitude était même parfois écartée, selon les circonstances1638. Depuis la réforme, elle l’est au moins dans un cas particulier1639 : la loi prévoyant qu'en présence d'une créance sous condition suspensive, le créancier peut, alors que la condition est pendante, « accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits » (C. civ., art 1304-5 al. 1), l'action paulienne devrait pouvoir être exercée, mais la décision d'inopposabilité sera nécessairement affectée de la même condition 1640.

L’action paulienne est donc ouverte plus largement que l’action oblique, ce que l’on peut comprendre puisqu’il s’agit ici de déjouer une fraude.

h. - Nature de l’acte accompli par le débiteur

400 Acte d’appauvrissement ayant provoqué l’insolvabilité du débiteur. Il doit s’agir d’un acte ayant appauvri le débiteur et qui l’a même rendu insolvable.

401 Un acte. Tout acte est en principe susceptible de donner lieu à une action paulienne, qu’il s’agisse d’un acte à titre gratuit ou à titre onéreux : donation, vente à un prix très faible, etc. La mise en fiducie d’un actif peut-elle constituer un cas de fraude paulienne ? La loi le laisse entendre, qui indique que si le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine, c’est sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie, mais aussi « hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant » (art. 2025 al. 1).

Certains actes ne peuvent toutefois être attaqués par la voie paulienne. C’est le cas du paiement d’une dette : le paiement d’une dette étant un devoir, il ne peut être frauduleux. Il ne pourrait en aller différemment que si le paiement avait été effectué dans des circonstances telles qu’il visait à nuire à un autre créancier : paiement d’une dette fictive, d’une dette non échue, par des moyens non prévus au départ dans le but de ne conserver que des actifs difficilement réalisables, etc.1641

Un partage peut également faire constituer un acte susceptible d’être attaqué par l’action paulienne. Certes, d’après les articles 882 (partage de la succession) et 1476 (par renvoi à ce dernier, partage de la communauté), les créanciers d’un copartageant, s’ils peuvent s’opposer à ce qu’un partage soit fait hors de leur présence, « ne peuvent attaquer un partage consommé »1642. Mais l’action paulienne redevient possible si le partage a été précipité en vue d’éviter une opposition des créanciers1643 ou s’il est fictif1644.

Le cas des jugements – qui doit être distingué des contrats homologués par un juge1645 – appelle une distinction. S’ils ne peuvent être attaqués que « par les voies de recours ouvertes par la loi au nombre desquelles n’entre pas l’action paulienne »1646, un jugement peut être attaqué par un tiers par la voie de la tierce opposition s’il est rendu en fraude des droits des créanciers1647. Ce sera le cas notamment si une personne se laisse condamner envers une autre pour ne pas être en mesure de désintéresser un créancier1648.

402 Un acte d’appauvrissement. L’acte ne peut être attaqué que s’il est un acte d’appauvrissement. Il existe une multitude de manières de s’appauvrir : s’engager sans contrepartie (acte à titre gratuit) ou moyennant une contrepartie de moindre valeur (acte lésionnaire), ou substituer à un actif un autre un actif plus facile à dissimuler (argent)1649 ou plus difficile à réaliser (parts sociales)1650. En contrepoint, le refus d’un enrichissement ne pourrait en principe être neutralisé que par l’exercice de l’action oblique, à supposer que l’acte en question ne soit pas strictement personnel1651.

403 Un acte ayant causé l’insolvabilité du débiteur . Même si cela n'est pas prévu expressément par les textes, l'acte attaqué doit avoir causé l'insolvabilité du débiteur. De fait, si l'acte n'a pas rendu insolvable le débiteur : le créancier serait dépourvu d'intérêt à agir (CPC, art 31. En réalité, la condition est dédoublée. D'une part, l'exercice d'une action paulienne suppose que le débiteur soit insolvable au jour de la demande 1653. D’autre part, l’insolvabilité doit avoir été causée ou aggravée par l’acte attaqué.

Exceptionnellement, la jurisprudence considère que la condition d’insolvabilité n’a pas à être remplie : « l’action paulienne est recevable, même si le débiteur n’est pas insolvable, dès lors que l’acte frauduleux a eu pour effet de rendre impossible l’exercice du droit spécial dont disposait le créancier sur la chose aliénée »1659. Il est certain que ce « droit spécial » est autre chose que le « droit de gage général », que l’action paulienne par principe toujours pour objectif de sauvegarder. Il s’agit d’un droit sur un bien déterminé, dont la mise en œuvre est menacée par l’accomplissement d’un acte : division d’un bien tenant en échec le droit au renouvellement d’un bail1660, donation d’un bien ayant fait l’objet d’une promesse synallagmatique de vente1661. L’action paulienne peut encore être exercée dans le cas particulier des contrats conclus au sujet d’un bien formant l’assiette d’une sûreté réelle et qui viendraient en altérer la valeur, comme la conclusion d’un bail commercial sur un immeuble hypothéqué1662. Cela se comprend d’autant plus aisément que le créancier inscrit doit saisir en priorité le bien hypothéqué (CPC exéc., art. 2192 al. 2 et art. L. 311-5 al. 21663). Il reste que conclure un bail sur un bien n’est pas en principe un acte d’appauvrissement : il s’agit seulement de mobiliser la valeur d’usage d’un bien par l’octroi de revenus plutôt que par une jouissance personnelle.

Droit spécial : des paiements et de la procédure collective Le droit des procédures collectives distingue, au cours de la période suspecte, le paiement des dettes non échues et celui des dettes échues. Le paiement des dettes non échues est nul de droit (C. com., art. L. 632-1, I, 3°). Le paiement des dettes échues appelle une nouvelle distinction. D’une part, le paiement de ces dettes fait autrement que par un mode de paiement communément admis dans les relations d’affaires effectué au cours de la période suspecte précédant l’ouverture de la procédure collective, est également nul de droit (C. com., art. L. 632-1, I, 4°). D'autre part, le paiement effectué par un mode de paiement communément admis à compter de la date de cessation des paiements fait l’objet d’une nullité facultative, si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements (C. com., art. L. 632-2 al. 1).

Droit spécial : du refus de s’enrichir Dans deux hypothèses au moins, le principe suivant lequel le refus d’un enrichissement ne pourrait être neutralisé autrement que par une action oblique est écarté. En premier lieu, les créanciers personnels de celui qui s’abstient d’accepter une succession ou qui y renonce au préjudice de leurs droits « peuvent être autorisés en justice à accepter la succession du chef de leur débiteur, en son lieu et place » (art. 779 al. 11652). Il ne s’agit ni d’une action paulienne (la fraude n’est pas requise), ni d’une action oblique (outre l’exigence d’une autorisation judiciaire, les effets ne se produisent qu’au profit du créancier agissant). En second lieu, toutes les personnes – dont les créanciers – ayant « intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce » (art. 2253). Ainsi les créanciers pourraient opposer la prescription (extinctive) d’une action en paiement pour éviter un appauvrissement ou invoquer la prescription (acquisitive) d’un bien pour causer un enrichissement.

Point sensible : de la preuve de l’insolvabilité du débiteur Le créancier doit en principe rapporter la preuve de l’insolvabilité du débiteur1654, preuve souvent difficile1655, longue et coûteuse à obtenir. La jurisprudence ne devrait-elle pas, sur ce point, inverser la charge de la preuve, en sorte qu’il appartiendrait au débiteur de rapporter la preuve qu’il est solvable s’il veut tenir en échec une action paulienne ? En l’état actuel des choses, la jurisprudence a déjà doublement assoupli la preuve qui pèse sur l’auteur de l’action. En premier lieu, elle se contente de la preuve de l’« insolvabilité apparente » du débiteur1656, celui-ci pouvant toujours établir qu’en réalité il n’en est rien et qu’il dispose d’un patrimoine suffisant pour payer ses dettes1657. En second lieu, si l’insolvabilité du débiteur est « notoire », la jurisprudence dispense le créancier de toute autre preuve1658.

i. - Caractère frauduleux

404 Connaissance du préjudice causé au créancier. D’après la jurisprudence, « la fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire »1664 et « résulte de la seule connaissance qu’a le débiteur du préjudice qu’il cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité »1665.

La loi établit une distinction entre les actes à titre onéreux et à titre gratuit. Pour les actes à titre onéreux , la complicité du cocontractant est exigée, c'est-à-dire sa connaissance du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux (C. civ., art 1341-2. Pour les actes à titre gratuit, en revanche, point n’est besoin de s’interroger sur la complicité du cocontractant. Les solutions reposent sur une transaction différente des intérêts en conflit. Dans un acte à titre gratuit, le cocontractant s’est enrichi sans s’appauvrir. On comprend donc que les intérêts du créancier l’emportent sur ceux du cocontractant, fut-il de bonne foi. Dans un acte à titre onéreux, le cocontractant s’est enrichi et appauvri. Ses intérêts sont aussi dignes de protection que ceux du créancier, en conséquence de quoi sa collusion frauduleuse doit être caractérisée.

Quid du cas particulier où le tiers acquéreur du bien a lui-même cédé à nouveau le bien à un sous-acquéreur ou a conféré au profit de ce dernier un droit réel ? Si le tiers acquéreur était à l’abri de tout recours, le sous-acquéreur ne le sera pas davantage. En revanche, si le tiers acquéreur ne l’était pas parce qu’il avait n’avait pas acquis de bonne foi à titre onéreux, il conviendra de distinguer suivant que le sous-acquéreur a ou non acquis de bonne foi à titre onéreux1666.

b - Effets

405 Inopposabilité relative. L’action paulienne est une action en inopposabilité et non en nullité1667. Dégagée par la jurisprudence1668 , la solution est désormais prévue par la loi : « Le créancier peut (...) agir (...) pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits » (C. civ., art 1341-2. Techniquement, l'action en inopposabilité est intentée contre le tiers, entre les mains duquel par exemple le bien a été aliéné frauduleusement et sera ainsi saisi 1669. Au-delà, il faut distinguer la situation des différents intéressés.

Primo, le contrat reste obligatoire entre les parties, c’est-à-dire le débiteur et le tiers défendeur1670. C’est pourquoi ce dernier, s’il est évincé et de bonne foi, pourra agir en responsabilité contre le débiteur, s’il est évincé.

Secundo, le contrat est inopposable au créancier demandeur. Le cocontractant du débiteur ne pourra opposer le contrat qu’il a conclu avec ce dernier à l’auteur de l’action. Le bien qui lui a été donné, vendu ou loué sera réputé comme ne l’ayant pas été à l’égard de l’auteur de l’action1671.

Tertio, le contrat reste opposable à toute autre personne que le créancier demandeur (dont les autres créanciers du débiteur)1672. C’est pourquoi les autres créanciers du débiteur peuvent avoir intérêt à intervenir à une action paulienne qu’ils n’ont pas intentée pour en bénéficier des effets. Reste, en tout état de cause, que si l’action paulienne aboutit à une saisie, l’acquéreur du bien en vertu de la procédure de saisie ne pourra pas davantage se voir opposer ces actes1673.

En définitive, l’action paulienne n’a pas pour effet, comme l’action oblique de recomposer le patrimoine du débiteur et ne profite qu’à celui qui l’a intentée. Elle ne profite qu’au créancier qui l’exerce.

406 Cantonnement de l’inopposabilité. Parce qu’il n’est pas question que l’action enrichisse l’auteur de l’action, en présence d’un bien divisible, l’inopposabilité sera limitée à ce qu’il suffit pour désintéresser l’auteur de l’action1674 et si le bien ne l’est pas, les sommes résultant de la vente sur saisie du bien reviendront au tiers acquéreur1675.

407 Obstacle à l’action. Chaque fois que l’action paulienne ne peut prospérer car le bien n’est plus entre les mains du tiers ayant contracté avec le débiteur, mais d’un autre tiers à qui, par exemple, il a été cédé à nouveau, le créancier pourra réclamer une indemnité au premier1676, égale à la valeur de ce son enrichissement au jour de celui-ci s’il était de bonne foi, et égale à la valeur réelle des biens au jour d’action s’il ne l’était pas1677. La solution pourrait être aujourd’hui fondée sur l’article 1352-2, relatif aux restitutions, qui prévoit que celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose, ne doit restituer que le prix de la vente (al. 1) alors que s’il l’a « reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix » (al. 2). Il s’agit d’une interprétation analogique du texte, qui ne vise pas la fraude paulienne.

§ II - L’opposabilité du contrat par les tiers

408 Principe. Les tiers, qui peuvent se voir opposer un contrat, peuvent réciproquement s’en prévaloir. Ainsi la Cour de cassation décide-t-elle que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par le contrat »1678.

409 Preuve d’un fait. La loi prévoit un exemple d’utilité que pourraient avoir les tiers à se prévaloir d’un contrat auquel ils ne sont pas parties : « apporter la preuve d’un fait » (art. 1200 al. 2). De fait, un contrat comporte un certain nombre d’informations qui peuvent être utiles aux tiers. Par exemple, un locataire n’ayant pas fait d’état des lieux peut prouver la défectuosité de l’endroit en faisant référence à un contrat de bail plus ancien1679 ; la société qui reprend les contrats de travail dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’employeur peut se prévaloir de la transaction conclue par un salarié licencié qui avait renoncé à remettre en cause son licenciement1680 ; celui qui a acquis un bien d’une personne qui n’en était pas propriétaire peut se prévaloir de l’existence d’un contrat de mandat liant ce dernier au propriétaire du bien (le tiers) pour consolider son titre et s’opposer à une action en revendication ; la victime de la ruine d’un bâtiment peut opposer au propriétaire, qui conteste sa qualité, le contrat de vente qui lui en a attribué la propriété afin de rechercher sa responsabilité (art. 1244).

Chapitre 10 - La cession de contrat

Plan

410 Localisation. « La cession de contrat » fait l’objet de la quatrième section du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat ». Ce choix du législateur est discutable dans la mesure où la cession de contrat n’est pas un effet du contrat ; il montre néanmoins que la cession de contrat n’emporte pas formation d’un nouveau contrat : le même contrat produit encore ses effets.

411 Mécanisme de substitution. La cession de contrat est le mécanisme par lequel une partie à un contrat « cède » à un tiers sa position contractuelle. Autrement dit, le cessionnaire se substitue au cédant dans le contrat qui l’unit au cédé, demeuré partie au contrat.

Avant la réforme de 2016, la cession de contrat était une institution controversée et la possibilité même de céder un contrat était discutée, en dehors des cas envisagés par la loi. En effet, certains soutenaient que lorsqu’une partie succédait à une autre dans un contrat, la rencontre du consentement du « cédé », requis pour autoriser la cession, avec celui du successeur formait un nouveau contrat1681. On pouvait toutefois objecter que le consentement du cédé n’était qu’une autorisation à la cession opérée entre le cédant et le cessionnaire, en sorte que c’est bien le contrat originaire qui se poursuivait1682. C’est au demeurant cette analyse qui est consacrée par le nouveau droit des contrats : « Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé » (art. 1216 al. 1).

412 Champ d’application du droit commun de la cession de contrat . Les règles des articles 1216 s. C. civ. envisagent tant les conditions que les effets de la cession de contrat. Si elles s’appliquent aux cessions conventionnelles de contrat (encadrées ou non par la loi1698), les cessions légales et judiciaires obéissent à des règles qui leur sont propres1699. En effet, considérer qu’elles s’appliquent par principe1700 aux cessions légales et judiciaires conduirait à des conséquences absurdes : rendre le vendeur d’un immeuble loué codébiteur solidaire des obligations pesant sur l’acquéreur s’il n’était déchargé par le locataire, interdire même au propriétaire d’un immeuble de le vendre sans l’accord du locataire, celui-ci devant autoriser la cession du bail à l’acquéreur1701 !

413 Plan. Après avoir envisagé les institutions voisines de la cession de contrat (section 1) on étudiera le régime de la cession de contrat (section 2).

Droit spécial : des cessions autorisées, imposées, encadrées, interdites... Dès avant la réforme, la loi prévoyait déjà des cas particuliers de cessions de contrat, automatiques1683, judiciaires ou conventionnelles. Parmi les cas de cessions automatiques envisagés par la loi, on peut mentionner la cession de bail en cas de vente de l’immeuble loué1684, la cession des contrats de travail en cas de modification de la situation juridique de l’employeur1685, la cession du contrat d’assurance de dommages en cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée1686, la cession des contrats d’édition avec le fonds de commerce1687. Parmi les cas de cessions judiciaires prévues par la loi, on peut évoquer la cession des contrats qui accompagnent la cession d’une entreprise1688. Parmi les cas de cessions conventionnelles encadrées par la loi, on peut mentionner la cession du contrat de vente d’immeuble à construire1689, la cession du contrat de promotion immobilière1690, la cession du contrat de vente de voyages et de séjours1691, la cession de bail par le locataire1692, et en particulier au bail commercial à l’acquéreur du fonds de commerce1693, la cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble1694, ainsi que la cession du bail rural1695. La cession du bail par le locataire de même que celle du contrat de vente de voyages et de séjours présentent la particularité de ne pas supposer l’accord du cédé.

Aménagements conventionnels En matière de baux commerciaux, une certaine pratique consiste pour un locataire à « céder » son bail à un tiers sous la condition de conclusion d’un nouveau bail entre le « cessionnaire » et le bailleur. Les mots, pourtant, jurent entre eux : comment parler de cession de bail si un nouveau bail est conclu1696 ? L’idée générale est que le locataire en place veut céder son bail pour en tirer finance, mais que le successeur (voire le bailleur) préfère conclure un nouveau bail, pour telle(s) raison(s) (modifier la destination du bail, par exemple). Le montage a été condamné par la Cour de cassation, au prix d’une motivation obscure et dont les conséquences sont importantes. Considérant que « la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel [lequel ?] à la formation du contrat [lequel ?] doit être réputée non écrite »1697, la Cour de cassation a estimé que lorsque le locataire-cédant a conclu avec le locataire-cessionnaire une promesse synallagmatique de cession de bail sous la condition de conclusion d’un bail entre ce dernier et le bailleur, le locataire-cédant peut contraindre le locataire-cessionnaire à réaliser la cession, même en l’absence de conclusion d’un nouveau bail dans le délai requis. Voici donc le second locataire lié par un bail qui ne lui permettra peut-être pas l’exercice de l’activité envisagée ! Il appartient donc aux rédacteurs d’actes de prévoir d’autres techniques permettant au locataire en place de tirer finance du bail auquel il renonce : convention de présentation, novation, etc.

Section 1 - Institutions voisines de la cession de contrat

414 Cession de contrat v. cessions de créance et de dette : l’arbre et ses fruits. À la différence de la cession de contrat, qui a pour assiette le contrat, la cession de créance ou de dette a pour assiette une obligation, active (créance) ou passive (dette). Afin de saisir au mieux la différence entre cession de contrat et cession d’obligation, il est impérieux d’envisager le contrat comme une norme1702 : la cession de contrat a pour objet de placer le cessionnaire sous l’empire d’une norme dont il ne relevait pas jusqu’ici. De là s’ensuivent plusieurs conséquences.

En premier lieu, parce qu’il est naturel qu’une norme « ne dispose que pour l’avenir » et qu’elle n’ait « point d’effet rétroactif » (art. 2), le cessionnaire n’est pas appelé à profiter et à souffrir du contrat pour le passé. La cession de contrat ne valant en principe que pour l’avenir1703 (malgré certaines règles contestables1704), les créances et les dettes antérieures du cédant ne passent pas de la tête du cessionnaire, même si la cession de contrat peut s’accompagner d’une cession de créances ou de dettes passées1705. Par principe, le cédant reste le débiteur et le créancier, respectivement des dettes1706 et des créances1707 qui étaient les siennes avant la cession. Toutefois, ce principe n’est pas absolu. Primo, la loi prévoit parfois le contraire1708. Secundo, par la force des choses, la cession d’un contrat à exécution instantanée emporte par hypothèse la cession d’obligations préexistantes ; il en va ainsi de la cession du contrat de vente d’immeuble à construire. Tertio, la jurisprudence prévoit parfois que la cession du contrat emporte, en dehors de toute disposition légale, la cession d’obligations préexistantes, ce qui est cette fois critiquable. Ainsi, s’agissant de la cession de bail, elle considère que le locataire-cessionnaire doit répondre des manquements et donc des dettes du locataire-cédant envers le bailleur-cédé1709.

En second lieu, pour l’avenir, le contrat cédé, comme toute norme, produira, entre autres effets, des créances et des dettes à l’endroit du cessionnaire. Tant que dure le contrat, cette production ne cessera pas. Les parties au contrat pourront bien évidemment là encore céder une partie de cette production en cédant telles créances ou telles dettes, passées ou à venir : la cession de tels loyers passés ou futurs, par exemple. Malgré de telles cessions, le cédant conserverait sa position de cocontractant, à supposer que le contrat se poursuive.

Au fond, la créance ou la dette apparaissent plus que jamais ici comme les fruits de l’arbre. Céder une créance ou une dette issue d’un contrat, ce n’est rien d’autre qu’arracher un fruit à l’arbre.

415 Transmission universelle. Le bénéficiaire d’une transmission universelle de patrimoine (ensuite d’une succession, d’une fusion ou scission1710 et d’un apport partiel d’actif soumis au régime des scissions1711) recueille un patrimoine. On y trouve notamment des contrats1712, des créances et des dettes.

Parce que le bénéficiaire de la transmission universelle est réputé continuer la personne de son auteur, la transmission n’opère pas tant cession légale de contrat que survie du contrat malgré la disparition d’un contractant. Celui appelé à recueillir le patrimoine continue, par l’effet d’une fiction, la personne d’un autre. C’est ce qui explique que les règles ou les clauses qui aménagent la cession de contrat ne soient pas applicables dans une telle hypothèse1713.

416 Sous-contrat. Un sous-contrat est un contrat par lequel un sous-contractant exécute tout ou partie des obligations ou profite de tout ou partie des droits que son cocontractant tient d’un contrat principal conclu avec autrui. Ainsi, le sous-traitant, sous-contractant, exécute tout ou partie des obligations de l’entrepreneur principal qui est lié contractuellement avec le maître d’ouvrage. De même, le sous-locataire, sous-contractant, profite de tout ou partie du droit de jouissance du locataire qui est lié contractuellement avec le bailleur.

À la différence de la cession de contrat, la partie au contrat principal conserve sa qualité de partie au contrat principal, le sous-contractant étant un tiers à ce contrat.

Section 2 - Régime de la cession de contrat

417 Plan. Distinguons les conditions (§ I) des effets (§ II) de la cession de contrat.

§ I - Conditions

418 Conditions de fond : sens et portée de l’« accord » du cédé. La cession de contrat est elle-même un contrat – un contrat de cession – et est donc soumise aux conditions de validité de tout contrat.

Parce que la cession de contrat a pour objet de substituer une partie à une autre dans un contrat préexistant, la cession ne peut se faire sans l’accord du cédé (art. 1216 al. 1 : « Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé »). À cet égard, le contrat de cession est-il un contrat bipartite (entre le cédant et le cessionnaire) ou tripartite (entre le cédant, le cessionnaire et le cédé) ? La question pourrait sembler purement théorique, le cédé devant de toute façon donner son accord à la cession. Il n’en est rien. Suivant la réponse apportée : la cession opérée sans le consentement du cédé sera seulement inopposable à ce dernier ou nulle voire inexistante (le défaut de l’autorisation d’un tiers est en général sanctionné par l’inopposabilité alors que le défaut de consentement est une condition de validité et même de formation du contrat) ; le cédé pourra ou non consentir à l’avance à la cession, notamment dans le contrat lui-même (on peut autoriser par avance la cession d’un contrat ; on ne peut consentir à un contrat – de cession – sans en connaître le contenu) ; il pourra ou non être passé outre le refus (abusif) du cédé de donner son accord à la cession (on peut sanctionner l’abus d’une prérogative mais on ne peut forcer le consentement d’une partie).

Parce que la loi prévoit expressément que le cédé puisse donner son accord à l’avance à la cession (art. 1216 al. 2 : « Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé (...) »), il paraît plus exact de considérer que la cession de contrat est un contrat bipartite conclu entre le cédant et le cessionnaire, et dont la conclusion est autorisée par le cédé1718. Faut-il aller jusqu’au bout de cette logique et considérer que le refus d’autorisation puisse faire l’objet d’un contrôle de l’abus ?

Si la cession de contrat a eu lieu sans avoir été autorisée par le cédé, trois sanctions sont concevables : l’inexistence, la nullité ou l’inopposabilité.

Si la cession était inexistante, elle serait réputée ne jamais voir eu lieu, ce qui aurait notamment pour conséquence que le cédé pourrait purement et simplement l’ignorer, que le cédant serait toujours partie au contrat et le cessionnaire, un tiers.

Si la cession était nulle, alors elle devrait être tenue pour efficace tant qu’une des parties, notamment le cédé, n’agit pas en nullité, ce qui suppose une action en justice, sauf accord des parties sur celle-ci1726), ce qui oblige ce dernier à accomplir des diligences.

Si la cession était inopposable au cédé, alors elle serait considérée comme efficace et valable entre les parties, mais pourrait être purement et simplement ignorée par le cédé.

La dernière solution, outre qu’elle est conforme à l’idée que le cédé n’a qu’à autoriser la cession, semble la meilleure, car elle préserve finalement les intérêts de chacun : le cédé n’a pas d’action en nullité à intenter puisqu’il peut purement et simplement ignorer la cession et le cessionnaire, évincé, pourra agir le cas échéant en responsabilité contre le cédant1727. C’est la solution qui a été retenue par la chambre commerciale de la Cour de cassation1728.

La jurisprudence antérieure était assez confuse. Si elle a considéré que la sanction de la cession du contrat d’édition sans autorisation de l’auteur était nulle de nullité relative1729, et celle de la cession du bail rural, nulle de nullité absolue1730, elle considérait que la sanction concernant la cession du bail commercial était l’inopposabilité1731.

419 Conditions de forme : contrat solennel. Le « contrat de cession de contrat » un contrat solennel puisqu’elle doit être conclue par écrit à peine de nullité. Toutefois, le cédé n’étant pas partie à ce contrat, l’exigence d’un écrit ne le concerne pas, en conséquence de quoi « l'accord du cédé à la cession du contrat peut être donné sans forme, pourvu qu'il soit non équivoque »1732

Point sensible : de l’indifférence de l’intuitus personae Parce que les trois intéressés doivent avoir consenti à la cession, tous les contrats sont cessibles, peu important qu’ils aient été ou non conclus intuitu personae. Cette expression, aussi « vague » qu’elle est ramassée, signifie que le contrat a été conclu en considération de la personne ou de telle(s) de ses qualités1714. Qu’importe, donc, que le contrat ait été conclu intuitu personae, dès lors que la cession du contrat a été autorisée par le cédé1715 ! Si elle l’est, c’est soit que les qualités du cédant étaient indifférentes, soit qu’elles ne l’étaient pas, mais qu’on les retrouve chez le cessionnaire. Si elle n’est pas, c’est a priori que le contrat était conclu en considération de la personne du cédant ou de ses qualités, qu’on ne retrouve pas chez le candidat cessionnaire. À défaut, le refus du cédé d’autoriser la cession pourrait être considéré comme abusif1716. Que le contrat ait été ou non conclu intuitu personae présente en revanche un intérêt certain lorsque le contrat est transmis par voie universelle. Alors que normalement les contrats se transmettent, en vertu de la fiction de la continuation de la personne, par voie universelle, les contrats conclus intuitu personae ne se transmettent pas1717. Mais là encore, cette considération suscite des interrogations, dès lors que la plupart des contrats sont conclus en contemplation de l’identité du cocontractant ou de certaines de ses qualités...

Point sensible : de la cessibilité et de l’abus Les clauses de libre cessibilité et de non-cessibilité d’un contrat, ainsi que celles d’agrément sont, en application du principe de la liberté contractuelle, valables. Néanmoins, elles peuvent receler un abus. En premier lieu, l’abus peut se nicher dans la clause même (de cessibilité ou de non-cessibilité), celle-ci créant un déséquilibre significatif (C. consom., art. L. 212-1, C. com., art. L. 442-1, I et C. civ., art 1171 1719. D’ailleurs, dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de permettre au professionnel « de procéder à la cession de son contrat sans l’accord du consommateur et lorsque cette cession est susceptible d’engendrer une diminution des droits du consommateur »1720. Tout est affaire de circonstances et le seul fait que la clause ne soit pas réciproque ne saurait en faire per se une clause condamnable. Ainsi comprendrait-on qu’un contrat de franchise interdise au franchisé de céder son contrat à un tiers mais permette au franchiseur de le faire, dès lors que le contrat de franchise n’est en général pas conclu par le franchisé en considération de l’identité de la personne morale ou de sa gouvernance, mais de l’enseigne et de la marque du franchiseur1721. En second lieu, l’abus peut se nicher dans la mise en œuvre de la clause, notamment en présence d’une clause d’agrément, lorsque l’agrément est refusé de manière abusive1722. Le cas du bail est révélateur. En vertu de l’article 1717, le preneur « a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. (al. 1) Elle peut être interdite pour le tout ou partie. (al. 2) Cette clause est toujours de rigueur. (al. 3) ». Or, d’après la jurisprudence, la clause qui interdit au locataire de céder son bail sans l’accord du bailleur ne constitue pas une interdiction absolue de céder et n’autorise pas le bailleur à refuser son consentement sans motifs légitimes1723. Et c’est la même solution qui est retenue par la jurisprudence s’agissant des clauses restrictives de la cession du bail commercial à l’acquéreur du fonds1724, solution qui s’impose d’autant plus que les clauses prohibitives sont nulles en la matière1725. Au fond, la question n’est-elle pas de déterminer si l’on retrouve chez le potentiel cessionnaire les éléments du cédant qui avaient conduit le cédé à contracter avec ce dernier ?

Droit spécial : de la clause de substitution et de l’obligation d’enregistrement La clause de substitution est la clause qui, figurant dans une promesse unilatérale ou synallagmatique (en général de vente, parfois de bail), autorise une partie à se substituer une autre. C’est en tout cas ainsi qu’elle est définie par ceux qui y ont recours, car la clause de substitution est une pratique, non une institution nommée par la loi. Il reste que la clause de substitution n’est rien d’autre qu’une clause par laquelle une partie à un contrat donne par avance son accord à la cession éventuelle par l’autre partie de sa qualité à une autre. En somme, la substitution n’est rien d’autre qu’une cession de contrat1733. Il reste que la Cour de cassation, avant la réforme du droit des contrats, considérait que la substitution n’était pas une cession de contrat, en vue de la faire échapper à l’obligation d’enregistrement1734 posée par l’article 1589-21735 et au formalisme lourd1736 de l’ancien article 16901737 . Il est vrai que la Cour de cassation pouvait tirer parti de ce qu'à l'époque la notion même de cession de contrat était discutée. En tout état de cause, et c'est un signe de la fragilité de la jurisprudence de la Cour de cassation, celle-ci avait elle-même considéré que l'article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, qui frappe d’une « nullité d’ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l’immobilier », était bien applicable aux substitutions1738. Plus récemment, alors que la réforme du droit des contrats était en vigueur, mais non applicable au cas d’espèce, il fut soutenu devant la Cour de cassation que la substitution était une cession de contrat, et que la substitution était, partant, inopposable au vendeur pour ne pas voir été fait l’objet d’une notification conforme aux stipulations du contrat. La Cour de cassation botte en touche : « il n’était pas soutenu [devant la cour d’appel] que la substitution dans le bénéfice de la promesse constituait une cession de contrat ». La Cour de cassation entend-elle réexaminer la question de la qualification de la substitution ? On ne peut que l'espérer, pour la cohérence de notre droit. Rien ne l'empêche au demeurant de moduler dans le temps l'application de sa solution, afin d'éviter la nullité de substitutions non enregistrées en vertu de l'article 1589-2 du Code civil...

§ II - Effets

420 Le passé pour le cédant et l’avenir pour le cessionnaire. Par principe, la cession de contrat opère pour l’avenir : avant la cession, la norme contractuelle doit être observée par le cédant et le cédé, et, après la cession, elle doit l’être par le cessionnaire et le cédé. Il serait contre nature que la norme ait un effet rétroactif à l’endroit du cessionnaire, notamment en le rendant créancier ou débiteur des obligations antérieures à la cession. De même, il serait contre nature que la norme continue à gouverner le cédant, qui est sorti de son joug en cédant le contrat : celui-ci devrait être libéré.

Il reste que les règles retenues par la réforme de 2016 ne rendent pas compte de cet esprit1739, ce qui les rend critiquables. En tout état de cause, parce que la frontière entre les obligations antérieures et les obligations postérieures est délicate (faut-il tenir compte de la date de leur naissance, de leur exigibilité, d’une autre date encore ?), les parties doivent être fortement incitées à stipuler sur ce point.

421 Prise d’effets. Entre les parties et à l’égard des tiers en général, la cession de contrat prend effet comme n’importe quel contrat : en principe immédiatement, sauf stipulation d’un terme suspensif.

À l’égard du cédé, il faut distinguer. Si l’accord du cédé est donné au moment où la cession est envisagée, la cession de contrat doit prendre effet comme précédemment. Mais si l’accord du cédé a été donné par avance, notamment dans le contrat faisant l’objet de la cession, la cession produit effet à son égard « lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte1740 » (art. 1216 al. 21741). La règle est de bon sens, car le cédé doit bien être averti du changement de cocontractant. Au fond, le contrat de cession, comme tout contrat, n’est opposable aux tiers que s’il a été porté à leur connaissance. Or si le cédé n’a pas consenti dans l’acte de cession mais auparavant, l’opposabilité du contrat de cession suppose qu’il ait été porté à sa connaissance.

422 Libération du cédant ? En principe, le cédant n’est pas libéré : il est même obligé solidairement avec le cessionnaire (art. 1216-1), alors qu’auparavant la solution était discutée1742. Ainsi le locataire qui cède son bail à autrui sera tenu avec ce dernier de la bonne exécution de celui-ci et notamment du paiement des loyers. Il convient d’observer que le cédant n’est pas co-partie avec le cessionnaire, mais seulement codébiteur solidaire. Parce qu’il n’est que débiteur, il ne saurait exiger du cédé l’exécution du contrat, et parce qu’il est en réalité un garant, il devrait en principe, (sauf dispositions contraires) disposer d’un recours pour le tout contre le cessionnaire.

Le cédant ne sera libéré que si le cédé y a expressément consenti, par une clause du contrat cédé ou par un consentement du cédé lors de la cession.

423 Opposabilité des exceptions. Le régime de l’opposabilité des exceptions, c’est-à-dire la faculté pour une des parties d’invoquer contre l’autre des moyens de défense tirés d’un autre rapport que celui qui les lie pour échapper à ses obligations à l’endroit du demandeur, est très mal envisagé par la loi (art. 1216-21747). Bien que cela ne soit pas encore dit expressément, il faut comprendre que sont visées les exceptions tirées du rapport entre cédant et cédé, que peuvent opposer le cessionnaire au cédé (al. 1) et le cédé au cessionnaire (al. 2).

En premier lieu, la loi prévoit que le cessionnaire peut opposer au cédé les exceptions inhérentes à la dette mais qu’il ne peut lui opposer les exceptions personnelles au cédant. Des difficultés demeurent. D’une part, ni les exceptions inhérentes à la dette ni celles qui sont personnelles au cédant ne sont définies. Si le législateur donne des exemples des premières, il n’en donne aucun pour les secondes. S’agissant des exceptions inhérentes à la dette, sont mentionnées la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Mais qui ne voit pas, notamment, que certaines causes de nullité sont subjectives et donc personnelles au cédant (nullité pour incapacité ou vice du consentement), et les autres objectives (nullité pour illicéité du contenu) et donc a priori effectivement inhérentes à la dette ? S’agissant des exceptions purement personnelles, on pourrait mentionner, a priori, l’octroi d’un terme, la remise de dette, etc. D’autre part, si l’on comprend que le cessionnaire ne puisse opposer au cédé les exceptions personnelles au cédant, on ne comprend pas qu’il puisse lui opposer les exceptions inhérentes à la dette, dès lors qu’elles sont antérieures à la cession du contrat. Est-il raisonnable que le cessionnaire puisse refuser de payer son loyer ou résoudre le bail au motif que le bailleur n’aurait pas avant la cession exécuté correctement ses obligations envers le cédé, par exemple parce qu’il n’aurait pas restitué au cédant un trop-perçu de sa part ? N’oublions pas en effet que le cessionnaire ne recueille pas en principe les créances (et les dettes) du cédant...

En deuxième lieu, la loi prévoit que le cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant. L’absence de distinction entre les deux types d’exception se comprend ici dans la mesure où le cédé doit pouvoir invoquer tout moyen de défense qu’il aurait pu opposer au cessionnaire, celui-ci ayant pris la place du cédant. Toutefois, la cession ne devant valoir en principe que pour l’avenir, on comprendrait mal que le cessionnaire puisse se voir opposer par le cédé des manquements commis par le cédant antérieurement à la cession : il n’y a pas transmission universelle, mais simple cession de contrat. Par ailleurs, on verrait mal pourquoi le cédé pourrait se plaindre auprès du cessionnaire de l’inexécution par le cédé de ses obligations. Certaines décisions antérieures à la réforme l’avaient pourtant admis1748...

En troisième lieu, rien n’est prévu s’agissant des exceptions que le cédant, non libéré, pourrait opposer au cédé. Il devrait pouvoir lui opposer, pour échapper aux dettes contractées par le cessionnaire après la cession et dont il est tenu solidairement, les exceptions inhérentes à la dette que ce dernier pourrait lui-même opposer au cédé1749.

424 Sort des sûretés. Le sort des sûretés données par le cédant s’ordonne autour d’une distinction importante (art. 1216-31750). D’une part, en cas de non-libération du cédant, ce qui est le principe1751, les sûretés consenties subsistent1752, ce qui est normal dès lors que le cédant reste obligé. D’autre part, en cas de libération du cédant, la loi prévoit que les sûretés consenties ou par des tiers ou par le cédant1753 ne subsistent pas sauf leur accord, ce qui est normal dès lors que l’on ne saurait imposer à un tiers de garantir la dette d’une personne différente sans son accord1754 et que l’on ne saurait de même imposer au cédant, qui garantissait sa propre dette, de garantir celle d’autrui désormais.

Quant aux sûretés données au cédant, elles devraient se transmettre au profit du cessionnaire1755, au moins pour les créances à venir1756 , d'autant, qu'il est possible de raisonner par analogie avec les règles relatives à la cession de créance (C. civ., art 1321 al. 3 : la cession de créance « s'étend aux accessoires ») 1757.

Dans le cas particulier enfin où le créancier avait plusieurs codébiteurs solidaires et que l’un d’eux cède sa position, la loi prévoit que les autres codébiteurs solidaires restent tenus entre eux mais pas avec le cessionnaire : là encore, il n’y a pas de raison d’imposer à un débiteur d’être tenu solidairement avec un autre débiteur sans son accord.

Droit spécial : de la cession du bail commercial En matière de cession de bail commercial, depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (L. Pinel)1743, le principe est celui de la libération du cédant1744. C’est pourquoi une clause de garantie du cédant doit être stipulée si sa libération n’est pas souhaitée par le bailleur-cédé. Mais une telle clause est très encadrée. D’une part, le bailleur doit informer le cédant « de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci »1745. D’autre part, la clause de garantie ne peut être invoquée par le bailleur « que durant trois ans à compter de la cession dudit bail »1746.

Chapitre 11 - L’inexécution du contrat

Plan

425 Localisation. « L’inexécution du contrat » fait l’objet de la cinquième section du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat ». Elle se compose d’autant de sous-sections qu’il existe de mesures au profit du créancier victime de l’inexécution.

426 Plan. Bien qu’il soit fréquent d’évoquer l’« inexécution du contrat », il est plus exact d’évoquer l’inexécution d’une obligation et, le cas échéant, l’abus dans l’exercice d’une prérogative1758. Au-delà, la question de l’imputabilité de l’inexécution est essentielle dans la mesure où les mesures à la disposition du créancier ne sont pas les mêmes.

Envisageons donc la notion d’inexécution (section 1), son imputabilité (section 2), et ses suites (section 3).

Section 1 - Notion d’inexécution

427 Plan. Distinguons l’inexécution d’une obligation à proprement parler (§ I) de l’abus dans l’exercice d’une prérogative (§ II).

§ I - L’inexécution d’une obligation

428 Diversité. Le débiteur inexécute ses obligations lorsqu’il ne confère pas au créancier la prestation qu’il lui doit1759. Il y a trois sortes d’inexécution : l’exécution défectueuse, l’exécution tardive et l’inexécution.

Il y a exécution défectueuse lorsque le débiteur n’a pas exécuté correctement ses obligations (X a mal construit la maison de Y). Il y a exécution tardive lorsque le débiteur ne s’est pas exécuté au moment où il le devait, au moment auquel son obligation était exigible (X a construit la maison de Y avec retard). Afin de savoir s’il y a retard dans l’exécution, il faut précisément déterminer à quel moment le débiteur était tenu de s’exécuter. Lorsque le contrat ne le détermine pas, expressément ou implicitement, les obligations doivent par principe être exécutées sans délai ou, à tout le moins dans un « délai raisonnable »1760. Il y a inexécution lorsque le débiteur n’a pas fait ce qu’il devait faire ou a fait ce qu’il ne devait pas faire (X n’a pas construit la maison de Y). Parce que la première hypothèse est statistiquement la plus fréquente, c’est un fait négatif qu’il s’agit de reprocher le plus souvent au débiteur.

L’exécution tardive et l’inexécution présentent un lien : le débiteur en situation d’inexécution peut finalement s’exécuter (l’exécution sera alors tardive), ou non (l’inexécution sera alors définitive).

429 Question commune à l’inexécution et à l’exécution défectueuse : obligations de moyens et de résultat. Notions. Afin de déterminer s’il y a inexécution, il faut précisément déterminer ce à quoi le débiteur était tenu : l’objet de son obligation.

L’idée générale est la suivante : un débiteur n’est pas toujours obligé de fournir le résultat attendu par le créancier ; il peut ne s’obliger qu’à mettre en œuvre tels moyens (ex. des moyens raisonnables) pour y parvenir. Par exemple, le médecin est parfois obligé de guérir le patient, parfois de mettre en œuvre tous les moyens raisonnables pour ce faire1761.

À la suite de Demogue, on distingue1762 selon que l’obligation est de moyens ou de résultat1763. En présence d’une obligation de résultat, le débiteur s’oblige à parvenir au résultat attendu par le créancier : par exemple, réparer une télévision ; transporter des passagers sains et saufs ou à l’heure1764. Si le résultat n’est pas atteint, il y a inexécution de l’obligation, à moins que l’inexécution ne soit imputable à un cas de force majeure1765. En présence d’une obligation de moyens, le débiteur s’oblige à mettre en œuvre certains moyens pour parvenir au résultat attendu par le créancier : par exemple, mettre en œuvre les moyens raisonnables pour réparer une télévision ou guérir un patient. Que ce résultat ne soit pas atteint ne signifie pas que l’obligation n’a pas été exécutée : il faut en plus que le débiteur n’ait pas mis en œuvre les moyens qu’il devrait mettre en œuvre. Il existe, entre les obligations de moyens ou de résultat, une catégorie intermédiaire : les obligations de résultat allégées ou de moyens renforcés. Ce sont fondamentalement des obligations de moyens car leur inexécution suppose que le débiteur n’ait pas mis en œuvre les moyens requis. Néanmoins, à la différence des obligations de moyens, cela est présumé si le résultat escompté n’est pas atteint. L’obligation du dépositaire1766 constitue un exemple d’obligation de résultats allégés ou de moyens renforcés.

Les usages ou les normes techniques imposent souvent une certaine tolérance dans l’exécution de ce qui est dû. Ainsi la Cour de cassation a admis qu’une cour d’appel puisse retenir, au sujet de la fabrication de pièces industrielles, « que l’absence totale de tolérance est inconnue en matière de fabrication industrielle, d’usinage et d’assemblage »1767.

430 Question commune à l’inexécution et à l’exécution défectueuse : obligations de moyens et de résultat. Critères de distinction. Il appartient au premier chef à la loi de déterminer l’objet d’une obligation. En cas de silence, il revient aux parties ou à la jurisprudence de le faire. La jurisprudence a recours à deux critères : l’obtention du résultat comporte-t-elle un aléa ? Suppose-t-elle rôle actif du créancier ?

C’est en application du critère de l’aléa que l’on a déterminé la nature de l’obligation du médecin. Depuis un arrêt Mercier, la jurisprudence décide que le médecin est tenu d’une obligation de moyens1768. De fait, il existe en médecine un aléa. C’est justement ce qui explique que, face aux progrès de la médecine, certains actes médicaux ne sont pas aussi aléatoires que d’autres et que la jurisprudence ou la loi ont retenu que les médecins étaient tenus d’une véritable obligation de résultat pour certains soins, notamment bénins1769.

C’est en application du critère du rôle actif du créancier dans l’exécution de l’obligation dont est tenu le débiteur que l’on a déterminé la nature de l’obligation de sécurité. Ainsi est-elle de moyens ou de résultat suivant que le créancier joue un rôle actif ou non dans son exécution par le débiteur : s’il est actif, il s’agit d’une obligation de sécurité de moyens ; s’il est passif, il s’agit d’une obligation de sécurité de résultat. On en trouve une bonne illustration avec la jurisprudence sur les télésièges qui distingue l’objet de l’obligation suivant la phase du transport1770. Par ailleurs, c’est à une obligation de moyens qu’est également tenue une auto-école en vue assurer une sécurité aux élèves, dont le rôle est évidemment actif, lors des cours pratiques1771. Dans un tout autre registre, l’auto-école est encore tenue d’une obligation de moyens envers ses élèves de leur faire obtenir le permis1772.

En fonction de l’objet de l’obligation dégagée, la jurisprudence pourra décider qu’une obligation substantiellement de moyens est en réalité de moyens renforcés, en raison de la charge probatoire trop lourde que devrait autrement supporter le débiteur.

Si la distinction des obligations de moyens et de résultat est incontestable, sa mise en œuvre est délicate.

D’une part, les critères de distinction sont incertains : ainsi l’organisateur d’une promenade à cheval est tenu d’une obligation de moyens1773 et celui d’une promenade en âne, de résultat1774, même si l’on comprend qu’un âne n’est pas un cheval... Quant au rôle de la volonté des parties, il est ambigu : si la volonté est un des critères de distinction entre ces obligations, peut-elle faire d’une obligation de résultat en vertu de la loi ou de la jurisprudence, une simple obligation de moyens, et réciproquement ?

D’autre part, l’obligation dont est tenu le débiteur est souvent composite : la prestation due à une partie par une autre suppose l’exécution de diverses obligations qui peuvent être de moyens et de résultat. Ainsi le médecin qui ne serait tenu que d’une obligation de moyens à l’égard de son patient en raison de sa pathologie est néanmoins tenu à son égard de plusieurs obligations de résultat, notamment d’honorer les rendez-vous convenus1775.

Pour conclure, on peut rapprocher de la question qui vient d’être évoquée celle des obligations dites parfois de « coopération », fréquentes notamment dans les contrats informatiques. Chaque fois que le créancier doit coopérer avec le débiteur en vue de permettre à ce dernier d’exécuter ses obligations et qu’il ne le fait pas, il sera alors naturellement privé de la possibilité de se plaindre d’une inexécution1776.

§ II - L’abus dans l’exercice d’une prérogative

431 Renvoi. Une personne titulaire d’une prérogative ne doit pas, l’exerçant, en abuser1777. Il s’agit dans tous ces cas d’une application de l’article 1104 qui prévoit que les contrats doivent être « exécutés de bonne foi », le devoir de bonne foi s’imposant à tous ceux qui sont titulaires d’une prérogative1778. Comme l’a très bien résumé la Cour de cassation, « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties »1779.

432 Sanctions. Chaque fois qu’est reconnue une prérogative à une personne (fixer le prix, agréer le cessionnaire d’un contrat, rompre un mandat, mettre en œuvre une clause résolutoire, etc.), celle qui en abuse s’expose soit à réparer le préjudice qui en découle (ex. abus dans la fixation du prix, art.  1164 C. civ. et 1165 C. civ.), soit à s' exposer à la résolution du contrat (ex. abus dans la fixation du prix, art.  1164 C. civ. et 1165 C. civ.) 1780, soit à se retrouver privée du bénéfice de l’exercice de ladite prérogative (ex. mise en œuvre de la clause résolutoire1781). Dans ce dernier cas, la sanction de l’abus rejoint celle de la fraude avec laquelle au demeurant elle entretient des liens forts, la neutralisation d’un acte ou d’un comportement. La privation du bénéfice de l’exercice de la prérogative ne devrait en principe être que temporaire car sinon elle emporterait une réelle modification de la substance du contrat.

Point sensible : de la fraude en matière contractuelle Comme la plupart des standards et des « notions-soupapes » destinées à corriger une application de la règle contraire à son esprit au prétexte qu’elle en respecte la lettre, la fraude est difficile à définir. On peut néanmoins considérer qu’il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l’application d’une règle, quelle qu’en soit la source (légale, contractuelle) ou au contraire à en provoquer l’application par l’emploi artificiel à dessein d’un mécanisme en lui-même efficace1782. La fraude repose ainsi sur deux éléments, l’un objectif et l’autre subjectif : (i) un mécanisme destiné à provoquer l’application ou l’éviction d’une règle de droit et (ii) son emploi artificiel à dessein. (i) Premier élément : l’utilisation d’un mécanisme destiné à provoquer l’application ou l’éviction d’une règle de droit. Le sujet de droit, à défaut d’emploi du mécanisme litigieux, subirait l’application ou ne profiterait pas de l’application d’une norme (légale ou contractuelle)1783. (ii) Second élément : l’emploi artificiel à dessein du mécanisme1784. D’une part, le sujet de droit cherche, par le recours au mécanisme, à éluder ou à provoquer l’application d’une règle de droit et, d’autre part, le sujet de droit use du mécanisme comme d’un artifice1785. En réalité, la fraude est caractérisée chaque fois que le sujet de droit recourt à un mécanisme, non pas pour ce qui relève de son essence (se marier pour mener une vie maritale) mais pour tel(s) de ses effets accessoires (pour acquérir par exemple la nationalité - C. civ., art 21-1 s. -, non pour se promettre respect, fidélité, secours et assistance - C. civ., art 212. On trouve en particulier en droit des sociétés de nombreuses illustrations de « fraude au contrat » : fraude à un droit de préférence portant sur des titres sociaux1786 ; fraude à une clause d'agrément1787 ; fraude à travers un portage permettant aux anciens dirigeants de présenter une offre de reprise de la société en difficulté1788.

Section 2 - Imputabilité de l’inexécution

433 Plan. L’inexécution peut être imputable au débiteur (§ I), au créancier (§ II) ou à un cas de force majeure (§ III).

§ I - Imputabilité de l’inexécution au débiteur

434 En général le cas. L’inexécution d’une obligation est en général imputable au débiteur (ou aux tiers par lesquels le débiteur l’a fait exécuter, ce qui revient au même). Par exemple, le peintre n’a pas repeint le mur qu’il devait repeindre parce qu’il avait mieux à faire ou encore telle société a mal repeint le mur qu’elle devait repeindre car ses salariés sont incompétents.

En ce cas, le créancier bénéficie de toutes les mesures offertes par l’article  1217 C. civ. 1789 en cas d’inexécution.

§ II - Imputabilité de l’inexécution au créancier

435 Distinction suivant l’objet de l’obligation. Lorsque le créancier, à l’échéance et sans motif légitime, refuse de recevoir le paiement qui lui est dû ou l’empêche par son fait, le débiteur peut le mettre en demeure d'accepter ce paiement ou d'en permettre l'exécution (C. civ., art 1345 al. 1 1790).

Dans l’immédiat, les effets de la mise en demeure sont doubles : elle arrête le cours des intérêts dus par le débiteur et met les risques de la chose à la charge du créancier (C. civ., art 1345 al. 2 1791).

Au terme d’un délai de deux mois, si l’obstruction n’a pas pris fin, il faut distinguer suivant l’objet de l’obligation. Lorsque l’obligation porte sur une somme d’argent, le débiteur peut la consigner à la Caisse des Dépôts et consignations. Lorsqu’elle porte sur la livraison d’une chose, le débiteur peut séquestrer celle-ci auprès d'un gardien professionnel (C. civ., art 1345-1 al. 1 1792 ) mais si le séquestre est impossible ou trop onéreux, le juge peut en autoriser la vente amiable ou aux enchères publiques (C. civ., art 1345-1 al. 2 1793 ). La consignation ou le séquestre libère le débiteur à compter de leur notification au créancier (C. civ., art 1345-1 al. 3 1794). Lorsque l’obligation enfin a un autre objet, le débiteur est libéré si l'obstruction n'a pas cessé dans les deux mois de la mise en demeure (C. civ., art 1345-2 1795).

§ III - Imputabilité de l’inexécution à la force majeure

436 Plan. L’inexécution du contrat peut être imputable à un cas de force majeure. Par exemple, un entrepreneur n’a pu procéder à la réfection de la toiture d’une maison en raison des mauvaises conditions météorologiques.

L’article  1218 C. civ.  envisage aujourd’hui clairement les conditions (A) et les effets (B) de la force majeure.

A - Conditions

437 Définition. Depuis la réforme du droit des contrats, il y a « force majeure » en matière contractuelle « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (art.  1218 C. civ.).

438 Plan. Distinguons les deux séries de conditions qui ressortent de l’article  1218 C. civ. : celles relatives à l'événement ( 1 et celles qui le sont à ses conséquences ( 2.

439 Observation liminaire : la force majeure invoquée par le créancier ? La théorie classique de la force majeure libère le débiteur dans l'impossibilité d'exécuter son obligation des conséquences de son inexécution en prescrivant l'anéantissement ou la suspension du contrat. Une théorie renouvelée de la force majeure permettrait-elle, par symétrie, de libérer le créancier de l’exécution de son obligation (souvent, le paiement d’une somme d’argent1796) lorsqu’il est dans l'impossibilité de recevoir le paiement de sa créance ? Bien que la Cour de cassation ne parût pas, par le passé, réticente à cette idée1797, elle la condamna plus récemment : « le créancier qui n'a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure »1798. On peut regretter cette solution sans nuance et non motivée1799. Une solution pragmatique, plus respectueuse de l’équité – que l’on retrouve d’ailleurs dans certaines matrices contractuelles et dans certaines solutions étrangères –, aurait été de considérer le contrat, qui ne peut plus être exécuté, comme résolu, tout en aménageant les restitutions, in concreto1800.

1 - Conditions relatives à l’événement

440 Deux conditions. Deux conditions sont relatives à l’événement : il doit être en substance inévitable et imprévisible.

441 Inévitabilité. L’événement doit « échapp[er] au contrôle du débiteur », c’est-à-dire être inévitable. La tempête est inévitable car le réparateur ne peut en empêcher la venue. C’est également – en principe – le cas de la maladie. En revanche, n’est pas inévitable l’ouverture d’une porte par un voyageur en cours de marche du train car il est possible de mettre en place un système de verrouillage1801. De règle générale, le débiteur ne peut, sauf convention contraire, invoquer le fait d’un tiers à qui il a confié tout ou partie de l’exécution du contrat car, ce faisant, il doit en répondre1802.

L’inévitabilité est une notion relative car la plupart des événements, à l’exception des événements naturels, peuvent être évités : l’événement doit être « normalement inévitable ».

442 Imprévisibilité. L’événement ne peut être « raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat », c’est-à-dire qu’il doit être raisonnablement imprévisible. De fait, « si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation », ainsi que le relève le rapport au président de la République qui accompagne l’Ordonnance.

L’imprévisibilité, plus encore que l’irrésistibilité, est relative : tout, ou presque, est prévisible. C’est pourquoi l’imprévisibilité doit être relative. Ainsi une sécheresse sera tantôt considérée comme imprévisible, tantôt non1803 ; il en va de même de la grève1804.

443 Lien entre imprévisibilité et inévitabilité de l’événement. Il existe un lien entre l’imprévisibilité et l’inévitabilité : plus le débiteur aura mis en œuvre des moyens pour éviter la survenance de l’événement imprévisible – lorsque cela est possible – plus le caractère imprévisible sera facilement reconnu. Ainsi, plus la SNCF aura mis en œuvre des moyens destinés à prévenir agressions et suicides, plus une agression ou un suicide sera reconnu comme imprévisible et caractéristique d’un événement de force majeure1805.

2 - Conditions relatives aux conséquences de l’événement

444 Deux conditions. Deux conditions sont relatives aux conséquences de l’événement : elles doivent être elles aussi inévitables et l’exécution du contrat doit être rendue impossible.

445 Inévitabilité. Les conséquences de l’événement ne peuvent « être évité[e]s par des mesures appropriées » : elles doivent être inévitables. Bien entendu, la casuistique s’impose : il n’est peut-être pas possible d’éviter par des mesures appropriées les conséquences d’une tempête sur un chantier, mais celles de la pluie peuvent l’être (par la pose d’une bâche). L’expression de « mesures appropriées » est étonnamment lâche et il faut espérer que la jurisprudence n’exigera du débiteur que des mesures appropriées raisonnables. Il conviendra également de déterminer si les « mesures appropriées » peuvent consister en des aménagements du contenu du contrat ou, à tout le moins, de ses conditions d’exécution, pouvant être imposés au créancier, au débiteur, ou aux deux1806.

446 Impossibilité de l’exécution. L’événement doit être tel qu’il « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » : l’exécution doit être impossible. C’est qu’à l’impossible, nul n’est tenu.

Si l’exécution a simplement été rendue plus difficile ou plus onéreuse, la force majeure ne sera pas caractérisée. Ainsi, si une société doit livrer un produit, elle ne peut opposer la défaillance de son propre fournisseur sauf à ce qu’elle n’ait pu obtenir autrement et auprès d’un autre fournisseur le produit en question1807. En revanche, les conditions de la révision ou de la résiliation pour imprévision, notamment l’évolution très sensible de la valeur d’une prestation, seront peut-être remplies1808. En tout état de cause, la Cour de cassation considère que l’obligation de payer une somme d’argent n’est jamais impossible car il est toujours possible de se procurer de l’argent1809 et ce, comme le révèle l’adage genera non pereunt (les choses de genre ne périssent pas)1810. La question n’est en revanche pas clairement tranchée de savoir si un retard dans le paiement d’une somme d’argent pourrait être excusé par la force majeure1811 : la jurisprudence, en regard de son refus d’admettre une impossibilité définitive de payer une somme d’argent, sera-t-elle plus encline à concéder qu’une impossibilité puisse n’être que temporaire1812 ?

Reste une question qui n’était guère évoquée avant la crise sanitaire de la covid-19, mais que celle-ci a mise en pleine lumière. Quid d’un contrat dont les obligations d’une partie au moins ne sont pas encore exigibles mais (i) dont l’exécution au terme prévu est compromise et (ii) dont l’exécution suppose en tout cas des actes préparatoires qui doivent être accomplis à présent ? On trouve une bonne illustration de cette difficulté dans le secteur de l’événementiel. S’il est probable qu’un salon devant se tenir dans trois mois ne pourra se tenir (par exemple, en raison d’une grave crise sanitaire), est-il raisonnable d’exiger de l’organisateur qu’il expose des frais importants si ceux-ci le sont, au moins pour partie, à fonds perdus (par exemple, des dépenses de communication) ? Si probablement une approche casuistique s’impose dans de tels cas de figure, on notera avec intérêt que si l’article  1218 C. civ. n'instaure pas un mécanisme d'« exception de risque de force majeure », on sait que l'article 1220 C. civ. prévoit un mécanisme d’« exception de risque d’inexécution »1813, qui pourrait être invoqué à profit, dans notre exemple, par un exposant du salon pour refuser de payer ce qu’il doit.

447 Conclusion sur les conditions. Il ressort des conditions exposées qu’il est de manière générale impossible de dire que tel événement, in abstracto, constitue ou non un cas de force majeure. Les troubles liés à l’épidémie de la covid-19 l’ont bien montré. Ce n’est qu’en considération de la date de conclusion du contrat, des obligations en découlant, des mesures pouvant être raisonnablement prises en vue de leur exécution qu’il était possible de retenir ou non la force majeure. S’appuyer sur telle ou telle autre décision relative à une précédente épidémie pour déterminer si l’épidémie de covid-19 était ou non un cas de force majeure n’avait guère de sens...

Aménagements conventionnels Les aménagements peuvent être favorables au débiteur ou au créancier. Aménagements favorables au débiteur. Primo, les parties peuvent stipuler une clause réputant (fiction) 1814 ou présumant1815 (présomption) tel(s) événement(s) comme étant un (des) cas de force majeure alors même qu’il(s) ne remplirai(en)t pas les conditions légales de la force. Une telle clause réputera ou présumera comme étant cas de force majeure, soit des évènements précis1816 soit des événements remplissant des conditions plus souples que celles prévues par la loi1817, par exemple le fait d’un tiers, sous-traitant voire fournisseur. Deux éléments doivent être pris en considération. D’une part, en présence d’une présomption, ce sera une question de preuve, et en présence d’une fiction, une question de fond. Mais il ne sera jamais question pour les parties de définir elles-mêmes la force majeure au sens de l’article 1218 C. civ. : c'est le juge, et lui seul, qui qualifie (CPC, art 12 al. 2 1818 ). mais de le réputer comme tel. D'autre part, il convient de veiller à ce que la liste des événements réputés être des cas de force majeure ne soit pas trop longue en ce qu'elle viderait de sa substance l'obligation essentielle du débiteur (C. civ., art 1170 1819 ou une clause abusive1820. Secundo, les parties peuvent « alléger » les conditions de la force majeure en admettant par exemple qu’il y a force majeure lorsque les effets de l’événement ne peuvent pas être évités par des « mesures raisonnables » (et non «  des mesures appropriées ») ou/et lorsque l’exécution de l’obligation n’est pas impossible, mais « excessivement onéreuse » ou déraisonnable1821. Tertio, les parties peuvent stipuler une clause contraignant le créancier du débiteur dans l’impossibilité de s’exécuter à lui-même s’exécuter . De telles clauses, qui supposent qu'une partie subisse seule les risques du contrat, paraissent constituer une clause abusive en droit de la consommation (C. consom., art. R. 212-1, 5 1822 et 7 1823 ) et pourrait recevoir par capillarité cette même qualification en droit commun (C. civ., art 1171 et en droit des pratiques restrictives de concurrence (C. com., art. L. 442-1, I). Aménagements favorables au créancier. Primo, les parties peuvent « durcir » les conditions de la force majeure en exigeant un événement qui ne pouvait être prévu (et non « raisonnablement » et/ou dont les effets ne peuvent absolument pas évités (et non « évités par des mesures appropriées »). Secundo, les parties peuvent stipuler une clause prévoyant que le débiteur répondra de l’inexécution de l’obligation, quand bien même celle-ci serait imputable à un cas de force majeure1824. L’obligation du débiteur devient une obligation de garantie. La clause, qui opère une répartition des risques, doit par principe être tenue comme étant valable, mais pourrait dans certaines circonstances constituer un déséquilibre significatif sanctionné1825. Tertio, les parties peuvent stipuler une clause interdisant à une partie de suspendre l’exécution de son obligation en cas d’inexécution par l’autre de la sienne, dès lors que cette inexécution est imputable à un cas de force majeure1826 . Une telle clause, qui suppose encore une fois qu'une partie subisse seul les risques du contrat, paraît constituer une clause abusive en droit de la consommation (C. consom., art. R. 212-1, 5 et 7) et pourrait à nouveau recevoir par capillarité cette même qualification en droit commun (C. civ., art 1171 et en droit des pratiques restrictives de concurrence (C. com., art. L. 442-1, I) 1827.

Aménagements conventionnels Il peut d’abord être envisagé des aménagements destinés à déterminer précisément quand l’empêchement est provisoire ou définitif. Pour l’essentiel, les parties peuvent (et devraient !) prévoir, obligation par obligation, le moment à partir duquel l’inexécution est considérée comme définitive (time is of the essence… … or not !). Il peut ensuite être envisagé des aménagements destinés à préciser les conséquences de la suspension en cas d’empêchement provisoire. Il peut enfin être envisagé des aménagements destinés à préciser les conséquences de la suspension en cas d’empêchement définitif. Primo, les parties pourraient prévoir qu’en cas d’empêchement définitif, la résolution devra être notifiée et/ou prévoir la date de prise d’effets de celle-ci. Secundo, les parties pourraient stipuler sur les restitutions, mais aussi prévoir d’éventuelles indemnisations. Par exemple,le propriétaire et organisateur d’un centre des congrès loue différents emplacements à des exposants. Le centre brûle par cas fortuit, les contrats sont résolus. Le propriétaire restituera les éventuelles sommes reçues, c’est tout. Quid des autres frais engagés par les exposants ?

B - Effets

448 Effet sur le lien contractuel. Les effets de la force majeure ne sont pas les mêmes suivant que l’impossibilité d’exécution est temporaire ou définitive (art. 1218). Dans le premier cas, le contrat est suspendu, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat1828 ; dans le second, il est résolu de plein droit1829.

La suspension aura une portée variable suivant le contrat en question. Dans les contrats à exécution successive, l’exécution du contrat est mise en pause. Le contrat ne s’en trouvant pas pour autant prolongé, il n’aura finalement pas produit tous les effets qu’il devait produire et aura subi une amputation de certains de ces effets lorsque le contrat est à durée déterminée. Par exemple, un bail de deux ans dont l’exécution aura été empêchée pendant deux mois aura finalement été un bail qui aura offert au locataire une jouissance et au bailleur des loyers pour 22 mois au lieu de 24. Dans les contrats à exécution instantanée, l’exécution du contrat est différée. Le contrat produira tous les effets qu’il devait produire, mais plus tard.

La résolution de plein droit appelle également quelques précisions. Primo, l’automatisme de la résolution est, malgré la lettre du texte, contesté en doctrine1830. Si une décision du juge ne paraît pas nécessaire, il serait opportun que la résolution doive être prononcée par le créancier, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une clause résolutoire1831 . Le créancier doit fixer son choix sur une solution, car il en dispose d'autres (C. civ., art 1217. Secundo, il n’est pas fait référence dans le texte à la gravité de l’inexécution, alors que normalement un contrat ne peut être résolu que si son inexécution est suffisamment grave1832. La jurisprudence exigera néanmoins que cette condition soit remplie (et soit d’ailleurs entendue comme pour la résolution1833) : on ne comprendrait pas que tout manquement, même le plus léger ou encore que le manquement à toute obligation, même la plus accessoire, emportât la résolution du contrat. Tertio, il existe un tempérament au principe de la résolution en matière de contrat translatif de propriété : en application de la règle res perit domino, celui qui s’est vu transférer la propriété d’un bien est tenu d’en verser le prix alors même que celui-ci aurait été détruit avant qu’il n’ait été délivré1834.

449 Autres effets. Même si cela n’est pas prévu par l’article  1218 C. civ., une inexécution imputable à un cas de force majeure pourrait permettre au créancier de mettre en œuvre toute mesure d’altération du contrat1836 et donc, en plus de la suspension ou de la résolution, la réduction de prix1837 voire l’exécution du contrat par un tiers.

En revanche, un débiteur ne saurait être condamné à l'exécution forcée en nature, ce qui n'aurait pas de sens, l'exécution de l'obligation étant par hypothèse impossible (C. civ., art 1221 le créancier d'une obligation « peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible »1838 ) ni même engager sa responsabilité (C. civ., art 1231-1 le débiteur est condamné au paiement de dommages et intérêts « s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure »).

450 Inexécution partiellement impossible . Si le contrat a été partiellement exécuté avant que ne survienne le cas de force majeure ou si l'exécution du contrat reste partiellement possible malgré la survenance du cas de force majeure, la force majeure ne pourra être invoquée que dans la mesure de cette impossibilité (C. civ., art 1351 « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure (...) »1839). Par exemple, si un contrat d’utilité continue pouvait être exécuté (et l’a d’ailleurs peut-être été) avant que ne survienne le cas de force majeure, l’éventuelle résolution de celui-ci ne produira pas d’effet pour la période au cours de laquelle l’exécution était possible.

451 Conclusion : altération du rapport contractuel et absence de responsabilité. Dès lors qu’une inexécution est imputable à un cas de force majeure, la responsabilité de l’auteur de l’inexécution ne peut être engagée. Quant au lien contractuel, il peut être à certaines conditions rompu (résolution), suspendu (exception d’inexécution) ou autrement altéré (réduction de prix, exécution par un tiers).

Point sensible : des empêchements temporaires et définitifs Quand un empêchement est-il temporaire ou définitif ? la question se pose dans la mesure où, en principe, tout empêchement, dans l’absolu, est temporaire. D’emblée, il apparaît nécessaire de distinguer les contrats à exécution successive des contrats à exécution instantanée, quand bien même la distinction entre ces deux contrats manque de netteté1835. S’agissant des premiers, en général, l’empêchement sera en principe considéré comme n’étant que temporaire s’il a cessé avant la fin du contrat, et définitif dans le cas contraire. S’agissant des seconds, les choses se présentent d’emblée comme étant délicates. À la réflexion, on ne voit pas très bien comment ne pas prendre en considération deux variables : les facultés du débiteur à reporter l’exécution de sa prestation, mais aussi et surtout l’utilité que conserverait pour le créancier une exécution tardive. On poserait alors volontiers comme règle que l’empêchement ne sera considéré comme temporaire que si et seulement si l’exécution de la prestation présente encore une utilité pour le créancier au moment où l’empêchement a cessé (ex. l’événement auquel un des prestataires empêchés devait participer a été reporté) et si le débiteur est encore en mesure de s’exécuter, compte tenu des contraintes qui pèsent sur lui (ex. commandes à honorer auprès de ses autres clients). S’agissant en particulier de l’utilité pour le créancier d’une exécution tardive, on sera évidemment particulièrement attentif aux stipulations relatives à la date prévue pour l’exécution de la prestation (ex. la date était-elle de rigueur ?) ou à la nature du contrat. En réalité, tout devrait dépendre du point de savoir si le temps de l’exécution est essentiel et dans quelle mesure il l’est, spécialement au regard de l’intérêt du créancier. Il faudra veiller à apporter dans les contrats les précisions nécessaires. On soulignera enfin que la suspension d’un contrat à exécution successive et celle d’un contrat à exécution instantanée n’ont pas le même sens et la même portée. Dans le premier cas, l’exécution du contrat aura été mise en pause (c’est une véritable suspension). Le contrat ne s’en trouvant pas pour autant prolongé, il n’aura finalement pas produit tous les effets qu’il devait produire. Par exemple, un bail de deux ans dont l’exécution aura été empêchée pendant deux mois aura finalement été un bail qui aura offert au locataire une jouissance et au bailleur des loyers pour 22 mois au lieu de 24. Dans le second cas, l’exécution du contrat aura été différée (ce n’est pas tant une suspension qu’un report). Le contrat aura alors finalement produit tous les effets qu’il devait produire, mais plus tard !

Section 3 - Suites de l’inexécution

452 Catalogue. D’après l’article  1217 C. civ. , « [l]a partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; les dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter ».

453 Domaine : obligations. Les mesures de l’article  1217 C. civ. concernent l’inexécution des obligations et non l’exercice de prérogatives ou l’accomplissement d’incombances de manière abusive (lorsque tel est le cas, l’auteur de l’abus est, en général, privé de sa prérogative ou s’expose à des dommages-intérêts1841).

454 Option du créancier. Les mesures sont au choix du créancier et le cumul est possible sauf incompatibilités1842. En réalité, il n’y a guère que les dommages-intérêts qui peuvent toujours se cumuler avec d’autres mesures.

Encore que... Soit un contrat s’exécutant dans la durée et dont le terme n’est pas échu. S’il n’a pas donné satisfaction par le passé, la réduction de prix, pour le passé, pourra se combiner avec l’exécution forcée ou la résolution pour l’avenir1843. Mais il s’agit là, il est vrai, de sanctionner l’inexécution d’obligations distinctes.

En tout état de cause, le juge ne saurait prononcer une mesure qui ne lui a pas été demandée de prononcer1844, sauf à ordonner l’exécution du contrat lorsqu’il rejette une autre mesure, telle sa résolution1845.

455 Caractère supplétif. La liste n’est pas d’ordre public : les parties peuvent en écarter1846 pourvu que l’inexécution soit sanctionnée d’une manière ou d’une autre1847 ou simplement prévoir des aménagements (ex. pas de réduction du prix en dessous de tel montant). Trois remarques s’imposent.

Primo, l’intention des parties doit, comme toujours, être clairement exprimée. Or, en pratique, il est fréquent que le contrat ne mentionne que certaines mesures, sans mentionner ou réserver les autres : sont-elles écartées ? Par principe, les juges sont enclins à considérer que ces autres mesures, dès lors qu’elles n’ont pas été écartées, s’appliquent1848.

Secundo, la question se pose de savoir si un contrat pourrait exclure et l’exécution en nature, et la résolution, pour ne laisser en substance au créancier que des dommages-intérêts. Certains auteurs y répondent par la négative1849. Peut-être conviendrait-il de distinguer suivant que le contrat est à exécution instantanée ou à exécution successive. Valable dans le premier cas, elle ne le serait pas dans le second, au moins pour l’avenir, dans la mesure où elle pourrait exposer le créancier à devoir s’exécuter sans pouvoir espérer la contrepartie promise.

Tertio, la question se pose également de savoir si une clause écartant ou aménageant certaines mesures de l’article 1217 C. civ. peut être invoquée en cas d’inexécution intentionnelle, voire dolosive ou même lourde. On songe évidemment au cas dans lequel un débiteur ferait exprès, certain de ne pas être condamnée à une mesure d’ores et déjà écartée par le contrat. Par analogie avec les conditions de validité des clauses limitatives de responsabilité1850 où avec les conditions posées aux limites qui concernent l’exécution en nature1851, on pourrait considérer que de telles clauses ne sont pas valables, au moins en cas d’inexécution intentionnelle.

456 Distinction entre deux types de mesure. On peut distinguer deux types de « mesures ».

En premier lieu, certaines mesures ont pour objet de contraindre le débiteur à quelque chose : l’exécution forcée en nature par le débiteur et la responsabilité contractuelle.

Elles supposent une inexécution imputable au débiteur et une décision du juge (voire dans certains cas, un autre titre exécutoire) est nécessaire pour la mise en œuvre de cette mesure.

En second lieu, d’autres mesures ont pour objet d’altérer le contrat : exception d’inexécution, réduction du prix, résolution du contrat, exécution en nature par un tiers.

Elles ne supposent pas une inexécution imputable au débiteur et une décision du juge n’est pas nécessaire pour la mise en œuvre de cette mesure : une notification est suffisante.

457 Incombance du créancier de mise en demeure : définition, rôles, dispense, notification1852. La mise en demeure est l’acte par lequel le créancier d’une obligation échue demande au débiteur de l’exécuter. Le débiteur est en principe mis en demeure de payer par une « sommation » ou un acte portant « interpellation suffisante » (C. civ., art 1344 1853.

Il incombe en principe au créancier de mettre en demeure le débiteur de s’exécuter avant de mettre en œuvre toute mesure en réaction à une inexécution1854. Par où l’on voit que la mise en demeure permet au débiteur de s’exécuter ou de corriger son exécution défectueuse dans un certain délai : elle lui ouvre un droit de correction (« right to cure »). Mais la mise en demeure joue également deux autres rôles : lorsqu’elle tend à l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent, elle fait courir les intérêts moratoires (C. civ., art 1231-6 et C. civ., 1344-1 et lorsqu'elle tend à l'exécution d'une obligation relative à une chose, elle transfère la charge des risques de la chose au débiteur (C. civ., art 1344-2. On comprend, en négatif, que le retard du débiteur ne produit pas d'effet particulier, dès lors qu'il n'a pas été mis en demeure, sauf à relever que la prescription a commencé à courir 1855.

En contrepoint, contrairement à ce que pensent parfois les contractants, la mise en demeure n’est pas une cause d’interruption de la prescription, à la différence d’une action en justice1856. Une clause pourrait néanmoins prévoir le contraire en ajoutant une telle cause d’interruption à la liste prévue par la loi à l’article 2254 al. 2 C. civ.1857.

L’exigence de mise en demeure est supplétive : une clause peut toujours en dispenser le créancier (C. civ., art. 1344). Au-delà, la mise en demeure, même non écartée par le contrat, n’est pas nécessaire lorsqu’elle est vaine, ce qu’a récemment jugé la Cour de cassation, au sujet de la résolution unilatérale : une mise en demeure n’a « pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine »1858. On trouvait dans la jurisprudence antérieure des illustrations de cette dispense :  le débiteur a fait savoir qu’il n’exécuterait pas ses obligations1859, l’inexécution de l’obligation est irrémédiablement acquise1860 (ce qui est prévu expressément à l’article 1231 C. civ. au sujet de la responsabilité contractuelle) ou encore le créancier fait jouer l’exception d’inexécution1861 (en raison de son rôle de défendeur lorsqu’il invoque l’exception). Dans tous ces cas, la mise en demeure est vaine.

La mise en demeure pourra être notifiée par tout moyen ou suivant les modes prévus au contrat. Si la sommation présente toutes les garanties que l’on peut attendre d’une notification, la lettre recommandée avec accusé de réception présente a priori, si on laisse de côté son coût modique, un certain nombre d’inconvénients qui tiennent aux contestations possibles quant au contenu de la lettre et à ce que le destinataire du courrier puisse ne pas aller le récupérer. S’agissant toutefois de ce dernier point, la Cour de cassation a jugé qu’une mise en demeure «  n'étant pas de nature contentieuse, les dispositions des articles 665 à 670-3 du code de procédure civile ne sont pas applicables et le défaut de réception effective par le débiteur de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité » 1862.

458 Preuve de l’inexécution, du retard dans l’exécution ou de la mauvaise exécution . D'après la loi, « [c]elui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver » (C. civ., art 1353 al. 1) et « [r]éciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. » (C. civ., art 1353 al. 1). Alors que l'alinéa 1 concerne l' existence de l’obligation, l’alinéa 2 porte sur son exécution.

D’où la question de savoir qui doit prouver quoi lorsque le créancier se plaint d'une inexécution, d'un retard dans l'exécution ou d'une mauvaise exécution. Est-ce au débiteur de rapporter la preuve qu'il s'est bien exécuté ou au créancier de rapporter la preuve du contraire ? Une certaine lecture de l'article 1353 al. 2 C. civ. pourrait laisser accroire que c'est invariablement sur le débiteur que pèse la preuve d'une bonne exécution. Elle heurte cependant l'article 9 du Code de procédure civile qui, en prévoyant qu'il « incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », laisse entendre que c'est davantage au créancier de rapporter la preuve d'une inexécution, d'un retard dans l'exécution ou d'une mauvaise exécution. Et, de fait, la jurisprudence est plutôt en ce sens 1865. En réalité, dans un souci de pragmatisme, il conviendrait de distinguer suivant qu’est invoquée une inexécution ou une mauvaise exécution1866 . Dans le premier cas, conformément à la lettre même de l'article 1353 al. 2 C. civ., ce devrait être au débiteur de rapporter la preuve qu'il s'est exécuté plutôt qu'au créancier de rapporter la preuve d'une inexécution, c'est-à-dire d'un fait négatif, preuve très difficile à rapporter (encore que la violation d'une obligation de ne pas faire consiste en un fait positif...). C'est probablement ce qui explique qu'il incombe à la partie débitrice d'une obligation précontractuelle d'information « de prouver qu'elle l'a fournie » (C. civ., art 1112-1 al. 4 1867 ). Dans le second cas, conformément à l'article 9 du Code de procédure civile, ce devrait être au créancier de rapporter la preuve qu'il y a eu exécution défectueuse (ou tardive, dès lors qu'elle a eu lieu), fait positif, plutôt qu'au débiteur de rapporter la preuve qu'il s'est bien exécuté.

Au demeurant, sans condamner explicitement l’exigence de la preuve d’un fait négatif, plusieurs décisions de la Cour EDH soulignent les grandes difficultés qu’elle pose1868 . Ceci explique peut-être que la Cour de cassation ait, visant notamment l'article 16 CPC qui pose le principe de la contradiction, censuré une décision qui avait exigé du débiteur qu'il rapporte la preuve de son défaut de convocation par le liquidateur pour la vérification des créances, au motif qu'il s'agissait d'une « preuve négative, impossible à rapporter » 1869. Rappelons qu’en vertu de la jurisprudence Dombo Beher, il découle des exigences du procès équitable que « dans les litiges opposant des intérêts privés, “l’égalité des armes” implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris ses preuves – dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire »1870.

La distinction entre fait négatif et fait positif trouve un écho particulier en matière de liquidation d’astreinte judiciaire. Ainsi la Cour de cassation considère-t-elle que « lorsqu'une astreinte assortit une décision de condamnation à une obligation de faire, il incombe au débiteur condamné de rapporter la preuve qu'il a exécuté son obligation »1871 et, inversement, qu’« il appartient au créancier d'une obligation de ne pas faire, demandeur à la liquidation de l'astreinte, de rapporter la preuve de la violation de l'interdiction mise à la charge du débiteur »1872. En sorte que la Cour de cassation n’exige jamais la preuve d’un fait négatif1873...

459 Plan. En vertu de l’article  1217 C. civ., le créancier peut refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation : c’est l’exception d’inexécution (§ I) ; il peut obtenir l’exécution en nature de l’obligation, par le débiteur ou par un tiers (§ II) ; il peut obtenir une réduction du prix (§ III) ; il peut provoquer la résolution du contrat (§ IV) ; il peut demander réparation des conséquences de l’inexécution (§ V).

Droit spécial : du dépôt Les règles relatives au dépôt illustrent la règle générale de l’article 1344-2 : « Le dépositaire n’est tenu, en aucun cas, des accidents de force majeure, à moins qu’il ait été mis en demeure de restituer la chose déposée » (art. 1929).

Aménagements conventionnels Différentes clauses peuvent aménager l'exigence de mise en demeure, dans un sens favorable à l'une ou l'autre des parties : « le créancier pourra mettre en œuvre toute mesure prévue à l'article 1217 du Code civil, sans mise en demeure préalable du débiteur » ; « une mise en demeure ne sera pas nécessaire en présence de [telles inexécutions] » ; « une mise en demeure devra précéder l'assignation en justice » ; etc. En matière de prêt de somme d’argent, la Cour de cassation décidait traditionnellement qu’une clause de déchéance du terme en cas de défaillance de l'emprunteur non commerçant supposait, « sauf disposition expresse et non équivoque », « une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle »1863. Mais, en droit de la consommation, la Cour de justice semble encline à y voir des clauses abusives1864.

§ I - L’exception d’inexécution

460 Premières vues. L’exception d’inexécution permet à une partie (l’excipiens) de suspendre l’exécution de telle(s) de ses obligations en raison de l’inexécution avérée (C. civ., art 1219 « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ») ou d’une inexécution certaine à l’échéance (C. civ., art 1220 « Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais »)1874 par l’autre partie de ses propres obligations, dès lors que cette inexécution est imputable au débiteur1875 ou à un cas de force majeure1876 et que les obligations sont connexes1877, en ce qu’elles découlent d’un même contrat ou d’un même ensemble contractuel1878.

Conformément aux principes régissant la charge de la preuve, c’est bien évidemment à celui qui invoque l’exception d’inexécution de rapporter la preuve que les conditions en sont réunies1879.

Toutefois, manifestation de la loi du talion, l’exception d’inexécution apparaît être un principe au domaine le plus large, susceptible de jouer en dehors de la matière contractuelle stricto sensu. C’est ce que décidait la jurisprudence, d’une part, s’agissant des restitutions consécutives à un anéantissement du contrat1880 et, d’autre part, en matière quasi contractuelle1881. Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour de cassation en a semble-t-il implicitement écarté le jeu en matière de restitutions1882.

Pas plus que toute autre mesure à la disposition du créancier en cas d’inexécution, l’exception d’inexécution ne saurait être par principe considérée comme étant d’ordre public. Et ce, d’autant plus qu’elle est une mesure temporaire, dont la mise à l’écart ne prive le créancier d’aucune des mesures définitives que lui offre l’article  1217 C. civ. . La mise à l’écart de l’exception d’inexécution se comprend tout particulièrement chaque fois que les parties auront souhaité que l’une d’entre elles ne puisse se voir reprocher la mauvaise exécution de ses obligations pour que l’autre refuse d’exécuter les siennes, lorsque l’appréciation de la bonne ou mauvaise exécution est particulièrement délicate. Et, en général, chaque fois qu’il est prévu, par le contrat ou par la loi1885, que les obligations s’exécutent dans un certain ordre1886, celle des parties devant s’exécuter en premier est privée du droit d’invoquer l’exception d’inexécution avérée (par où l’on mesure l’importance de pouvoir invoquer l’exception de risque d’inexécution).

Il reste qu’il y a quelque chose d’a priori gênant à ce qu'une partie puisse être contrainte de s'exécuter alors que l'autre ne s'exécute pas. C'est la raison pour laquelle la mise à l'écart du mécanisme doit être examinée avec circonspection dans les contrats d'adhésion, surtout lorsqu'une seule partie est privée de son bénéfice : elle pourrait alors largement contribuer à constituer un déséquilibre significatif (C. civ., art 1171 C. com., art. L. 442-1, I). Il n'est d'ailleurs pas étonnant que l'article R. 212-1 du Code de la consommation prévoie que, dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives les clauses qui ont pour objet ou effet de « contraindre le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service » 1887.

Inversement, il est des cas très particuliers où l’exécution de la prestation par une partie répond à un besoin si impérieux pour l’autre que le législateur a estimé qu’il n’était pas permis à la première de refuser de s’exécuter au cas où la seconde ne se serait pas exécutée. Primo , l'article L. 115-3 du Code de l'action sociale et des familles prévoit, au titre des dispositifs de lutte contre la pauvreté et les exclusions, un dispositif aménageant l'exception d'inexécution, voire la supprimant. Ainsi, en cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie et d'eau, un service téléphonique et un service d'accès à internet sont maintenus jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide que le client peut obtenir auprès de la collectivité. Par ailleurs, durant une période de « trêve hivernale » (du 1 er novembre de chaque année au 31 mars de l'année suivante), les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Et c’est tout au long de l’année que ces mesures profitent au client des distributeurs d'eau, l’eau étant un « besoin essentiel » des personnes1888. Secundo , en matière de procédure collective, chaque fois que le débiteur est placé en sauvegarde ou en redressement judiciaire, la loi prévoit que son « cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif » (C. com., art. L. 622-13, I). Il en va en effet de la survie de l'entreprise. S'agissant d'éventuels manquements du débiteur postérieurs au jugement d'ouverture, sauf accord du créancier pour poursuivre les relations, le contrat sera résilié « de plein droit » (C. com., art. L. 622-13, III). Ces règles valent également aujourd'hui si le débiteur fait l'objet d'une liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-11-1.

461 Distinction avec le droit de rétention. Le droit de rétention permet à son titulaire de refuser de restituer un bien appartenant à son débiteur tant que ce dernier ne l’a pas payé. Si le mécanisme du droit de rétention participe de la logique de l’exception d’inexécution, leur domaine est doublement distinct1890. Primo, le droit de rétention ne peut être invoqué que par le débiteur d’une obligation de restitution alors que l’exception d’inexécution vaut quel que soit l’objet de l’obligation. Secundo, si l’exception d’inexécution est cantonnée à la matière contractuelle, le droit de rétention peut être invoqué quelle que soit l’origine de l’obligation dont son titulaire demande l’exécution, dès lors que celle-ci présente un lien de connexité avec la détention.

462 Distinction. La loi distingue aujourd’hui deux hypothèses d’exception d’inexécution, l’exception d’inexécution avérée et l’exception de risque d’inexécution, dont il convient d’envisager les conditions, la mise en œuvre et les effets.

463 Conditions de fond. Exception d’inexécution avérée ( C. civ., art 1219 1891. L’exception d’inexécution avérée suppose une inexécution, totale ou partielle, qui soit « suffisamment grave »1892 de la part du débiteur d’une obligation exigible. En réalité, ce n’est pas tant la gravité du manquement que le caractère proportionné de l’inexécution envisagée en représailles par le créancier qui devrait importer1893. Là encore, la loi du talion. Le rapport au président de la République le confirme : l’exception d’inexécution « ne peut être soulevée par le créancier que si l'inexécution présente un caractère suffisamment grave, et ne peut donc être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée ». Dans cette perspective, on pourrait admettre que la victime d’une inexécution partielle puisse à son tour ne s’exécuter que partiellement ? Pourquoi la logique serait-elle celle du tout ou rien1894 ? L'article 1342-4 qui prévoit que le « créancier peut refuser un paiement partiel » ici inopérant, car il a vocation à s'appliquer en dehors de toute hypothèse d'inexécution.

465 Conditions de fond. Exception de risque d’inexécution ( C. civ., art 1220 1895. L’exception de risque d’inexécution suppose une inexécution « manifeste » à l’échéance d’une obligation qui n’est pas encore exigible et dont les « conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ». Si l'article 1219 C. civ. vise une inexécution suffisamment grave alors que l'article 1220 C. civ. se réfère aux conséquences suffisamment graves pour l’excipiens, il ne semble pas qu’il faille en tirer des conséquences1896. En tout état de cause, une fois encore, il convient de relever que ce n’est pas tant la gravité du manquement que le caractère proportionné de l’inexécution envisagée en représailles par le créancier qui devrait importer.

La disposition de l’article  1220 C. civ. constitue une rupture avec le droit antérieur à la réforme. En effet, l’exception de risque d’inexécution n’était pas prévue par la loi et pas davantage admis par la jurisprudence, au moins de manière générale.

Non pensé en contemplation du droit des procédures collectives, l’article  1220 C. civ. pourrait, comme certains l’ont relevé, provoquer la défaillance de cocontractants déjà fragiles1898. Si l’on ne saurait refuser aux créanciers la possibilité de se prévaloir de cette disposition avant le jugement d’ouverture, certains ont suggéré, avec des nuances, qu’il ne puisse l’être après1899.

465 Mise en œuvre. Exception d’inexécution avérée. Lorsqu’il est question de l’exception d’inexécution avérée, une mise en demeure préalable n’est pas nécessaire1908 – à moins qu’il n’en soit autrement stipulé – préalablement à la mise en œuvre de l’exception d’inexécution, car il s’agit là d’un moyen de défense1909. Une notification de la mesure n’est pas davantage exigée, encore qu’en pratique, celle-ci aura le plus souvent lieu en réponse à une demande d’exécution.

466 Mise en œuvre. Exception de risque d’inexécution. Lorsqu’il est question de l’exception de risque d’inexécution, une mise en demeure n’est toujours pas exigée par le texte, mais une notification de la mesure l’est, puisqu’il est indiqué que « la suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ».

Il est regrettable que le texte n’exige pas une mise en demeure de celui contre qui l’exception d’inexécution devrait être opposée : elle laisserait à ce dernier l’occasion de justifier, le cas échéant, que les conditions d’application du mécanisme ne sont pas remplies, en offrant les gages d’une exécution satisfaisante au terme prévu ou, à tout le moins, l’absence de caractère « manifeste » de l’inexécution. La jurisprudence gagnerait donc à poser une telle exigence, en marge du texte.

467 Observation de procédure. L’expression d’« exception d’inexécution » ne doit pas induire en erreur. D’un point de vue processuel, ce n’est ni une exception de procédure que l’on opposerait à une demande1913 et devant être soulevée in limine litis1914, ni une fin de non-recevoir que l’on opposerait à l’examen au fond du litige1915. C’est une simple défense au fond.

468 Effets : Suspension et portée de la suspension. L’exception d’inexécution est un mécanisme provisoire en ce qu’elle a pour effet de suspendre l’exécution du contrat. Si l’inexécution se poursuit, d’autres mesures, définitives, devront être mises en œuvre : la résolution du contrat, l’exécution en nature, etc. Elles devront l’être, afin d’éteindre des obligations qui ne sont que suspendues1916.

Si l’article  1217 C. civ. indique que le créancier peut « suspendre ou refuser d'exécuter » ses obligations, que l'article 1219 C. civ., relatif à l'exception d'inexécution avérée, indique que l' excipiens peut « refuser d'exécuter son obligation » et que l'article  1220 C. civ., relatif à l'exception de risque d’inexécution, indique que l’excipiens peut « suspendre l'exécution de son obligation », rien ne permet de considérer qu’il y a une différence entre les deux mécanismes. En réalité, on conçoit bien dans les deux cas que l’excipiens « refuse » de commencer à s’exécuter ou qu’il « suspende » l’exécution de l’obligation qui avait commencé.

Reste à s’interroger sur la portée de la suspension. La Cour de cassation considère, au moins s’agissant de l’exception d’inexécution de l’article 1219 C. civ., que sa mise en œuvre ne vaut pas résiliation du contrat ou même suspension de tout le contrat. Il en résulte, en présence d’un contrat à exécution successive, que le créancier victime pourra dans certains cas obtenir le paiement d’une prestation qu’il n’aura pas fourni le temps de la suspension de ses obligations1917. Il y a là manifestement une différence avec la suspension prévue à l’article 1218 C. civ., en cas de d’inexécution du contrat imputable à un cas de force majeure1918.  

Droit spécial : de l’exception d’inexécution dans les crédits liés du Code de la consommation S'agissant de certains crédits liés à une opération financée et régis par le Code de la consommation, il est prévu que l'emprunteur puisse suspendre le remboursement de son prêt en cas d'inexécution par le cocontractant de l'emprunteur du contrat financé (C. consom., art. L. 312-55 1883 et C. conso., L. 313-44 1884). Toutefois, singularité notable, la suspension doit être décidée par le tribunal.

Droit spécial : de l’exception d’inexécution à sens unique dans les contrats administratifs Alors que la personne publique peut opposer à une personne privée avec qui elle a conclu un contrat administratif l’exception d’inexécution, l’inverse n’est pas vrai, ainsi que le décide le Conseil d’État : « le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles »1889.

Droit spécial : de la vente En droit interne, en vertu de l’article 1653, si « l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble, l’acheteur paiera ». Ce texte constitue une illustration du mécanisme de l’exception de risque d’inexécution dans la vente. Mais ainsi qu’il est interprété par la jurisprudence, il fait obligation à l’acquéreur de « mettre le vendeur en mesure d’exercer la faculté [reconnue par ce texte] moyennant la cessation du trouble ou la fourniture d’une caution, d’obliger l’acquéreur au paiement »1897. Autrement dit, l’acheteur doit, d’une certaine mesure, mettre en demeure le vendeur, avant de pouvoir opposer sa faculté de suspendre le paiement du prix. En droit international, d’après l’article 71 de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, « 1) Une partie peut différer l’exécution de ses obligations lorsqu’il apparaît, après la conclusion du contrat, que l’autre partie n’exécutera pas une partie essentielle de ses obligations du fait : a) d’une grave insuffisance dans la capacité d’exécution de cette partie ou sa solvabilité ; ou b) de la manière dont elle s’apprête à exécuter ou exécute le contrat. 2) Si le vendeur a déjà expédié les marchandises lorsque se révèlent les raisons prévues au paragraphe précédent, il peut s’opposer à ce que les marchandises soient remises à l’acheteur, même si celui-ci détient un document lui permettant de les obtenir. Le présent paragraphe ne concerne que les droits respectifs du vendeur et de l’acheteur sur les marchandises. 3) La partie qui diffère l’exécution, avant ou après l’expédition des marchandises, doit adresser immédiatement une notification à cet effet à l’autre partie, et elle doit procéder à l’exécution si l’autre partie donne des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations ». La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 reconnaît donc, dans certains cas – très généraux –, le mécanisme de l’exception de risque d’inexécution. Il est intéressant d’observer qu’il est expressément mis à la charge de la partie qui entend s’en prévaloir un devoir d’« adresser immédiatement une notification » à l’autre, et qu’elle ne peut s’en prévaloir « si l’autre partie donne des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations ». Il est donc prévu un mécanisme permettant à celui dont on craint qu’il ne s’exécutera pas de rapporter la preuve qu’en réalité, il s’exécutera bien et, ce faisant, empêcher la suspension du contrat...

Point sensible : de l’ordre d’exigibilité des obligations Une question d’importance est celle de la date d’exigibilité des obligations d’un contrat, lorsqu’aucun terme stipulé ne vient suspendre l’exigibilité des obligations des parties1900. Le principe est-il celui d’une synchronie ou d’une diachronie ? Les obligations des parties sont-elles exigibles au même moment (immédiatement ou au terme d’un délai identique), en sorte que chacune peut invoquer l’exception d’inexécution (avérée)1901 ? Ou bien est-ce que l’exigibilité des obligations d’une des parties suppose que l’autre ait préalablement exécuté les siennes, auquel cas l’exception d’inexécution avérée ne pourrait être invoquée que par celle des parties devant s’exécuter en second et l’exception de risque d’inexécution, que par celle des parties devant s’exécuter en premier1902 ? Le droit français ne comporte pas de solution de principe1903 et il existe peu de solutions particulières, à tout le moins dans la loi. On peut néanmoins apporter quelques éléments de réponse. Primo, en tout état de cause, il appartient aux parties de déterminer – ou non – un ordre d’exécution ou non. Cela vaut même en principe en présence de règles particulières, car la matière ne relève pas de l’ordre public. Secundo, il est des contrats pour lesquels il n’y a pas de difficulté particulière parce que, par essence, les obligations sont diachroniques. Ainsi, dans un prêt consensuel, la restitution est nécessairement consécutive à la remise de la chose prêtée. Et lorsqu’un entrepreneur travaille sur plan, on comprend qu’on ne pourra exiger de lui qu’il fournisse son travail avant qu’il ait obtenu les plans. Tertio, il est des contrats pour lesquels il existe des solutions particulières, légales ou jurisprudentielles. S’agissant du contrat de vente, deux textes envisagent la difficulté consistant à déterminer si l’acheteur et le vendeur doivent tous deux s’exécuter dès la conclusion de la vente ou bien si l’un d’entre eux doit s’exécuter en premier. D’après l’article 1612, le « vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement », laissant entendre que l’acheteur doit s’exécuter en premier. Quant à l’article 1651, il prévoit que s’il « n’a rien été réglé à cet égard lors de la vente, l’acheteur doit payer au lieu et dans le temps où doit se faire la délivrance », laissant entendre – moins clairement – au contraire que c’est le vendeur qui soit s’exécuter en premier. Très souvent, cette difficulté est envisagée par le contrat. Ainsi, s’agissant de la vente d’immeubles, il est systématiquement prévu que le transfert de propriété sera subordonné au paiement du prix par l’acquéreur. Lorsque la difficulté n’est pas envisagée, la jurisprudence a semble-t-il tranché : « sauf convention particulière, l’obligation, pour l’acheteur, de payer le prix de vente résulte de l’exécution complète, par le vendeur, de son obligation de délivrance »1904. S’agissant du contrat de bail, la jurisprudence a considéré qu’il « appartient au bailleur, tenu de délivrer la chose louée, de prouver qu'il s'est libéré de son obligation en remettant les clefs au locataire » avant de pouvoir exiger le paiement des loyers1905. Dans le secteur de la construction, les textes du Code de la construction et de l’habitation prévoient souvent un échéancier en vertu duquel le constructeur ne peut appeler qu’à certaines étapes les sommes qui lui sont dues par le client1906. Il est probablement possible d’inférer, de ces décisions, un principe, d’ailleurs conforme aux usages, suivant lequel l’obligation de payer une somme d’argent n’est exigible qu’une fois que la prestation qui en constitue la contrepartie est réalisée. Ce qui se comprend aisément dans la mesure où la dette de somme d’argent ne sera souvent liquidée ou « reliquidée » en considération de la qualité ou de la durée effective de la prestation reçue en contrepartie. Mais là encore, bien entendu, libre aux parties de déroger à un tel ordre, notamment parce que le coût d’exécution de la prestation non monétaire est tel qu’une avance serait la bienvenue... Quarto, chaque fois que, dans un contrat, une obligation d’une des parties est continue (ex. assurer la jouissance d’un bien) et celle de l’autre instantanée (ex. payer une somme d’argent), la question se pose en des termes un peu différents. La question doit être légèrement reformulée : elle est celle de savoir si l’obligation à exécution instantanée est exigible avant, après ou pendant l’exécution de l’obligation à exécution continue. Lorsque la loi ne prévoit pas de solution, le contrat en prévoit le plus souvent1907.

Droit spécial : de la mise en demeure parfois exigée Primo, en droit des assurances, à défaut de paiement en tout ou partie d’une prime, « dans les dix jours de son échéance, et indépendamment du droit pour l’assureur de poursuivre l’exécution du contrat en justice, la garantie ne peut être suspendue que trente jours après la mise en demeure de l’assuré (...) »1910. Autrement dit, le mécanisme de l’exception d’inexécution est ici subordonné non seulement à une inexécution bien définie (un retard de paiement de dix jours), mais aussi à une mise en demeure de trente jours restée infructueuse. Secundo, en droit de la construction, lorsque le maître de l’ouvrage doit garantir à l’entrepreneur les sommes dues1911 et qu’il ne recourt pas à un crédit spécifique ou seulement partiellement, à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective. Tant qu'aucune garantie n'a été fournie et que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, « celui-ci peut surseoir à l'exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l'issue d'un délai de quinze jours. »1912. Là encore, le mécanisme de l’exception d’inexécution est encore subordonné à une mise en demeure restée infructueuse, ici de quinze jours.

Point sensible : de l’exception d’inexécution définitive ? Un cas difficile se présente lorsque le jeu de l’exception d’inexécution empêchera irrémédiablement l’exécution du contrat. C’est le cas chaque fois que l’obligation dont est tenue l’excipiens doit être exécutée à telle date ou avant telle date et que l’invocation de l’exception suspendra l’exécution de l’obligation pendant une durée telle que toute exécution à temps devient impossible1919. Dans de tels cas, il est difficile de continuer à parler d’exception d’inexécution. Cette difficulté rejoint celle déjà rencontrée du caractère temporaire ou définitif de l’inexécution1920.

Aménagements conventionnels Il est possible de supprimer toute mesure d’exception d’inexécution, de préférer un système de suspension judiciaire en vertu duquel seul le juge pourra suspendre l’exécution du contrat, ou d’énumérer les obligations ou des inexécutions qui donneront lieu au jeu de ces mesures.

§ II - L’exécution en nature

469 Plan. Distinguons deux hypothèses très différentes : l’exécution forcée en nature par le débiteur (A) et l’exécution en nature par un tiers (B).

A - L’exécution en nature par le débiteur

470 Principe. Le créancier d’une obligation « peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi1921 et son intérêt pour le créancier » (C. civ., art 1221.

L’exécution en nature est, comme toutes les mesures prévues à l’article 1217 C. civ., à la disposition du créancier : le créancier est donc en mesure par principe d’exiger l’exécution de la prestation due par le débiteur (C. civ., art. 12171922 , C. civ., 1341 1923 et CPC exéc., art. L. 111-11924)1925, sans que ce dernier puisse se libérer par le paiement de dommages-intérêts. Dès lors que l’exécution en nature revient à exécuter le contrat dans les termes mêmes de celui-ci – même en retard –, la question se pose de savoir si le débiteur peut réciproquement l’imposer au créancier qui préfèrerait mettre en œuvre une autre mesure, par exemple réclamer des dommages-intérêts. La réponse est à ce jour incertaine. Si l’article 1217 C. civ. laisse à penser que le choix de la mesure répondant à une inexécution est au seul choix du créancier, certains arrêts antérieurs à la réforme du droit des contrats, mais pas tous1926, avaient laissé entendre que le débiteur pouvait imposer une exécution en nature du contrat1927. En tout état de cause, une telle prérogative appartient bien au débiteur lorsqu’il est mis en demeure de s’exécuter, le temps de cette mise en demeure.

471 Distinction avec la réparation en nature ? Faut-il distinguer suivant que ce que demande le créancier victime de l’inexécution est l’exécution de l’obligation originaire (exécution en nature) ou la correction d’une exécution défectueuse de ladite obligation (réparation en nature)1928 ? L’enjeu de la distinction tiendrait à ce que (i) la réparation en nature, conséquence de la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur, suppose la démonstration d’un préjudice causé par l’inexécution, à la différence de l’exécution en nature, qui suppose la seule démonstration d’une inexécution, et à ce que (ii) l’exécution en nature est, comme on l’a vu1929, un droit pour le créancier, alors que la réparation en nature est une faculté pour le juge1930.

Certes, en théorie, l’exécution en nature et la réparation en nature n’ont pas le même objet : l’exécution en nature concerne l’obligation, qu’il s’agit d’exécuter, et la réparation en nature, concerne le préjudice, qu’il s’agit de réparer. Certes, en réparant en nature le préjudice, c’est comme si l’obligation avait été exécuté en nature1931… Mais, en réalité, il faut distinguer : condamner le fabricant à reprendre des malfaçons ne pose pas les mêmes difficultés que condamner un transporteur à réparer un objet endommagé. Dans le premier cas, le débiteur exécute in fine ce à quoi il s’était engagé alors que dans le second, il exécute une prestation bien différente de celle à laquelle il s’était engagé1932.

Quoi qu’il en soit, la jurisprudence offre quantité d’exemples dans lesquels le juge condamne le débiteur à exécuter une prestation autre que celle exactement promise, lorsque cela permet in fine, d’aboutir au résultat initialement promis : corriger une exécution défectueuse du contrat1933, cesser la contravention à une obligation de ne pas faire1934, etc. La question se pose néanmoins de déterminer, en matière contractuelle, jusqu’à quel point le juge peut imposer au débiteur la réalisation d’une prestation distincte de celle à laquelle il s’était engagé.

472 Conditions de fond. Toute inexécution, sans condition de gravité, peut donner lieu à une telle mesure. Toutefois, l’exécution en nature ne doit pas être impossible et disproportionnée.

S’agissant de la première condition, l’impossibilité peut être matérielle (ex. la chose vendue a péri) juridique (ex. la chose vendue a été acquise par un tiers ayant acquis un droit incontestable sur la chose1935) ou morale (condamner le débiteur à s’exécuter en nature porterait une atteinte excessive à sa liberté individuelle1936).

S’agissant de la seconde condition, la loi vise la « disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». L’introduction d’une règle de proportionnalité, propre à l’action en exécution en nature1937, est une réaction à un principe dogmatique qui avait pu être perçu comme étant à la source de décisions heurtant l’équité 1938. La règle nouvelle avait été annoncée par plusieurs arrêts1939 et un arrêt postérieur à la réforme a consommé le revirement1940.

Comme le souligne le rapport au président de la République, la « nouvelle exception vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit. Le texte proposé s’analyse en une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue ». Il s’agirait donc – restons prudent, le rapport n’a pas force de loi – de mettre en perspective l’extrême onérosité de l’exécution pour le débiteur et l’absence de véritable intérêt pour le créancier. Si l’onérosité devrait être appréciée objectivement – commencerait-on à discriminer suivant la fortune des uns et des autres ? –, il en ira probablement différemment de l’absence d’intérêt pour le créancier – au fond, les intérêts des uns ne sont pas forcément ceux des autres.

Quant au résultat de la mise en perspective, il devra révéler une « disproportion manifeste » suivant le texte, ce qui appelle une grande réserve des juges, une interprétation stricte. Gageons que si la question paraît être de fait, la Cour de cassation donnera des directives en droit. En tout état de cause, seul le débiteur de bonne foi pourra invoquer cette limite, ainsi que le prévoit l’article  1221 C. civ., tel qu’il a été amendé par la Loi de ratification. La portée de cette adjonction est claire : éviter que la nouvelle limite à l’exécution forcée en nature soit « une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser »1941 et empêcher le débiteur de faire de sa faute, une faute lucrative.

N’eut-il toutefois pas été préférable de laisser la jurisprudence y faire échec grâce aux concepts de fautes intentionnelle, dolosive voire lourde ? D’ailleurs, en ne visant que le débiteur de mauvaise foi, ne faut-il pas considérer que la limite puisse être invoquée par l’auteur d’une faute lourde ?

La question du champ d’application de cette limite au jeu de l’exécution en nature soulève plusieurs difficultés.

Primo, ne doit-elle pas jouer lorsque le créancier, sans réclamer l’exécution en nature, sollicite une mesure équivalente, telle qu’une mesure de remplacement1942 ou des dommages-intérêts lui permettant d’exécuter lui-même la prestation promise ? Saisie de cette difficulté, la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation a considéré que le contrôle de proportionnalité prescrit par l’article 1221 C. civ. devait jouer en cas de demande de dommages-intérêts égal au coût de la démolition et reconstruction d’un ouvrage non conforme1943.

Secundo, si cette limite joue à l’occasion d’une action en responsabilité contractuelle (v. ci-dessus), est-ce encore le cas en matière de responsabilité extracontractuelle ? La Cour de cassation y a répondu par la négative, en raison du principe de réparation intégrale1944. Il reste que cette différence de traitement entre la responsabilité contractuelle et extracontractuelle soulève des problèmes dès lors que l’on sait que, d’après la jurisprudence, tout manquement contractuel ayant causé un dommage à un tiers engage la responsabilité contractuelle de son auteur1945. Si cette logique devait être poussée à son bout, voici qu’un coloti pourrait se voir opposer la disproportion d’une demande de destruction de l’ouvrage irrégulier, mais pas un tiers !  

Tertio, la Cour de cassation juge déjà depuis un certain temps, en matière de contrat de construction de maison individuelle, qu’en cas d’annulation dudit contrat pour méconnaissance des règles impératives qui l’encadrent, le juge ne peut ordonner la démolition-reconstruction de l’ouvrage si elle est disproportionnée1946.

473 Mise en œuvre. Le débiteur ne peut être contraint de s’exécuter en nature, qu’après avoir été mis en demeure (l’assignation pouvant semble-t-il valoir mise en demeure), par une décision de justice.

Une décision de justice condamnant le débiteur à s’exécuter en nature ne garantit toutefois pas au créancier l’exécution effective par le débiteur de ses obligations. Ce n’est pas parce que le débiteur est condamné par le juge à s’exécuter qu’il le fera. Afin de l’inciter à le faire, une astreinte pourra être prononcée1947 par tout juge, même d’office, en vue d’assurer l’exécution de sa décision. Si le débiteur persiste à ne pas exécuter la décision le condamnant à s’exécuter en nature, le créancier devra réclamer au juge de l’exécution une mesure d’exécution forcée contre le patrimoine du débiteur : une saisie de ses biens ou de ses comptes notamment1948. Il ne peut guère s’agir que dans un cas d’une mesure contre la personne : l’expulsion1949.

Aménagements conventionnels Il est en principe possible de supprimer la possibilité pour le créancier d’obtenir l’exécution en nature (clause favorable au débiteur). Mais est-il permis de supprimer certaines limites à la possibilité pour le créancier de l’obtenir (clause favorable au créancier) ? S'il n'est guère concevable d'écarter la limite tenant à l'impossibilité d'exécution, les choses sont différentes s'agissant de celle tenant à la disproportion de la mesure. Certes, le devoir de bonne foi étant d'ordre public (C. civ., art 1104, une clause ne devrait pouvoir permettre au créancier de demander de mauvaise foi l'exécution en nature (le créancier qui n'aurait aucun intérêt à l'exécution, si ce n'est celui d'importuner le débiteur). Mais si le créancier est de bonne foi, on ne voit pas qu'une clause du contrat ne puisse, quoi qu'il en coûte au débiteur, lui permettre de demander l'exécution en nature 1950.

B - L’exécution en nature par un tiers

474 Principe. Le créancier peut, « après mise en demeure », « dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci » (C. civ., art 1222.

Cette disposition permet au créancier de faire détruire ce que le débiteur a fait et qu’il ne devait pas faire (ex. une construction non conforme aux cahiers des charges d’un lotissement1951) ou de faire faire par un tiers ce que le débiteur n’a pas fait (ex. une réparation, un approvisionnement).

475 Conditions de fond. Toute inexécution peut donner lieu à une telle mesure, pourvu qu’elle soit d’« un coût raisonnable »1952. Même si le texte ne le prévoit pas, l’exécution de l’obligation par un tiers suppose non seulement qu’elle soit objectivement possible, mais aussi que le contrat n’ait pas été conclu en considération d’une qualité du débiteur qu’on ne retrouverait pas chez le tiers1953.

476 Mise en œuvre. Quant à la mise en œuvre de la mesure, elle ne suppose pas une résiliation du contrat avec le débiteur récalcitrant1954, mais une mise en demeure de ce dernier. Au-delà, la réforme a considérablement modifié l’état du droit.

Avant la réforme, une décision du juge était nécessaire sauf dans la vente commerciale1955 et dans le bail, en cas d’urgence1956.

Depuis la réforme, il faut distinguer. S’agissant de l’exécution de l’obligation par un tiers, une autorisation du juge n’est plus nécessaire puisqu’une simple notification suffit, après mise en demeure. L’autorisation du juge n’est requise désormais que lorsque le créancier souhaite obtenir du débiteur une avance afin de financer le remplacement. S’agissant de la destruction faite par un tiers qui n’y avait pas droit, une autorisation du juge sera toujours requise, après mise en demeure, en raison du caractère irrémédiable de la destruction, des difficultés de preuve une fois la destruction réalisée et de l’atteinte, le plus souvent, aux droits fondamentaux du débiteur, en particulier son droit de propriété.

Aménagements conventionnels Outre la suppression de la mesure ou sa judiciarisation, lorsqu'elle peut être effectuée par notification, la limite tenant aux « coûts raisonnables » pourrait être supprimée ou précisée, en réservant toujours la bonne foi du créancier, d'ordre public (C. civ., art 1104.

§ III - La réduction de prix

477 Principe. Le créancier peut, « [e]n cas d’exécution imparfaite de la prestation, (...) après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. Si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix » (C. civ., art 1223.

478 Une réfaction. La réduction de prix, en tant que sanction d’un contrat ayant fait l’objet d’une exécution imparfaite, est une forme de réfaction du contrat en ce que la mesure permet de refaire le contrat en modifiant unilatéralement le prix convenu.

La réfaction se distingue de la responsabilité, en ce qu’elle n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice – une clause limitative de responsabilité devrait ainsi être sans application –, et de la résolution, en ce qu’elle n’emporte pas un anéantissement du contrat et des restitutions, parfois complexes. S’il est concevable de combiner une réduction de prix avec une action en responsabilité (en vue de réparer les préjudices consécutifs à l’exécution défectueuse : l’inexécution a pu emporter des préjudices externes), il ne l’est pas de combiner une réduction de prix avec une résolution, c’est-à-dire le maintien du contrat avec son anéantissement...

479 Nouveauté ? Avant la réforme du droit des contrats, la réfaction par modification du prix n’était pas une mesure connue en droit commun, ainsi que l’avait décidé la Cour de cassation1957. Mais il en allait et il en va toujours autrement en droit spécial.

Depuis la réforme, la réfaction par modification du prix devient une mesure du droit commun des contrats, ce qui pose la question de son articulation avec les règles spéciales. Il est possible que ces règles spéciales, au moins lorsqu’elles sont prévues en législation, tiennent à l’écart la règle de droit commun en raison d’incompatibilités : la réduction de prix suppose en droit spécial souvent une inexécution d’une certaine gravité (vice rendant la chose impropre à son usage, surface manquante de cinq pour cent, etc.) et une décision du juge (à l’exception de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 19801964).

480 Conditions de fond. Seule une exécution imparfaite, peu important sa gravité, peut donner lieu à une telle mesure. Ainsi, dans une vente, l’inexécution consistera dans la délivrance de marchandises d’une autre qualité ou en d’autres quantités que celles convenues. L’inexécution totale en revanche ne devrait pas donner lieu à une telle mesure, qui vise l’« inexécution imparfaite »1965 : on ne voit pas d’ailleurs comment le prix pourrait être réduit, encore que dans certains cas d’exécution imparfaite, une réduction du prix à zéro se conçoit1966. La question de savoir si l’exécution tardive pourra donner lieu à une réduction de prix aura tôt fait de se poser. Certes, elle peut être envisagée comme une « exécution imparfaite », mais le prononcé d’une mesure de réduction de prix suppose une mise en demeure du débiteur demeurée infructueuse. Or si, en cas de retard, le débiteur s’exécute à la suite de la mise en demeure, pourquoi (et dans quelle mesure) y aurait-il réduction de prix ? Et s’il ne s’exécute pas, l’on est en présence d’une inexécution totale.

L’inexécution qui serait imputable, non au débiteur, mais à un cas de force majeure, pourrait-elle donner lieu à un cas de force majeure ? Certes, les articles 1351 et 1351-1 prévoient uniquement qu’un cas de force majeure peut avoir pour effet de suspendre ou de résoudre un contrat. Toutefois, dès lors qu’une réduction de prix n’est pas une mesure de condamnation du débiteur de l’obligation inexécutée1967, on ne voit pas pourquoi une inexécution devrait lui être imputable. C’est d’ailleurs la solution retenue par la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, qui prévoit que la réduction de prix est possible même en présence d’un cas de force majeure1968.

481 Mise en œuvre : modalités de la réduction du prix. S’agissant des modalités de réduction du prix, deux modèles peuvent être retenus.

Suivant un premier modèle, le prix réduit correspondra à la valeur de la prestation effectuée, en sorte que la réduction de prix sera égale à la différence entre le prix convenu et la valeur de la prestation effectuée. Ce système, dont l’avantage réside dans la simplicité, a pour inconvénient de reposer sur une donnée qui n’est pas toujours exacte, sur l’idée que le prix convenu pour la prestation correspondait à sa valeur sur le marché (on peut en effet convenir d’un prix qui n’égale pas cette valeur...).

C’est pourquoi, afin de ne pas revenir sur l’équilibre (ou le déséquilibre)1969 qui affectait initialement l’opération, on pourrait préférer un second modèle, proportionnel : le prix réduit sera égal au prix payé affecté d’un coefficient d’imperfection, correspondant au rapport entre la valeur de la prestation défectueuse et la valeur de la prestation convenue. C’est le système retenu par la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (art. 50), étant précisé que les valeurs de référence prises en compte sont appréciées « au moment de la livraison » (ibid.).

À suivre ce modèle, si l’acheteur est convenu de payer 100 des marchandises qui, conformes, valaient 90 (il les a payées au-dessus du prix du marché), et qu’il s’est vu livrer des marchandises valant 45 en raison de leur non-conformité, il devra 100*45/90, soit 50. Au contraire, si l’acheteur est convenu de payer 80 les mêmes marchandises (il les a payées en dessous du prix du marché), le prix réduit sera de 80*45/90, soit 40. Dans le premier cas, le premier modèle est moins avantageux que le second alors que dans le second cas, c’est l’inverse.

482 Mise en œuvre : réduction et suppression du prix ? La question de savoir si le créancier peut supprimer le prix, le réduire à néant, se pose lorsque le débiteur n’a pas du tout exécuté son obligation ou que l’ayant exécuté, l’exécution est à ce point défectueuse qu’elle est sans valeur1971.

On ne peut répondre à cette question sans mettre en perspective la réduction du prix à néant avec la résolution. S’agissant des effets, la différence essentielle tient à ce que seule la résolution, non la réduction, donne lieu à des restitutions : la réduction du prix à néant aurait donc le mérite de la simplicité. S’agissant des conditions, la gravité de l’inexécution n’est pas une condition de la réduction de prix alors qu’elle en est une de la résolution, sauf résolution prononcée en vertu d’une clause résolutoire. Toutefois, il faut bien voir que si l’exécution est sans valeur, c’est, qu’a priori, elle est suffisamment grave pour justifier la résolution... Tant et si bien qu’il semble qu’en pratique l’enjeu de la question tient aux restitutions.

Cela étant, on ne voit pas quelle raison il y aurait de refuser une réduction de prix à zéro1972 ; par ailleurs, si la réduction à zéro n’était pas permise, se poserait inévitablement la question d’un seuil.

483 Mise en œuvre : intervention du juge ? La lettre de l’Ordonnance était très ambiguë1973 et celle de la Loi de ratification le demeure. Depuis la Loi de ratification, l’article  1223 C. civ. prévoit désormais :

« En cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure1974 et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. (al. 1) Si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. (al. 2) ».

Même si cette modification n’a pas été considérée par le législateur comme étant interprétative1975, il y a fort à parier qu’elle le soit par le juge, d’autant plus que la substitution du terme « obtenir » au terme « solliciter » à l’article  1217 C. civ. au sujet de la réduction de prix, qui poursuit le même objectif, a quant à elle été jugée interprétative par le législateur1976...

Disons-le d’emblée, la lettre du nouveau texte reflète peut-être encore moins que celle de l’ancien texte la volonté du législateur, dès lors que celle-ci est de permettre au créancier victime d’une exécution imparfaite et qui n’a pas acquitté l’intégralité du prix, de décider seul de sa réduction. Au-delà d’une exigence générale de mise en demeure (quand bien même elle ne serait expressément prévue que dans le premier des deux cas qui vont être exposés), distinguons.

Lorsque le créancier a acquitté l’intégralité du prix, c’est le juge qui prononcera la réduction de prix, alors que l’inverse eut été tout à fait concevable, et non dénué d’intérêt pratique, puisque la décision du créancier aurait fait courir les dommages-intérêts moratoires.

Lorsque le créancier n’a pas acquitté l’intégralité du prix, le nouveau texte, comme l’ancien, prévoit que le créancier « notifie » « sa décision » de réduire le prix1977. Toutefois, le nouveau texte fait désormais référence à « l’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix ». On pourrait de prime abord penser que cette acceptation a pour effet de rendre efficace la décision de réduire le prix. Pourtant, malgré la référence ô combien trompeuse à l’acceptation du débiteur, ce ne serait pas rendre compte de l’intention du législateur1978 de considérer que la réduction ne soit pas unilatérale.

Le texte, mal rédigé, provoque inévitablement des confusions en jurisprudence1979.

En définitive, on retiendra que le pouvoir de réduire le prix appartient à la victime de l’inexécution imparfaite dès lors qu’elle n’a pas payé le débiteur et au juge en cas de réticence du débiteur, dès lors que la victime a déjà payé le débiteur.

Il reste que la distinction ne convainc pas. Pour l’essentiel, on ne voit pas pourquoi la prérogative de réduire le prix dépendrait d’une variable, le paiement ou non du prix, qui par nature est un épiphénomène. Certes, il est plus confortable pour le créancier de retenir la partie du prix qu’il n’estime pas due que d’exiger du débiteur qu’il la lui restitue. Mais ce n’est pas parce qu’une prérogative est plus difficile à mettre en œuvre dans un cas que dans un autre qu’elle doit être refusée dans le premier1980.

Droit spécial : des réductions de prix spéciales Avant même la réforme, la réduction de prix était une mesure connue en droit spécial des contrats, essentiellement en matière de vente. Ainsi la réduction de prix était une sanction applicable à la vente en cas de défaut de contenance1958, en présence d’un vice caché1959 et en cas de défaut de conformité dans les ventes relevant du droit de la consommation1960. Elle était une sanction courante dans la vente commerciale, en droit international1961 et en droit interne1962. Par ailleurs, en cas d’inexécution non conforme d’un mandat, le mandataire pouvait voir son droit à commission réduit voire supprimé1963. Toutes ces dispositions, à l’exception de celles de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, exigent que la réduction de prix soit prononcée par le juge.

Point sensible : du choix stratégique entre la réduction de prix et les dommages-intérêts Ainsi que l’ont relevé plusieurs auteurs1970, c’est tantôt la réduction de prix, tantôt l’octroi de dommages-intérêts qui est plus intéressant pour le créancier. Reprenons à cet égard les exemples envisagés plus haut. Exemple n° 1. L’acheteur est convenu de payer 100 des marchandises qui, conformes, valaient 90, et s’est vu livrer des marchandises valant 45 en raison de leur non-conformité. On a vu que le prix réduit devait être de 100*45/90, soit 50. Quel serait le montant des dommages-intérêts octroyés ? À supposer qu’ils doivent constituer l’équivalent de l’exécution en nature, on peut considérer qu’ils seront de la valeur manquante, soit 90-45, c’est-à-dire, 45. Devant payer 100 et recevoir 45, l’acheteur ne devra plus par compensation que 55. Exemple n° 2. Au contraire si l’acheteur est convenu de payer 80 les mêmes marchandises, le prix réduit sera de 80*45/90, soit 40. Quel serait le montant des dommages-intérêts octroyés ? À supposer qu’ils doivent constituer l’équivalent de l’exécution en nature, on considèrera qu’ils sont de la valeur manquante, soit 90-45, c’est-à-dire, 45. Devant payer 80 et devant recevoir 45, l’acheteur ne devra plus par compensation que 35. Alors que la réduction de prix sera plus intéressante que des dommages-intérêts chaque fois que le prix convenu était supérieur à la valeur de la prestation sur le marché, et inversement. Dans ces deux exemples, on a fait fi de ce que les cours aient pu varier entre la conclusion du contrat et la mise en œuvre de la mesure. Or, ainsi qu’il est prévu par la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, et conformément aux principes gouvernant la responsabilité civile qui commandent d’apprécier le préjudice au jour où le juge statue, les valeurs à prendre en considération sont celles du jour de la mise en œuvre de la mesure. Exemple n° 3. L’acheteur est convenu de payer 100 des marchandises (valant effectivement 100 au jour de la conclusion du contrat), et s’est vu livrer des marchandises valant 45 en raison de leur non-conformité. Au jour de la mise en œuvre de la mesure, des marchandises conformes ne valent plus que 90 alors que des marchandises non conformes ne valent plus que 30. Le prix réduit serait de 100*(30/90), soit approximativement 33,3. Quant au montant des dommages-intérêts, il serait de 90-30, soit 60, en sorte que le prix réduit ensuite d’une compensation sera de 100-60, soit 40. Exemple n° 4. L’acheteur est convenu de payer 100 des marchandises (valant effectivement 100 au jour de la conclusion du contrat), et s’est vu livrer des marchandises valant 45 en raison de leur non-conformité. Au jour de la mise en œuvre de la mesure, des marchandises conformes valent désormais que 120 alors que des marchandises non conformes valent 60. Le prix réduit serait de 100*(60/120), soit approximativement 50. Quant au montant des dommages-intérêts, il serait de 120-60, soit 60, en sorte que le prix réduit ensuite d’une compensation sera de 100-60, soit 40. Alors que la réduction de prix sera plus intéressante l’octroi de dommages-intérêts chaque fois que les cours ont baissé, et inversement. En fin de compte, alors que la réduction de prix procède à une « adaptation de l’équilibre contractuel » voulu par les parties, les dommages-intérêts ont pour effet de l’estomper, chaque fois que cet équilibre ne correspondait pas aux valeurs du marché.

Aménagements conventionnels Ici comme ailleurs, les parties pourront supprimer cette mesure ou l’aménager : dispense de mise en demeure, détermination de modalités de calcul du prix (recours à l’expertise, recours à une autre formule que la formule proportionnelle, date d’appréciation des valeurs de marché distinctes, etc.), clause de réduction du prix bornée par un plancher (sorte de « clause limitative de responsabilité inversée »), énumération des obligations justifiant une réduction de prix, etc.

§ IV - La résolution

484 Distinction – plan. La résolution est l’anéantissement d’un contrat en raison de son inexécution. C’est ce qui ressort de la mise en perspective de l’article  1224 C. civ., aux termes duquel la résolution « résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice », et de l'article 1229 C. civ., suivant lequel la résolution « met fin au contrat (...) ».

La résolution étant une mesure d’altération du contrat, peu importe que l’inexécution soit imputable à une des parties, aux parties, ou à un cas de force majeure1981.

La résolution peut s’accompagner de l’indemnisation des préjudices subsistants. L’évaluation du préjudice en cas de résolution suscite des hésitations quant aux dommages-intérêts qui peuvent être réclamés par la victime1982 : d’une part, les dommages et intérêts qui ont pour objet de placer le créancier dans la position où il se serait trouvé si le contrat avait été dûment exécuté (protection de l’intérêt positif) ; d'autre part, les dommages et intérêts qui ont pour objet de placer le créancier dans la situation où il se serait trouvé si le contrat n'avait pas été conclu, en particulier en compensant les dépenses qu'il a faites dans la croyance que le contrat allait être exécuté » (protection de l’intérêt négatif). La jurisprudence n’a pas tranché cette difficulté ; elle paraît aujourd’hui admettre la protection des deux intérêts, suivant les demandes des parties1983.

La Cour de cassation a précisé « qu'une partie ne peut pas prétendre à l'exécution d'un contrat résilié, mais seulement à des dommages-intérêts compensant le préjudice causé par la résiliation »1984, la différence entre réparation de lintérêt positif et exécution par équivalent du contrat résilié apparaissant souvent bien ténue en pratique, dès lors que lon ne conçoit pas de toute façon que soit retranchée de lindemnité correspondant à lexécution par équivalent les coûts économisés par labsence dexécution réelle du contrat.

Nous n’envisagerons dans le cadre de chapitre que les voies de la résolution, renvoyant au chapitre 12 (« la fin du contrat ») l’étude de ses effets1994. S’il existe donc trois voies pour résoudre un contrat (v. néanmoins infra, « Droit spécial : de la résolution amiable »), on peut procéder à des regroupements et distinguer la résolution sur clause résolutoire d’un côté (A) et la résolution judiciaire ou unilatérale d’un autre (B).

Point sensible : de la résolution aux torts réciproques (partagés) L’hypothèse de départ est la suivante : les parties au contrat ont toutes deux commis des manquements. Ces manquements doivent être appréciés (i) au regard du prononcé de la résolution et (ii) au regard des préjudices subis des par les parties. Ils sont en revanche sans incidence sur les restitutions1985. (i)S’agissant du prononcé de la résolution, celle-ci ne sera véritablement aux torts réciproques que si chaque partie pouvait, compte tenu des manquements de l’autre, obtenir la résolution ; les manquements commis par chaque partie justifient à eux seuls la résolution du contrat1986. La jurisprudence est en ce sens : « la résiliation d’un contrat synallagmatique aux torts partagés ne peut être prononcée que si les parties ont, chacune, commis des fautes d’une gravité suffisante pour la justifier »1987. (ii) S’agissant des préjudices réparables, il convient semble-t-il de distinguer les préjudices découlant de la résolution des préjudices qui n’en découlent pas. En effet, la résolution du contrat étant imputable à toutes les parties – la solution serait différente si la résolution n’était imputable qu’à l’une des parties, l’autre partie ayant commis des manquements insuffisants pour justifier la résolution –, on voit mal pourquoi elles devraient obtenir une indemnisation pour avoir « subi » la résolution1988. En revanche, il est normal que chaque partie obtienne réparation du préjudice imputable à l’inexécution par l’autre de ses obligations. La jurisprudence ne retient pas une telle distinction, au moins formellement. La Cour de cassation ne neutralise pas l’indemnisation des parties au motif que la résolution serait aux torts réciproques1989. Au-delà, on peut distinguer deux courants en jurisprudence. D’une part, certaines décisions laissent entendre que chaque partie doit réparer le préjudice qui lui est imputable1990. D’autre part, d’autres décisions semblent admettre que chaque partie doive réparer le préjudice subi par l’autre en considération de la gravité des manquements respectifs1991.

Droit spécial : de la résolution des contrats administratifs La position de l’administration et celle de la personne privée ne sont pas identiques dans les contrats administratifs, comme c’est le cas pour l’exception d’inexécution1992. Le Conseil d’État considère en effet que « [l]e cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat ; (...) il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles ; (...) cependant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s'opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d'intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ; (...) lorsqu'un motif d'intérêt général lui est opposé, le cocontractant doit poursuivre l'exécution du contrat ; (...) un manquement de sa part à cette obligation est de nature à entraîner la résiliation du contrat à ses torts exclusifs ; (...) il est toutefois loisible au cocontractant de contester devant le juge le motif d'intérêt général qui lui est opposé afin d'obtenir la résiliation du contrat »1993.

Droit spécial : de la résolution amiable Certains textes laissent entendre que la résolution pourrait être amiable. Ainsi l’article L. 141-7 C. com. prévoit que « [e]n cas de résolution judiciaire ou amiable de la vente, le vendeur est tenu de reprendre tous les éléments du fonds qui ont fait partie de la vente, même ceux pour lesquels son privilège et l'action résolutoire sont éteints » et l’article L. 141-9 C. com. que « [l]e vendeur, qui a stipulé lors de la vente [d’un fonds de commerce] que, faute de paiement dans le terme convenu, la vente serait résolue de plein droit, ou qui en a obtenu de l'acquéreur la résolution à l'amiable, doit notifier aux créanciers inscrits, aux domiciles élus, la résolution encourue ou consentie, qui ne deviendra définitive qu'un mois après la notification ainsi faite ». Par ailleurs, l’article  1195 C. civ. relatif à la théorie de l’imprévision prévoit bien qu’« [e]n cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. »1995. La résolution amiable se présente comme un simple accord révocatoire, dont la seule originalité est d’être justifié par une inexécution. Est-elle possible sans le support d’un texte spécial ? La Cour de cassation a semblé l’admettre : « la résolution amiable et non frauduleuse de la vente, en raison du non-paiement du prix et de l’impossibilité d’effectuer ce paiement, procède d’une cause nécessaire et forcée, et fait rentrer le vendeur dans sa propriété, non à titre volontaire et de revente, mais au même titre et avec les mêmes effets que la résolution qui se serait prononcée en justice »1996. Faut-il lui appliquer un régime particulier ?

Droit spécial : de l’incidence de l’arrêt des poursuites en droit des procédures collectives Le jugement d’ouverture d’une procédure collective « interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant (...) [à] la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent »1997 : c’est le principe de l’arrêt des poursuites. Toutefois, il n’est pas fait obstacle à l’action aux fins de constat de la résolution d’un contrat qui a produit ses effets avant le jugement d’ouverture de la procédure collective1998.

Droit spécial : de la résolution d'un contrat de rente viagère En vertu de l'article  1978 C. civ.1999, et pour des raisons qui n'ont jamais été très claires, le crédirentier ne peut obtenir la résolution de la vente pour défaut de paiement des arrérages. Bien entendu, ce texte n'est que supplétif : une clause pourrait permettre au crédirentier d'obtenir la résolution judiciaire ou de prononcer la résolution unilatéralement en cas d'inexécution suffisamment grave. Par ailleurs, indépendamment de la gravité de l'inexécution, une clause résolutoire peut autoriser la résolution dans les conditions prévues par la clause2000.

A - La résolution sur clause résolutoire

485 Conditions de fond. Ainsi que la loi le prévoit, la clause résolutoire « précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat » (C. civ., art 1225 al. 1). Toute inexécution visée par la clause donnera donc lieu à la résolution du contrat. Le juge n'a pas à rechercher si l'inexécution visée par la clause est « suffisamment grave » au sens de l'article 1224 C. civ. ; il n'a qu'à vérifier si l'inexécution visée par la clause a bien eu lieu 2001. Pour autant, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’une clause résolutoire « ne peut être mise en œuvre qu’en cas de manquement à une obligationexpresse connue du débiteur »2002 ; autrement dit, pas de mise en œuvre d’une clause résolutoire en cas de manquement à une obligation implicite.

486 Mise en œuvre. La mise en œuvre de la clause résolutoire est subordonnée en principe à une mise en demeure2006 mentionnant expressément la clause résolutoire et, a priori, même si cela n’est pas prévu expressément, à une notification. De fait, le créancier doit bien à un moment ou à un autre fixer son choix sur celle des mesures énoncées par l’article  1217 C. civ. qu’il souhaite mettre en œuvre2007. La mise en demeure d’un débiteur de s’exécuter et mentionnant la clause résolutoire ne préjugeant pas de la décision finale du créancier de se prévaloir de ladite clause ou d’une autre mesure2008, le créancier notifiera ensuite la mesure finalement choisie, par exemple la résolution du contrat.

Parce que les clauses résolutoires octroient au créancier une prérogative importante, la Cour de cassation veille scrupuleusement à ce qu’elles soient mises en œuvre de bonne foi par le créancier2009. De mauvaise foi, le créancier ne peut se prévaloir, au moins temporairement, de la clause résolutoire. Tel est le cas du créancier qui délivre une sommation de payer en visant la clause résolutoire au moment où il sait que son débiteur est en vacances2010 ou de celui qui omet de réclamer sa créance pendant une longue période ne peut brusquement mettre en œuvre la clause résolutoire pour non-paiement de sa créance2011, ou encore de celui qui empêche le débiteur de s’exécuter2012.

Aménagements conventionnels Depuis la réforme du droit des contrats, il est désormais prévu que la clause « précise » les obligations dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat, là où l’avant-projet d’ordonnance employait le terme « désigne ». Les mots ont été soigneusement choisis et il semblerait que la volonté des auteurs de l’ordonnance ait donc été de condamner les « clauses-balais » prévoyant la résolution du contrat en cas d’inexécution de toute obligation2003. Mais a-t-il pris la mesure du travail fastidieux voire presque impossible demandé aux rédacteurs d’actes, lorsque les contrats font plusieurs dizaines de pages ? L’essentiel n’est-il pas la clarté de la clause résolutoire et cet objectif n’est-il pas atteint lorsque la clause vise clairement et précisément l’inexécution de toute obligation prévue au contrat ? Si la prudence commande donc d’énumérer les « obligations » (et non les « manquements », en nombre presque infini...)2004 relevant de la clause résolutoire, il faut espérer que la jurisprudence n’interprète pas à la lettre ce texte et se contente d’exiger une clause qui soit claire et précise. Les premières décisions sont en ce sens2005

Point sensible : des clauses résolutoires « de plein droit » L’expression « clause résolutoire de plein droit »2013, souvent employée en pratique, est ambiguë et suppose un effort d’interprétation. C’est au premier chef la volonté des parties qui importe. Or il est douteux que les parties aient, stipulant ainsi, entendu uniquement priver le juge de son pouvoir d’appréciation de la gravité du manquement, car c’est là l’objet de toute clause résolutoire, qu’elle soit ou non de plein droit. Il est également douteux qu’elles aient voulu que la résolution soit automatique, car ce serait priver là le créancier de la possibilité ô combien importante de fixer son choix sur celle des mesures que lui offre l’article 1217 C. civ. ; le créancier a-t-il voulu en stipulant une clause résolutoire de plein droit, renoncer à toutes les autres mesures2014 ? Il est encore douteux que les parties aient entendu priver le débiteur d’un préavis, une fois la résolution « actée », car, de toute façon, il n’est de préavis que stipulé. Les parties ont-elles voulu que la mise en œuvre de la clause résolutoire ne nécessite aucune mise en demeure et ainsi priver le débiteur d’un droit de corriger son inexécution ou son exécution défectueuse ? C’est possible, mais ce serait a priori inefficace, la jurisprudence exigeant une clause dénuée de toute équivoque2015. Bref, la clause résolutoire de plein droit est susceptible de toutes les spéculations. L’expression est donc à bannir !

Droit spécial : de la clause résolutoire et de la rupture brutale d’une relation commerciale établie En vertu de l'article L. 442-1, II du Code de commerce, « [e]ngage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels (...) ». La mise en perspective de cette disposition avec la faculté de stipuler une clause résolutoire soulève une difficulté. Si l'inexécution est suffisamment grave pour justifier une résolution judiciaire ou unilatérale, il ne fait aucun doute que l'article L. 442-1, II est sans application 2016. Quid si l'inexécution n'est pas suffisamment grave pour justifier une résolution judiciaire ou unilatérale, mais se trouve visée par une clause résolutoire ? La Cour de cassation juge que la mise en œuvre de la clause ne peut tenir en échec l'article L. 442-1, II 2017 . En conséquence, le créancier pourrait certes résoudre le contrat en application de la clause, mais en respectant un préavis déterminé en vertu de l'article L. 442-1, II peu important les stipulations de la clause résolutoire sur ce point.

Droit spécial : de la clause résolutoire en matière de baux commerciaux En droit des baux commerciaux, bien qu’une clause puisse prévoir la résiliation de plein droit un mois après un commandement demeuré infructueux, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues pour une demande de délai de grâce en vertu de l’article 1343-5 peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée2018. D’après la Cour de cassation, la clause résolutoire peut être suspendue par le juge, avant ou après le délai d’un mois, quelles que soient les stipulations de ladite clause, « dès lors qu'aucune décision passée en force de chose jugée n'a constaté la résiliation du bail »2019.

B - La résolution unilatérale ou judiciaire

487 Conditions de fond. La résolution judiciaire ou unilatérale suppose une « inexécution suffisamment grave » (C. civ., art 1224. La qualification d’inexécution « suffisamment grave » est ambiguë : l’inexécution peut être grave en raison du comportement du débiteur ou en raison de l’obligation méconnue. Parce que la résolution n’est pas destinée à punir le débiteur, mais à permettre au créancier de mettre fin à un contrat qui ne vaut plus à ses yeux d’être maintenu, le critère de l’obligation méconnue paraît plus pertinent. C’est ce qu’avait décidé la chambre commerciale de la Cour de cassation avant la réforme de 2016, jugeant que « la résolution peut être prononcée par le juge en cas d’inexécution partielle2020 dès lors qu’elle porte sur une obligation déterminante de la conclusion du contrat »2021. Le pouvoir souverain reconnu aux juges du fond en la matière2022 ne devrait donc pas être exclusif de directives apportées par la Cour de cassation.

Si le plus souvent c’est la méconnaissance d’une obligation qui est invoquée, il arrive que l’une des parties entende résoudre le contrat parce que le « climat » de la relation s’est gravement dégradé. Autant l’on peut comprendre que l’exécution de mauvaise foi d’une obligation puisse donner lieu à une résolution du contrat – il est possible d’identifier un manquement à un devoir – autant il est plus difficile d’admettre la résolution pour simple mésentente entre les parties2023, en l’absence de disposition particulière2024. D’une part, une partie pourrait facilement obtenir la résolution du contrat en provoquant insidieusement une mésentente, sans que l’autre partie puisse sans peine lui imputer la mésentente pour s’opposer à la résolution : la mésentente n’est pas, à la différence d’une inexécution, unilatérale. D’autre part, dès lors qu’une partie exécute ses obligations et ne manque pas à ses devoirs, il n’y a pas de raison pour mettre fin à un contrat. On contracte pour recevoir une prestation, non pour se faire des amis. A l’invitation des juges du fond2025, certaines décisions de la Cour de cassation ont cependant semblé admettre, dans des circonstances particulières, la résolution pouvait être prononcée pour mésentente en présence d’un bail2026 et d’un contrat de prestation de services2027.


Certaines décisions des juges du fond semblent néanmoins prendre des libertés avec ce principe V. not. (nous soulignons).

Quant à la voie de la résolution, le créancier qui veut se dispenser d'une procédure judiciaire, « peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification » (C. civ., art 1226 al. 1) : c'est la résolution unilatérale . Mais il peut préférer une procédure judiciaire puisque « [l]a résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice » (C. civ., art 1227: c'est la résolution judiciaire. En somme, il dispose d’une option.

L'option doit être reconnue au créancier même lorsqu'un texte spécial n'envisage que la résolution judiciaire (C. civ., art. 1638 : « Si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité. » ; C. civ., art 1654 « Si l'acheteur ne paye pas le prix, le vendeur peut demander la résolution de la vente. » ; C. civ., art 1729 « Si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail. » ; C. civ., art 1816 « Le bailleur peut en demander plus tôt la résolution si le preneur ne remplit pas ses obligations. » ; C. civ., art. 956 : « La révocation pour cause d'inexécution des conditions, ou pour cause d'ingratitude, n'aura jamais lieu de plein droit. » )

488 Mise en œuvre. Il faut distinguer suivant que la résolution est unilatérale ou judiciaire.

La mise en œuvre de la résolution unilatérale est subordonnée à une mise en demeure mentionnant de manière apparente le droit de résolution par notification du contrat et une notification motivée2028. L’auteur de la résolution devrait toutefois pouvoir invoquer d’autres motifs que ceux envisagés dans la notification, car « on ne perçoit pas pourquoi le juge devrait être privé de ces éléments d’appréciation »2029.

La mise en œuvre de la résolution judiciaire est quant à elle subordonnée à une mise en demeure et à une décision du juge, mais l’assignation vaut mise en demeure, d’après la jurisprudence2030.

489 Résolution unilatérale ou résolution judiciaire ? Le recours à la résolution judiciaire devrait devenir l’exception, en raison de l’économie de temps et d’argent qu’elle procure au créancier. Au vrai, et en général, un créancier pourrait choisir de recourir à la résolution judiciaire parce qu’il doute de la suffisante gravité du manquement du débiteur (mais ce cas semble théorique) ou parce qu’il doit de toute façon agir en justice (parce qu’il réclame des dommages-intérêts ou parce que les restitutions seront litigieuses).

Dans un cas particulier, la résolution judiciaire pourrait rester la voie de principe. En effet, pour les actes ayant donné lieu au paiement de droits d’enregistrement (ou au paiement de la taxe de publicité foncière tenant lieu de ces droits) et de la contribution de sécurité immobilière, la résolution devrait être judiciaire en vertu de l’article – obscur et contestable – 1961 du Code général des impôts2031 afin que ces droits soient restitués et que d’autres droits de mutation ne soient pas dus.

490 Rôles du juge. Ainsi que le prévoit l’article  1228 C. civ., le juge « peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts. »

Il faut distinguer.

Soit les conditions de la résolution sont remplies et le juge devra constater la résolution d’ores et déjà prononcée par le créancier (résolution sur clause résolutoire ou résolution unilatérale) ou prononcer lui-même la résolution (résolution judiciaire). Il ne saurait sans méconnaître les articles 4 CPC 2032 et 5 CPC 2033, prononcer l’exécution forcée alors qu’il lui est demandé de prononcer la résolution et que les conditions en sont remplies2034. Reste la question de savoir si, le juge, « en accordant (…) un délai au débiteur », ainsi que le lui permet le texte, n’aurait pas acquis par là-même le pouvoir de suspendre les effets, par exemple, d’une clause résolutoire pourtant mise en œuvre à juste titre par le créancier. Cette solution, a priori incongrue, est pourtant celle retenue en matière de bail commercial par l'article L. 145-41 C. com. 2035.     

Soit les conditions de la résolution ne sont pas remplies, le juge devra ordonner l’exécution du contrat – à la supposer encore possible –, que la résolution ait été prononcée à tort par le créancier (résolution sur clause résolutoire ou résolution unilatérale) – à moins que le débiteur ne préfère réclamer des dommages-intérêts – ou que le juge refuse lui-même de la prononcer (résolution judiciaire)2036. Le cas échéant, si inexécution ayant causé un préjudice il y avait néanmoins, le créancier pourrait se voir allouer des dommages-intérêts.

Le sort du contrat unilatéralement résolu à tort a toujours suscité des difficultés. Le créancier ayant résolu le contrat « à ses risques et périls » alors qu’il ne le pouvait pas a indiscutablement commis une faute de nature à engager à sa responsabilité envers son cocontractant. Mais quid du sort du contrat ? L’acte résolutoire illicite est-il pour autant inefficace, en sorte que le contrat serait toujours en vigueur ? Un arrêt de la Cour de cassation l’avait décidé2037 et les juges du fond semblent enclins à retenir la même solution2038. Quant au Conseil d’État, il considère aujourd’hui que le juge administratif peut à certaines conditions ordonner la poursuite des relations contractuelles à tort rompues par une des parties2039. Ne pas reconnaître un pouvoir identique au juge judiciaire permettrait à l’auteur de la rupture de payer pour sortir du lien contractuel, ce qui ne paraît pas conforme à la tradition française2040. Une telle solution encouragerait des résolutions unilatérales « lucratives » ou « frauduleuses », fondées sur un manquement inexistant ou ne justifiant à l’évidence pas la résolution2041 , l'auteur de la résolution ne s'exposant qu'à des dommages-intérêts. La loi, en prévoyant que le juge « peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat (...) ou allouer seulement des dommages et intérêts » (C. civ., art 1228, devrait permettre au juge de refuser de « constater » une résolution illégitimement notifiée et d'« ordonner l'exécution du contrat »...

On notera par ailleurs que la Cour de cassation admet que le juge des référés puisse ordonner la continuation d’un contrat dont il est soutenu qu’il a été irrégulièrement résolu et que cela n’est pas sérieusement contesté, en vue de « faire cesser un trouble manifestement illicite »2042.

Aménagements conventionnels Une clause résolutoire doit être rédigée en ayant à l'esprit que le créancier a possibilité de toute façon de résoudre le contrat unilatéralement en cas d'inexécution grave (C. civ., art 1226. Le plus clair est de prévoir une clause résolutoire et une clause relative à la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat pour inexécution grave, voire une clause relative à la résolution judiciaire. S’agissant de la clause résolutoire, il convient dans le doute d’énumérer les obligations visées par la clause et, pour les raisons ci-dessus évoquées prévoir : une mise en demeure ou non, un préavis ou non, et la nécessité d’une notification permettant au créancier de fixer son choix sur la mesure qu’il met en œuvre. Au-delà, il importe de déterminer si la clause résolutoire a pour effet d’interdire par ailleurs toute résolution unilatérale et toute demande de résolution judiciaire pour les manquements visés par la clause et pour ceux qui ne le sont pas. La question doit exclusivement dépendre de la volonté des parties, ainsi que cela été vu. Probablement parce que la volonté des parties ne ressort pas toujours avec clarté et précision, la jurisprudence semblait considérer par principe que l’existence d’une clause résolutoire n’empêchait pas la résolution judiciaire, notamment pour les manquements visés par la clause2043 – aujourd’hui, l’article 1227 fournit un argument en ce sens : la résolution peut, « en toute hypothèse », être demandée en justice –, mais paraissait plus hésitante s’agissant de la résolution unilatérale. Ainsi, si la chambre commerciale de la Cour de cassation avait décidé qu’une telle clause ne faisait pas échec à l’exercice de la résolution unilatérale2044, la Troisième chambre civile avait retenu la solution contraire2045. S’agissant de la clause aménageant résolution unilatérale (voire la résolution judiciaire), outre qu’il est possible d’interdire d’y recourir (y compris en cas d’urgence), il devrait être possible d’aménager la mesure : énumération des obligations concernées, suppression de la mention relative à la résolution unilatérale dans la mise en demeure (argument a fortiori par rapport à la clause résolutoire) et suppression de la motivation de la notification.

Droit spécial : de l’incidence d’une réglementation d’un type de résolution sur la possibilité de résoudre le contrat autrement Incidence d’une réglementation des clauses résolutoires Il est des domaines dans lesquels les clauses résolutoires sont réglementées : c’est le cas notamment dans les contrats pour lesquels la stabilité du rapport contractuel est un objectif poursuivi par le législateur. En témoignent les règles relatives aux baux commerciaux et aux baux d’habitation. Les clauses résolutoires peuvent être librement stipulées dans les baux commerciaux, mais leur mise en œuvre obéit à des règles particulières qui sont d’ordre public : la clause « ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux » lequel « doit, à peine de nullité, mentionner ce délai » ; le juge peut par ailleurs accorder un délai de grâce au débiteur dans les conditions prévues à l’article 1343-5 et « suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation »2046. Si la résolution peut toujours être demandée en justice2047, qu’elle puisse être unilatérale reviendrait à priver le débiteur de la protection que lui accorde la loi quant à la mise en œuvre de la résolution. Pour autant, la Cour de cassation a admis qu’un bail commercial puisse être unilatéralement résolu2048. Les clauses résolutoires ne peuvent en revanche pas être librement stipulées dans les baux d’habitation. De fait, est réputée non écrite toute clause qui prévoit « la résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d’une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée » (art. 4, g, L. n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs). Une distinction s’impose. S’agissant des manquements pouvant faire l’objet d’une clause résolutoire, il devrait être possible pour le bailleur de résoudre unilatéralement le contrat (et bien entendu, agir en résolution judiciaire) dès lors que le manquement est suffisamment grave. On ne voit pas en effet de quelle protection le débiteur serait privé en ce cas. S’agissant des manquements ne pouvant faire l’objet d’une clause résolutoire, si la résolution judiciaire est évidemment toujours possible, on peut être davantage réservé quant à la résolution unilatérale, le manquement fût-il suffisamment grave. En effet, le législateur n’a-t-il pas voulu limiter les cas où le bailleur pouvait se passer du juge pour résoudre le contrat ? Incidence d’une réglementation des cas de résolution judiciaire ? S’agissant des baux ruraux, le Code rural et de la pêche maritime n’ouvre la voie de la résolution judiciaire2049 que pour certains manquements2050. La Cour de cassation en a déduit que les clauses résolutoires étaient inefficaces2051 ; il devrait en aller de même de la résolution unilatérale, a fortiori. Incidence d’une réglementation des cas de résolution unilatérale ? En droit des assurances, à défaut de paiement d’une prime ou d’une fraction de prime, dans les dix jours de son échéance, l’assureur a le droit de résilier le contrat dix jours après l’expiration du délai de trente jours après mise en demeure de l’assuré de payer ses primes2052. En matière de droit d’auteur, la résiliation a lieu de plein droit lorsque, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a pas procédé à la publication de l’œuvre ou, en cas d’épuisement, à sa réédition2053. En droit de l’environnement, s’agissant de la location d’un emplacement privé aux fins d’apposer de la publicité ou d’installer une préenseigne, le contrat est résilié de plein droit au bénéfice du bailleur après mise en demeure de payer restée sans effet durant un mois2054. Dans tous ces cas, on ne voit pas pourquoi le recours au juge ne serait pas permis, mais en pratique il est rare, en raison des coûts et du temps nécessaires. Quant à la possibilité de stipuler une clause résolutoire, elle est sans véritable objet, encore qu’on pourrait envisager le cas d’une clause aménageant la résolution unilatérale, ce qui ne devrait pas en principe être possible. Synthèse. En somme, plusieurs directives ressortent de l’ensemble de ces éléments : (i) d’un point de vue substantiel, un contrat ne peut jamais être résolu pour des manquements ne pouvant donner lieu à la résolution judiciaire ; (ii) d’un point de vue procédural, lorsque le législateur réglemente la procédure de mise en œuvre d’une clause résolutoire en vue de protéger le débiteur, il ne paraît pas possible d’admettre que le contrat puisse être résolu autrement que par une voie offrant des garanties équivalentes, ce pourquoi seule la résolution judiciaire devrait être possible, non la résolution unilatérale.

§ V - La responsabilité contractuelle

491 Réforme à venir. La responsabilité contractuelle est envisagée dans la sous-section 5 de la section relative à l’inexécution du contrat, intitulée « Réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ». La réforme de 2016, sous réserve de modifications mineures, a codifié à droit constant les anciennes dispositions aux articles 1231 et suivants. De fait, le droit de la responsabilité doit faire prochainement l’objet d’une réforme globale, concernant la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle.

492 Exécution par équivalent. Dans le prolongement de la célèbre thèse de Jérôme Huet2055, il a été brillamment soutenu2056 qu’il faudrait, en cas d’inexécution2057, parler d’exécution par équivalent (par opposition à l’exécution en nature), davantage que de responsabilité contractuelle. Quelles conséquences en tirer ? L’exécution par équivalent, comme l’exécution en nature, ne devrait pas être subordonnée à la démonstration d’un préjudice, le droit à l’exécution dérivant de la seule conclusion du contrat : les dommages-intérêts octroyés seront ainsi calculés d’après la valeur de la prestation promise puisqu’ils en sont l’équivalent2058 et non d’après celle du préjudice.

À supposer même que l’on reçoive la thèse de l’exécution par équivalent, il nous semble que rien n’interdit de la recevoir aux côtés de celle de la responsabilité contractuelle, celle-ci prenant le relais de celle-là. De la sorte, en cas d’inexécution, le créancier devrait pouvoir obtenir dans un premier temps l’exécution par équivalent (ou l’exécution en nature, bien évidemment) et, en cas de préjudices subsistants causés par l’inexécution ou l’exécution défectueuse, engager dans un second temps la responsabilité du débiteur, responsabilité contractuelle (en raison de la nature du manquement). Si l’exécution (en nature ou par équivalent) du contrat doit permettre d’obtenir ce qui était promis, la responsabilité devrait permettre d’être indemnisé des conséquences de la violation de la promesse dans les termes convenus. Par exemple, celui qui n’a pas reçu à temps un bien qu’il devait par la suite donner en location obtiendra la remise du bien (exécution en nature) ou sa valeur (exécution par équivalent) et, à supposer le préjudice prévisible2059, la réparation de celui-ci, consistant notamment dans le gain manqué tiré de la location envisagée, sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Qu’en est-il en droit positif ? La jurisprudence n’a pas véritablement consacré ces idées. D’une part, elle exige bien aujourd’hui la preuve d’un préjudice lorsque ce n’est pas l’exécution en nature mais des dommages-intérêts qui sont réclamés2060. D’autre part, le cumul d’une exécution par équivalent et d’une responsabilité contractuelle n’est pas même envisagé : tous les préjudices semblent être indemnisés in globo suivant un même régime.

493 Conditions de fond. Toute inexécution imputable au débiteur, exécution tardive ou défectueuse qui a causé un préjudice engage la responsabilité de son auteur.

L’exigence d’une inexécution imputable au débiteur est une exigence séminale qui se dédouble : sont nécessaires d’une part une inexécution et d’autre part que celle-ci soit imputable au débiteur et non à un cas de force majeure.

S’agissant de l’inexécution, il convient d’être vigilant quant à l’obligation en cause : quel est son objet exact ? quelle est son intensité ? existe-il une tolérance en cas d’inexécution ? etc. Des difficultés surgissent lorsque les parties explicitent, en les circonscrivant, les diligences du débiteur pour réaliser la prestation objet du contrat : si la prestation n’est pas satisfaisante mais que le débiteur a correctement exécuté les diligences contractuelles, il n’engagera pas sa responsabilité2061.    

S’agissant de l’imputabilité de l’inexécution, il est clair que celui qui n’a pas exécuté ses obligations en raison d’un cas de force majeure n’engage pas sa responsabilité. On sera donc particulièrement vigilant à d’éventuelles clauses relatives à la force majeure, qui viendraient en alléger ou en durcir les conditions2062. Il est également possible que le débiteur ait pris l’engagement de répondre d’un cas de force majeure, auquel cas il aura pris un engagement « de garantie ».

L’exigence d’un préjudice appelle trois observations. Primo, celle-ci a été débattue dans le cadre de la controverse que l’on vient d’évoquer2063. Dans un arrêt Bolmont, la Première chambre décida que « l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice »2064, laissant entendre que l’existence d’un préjudice n’était pas requise. Mais elle est revenue sur cette décision quelques années plus tard, considérant que « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle »2065. Secundo, interprétant de manière contestable l’ancien article 1145, qui prévoyait que si « l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention », certains arrêts – pas tous2066 – de la Cour de cassation avaient considéré que la preuve d’un préjudice n’était pas nécessaire par le créancier2067, et ce, alors que le texte n’avait d’autre objet que de dispenser ce dernier d’une mise en demeure. Tertio, tout préjudice, qu’il s’agisse d’un gain manqué, d’une perte subie ou d’une perte de chance2068 d’avoir pu réaliser un gain ou éviter une perte, est indemnisable.

L’exigence d’un lien de causalité entre l’inexécution et le dommage est de bon sens dans la mesure où l’on ne comprendrait pas que le débiteur réponde de préjudices qu’il n’a pas causés. En matière contractuelle, le lien de causalité est entendu plus strictement qu’en matière extracontractuelle.

D’une part, comme en matière contractuelle, le préjudice doit avoir été provoqué par l'inexécution : « Dans le cas même où l'inexécution du contrat résulte d'une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution » (C. civ., art 1231-4. Dans cette mesure, est contestable la jurisprudence qui met à la charge de celui qui a engagé sa responsabilité la réparation des préjudices dont la victime n'a pas empêché la réalisation ou qu'elle a laissés s'aggraver 2069.

D’autre part, le préjudice devait être prévisible lors de la conclusion du contrat : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive » (C. civ., art. 1231-3). Cette limitation de responsabilité2070 au préjudice prévisible2071, qui n’existe pas en matière de responsabilité extracontractuelle, se justifie par le fait que le contrat est un acte de prévision et que le débiteur doit pouvoir prévoir l’étendue des conséquences qui découlent de l’inexécution du contrat. Encore que la jurisprudence décide que cette limitation de responsabilité concerne seulement la prévision ou la prévisibilité des éléments constitutifs du dommage, et non l'équivalent monétaire destiné à le réparer »2072. En tout état de cause, la limitation de responsabilité ne s’applique pas lorsque le débiteur a commis une faute intentionnelle, une faute dolosive2073 ou une faute lourde2074 (C. civ., art 1231-4 2075.

À supposer les conditions de la responsabilité remplies, la responsabilité contractuelle ne sera pas retenue et le débiteur totalement exonéré si l’inexécution est imputable à un cas de force majeure et le sera partiellement si elle l’est à la faute du créancier. Dans ce dernier cas, les juges du fond sont souverains pour déterminer dans quelle proportion l’indemnisation de la victime sera réduite2076.

494 Indemnisation. Suivant la nature de son préjudice, la victime obtiendra des dommages-intérêts compensatoires, moratoires, ou les deux2081.

La distinction entre intérêts moratoires et compensatoires n’est toutefois pas aussi nette qu’on pourrait le penser : d’une certaine manière, les dommages-intérêts moratoires « compensent » le retard dans l’exécution du paiement d’une somme d’argent2082.

Les dommages-intérêts compensatoires réparent le préjudice causé par l’inexécution ou l’exécution défectueuse et sont souverainement évalués par les juges du fond, au jour où ils statuent.

Les dommages-intérêts moratoires réparent le préjudice causé par le retard dans le paiement d’une somme d’argent2083 : ils sont évalués en principe forfaitairement en fonction du taux d’intérêt légal et sont dus à compter de la mise en demeure2084, (toutefois, ceux qui sont dus en raison du retard dans le paiement d'une indemnité prononcée par un jugement courent à compter du prononcé du jugement, sauf disposition légale ou décision du juge contraires2085). L’évaluation forfaitaire des dommages-intérêts moratoires constitue une économie de moyens appréciable car elle conduit à dispenser les parties et le juge de la caractérisation d’un préjudice – et de son étendue2086 –, alors que tout le monde convient qu’être payé en retard est constitutif d’un préjudice. Le législateur, à l’occasion d’une réforme du taux d’intérêt légal en 20142087, a considéré que celui-ci devait être fondé sur le taux de refinancement des différentes catégories d’agents. Ceci explique que les dispositions du Code monétaire et financier distinguent le créancier personne physique n’agissant pas pour ses besoins professionnels des autres créanciers2088. Le coût du refinancement étant plus élevé pour les premiers, le taux d’intérêt légal est plus élevé pour les premiers que pour les seconds. Lorsque des intérêts moratoires sont dus en raison du retard dans le paiement d’une obligation contractuelle, ils seront calculés en fonction du taux légal, à moins qu’une clause n’ait prévu un autre mode de calcul2089. Lorsque des intérêts moratoires sont dus en raison du retard dans le paiement d’une condamnation judiciaire, ils sont majorés de cinq points2090. En tout état de cause, la loi prévoit que le créancier « auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi2091, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire »2092. L’indemnisation du préjudice réel est donc subordonnée à une faute particulière consistant dans le comportement de mauvaise foi du débiteur de la somme d’argent. Ainsi le créancier pourra réclamer des dommages-intérêts correspondant à l’indisponibilité de son capital : nécessité d’emprunter à un taux plus élevé2093, impossibilité d’avoir pu procéder à temps à une acquisition, etc.2094.

495 Mise en œuvre. Par application du principe général suivant lequel un créancier ne peut se plaindre de l’inexécution qu’après avoir mis en demeure2096 le débiteur de s’exécuter, la loi prévoit que « les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable », à moins que « l’inexécution soit définitive »2097.

Une décision du juge (sous réserve du cas particulier de la stipulation d’une clause pénale constatée dans un titre exécutoire2098) est nécessaire car il s’agit de sanctionner le débiteur. Par ailleurs, il est un principe important en droit français, suivant lequel le créancier d’une obligation contractuelle inexécutée ne peut qu’intenter une action en responsabilité contractuelle et non une action en responsabilité délictuelle : « les articles [1240] et suivants ne sont pas applicables lorsqu’il s’agit d’une faute commise dans l’inexécution d’une obligation résultant d’un contrat »2099.

496 Aménagements conventionnels. Il est fréquent que les contractants aménagent les conditions dans lesquelles leur responsabilité pourra être engagée. Elles le peuvent en stipulant une d’une part une clause limitative ou exclusive de responsabilité et d’autre part une clause d’indemnisation forfaitaire ou une clause pénale.

497 Clauses limitatives ou exclusives de responsabilité. Certaines clauses permettent aux contractants d’exclure ou de limiter le montant des dommages-intérêts qui seraient dus en cas d’inexécution. Le montant des dommages et intérêts alloués sera donc égal à la plus faible des deux sommes représentant le préjudice ou la limitation de responsabilité stipulée. Initialement, la jurisprudence s’était montrée hostile aux clauses élusives ou limitatives de responsabilité, qu’elle tenait pour nulles2100. Mais, dès un arrêt rendu en 1874, la Cour de cassation a affirmé leur validité de principe : libres de créer l’obligation, les parties doivent être libres de décider que, si elle n’est pas exécutée, le débiteur ne devra pas de dommages-intérêts ou qu’il en devra dans la limite d’un plafond2101.

En droit commun, dans deux séries d’hypothèses, ces clauses sont inefficaces.

En premier lieu, la faute dolosive (a fortiori la faute intentionnelle) et la faute lourde du débiteur le déchoient, en raison de la gravité de sa faute, du droit de se prévaloir d’une clause de responsabilité ou du droit à n’indemniser que le préjudice prévisible2106.

En second lieu, dans le prolongement de la jurisprudence antérieure, la loi prévoit aujourd’hui que toute clause qui « contredit la portée d’une obligation essentielle » est réputée non écrite (C. civ., art 1170 2107), ce qui concerne au premier les clauses qui limitent ou éludent la responsabilité en cas d’inexécution d’une obligation2108. On ne peut cependant ne pas relever que de telles clauses n’affectent pas le contenu de l’obligation du débiteur et donc sa « portée » : l’obligation n’est pas amoindrie dans son étendue et elle n’est pas moins obligatoire... Et si le débiteur commettait une faute intentionnelle, dolosive ou lourde, une telle clause serait sans application, ainsi qu’on l’a vu2109. S’il n’est pas exclu que la jurisprudence tire parti de la réforme du droit des contrats pour examiner désormais techniquement la licéité des clauses limitatives de responsabilité à l’aune des dispositions prohibant les clauses créant un déséquilibre significatif2110, une telle solution aurait pour effet de rendre valables toutes les clauses figurant dans des contrats de gré à gré... En droit de la consommation, c’est bien quoi qu’il en soit à l’aune de la prohibition des clauses créant un déséquilibre significatif que les clauses élusives ou limitatives de responsabilité sont interdites2111.

498 Clauses d’indemnisation forfaitaire et clauses pénales. La réforme du droit des contrats a introduit un article  1231-5 C. civ., lequel a opéré une fusion des articles qui étaient auparavant consacrés aux clauses pénales et d'indemnisation forfaitaire (les anciens articles 1126 et suivants étaient spécifiquement consacrées aux clauses pénales et l'article 1152 tait consacré en général à toutes les clauses d'indemnisation forfaitaire).

Les clauses pénales et les clauses d’indemnisation forfaitaire sont rarement distinguées en droit français, tout simplement parce qu’elles sont toutes deux valables2126. En contrepoint, elles le sont nettement plus par le common law, car si les clauses d’indemnisation forfaitaire sont valables, tel n’est pas le cas des clauses pénales2127.

Dès lors que l’on accepte que la somme prévue au profit du créancier en cas d’inexécution par le débiteur peut remplir deux fonctions, indemniser les préjudices qui en découlent (fonction réparatrice) et sanctionner le débiteur (fonction punitive et donc comminatoire), on peut concevoir trois types de clause :

L'article 1231-5 du Code civil, consacré à ce genre de clauses, confond malheureusement cette double fonction, en mentionnant tantôt les « dommages et intérêts », tantôt la « pénalité » :

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. (al. 1)

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire (al. 2) » (nous soulignons).

La licéité des trois types de clause ci-dessus mentionnées ne doit pas faire de doute, même si certains contestent celle des clauses pénales non libératoires. S’agissant de ces dernières, dès avant la réforme de 2016, la Cour de cassation avait admis leur validité2128. Tout au plus considérait-on qu’une clause pénale fût présumée avoir une fonction indemnitaire, qu’elle était présumée être « libératoire ». Et si depuis la réforme de 2016, l’alinéa 1 vise la clause prévoyant « que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts », il est inopérant. Ce n’est pas parce que l’alinéa 1 (qui plus est supplétif) ne vise pas la clause non libératoire, que celle-ci n’est pas valables : liberté contractuelle oblige… Certains textes spéciaux prévoient au demeurant la stipulation de pénalités n’ayant qu’une fonction punitive2129.

Chaque fois que la clause remplit une fonction réparatrice (clause d’indemnisation forfaitaire et clause pénale libératoire), elle peut fixer non seulement des dommages-intérêts dus au titre d’une obligation inexécutée ou mal exécutée (clause compensatoire), mais aussi d’une obligation exécutée en retard (clause moratoire).

La clause pénale moratoire est parfois nommée en pratique « astreinte conventionnelle ». Mais comme la relevé la Cour de cassation, une clause « ne [peut]ordonner une astreinte, mesure de contrainte réservée aux tribunaux pour assurer l'exécution de leurs décisions », et, en réalité, « constitu[e] une clause pénale » prévoyant des « dommages-intérêts moratoires fixés forfaitairement »2130. Il convient de noter par ailleurs la mesure d’astreinte n’a pas de fonction indemnitaire2131, à la différence de la clause pénale moratoire.

L’intérêt des clauses ayant une fonction réparatrice est, au fond, de figer à l’avance les sommes dues en cas d’inexécution (ou de retard dans l’exécution), peu important le préjudice effectivement subi : c’est par principe le forfait qui est dû, qu’il soit supérieur ou (c’est rare) inférieur au préjudice subi.

Certaines clauses prévoient en réalité une indemnisation minimale, et autorisent ainsi le créancier à rapporter la preuve d’un préjudice plus important afin d’être indemnisé au-delà de ce que prévoit la clause, à hauteur de son préjudice réel2132. Par ailleurs, il faut bien voir qu’une clause pénale réparant les préjudices découlant d’une indemnisation, les parties sont libres de prévoir que le montant stipulé ne répare que certains types de préjudices découlant de telle inexécution, non d’autres ; il sera alors permis au créancier de réclamer, en plus du montant stipulé, une indemnisation supplémentaire venant réparer les préjudices non couverts par la clause, si la preuve en est rapportée2133.

Sur le terrain probatoire, de telles clauses dispensent le créancier de la preuve ô combien délicate de l’existence et l’étendue de son préjudice.

Les clauses pénales et d’indemnisation forfaitaire se distinguent de clauses voisines. La clause de dédit et la clause de rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée autorisent une des parties à se désengager licitement du contrat, respectivement avant que le contrat n’ait commencé à être exécuté ou après qu’il a commencé à l’être, en payant le cas échéant une somme convenue. La distinction entre d’une part ces clauses et d’autre part les clauses pénales et d’indemnisation forfaitaire est importante en ce que les premières ne peuvent être révisées par le juge2148. La clause limitative de responsabilité fixe un plafond de dommages-intérêts dus par le débiteur au créancier en cas d’inexécution. Une clause limitative de responsabilité ne dispense pas le créancier de rapporter la preuve de son préjudice et le montant des dommages-intérêts qu’il recevra sera égal à la plus faible des deux sommes représentant son préjudice et le plafond stipulé. Elle est donc toujours dans l’intérêt du débiteur.

La mise en œuvre d’une clause pénale ou d’indemnisation forfaitaire, c’est très important, est par principe au choix du créancier. Cela signifie que s’il préférait la mise en œuvre d’une autre mesure, comme l’exécution forcée, il serait libre de le faire.

Il convient néanmoins de réserver le cas des clauses pénales ou d’indemnisation forfaitaire qui s’imposent au créancier (et au débiteur d’ailleurs). Il s’agit des clauses qui prévoient qu’une inexécution donnera lieu au paiement d’une certaine somme, sans que le créancier ne puisse mettre en œuvre une autre mesure. Ces clauses, généralement imposées par le débiteur, prévoient un forfait en général bas, et reviennent donc en pratique à limiter leur responsabilité2149.

Les clauses pénales s'imposent aux parties, du moins si la responsabilité contractuelle d'une partie est mise en œuvre. Mais il convient de relever qu'en vertu de l'article 1231-3 du Code civil, « [l]e débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. » En présence d'une telle faute, le créancier pourrait donc, s'il y trouve un intérêt, écarter la clause dans sa demande de dommages-intérêts.

En tout cas, s’il fait le choix de mettre en œuvre une telle clause, il devra préalablement mettre en demeure le débiteur2150. Conformément aux principes qui régissent la mise en demeure, une clause écartant l’exigence d’une mise en demeure devrait pouvoir être stipulée, l'alinéa en question n'étant expressément pas d'ordre public2151. La clause, lorsqu’elle est constatée dans un titre exécutoire2152, en pratique, un acte notarié2153 revêtu de la formule exécutoire2154 dans ce cas précis, le créancier n’a pas besoin d’une décision judiciaire pour en obtenir la réalisation sur le patrimoine du débiteur, puisqu’un titre exécutoire ouvre les voies d’exécution forcées, telles les saisies.

Une fois mise en œuvre, la clause donnera lieu au paiement du forfait stipulé indépendamment du préjudice subi. Le forfait stipulé est en principe intangible : lorsque le contrat stipule que « celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre »2155. Néanmoins, pour pallier certains excès constatés, des réformes du 11 juillet 1975 et celle du 11 octobre 1985 ont autorisé le juge à modérer les clauses pénales. Aujourd’hui, le juge peut2156, même d’office, « modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire » (C. civ., art 1231-5 al. 2) et ce, qu'il s'agisse d'une clause pénale compensatoire ou moratoire 2157. Il appartient au débiteur de rapporter la preuve du caractère « manifestement excessif » de la sanction au regard du préjudice subi par le créancier afin d’obtenir la réduction de son montant et, réciproquement, il appartient au créancier de rapporter la preuve du caractère « manifestement dérisoire » de la sanction au regard de son préjudice afin d’obtenir l’augmentation de son montant. Si les clauses pénales dérisoires sont parfois présentées comme relevant d’une hypothèse d’école, la pratique contractuelle montre que certains débiteurs, lorsqu’ils sont en mesure d’imposer le contenu du contrat, souhaitent, plutôt que de limiter leur responsabilité, qu’il soit prévu qu’en cas d’inexécution de leur part, le montant des dommages-intérêts sera fixé à un montant forfaitaire, par hypothèse favorable2158. En tout état de cause, l’absence de la démonstration d’un préjudice – et a fortiori c’elle d’un préjudice inférieur au montant convenu –2159, ou même la démonstration de l’absence d’un préjudice2160, de même que la démonstration d’un préjudice supérieur au montant convenu2161 ne sont pas de nature à écarter la clause. Afin de savoir s’il y a excès, il convient de comparer « montant conventionnellement fixé » et celui du « préjudice effectivement subi »2162. Si la clause était jugée excessive, le préjudice subi par le créancier constitue la limite inférieure de la réduction possible2163. Il est par ailleurs expressément prévu qu’en cas d’« exécution incomplète », la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, « à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent »2164. Le juge doit alors rechercher l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier2165. Le pouvoir de révision du juge est d’ordre public2166.

Point sensible : des préjudices prévisibles et des trains en retard... Deux affaires illustrent bien ce qui peut être ou non considéré comme des préjudices prévisibles. Dans une première affaire2077, des époux doivent se rendre à Cuba pour les vacances et commencer donc par se rendre en train à Paris avant de gagner l’aéroport. Or le train a un retard (trois heures) tel que les époux manquent leur avion et doivent abandonner leur projet de vacances. Les juges du fond lui accordèrent réparation mais leur décision fut censurée pour ne pas avoir caractérisé un préjudice prévisible pour la SNCF2078. Dans une seconde affaire2079, un avocat n’avait pu assister son client à la suite d’un retard de son train, ce qui lui avait causé une perte de crédibilité, d’honoraires et de différents préjudices moraux. Là encore, les juges du fond lui accordèrent réparation mais leur décision fut censurée pour ne pas avoir caractérisé un préjudice prévisible pour la SNCF2080. Ces affaires invitent à s’interroger sur les conditions auxquelles un dommage est prévisible : la simple connaissance par le débiteur des projets rendus possibles par la bonne exécution du contrat est-elle suffisante, ou faut-il en plus que le débiteur ait accepté de prendre en charge leur indemnisation en cas d’inexécution de sa part ?

Droit spécial : de la violation des règles relatives aux délais de paiement Les articles L. 441-10 et suivants du Code de commerce traitent de la question sensible des délais de paiement et de leur sanction. À cet égard, il est prévu que « [s]auf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage ». Si une clause reprenait ce seuil supplétif, elle ne devrait pas être considérée comme une clause pénale excessive et réductible 2095, mais si elle retenait un seuil très supérieur, on ne voit pas pourquoi la clause, qui est bien une clause pénale, ne le serait pas.

Droit spécial : des clauses limitatives ou exclusives de responsabilité prévues ou interdites par la loi Tantôt la loi prévoit un plafond de responsabilité. C’est le cas en matière de dépôt hôtelier2102, de transport2103, d’exploitation d’installations nucléaires2104. Tantôt la loi interdit les clauses limitatives de responsabilité. C’est le cas en droit de la consommation , les clauses exclusives ou limitatives de responsabilité souscrites au profit du professionnel étant irréfragablement présumées abusives : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l'article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations » ( C. consom., art. R. 212-1, 6) . Il n’est toutefois pas certain que cette disposition soit conforme à la loi2105. C’est également le cas en droit de la construction , les clauses exclusives ou limitatives de responsabilité étant encore réputées non écrites : « Toute clause d'un contrat qui a pour objet, soit d'exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1, et 1792-2, soit d'exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d'en limiter la portée, soit d'écarter ou de limiter la solidarité prévue à l'article 1792-4, est réputée non écrite » (C. civ., art 1792-5. C’est encore le cas en droit de la responsabilité du fait des produits défectueux : « Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites » (C. civ., art 1245-14.

Point sensible : des clauses limitatives de responsabilité susceptibles de constituer des clauses contredisant la portée d’une obligation essentielle ou des clauses abusives Avant la réforme du droit des contrats, la jurisprudence n’avait pas clairement fixé la ligne de démarcation entre les clauses valables et celles ne l’étant pas. Reprenant les solutions jurisprudentielles, la réforme n’a donc pas clarifié les choses. Certaines décisions avaient laissé entendre que, dès lors qu’elles portaient sur une obligation essentielle, la clause élusive de responsabilité2112, la clause prévoyant un plafond dérisoire, ainsi que la clause limitant la responsabilité au prix payé par le cocontractant2113, la clause limitant les hypothèses de responsabilité2114, en contredisaient la portée. Si l’on accepte l’idée qu’une clause limitative de responsabilité puisse « contredire la portée d’une obligation essentielle » – ce qui n’a rien d’évident2115 –, une telle solution n’était pas dénuée de pragmatisme car celui qui ne risque pas grand-chose en s’exécutant mal n’est pas enclin à mettre en œuvre les meilleures diligences. Encore faut-il souligner la grave ambiguïté de la clause aux termes de laquelle la responsabilité était limitée au prix payé par le cocontractant : le prix devant être « restitué au titre des restitutions » (en cas de résolution du contrat), la rédaction de la clause est cruciale, car elle peut indiquer qu’au-delà de cette restitution, des dommages-intérêts seront également dus au cocontractant dans la limite d’une somme égale au prix versé et restitué (c’est bien une clause limitative) ou bien qu’au-delà de cette restitution, aucune somme ne sera due (c’est alors une clause élusive)... Quoi qu’il en soit, les décisions ci-dessus mentionnées pouvaient néanmoins paraître excessives, notamment lorsqu’une telle clause avait été négociée et, par exemple, donné lieu à des contreparties. D’ailleurs, d’autres décisions, plus récentes, avaient considéré que le montant de la limitation de responsabilité ou l’absence même de toute responsabilité ne permettait pas à lui seul de déterminer si la clause est ou non licite. Parmi ces décisions, on trouve le fameux arrêt Faurecia II, dont la solution fut retenue par d’autres décisions postérieures2116. Dans l’arrêt Faurecia II, le montant du plafond convenu n’est pas tenu comme l’élément décisif : la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir considéré que la clause était valable dès lors qu’ils avaient relevé que le plafond n’était pas intrinsèquement dérisoire (il était égal au prix payé par le client...), que « le montant de l’indemnisation [avait été] négocié » et que le débiteur « a consenti un taux de remise de 49 % » sur le prix de la contrepartie versée par le créancier, outre d’autres avantages encore2117. Dans une autre affaire, la Cour de cassation est même allée jusqu’à reconnaître la licéité d’une clause de non-recours d’un locataire contre son bailleur, dès lors que cette clause n’écartait la responsabilité du bailleur que pour les préjudices pouvant être couverts par l’assureur du locataire2118. Autrement dit, qu’une clause prévoie ou non un plafond intrinsèquement dérisoire ou qu’elle soit même élusive de responsabilité2119, il convient d’en apprécier la licéité à l’aune de l’environnement contractuel. Deux précisions. (i) En premier lieu, au fond, trois éléments particuliers devraient être pris en considération en vue d’apprécier la licéité de la clause. Primo, même s’il n’est pas décisif, le montant du plafond convenu devrait être un des éléments particulièrement importants permettant de déterminer si la clause est ou non licite : plus le plafond est bas, plus le risque de neutralisation de la clause devrait être grand. Reste à définir ce qu’est un plafond a priori acceptable : faut-il, à cet égard, prendre en considération la contrepartie reçue par le débiteur (le prix), les préjudices prévisibles, les préjudices exceptionnels ? La seule certitude en l’état des décisions rendues tient à ce qu’on ne saurait tenir un plafond comme étant dérisoire à la seule comparaison de celui-ci et du préjudice effectivement subi : nul n’est devin et ne peut prédire quels préjudices seront effectivement subis en cas d’inexécution. Au-delà, trois éléments de réflexion. Primo, l’article  1231-3 C. civ. prévoyant que le débiteur n’est « tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat (...) », il apparaît important de tenir compte dans la confection de la clause des seuls préjudices prévisibles. Et si l’on autorise bien le débiteur à limiter sa responsabilité, le plafond doit nécessairement pouvoir être inférieur, par principe, aux préjudices prévisibles. Secundo, si, au titre de la limitation de l’indemnisation du seul préjudice prévisible, la Cour de cassation a considéré qu’en cas de retard de train, la SNCF n’était tenue d’indemniser le passager qu’à hauteur du prix payé2120, il serait curieux qu’en règle générale, une clause limitative de responsabilité limitant l’indemnisation au prix payé par le créancier soit par principe tenue pour inefficace2121... Tertio, tenir compte également de la contrepartie reçue paraît être de bonne politique : celui qui ne reçoit rien ou peu doit pouvoir davantage limiter sa responsabilité que celui qui reçoit beaucoup. Secundo, il est des clauses qui n’affectent pas toute inexécution de telle obligation, mais seulement certaines. Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale le 18 décembre 20072122, la Cour de cassation avait approuvé des juges du fond d’avoir appliqué une clause de responsabilité au motif que celle-ci « n’avait pas pour effet de vider de toute substance l’obligation essentielle » du débiteur, « caractérisant ainsi l’absence de contrariété entre ladite clause et la portée de l’engagement souscrit ». En effet, la clause litigieuse prévoyait une limitation de responsabilité « pour la seule coupure inopinée du courant »2123. Si la clause avait été autrement rédigée et que la limitation de responsabilité avait été prévue de règle générale, une telle clause, par sa généralité, aurait-elle été réputée non écrite comme contredisant la portée de l’obligation essentielle du débiteur ? Ou aurait-elle pu trouver à s’appliquer au moins en cas de coupure inopinée ? Tertio, il est des clauses qui ne limitent pas tant le plafond des dommages-intérêts que les préjudices réparables découlant d’une inexécution. On en trouve de nombreuses illustrations dans les contrats de prestation de téléphonie ou de service Internet. Lorsque la Cour de cassation eut à examiner si une clause limitant les préjudices réparables aux « seuls dommages directs, personnels et certains que le client a subis, à l’exclusion expresse de la réparation de tous dommages et/ou préjudices indirects et immatériels, tels que les préjudices commerciaux, les pertes d’exploitation et de chiffres d’affaires, les pertes de données » contredisait la portée de l’obligation essentielle du prestataire, elle a considéré que « la clause limitative de responsabilité, qui définissait seulement la nature et le montant des préjudices pouvant être indemnisés, ne remettait pas en cause l’exécution de l’obligation essentielle de la société X en la vidant de son contenu » 2124 (ii) En second lieu, s’agissant de la preuve de la contradiction (ou de l’absence de contradiction) de la portée de l’obligation essentielle, la question se pose de savoir, à la lecture de l’arrêt Faurecia II, si les clauses limitatives de responsabilité portant sur une obligation essentielle ne seraient pas présumées illicites, sauf à ce que ne soit rapportée la preuve par le débiteur de sa justification à l’aune de l’environnement contractuel2125.

Droit spécial : de la validité encadrée ou de l’interdiction En premier lieu, la question se pose de savoir si une clause pénale peut constituer un « déséquilibre significatif ». En droit des pratiques restrictives, la Cour de cassation juge que les dispositions du code civil qui régissent les clauses pénales ne font pas obstacle à l’application des règles du Code de commerce sanctionnant le déséquilibre significatif2134. La cour d’appel de Paris décide généralement que la stipulation de pénalités ne pouvait contribuer à créer un déséquilibre significatif2135 dès lors que les manquements du bénéficiaire d’une clause pénale sont par ailleurs sanctionnés en vertu du droit commun des contrats2136. Mais le contrôle est permis, Aujourd’hui, constitue toutefois une pratique restrictive le fait d’imposer des pénalités logistiques ne respectant pas les règles bavardes et absconses des art. L. 441-17 s. du Code de commerce. En droit de la consommation, en contrepoint, est (simplement) présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet « d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant manifestement disproportionné »2137. La clause n’est pas réductible : elle est réputée non écrite2138. Par ailleurs, alors même que le montant de la clause pénale ne serait pas manifestement disproportionné, la Cour de cassation a laissé entendre que la clause pourrait causer un déséquilibre significatif à défaut de réciprocité2139. En deuxième lieu, la stipulation d’une clause pénale est parfois interdite. En droit du travail, les « amendes » ou « autres sanctions pécuniaires » sont interdites au titre des sanctions disciplinaires et toute disposition contraire est « réputée non écrite »2140. Toutefois, le contrat de travail peut comprendre des clauses pénales, pouvant assortir par exemple une obligation de non-concurrence2141 ou un licenciement2142. En droit des baux d’habitation, est « réputée non écrite » toute clause qui autorise le bailleur à percevoir des « amendes » ou des « pénalités » en cas « d’infraction aux clauses d’un contrat de location ou d’un règlement intérieur à l’immeuble »2143. Là encore, la clause n’est pas simplement réductible, elle est réputée non écrite. En troisième lieu, la stipulation d’une clause pénale est parfois encadrée. L’encadrement peut prendre plusieurs modalités. - Tantôt, elle comporte un plancher voire plafond. En droit de la construction, la loi prévoit que le contrat de vente d’immeuble à construire « ne peut stipuler forfaitairement, en cas de résolution, le paiement, par la partie à laquelle elle est imputable, d'une indemnité supérieure à 10 p. 100 du prix », encore que « les parties conservent la faculté de demander la réparation du préjudice effectivement subi »2144. Lorsqu’un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan a été conclu, la pénalité pour retard de paiement due par le maître de l’ouvrage « ne peut excéder 1 % par mois calculé sur les sommes non réglées si la pénalité pour retard de livraison est limitée à 1/3 000 du prix par jour de retard »2145. À un autre égard, la clause pénale comporte un plancher : en cas de retard de livraison par le constructeur, « les pénalités prévues au i de l'article L. 231-2 ne peuvent être fixées à un montant inférieur à 1/3 000 du prix convenu par jour de retard ». - Tantôt, il s’agit de règles de forme particulière. C’est le cas s’agissant de la législation sur les agents immobiliers . Il résulte de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce2146 (loi Hoguet) et du décret d’application du 20 juillet 19722147 que la clause pénale stipulée dans un mandat d’entremise doit être « mentionnée en caractères très apparents », « ne peut prévoir le paiement d'une somme supérieure au montant des honoraires stipulés dans le mandat pour l'opération à réaliser » et « [p]assé un délai de trois mois à compter de sa signature, le mandat contenant une telle clause peut être dénoncé à tout moment par chacune des parties, à charge pour celle qui entend y mettre fin d'en aviser l'autre partie quinze jours au moins à l'avance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ».

Droit spécial : du plancher de réduction La loi exige que contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture du plan comporte un certain nombre de mentions, notamment les pénalités prévues en cas de retard de livraison2167. Or, en vue de protéger le maître de l’ouvrage, en cas de retard de livraison, il est prévu que ces pénalités ne peuvent être inférieures à un plancher, 1/3 000 du prix convenu par jour de retard2168. Le juge ne peut alors « allouer au maître de l’ouvrage une indemnisation inférieure au minimum prévu par la loi »2169. Toujours dans le but de protéger le maître de l’ouvrage, lorsque le contrat prévoit cette fois à sa charge une pénalité en cas de retard de paiement, la pénalité est limitée par un plafond pusique le taux de celle-ci ne peut excéder 1 % par mois calculé sur les sommes non réglées si la pénalité pour retard de livraison est limitée à 1/3 000 du prix par jour de retard2170.

Aménagements conventionnels Le contrat constaté par un acte notarié revêtu de la formule exécutoire est un « titre exécutoire »2171. S’il comporte une clause pénale, le créancier victime de l’inexécution n’a pas à saisir le juge afin de voir condamner le débiteur à lui payer des dommages-intérêts qu’il évaluerait. Il peut, muni de son titre exécutoire, procéder à une mesure d’exécution, par exemple la saisie des comptes de son débiteur. Bien entendu, le débiteur pourra contester la validité du contrat ou bien son obligation (par exemple en ce qu’il n’aurait pas commis d’inexécution), devant le juge de l’exécution2172.

Chapitre 12 - La fin du contrat

Plan

499 Localisation. Les dispositions relatives à la fin du contrat sont disséminées dans le Code civil. On en trouve dans la troisième section (« La durée du contrat ») et la cinquième section (« L’inexécution du contrat ») du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat » et dans la quatrième section (« Sanctions ») du chapitre II intitulé « La formation du contrat ».

500 Distinction – plan. Un contrat est en théorie susceptible de prendre fin de quatre manières : par une décision du juge, par un accord des parties, par la décision unilatérale de l’une d’entre elles, automatiquement. En réalité, tout dépend du mode d’extinction2173.

Un contrat prend fin de manière « naturelle » chaque fois que les obligations auxquelles il a donné lieu ont été exécutées (contrat à exécution instantanée), qu’une partie l’a résilié (contrat à exécution successive et à durée indéterminée) ou qu’il est parvenu à échéance (contrat à exécution successive et à durée déterminée) (section 1). Mais un contrat peut également prendre fin de manière « accidentelle », par nullité, caducité, ou résolution (section 2).

501 Nuances liminaires : fin sans fin et résurrection. La « fin » du contrat est en réalité une vue de l’esprit, ce conduit à faire trois observations capitales.

Primo, un contrat ne prend pas fin comme un être vivant. La « fin » d’un être vivant ne laisse rien de l'« être ». Il en va différemment d’un contrat. À son extinction, subsistent ou naissent des obligations destinées à régir l’« après-contrat » : garanties, obligations de non-concurrence, de confidentialité, de préférence, etc.2174.

Secundo, un contrat qui est parvenu à son terme ou que les parties ont résilié ne prend en principe fin que pour l’avenir. Un contrat qui aurait ainsi pris fin pourrait néanmoins être anéanti une seconde fois pourvu que cet anéantissement joue rétroactivement (nullité, résolution voire résiliation, qui peut elle aussi être partiellement rétroactive2175, caducité dans certains cas). Il doit être également possible, dans la même veine, d’annuler un contrat résolu ou résilié, car il s’agira là encore d’éradiquer encore un peu plus ce qui restait du contrat avant sa résolution ou sa résiliation, dont l’effet rétroactif est moins puissant2176.

Tertio, la résurrection n’est pas impossible en droit. Ainsi un contrat qui aurait été révoqué par un accord des parties ou par un acte unilatéral d’une des parties (un congé, un licenciement, par exemple) pourrait « ressusciter » si cet accord ou cet acte est annulé.

Point sensible : du sort du stock d’un distributeur en fin de contrat Dans la distribution de marchandises, on distingue les distributeurs qui agissent pour le compte d’autrui en ce qu’ils distribuent les marchandises d’autrui (ce sont des intermédiaires) des distributeurs qui agissent pour leur propre compte en ce qu’ils distribuent leurs marchandises, qu’ils ont préalablement acquises auprès d’autrui. C’est le sort de ces derniers, lorsqu’ils agissent dans le cadre d’un réseau (ex. franchise, concession) qui fait difficulté, lorsque la tête de réseau met fin au contrat de distribution alors que le distributeur n’a pas écoulé toutes les marchandises en stock. Deux questions se posent. Primo, le distributeur peut-il exiger le rachat du stock par le fournisseur ? Par principe, une telle obligation n’existe pas2177. Toutefois, la tête de réseau sera contrainte de racheter le stock si cela est prévu par le contrat2178 (cette obligation peut être écartée en cas de faute du distributeur2179), si une décision de justice ayant reconnu la responsabilité du fournisseur dans la rupture du contrat l’ordonne à titre de réparation du préjudice2180 ou si le distributeur n’était pas véritablement autonome du fournisseur qui supervisait l’approvisionnement2181. Secundo, le distributeur peut-il, nonobstant, la fin du contrat de distribution le liant à la tête de réseau, écouler son stock ? Il faut distinguer. En l’absence de stipulation contractuelle le lui interdisant, cette faculté doit lui être reconnue, car il est propriétaire des marchandises et que cela implique le droit d’en disposer2182. Toutefois, le distributeur devra respecter les droits de propriété intellectuelle du fournisseur2183 et ne pas commettre un acte de concurrence déloyale, par exemple en se prévalant de manière mensongère d’une appartenance au réseau2184. En présence de stipulation contractuelle interdisant au distributeur d’écouler le stock, c’est la validité même d’une telle stipulation qui se pose. Ne s’agirait-il pas d’une clause d’inaliénabilité perpétuelle, non justifiée par un intérêt légitime qui porterait donc une atteinte excessive au droit de propriété du distributeur2185 ?

Section 1 - La fin naturelle du contrat

502 Plan. Distinguons les contrats à exécution successive (§ I) des contrats à exécution instantanée (§ II).

§ I - Les contrats à exécution successive

503 Dans la durée. Les contrats à exécution successive sont ceux « dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps » (C. civ.,11-1 al. 2). La définition est imparfaite, on l’a déjà dit2186. Les contrats à exécution successive sont pour l’essentiel des contrats qui ont pour objet la jouissance ou la conservation d’une chose (ex. : le prêt, le bail, le dépôt) ou qui instituent une relation entre les parties (ex. : le contrat de travail, les contrats de distribution) : ce sont des contrats dont les obligations s’exécutent nécessairement dans la durée.

Ils peuvent être conclus pour une durée indéterminée ou déterminée2187.

504 Contrats à durée indéterminée. Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, en vertu d’une clause expresse ou en l’absence de terme stipulé2188, « chaque partie peut y mettre fin à tout moment , sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (C. civ., art 1211 2189). Que le contrat puisse être « résilié »2190 unilatéralement pour l’avenir2191 est d’ailleurs une exigence constitutionnelle2192. Toutefois, le droit de résilier le contrat connaît trois tempéraments. Primo, la résiliation ne prend effet qu’après un « préavis contractuellement prévu ou, à défaut, raisonnable », afin de laisser à celui qui se la voit notifier le temps de prendre ses dispositions. La durée raisonnable du préavis requis s’apprécie in concreto et dépend de plusieurs circonstances : nature du contrat conclu, qualité des parties, volonté de celles-ci2193, etc. Secundo, la résiliation pourrait n’être possible qu’après l’écoulement d’une durée initiale d’irrévocabilité. Untel souscrit un contrat d’abonnement pour une durée indéterminée auprès de tel autre tout en étant lié pour une période minimale d’une année. Tertio , la Cour de cassation juge qu'il est possible d'obtenir en référé, sur le fondement des articles 809 et 873 du Code de procédure civile, la continuation pour une certaine durée d'un contrat pourtant régulièrement résilié en vue de « prévenir un dommage imminent » 2194.

Le droit de résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée se distingue du droit de résoudre un contrat pour inexécution à deux égards au moins. D’une part, le droit de résoudre un contrat suppose en principe, non pas un préavis, mais une mise en demeure2195. D’autre part, et surtout, le droit de résoudre le contrat suppose une inexécution, à la différence du droit de résiliation unilatérale, lequel n’a pas même à être justifié par des motifs légitimes, tant sur le fond que sur la forme2196, sauf à ce que, dans des cas particuliers, les droits de la défense ne l’exigent2197. Il ne faudrait pas pour autant croire que le droit de résiliation est discrétionnaire : il est susceptible d’abus2198 – en vertu d’une exigence constitutionnelle2199 – même si les exemples sont rares2200.

505 Contrats à durée déterminée. Lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée (que le terme soit ou non2205 certain) « chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme » (C. civ., art 1212 al. 1 2206), ce qui signifie qu’aucun droit de résiliation unilatérale n’est accordé aux parties. Si la durée est en principe déterminée librement, c’est sous la réserve du droit de principe général de prohibition des engagements perpétuels, qui exige que la durée ne soit pas excessivement longue2207, et de certaines règles de droit spécial.

Au terme du contrat, « [n]ul ne peut exiger le renouvellement du contrat » (C. civ., art 1212 al. 2). L'absence de renouvellement ou de reconduction n'a pas à être motivée 2242. Toutefois, le refus de renouvellement d’un contrat à durée déterminée est, comme tout droit non discrétionnaire, susceptible d’abus2243.

506 Contrats hybrides. Il existe deux formes principales d’hybridation : un contrat peut être conclu à durée indéterminée avec une période d’irrévocabilité et un contrat peut être conclu à durée déterminée avec faculté de résiliation unilatérale2250. La liberté contractuelle ne saurait interdire ces figures a priori exotiques.

507 Engagements perpétuels2251. Les « engagements perpétuels sont prohibés » (C. civ., art 1210 al. 1). Un contrat à durée indéterminée sera considéré comme perpétuel si une partie au moins est privée de son droit de résiliation unilatérale (hypothèse d’école). Un contrat à durée déterminée sera considéré comme perpétuel dans plusieurs cas : la durée stipulée est excessive ou encore une partie ne peut s’opposer à la prorogation2252 ou au renouvellement2253 du contrat si l’autre le souhaite. En toute hypothèse, la Cour de cassation a jugé qu’un pacte d’associés dont la durée est étalonnée sur celle de la société n’est pas perpétuel2254. La détection de la perpétuité n’est pas toujours aisée en raison de la complexité des montages contractuels, comme le révèle certains montages de location d’équipements téléphoniques et informatiques2255.

Parce que l’engagement perpétuel est celui qui porte une atteinte excessive à la liberté individuelle, il est impossible d’établir in abstracto un seuil de perpétuité : tout dépend de la qualité des parties, du contrat projeté, etc. Il existe toutefois des directives : la jurisprudence sera plus stricte envers les personnes physiques que les personnes morales, plus stricte lorsque l’exécution du contrat suppose une prestation personnelle du débiteur2256 et non le simple octroi d’un droit de jouissance2257 et, dans ce dernier cas, plus stricte lorsque la chose est promise à obsolescence rapide2258.

Quelle sanction pour le contrat perpétuel ? Est-il nul2259, réductible2260, ou réputé être un contrat sans durée déterminée2261 ? Depuis la réforme du droit des contrats, les choses sont claires : lorsque le contrat est perpétuel, il prend fin comme un contrat à durée indéterminée, chaque partie disposant d’un droit de résiliation unilatérale2262.

508 Prolongation de la relation contractuelle au-delà du terme d’un contrat à durée déterminée. Par plusieurs techniques distinctes, une relation contractuelle peut être prolongée au-delà du terme initialement prévu.

Primo, le contrat à durée déterminée peut être, avant l’échéance du terme, prorogé : le même contrat se poursuit au-delà du terme initialement prévu. Toutefois, la loi prévoit que la prorogation « ne peut porter atteinte aux droits des tiers »2263. Ainsi le créancier ne peut demander à la caution le paiement des dettes contractées par le débiteur en raison de la prorogation du contrat2264.

En pratique, la prorogation ne résulte pas nécessairement d’un accord en cours de contrat. Elle peut être décidée dès le contrat initial, et subordonnée à la survenance de tel événement, telle l’obtention par une des parties d’un certain chiffre d’affaires. Par ailleurs, une partie peut avoir promis la prorogation dès le contrat initial à l’autre, qui bénéficie ainsi d’un droit d’option. De tels montages peuvent susciter des difficultés quant à la question de la durée du contrat quand celle-ci est plafonnée, notamment lorsque le contrat comporte une clause d’exclusivité au sens de l’article L. 330-1 C. com.

Secundo, le contrat à durée déterminée peut également être, à l’échéance du terme, expressément renouvelé ou tacitement reconduit. Le renouvellement du contrat consiste dans la reconduction du contrat expressément voulue par les parties. Le renouvellement « donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée »2268. La tacite reconduction consiste dans la reconduction du contrat tacitement voulue par les parties, la volonté tacite s’évinçant de l’exécution du contrat après son terme suivant la technique de la présomption : « [l]orsqu'à l’expiration du terme d’un contrat conclu à durée déterminée, les contractants continuent d’en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction », sachant que la tacite reconduction « produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat »2269. Le contrat tacitement reconduit est donc lui aussi en principe conclu pour une durée indéterminée.

En cas de renouvellement exprès ou de reconduction tacite, l’existence et la qualité des consentements (capacité, pouvoir, intégrité) des parties doivent à nouveau être appréciées2270, les sûretés garantissant les obligations nées de l’ancien contrat s’éteignent en principe2271, le nouveau contrat peut se trouver soumis à une nouvelle loi, si entre la conclusion du contrat initial et le renouvellement ou la reconduction, il y en a eu une2272. Si la reconduction ou le renouvellement d’un contrat constitue une manifestation de volonté de voir un nouveau contrat se former, elle ne saurait emporter renonciation à demander l’annulation de l’ancien contrat ou à se plaindre de son inexécution, sauf circonstances particulières2273.

Droit spécial : du droit de résiliation unilatérale limité Sans jamais être remis en cause, le droit de résiliation unilatérale est parfois limité par des règles spéciales. En premier lieu, le droit de rompre un contrat à durée indéterminée n’est parfois possible que pour certains motifs. C’est essentiellement le cas en droit du travail, l’employeur ne pouvant licencier son salarié que pour des motifs précis2201 et suivant une procédure précise. En deuxième lieu, le droit de la consommation s’oppose aux stipulations défavorables au consommateur, s’agissant des préavis. D’une part, sont irréfragablement présumées abusives, et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de « [s]oumettre, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation à un délai de préavis plus long pour le consommateur que pour le professionnel »2202. D’autre part, sont simplement présumées abusives, les clauses ayant pour objet ou pour effet de « [r]econnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable »2203. En troisième lieu, la résiliation unilatérale oblige parfois son auteur à indemniser le cocontractant éconduit. Ainsi, si la révocation du mandat par le mandant ne donne en principe pas lieu à une indemnisation du mandataire, il en va différemment dans deux cas : lorsque le mandat est stipulé irrévocable (mais il est alors à durée déterminée) et lorsqu’il est d’intérêt commun. La jurisprudence considère que le mandat est d’intérêt commun lorsque les deux parties au contrat ont « intérêt à la création et au développement d’une clientèle commune »2204 ou encore l’« essor de l’entreprise ».

Droit spécial : des durées plafonnées Tantôt, la loi fixe une durée plafonnée pour tel contrat : 99 ans pour les sociétés2208, les baux à construction2209, les baux réels immobiliers2210, les baux emphytéotiques2211, notamment. Tantôt, la loi fixe une durée plafonnée pour telle clause : c’est le cas des clauses d’exclusivité d’approvisionnement. Si l’on s’en tient aux seules règles du droit commercial général2212 , en vertu de l'article L. 330-1 du Code de commerce, est limitée « à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur ». Par ailleurs, lorsque le contrat comportant une clause d'exclusivité « est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d'autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d'exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celle figurant au premier contrat » 2213. La durée de dix années ne pourrait, à en croire certains arrêts, être prolongée par les parties avant l’échéance2214 et il conviendrait alors d'interdire par analogie tout accord de renouvellement avant l'expiration du contrat. Pourtant, une telle rigueur n'est pas admissible en pratique. Que les parties ne puissent proroger librement un contrat ou s'accorder sur son renouvellement avant son échéance remet en cause une pratique bien établie et parfaitement acceptée, notamment en ce qui concerne les contrats de distribution. En revanche, la conclusion de contrats interdépendants asynchrones, qui conduit les parties à proroger ou renouveler l'un pour correctement exécuter l'autre, en sorte qu'elles sont emprisonnées, est directement contraire à l'article L. 330-1 2215.

Point sensible : de la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée La question de la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée est a priori saugrenue pour les raisons ci-dessus évoquées. En réalité, il faut bien distinguer deux questions : celle du droit de résilier et celle des conséquences d’une décision de résiliation. (i) S’il est en principe interdit aux parties de résilier unilatéralement un contrat à durée déterminée, il existe des exceptions. En premier lieu, une clause du contrat peut conférer aux parties le droit de le résilier avant terme (c’est la clause de rupture anticipée). À cet égard, la clause de rupture anticipée constitue, au stade de l’exécution du contrat, le prolongement de la clause de dédit2216, au stade de la formation du contrat. Certes, de telles clauses ne sont pas en principe considérées comme illicites2217 et leur licéité peut se recommander de celle des clauses de dédit dont elles ne sont que le prolongement. Il reste qu’elles tempèrent sérieusement la force obligatoire d’un contrat d’ores et déjà mis en exécution, ce qui pourrait expliquer que certaines décisions laissent entendre qu’elles doivent comporter d’une manière ou d’une autre une contrepartie (alors que le dédit pourrait être gratuit2218)2219, et ce, d’autant plus lorsque le contrat est soumis à un contrôle du déséquilibre significatif2220. De telles clauses, consacrant un droit de rupture unilatérale, ne sauraient être considérées comme des clauses pénales lorsque le droit de rompre est accordé moyennant le paiement d’une somme d’argent2221 : le prix d’un droit n’est pas l’indemnité d’une inexécution. En second lieu, plusieurs règles spéciales reconnaissent ce droit aux parties. C’est le cas dans le mandat, puisque le mandant2222 et le mandataire2223 peuvent y mettre fin avant le terme, en raison de la nature éminemment personnelle de ce contrat. Et lorsque le mandat est stipulé irrévocable2224, la révocation reste efficace mais le cocontractant éconduit pourra obtenir une indemnisation à la mesure de son dommage2225. C’est également le cas dans le dépôt, puisque la chose doit être remise au déposant aussitôt qu’il la réclame, lors même que le contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution2226, ce qui s’explique par le droit de propriété du déposant et l’absence de jouissance de la chose du dépositaire. Ça l’est aussi s’agissant du prêt à usage, mais dans une moindre mesure puisque le prêteur2227 peut seulement demander au juge, en cas de « besoin pressant et imprévu de sa chose », qu’il oblige l’emprunteur à la lui rendre avant le terme convenu ou avant que le besoin de celui-ci ait cessé2228. La faveur faite au prêteur s’explique par le caractère essentiellement gratuit de ce contrat. (ii)En cas de résiliation illicite d’un contrat à durée déterminée, selon la plupart2229 des décisions rendues par la Cour de cassation, la victime de la résiliation peut réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé, sans pour autant pouvoir obtenir l’intégralité des sommes dues au titre du contrat. Plusieurs affaires en témoignent. On peut mentionner une première espèce (affaire Approchim), dans laquelle un client s’était engagé à confier 50 voyages à un transporteur pour un prix global, avant de « résilier » le contrat après 5 voyages. Alors que les juges du fond l’avaient condamné à payer au transporteur la totalité du prix, leur décision est censurée au motif que « le prix, fût-il d’un montant forfaitairement convenu, n’était dû qu’en cas d’exécution de la convention »2230. Dans une autre espèce, un employeur avait rompu sans droit de manière anticipée un contrat de travail à durée déterminée. Les juges du fond l’avaient condamné à verser à la salariée des dommages-intérêts correspondant au montant des sommes restant dues jusqu’à l’expiration du contrat à durée déterminée, mais leur décision est une fois de plus censurée au motif que « lorsqu’un salarié n’est pas en mesure de fournir la prestation inhérente à son contrat de travail, son employeur ne peut être tenu de lui verser un salaire sauf disposition légale, conventionnelle ou contractuelle particulière »2231. Dans une autre espèce, encore, un client avait mis fin avant son terme à un contrat de prestation de service et les juges du fond l’avaient condamné à payer l’intégralité de la rémunération que le prestataire aurait perçue si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme, aux motifs qu’eu égard à la force obligatoire qui s’attache aux contrats, celui qui est à l’origine de la résiliation d’un contrat à durée déterminée, intervenue irrégulièrement avant son terme, est tenu de payer le prix forfaitaire convenu, bien que cette rémunération soit désormais sans contrepartie. La décision est cassée au motif que « le prix n’est dû qu’en cas d’exécution de la prestation convenue » en sorte qu’il revenait aux juges du fond « d’évaluer le préjudice résultant de la résiliation anticipée du contrat »2232. Dans une autre espèce, enfin, un client avait confié à une société de conseil une mission pour une durée déterminée de deux ans, renouvelable, mais mit fin au contrat de manière anticipée, en conséquence de quoi le prestataire demanda le paiement de la rémunération due au titre du contrat. La Cour de cassation s’y refuse au motif que « le prix convenu de prestations n’étant dû qu’en cas d’exécution de la convention, la résiliation fautive de celle-ci par anticipation n’ouvre droit qu’à l’allocation au cocontractant de dommages-intérêts, même si leur montant peut être forfaitairement fixé par une clause pénale à celui de la fraction du prix restant à courir jusqu’au terme du contrat »2233. Ces décisions, qui refusent à la victime de la résiliation fautive le droit d’être payé des sommes d’argent auxquelles elle pouvait prétendre en vertu du contrat, ont été prononcées dans des hypothèses dans lesquelles la victime qui réclamait le paiement n’avait pas fourni la contreprestation, pas plus qu’elle ne comptait la fournir2234, soit qu’elle ne le pouvait, soit qu’elle ne le voulait2235. En revanche, si la victime qui réclame le paiement de la somme convenue a exécuté sa prestation (ou offre de le faire ?), elle devrait obtenir le paiement des sommes convenues, même si le cocontractant partie refuse une telle exécution (le cas échéant, si elle offre de le faire déduction faite des coûts qui seront évités)2236. On a par ailleurs déjà vu que la victime d’une résiliation sans droit pouvait solliciter du juge le maintien du contrat, même en référé2237. En définitive, on retiendra que lorsque la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée est illicite, le juge ne pourra « contraindre à l’exécution d’une des prestations réciproques (le paiement du prix) que si l’autre prestation (la contrepartie du prix) peut encore être exécutée ou l’a déjà été »2238. Dans le cas contraire, la seule manière d’être indemnisée à hauteur des sommes convenues est de pouvoir invoquer une clause pénale ou d’indemnisation forfaitaire prévoyant le paiement des sommes dues jusqu’à l’expiration du contrat2239. Lorsque la victime ne recherche pas l’exécution forcée du contrat et ne fournira donc pas la contreprestation, il conviendrait d’appliquer par analogie les règles d’évaluation du préjudice pour rupture brutale d’une relation établie2240. De fait, une rupture brutale est, comme une rupture illicite, une « rupture anticipée ». Dès lors qu’il est question d’indemniser les conséquences du caractère anticipé de la rupture, l’évaluation du préjudice devrait se faire de la même manière. Or les règles d’indemnisation du préjudice découlant d’une rupture brutale ont été au fur et à mesure dégagées par la cour d’appel de Paris : le préjudice s'évalue à partir de la marge sur coûts variables qui n’a pu être réalisée par la victime – en retranchant le cas échéant encore certains coûts fixes dès lors qu’ils ont été ajustés et dans la mesure où ils l’ont été – au cours des mois pendant lesquels la relation aurait dû perdurer, en estimant en principe cette marge à partir des deux ou trois exercices précédant la rupture2241.

Droit spécial : des contrats qui offrent un droit au renouvellement Exceptionnellement, certains contrats confèrent un droit au renouvellement, suivant des techniques différentes. C’est notamment le cas pour certains baux : les baux commerciaux, les baux d’habitation et les baux ruraux. En matière de baux commerciaux, le bailleur qui refuse de renouveler le bail doit, en principe, indemniser le locataire du préjudice subi2244, même s’il existe exceptions et cas particuliers2245. En matière de baux d’habitation, le bailleur ne peut refuser de renouveler le bail ou de le laisser se conduire tacitement sauf pour un des motifs prévus par la loi2246. En matière de baux ruraux, le bailleur ne peut refuser de renouveler le bail s’il ne justifie de l’un des motifs graves et légitimes mentionnés par la loi ou n’invoque le droit de reprise dans les conditions prévues par la loi2247.

Droit spécial : du droit au « maintien » d’une relation établie Le Code de commerce prévoit que toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, engage sa responsabilité2248, au titre d’une pratique restrictive2249 . Cette disposition enjoint à la partie qui souhaite mettre fin à un contrat à durée indéterminée ou ne pas renouveler un contrat à durée déterminée d'accorder à l'autre un préavis raisonnable (apprécié souverainement par les tribunaux) qui se traduira le cas échéant par une prorogation du contrat, s'il est à durée déterminée. Si cette disposition constitue une illustration particulière de la règle de l'article 1211 en ce qui concerne les contrats à durée indéterminée, elle constitue une véritable exception au principe suivant lequel un contrat à durée déterminée prend fin à l'échéance du terme (C. civ., art 1212.

Aménagements conventionnels En pratique, la prorogation ne résulte pas nécessairement d'un accord en cours de contrat. Elle peut être décidée dès le contrat initial, et subordonnée à la survenance de tel événement, telle l'obtention par une des parties d'un certain chiffre d'affaires. Par ailleurs, une partie peut avoir promis la prorogation dès le contrat initial à l'autre, qui bénéficie ainsi d'un droit d'option. De tels montages peuvent susciter des difficultés quant à la question de la durée du contrat quand celle-ci est plafonnée, notamment lorsque le contrat comporte une clause d'exclusivité au sens de l'article L. 330-1 du Code de commerce 2265.

Droit spécial : de la prorogation des sociétés après terme Si la prorogation d’un contrat doit en principe avoir lieu avant l’échéance de son terme – on ne proroge pas ce qui n’est plus –, un mécanisme spécial a été mis en œuvre afin de « sauver » les sociétés dont la prorogation aurait été oubliée. Si un an au moins avant la date d'expiration de la société, les associés nont pas été consultés à l'effet de décider si la société doit être prorogée, tout associé peut demander au président du tribunal de désigner un mandataire de justice chargé de provoquer ladite consultation. Et lorsque la consultation n'a pas eu lieu, le président du tribunal, statuant à la demande de tout associé dans l'année suivant la date d'expiration de la société, peut constater l'intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Si la société est prorogée, les actes conformes à la loi et aux statuts antérieurs à la prorogation sont réputés réguliers et avoir été accomplis par la société ainsi prorogée (C. civ., art. 1844-6 C. civ.)2266. En tout état de cause, le refus de proroger une société peut constituer, conformément au droit commun, un abus de minorité2267.

Droit spécial : de la durée du contrat tacitement reconduit La loi prévoit que le contrat tacitement reconduit l'est pour une durée indéterminée pour de nombreux contrats (art. 1738, pour le bail de droit commun ; art. L. 1243-11 C. trav. pour le contrat de travail ; art. L. 134-11 C. com. pour l'agent commercial). Tel n'est toutefois pas toujours le cas (art. 10 al. 3 L. n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs : « En cas de reconduction tacite, la durée du contrat reconduit est de trois ans pour les bailleurs personnes physiques ainsi que pour les bailleurs définis à l'article 13, et de six ans pour les bailleurs personnes morales »).

Droit spécial : de la clause de tacite reconduction La clause de tacite reconduction peut surprendre une des parties qui, bien que ne souhaitant pas voir la relation se prolonger, a omis de la tenir en échec. C’est pourquoi dans certaines matières, le législateur est intervenu afin de protéger la partie jugée faible. En droit de la consommation, le législateur a prévu une « obligation de rappel » à la charge du professionnel : pour les contrats de prestations de services à durée déterminée avec clause de reconduction tacite, le prestataire professionnel doit informer le consommateur par écrit au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, « de la possibilité de ne pas reconduire le contrat », étant précisé que si l’information n’a pas été correctement donnée, « le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction »2274. En droit des assurances, la jurisprudence considère que la tacite reconduction n’est possible qu’en vertu d’une clause expresse2275, solution qui peut se recommander de plusieurs dispositions du Code des assurances2276, mais aussi et surtout de l’idée qu’il serait très difficile de déceler une volonté tacite des parties de reconduire le contrat, ce dernier ne donnant pas lieu à des actes d’exécution particuliers de la part des parties en cours de contrat. Par ailleurs, si la tacite reconduction donne bien naissance à un nouveau contrat2277, celui-ci a une durée maximale d’un an2278. Dans le cas particulier des contrats couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et comportant une clause de tacite reconduction, l’assureur est tenu d’une obligation annuelle d’information envers l’assuré lui rappelant la date limite pour dénoncer le contrat. S’il ne le fait pas, l’assuré a le droit de mettre fin au contrat à tout moment à compter de la date de reconduction2279.

Aménagements conventionnels À défaut de clause, la tacite reconduction résulte de la volonté tacite des parties d’avoir voulu que le contrat soit reconduit. Or cette volonté tacite résultera le plus souvent d’un comportement des parties postérieur à l’échéance du terme : les parties ont poursuivi leur relation. Les clauses relatives à la tacite reconduction peuvent être de deux ordres : faciliter la reconduction ou la rendre plus difficile. Les clauses facilitant la tacite reconduction sont des clauses qui font découler d’un fait, qui pourrait être équivoque, la volonté des parties de reconduire le contrat. Le plus souvent, ce fait est antérieur à l’échéance du terme, en sorte que l’accord tacite de reconduction est antérieur à l’échéance du terme du contrat. Par exemple, si un cocontractant ne manifeste pas sa volonté tant de jours avant le terme du contrat de ne pas le voir se reconduire, il a manifesté sa volonté de le reconduire. Les clauses dressant des obstacles à la tacite reconduction sont elles-mêmes de deux ordres. Certaines l’excluent, cependant que d’autres font découler d’un fait ou d’une absence d’un fait, la volonté des parties de ne pas reconduire le contrat. Si toutes ces clauses, notamment les clauses excluant la tacite reconduction, sont efficaces2280, elles peuvent avoir été supprimées ou modifiées après la conclusion du contrat, en cours d’exécution de celui-ci2281.

§ II - Les contrats à exécution instantanée

509 Prestation unique ? Les contrats à exécution instantanée sont définis comme ceux « dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique » (C. civ., art 1111-1 al. 1). La difficulté tient à la définition de la « prestation unique » et au lien que la disposition tisse entre les « obligations » et la « prestation » 2282. En réalité, ce qui caractérise un tel contrat, c’est qu’il n’est pas conclu pour une durée, notamment parce que les prestations que les parties se fournissent ne sont pas continues.

510 Révocation d’un contrat à durée instantanée. La révocation par les parties qui se sont accordées d’un contrat à exécution instantanée est tout à fait concevable. Elle produit un effet rétroactif en ce que le contrat est censé ne jamais avoir été conclu2283.

Section 2 - La fin accidentelle du contrat

511 Caducité, annulation et résolution. Un contrat prend fin de manière accidentelle chaque fois que son extinction ne s’est pas produite par l’exécution de ses obligations (contrat à exécution instantanée), par l’exercice d’un droit de résiliation unilatérale (contrat à durée indéterminée) ou par l’arrivée de son échéance (contrat à durée déterminée).

C’est le cas lorsque le contrat est caduc, annulé ou résolu.

512 Plan. Distinguons dans ces cas l’étendue matérielle (§ I) de l’étendue temporelle de l’anéantissement du contrat (§ II).

§ I - Étendue matérielle

513 Caducité et résolution. La caducité et la résolution affectant en principe le contrat et non une clause , elles emportent l'extinction du contrat (C. civ., art 1187 al. 1 et C. civ., art 1229 al. 1).

Toutefois, lorsque le contrat est résolu, la loi prévoit que survivent deux types de clauses (C. civ., art 1230.

C’est le cas en premier lieu des « clauses de règlement des différends », c'est-à-dire des clauses attributives de juridiction, des clauses compromissoires, des clauses de médiation ou de conciliation, etc. D'après l'article 1447 CPC, qui concerne l'arbitrage interne - la règle vaut aussi pour l'arbitrage international, par renvoi de l'article 1506, la convention d'arbitrage est « indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n'est pas affectée par l'inefficacité de celui-ci ». Et la jurisprudence avait retenu une solution identique avant la réforme s'agissant des clauses attributives de compétence 2284.

C’est le cas en second lieu des clauses « destinées à produire effet même en cas de résolution », ce qui est un truisme. L’article 1230 mentionne les « clauses de confidentialité » ainsi que les « clauses de non-concurrence »2285. Cette liste n’est pas limitative (« telles les ») : clause d’indemnisation forfaitaire (clause pénale)2286, clause limitative de responsabilité2287, etc.2288.

S’agissant des clauses limitatives de responsabilité, on aura à l’esprit que les préjudices pouvant découler d’une inexécution ne sont pas nécessairement les mêmes qui peuvent découler de l’anéantissement du contrat, ce que les parties doivent envisager lors de leur rédaction.

514 Nullité. La nullité peut affecter le contrat ou une clause du contrat.

Tantôt, tout le contrat est concerné par la cause de nullité et est entièrement annulé : c’est le cas lorsque le vice affecte une condition de validité du contrat. Par exemple, une des parties était incapable de contracter. Toutefois, alors même que l’entier contrat serait nul, les clauses de règlement des litiges (clauses compromissoires2289 ou clauses attributives de juridiction2290) survivent en raison de leur autonomie.

Tantôt, une seule de ses clauses est concernée par la cause de nullité : c’est le cas lorsque la clause a méconnu une règle impérative, ce qui appelle trois précisions.

Primo, chaque fois que la clause méconnaît une règle en ce qu’elle excède un plafond (quant à un taux ou une durée, par exemple), la clause excessive est souvent ramenée à la limite fixée par la loi. C’est ce que parfois la loi prévoit (la clause fixant un taux usuraire est ramenée au taux légal2291) ou la jurisprudence décide (la durée excessive d’un contrat de louage d’un emplacement publicitaire est ramenée d’après la jurisprudence à la durée maximale autorisée par la loi, de même que celle d'un engagement d'approvisionnement exclusif2292).

Des difficultés concernent le sort des clauses de non-concurrence excessives imposées à un salarié à l’expiration de son contrat de travail : certaines décisions en ont réduit l’étendue tout en les maintenant2293 cependant que d’autres les ont anéanties totalement2294. Ainsi que l’a laissé entendre la chambre sociale, le salarié aurait en réalité le choix entre la réduction et l’anéantissement total : il a en effet été jugé qu’une cour d’appel « ne pouvait réduire le champ d’application de la clause de non-concurrence dès lors que seule sa nullité était invoquée par le salarié »2295.

Secundo, une clause nulle peut être exceptionnellement remplacée par une autre. Bien qu'il ne s'agisse pas stricto sensu – au moins dans tous les cas – de nullité, la règle énoncée à l'article 1167 mérite d'être évoquée : « [l]orsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. » Sous l’empire du droit antérieur à la réforme, la Cour de cassation n’admettait de substitution que si elle était conforme à la volonté hypothétique des parties2296, à défaut de quoi le contrat était caduc2297. Probablement cette volonté sera encore prise en considération par le juge dans la mesure où l’on peut douter qu’un indice non conforme à la volonté des parties puisse se rapprocher de l’ancien2298. Quid d’ailleurs si aucun indice ne se rapproche véritablement de l’ancien ? La lettre du texte pourrait laisser à penser qu’il y en a toujours un, quitte à ce que ce soit celui qui s’en éloigne le moins. Il reste qu’un minimum de proximité absolue devrait être exigé, sauf à trahir la convention des parties ; à défaut d’une telle proximité, le contrat devrait être caduc2299. Le texte ne règle pas enfin expressément la question de l’indice illicite, l’indexation étant pourtant strictement réglementée en droit français, qu’il s’agisse du choix de l’indice2300 et même de l’exigence de réciprocité de l’indexation2301. Les travaux parlementaires qui donnèrent lieu à l’examen de la Loi ratification de l’Ordonnance montrent toutefois que l’illicéité de l’indice est implicitement visée par l’article 11672302.

Tertio, la nullité d’une clause peut, lorsque certaines conditions sont remplies, emporter celle de l’entier contrat. Précisément, lorsque la « cause » de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, l’acte tout entier sera nul « si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles » (C. civ., art. 1184 al. 1). Le test est donc le suivant : une partie au moins aurait-elle conclu ce contrat en dépit de l’absence de la clause annulée ? Dans l’affirmative, seule la clause sera annulée ; dans la négative, l’entier contrat le sera. Toutefois, quoi qu’il en soit, le contrat est maintenu dans deux séries d’hypothèses : la loi répute la clause non écrite ou les fins de la règle méconnue exigent le maintien du contrat2303 (C. civ., art. 1184 al. 2). Il s’agit notamment d’éviter qu’une partie n’agisse pas en nullité de telle clause ou ne fasse pas constater que telle clause est réputée non écrite de crainte que l’entier contrat ne disparaisse avec la clause, notamment parce que la partie que la clause sert l’aurait prévu2304... Ces garde-fous devraient trouver à s’appliquer notamment lorsque le contrat contient une condition portant excessivement atteinte aux droits fondamentaux (clause de viduité, clause de non-divorce, clause pénale menaçant d’exhérédation celui qui conteste une donation-partage en justice2305).

Droit spécial : des clauses abusives Un contrat qui comporte une clause abusive en droit de la consommation2306 ou en droit commun des contrats2307 subsiste en principe malgré une telle clause, celle-ci étant réputée non écrite. La solution devrait être la même en droit des pratiques restrictives même si la clause est a priori nulle (et non réputée non écrite)2308 : de fait, « les fins de la règle méconnue exigent » le « maintien » du contrat. Le droit de la consommation, en prévoyant que le « contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses »2309 retient la solution la plus fine.

§ II - Étendue temporelle

515 Date de la mesure anéantissant le contrat. La date du prononcé de la mesure anéantissant le contrat ne pose pas de difficulté et ne présente d’ailleurs pas d’intérêts particuliers. Il peut s’agir de la décision de justice qui la prononce : c’est le cas pour la nullité2310 ou pour la résolution judiciaire2311. Il peut s’agir également de la décision d’une des parties : c’est le cas pour la résolution unilatérale2312 ou la mise en œuvre d’une clause résolutoire2313. Il peut s’agir encore de l’accord des parties : c’est le cas de la nullité conventionnelle2314. Il peut s’agir enfin du moment de la survenance de l’événement ayant justifié l’anéantissement du contrat : ce peut être le cas de la caducité.

L'étendue temporelle de l'anéantissement du contrat suppose que trois dates soient bien distinguées : la date de la mesure anéantissant le contrat, la date de la prise d'effets de la mesure anéantissant le contrat et la date à partir de laquelle ce qui a été reçu doit être restitué.

516 Date de prise d'effets de la mesure anéantissant le contrat. La date de prise d’effets de la mesure d’anéantissement est la date à laquelle l’anéantissement produit ses effets. La nullité prend effet ab initio, le contrat annulé étant « censé n’avoir jamais existé »2315 C’est ce qui explique que lorsque une personne ayant acquis des droits sociaux a participé et voté à une assemblée générale de société, l’annulation de l’acte d’acquisition emporte nullité de l’assemblée, « dès lors que l'irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision »2316 : n’étant pas censée avoir acquis les titres sociaux, l’acquéreur ne pouvait participer et voter à l’assemblée….

La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les « conditions prévues par la clause résolutoire », soit à la « date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier », soit à la « date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice »2317. On observera que la date d’effets peut être très variable : elle peut avoir lieu avant le prononcé de la résolution (au jour de l’assignation, par exemple) ou, après (à la date de réception par le débiteur de la notification de la résolution, par exemple). Et en présence d’une clause résolutoire, la liberté des parties n’est pas limitée par le texte, encore qu’il soit certain qu’il faille réserver les droits des tiers.

Quant à la caducité, rien n’est prévu explicitement2318.

On peut parler – c’est à tout le moins ainsi qu’on l’entendra – de rétroactivité lorsque l’anéantissement prend effet à une date antérieure à celle de son prononcé.

La détermination de la date de prise d’effets de la mesure d’anéantissement présentait traditionnellement deux intérêts.

Primo, c’est à compter de cette date que les clauses post-contractuelles prennent effet.

L’intérêt n’est pas mince lorsque la clause post-contractuelle voit, comme c’est souvent le cas, ses effets limités dans le temps. Ainsi les exigences du droit de la concurrence et du droit commercial général sont telles aujourd’hui qu’en général les clauses post-contractuelles de non-concurrence dans un contrat de distribution voient leur durée limitée à une année2326. Quid si le juge, prononçant la résolution, décide que celle-ci prend effet bien avant la date de sa décision ? Faut-il considérer que la durée d’une année de la clause post-contractuelle de non-concurrence court à compter de la décision de justice ou de la prise d’effet de la résolution ? Si, techniquement (et de manière dogmatique ?), la clause devrait avoir pris effet à compter de la date pour laquelle le contrat a été anéanti, il apparaît peu opportun de priver le créancier de tout ou partie du bénéfice de la clause sur laquelle il pouvait légitimement compter, et ce d’autant plus si la résolution ne lui est pas imputable. Une approche cas par cas devrait être suivie.

Secundo, cette date permettait traditionnellement de calculer l’étendue des restitutions lorsque le contrat avait été exécuté postérieurement à la date à laquelle l’anéantissement avait pris effet. Ce second intérêt a toutefois été remis en cause par la réforme du droit des contrats dès lors que, s’agissant de la résolution au moins, il y a dissociation entre restitutions et rétroactivité. Autrement dit, la date de prise d’effets de la résolution ne préjuge pas de l’étendue des restitutions, qui est envisagée par la loi comme une question distincte et sans lien avec la précédente.

Le Rapport énonce en effet que « [l]e deuxième alinéa [de l’article 1229] indique le moment auquel la résolution prend effet, selon son mode opératoire : à la date prévue par les parties en cas de jeu de la clause résolutoire, à la date de la réception par le débiteur de la notification en cas de résolution unilatérale, et à la date fixée par le juge ou à défaut au jour de l’assignation en cas de résolution judiciaire. Le nouveau droit des contrats abandonne donc la fiction juridique de la rétroactivité traditionnellement attachée à la résolution par la jurisprudence et la doctrine pour expliquer que des restitutions soient dues. Celles-ci sont en effet traitées au troisième alinéa, et n’ont lieu que lorsque les prestations échangées n’avaient d’utilité qu’en cas d’exécution complète du contrat résolu, la distinction contrat instantané/contrat à exécution successive ne paraissant pas toujours adaptée pour déterminer dans quelle mesure les restitutions doivent avoir lieu. Lorsque les prestations auront trouvé une utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, la résolution n’aura donc pas d’effet rétroactif. De nombreux praticiens du droit y étant très attachés, le terme de « résiliation », couramment utilisé en matière contractuelle, a été réintroduit, sans modifier la conception unitaire de l’ordonnance : le troisième alinéa précise désormais que lorsque la résolution ne donne pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu de contrepartie, elle est qualifiée de résiliation. La résiliation est donc simplement un cas déterminé de résolution aux contours clairement délimités par le texte, applicable tant aux contrats instantanés qu’aux contrats à exécution successive, et se caractérisant par son absence de restitution. La question des restitutions est donc désormais détachée, formellement, de la rétroactivité, les restitutions devenant un effet de la loi. » (nous soulignons)

Toutefois, le Rapport ne réfute pas le lien entre rétroactivité et restitutions s’agissant de la caducité : « dans un souci pragmatique, ne tranche pas la question de la rétroactivité », et que « celle-ci n’est pas exclue dans certaines hypothèses puisque la caducité peut donner lieu à restitutions ». Et le lien apparaît même très clairement au sujet de la condition résolutoire : « la rétroactivité en cas de réalisation de cette condition permettra donc (...) des restitutions, pour retrouver la situation où se trouvaient les parties avant la conclusion de l’obligation ».

En somme, on peut regretter un manque de rigueur.

517 Date à partir de laquelle ce qui a été reçu doit être restitué. La date à partir de laquelle ce qui a été reçu doit être restitué diffère encore une fois suivant la cause d’anéantissement du contrat. En cas de nullité, ce sont toutes les « prestations exécutées » qui « donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 »2327. S’agissant de la résolution – et probablement par analogie en cas de caducité2328 –, il y aura certes restitutions « dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352­9 »2329, mais il convient de distinguer le contrat d’utilité globale du contrat d’utilité continue, c’est-à-dire suivant que les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, auquel cas « les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre » ou qu’elles ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat auquel cas « il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie »2330. Les restitutions ne sont donc plus nécessairement à la mesure de la rétroactivité2331.

S’agissant des restitutions, sur lesquelles nous allons insister, distinguons la situation des parties (A) de celle des tiers (B).

Droit spécial : des nullités non rétroactives ? La nullité d’une société n’est pas rétroactive : lorsque la nullité de la société est prononcée, « elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat »2319. La société nulle est donc réputée être une société dissoute à liquider. La nullité d’un mariage, si elle est en principe rétroactive, produit d’abord des effets à l’égard du ou des époux qui l’a ou l’ont contracté de bonne foi2320 sachant que, conformément au droit commun, la bonne foi est présumée2321. En conséquence, notamment, les règles relatives à la prestation compensatoire en cas de divorce sont aussi applicables, en tant que de raison, lorsque la rupture du mariage résulte de la nullité de l’union2322. C’est ce qui explique aussi que le mariage annulé « ne rend pas caduque » la déclaration d’acquisition de nationalité prévue à l’article 21-22323 « au profit du conjoint qui l’a contracté de bonne foi ». Il produit ensuite toujours ses effets à l’égard des enfants, la bonne foi des époux étant indifférente2324. C’est ce qui explique notamment que l’annulation du mariage « n’a point d’effet sur la nationalité des enfants qui en sont issus »2325. De règle générale, alors même que la nullité produirait son effet rétroactif, chaque fois que la restitution en nature est impossible, ce qui est le cas notamment des contrats de prestation de service et des contrats ayant conféré la jouissance d’un bien, la portée de la rétroactivité est très nettement atténuée. Parce que la jouissance de la chose ou la prestation de service ne peut par la force des choses être restituée, il faudra en restituer la valeur. Si celle-ci ne correspond pas nécessairement au prix qui avait été payé (le prix n’égale pas forcément la valeur), on ne peut s’empêcher de voir ici une « putativité atténuée ».

A - La situation des parties

518 Unité et esprit. Il existe désormais des règles communes à toutes les restitutions, quelle que soit la cause de l’anéantissement du contrat2332 : nullité (C. civ., art 1178 al. 3), caducité (C. civ., art 1187, résolution (C. civ., art 1229 al. 4) 2333.

Ces règles participent de la mise en œuvre d’un principe d’exécution inversée du contrat, suivant lequel ce que chacun a reçu de l’autre doit lui être restitué. Toutefois, ce principe est doublement affecté, d'une part, par la prise en considération du temps écoulé et qui ne peut être effacé entre la conclusion du contrat et les restitutions et, d'autre part, par la bonne ou mauvaise foi du restituant2334.

519 Observation liminaires. Primo, d’un point de vue procédural, la Cour de cassation considère qu’une décision qui prononce l’annulation ou la résolution d’un contrat entraîne de plein droit la remise des parties en l’état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, en sorte qu’une demande en restitution ne serait pas nécessaire2338. Celle-ci demeure néanmoins préférable, en vue d’éviter tout débat ultérieur sur les restitutions, notamment leur étendue.

Secundo, s’agissant de l’application dans le temps des règles issues des réformes de 2016 et 2018, par principe, les règles nouvelles ne devraient s’appliquer qu’aux contrats conclus avant la réforme, d’autant plus que la théorie des effets légaux du contrat a été condamnée par le législateur2339.

520 Plan. Envisageons les règles générales (1) puis les règles particulières (2).

Point sensible : de la bonne ou mauvaise foi du restituant Que doit-on entendre par bonne ou mauvaise foi du restituant ?2335 Les expressions figurent dans trois des articles consacrés au droit des restitutions : - C. civ., art 1352-1 « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu'il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. » - C. civ., art 1352-2 « Celui qui l'ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente. (al. 1) S'il l'a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu'elle est supérieure au prix. (al. 2) » - C. civ., art 1352-7 « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande. » Mais il faut également compter avec deux dispositions du droit des biens, que la Cour de cassation fait jouer de longue date en matière de restitutions2336. - C. civ., art 549 « Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ; si lesdits produits ne se retrouvent pas en nature, leur valeur est estimée à la date du remboursement. » - C. civ., art 550 « Le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices. Il cesse d'être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus. » Toutes ces dispositions ont une grande importance en matière de restitutions en ce qui concerne le versement d’une indemnité pour dégradations et restitutions de la chose, l’étendue de la restitution en valeur, et le versement d’une indemnité pour la jouissance de la chose. Plusieurs analyses de ces dispositions peuvent être proposées, étant précisé que telle analyse peut être retenue pour telle disposition et telle autre analyse pour telle autre disposition. Suivant une première analyse, est de mauvaise foi celui à qui l’anéantissement du contrat est imputable : l’auteur d’un dol ou de l’inexécution résolutoire, par exemple. L’idée générale est que les conséquences sévères que la loi attache à la mauvaise foi doivent être subies par celui qui est en faute. Mais une telle analyse n’est a priori pas conforme à l’esprit des restitutions, lesquelles sont indépendantes de la cause d’anéantissement. Par ailleurs telle n'est pas l’interprétation qui a été retenue en jurisprudence des articles 549 C. civ. et 550 C. civ. Suivant une deuxième analyse, est de mauvaise foi celui qui contracte en connaissance d’une cause de nullité, d’une future cause de caducité, ou dans la volonté délibérée de ne pas exécuter ses obligations en vue de provoquer la résolution du contrat. Une telle analyse pourrait se recommander de la lettre des articles  1352-2 C. civ. et 1352-7 C. civ., qui visent celui qui a reçu une chose de bonne ou de mauvaise foi. Toutefois, à la suivre, la mauvaise foi ne serait presque jamais retenue lorsque le contrat a été anéanti par caducité ou résolution, les parties ne contractant normalement pas en connaissance de cause de la future cause de caducité ou dans l’intention de ne pas exécuter le contrat et de provoquer sa résolution. Suivant une troisième analyse, est de mauvaise foi celui qui contracte en connaissance d’une cause de nullité, d’une future cause de caducité, ou dans la volonté délibérée de ne pas exécuter ses obligations en vue de provoquer la résolution du contrat et celui qui, après la conclusion du contrat, prend conscience de la précarité de son titre en raison de la connaissance d’une cause de nullité, de caducité, ou de résolution. C’est ainsi que la jurisprudence interprète les articles 549 C. civ. et 550 C. civ., les seuls doutes concernant le moment exact auquel l'acquéreur est ou devient de mauvaise foi : au moment de la connaissance du vice ou au moment de la demande qui est faite à son encontre (en justice ou non)2337. L’article 1352-7 C. civ., en distinguant celui qui a reçu de mauvaise foi et qui doit les fruits à compter du paiement de celui qui a reçu de bonne foi et ne les doit qu’à compter de la demande s’inscrit dans la logique globale de cette troisième analyse. En revanche, à la question de savoir à quel moment exact l’on devient débiteur de la restitution des fruits, on retrouve la difficulté mentionnée ci-dessus : si la première phrase accrédite la thèse de la connaissance du vice, la seconde milite expressément en faveur de celle de la demande. 

1 - Règles générales

521 Plan. Les restitutions peuvent se faire en nature ou par équivalent. Dans le premier cas, les prestations fournies seront restituées ; dans le second cas, c’est la valeur des prestations fournies qui le sera.

Les restitutions peuvent être ordonnées par le juge à la suite de l’anéantissement du contrat, au moins en pour nullité, quand bien même une demande des parties n’aurait pas été faite en ce sens2340

On envisagera les règles propres à ces deux types de restitutions (a) puis les règles qui leur sont communes (b).

a - Les règles propres aux deux types de restitutions

522 Plan. Distinguons la restitution en nature (α) de la restitution par équivalent (β

j. - La restitution en nature

523 Objet. Généralités. La restitution d'une chose autre qu'une somme d'argent se fait en principe en nature (C. civ., art 1352, in limine) : les parties doivent restituer en nature les prestations qu’elles ont reçues en exécution du contrat anéanti. Ainsi, l’acheteur doit restituer la chose acquise et le vendeur doit restituer le prix perçu. Sauf exceptions2341, la restitution en nature s’impose à chaque partie à la restitution. Le créancier ne pourrait exiger du débiteur et le débiteur ne saurait imposer au créancier la restitution de l’équivalent, notamment une somme d’argent.

524 Objet. Cas particulier de la restitution d'une somme d'argent . S'agissant de la restitution d'une somme d'argent, la loi ne parle pas de restitution en nature (C. civ., art 1352, in limine), probablement car il n’est pas question de restituer le même support monétaire que celui qui a été reçu (les mêmes pièces ou billets par exemple). Il est toutefois encore permis de parler de restitution en nature car c’est toujours de la monnaie qui sera restituée. On ajoutera qu’en vertu du principe du nominalisme monétaire, le montant de la somme restituée égale le montant de la somme versée, sous réserve néanmoins du versement complémentaire des fruits de l’argent, c’est-à-dire de l’intérêt légal2342.

525 Moins-value et plus-value de la chose. Généralités. La chose à restituer peut, au moment de la restitution, avoir une valeur inférieure ou supérieure à celle qu’elle avait au moment de la conclusion du contrat. Les moins-values et plus-values sont plurifactorielles : modification de la substance de la chose ou évolution des cours du marché. Il convient par ailleurs de réserver le cas particulier des moins-values ou plus-values affectant les choses incorporelles, en raison de leurs spécificités.

526 Moins-value et plus-value de la chose. Modification de la substance de la chose. S’agissant, en premier lieu, des moins-values, la loi ne s’intéresse qu’au cas particulier de l’altération de la chose qui aurait été dégradée ou détériorée : « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute »2343. Faut-il considérer que la loi distingue l’altération de la chose imputable au restituant (dégradation) de son altération imputable à l’usure due à un usage normal2344 (détérioration)2345 ? En tout état de cause, l’obsolescence n’étant pas visée, elle ne donnerait pas lieu à indemnisation2346, de même, bien évidemment, que la dégradation ou la détérioration imputable au créancier2347. Sous ces réserves, en cas d’altération du bien, une indemnisation sera en principe due par le restituant, sauf à ce que deux conditions soient remplies : la bonne foi du restituant et l’absence d’imputation de l’altération à sa faute2348.

Si le restituant est de bonne foi2349, il faut distinguer. Si l’altération n’est pas imputable à sa faute (altération imputable à la vétusté ou à un usage normal de la chose), il ne sera tenu de rien ; si tel est en revanche le cas, il devra une indemnité compensatrice en sus de la restitution du bien. Mais de quelle faute parle-t-on, dès lors que le restituant est de bonne foi ? Tout propriétaire est libre de faire ce qu’il veut de son bien, même celui dont le titre est menacé dès lors qu’il ignore... Partant, l’hypothèse d’un « débiteur de bonne foi mais en faute se présentera donc lorsqu’il aura dégradé la chose après avoir appris qu’il aurait peut-être à la restituer »2350. La jurisprudence de la Cour de cassation spécifique à la garantie des vices cachés qui refuse toute indemnisation liée « à l’usure résultant de [l’] utilisation »2351 doit être considérée comme caduque, dès lors bien entendu que le vice n’a pas empêché l’utilisation du bien de laquelle est résultée une usure.

Si le restituant est de mauvaise foi, il devra en toute hypothèse une indemnité compensatrice en sus de la restitution du bien, la question de savoir s’il a par ailleurs commis une (autre) faute étant sans intérêt.

S’agissant, en second lieu, des plus-values, il est aujourd’hui acquis2352 que le restituant doit être par principe indemnisé, puisqu’il « est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses (...) qui en [de la chose] ont augmenté la valeur »2353. Le législateur a manifestement souhaité établir un parallélisme entre les plus-values et les moins-values : si le restituant doit en principe répondre de celles-ci, il doit réciproquement pouvoir prétendre à une indemnisation pour celles-là, lorsqu’elles lui sont imputables.

Pourtant, cette solution pèche par sa généralité. De fait, il n’est pas certain que l’amélioration apportée par le restituant présente un intérêt pour le créancier de la restitution et il pourrait lui être désagréable d’avoir à se délester de liquidités. On songe en particulier aux dépenses somptuaires (même si elles ont été « utiles ») : le créancier de la restitution devrait en indemniser le restituant. Probablement le législateur a-t-il craint que sans cette indemnisation, le créancier s’enrichisse injustement. Il reste que chaque fois que l’anéantissement du contrat est imputable au restituant, les juges seraient bienvenus de compenser – au moins une partie – la créance de restitution du restituant avec sa dette de réparation à l’égard du créancier de la restitution pour le préjudice subi du fait de l’anéantissement du contrat.

En tout état de cause, comme c’est d’ailleurs le cas pour les dépenses de conservation2354, le restituant sera créancier de la plus faible des deux sommes correspondant à la « plus-value estimée au jour de la restitution » ou de la dépense faite2355.

527 Moins-value et plus-value de la chose. Évolution des cours du marché. Lorsque la chose n’a pas été altérée ou améliorée, mais qu’elle a néanmoins respectivement subi une moins-value ou une plus-value en raison des cours du marché, aucune indemnité n’est due respectivement au créancier de la restitution ou au restituant. De fait, ce dernier, en l’absence de conclusion du contrat anéanti, aurait pareillement subi cette moins-value ou cette plus-value.

528 Moins-value et plus-value de la chose. Choses incorporelles2356. Les moins-values et plus-values qui affectent les choses incorporelles sont difficiles d’analyse. Si l’on prend pour exemple les droits sociaux, il est le plus souvent très délicat d’expliquer la baisse ou la hausse de leur valeur après la conclusion du contrat anéanti ; une analyse contrefactuelle, particulièrement hasardeuse, est pourtant nécessaire.

En cas de moins-value, on pourrait envisager d’appliquer l’article 1352-1 (« Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute »), en sollicitant quelque peu sa lettre. Dès lors, le cessionnaire de droits sociaux qui serait de mauvaise foi ou aurait commis une faute à l’origine de la moins-value – ce qui supposerait qu’il avait un pouvoir direct ou indirect dans la gestion de l’entreprise2357 – pourrait être redevable d’une indemnité.

En cas de plus-value, on pourrait cette fois envisager d’appliquer l’article 1352-5 (« Pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »), en sollicitant encore quelque peu sa lettre. Dès lors, la seule question serait de déterminer si les choses incorporelles ont augmenté de valeur en raison d’une gestion particulièrement efficace du restituant, justifiant une indemnisation à son profit.

k. - La restitution par équivalent

529 Causes d’une restitution par équivalent. Il convient de distinguer trois séries de causes dans lesquelles la restitution par équivalent peut ou pourrait avoir lieu.

En premier lieu, si la restitution en nature est impossible, elle se fait par équivalent2358. L’impossibilité peut avoir plusieurs causes.

Primo, le contrat en cause était translatif d’un bien ayant été détruit2359 (par exemple, des biens consomptibles consommés), transformé (ex. les matériaux vendus ont servi à la construction d’un bien) de telle sorte qu’il en est résulté un autre bien et qu’une remise en état n’est pas possible2360, disparu (les titres sociaux ont disparu à la suite d’une réduction du capital), ou désormais hors d’atteinte, par exemple parce qu’il a été cédé à un tiers à l’abri d’un recours2361.

Secundo, le contrat a pour objet une prestation de services ou l’octroi d’un droit de jouissance sur une chose. La restitution ne se conçoit que par équivalent, en valeur2362.

En deuxième lieu, si la restitution nécessite des coûts très importants, ne devrait-on pas appliquer par analogie les dispositions relatives à l’exécution en nature, dans la mesure où la restitution en nature est proche d’une « exécution en nature » inversée du contrat ? D’après l’article 1221, le « créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier », alors que d’après l’article 1352, la « restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution. » Certes, le législateur a expressément prévu deux limites pour l’exécution en nature, l’impossibilité et la disproportion manifeste, et une seule, l’impossibilité, pour la restitution en nature. Il reste que s’il n’est pas possible de contraindre à s’exécuter celui qui s’est obligé à quelque chose car cela serait manifestement disproportionné, il devrait en aller de même dans le cas où c’est la loi qui l’y oblige. Au demeurant, la Cour de cassation, sous l’empire du droit ancien, décorrélait la question de l’exécution forcée en nature de celle des restitutions en nature : tout en refusant d’écarter l’exécution en nature d’un contrat dès lors qu’elle n’était pas impossible2363, elle acceptait d’écarter la restitution en nature si elle apparaissait disproportionnée2364

En troisième lieu, si le contrat anéanti portait sur une chose qui a été vendue par celui qui l’avait reçu, le créancier de la restitution devrait se voir reconnaître une option. Soit il agit en revendication contre le tiers acquéreur, s’il le peut2365, et obtiendra ce faisant une restitution en nature ; soit il agit en restitution contre son cocontractant et obtiendra ce faisant une restitution par équivalent, en vertu et suivant les règles d’évaluation particulière de l’article 1352-22366.

530 Objet de la restitution par équivalent : valeur. La restitution par équivalent se fait en « valeur »2367, c’est-à-dire en argent. En vertu d’un principe de neutralité entre les restitutions en nature et les restitutions par équivalent, la somme due est égale à la valeur de la chose « estimée au jour de la restitution »2368 : la dette de restitution est une dette de valeur2369.

Il existe néanmoins des cas particuliers.

Primo, lorsque les restitutions sont dues à la suite de l’anéantissement d’un contrat de prestation de services, la somme à restituer est égale à la valeur de la prestation « appréciée à la date à laquelle elle a été fournie »2370. Si la chose restituée est réévaluée2371, tel n’est donc pas le cas du service2372. De fait, seule la chose est dotée d’une valeur destinée à durer, ce qui justifie qu’on l’évalue au jour de la restitution ; en contrepoint, la prestation de service, la force de travail, n’a pas vocation « à constituer une valeur en soi, susceptible de traverser le temps »2373 et « ne présente pas une utilité susceptible d’être réexploitée par le créancier de la restitution »2374. Sous le bénéfice de cette observation, le juge fixera le montant de cette indemnité à la valeur du marché, laquelle ne sera pas forcément égale au montant des loyers stipulés ou à la rémunération convenue de l’entrepreneur2375 : de fait, le prix convenu n’égale pas forcément la valeur et décider le contraire reviendrait en pratique à ne pas revenir sur l’exécution d’un contrat anéanti, les restitutions se compensant2376.

Secundo, lorsque le bien a été vendu par le cocontractant et que le créancier de la restitution n’entend (ou ne peut) réclamer qu’une restitution par équivalent, les règles d’évaluation sont différentes et dépendent de la bonne foi du restituant. S’il l’a reçue de bonne foi, il « ne doit restituer que le prix de la vente »2377, et s’il l’a reçue de mauvaise foi, « il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix »2378.

b - Les règles communes aux deux types de restitutions

531 Indemnisations et maintien des garanties. Les restitutions obéissent à trois règles communes qui concernent l’indemnisation du restituant pour les dépenses de conservation, l’indemnisation du créancier de la restitution pour les dépenses de jouissance, et le maintien des garanties de la restitution.

532 Indemnité de conservation. S’il « est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose »2379, c’est car ces frais auraient été engagés (ou auraient dû raisonnablement l’être) par le bénéficiaire de la restitution si le contrat anéanti n’avait pas été conclu2380. Toutefois, et c’est important, le restituant sera créancier de la plus faible des deux sommes qui correspond à la « plus-value estimée au jour de la restitution » ou à la dépense faite, ce qui commande de prendre trois valeurs en considération : la dépense faite, la valeur du bien au jour de la restitution compte tenu de la dépense de conservation, et la valeur qu’aurait eu le bien sans cette dépense2381.

Reste que l’on comprend difficilement que puisse prétendre à une indemnité pour la conservation de la chose celui qui l’a restituée sans être tenu d’une indemnité de jouissance parce qu’il était de bonne foi2382. En effet, celui qui conserve le bénéfice de la jouissance d’une chose doit prendre à sa charge les frais de sa conservation. Il faut ainsi inviter la jurisprudence à ne faire application de l’article 1352-5 que dans la mesure où serait due une indemnité de jouissance.

533 Indemnité de jouissance. Restitution d’une chose. Contrairement à ce que décidait la jurisprudence antérieure2383, depuis la réforme de 2016, la restitution d’une chose « inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée »2384. L’idée, très juste, est qu’un bien est doté d’une double valeur d’échange et d’usage2385 et que celui qui a reçu un bien qu’il doit restituer s’enrichirait s’il n’était tenu de restituer que le bien (ou sa valeur d’échange en cas de restitution par équivalent), sans être redevable de la valeur que lui a procuré son usage. L’acheteur devra donc restituer les fruits produits par la chose (par exemple les loyers si la chose avait été louée) ou, à défaut d’en avoir perçu, une indemnité pour l’usage de la chose2386.

Par où l’on voit, en fin de compte, que les restitutions ne se limitent pas au reflux d’un flux, dès lors que la jouissance du bien n’est pas l’objet de l’obligation du vendeur, susceptible d’être « exécutée à l’envers ».

Cette règle doit toutefois être mise en perspective avec deux dispositions : l’une, issue de la réforme de 2016, du droit des restitutions et l’autre, classique, relevant du droit des biens.

En vertu de la première règle (C. civ., art 1352-7, celui « qui a reçu de mauvaise foi doit (...) les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement »2387 alors que celui « qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande »2388. Le débiteur de bonne foi ne sera donc tenu de la restitution pour la jouissance de la chose que de manière très marginale, car il n’y est obligé qu’à compter de la demande de restitution qui lui est faite. En définitive, la nouveauté de la réforme est de faible portée en pratique.

En vertu de la seconde règle (C. civ., art. 549), celui qui a « possédé » de bonne foi fait siens les fruits et se trouve dispensé par là même de les restituer2389 . Cette règle, figurant parmi les dispositions de droit des biens, était à l'origine conçue comme une protection offerte à celui qui avait acquis un bien auprès d'une personne et en avait perdu la propriété à la suite de l'action en revendication exercée par un tiers. La jurisprudence en fit également bénéficier celui qui avait acquis un bien auprès d'un autre mais en avait perdu la propriété à la suite d'un anéantissement du contrat, ce qui conduisait à faire de l'article 549 C. civ. une disposition régissant les restitutions en matière contractuelle 2390 . Dans un cas comme dans l'autre, l'idée est la même : celui qui ignore la menace qui pèse sur sa qualité de propriétaire doit pouvoir compter sur les fruits et le cas échéant les consommer. C'est ce qui explique qu'aux termes de l'article 550 al. 1, le possesseur est de bonne foi « quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices », ce qui recouvre en réalité deux hypothèses : (i) le possesseur disposait d'un titre donnant droit aux fruits mais dont il ignorait le vice (titre vicié) et (ii) le possesseur ne disposait pas d'un titre donnant droit aux fruits, alors qu'il pensait le contraire (titre putatif) 2391.

S’agissant du moment exact auquel l’acquéreur est ou devient de mauvaise foi, au moment de la connaissance du vice ou au moment de la demande qui est faite à son encontre (en justice ou non), la jurisprudence n’est pas absolument claire2392 . L'article 1352-7, issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, s’inscrit dans le prolongement direct des articles 549 et 550, en énonçant : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande ». En revanche, il laisse planer encore une certaine ambiguïté sur la détermination du moment exact auquel l’on devient débiteur de la restitution des fruits : si la première phrase accrédite la thèse de la connaissance du vice, la seconde milite expressément en faveur de celle de la demande.

Quant à la date d’évaluation des fruits, il est précisé que, sauf stipulation contraire, « la restitution des fruits, s’ils ne se retrouvent pas en nature, a lieu selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation »2393. La précision est, en vertu du principe du nominalisme monétaire, indifférente en ce qui concerne les sommes d’argent, mais prend toute son importance à l’égard d’autres fruits. En tout état de cause, c’est la même date qui est retenue pour évaluer les fruits à restituer (date du remboursement) et les biens en général (jour de la restitution).

Quant à la date d’évaluation de la jouissance, lorsqu’elle n’a pas donné lieu à la perception de fruits, il est prévu que la « valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce »2394. C’est donc une autre date qui est retenue, sans que l’on comprenne bien la cohérence de l’ensemble...

534 Indemnité de jouissance. Restitution d’une somme d’argent. La restitution d’une somme d’argent comprend également les fruits de l’argent évalués forfaitairement à l’« intérêt légal » et les « taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue »2395, sachant que là encore, il faut distinguer suivant la bonne ou mauvaise foi du restituant : celui « qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts (...) à compter du paiement » alors que celui « qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande »2396.

Que l’intérêt légal, fruit du capital perçu, doive être restitué, s’impose dès lors que la restitution d’un bien inclut la valeur de sa jouissance ou les fruits perçus2397. L’intérêt légal pourra toutefois apparaître insuffisant et inciter les parties à prévoir des aménagements conventionnels, applicables au moins en cas de résolution ou de caducité du contrat, au titre des clauses post-contractuelles2398.

S’agissant des taxes, sont visés les impôts indirects : la taxe sur la valeur ajoutée, les droits d’accise, les droits de douane, spécialement. Quant aux impôts directs, versés entre les mains du fisc, leur restitution auprès de lui devrait être possible, sous réserve du jeu de règles particulières2399.

535 Garanties de la restitution. Il est prévu de manière générale que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer (...) »2400. Sont concernées tant les sûretés personnelles que les sûretés réelles, alors pourtant que la portée de la règle diffère sensiblement dans les deux cas.

S’agissant des sûretés personnelles, c’est une obligation d’une autre nature qui se trouve garantie : dans une vente à crédit annulée par exemple, la caution qui garantissait le paiement du prix se trouvera tenue de garantir la restitution du bien2401. Il est toutefois prévu que le report de la sûreté ne peut avoir pour conséquence « que la caution soit privée du bénéfice du terme »2402. Autrement dit, si la dette initialement garantie était à terme (vente à crédit), la dette de restitution nouvellement garantie, quoiqu’immédiatement exigible pour le débiteur principal, ne le sera pas pour la caution qui continuera à bénéficier du terme.

S’agissant des sûretés réelles, la règle doit être appliquée avec discernement.

Prenons l’exemple d’un bien vendu à crédit, le crédit étant octroyé par le vendeur et garanti par une hypothèque sur le bien vendu. On voit mal, en cas d’anéantissement de la vente, comment l’hypothèque pourrait continuer à grever le bien qui appartient désormais au vendeur...

Dans d’autres circonstances, la règle pourrait conduire à des solutions plus rationnelles, même si elles ne sont pas incontestables. On peut ainsi prendre l’exemple d’un bien vendu comptant au moyen d’un emprunt consenti par un tiers et garanti par une hypothèque. Ensuite de l’anéantissement de la vente, le remboursement de l’emprunt sera toujours garanti par une hypothèque, laquelle grèvera toutefois un bien qui a fait retour au vendeur2403 : d’une part, une sûreté réelle au départ constituée sur un bien appartenant au débiteur se mue ainsi en une sûreté réelle sur le bien d’autrui (du créancier, ce qui n’a pas de sens, ou d’un tiers), d’autre part, le droit réel constitué par l’acquéreur est maintenu alors que son titre d’acheteur a été annulé2404 ! En définitive, il ressort de cette jurisprudence que le vendeur sera fort enclin à rembourser le prêteur afin d’éviter une réalisation de la sûreté, plutôt que de restituer le prix à l’acheteur2405.

2 - Règles particulières

536 Incapables. Afin de ne pas décourager la personne protégée d’agir en nullité, les restitutions « dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu’il a retiré de l’acte annulé »2406. Cette règle repose sur l’idée que la protection de l’incapable serait vaine si, ce dernier ayant dilapidé le profit retiré du contrat, les restitutions le conduisaient à diminuer son patrimoine2407. De ce texte, il faut faire une interprétation raisonnable : si ce qui a été reçu (par exemple, de l’argent), n’a pas été consommé mais investi de manière profitable, la personne protégée devrait être tenue de restituer sans limitation. Ce n’est que si ce qu’elle a reçu (par exemple, de l’argent) a été consommé ou investi de manière non profitable que la restitution devrait être réduite à proportion.

537 Bonnes mœurs ? Avant la réforme, on considérait que dans les contrats immoraux, les restitutions étaient paralysées par l’application de deux adages Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut invoquer sa propre turpitude) ; In pari causa turpitudinis, cessat repetitio (à égalité de turpitude, le droit à répétition disparaît)2408. Ainsi, dans un arrêt rendu le 15 février 1967, la Cour de cassation avait estimé que « lorsqu’une convention intervenue entre les parties a une cause contraire aux bonnes mœurs, celles-ci sont irrecevables à fonder sur elle aucune action (...) pour la restitution des sommes payées »2409. Le domaine de ces adages est doublement circonscrit puisqu’ils n’interdisent pas à l’indigne d’agir en nullité, mais seulement d’obtenir restitution2410 et qu’ils ne concernent que les contrats immoraux et non tous ceux qui sont seulement illicites2411.

Aujourd’hui, et de règle générale, les illustrations d’annulations de contrat pour immoralité étant très rares, il n’est presque plus jamais décidé de paralyser les restitutions2412. Il est d’ailleurs possible que cette exception, non consacrée par la réforme de 2016, ait vécu son temps. Ses vertus prophylactiques ont, au demeurant, toujours été douteuses : l’argument suivant lequel ces adages dissuaderaient de conclure des contrats immoraux est naïf : bien au contraire, ces adages pourraient dissuader l’indigne d’agir en nullité. Il reste que la Cour de cassation a récemment relevé, au sujet de restitutions dues non pas en raison de l’anéantissement d’un contrat, au titre d’un prêt, que « le caractère illicite, mais non immoral, [du] versement ne privait pas [le prêteur] de son droit à restitution de la seule somme par lui remise »2413.

Droit spécial : de l’assuré de mauvaise foi En droit des assurances, l’assuré de mauvaise foi lors de la conclusion du contrat est privé de son droit à restitution des primes échues2414 alors pourtant qu’il est tenu de restituer les indemnités éventuellement reçues depuis l’irrégularité. La mauvaise foi de l’assuré le prive d’une créance à laquelle il aurait droit en vertu du droit commun.

B - La situation des tiers

538 Principe de l’opposabilité aux tiers. L’anéantissement d’un contrat constitue une situation de fait qui aura des conséquences sur la situation des tiers, surtout en ce qui concerne les contrats portant sur un bien. Elle n’est pourtant guère envisagée par la loi, sauf en ce qui concerne le maintien des sûretés2415.

539 Situation des tiers ayant acquis la propriété ou tout autre droit réel sur le bien. Principes. L’idée générale est que l’acquéreur n’a pu transmettre ou constituer des droits sur un bien qu’il est censé ne jamais avoir reçu (nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet)2416.

Dès lors, si le contrat par lequel l’acquéreur a acquis des droits sur un bien est anéanti, alors les droits qu’il a lui-même octroyés à un tiers le seront donc par un effet domino2417. Ainsi qu’il a été clairement jugé au sujet d’une annulation, « il est de principe que l’annulation (...) du contrat qui a investi une personne de la propriété d’un immeuble entraîne annulation de tous les droits réels que cette personne a concédés sur ledit immeuble (...) cette règle est générale et absolue ; (...) les droits d’un acquéreur sont subordonnés à l’existence et à la validité des droits du vendeur »2418. Et, s’agissant de la résolution, il a été jugé que l’hypothèque consentie par celui dont la propriété a été remise en cause, s’éteignait2419.

Par ailleurs, les créances réelles (les créances attachées à la qualité de propriétaire du bien2420, telle une indemnité d’assurance) de l’acquéreur bénéficieront à l’auteur2421.

Dans des circonstances très particulières, l’anéantissement peut même avoir parfois pour effet de provoquer la « résurrection » d’un contrat. Soit la vente d’un bien au locataire, par la suite rétroactivement anéantie : le bail, éteint lors de la vente initiale par confusion, renaît2422.

540 Situation des tiers ayant acquis la propriété ou tout autre droit réel sur le bien. Mécanismes protecteurs des tiers. La protection des tiers ayant acquis un droit réel sur un bien auprès d’une personne dont le titre d’acquisition a été remis en cause, est assurée par différents mécanismes.

À titre liminaire, on observera qu’en cas de vente suivie d’une revente, l’acquéreur, en demandant l’anéantissement de la vente, expose le sous-acquéreur à qui il a revendu le bien à une revendication de la part du vendeur initial. En application de la règle suivant laquelle « celui qui doit garantie ne peut évincer », la Cour de cassation en a déduit un temps que le premier acquéreur était irrecevable à demander l’anéantissement du contrat2423. Mais cette jurisprudence pourrait avoir été remise en cause2424. La meilleure solution consisterait à permettre l’acquéreur d’agir en résolution (ou en nullité) et d’opérer des restitutions en valeur en vue d’empêcher le vendeur initial de revendiquer2425.

En matière mobilière, l’entrée en possession de bonne foi rend le possesseur propriétaire (art. 2276 : « [e]n fait de meubles, possession vaut titre »). Ainsi, le sous-acquéreur de bonne foi pourra s’opposer à la revendication du véritable propriétaire en invoquant sa possession.

En matière immobilière, le sous-acquéreur ne bénéficie pas d’une telle mesure de protection et devra faire valoir la prescription acquisitive du bien : la prescription remplacera le titre. Certes, le délai de prescription requis « pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans »2426, ce qui est très long. Néanmoins, il pourra se prévaloir d’une prescription écourtée, de dix ans, d’une part, s’il bénéficie d’un juste titre, celui qui, considéré en lui-même, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription2427 et, d’autre part, s’il est de bonne foi, c’est-à-dire s’il ne connaissait pas le vice affectant l’acte : « [c]elui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans »2428.

En général, mais à des conditions très strictes, le tiers pourra se prévaloir de la théorie de la propriété apparente de son auteur. Celui qui a acquis un bien auprès d'un « propriétaire apparent » en devient, à certaines conditions et par l'effet de la loi, propriétaire. Par exemple, celui qui acquiert un bien auprès d'un héritier apparent, dont on découvrira plus tard qu'il ne l'était pas réellement en raison d'un testament l'exhérédant, en devient propriétaire2429. Les conditions autorisant à se prévaloir de la théorie de la propriété apparente concernent d'une part l'erreur commise par l'acquéreur et d'autre part l'acte d'acquisition. S'agissant de l'erreur, à l'origine, la jurisprudence exigeait qu'elle fût commune, c'est-à-dire partagée par tous, et invincible, c'est-à-dire impossible à déceler, les deux caractères étant liés. Aujourd'hui, la Cour de cassation semble se contenter, au moins parfois, d'une erreur commune et simplement légitime2430, ce qui suppose seulement qu'elle soit excusable. Si la possession de l'auteur ou encore une information erronée sur les registres de la publicité foncière peut participer au faisceau d'indices caractérisant l'erreur de celui qui invoque la théorie de l'apparence2431, il ne s'agit pas là d'éléments suffisants2432. S'agissant de l'acte d'acquisition, il doit être à titre onéreux2433. Plusieurs raisons à cela, plus ou moins convaincantes. Pour l'essentiel, celui qui a acquis sans bourse délier subira un moindre sacrifice que celui qui avait payé pour ce faire et la protection de l'acquéreur stimule les échanges (à titre onéreux par hypothèse), et donc l'économie, à la différence des dons.

Si l'on met en perspective le mécanisme de l'apparence et le mécanisme de l'article 2276 alinéa 1, on observe que ce dernier est cantonné aux meubles et fondé sur la possession et la bonne foi du possesseur, alors que le premier s'applique a priori à tous les biens – encore que l'on puisse se demander si l'application de l'article 2276 aux meubles corporels n'est pas de nature à chasser le mécanisme de l'apparence –, est indifférent à la possession de celui qui l'invoque, mais suppose en revanche de la part de l'errans une erreur commune et au moins légitime.

541 Situation des tiers ayant acquis un droit personnel relatif au bien. D'après la jurisprudence rendue avant la réforme, dans certaines circonstances, le tiers qui avait passé avec l'acquéreur des contrats relativement à la chose pouvait voir son contrat maintenu avec le vendeur redevenu propriétaire. Ce ne peut toutefois être une solution générale, en raison de l’atteinte qu’elle porte au principe de l’effet relatif, dès lors qu’une personne qui n’avait pas contracté se retrouve partie au contrat conclu par autrui. Comme on l'avait relevé, « s’agissant d’actes d’administration, qui n’affectent pas durablement la valeur du bien, leur anéantissement n’est pas normalement nécessaire pour satisfaire à cet objectif, les intérêts de celui qui demande la résolution ou la nullité ne sont pas durablement compromis, de telle sorte que le sacrifice des intérêts du tiers ne s’impose pas. L’explication commande de regarder au cas par cas, en fonction de l’importance des conséquences de l’acte, s’il peut être ou non maintenu »2434. C’est ainsi que l’annulation d’une vente pouvait être considérée comme sans effet sur le bail consenti par l’acquéreur, pourvu qu’on y voie un acte d’administration2435.

Depuis la réforme, l'article 1304-7 alinéa 1 prévoit que « [l]'accomplissement de la condition résolutoire éteint rétroactivement l'obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes conservatoires et d'administration »2436. Cette même solution pourrait être retenue chaque fois que le contrat est rétroactivement anéanti.

Chapitre 13 - Les contrats interdépendants

Plan

542 Premières vues. Les contrats interdépendants (ou encore indivisibles) sont des contrats, d’une part, dont le sort est lié en ce que l’anéantissement de l’un emporte l’anéantissement de l’autre et, d’autre part, qui sont réputés, à certains égards, n’en former qu’un. Ils peuvent être conclus entre les mêmes parties (ex. un contrat d’acquisition d’un matériel informatique et un contrat de maintenance ; un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement2437) ou entre une partie et plusieurs autres (ex. une opération de crédit-bail).

543 Plan. Envisageons les causes (section 1) puis les conséquences (section 2) de l’interdépendance des contrats.

Section 1 - Les causes d’interdépendance des contrats

544 Trois causes. Il existe trois causes d’interdépendance des contrats.

545 Interdépendance volontaire. Les parties peuvent rendre plusieurs contrats interdépendants. La volonté des parties peut être expresse ou tacite2438, aucune règle de droit commun n’exigeant de solennité.

Sous l’empire du droit antérieur à la réforme, la Cour de cassation se fondait parfois, de manière critiquable, non pas sur la volonté déclarée à l’acte par les parties, mais sur leur (prétendue) volonté « réelle ». Ainsi avait-elle cassé une décision ayant appliqué une clause de divisibilité sans avoir recherché « si les parties, nonobstant la clause précitée, avaient la commune intention de rendre leurs accords indivisibles »2439 et une autre décision ayant appliqué une clause de divisibilité sans avoir recherché si « le texte de la clause n’était pas en contradiction avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties »2440. D’autres décisions étaient particulièrement ambiguës dans la mesure où la Cour de cassation retenait l’interdépendance sans se référer à la volonté des parties2441. Ces décisions sont critiquables : seules comptent, sauf erreur, les volontés déclarées.

546 Interdépendance légale spéciale. Pour des raisons de politique juridique, et donc cas par cas, en droit spécial, la loi ou la jurisprudence peut décider que tels contrats sont interdépendants entre eux.

547 Interdépendance légale générale. Dès avant la réforme, la jurisprudence avait commencé à poser les jalons d’un principe général d’interdépendance lorsque certaines conditions objectives étaient remplies, précisément lorsque des contrats « poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres »2447. Il existait toutefois des incertitudes sur les contours de celles-ci2448. Désormais, l’article 1186 prévoit :

« Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie » (al. 2) à condition toutefois que « le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. » (al. 3).

Comme on l’a relevé2449, ce sont en réalité deux cas d’interdépendance et non un seul qui sont envisagés par ce texte2450. En effet, des six conditions posées par le texte, la cinquième est une condition alternative. Les cinq conditions invariables sont les suivantes : (1) il existe au moins deux contrats, (2) ils l’ont été en vue de la réalisation d’une même opération2451, (3) l’exécution de tous les contrats est nécessaire à la réalisation de l’opération, (4) l’un des contrats disparaît (nullité, résolution, caducité, etc.), (5) celui contre qui la caducité est invoquée connaissait l’opération d’ensemble lors de son consentement (qu’il ait été ou non partie au contrat disparu)2452, (6) l’exécution d’un ou plusieurs contrats est impossible2453 en raison de la disparition d’un autre ou l’exécution du contrat disparu était déterminante pour celui qui se prévaut de la caducité.

Avant de discuter du sens et de la portée de ces conditions, une observation liminaire doit être faite. L’article 1186 vise d’un côté la réalisation d’une opération qui dépend de l’exécution de plusieurs contrats, c’est-à-dire une opération dont la réalisation est impossible en raison de la disparition d’un des contrats. Il vise d’un autre côté la caducité du contrat dont l’exécution est impossible en raison de la disparition d’un autre. Gardons cette distinction à l’esprit pour ce qui va suivre.

La première condition ne soulève a priori pas de difficulté. L’interdépendance suppose une pluralité de contrats. Toutefois, la loi visant dans la suite du texte la disparition d’un des contrats, la question se pose de savoir si l’interdépendance suppose plusieurs contrats d’ores et déjà conclus ou si elle peut exister également entre un contrat déjà conclu et un autre dont la conclusion est attendue. Dans ce dernier cas, l’absence de conclusion de ce dernier contrat emporterait la caducité du premier. Si la lettre du texte commande de retenir une interprétation stricte, son esprit pourrait inviter à retenir une interprétation large. Qu’un contrat ait été conclu puis anéanti ou qu’il n’ait jamais été conclu, cela revient dans notre hypothèse au même. Il reste que le dispositif de l’article 1186 est très contestable dans sa technique et qu’il conviendrait donc d’en cantonner le domaine autant que possible2454.

La deuxième condition est très incertaine, dans la mesure où la notion de « même opération » est très vague. Doit-elle s’entendre objectivement ou subjectivement, une opération pouvant être dans ce dernier cas la même pour telle(s) personne(s), non pour d’autres ? La question se pose avec une certaine acuité lorsque les contrats ne sont pas conclus entre les mêmes personnes. Soit un contrat conclu entre A et B et un autre entre A et C : l’opération, pour B, n’est à l’évidence pas la même opération pour C, alors que pour A, la somme des deux contrats fait une opération globale. On comprend ainsi que de nombreux cas suscitent déjà des interrogations : quid du contrat financé et du contrat de financement, de la vente d’un bien en vue de sa revente, de la vente d’un bien en vue de l’acquisition d’un autre, de l’acquisition de deux terrains limitrophes par un promoteur en vue d’y faire édifier un bâtiment à cheval sur la ligne divisoire, etc. ? Autant il semble possible d’identifier dans ce dernier cas une opération globale dont la réalisation serait impossible en raison de la disparition d’un contrat, autant on voit mal ce que serait une telle opération dans les autres cas.

La troisième condition, qui tient à ce que l’exécution des contrats est nécessaire à la réalisation de l’opération, pose également certaines difficultés. Si l’on considère que la nécessité à laquelle il fait référence doit s’entendre comme l’impossibilité qu’il y aurait à réaliser l’opération en cas de disparition d’un contrat, comment entendre cette impossibilité ? Si le succès d’une « opération » suppose la conclusion de plusieurs contrats et que l’un d’eux disparaît, tiendra-t-on compte de la possibilité de substituer au contrat disparu un nouveau contrat, fût-il conclu avec un nouveau contractant ? Dans certains cas, en effet, une telle substitution sera possible (construction d’un ouvrage supposant la conclusion de contrats avec plusieurs prestataires dont l’un est par exemple résolu ; il est en général possible de contracter avec un nouveau prestataire), dans d’autres, non (acquisition nécessaire de deux terrains limitrophes en vue d’édifier un bâtiment à cheval sur la ligne divisoire lorsqu’une vente est anéantie).

La quatrième condition, relative à la disparition d’un des contrats, suscite des interrogations d’un autre ordre. On comprend, à suivre la lettre du texte, que sont susceptibles d’être interdépendants des contrats d’ores et déjà conclus. Son esprit ne pourrait-il pas inviter à retenir l’interdépendance entre un contrat d’ores et déjà conclu et un ou plusieurs contrats à conclure ? Reste, on l’a vu, que le texte est critiquable et il convient d’en faire une application stricte2455.

La cinquième et la sixième conditions appellent des observations groupées.

Que le contrat dont l’exécution est impossible soit caduc ce en quoi l’on est proche d’une situation de force majeure2456 –, s’entend bien.

Que le contrat dont l’exécution était déterminante du consentement de l’autre soit également caduc s’entend en revanche beaucoup moins bien2457... De fait, cela revient à faire comme si un « simple motif » (au sens de l’article 1135) qui animait une des parties était entré dans le champ contractuel2458 ou comme si une condition avait été stipulée dans son intérêt. Or il y a quelque chose de curieux à admettre que l’interdépendance résulte de ces seules circonstances alors que l’erreur sur les motifs ou la stipulation d’une condition supposent un accord des parties. Certes, la loi prévoit que le contractant contre lequel la caducité est invoquée devait connaître « l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement » : mais connaître n’est pas accepter2459. Comme on l’a noté, « une chose est de connaître l’intérêt propre que poursuit son cocontractant (...) ; autre chose est d’accepter de porter le risque de son échec »2460.

En tout état de cause, la question se posera de savoir si les cas spéciaux d’interdépendance dégagés par la jurisprudence (ex. crédit-bail et location financière) ne vont pas subir la force attractive de la règle générale de l’article 1186. C’est probable. Une éventuelle clause de divisibilité serait alors probablement tenue en échec en tant que clause créant un déséquilibre significatif.

Aménagements conventionnels Afin de rendre interdépendants des contrats conclus entre les mêmes parties, il suffit d’insérer une clause dans un seul des contrats : les parties auront manifesté leur volonté dans un contrat, sans qu’il soit nécessaire de la réitérer dans un autre. En revanche, en vue de rendre interdépendants des contrats conclus entre des parties distinctes, il faut reproduire la clause dans chaque contrat afin que chaque partie ait exprimé son consentement à l’interdépendance, sauf à ce que l’interdépendance soit à sens unique2442. L’interdépendance étant à géométrie variable, il est insuffisant de stipuler que deux contrats « sont interdépendants ». Être précis est de rigueur. Les parties pourront ainsi stipuler une interdépendance à sens unique ou à double sens, limiter l’interdépendance au stade de la formation des contrats (en prévoyant que l’un des contrats est conclu sous la condition suspensive ou résolutoire de la conclusion ou de la non-conclusion d’un autre) ou l’étendre aux hypothèses où les deux contrats ont été conclus (en prévoyant que l’anéantissement de l’un emporte anéantissement de l’autre).

Droit spécial : des causes spéciales d’interdépendance légale et jurisprudentielle S’agissant des causes d’interdépendance légale, c’est traditionnellement en matière de crédits régis par le Code de la consommation que les manifestations de l’interdépendance sont les plus spectaculaires. Le droit de la consommation lie le sort du crédit au sort du contrat financé, de sorte que l’anéantissement de l’un affecte l’anéantissement de l’autre2443. Il existe toutefois d’autres hypothèses d’interdépendance. C’est le cas notamment de certains contrats conclus dans les réseaux de distribution commerciale2444 : sont indivisibles les différents contrats conclus entre une tête de réseau et l’exploitant d’un point de vente, dès lors que quatre conditions sont remplies (ils ont pour but l’exploitation d’un magasin, ils comportent des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice de l’activité de l’exploitant, l’exploitant est lié à la tête de réseau par une exclusivité ou quasi-exclusivité d’approvisionnement, l’exploitant bénéficie de la mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle de cette dernière). S’agissant des causes d’interdépendance jurisprudentielle, c’est probablement au sujet du crédit-bail et de la location financière que la jurisprudence a de manière la plus éclatante créé des hypothèses d’interdépendance alors que ni la loi, ni le contrat ne la prévoyait2445. Récemment, la Cour de cassation a décidé de fonder sur ces cas d’interdépendance sur l’article 1186 du Code civil, ce qui pose un certain nombre de questions2446.

Aménagements conventionnels Lorsque plusieurs contrats sont, en vertu de la loi ou de la jurisprudence, indivisibles, est-il possible de stipuler leur divisibilité2461 ? Jusqu’à une date récente, on aurait volontiers distingué les cas d’interdépendance générale fondée sur l’article 1186 des cas d’interdépendance spéciale fondés sur la loi ou la jurisprudence. Ce n’est que s’agissant de ces derniers que l’interdépendance est le plus souvent, pour des raisons de politique juridique, d’ordre public, en conséquence de quoi une clause de divisibilité devrait être tenue pour inefficace. En revanche, s’agissant de l’indivisibilité fondée sur l’article 1186, c’est la solution contraire qui devrait prévaloir. Rappelons qu’en vertu de ce texte, il y a interdépendance lorsque l’exécution d’un ou plusieurs contrats est impossible en raison de la disparition d’un autre ou lorsque l’exécution du contrat disparu était déterminante pour celui qui se prévaut de la caducité. Dans le premier cas, une clause de divisibilité offrira à l’une des parties, non pas la faculté de contraindre l’autre à exécuter le contrat subsistant (l’exécution étant par hypothèse impossible) mais celle d’obtenir des dommages-intérêts2462 : alors que normalement une partie est libérée en cas d’impossibilité d’exécution, elle ne l’est plus ici. Dans le second cas, une clause de divisibilité permettra de revenir à ce qui devrait être la solution de principe : la divisibilité de contrats, à défaut de volonté de les rendre indivisibles... Il reste qu’une clause de divisibilité, surtout dans le premier cas, pourrait contribuer à créer un déséquilibre significatif et se trouver sanctionnée par le dispositif applicable compte tenu de la qualité des parties et de la nature du contrat2463. Sous cette réserve, une clause de divisibilité pourrait être ainsi rédigée : « Les parties reconnaissent que le présent contrat est divisible de tout autre contrat que les parties ont conclu ou concluraient entre elles ou que l'une d'entre elles a conclu ou conclurait avec un tiers. Ce faisant, aucune partie ne pourra invoquer contre l'autre la caducité du présent contrat sur le fondement de l'article 1186 dans ses alinéas 2 et 3 ». Un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 janvier 2024 conduit à s’interroger sur la pertinence de cette distinction entre interdépendance générale et interdépendance spéciale. De fait, dans cet arrêt, la Cour de cassation fonde désormais l’interdépendance des contrats formant une opération de location-financière sur l’article 1186, tout en continuant à réputer « non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance »2464. La tentation existe dès lors de considérer, par induction, que toute interdépendance fondée sur l’article 1186 est d’ordre public. Outre le fait qu’une telle interprétation serait absolument condamnable au regard de ce qui vient d’être dit, il convient de relever que la Cour de cassation prend le soin – qui certes aurait pu être plus explicite – de relever que sont réputées non écrites les clauses de divisibilité « [d]ans les contrats formant une opération incluant une location financière ».

Section 2 - Les conséquences de l’interdépendance des contrats

548 Deux conséquences ? On retient le plus souvent que les conséquences de l’interdépendance des contrats tiennent à leur sort lié et à leur dissolution dans un ensemble plus large. En réalité, les conséquences de l’interdépendance sont à géométrie variable. Pour ne prendre qu’un exemple, chaque fois que l’interdépendance a une origine conventionnelle, les parties pourraient en tirer les conséquences qu’elles souhaitent.

549 Première conséquence : sort lié. De règle générale, lorsque deux contrats sont interdépendants, l’anéantissement de l’un emporte l’anéantissement de l’autre. Cela a été jugé notamment2465 au sujet des contrats participant à une opération de crédit-bail ou de location financière, des contrats participant à une opération liant location de matériel et maintenance dudit matériel2466, des contrats de location de matériel en vue l’exécution d’une prestation de service2467. C’est une même conséquence que la loi tire au sujet des contrats interdépendants au sein d’un réseau de distribution : non seulement la « résiliation » d’un contrat emporte celle des autres, mais aussi les contrats interdépendants ont une échéance commune2468.

Quant à la nature de l’anéantissement par ricochet du contrat, il s’agit en principe d’une caducité. C’est ce qui décide la jurisprudence2469 et ce que prévoit l’article 1186. Tout au plus convient-il de préciser que l’interdépendance des contrats en vertu de l’article 1186 ne devrait pas être considérée comme impérative, dès lors qu’il ne s’agit jamais que d’une répartition des risques prévue par la loi et qu’il est de la liberté des parties de les répartir autrement, à moins qu’une telle clause ne puisse être considérée comme instituant un déséquilibre significatif2470.

550 Seconde conséquence : dissolution des contrats indivisibles dans un ensemble plus large. À certains égards, les contrats interdépendants sont réputés n’en former qu’un. Au fond, il s’agit de faire comme si les parties n’avaient conclu qu’un seul contrat, résultat de l’addition des clauses des différents contrats. On trouve en jurisprudence plusieurs implications de la dissolution des contrats interdépendants dans un ensemble plus large.

En premier lieu, l’interdépendance a des conséquences sur l’opération de qualification. Primo, la prise en compte de l’ensemble a emporté la requalification des promesses unilatérales croisées de vente et d’achat de parts sociales conclues entre les mêmes parties en une promesse synallagmatique2471. Secundo, la promesse unilatérale comprise dans une transaction n’a pas à être enregistrée en application de l’article 1589-22472 car l’opération comporte des « engagements réciproques interdépendants, dont la promesse de vente n’est qu’un élément ». Tertio, l’agrégation de contrats interdépendants peut former un contrat nommé : le crédit-bail est ainsi l’alliage d’une vente, d’un bail et d’une promesse de vente.

En deuxième lieu, l’interdépendance a des conséquences sur l’équilibre de l’opération. On sait que si les contrats n’ont pas en principe à être équilibrés en droit français, ils doivent comporter pour l’un des engagés une contrepartie qui serait dérisoire ou illusoire2473 et que la lésion est exceptionnellement sanctionnée dans certains contrats2474. L’interdépendance contractuelle exerce à ce titre un rôle important. À tous ces égards, la contrepartie des obligations d’une partie peut être en dehors du contrat, et tout spécialement dans un contrat interdépendant. Tel est le cas s’agissant de la vente d’un terrain à un euro, mais moyennant une reprise de dette2475. De même la lésion dans une vente immobilière de deux parcelles portant, dans l’intention des parties, sur un ensemble indivisible pour un prix unique, doit être examinée dans le cadre de la vente de l’ensemble, et non vente par vente2476.

En troisième lieu, l’interdépendance exerce une influence sur le droit de l’inexécution. Ainsi, lorsque des contrats sont interdépendants, l’inexécution par une partie de ses obligations autorise l’autre à suspendre l’inexécution des obligations qu’elle assume dans le contrat lié2477.

En quatrième lieu, l’interdépendance a d’inévitables conséquences sur la connexité des obligations. Sont considérées comme connexes les obligations de contrats distincts dès lors qu’elles procèdent d’un même ensemble contractuel : « à défaut d’obligations réciproques dérivant d’un même contrat, le lien de connexité peut exister entre des créances et des dettes nées de ventes et achats conclus en exécution d’une convention ayant défini entre les parties le cadre du développement de leurs relations d’affaires, ou de plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations »2478. Or l’on sait que la compensation de dettes connexes fait l’objet de dispositions particulières2479.

En cinquième lieu, l’interdépendance peut avoir pour effet d’étendre le champ d’application d’une clause de règlement des différends, telle une clause compromissoire, en appliquant cette clause non seulement aux différends nés au sujet du contrat qui la contient, mais aussi à ceux nés du contrat dont il est interdépendant, si ce dernier ne comprend pas de clause particulière2480.

En sixième lieu, plusieurs règles relatives à l’interprétation des contrats sont affectées en cas d’interdépendance contractuelle. De même que les clauses d’un même contrat « s’interprètent les unes par rapport aux autres »2481, lorsque, « dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci »2482. On observera néanmoins que sont seuls visés les contrats interdépendants en raison d’un accord des parties. Les contrats objectivement interdépendants ne paraissent donc pas concernés par ce texte. Toutefois, rien n’interdit d’interpréter l’ensemble de tels contrats comme le ferait une personne raisonnable, conformément à la règle d’interprétation subsidiaire de l’article 1188 alinéa 2.

Chapitre 14 - La preuve

Plan

551 Localisation. Les règles relatives à la preuve des obligations figurent dans un titre IV bis intitulé « De la preuve des obligations ». On envisagera dans le cadre de cet ouvrage les seules règles qui intéressent la matière contractuelle.

552 Plan. Distinguons à cet effet la question de la preuve du contrat (section 1) de celle des contrats sur la preuve (section 2).

Section 1 - La preuve du contrat

553 Charge de la preuve. En vertu de l’article 1353 alinéa 1, « [c]elui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver » (al. 1) et « [r]éciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation » (al. 2).

La charge de la preuve, et donc le risque de la preuve, échoit ainsi à celui qui entend rapporter la preuve d’une obligation contractuelle et, à la source, d’un contrat.

Un cas particulier de contrats, les contrats de fourniture qui donnent lieu à un abonnement dont le prix varie suivant la consommation, suscitent des difficultés. Elles ne concernent pas la preuve du contrat, mais celle de l’étendue de l’obligation, de la dette de l’utilisateur. En effet, de tels contrats présentent l’originalité de donner naissance à une sorte d’obligation de couverture, une obligation de payer les factures à échoir, laquelle se prolonge par une obligation de règlement, une obligation de payer les factures échues. C’est précisément la preuve de l’existence de cette dernière obligation qui fait difficulté, en ce qu’elle découle successivement d’un acte (le contrat de fourniture) et d’un fait juridique (la consommation)2483.

554 Deux systèmes. Il existe deux systèmes de preuve : le système de la preuve légale, suivant lequel c’est la loi qui fixe les modes de preuve admissibles et leur force probante et le système de la preuve morale, suivant lequel ce n’est pas la loi, mais le juge, qui fixe les modes de preuve admissibles et leur force probante.

Le droit français des contrats retient les deux systèmes : le système de la preuve légale en droit commun et le système de la preuve morale en droit commercial, sous réserve de quelques aménagements.

555 Plan. En s’en tenant au droit commun de la preuve, on s’aperçoit qu’un écrit tantôt est exigé (§ I), tantôt ne l’est pas (§ II).

Droit spécial : de la preuve en droit commercial2484 En droit commercial, c’est le système de la preuve morale qui est retenu : la loi ne fixe ni les modes de preuve admissibles, ni leur force probante. (i) S’agissant des modes de preuve admissibles, la loi prévoit qu’« [à] l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi » (C. com., art. L. 110-3 2485). La possibilité de prouver par tout moyen2486 a pour corollaire l’éviction des dispositions traditionnelles qui régissent la preuve en matière civile : notamment, les articles 1359 alinéa 2 (on ne peut prouver outre un écrit et contre un écrit autrement que par écrit)2487, 1375 (double original pour les contrats synallagmatiques)2488, 1376 (mention manuscrite du montant de l’engagement en chiffres et en lettres)2489, et 1377 (date certaine)2490. En revanche, l’article 1378, qui prévoit que les « registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée (...) »2491 , concerne au premier chef les commerçants, même s'il s'applique à tous les professionnels. Ainsi un acheteur pourra établir une vente à partir des livres de commerce du vendeur, même si elle n'a pas été constatée par un acte sous signature privée. Et en vertu de l'article L. 123-23 du Code de commerce, la « comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce », sachant que si « elle a été irrégulièrement tenue, elle ne peut être invoquée par son auteur à son profit » 2492. Si les preuves obtenues ou produites de manière illicite ou déloyale, par exemple un enregistrement clandestin, sont par principe irrecevables en matière civile2493 , elles peuvent néanmoins l'être à titre d'exception en vertu du droit à la preuve fondé sur l'article 6 CEDH 2494. conformément à une exigence jurisprudentielle de droit commun, toute preuve produite doit avoir été obtenue loyalement : tel n’est pas le cas de l’enregistrement clandestin d’une conversation2495. Le domaine du principe de la liberté de la preuve est doublement circonscrit. Ratione personae, celui contre qui l’on entend prouver par tout moyen doit être un commerçant, ce qui conduit à distinguer deux situations. Primo, en présence d’un acte de commerce conclu entre deux commerçants, les parties à l’acte peuvent rapporter par tout moyen la preuve l’une contre l’autre de l’existence d’une obligation contractuelle. Secundo, en présence d’un acte de commerce conclu entre un commerçant et un non-commerçant, le non-commerçant peut rapporter par tout moyen la preuve de l’obligation contractuelle souscrite par le commerçant alors que ce dernier ne le peut que par écrit, en application des règles de droit commun2496, sauf cas particulier2497. Ainsi, l’article 13762498 s’applique au cautionnement commercial consenti par un non-commerçant (cautionnement donné par le dirigeant de la société pour les dettes de la société)2499. Ratione materiae, le contrat que l’on entend prouver doit être un acte de commerce2500. Un commerçant ayant également une « vie privée », les actes qu’il accomplit à cette occasion ne sont pas concernés par la liberté de preuve (ex. prêt d’un commerçant à un parent). (2) S’agissant en second lieu de la force probante des preuves admissibles, le juge est souverain pour apprécier la pertinence de la preuve2501. Ainsi, la date indiquée dans l’acte peut faire foi à l’égard des tiers2502.

§ I - La preuve par écrit

556 Généralités. En principe, l’acte juridique d’un montant excédant un montant fixé par décret, aujourd’hui 1 500 euros2503 , doit être prouvé par écrit (C. civ., art 1359 al. 1 2504).

C’est la somme ou la valeur de la créance prévue à l’acte qui compte, non celle de la créance alléguée . C'est pourquoi, d'une part, celui dont la créance excède cette somme ou cette valeur n'est pas dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande (C. civ., art 1359 al. 3 2505 ) et, d'autre part, celui dont créance est inférieure à cette somme ou cette valeur en raison de paiements partiels n'est pas davantage dispensé de la preuve par écrit (C. civ., art 1359 al. 4 2506).

557 Plan. Après avoir défini l’écrit (A), on envisagera son domaine probatoire – de quoi il fait preuve – (B), puis sa force probante – comment il fait preuve (C). On constatera alors que la signature d’un tiers certificateur (par un exemple un notaire ou un avocat) exhausse le domaine probatoire ainsi que la force probante de l’acte.

558 Observation liminaire sur la portée de l’exigence d’un écrit. L’exigence d’un écrit pour rapporter la preuve d’un acte juridique est doublement limitée. En premier lieu, c’est l’existence de l’acte juridique qui doit être prouvée par écrit. En contrepoint, les éléments qui concernent sa validité (ex. intégrité du consentement) et son exécution (ex. manquement à une obligation) peuvent être prouvés par tout moyen. En second lieu, l’exigence d’un écrit n’est posée que pour les parties à l’acte, non pour les tiers. Ceci se comprend aisément, les tiers n’ayant pas participé à la confection de l’écrit, ils n’ont pu en obtenir un exemplaire.

A - Définition

559 Écrit signé qui émane de celui à qui on l’oppose. En droit, un « écrit » doit remplir trois conditions : ce doit être un écrit (1) signé (2) de celui à qui on l’oppose (3).

1 - Première condition : un

560 Généralités. Un écrit consiste en une « suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support » (C. civ., art 1365: lettre, gravure, fichier informatique, courriel, etc.

Il est classique de distinguer suivant que l’écrit est établi sur support matériel ou sur support électronique.

(i) Lorsqu’il est réalisé sur un support matériel, les formalités, qui ont pour but d’éviter des falsifications, diffèrent suivant la nature de l’écrit.

Si l’écrit est sous signature privée , il faut distinguer. S'il constate un contrat synallagmatique, l'écrit doit être établi en autant d'exemplaires qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct (C. civ., art 1375; s'il constate un acte unilatéral ou un contrat unilatéral portant sur une somme d'argent ou toute autre chose fongible, il doit comporter une mention écrite par le débiteur de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres (C. civ., art. 1376). Il est également d'usage de parapher toutes les pages, afin d'éviter que l'une des parties n'en ajoute ou n'en supprime une.

Si l’écrit est notarié , plusieurs dispositions du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires2515 doivent être observées : interdiction des interlignes ou surcharges (art. 13), paraphe de chaque feuille (art. 14), notamment.

(ii) Lorsque l’écrit est réalisé sur un support électronique , il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité » (C. civ., art 1366 2516). Il faut à nouveau distinguer.

Si l’écrit est sous signature privée , on retrouve la formalité du double pour les contrats synallagmatiques, mais adaptée, puisqu'il suffit que le procédé permette « à chaque partie de disposer d'un exemplaire sur support durable ou d'y avoir accès » (C. civ., art 1375 al. 4 2517).

Si l’écrit est notarié2518, le notaire doit utiliser un système de traitement et de transmission de l’information « agréé par le Conseil supérieur du notariat et garantissant l’intégrité et la confidentialité du contenu de l’acte »2519 et l'acte doit être signé par le notaire au moyen d'un procédé de « signature électronique qualifiée » conforme aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique2520 Comme c’est le cas pour les actes établis sur support papier, toute « surcharge, interligne, ou addition contenus dans le corps de l’acte sont nuls » et les « renvois sont portés en fin d’acte et précèdent la signature » (art. 19 décret 1971).

S’agissant des actes notariés établis à distance, il faut deux cas de figure puvent se présenter.

Dans un premier cas, visé par l'article 20 du décret de 1971, les parties ne sont pas toutes deux présentes physiquement au même endroit avec le notaire instrumentaire, mais un notaire est présent physiquement avec chacune d'entre elles. Chaque notaire recueillera le consentement, la déclaration et la signature de chaque partie, étant précisé que l'échange d'informations entre les notaires se fait par le système de traitement et de transmission de l'information « agréé par le Conseil supérieur du notariat et garantissant l'intégrité et la confidentialité du contenu de l'acte » déjà mentionné.

Dans un second cas, visé à l'origine par un décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire – pris à l’occasion de la crise de la covid et dont les dispositions n’avaient pas vocation à durer au-delà de l’état d’urgence sanitaire puis par l'article 20-1 du décret de 1971 2521, les parties ne sont même plus en présence d’un notaire puisqu’elles comparaissent à distance2522. Alors que le premier dispositif autorisait la conclusion de tout acte authentique à distance, le second ne permet plus que la conclusion d’une procuration authentique à distance. Comment les parties communiquent-elles alors avec le notaire instrumentaire, afin que les garanties traditionnellement attachées à l'authenticité soient préservées ? L'article 20-1 du décret de 1971 prévoit de manière générale que « [l]'échange des informations nécessaires à l'établissement de l'acte et le recueil, par le notaire instrumentaire, du consentement de la ou des parties à l'acte qui ne sont pas présentes s'effectuent au moyen d'un système de traitement, de communication et de transmission de l'information garantissant l'identification des parties, l'intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat ». S'agissant en particulier du recueil du consentement et de la signature des parties, il est prévu que le notaire instrumentaire les recueille « simultanément » et il doit être recouru à un dispositif de « signature électronique qualifiée ». Quant à la signature électronique du notaire instrumentaire, elle aussi doit être « qualifiée ».

561 Cas particulier du contrat synallagmatique. Lorsque c’est la conclusion d’un contrat synallagmatique qui est envisagée, l’acte sous signature privée « ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct2523 , à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l'unique exemplaire dressé » (C. civ., art 1375 al. 1 2524), la règle étant adaptée si le contrat est conclu sous forme électronique2525.

Si un seul exemplaire était dressé et remis à l’une des parties, celle-ci pourrait le falsifier utilement, aucun autre exemplaire ne pouvant attester de la réalité ; c’est pourquoi faut-il établir autant d’exemplaires qu’il y a de parties, sauf à ce qu’un seul exemplaire soit remis à un tiers qui n’aurait pas d’intérêt à le falsifier (ce pourquoi le tiers doit être indépendant des parties).

Afin de connaître avec exactitude le nombre d’originaux existants, il est prévu que chaque original « doit mentionner le nombre des originaux qui en ont été faits » (C. civ., art. 1375 al. 2). De fait, si tel n’était pas le cas, il serait trop facile pour une partie de soutenir que les règles de la pluralité d’exemplaires n’ont pas été remplies en laissant accroire qu’elle n’en a jamais eu... La disposition suivant laquelle celui « qui a exécuté le contrat, même partiellement, ne peut opposer le défaut de la pluralité d’originaux ou de la mention de leur nombre » (C. civ., art. 1375 al. 3) doit être bien comprise : celui qui a exécuté le contrat conformément à l’instrumentum qui lui est opposé reconnaît qu’il est conforme à ce qui était convenu. Toutefois, cette reconnaissance est nécessairement divisible en cas d’exécution partielle car elle ne vaut que pour les obligations ayant donné lieu à exécution.

562 Cas particulier du contrat unilatéral et de l’engagement unilatéral. Lorsqu’il s’agit de conclure un contrat unilatéral ou un engagement unilatéral par lequel « une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention2526, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres », sachant qu’en cas de « différence, l’acte sous signature privée vaut preuve pour la somme écrite en toutes lettres » (art. 13762527).

L’idée générale est que si un seul exemplaire est dressé, il sera remis au créancier qui pourrait facilement falsifier l’instrumentum si la somme mentionnée ne l’était pas à la fois en chiffres et en lettres. Et parce que les chiffres sont plus facilement falsifiables que les lettres (ajouter un chiffre est plus facile que modifier les lettres d’un mot...), les lettres priment les chiffres en cas de non-concordance (une solution meilleure n’aurait-elle pas été de considérer l’instrumentum comme impuissant à faire preuve ?).

Droit spécial : des différents types d’écrits Il existe trois types principaux d’écrits. En premier lieu, l’acte sous signature privée est l’acte signé par les parties à un contrat ou par l’auteur d’un acte unilatéral. En deuxième lieu, l’acte authentique est « celui qui été reçu, avec les solennités requises, par un officier public2507 ayant compétence et qualité pour instrumenter » (C. civ., art. 1369 al. 1). L’acte dressé par l’officier public ne sera en effet authentique que s’il avait compétence et qualité pour instrumenter. Suivant l’acte à conclure, c’est tel officier public qui sera compétent (territorialement et matériellement2508) et telles « solennités » (c’est-à-dire les « formes ») qui seront requises. À supposer que l’acte ne soit pas authentique « du fait de l’incompétence2509 ou de l’incapacité de l’officier, ou par un défaut de forme2510 », il vaut néanmoins « comme écrit sous signature privée, s'il a été signé des parties » (C. civ., art 1370: l'acte est déclassé en un acte sous signature privée 2511. L’acte notarié , variété d'acte authentique, présente plusieurs particularités, dont celle d'être dispensé de toute mention manuscrite dont la loi exige dans certains cas l'apposition par une partie (C. civ., art 1369 al. 3 2512) : on estime que le devoir de conseil du notaire éclaire au moins aussi bien le consentement des parties que le rite du recopiage... En troisième lieu, l’acte sous signature privée contresigné par avocat est un acte sous signature privée qui, en raison du contreseing de l’avocat, est dispensé de toute mention manuscrite (C. civ., art 1374 al. 3 2513), en raison là encore du devoir de conseil dont est tenu l’avocat2514.

2 - Deuxième condition : un écrit

563 Généralités. La signature « nécessaire à la perfection d’un acte juridique2528 », remplit deux fonctions : elle (i) « identifie son auteur » et (ii) « manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte » (art. 1367)2529.

Lorsqu’une personne conclut un contrat en une double qualité, pour son compte et pour le compte d’autrui par exemple, une seule signature suffit2530.

La signature peut être matérielle ou électronique.

564 Signature matérielle. La signature matérielle est la signature qui se manifeste par un sigle tracé sur un support matériel par le signataire . Parce que la signature d'une personne peut être imitée, la personne à qui on oppose un acte au motif qu'elle l'aurait signé peut en principe dénier sa signature, ce qui donnera lieu à une procédure de vérification d'écriture (art 1373 CPC, art 287 s.) 2531.

565 Signature électronique. La signature électronique fait l’objet de règles européennes2532 et nationales2533. Des règles particulières encadrent le processus de signature des actes dans lesquels intervient un tiers certificateur.

(i) La signature électronique est définie par le droit européen comme des « données électroniques, jointes ou associées logiquement à d’autres données électroniques, et que le signataire utilise pour signer » (art. 3.10 règl. eIDAS). Le droit européen distingue trois types de signature électronique.

Primo, la signature électronique simple ne répond à aucune exigence et ne présente donc aucune garantie.

Secundo, la signature électronique avancée est une signature qui répond d’après le règlement eIDAS à quatre exigences (art. 26) : être liée au signataire de manière univoque ; permettre d’identifier le signataire ; avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif ; être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable.

Tertio, la signature électronique qualifiée est « une signature électronique avancée, conforme à l’article 26 [du règlement eIDAS] et créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 dudit règlement, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement » (art. 1er). Autrement dit, la signature électronique qualifiée est une signature électronique avancée qui, d’une part, est créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié2534 et qui, d’autre part, repose sur un certificat qualifié de signature électronique, c’est-à-dire l’intervention d’un tiers certificateur, prestataire de confiance2535. Et lorsque la qualification dune signature électronique qualifiée est contestée, la Cour de justice considère que « la juridiction nationale est tenue de vérifier si les conditions cumulatives prévues à cet article 3, point 12, sont toutes remplies, ce qui lui impose notamment de vérifier sil est satisfait aux conditions visées à larticle 26 et à lannexe I du même règlement »2536.

(ii) Le droit national prévoit quant à lui que « [l]orsqu'elle est électronique, [la signature] consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache » (art. 1367 al. 2). Il distingue donc la signature électronique fiable de la « signature électronique » non fiable. La signature électronique fiable consiste « en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache » et la « fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État » (art. 1367 al. 2). Précisément, il convient donc de s’assurer que le procédé employé pour signer est fiable en ce que c’est bien tel contenu qui a été approuvé par telle personne. Seule la signature électronique fiable (art. 1367 al. 2) assure la « perfection d’un acte juridique » (art. 1367 al. 1). Les signatures « qualifiées » au sens du droit européen sont présumées fiables au sens du droit national (art. 1 décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique), la fiabilité de toutes les autres (avancées ou simples) devant être établie2537. Lorsqu’une signature est présumée fiable, il appartient au juge de dire « si les éléments dont il dispose justifient le renversement de cette présomption » (art. 288-1). Et ce, alors même que l’effet juridique d’une signature électronique qualifiée est « équivalent à celui d’une signature manuscrite » (art. 25.2 du règlement eIDAS) et que la partie « à laquelle on l’oppose peut désavouer son écriture ou sa signature » (art. 1373 in limine). Dès lors, si une telle signature est contestée, une simple dénégation n’apparaît pas suffisante. Lorsque la fiabilité d’une signature doit être établie, le juge doit vérifier, en cas de contestation de celui à qui est opposé l’acte2538 , « si les conditions, mises par les articles 1366 et 1367 du code civil à la validité de l'écrit ou de la signature électroniques, sont satisfaites » (C. civ., art. 287 al. 2) [2539Il s’agit, in concreto, de démontrer que la signature émane bien de celui à qui l’acte est opposé et qu’elle se rapporte bien audit acte. Un fichier ou dossier de preuves provenant du prestataire de confiance est en pratique produit en justice à cette occasion2540. Si la signature est présumée fiable, celui qui invoque la présomption devra seulement établir que les conditions en sont réunies. Si la signature nest pas présumée lêtre, la fiabilité devra être établie, en particulier celle du procédé didentification qui a été pratiqué. La plupart du temps, les juges du fond ne prennent pas parti sur l’existence ou non d’une présomption de fiabilité et relèvent un faisceau d’éléments venant établir la fiabilité de la signature électronique produite2541. Souvent, les mêmes juges se réfèrent à des éléments extrinsèques, comme l’exécution par le passé du contrat par celui qui conteste y être partie2542. C’est là semble-t-il considérer l’absence de fiabilité de la signature en cause : si la preuve extrinsèque n’est pas jugée irrecevable chaque fois que la loi exige un écrit2543, c’est que le « début » de signature constitue un commencement de preuve par écrit2544

La signature scannée donne lieu à un contentieux important. Elle n’est certainement pas une signature électronique2545 et le serait-elle d’ailleurs, que son absence de fiabilité serait certaine dès lors qu’il est à la portée de tous de scanner une signature et de l’utiliser. Même si la signature scannée n‘est pas non plus une signature manuscrite, puisqu’elle n’en est qu’une reproduction, elle reste pour autant une forme de signature2546 qui sera tenue comme efficace si elle n’est pas contestée ou si d’autres éléments viennent conforter le lien d’imputation entre la signature et la personne qu’elle désigne2547.

(iii) Lorsque l’acte électronique est notarié , les articles 16 et suivants du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires apportent un certain nombre de précisions. En principe, lorsque les parties et le notaire sont en présence l’acte doit être signé par le notaire au moyen d’une « signature électronique qualifiée » (art. 17 al. 1) et c’est l’« image du sceau » qui « figure sur les actes délivrés en brevet ainsi que sur les copies exécutoires et les copies authentiques » (art. 18). Quant aux parties (et aux témoins), il est simplement prévu qu’elles « doivent utiliser un procédé permettant l’apposition sur l’acte notarié, visible à l’écran, de l’image de leur signature manuscrite » (art. 17 al. 3). Ces règles sont aménagées lorsqu’une partie est à distance du notaire instrumentaire mais en présence d’un notaire participant à l’acte (art. 20 décr. 1971) ou même à distance de tout notaire (art. 20-1 décr. 1971)2548.

Lorsque l’acte électronique est contresigné par avocat, le projet d’acte établi sur un logiciel de traitement de texte est déposé par l’avocat rédacteur sur la plateforme e-Barreau, dans son espace e-Acte d’Avocat. L’avocat saisit les éléments d’identification des parties qui doivent signer l’acte (dont l’adresse email et le numéro de téléphone portable). Chaque partie reçoit un email l’invitant à se connecter sur la plateforme e-Barreau et à rentrer un code d’accès unique obtenu par SMS. Elle prend connaissance de l’acte puis le signe en un clic dans un espace sécurisé. Puis chaque avocat contresigne l’acte grâce à une clé e-Barreau2549.

3 - Troisième condition : un écrit signé

566 Généralités. Parce que « [n]ul ne peut se constituer un titre à soi-même » (art. 13632550), l’écrit, en tant que preuve parfaite, ne peut émaner de celui qui l’oppose (ni même d’un tiers) : il doit émaner de celui à qui on l’oppose. C’est la raison pour laquelle une facture émise par telle personne ne saurait faire preuve d’une créance2551.

Il est toutefois possible de « se faire preuve à soi-même » chaque fois que la preuve est libre, en matière commerciale2552 ou lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve d’un fait, telle l’exécution d’une prestation2553.

B - Domaine probatoire

567 Distinction. De quoi l’écrit fait-il preuve ? Il faut distinguer l’origine, le contenu et la date de l’acte.

568 Origine de l’acte. Lorsqu’une personne allègue qu’une autre est partie à un acte qu’elle aurait signé, l’allégation doit-elle être prouvée par son auteur ou doit-elle être renversée par celui qu’elle vise ? Une distinction s’impose.

(i) S’agissant de l’acte sous signature privée, la partie – de même que ses héritiers ou ayants cause – à laquelle « une » signature est opposée peut la « désavouer » (art. 1373) : dire qu’elle n’est pas la sienne2554. Il est donc toujours possible pour celui à qui on oppose un acte sous signature privée de nier en être un auteur. On dit parfois, même si l’expression est ambiguë, que l’acte ne fait pas foi de son origine.

Dans ce cas, « il y a lieu à vérification d'écriture » (art 1373 suivant une procédure décrite aux articles 287 et suivants du Code de procédure civile. Le risque de la preuve pèse sur celui qui entend démontrer que la personne contre qui l'acte est invoqué est bien partie 2555. Cette règle s’impose : c’est à celui qui se prétend créancier doit faire la preuve de l’existence de sa créance. Et cette preuve suppose nécessairement celle de l’identité du débiteur.

(ii) S’agissant de l’acte authentique, parce qu’il « fait foi (...) de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté » (art. 1371 al. 1)2556 et que l’officier a constaté que telle personne avait la qualité de partie, l’acte fait foi de son origine.

La contestation de l'origine supposera que soit suivie une procédure d'inscription de faux (CPC, art 303 s.) 2557.

(ii) Quant à l’acte contresigné par avocat(s), « il fait foi de (...) la signature des parties » (art. 1374 al. 12558), en sorte qu’il fait également foi de son origine.

La contestation de l'origine supposera que soit suivie une procédure de faux (art 1374 al. 2 et CPC, art 299 s.) 2559.

569 Contenu de l’acte. Il convient encore de distinguer l’acte sous signature privée de l’acte authentique.

(i) L’acte authentique « fait foi (...) de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté » (art. 1371 al. 1)2560, c’est-à-dire des faits qu’il a constatés : faits matériels ou déclarations des parties.

(ii) S’agissant de l’acte sous signature privée, une distinction s’impose.

Entre les parties, dès lors qu’il est reconnu par celui à qui on l’oppose2561 ou « légalement tenu pour reconnu » (ce qui devrait le cas de l’acte contresigné par avocat2562), l’acte sous signature privée « fait foi entre ceux qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause » (art. 1372).

À l’égard des tiers, dans le silence des textes, il faut considérer que le contenu de l’acte fait foi, que l’acte soit invoqué contre un tiers ou par un tiers. Toutefois, la règle suivant laquelle on ne peut prouver outre ou contre un écrit que par écrit ne vaut pas lorsque ce sont les tiers qui invoquent l’acte2563.

570 Date de l’acte. Lorsque la date d’un acte n’est pas mentionnée, sa preuve se fait par tout moyen2564, car il s’agit de rapporter la preuve d’un fait. Lorsque la date est mentionnée, il convient de se référer à l’article 1377, aux termes duquel, l’acte « n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique »2565. Il convient à nouveau de distinguer l’acte sous signature privée de l’acte authentique.

(i) S’agissant de l’acte authentique, l’acte a date certaine par application de l’article 1377. On peut y voir une illustration du principe suivant lequel l’« acte authentique fait foi (...) de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté » (art. 1371 al. 1). L’acte fait donc foi de sa date entre les parties et à l’égard des tiers2566.

(ii) S’agissant de l’acte sous signature privée (qu’il soit contresigné ou non par avocat(s)), il faut à nouveau distinguer.

Entre les parties, aucun cas particulier n’est fait de la date : l’acte fait donc foi de sa date2567.

À l’égard des tiers, l’acte aura date certaine au jour de son enregistrement s’il est enregistré ou au jour du décès d’une partie si une partie est décédée.

Avant la réforme de la preuve des obligations, l’ancien article 1328 disposait que « [l]es actes sous seing privé n’ont de date2568 contre les tiers que du jour où (...) » alors que le nouvel article 1377 prévoit que l’acte « n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où (...) ». Est-ce à dire, désormais, qu’à l’égard des tiers, la date fait foi en toute hypothèse, celle-ci devenant certaine dans un des cas envisagés par le texte2569 ? Rappelons que si la date a toujours fait l’objet d’un traitement particulier à l’endroit des tiers, c’est en raison des risques d’antidate ou de postdate en vue de frauder les droits des tiers. Le cas le plus souvent évoqué est celui qui vend un bien puis le loue après en antidatant le bail, ce qui lèserait les droits de l’acquéreur2570. Or ce risque est réel et la protection des tiers est à cet égard indispensable. C’est la raison pour laquelle il faut considérer que seule la date certaine est opposable aux tiers, la date non certaine ne l’étant pas, sauf dans les cas où il est établi que les tiers ont eu effectivement connaissance de l’acte2571.

Droit spécial : de la date des contrats d’assurance En droit des assurances, d'après la Cour de cassation, « l'[ancien] article 1328 du Code civil, selon lequel les actes sous seing privé n'ont date certaine contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, n'est pas applicable aux contrats d'assurance et à leurs actes modificatifs » 2572. Il s’agissait en l’espèce de donner effet à la révocation sous signature privée du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, avant que ce dernier ne l’accepte. La solution s’explique probablement par des considérations pratiques.

C - Force probante

571 Mode de preuve parfait. L’écrit est un mode de preuve parfait en ce qu’il lie le juge, dépourvu de tout pouvoir d’appréciation. Si un écrit a été passé pour établir un acte juridique, il ne peut « être prouvé outre ou contre » cet écrit que par un autre écrit (art. 1359 al. 2). Autrement dit, seul un écrit peut contredire un autre écrit. La règle joue même s’il n’était pas nécessaire d’établir un écrit en raison de la somme ou de la valeur de l’acte. En cas de conflit entre plusieurs écrits, en l’absence de hiérarchie entre l’écrit sur support matériel et l’écrit sur support électronique (art. 13662573), à « défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable » (art. 1368).

Un écrit peut en tout état de cause faire l’objet de contestations qui tiennent d’une part à sa sincérité et, d’autre part, à le supposer sincère, à sa conformité au negotium.

Ainsi, lorsqu’une personne produit au soutien de sa prétention un écrit qu’elle oppose à son adversaire, ce dernier dispose de deux moyens de défense pour contester l’écrit : montrer que l’instrumentum n’est pas sincère, qu’il est un faux, ou montrer que l’instrumentum, s’il n’est pas faux, ne reproduit pas fidèlement le negotium auquel il n’est pas conforme.

S’agissant en particulier de la sincérité de l’instrumentum, elle peut être contestée de deux façons, suivant que la contestation porte sur l’intégrité de l’acte (contrefaçon ou falsification d’un instrumentum) ou sur les constatations de fait qu’il comporte (affirmations mensongères ou erronées : antidate, par exemple). Dans le premier cas, c’est la sincérité matérielle qui est en jeu, dans le second, sa sincérité intellectuelle2574.

Il convient à cet égard de toujours distinguer deux questions très différentes : celle des modes de preuve admissibles en vue de contester un écrit et celle de la procédure de contestation de l’écrit.

572 Sincérité de l’instrumentum. Sincérité matérielle. Il faut distinguer les deux questions ci-dessus évoquées.

(i) La procédure de contestation diffère suivant l’acte en question.

En ce qui concerne l’acte sous signature privée, deux procédures peuvent être utilisées. La première est la procédure de vérification d’écriture (CPC, art 287 s.) qui a pour objet de faire reconnaître par le juge que l'écriture ou la signature d'un acte sous signature privée émane ou non de la personne à qui on l'attribue. Elle est engagée chaque fois que la personne à qui est opposé l'acte nie y être partie. La seconde est la procédure de faux (CPC, art 299 s.) qui a pour objet de faire reconnaître au juge la contrefaçon ou l'altération, procédure comparable à celle de procédure de vérification d'écriture.

En ce qui concerne l’acte sous signature privée contresigné par avocat(s), la loi prévoit que la procédure de faux lui est applicable (art. 1374 al. 2).

En ce qui concerne l’acte authentique, c’est la procédure de l’inscription de faux (CPC, art 303 s.) qui doit être suivie. La loi permet alors au juge de suspendre l'exécution de l'acte 2575.

(ii) Quant aux modes de preuve admissibles et leur appréciation par le juge, il faut observer qu’il s’agit de rapporter la preuve d’un fait – une contrefaçon ou une falsification – en sorte que la preuve est libre et que les preuves seront appréciées souverainement par le juge2576, quelle que soit la nature de l’écrit, comme le confirment les dispositions du Code de procédure civile qui explicitent les différentes procédures de contestation.

573 Sincérité de l’instrumentum. Sincérité intellectuelle. L’instrumentum est susceptible de comporter des affirmations mensongères (l’acte est toutefois « sincère » matériellement en ce qu’il n’est pas contrefait ou altéré) ou erronées : la date ou le lieu de conclusion, par exemple. Distinguons à nouveau.

(i) La procédure de contestation diffère suivant l’acte en question. La procédure d’inscription de faux ne devra être mise en œuvre que s’il s’agit de contester la sincérité d’un élément constaté ou vérifié par l’officier public dans un acte authentique alors que la procédure de droit commun sera mise en œuvre s’agissant de contester la sincérité des éléments non constatés ou vérifiés par l’officier public dans un acte authentique et la sincérité de tout élément dans un acte sous signature privée.

(ii) Quant aux modes de preuve admissibles et leur appréciation par le juge, s’agissant de rapporter la preuve du caractère mensonger ou erroné d’un fait, il serait critiquable d’exiger une preuve écrite et de distinguer par ailleurs l’écrit sous-seing privé de l’écrit authentique2582. Si tel acte comporte telle date et qu’à cette date, une partie peut établir qu’elle était par exemple à l’étranger et n’a pu signer ledit acte, la preuve doit pouvoir être administrée librement, quelles que soient la nature de l’écrit et la procédure intentée. L’article 1359 alinéa 2 pourrait fournir un argument en ce sens : en énonçant qu’« [i]l ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n'excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique », le texte limite l'exigence d'un écrit au seul acte juridique, sans l'étendre aux faits. Par ailleurs, exiger un écrit pour prouver contre ou outre un écrit produirait en quelque sorte les mêmes effets qu'une présomption conventionnelle irréfragable, laquelle est interdite (art 1356 al. 2 C. civ.). Il faut néanmoins reconnaître qu'une telle limitation n'est peut-être pas conforme à l'intention du législateur 2583.

Les juges du fond, confrontés à la réalité des faits, n’hésitent pas à écarter les clauses déclarant que tel fait s’est produit, spécialement lorsqu’il est question de clause de style. Le contentieux relatif à la remise du document d’information précontractuelle en atteste2584.

574 Conformité de l’instrumentum sincère au negotium. Il est ici question d’envisager le cas où la partie à qui est opposé l’acte ne rend pas compte du negotium , des promesses échangées entre les parties. Que l'acte soit authentique ou sous seing privé, il convient d'appliquer la règle suivant laquelle il « ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique » (C. civ., art 1359 al. 2).

Il importe de préciser ici que cette dernière règle recouvre une double signification. Elle interdit de prouver autrement que par écrit les simulations quant aux engagements pris2585, les omissions qui seraient intervenues pendant la rédaction de l’écrit, et les modifications qui auraient été apportées à l’acte juridique postérieurement à la confection de l’écrit2586.

Il ne semble pas qu’il faille faire ici de distinction entre l’écrit sous-seing privé et l’acte authentique2587. C’est d’ailleurs ce qui ressortait de l’ancien article 1322 C. .civ. : « l’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l’acte authentique »2588. Pourvu que la partie à qui est opposé l’acte sous seing privé reconnaisse sa signature, la force probante qui y sera attachée sera sur ce point équivalente à celle accordée à l’acte authentique. Il en irait donc de même, de l’acte contresigné par un avocat.

Point sensible : des copies Le traitement des copies a connu une évolution importante avec le temps, parachevée par la réforme du droit de la preuve des obligations. (1) Avant la réforme de 2016, il fallait distinguer suivant que l’original subsistait ou non. Lorsque le titre original subsistait, l’ancien article 1334 prévoyait que les copies faisaient foi que de ce qui est contenu au titre dont la représentation peut toujours être exigée (utilité résiduelle...). Cela valait pour toutes les copies2577 même pour les copies certifiées conformes2578. Lorsque le titre original ne subsistait pas, la copie « normale » contestée n’avait aucune valeur et seules les copies exécutoires (« premières expéditions ») avaient la valeur de l’original (ancien article 1335). Les autres copies authentiques d’actes authentiques, dressées par le dépositaire de l’original, ne valaient que commencement de preuve par écrit, sauf si elles avaient plus de trente ans2579 . Si rien n'était dit des copies d'actes sous-seings privées, depuis une loi de 1980 2580, l’ancien article 1348 alinéa 2 prévoyait que les copies fidèles et durables valaient commencement de preuve par écrit, ce qui n’empêcha pas la jurisprudence de considérer qu’elles avaient la même force probante que l’original2581. (2) Depuis la réforme de 2016, il est posé un principe d’équivalence entre l’original (l’écrit) et la copie fiable : « La copie fiable a la même force probante que l’original » (art. 1379 al. 1). À cet égard, si le juge apprécie en principe le caractère « fiable » ou non de la copie (art. 1379 al. 1), deux cas particuliers sont réservés. D’une part, la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique est réputée fiable (art. 1379 al. 1). D’autre part, la copie « résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État » est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire . D'après le décret n° 2016-1673 du 5 décembre 2016 relatif à la fiabilité des copies et pris pour l'application de l'article 1379 du Code civil , est présumée fiable la copie résultant « soit d'un procédé de reproduction qui entraîne une modification irréversible du support de la copie » soit « en cas de reproduction par voie électronique, d'un procédé qui répond aux conditions prévues aux articles 2 à 6 du présent décret » (art. 1). Enfin, si la loi prévoit que « [s]i l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée », à la différence du droit ancien, la présentation de l’original n’est plus une condition de la reconnaissance de la force probante de la copie.

§ II - La preuve autrement que par écrit

575 Plan. La preuve d’un acte juridique peut être rapportée autrement que par écrit lorsque l’on est en présence de circonstances particulières (A) ou lorsque la preuve est rapportée par un mode de preuve équivalent (B).

A - En raison de circonstances particulières

576 Distinction. Dans deux séries de cas, la loi admet que la preuve d’un acte juridique puisse être libre, par retour au principe fixé à l’article  1358 C. civ. (« Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen »).

577 Première série de cas : montant de l’acte. Par une interprétation a contrario unanimement admise de l'article 1359 al. 1 C. civ., l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur n'excédant pas 1 500 euros n'a pas à être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique : application du principe de la liberté de la preuve.

579 Deuxième série de cas : exceptions à l’exigence d’un écrit . Alors même qu'un écrit serait en principe exigé, il y est fait exception dans trois séries de cas (C. civ., art 1360 2589) : retour au principe de la liberté de la preuve.

C’est le cas, primo, en cas d’« impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Sont visés les cas où un écrit ne peut être établi en raison d’une impossibilité matérielle (incapacité physique de passer un écrit, urgence, etc.) ou d’une impossibilité morale (liens amicaux, familiaux2590, etc.).

C’est le cas, secundo, s’il est d’« usage de ne pas établir un écrit ». L’exigence légale d’un écrit s’efface devant un usage qui lui serait contraire, sachant que sont a priori visés2591 l’usage professionnel2592 et l’usage qui s’est instauré entre les parties2593, encore que, dans ce dernier cas, il est assez artificiel de parler d’usage : mieux vaudrait parler de convention tacite sur la preuve2594. Avant la réforme de 2016, la jurisprudence n’y voyait pas une véritable exception autonome de la précédente, puisqu’elle exigeait, lorsqu’un usage était invoqué, qu’il plaçât les parties dans l’impossibilité de se procurer un écrit2595. Désormais, peu importe que l’usage invoqué ait rendu impossible la confection d’un écrit.

C’est le cas, tertio, lorsque l’« écrit a été perdu par force majeure ». À l’impossible, nul n’étant tenu, la loi admet une dispense de preuve lorsque l’écrit a été perdu dans des circonstances caractéristiques de la force majeure : perte dans un incendie2596, perte par le notaire2597, par exemple.

B - En raison d’un mode de preuve équivalent

579 Trois équivalents . Dans le sillage du droit antérieur à la réforme du droit de la preuve des obligations, il est désormais prévu par la loi qu'il peut être « suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve » (C. civ., art 1361. Il s'agit donc, comme l'écrit, de modes de preuve parfaits, en ce qu’ils lient le juge.

580 Aveu judiciaire . Seul est visé l'aveu judiciaire (C. civ., art 1383-2 2598), non l’aveu extrajudiciaire2599.

Tout aveu se définit comme la « déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques » (art. 1383 al. 1). L’aveu judiciaire est un mode de preuve parfait en ce qu’il « fait foi contre celui l’a fait » (art. 1383-2 al. 2). Si l’aveu judiciaire permet d’établir l’existence d’un contrat2600, il appartient au juge, en cas de contestation, de trancher la question de la qualification, qui est une question de droit.

582 Serment décisoire . Seul est visé le serment décisoire (C. civ., art 1385 s.), non le serment déféré d'office (C. civ., art 1386 s.) 2601.

Tout serment peut être défini comme la déclaration par laquelle un plaideur affirme la réalité d’un fait qui lui est favorable dans les conditions prévues par la loi . (C. civ., art 1385-2 2602).

584 Commencement de preuve par écrit. Définition. Le commencement de preuve par écrit est défini comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué » (C. civ., art 1362 al. 1), sachant qu'aux alinéas suivants, d'autres preuves sont réputées être des commencements de preuve ou peuvent être considérées comme en étant des équivalents.

En premier lieu, le commencement de preuve par écrit suppose la réunion de trois éléments. Primo, c’est un écrit. Ont été notamment considérés comme étant des commencements de preuve par écrit à ce titre des courriels2603 ou des photocopies2604 (encore qu’en tant que copies, elles relèvent de règles particulières2605). Si l’on n’est pas en présence d’un parfait écrit au sens du droit de la preuve, c’est que manque un élément : la signature, ou la mention en chiffres et en lettres2606, par exemple. Secundo, le commencement de preuve doit émaner de celui à qui on l’oppose (ou, à suivre la lettre du texte, du représenté : « celui qu’il représente »2607) : on doit pouvoir le lui imputer. Ainsi ne constituent pas des commencements de preuve les écrits émanant du demandeur ou d’un tiers2608. Tertio, le commencement de preuve rend « vraisemblable ce qui est allégué » ce qui s’impose avec évidence : comment tenir pour preuve ce qui ne prouve rien ?

En deuxième lieu, est réputée être un commencement de preuve par écrit la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public (C. civ., art 1362 al. 3 2609). Sont ici visées les mentions portées sur un registre tenu par l’administration2610, par les greffes2611, etc. Le juge, s’il doit tenir ces éléments comme étant des commencements de preuve par écrit, reste libre d’en apprécier la force probante, comme c’est le cas pour tout commencement de preuve par écrit.

En troisième lieu, peuvent être considérés comme équivalents à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution (C. civ., art 1362 al. 2) 2612. Le juge est non seulement libre de tenir ces éléments comme étant des commencements de preuve par écrit, mais aussi d’apprécier leur force probante.

583 Commencement de preuve par écrit. Compléments de preuve . Le commencement de preuve par écrit doit être corroboré par des compléments de preuve. Techniquement, la production d'un commencement de preuve par écrit rend recevables des modes de preuve qui ne le sont pas en principe. Ainsi en va-t-il de la preuve par témoins (C. civ., art 1381 2613), de la preuve par présomptions graves, précises et concordantes2614 (C. civ., art. C. civ., 1383-1 2615 ) ou encore du serment déféré d'office (C. civ., art 1386 s.) : tous ces éléments de preuve sont laissés à l'appréciation du juge.

Section 2 - Les contrats sur la preuve

584 Validité de principe des contrats sur la preuve . L'article 1356 al. 1 C. civ. prévoit que « [l]es contrats sur la preuve sont valables (...) ». C’est là la consécration par la loi de ce qu’avait décidé la jurisprudence dans les célèbres affaires Credicas2616. Peu importe que la convention affecte le mode (l’inexécution du contrat ne pourra être prouvée que de telle manière), la charge (telle la stipulation d’une obligation de moyens renforcée2617) ou l’objet (la livraison sans contestation présume le bon état du bien) de la preuve à rapporter2618.

Lorsque la convention sur la preuve affecte la preuve de l’existence d’une obligation, elle intéresse surtout les modes de preuve2619. Leur efficacité est a priori limitée dans la mesure où une telle convention devra elle-même être prouvée par écrit, écrit relatant en général les termes du contrat, en ce compris l’obligation litigieuse. C’est pourquoi la clause présente surtout un intérêt dans les conventions-cadres, en vue de dispenser les parties dans leurs relations à venir de la production d’une preuve par écrit.

Lorsque la convention sur la preuve affecte la preuve de la libération d’une obligation elle concerne la preuve d’un fait juridique : l’exécution ou l’inexécution. Les clauses concernent cette fois surtout la charge de la preuve. Soit un dépôt salarié : l’obligation du dépositaire est normalement une obligation de moyens « renforcée », ce qui signifie qu’en cas de désordres survenus à la chose, la faute de conservation est présumée2620 : à lui de prouver qu’il n’en a pas commis2621. Une stipulation contractuelle qui obligerait le déposant à rapporter la preuve d’une faute commise par le dépositaire, faisant de son obligation une « simple » obligation de moyens, est valable d’après la Cour de cassation2622. Plus généralement, en stipulant une obligation de moyens ou de moyens renforcée, les parties attribuent à l’une ou à l’autre la charge de la preuve en cas de contestation sur l’exécution de l’obligation.

585 Limites à la validité des contrats sur la preuve. Les limites sont de cinq ordres.

En premier lieu, les contrats sur la preuve ne peuvent porter que « sur des droits dont les parties ont la libre disposition » (art. 1356 al. 12623). Cette limite avait été posée par l’arrêt Credicas, en même temps qu’il reconnaissait le principe de validité des contrats sur la preuve2624.

En deuxième lieu, les contrats sur la preuve « ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment » (C. civ., art 1356 al. 2 2625). Et il faut probablement retenir la même solution s’agissant des présomptions irréfragables retenues par la jurisprudence, telle la présomption de connaissance du vice concernant le vendeur professionnel2626. Par ailleurs, la foi attachée aux actes authentiques ne saurait être remise en cause2627 : la détermination des conséquences de l’authenticité d’un acte n’est pas au pouvoir des parties.

En troisième lieu, les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable » (C. civ., art 1356 al. 2). La loi refuse qu'une partie puisse être empêchée d'apporter une preuve au soutien de son allégation : on ne saurait bâillonner les plaideurs.

La Cour de cassation, appliquant d’une certaine manière par anticipation la réforme, avait décidé que « si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable », au sujet d’un contrat de licence et de distribution portant sur un progiciel qui prévoyait que le licencié disposait d’un délai de quinze jours à compter de la livraison du progiciel pour dénoncer tout « dysfonctionnement » en remplissant une « fiche individuelle d’identification écrite » et qu’à défaut de réserves respectant ce formalisme, le progiciel devait être considéré comme conforme2628.

En quatrième lieu, la jurisprudence est assez réticente à admettre une clause faisant peser sur une partie la preuve d’un fait négatif, telle l’absence de violation d’une clause de non-concurrence2629. C’est que, de fait, rapporter une telle preuve est par essence impossible ou presque.

En cinquième lieu, les contrats sur la preuve, comme tout autre contrat, ne peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux. C’est pourquoi l’arrêt Schenk rendu le 12 juillet 1988 par la Cour européenne des droits de l’homme doit être pris avec précaution lorsqu’il énonce que « si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne » (§ 46). En réalité, l’interaction entre les droits fondamentaux, et notamment la Convention européenne des droits de l’homme et le droit de la preuve, est double2630.

Primo, et traditionnellement, les règles de preuve prévues par la loi peuvent heurter des droits fondamentaux, et ce, de deux façons. Des règles de preuve trop libérales pourraient heurter les droits fondamentaux substantiels d’autrui : le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de l’intégrité corporelle, notamment. Inversement, des règles de preuve qui seraient trop strictes et qui ne permettraient pas au requérant de rapporter la preuve de son allégation le priveraient du droit d’accès au juge et du droit à un procès équitable, droits fondamentaux processuels reconnus par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme 2631. On s’aperçoit ainsi que le droit de la preuve est tenaillé entre d’une part les droits fondamentaux processuels, qui commandent d’admettre le plus largement possible l’admission des preuves, et d’autre part les droits fondamentaux substantiels d’autrui, qui conduisent à la limiter le plus souvent.

La Cour de cassation avait estimé dans une affaire opposant un opérateur de télécommunications et un client, que si le premier bénéficie d’une présomption découlant du relevé, celle-ci peut être combattue par un « élément objectif permettant de mettre en doute cette présomption »2632 . On peut également mentionner une affaire concernant la preuve d'un sinistre (un vol) auprès d'une compagnie d'assurances. Un contrat assurant le vol de véhicule précisait quels indices devaient être établis par l'assuré pour caractériser le caractère frauduleux de la soustraction du véhicule (traces d'effraction, forcement de la direction ou de l'antivol et modification des branchements électriques). La question s'est posée de savoir si en l'absence de ces indices, l'assuré pouvait prouver par d'autres voies la réalité du vol dont il se prétendait victime. Au double visa de l'ancien article 1315 (devenu 1353) et de l'article 6, paragraphe 1 Convention EDH, la Cour de cassation considère que « la preuve du sinistre, qui est libre, ne pouvait être limitée par le contrat » 2633. Le visa de l’article 6, paragraphe 1 laisse à penser que le procès n’est plus équitable pour celui qui ne peut rapporter les preuves nécessaires au succès de ses prétentions.

Secundo, et plus récemment, on a vu poindre en jurisprudence l’idée qu’il existerait, au-delà d’un droit de la preuve entenaillé par les droits fondamentaux, un droit à la preuve érigé lui-même en droit fondamental. Il faut y voir le signe de l’importance grandissante de la quête de la vérité réelle – par opposition à la vérité judiciaire –, laquelle commande d’admettre le plus largement les preuves.

C’est dans un arrêt rendu par sa première chambre civile le 5 avril 20122634 que la Cour de cassation a pour la première fois fait référence de manière significative au « droit à la preuve »2635 . En l'espèce, un héritier demandant le rapport d'une donation avait produit une lettre missive trouvée dans les papiers du défunt, écrite par le conjoint du prétendu donataire tenu au rapport. Faute d'accord de son rédacteur et de l'ensemble des héritiers, la production de cette lettre avait été écartée par les juges du fond comme méconnaissant l'intimité de la vie privée et le secret des correspondances. La solution pouvait, à l'évidence, se recommander tant de l'article 9 que de l'article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Pourtant, cette décision est cassée, faute pour les juges du fond d'avoir recherché « si la production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice [du] droit à la preuve [du requérant], et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ». Ce faisant, la Cour de cassation dresse, face au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances un autre droit subjectif, nouveau, le « droit à la preuve ». L'article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoyant que l'atteinte aux droits évoqués doit être nécessitée par d'impérieux motifs d'intérêt général ou par « la protection des droits et libertés d'autrui », il est probablement apparu utile d'ériger un droit à la preuve en droit fondamental pour justifier des atteintes aux autres droits protégés par ladite Convention.

Tant pour la Cour de cassation que pour la Cour européenne le « droit à la preuve » est fondé sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire sur le droit au procès équitable. Le droit à la preuve, bien que reconnu de manière autonome, reste donc un composant du droit au procès équitable. En définitive, on poserait bien volontiers que les clauses contractuelles, mais aussi les règles légales, qui restreignent le droit à la preuve fondé sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne devraient être admises que si elles poursuivent un intérêt légitime et s’avèrent proportionnées.

Droit spécial : des présomptions en droit de la consommation Le Code de la consommation présume d'une part irréfragablement abusives les clauses qui renversent la charge de la preuve en la faisant peser sur le consommateur (art. R. 212-1, 12 2636 ) et, d'autre part, simplement abusives celles qui limitent indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur (art. R. 132-2, 9 2637).

Chapitre 15 - Le terme et la condition

Plan

586 Localisation. L’« obligation conditionnelle » (section 1) et l’« obligation à terme » (section 2) sont envisagées par le Code civil comme des « modalités de l’obligation » (chapitre Ier : « Les modalités de l’obligation »), aux côtés de « l’obligation plurale » (section 3). Elles sont à ce titre régies par le titre IV : « Du régime général des obligations ».

Si on les envisage dans cet ouvrage consacré au seul droit des contrats, c’est qu’il n’y a guère que les obligations contractuelles qui puissent être affectées d’une condition et que ce sont le plus souvent elles qui le sont d’un terme. Des Leçons « pratiques » de droit des contrats ne pouvaient donc faire l’économie de leur étude.

587 Plan. Distinguons la condition (section 1) du terme (section 2).

Section 1 - La condition

588 Événement futur et incertain. L’obligation est conditionnelle « lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain » (art. 1304 al. 1). Cette disposition appelle deux observations.

En premier lieu, quant à l’élément qui peut être affecté d’une condition, la loi vise l’« obligation ». Mais, d’une part, il peut s’agir de tout effet du contrat, par exemple d’un transfert de propriété. D’autre part, et c’est très souvent le cas, il peut s’agir de tous les effets du contrat, ou presque tous les effets, à l’exception de certaines stipulations, dont celle qui érige la condition – bien évidemment ! – mais aussi de certains devoirs, comme le devoir de bonne foi.

En second lieu, quant à l’événement qui peut être érigé en condition, il doit être futur et incertain.

Primo, il doit être futur. À cet égard, l’article 1304 alinéa 1 doit être mis en perspective avec l’ancien article 1181, qui prévoyait que l’« obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties »2638. La confusion était manifeste : la circonstance que les parties aient ignoré tel événement actuellement arrivé ou se soient méprises sur celui-ci est une question qui intéresse l’intégrité du consentement, non les modalités de l’obligation.

L’opposition entre l’événement actuellement arrivé mais inconnu des parties et l’événement futur et incertain ne doit pas cependant pas être surestimée. Ainsi, lorsque les parties érigent en condition l’établissement d’un diagnostic révélant l’absence de désordre du bien vendu, c’est bien un événement futur et incertain, la remise d’un tel diagnostic, qui est érigé en condition, mais celui-ci constatera la situation actuelle du bien... N’empêche : ériger en condition l’absence de désordre (ce qui n’est plus possible compte tenu de la rédaction du nouvel article 1304 alinéa 1) ou la remise d’un diagnostic révélant l’absence de désordre ne revient pas au même. Si le diagnostiqueur se trompe en établissant un diagnostic révélant à tort l’absence de désordre, la condition sera définitivement levée... D’où la nécessité de prévoir dans le contrat des clauses idoines relatives à la prise en charge du désordre, suivant les souhaits des parties.

Secundo, l’événement doit être incertain dans sa réalisation2639. L’événement impossible est-il incertain ? Alors que l’ancien article 11722640 prévoyait que la stipulation d’une « condition impossible » rendait le contrat nul, cette disposition n’a pas été reprise par le nouveau droit des contrats. Est-ce parce qu’une condition impossible au jour de la conclusion du contrat peut devenir possible plus tard (en raison des progrès de la science, par exemple) ?

589 Conditions suspensive et résolutoire. La condition est suspensive « lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple » (art. 1304 al. 2) et résolutoire « lorsque son accomplissement entraîne l’anéantissement de l’obligation » (art. 1304 al. 3). Autrement dit, la condition suspensive suspend l’efficacité d’une obligation (et souvent de plusieurs) alors que la condition résolutoire la menace.

590 Plan. Évoquons les sources (§ I) puis le régime de la condition (§ II).

§ I - Sources

591 Conditions légales. Bien que cela ne soit pas fréquent, il arrive que la loi impose que tel acte soit passé sous telle condition. En matière de vente d’immeuble, le Code de la consommation prévoit en substance que l’acte de vente (ou la promesse) est conclu sous la condition suspensive de l’obtention d’un crédit immobilier2641 et que l’offre de crédit immobilier est acceptée sous la condition résolutoire de non-conclusion du contrat de vente dans un certain délai2642 . À un tout autre égard, le décret du 2 octobre 1967 relatif à la profession de notaire indique que la cession des parts sociales d’un notaire est notamment passée sous la condition suspensive de l’approbation du retrait du cédant, prononcée par arrêté du garde des Sceaux2643. Ces conditions sont le plus souvent impératives. C’est évidemment le cas de la condition d’agrément du garde des Sceaux ci-dessus évoquée, mais aussi de la condition suspensive de l’obtention d’un crédit immobilier également déjà évoquée. De fait, d’après la jurisprudence, dès lors que l’acquéreur entend emprunter et que le vendeur le sait, toute renonciation à la condition suspensive de prêt de la part du premier est inopérante2644.

Parfois le législateur énumère de manière limitative les conditions que peut prévoir un contrat. Tel est le cas s’agissant du contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan2645.

592 Conditions conventionnelles. Les parties peuvent en principe ériger tout événement futur et incertain en condition (autorisation administrative, permis de construire, obtention d’un prêt). Il existe néanmoins trois limites.

La première limite est prévue par la loi : est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend « de la seule volonté du débiteur » (art. 1304-2 al. 1). Un tel cas est assez rare, car la plupart des conditions dépendent quant à leur réalisation du hasard et du débiteur (« condition mixte »), et non de la « seule » volonté de ce dernier. Soit la condition d’obtention d’un permis de construire : c’est certes l’administration qui octroie le permis, mais elle ne le fera pas si on ne le lui demande pas...  En contrepoint, rares sont les conditions dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur car, en pratique, on n’acceptera pas de s’engager sous une telle condition.

À cet égard, certains auteurs2646 invitent à distinguer la condition qui ne traduit pas une volonté de s’engager (« je m’engage si je le veux » ; condition si voluero) de celle qui en traduit bien une, même si la condition dépend dans une très large mesure si ce n’est totalement de la « seule volonté du débiteur » (« je m’engage si je ne pars pas en vacances »).

Il se peut également qu’une condition puisse se réaliser dans plusieurs cas : les uns dépendant de la seule volonté du débiteur, les autres non. Les juges donnent parfois effet à une telle condition, lorsque, dans les faits, la condition s’est réalisée pour des raisons ne dépendant pas de la seule volonté du débiteur2647.

En définitive, même si la jurisprudence s’est parfois montrée (avant la réforme) assez sévère2648, il devrait être rarement considéré que l’obligation soit contractée sous une condition dépendant de la seule volonté du débiteur. En tout cas, la condition n’est pas potestative chaque fois que sa réalisation « dépend, non de la seule volonté du créancier de l’obligation, mais de circonstances objectives susceptibles d’être contrôlées judiciairement »2649.

Si toutefois tel était le cas, alors l’obligation serait nulle2650, ce qui peut à première vue étonner tant la règle serait une aubaine pour le débiteur. En réalité, il faut considérer que le créancier a une option : la nullité2651 (art. 1304-2), le réputé accompli – condition suspensive – ou le réputé défailli – condition résolutoire – (art. 1304-3)2652. Quoi qu’il en soit, si l’obligation est contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur, la « nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause » (art. 1304-2 in fine).

Il convient de mettre ce texte en perspective avec son faux frère, l’article 1182, aux termes duquel l’« exécution volontaire du contrat, en connaissance de cause de nullité, vaut confirmation ». En vertu de ce dernier, dont on comprend très bien les ressorts, le titulaire de l’action en nullité (relative) qui exécute une obligation en connaissance de cause du vice qui l’affecte est réputé renoncer à agir en nullité. Manifestement ce ne sont pas les mêmes considérations qui expliquent l’article 1304-2. De fait, à supposer que la nullité d’une obligation sous condition potestative soit relative2653, on ne voit en quoi l’exécution par le débiteur de l’obligation serait le signe d’une renonciation du créancier à en réclamer la nullité. En réalité, il faut trouver l’explication ailleurs : si l’obligation a été exécutée par le débiteur, c’est que celui-ci a d’une certaine manière « renoncé » à empêcher la condition de défaillir et désamorcé le caractère potestatif, et donc critiquable, de la condition. Reste toutefois que l’expression « en connaissance de cause » n’a pas de sens ici, alors qu’elle en avait à l’article 1182 C. civ...

La deuxième limite est également prévue par la loi : la condition doit être « licite » (art 1304-1 in limine). C’est là une manifestation de l’exigence plus générale de licéité du contenu du contrat2655. Ainsi X ne pourra donner sa maison à Y à la condition que celui-ci tue Z. Si la condition était illicite, c’est « l’obligation » qui serait nulle (C. civ., art 1304-1 in fine ). Toutefois, si l'obligation nulle était un « élément déterminant de l'engagement des parties ou de l'une d'elles », c'est l'entier contrat qui serait nul (C. civ., art 1184 al. 1).

La troisième limite n’est pas prévue par la loi et est difficile à définir. Il ressort néanmoins de la jurisprudence qu’une condition ne peut porter sur un élément essentiel à la validité du contrat sur lequel les parties doivent s’accorder lors de la conclusion du contrat. Ainsi, contrairement à ce que l’on dit parfois, une condition peut porter sur un élément essentiel à la validité du contrat (il n’est que de penser à la « condition légale » de l’agrément du garde des Sceaux lors de la cession des parts sociales par un notaire2656), pourvu que ce ne soit pas un élément sur lequel les parties doivent s’accorder lors de la conclusion du contrat (ex. la chose et le prix dans la vente).

Droit spécial : des clauses abusives En droit de la consommation, « sont présumées abusives (...), sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : Prévoir un engagement ferme du consommateur, alors que l’exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté »2654. En réalité, d’un point de vue substantiel , cette disposition n'ajoute pas à la prohibition par le droit commun des conditions dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Toutefois, le fait que cette clause soit considérée comme abusive au sens du droit de la consommation permet de recourir aux procédures et aux sanctions spécialement prévues par le Code de la consommation. Par analogie, on peut considérer qu'une telle clause causerait le plus souvent un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-1, I du Code de commerce.

Aménagements conventionnels Deux types de conditions suscitent des difficultés en pratique. La première condition est celle dont la réalisation dépend dans une importante mesure de la volonté du débiteur. Afin d’échapper à tout grief de potestativité, une telle condition doit être rédigée de sorte à canaliser la liberté du débiteur et d’éviter, en cas de non-réalisation de la condition, un débat sur la mauvaise foi de celui-ci. Par exemple, on précisera, s’agissant d’une condition suspensive d’obtention d’un prêt, le montant maximal emprunté, le taux d’intérêt maximal, etc. Et l’on précisera, s’agissant de la condition suspensive de vente de son propre bien qui serait stipulée dans un acte d’acquisition d’un autre bien, que le bénéficiaire de la condition s’engage à mettre en vente son bien pour un prix maximum de tant, auprès de telle(s) agence(s), etc. La seconde condition est celle qui consiste dans l’autorisation d’un tiers de conclure le contrat. Si la conclusion d’un contrat sous condition de l’agrément par un tiers (ex. cession du bail sous condition de l’agrément du bailleur) ne pose pas de difficulté, la Cour de cassation semble considérer qu’il ne serait pas possible de conclure un contrat sous la condition de l’autorisation du tiers lorsque celle-ci est requise par la loi2657. Pourquoi ? Parce que l’autorisation de conclure un contrat, de « consentir », ne peut rationnellement qu’être donnée antérieurement à la conclusion du contrat et ne peut être donc érigée en condition. Mais n’est-ce pas là faire montre de juridisme ? L’essentiel ne tient-il pas à ce qu’un contrat non autorisé ne puisse produire effet sans avoir reçu l’autorisation du tiers ? Et n’est-il pas plus cohérent que celui appelé à donner son autorisation se prononce au su d’un contrat dont le contenu est, pour les parties, scellé ? Ces considérations de bon sens expliquent la résistance de certaines juridictions du fond2658. On observera d’ailleurs que dans certaines décisions, la Cour de cassation a semblé considérer que si l’autorisation ne pouvait être érigée en condition, l’acte conclu sans autorisation pouvait néanmoins prendre valablement effet une fois cette autorisation donnée2659.

§ II - Régime

593 Durée de réalisation de la condition. Il arrive que la loi prévoie la durée de la condition ou l’encadre2660. S’agissant des conditions conventionnelles, l’ancien article 1176 prévoyait : « s’il n’y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ». Certes, le droit issu de la réforme du droit des contrats n’a pas repris cette disposition, mais on ne voit pas pourquoi une autre solution serait retenue2661.

594 Condition pendante. Tant que la condition est pendante, la situation des parties est tout à fait différente suivant que la condition est suspensive ou résolutoire.

Si la condition est suspensive, l’obligation n’est pas encore née et n’a pas à être exécutée.

Pour autant, le débiteur « doit s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation » (art. 1304-5 al. 12662). Il ne peut donc conclure un acte qui l’empêcherait par la suite, si la condition venait à se réaliser, d’exécuter l’obligation. Ainsi celui qui a vendu un bien sous condition suspensive ne peut revendre le même bien à un tiers, tant que la condition est pendante. Pour autant, il n’a pas à s’exécuter et, s’il le faisait, il pourrait obtenir restitution car ce qui a été payé « peut être répété tant que la condition suspensive ne s’est pas accomplie » (C. civ., art. 1304-5 al. 22663).

Quant au créancier, il « peut accomplir tout acte conservatoire et attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits » (art. 1304-5 al. 12664). Il faut en réalité distinguer les actes qui sont permis au créancier en raison de sa créance de ceux qui le sont en raison de sa qualité de créancier. Au titre des premiers, seuls sont autorisés des actes conservatoires, telle une saisie conservatoire si le bien a été revendu à un tiers pendente conditione. Au titre des seconds, la créance conditionnelle peut être cédée comme n’importe quelle créance2665. S’agissant de la possibilité pour le créancier d’attaquer les actes du débiteur, sont visés les actes accomplis en fraude de ses droits. Il est donc question de lui reconnaître le bénéfice de l’action paulienne, ou à tout le moins d’une action équivalente, alors qu’auparavant la jurisprudence la lui refusait2666. En revanche, l’action oblique ne saurait être reconnue au créancier car elle est une véritable mesure d’exécution et une mesure d’exécution n’est pas un acte conservatoire2667.

Si la condition est résolutoire, au contraire, l’obligation étant née, elle doit être exécutée. Si la condition venait à se réaliser, on appliquerait alors les règles relatives à la résolution, lesquelles conduiraient à des restitutions.

595 Réalisation de la condition suspensive. L’obligation « devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive » (art. 1304-6 al. 1). Autrement dit, à la réalisation de la condition, l’obligation devient une banale obligation, qu’il convient d’exécuter (sauf à ce qu’elle soit, au surplus, assortie d’un terme suspensif non échu).

L’accomplissement de la condition suspensive n’a plus, depuis la réforme de 20162668, d’effet rétroactif. Mais la règle est supplétive , ainsi que le prévoit d'ailleurs expressément la loi : « les parties peuvent prévoir que l'accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat » (C. civ., art 1304-6 al. 2). Elles le feront d'ailleurs systématiquement dans certains contrats, notamment dans une tontine, car l'économie de l'opération le commande 2669. De règle générale, les conséquences du choix de la rétroactivité sont importantes, ainsi que l’illustre la vente (le transfert de propriété) conclue sous condition. Si la condition n’a pas d’effet rétroactif et que l’acheteur a joui du bien avant sa réalisation, il est tenu d’une indemnité d’occupation2670 et c’est l’inverse dans le cas contraire2671. La chose, objet de l’obligation, n’en demeure pas moins aux risques du débiteur, qui en conserve l’administration et a droit aux fruits jusqu’à l’accomplissement de la condition.

596 Réalisation de la condition résolutoire. La réalisation de la condition résolutoire « éteint rétroactivement l’obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes conservatoires et d’administration » (C. civ., art 1304-7 al. 1). Autrement dit, à la réalisation de la condition, l'obligation disparaît.

L’accomplissement de la condition résolutoire produit donc un effet rétroactif, en sorte qu’elle est réputée ne jamais avoir existé. Cette rétroactivité est néanmoins assortie de trois limites.

En premier lieu, la rétroactivité « n’a pas lieu si telle est la convention des parties ou si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat » (C. civ., art 1304-7 al. 2 2672). Cette limite trouvera naturellement à s’appliquer lorsque le contrat a donné lieu à l’exécution de plusieurs prestations réciproques ayant procuré satisfaction aux parties. Pourquoi revenir là-dessus ? Si la location d’un véhicule est conclue sous la condition résolutoire de la mutation du locataire et que cette mutation a lieu trois années après la conclusion de la location, pourquoi procéder à des restitutions ?

En deuxième lieu, la rétroactivité ne remet pas en cause « les actes conservatoires et d’administration » (C. civ., art 1304-7 al. 1). Sont ici principalement visés les contrats conclus au sujet d'une chose. Que les actes conservatoires ne soient pas remis en cause s’impose : il est normal que celui qui avait la chose entre les mains ait conservé la chose et celui à qui est elle a été restituée en aurait probablement fait de même. L’absence de remise en cause des actes d’administration ne s’impose pas avec la même force. On aurait pu en effet considérer que certains actes d’administration au moins, telle la conclusion d’un bail, soient eux-mêmes résolus dans le sillage de la résolution du contrat ensuite de la survenance de la condition.

En troisième lieu, la jurisprudence antérieure admettait que l’acquéreur puisse conserver les fruits perçus avant que la condition ne défaille2673. Une telle solution ne s’imposait pas, sauf à considérer que l’acquéreur fût tenu d’une indemnité pour la jouissance de la chose. Désormais, il conviendrait de décider que l’acquéreur ne puisse conserver les fruits que dans les cas et dans la mesure où il est tenu d’une indemnité pour la jouissance de la chose.

598 Non-réalisation de la condition. Cas général. En cas de non-réalisation de la condition suspensive, « l’obligation est réputée n’avoir jamais existé » (C. civ., art 1304-6 al. 3). La vente (le transfert de propriété) conclue sous une condition suspensive qui aurait défailli serait caduque 2674.

En cas de non-réalisation de la condition résolutoire, le contrat n’est plus menacé de disparition. Toutefois, en pratique, il est rare qu’une condition résolutoire soit enfermée dans un délai ; il est le plus souvent prévu que le contrat est efficace tant que la condition résolutoire n’est pas survenue.

598 Intervention de l’intéressé dans le jeu de la condition. Cas particulier de la condition mixte. La loi prévoit que la condition suspensive « est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement » et que la condition résolutoire « est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt » (art. 1304-3). Si l’un a pu empêcher l’accomplissement de la condition, c’est qu’in specie, celui dans l’intérêt de qui la condition était stipulée a faussé le hasard. L’idée générale est que les parties ont souhaité que le contrat produise ses effets et qu’elles ne doivent pas faire en sorte que cela ne puisse se produire. Si tel est le cas, on fera comme si la condition s’était réalisée (condition suspensive) ou avait défailli (condition résolutoire).

Il existe néanmoins une limite importante à ceci. Si la condition portait valablement sur un élément essentiel à la validité du contrat, comme l’agrément d’un tiers, il n’est bien évidemment pas admissible que la condition soit réputée réalisée. La victime devra se contenter de dommages-intérêts, sauf à admettre qu’elle puisse, au cas où l’agrément du tiers n’aurait pas même été sollicité par celui devant le faire, obtenir en justice la condamnation de la partie récalcitrante à le solliciter2675.

599 Renonciation à la condition. Une partie est « libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif » (art. 1304-42676). Il convient immédiatement de préciser que si seul celui dans l’intérêt de qui la condition a été stipulée ne peut renoncer à la condition, lorsque la condition l’a été dans l’intérêt de toutes les parties, la renonciation est possible, mais seulement par un accord des parties.

Si la loi prévoit que la renonciation est possible « tant que celle-ci n'est pas accomplie » (art 1304-4, quid de la possibilité de renoncer à se prévaloir de la défaillance de la condition ? Avant la réforme, la jurisprudence était hésitante2677 . L'article 1304-4 C. civ., dans la version issue de l'Ordonnance, pouvait être interprété de diverses manières. Le rapport au président de la République était bien plus explicite :

« Il en résulte a contrario [de l’article  1304-4 C. civ.] qu’une renonciation ne peut intervenir après la défaillance de la condition suspensive, ce qui met fin à la controverse doctrinale et aux incertitudes jurisprudentielles sur ce point. L’ordonnance privilégie ici une conception classique et objective de la condition : le contrat est automatiquement anéanti lorsque défaille la condition suspensive, afin d’éviter la remise en question du contrat bien après cette défaillance. »2678

En vue d’éviter toute équivoque, la Loi de ratification, par une disposition interprétative2679 , a cru bon de préciser que la renonciation à la condition était possible non seulement tant que celle-ci n'était pas accomplie, mais aussi tant qu'elle n'avait « pas défailli » (C. civ., art 1304-4.

Aménagements conventionnels De nombreuses stipulations sont possibles relativement à la condition : quant à la rétroactivité de la réalisation de la condition suspensive, quant à la possibilité de renoncer à la défaillance de la condition, quant à mise à la charge de celui dans l’intérêt de qui la condition est stipulée d’une incombance lui imposant d’informer l’autre de la réalisation ou non de la condition, etc.

Section 2 - Le terme

600 Un absent . En envisageant l'« obligation à terme » (C. civ., art 1305 s.), le Code civil n'évoque que le terme suspensif, non le terme extinctif. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que le terme suspensif affecte toujours l'obligation alors que le terme extinctif affecte le plus souvent un contrat. Il n'empêche : un terme extinctif pourrait très bien affecter une des obligations issues du contrat.

601 Définition du terme suspensif. L’obligation est affectée d’un « terme [suspensif] lorsque son exigibilité est différée jusqu’à la survenance d’un événement futur et certain, encore que la date en soit incertaine ». Autrement dit, le terme suspend l’exigibilité de l’obligation à la survenance d’un événement futur et certain (le « décès de X », le « 4 décembre prochain », par exemple) que la date de réalisation de cet événement soit certaine (le « 4 décembre prochain ») ou non (le « décès de X »).

Parce que l’exigibilité de l’obligation est suspendue , « [c]e qui n'est dû qu'à terme ne peut être exigé avant l'échéance » (C. civ., art 1305-2 in limine). Pour autant, « ce qui a été payé d’avance ne peut être répété », ce qui invite à rapprocher l’obligation assortie d’un terme suspensif d’une obligation naturelle2680. Le créancier à terme peut accomplir tous les actes qu’il souhaite, mais l’efficacité de certains d’entre eux sera suspendue à l’échéance du terme. Ainsi si l’acquéreur d’un bien loue un bien alors que le transfert de propriété aura lieu un mois plus tard, la location ne pourra prendre effet qu’à cette date.

602 Bénéficiaire du terme suspensif . Le terme profite en principe fort logiquement au débiteur puisqu'il ne peut être contraint de s'exécuter avant l'échéance (C. civ., art 1305-3 al. 1 in limine).

Toutefois, il peut résulter « de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu'il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties » (C. civ., art 1305-3 al. 1 in fine).

604 Détermination. Le terme défini par les parties peut être exprès ou tacite , en application du principe du consensualisme (C. civ., art 1305-1 al. 1).

De manière plus énigmatique, la loi prévoit qu’« [à] défaut d’accord, le juge peut le fixer en considération de la nature de l’obligation et de la situation des parties » (C. civ., art 1305-1 al. 1). Deux interprétations sont possibles. Suivant la première, si les parties sont convenues d’un terme, le juge peut en fixer la durée si les parties ne se sont pas accordées sur ce point/ Suivant la seconde, quand bien même les parties ne seraient convenues de rien, pas même du principe d’un terme, le juge pourrait néanmoins en fixer un. Une lecture littérale du texte, qui autorise le juge à « le fixer » invite peut-être à retenir la première interprétation. Toutefois, en pratique, le juge ne retiendra-t-il pas parfois un terme raisonnable en raison des circonstances ? Si une personne habitant à Paris vend par téléphone son véhicule à une personne résidant encore pour un mois à Sydney, ne convient-il pas de retenir un délai raisonnable à défaut même de tout accord tacite sur le principe même d’un terme ? C’est d’ailleurs en ce sens que la jurisprudence se prononçait parfois2687.

604 Renonciation au terme . Si la loi prévoit que la partie « au bénéfice exclusif de qui le terme a été fixé peut y renoncer sans le consentement de l'autre » (C. civ., art 1305-3 al. 2), il est clair que si le terme a été stipulé au bénéfice de toutes les parties, elles peuvent y renoncer d'un commun accord.

605 Déchéance du terme. Le bénéfice d’un terme peut être conditionné à la persistance d’un certain état de fait. Par exemple, une personne bénéficie d’un terme pour payer telle somme pourvu qu’elle continue à occuper tel poste dans telle entreprise. Mais la loi prévoit de règle générale que le débiteur ne bénéficie plus du terme en sa faveur « s’il ne fournit pas les sûretés2688 promises au créancier ou s'il diminue celles qui garantissent l'obligation » (C. civ., art 1305-4.

Lorsqu’elle a lieu, la déchéance du terme « est inopposable à ses coobligés, même solidaires ». Il s’agit là d’une consécration de la jurisprudence antérieure2690. C’est que la déchéance est une « sanction », et qu’une sanction est, par nature, personnelle. Sont visés tous les coobligés, ce qui comprend les codébiteurs, les garants personnels, mais non les garants réels, tels ceux qui ont consenti une hypothèque en garantie de la dette d’un tiers2691.

Droit spécial : le prêt à intérêt Dans un prêt à intérêt, le terme est dans l’intérêt des deux parties. En ce qu’il s’agit d’un prêt, il est dans l’intérêt du débiteur, qui peut bénéficier d’un capital en étalant le remboursement. En ce qu’il s’agit d’un prêt à intérêt, il est aussi dans l’intérêt du créancier, puisque l’intérêt constitue sa rémunération. C’est la raison pour laquelle le paiement anticipé est certes valable, mais peut donner lieu au paiement d’une indemnité si elle est stipulée. C’est ainsi que la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir considéré que la cause de l’obligation au paiement des intérêts en cas de paiement anticipé consiste « dans la réparation du manque à gagner subi par le prêteur du fait de la résiliation anticipée du contrat »2681. Il existe néanmoins à ce principe deux séries d’exceptions. Tantôt la loi plafonne les indemnités dues en cas de remboursement anticipé : c’est le cas pour le crédit à la consommation2682 et le crédit immobilier2683 par exemple. Tantôt une procédure exorbitante permet à l’emprunteur de rembourser de manière anticipée son capital sans devoir aucune indemnité. C’est le cas en présence de la mise en œuvre de la procédure de purge des hypothèques2684. En dehors de l’hypothèse d’une purge amiable2685, l’acquéreur peut imposer au créancier un remboursement anticipé alors même que ce dernier ne le souhaite pas2686.

Droit spécial : du temps de la restitution dans le prêt Il est de l’essence du prêt de laisser à l’emprunteur la jouissance de la chose. Dans un prêt de consommation , s'il n'a pas été fixé de terme pour la restitution, « le juge peut accorder à l'emprunteur un délai suivant les circonstances » (C. civ., art 1900 et s'il a été convenu « que l'emprunteur payerait quand il le pourrait, ou quand il en aurait les moyens, le juge lui fixera un terme de paiement suivant les circonstances » (C. civ., art 1901. Dans un le prêt à usage , le prêteur « ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée » (C. civ., art 1888.

Droit spécial : des déchéances spéciales En droit des procédures collectives, lorsqu’une entreprise doit être liquidée, la loi prévoit que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire « rend exigibles les créances non échues » (C. com., art. L. 643-1 in limine)2689. Toutefois, lorsque le tribunal autorise la poursuite de l’activité au motif que la cession totale ou partielle de l’entreprise est envisageable, « les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l’activité prend fin » (C. com., art. L. 643-1 in fine). De règle générale, le terme de l’obligation de restitution dont est tenue une personne peut être avancé : dans le prêt à usage, s'il « survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre » (C. civ., art 1889 et en présence d'un usufruit, celui-ci « peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien » (C. civ., art 618 al. 1).

Aménagements conventionnels Il est évidemment loisible aux « coobligés » de stipuler que la déchéance du terme leur sera opposable, comme le décidait déjà la jurisprudence avant la réforme du droit des obligations2692.

Chapitre 16 - Les contrats multipartites

Plan

606 Des contrats comme les autres ? Les contrats multipartites sont les contrats qui comptent plus de deux parties. De tels contrats suscitent des difficultés dans la mesure où ils instituent non pas un seul rapport de droit (unissant deux parties), mais plusieurs.

Si le Code civil fait implicitement référence aux contrats multipartites à l'article 1101 du Code civil, qui définit le contrat comme un « accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes »2693, la plupart des dispositions relatives au droit commun des contrats2694 ont été rédigées en contemplation des contrats bipartites. De fait, nombre de dispositions visent « l’autre » partie, laissant ainsi entendre qu’il n’y en a que deux. En somme, le contrat bipartite constitue le paradigme du droit commun des contrats.

La question est de déterminer dans quelle mesure les dispositions du droit commun des contrats, pensées pour les contrats bipartites, peuvent être appliquées aux contrats multipartites. L’expérience montre que les contrats multipartites sont si divers qu’il n’est pas possible d’apporter de réponse générale à une telle question. Il convient donc, avant tout, de distinguer différentes figures contractuelles.

607 Plan. Avant de tenter une typologie des contrats multipartites (section 2), on distinguera en amont les contrats multipartites des actes à partie plurale (actes conjonctifs) (section 1).

Section 1 - Distinction des contrats multipartites et des actes à partie plurale (actes conjonctifs)

608 Notion de partie plurale2695. Une partie est dite plurale (et l’acte, conjonctif) lorsqu’elle est composée d’au moins deux personnes2696 mues par un même intérêt et qui ont donc la même qualité. En somme, on est en présence d’un acte à partie plurale lorsqu’une même qualité profite à plusieurs.

Ainsi, en présence de la vente d’un bien indivis, la qualité de vendeur est attribuée à l’ensemble des indivisaires et, en présence d’une délibération d’assemblée, la qualité d’auteur de la délibération est attribuée à l’ensemble des membres de l’assemblée. Le vendeur et l’assemblée sont mus chacun par un même intérêt, celui attaché à leur qualité.

En somme, un contrat a priori bipartite (ex. une vente) ne perd pas ce caractère du fait de l’existence d’une partie plurale (ex. plusieurs vendeurs du même bien) ; il y a bien toujours seulement deux intérêts2697 en cause et donc un seul rapport juridique.

Cela dit, on peut distinguer les contrats à partie plurale (contrats conjonctifs) des actes unilatéraux à partie plurale (actes conjonctifs)2698.

609 Contrats à partie plurale (contrats conjonctifs2699. Les contrats à partie plurale sont les contrats dans lesquels au moins une des parties rassemble plusieurs personnes2700. Ils ne sont pas rares, notamment dans la sphère familiale, où les utilités d’un même bien profitent souvent à plusieurs. C’est le cas par exemple de l’achat d’un bien commun par des concubins, contrat dans lequel l’acheteur (partie) désigne les concubins (personnes), ou de la mise en location d’un bien commun par deux époux, contrat dans lequel le bailleur (partie) désigne les époux communs2701.

Le Code civil lui-même en donne quelques exemples : C. civ., art 812-4 sur le maintien des autres mandats à effet posthume donnés à des mandataires en cas d'extinction de l'un d'entre eux ; C. civ., art 1668 et C. civ., art 1685 respectivement sur la faculté de rachat et l'action en rescision en cas de vente d'un bien par plusieurs vendeurs ; C. civ., art 1887 sur la solidarité des coemprunteurs envers le prêteur ; C. civ., art 1956 sur le séquestre fait à plusieurs ; C. civ., art 1995 sur l'absence de solidarité par principe des mandataires envers le mandant ; C. civ., art 2002 sur la solidarité des mandants envers le mandataire.

De tels contrats ne se limitent pas à donner naissance à des obligations plurales en raison de leurs sujets (lesquelles sont régies par les articles  1309 C. civ. à 1320 C. civ.). La pluralité n'est pas seulement dans l' obligation, elle est, à la source, dans le contrat.

La conjonctivité peut avoir une origine volontaire ou fortuite et peut être contemporaine ou postérieure à la conclusion du contrat. Ainsi la conjonctivité dans un achat à plusieurs est volontaire et contemporaine à la conclusion du contrat, alors que la conjonctivité dans un bail lorsque le bailleur décède en laissant plusieurs héritiers est fortuite et postérieure à la conclusion du contrat. Lorsque la conjonctivité a une origine volontaire, elle peut être ou non requise par la loi à des fins de validité du contrat. Ainsi l’achat d’un bien par des concubins n’est jamais requis par la loi (on n’est pas obligé d’acheter un bien à plusieurs) alors que la vente d’un bien par tous les indivisaires est en principe requis par la loi.

La conjonctivité d’un contrat emporte des difficultés qui viennent se greffer sur celles que pose tout contrat.

(i) Lors de la conclusion du contrat, on s’aperçoit facilement qu’il est plus difficile de s’engager à plusieurs que de s’engager seul. Ainsi un propriétaire unique administrera plus facilement son bien que des indivisaires qui devront, selon le contrat envisagé, tantôt s’accorder à telle majorité tantôt être tous d’accord pour administrer le bien ou en disposer. C’est la raison pour laquelle il n’est pas rare que, lorsque la volonté de plusieurs personnes est nécessaire pour contracter, la loi prévoit des mécanismes de représentation voire la possibilité de passer outre l’obstruction de certains.

Tantôt le recours à la représentation est volontaire, et relève le cas échéant de règles spéciales (C. civ., art 815-3 pour les mandats entre indivisaires ou C. civ., art. 218 pour les mandats entre époux). Tantôt le recours à la représentation est imposé par la loi, en général en raison de circonstances particulières (C. civ.,art 815-4 et C. civ., art. 219 pour l'habilitation en justice d'un indivisaire ou d'un époux à représenter respectivement un autre indivisaire ou le conjoint hors d'état de manifester sa volonté). Tantôt même la loi prévoit la possibilité de se passer du consentement d'une personne dont le consentement était pourtant requis (C. civ., art 815-5 et C. civ., art 815-1 pour l'habilitation en justice à passer d'un indivisaire ou d'un ou plusieurs indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis sans le consentement des autres et C. civ., art 217 pour l'habilitation en justice d'un époux à passer un acte sans le consentement du conjoint).

(ii) Lors de l’exécution du contrat, il convient de distinguer d’une part le paiement des obligations et d’autre part la mise en œuvre des prérogatives et l’accomplissement des incombances2702.

S’agissant du paiement des obligations, les règles dépendent du point de savoir si les obligations sont divises (ou conjointes) ou solidaires, si le créancier doit ou non diviser ses poursuites. En principe, la solidarité doit être convenue2703 . Mais la loi l'impose parfois : les époux (C. civ., art 220 et les partenaires pacsés (C. civ., art 515-4 sont ainsi solidairement tenus aux dettes ménagères. De mêle que l'usage, en matière commerciale essentiellement 2704. S’agissant de la mise en œuvre des prérogatives et de l’accomplissement des incombances, les questions sont légion (Qui peut demander la nullité du contrat ou en exiger la résolution, et contre qui ? Qui peut exiger le paiement ou réclamer des dommages-intérêts, et à qui ? Qui peut mettre en demeure l’autre de s’exécuter et qui doit l’être ?). La jurisprudence apporte des réponses ponctuelles2705, mais les principes en la matière restent difficiles à saisir.

Les règles applicables devraient s’évincer de deux idées-forces.

Primo, tout contrat, même à partie plurale, repose sur un agrégat d’engagements individuels2706. Dès lors, la disparition d’un engagement au sein d’une partie plurale ne devrait pas emporter la disparition des engagements des autres, à moins que (i) l’engagement disparu fût requis pour la validité du contrat (ex. le consentement d’un seul indivisaire a été vicié et le contrat relevait d’un consentement unanime des indivisaires) ou que (ii) les autres engagements fussent pris en considération de l’engagement disparu et que ceci fut convenu avec l’autre partie, sécurité juridique oblige (ex. le bail mentionne que chaque locataire s’est engagé en considération de l’engagement de l’autre, en sorte que la disparition de l’un des engagements emportera celle des autres).

Secundo, la défaillance d’un ou de plusieurs membres d’une partie plurale qui se traduit par une inexécution du contrat constitue une défaillance de la partie plurale elle-même. Dès lors, le créancier doit pouvoir imputer à la partie plurale le manquement de l’un quelconque de ses membres, un peu comme il imputerait à une personne morale les manquements de ses représentants ou de ses préposés (ex. un manquement grave d’un membre de la partie plurale permettra à l’autre partie de réclamer la résolution de l’entier contrat).

De règle générale, les notions de division et de solidarité, qui concernent certes la mise en œuvre des obligations – ce sont les obligations qui sont divises ou solidaires –, pourraient être sollicitées pour dégager des solutions lorsqu’il est question de la mise en œuvre des prérogatives et incombances dans un contrat à partie plurale, notamment pour renseigner sur gestion du contrat – gestion concurrente ou de la cogestion ? –.

La solidarité, tant active que passive, emporte des effets secondaires que l'on explique par l'idée suivant laquelle tous les cocréanciers (solidarité active) ou tous les codébiteurs (solidarité passive) se représentent mutuellement (« représentation mutuelle »). Ainsi, « tout acte qui interrompt ou suspend la prescription à l'égard de l'un des créanciers solidaires profite aux autres créanciers » (C. civ., art 1312 et « [l]es codébiteurs solidaires répondent solidairement de l'inexécution de l'obligation » (C. civ., art 1319.

610 Actes unilatéraux à partie plurale. Les actes unilatéraux à partie plurale sont les délibérations prises par plusieurs personnes (un groupement)2707. Ces actes dont d’autant plus singuliers qu’ils engagent des personnes qui n’ont pas nécessairement exprimé leur consentement en ce sens, par application d’un principe majoritaire.

Ainsi, la société est engagée par les délibérations de l’assemblée générale, et le syndicat des copropriétaires par les délibérations de l’assemblée de copropriétaires, etc.

Si en principe l'unanimité n'est pas requise, afin de ne pas paralyser la prise d'engagement, il en va différemment pour les décisions les plus importantes (ex., pour les sociétés, modification des statuts d'une société, C. civ., art 1836 al. 1 ; augmentation des engagements d'un associé, C. civ., art. 1836 al. 2).

Aux difficultés classiques qui concernent l’application du droit des contrats à des actes unilatéraux2708, s’ajoutent celles qui tiennent à ce que ces actes sont conjonctifs.

Pour le moment, ni la loi ni la jurisprudence n’ont fixé les principes en la matière. On doit se contenter de quelques règles spéciales, notamment celles relatives à la nullité des délibérations d’assemblées générales de sociétés2709, et de quelques décisions de justice, relatives aux nullités de délibérations d’assemblées générales de sociétés et de copropriétés, dont certaines suscitent l’intérêt en raison de la portée générale qu’elles pourraient avoir, au-delà du domaine précis dans lequel elles ont été rendues. On voudrait en mentionner deux. En vertu d’une première décision, la Cour de cassation a considéré que « le copropriétaire qui s’est prononcé en faveur d’une décision et ne démontre pas avoir été victime d’un dol, ne peut arguer de son erreur pour agir en annulation de cette décision »2710. On peine tant à comprendre les ressorts de ce tri dans les vices du consentement pouvant être invoqués par un des membres de la partie plurale qu’on est bien en peine d’en inférer quelque principe. En vertu d’une seconde décision, une cour d’appel a retenu la nullité des décisions prises par l’assemblée d’une société alors que l’unique associée était atteinte de troubles mentaux. Bien que le contexte fût particulier (une assemblée composée d’un seul associé), la cour n’exclut pas qu’une délibération puisse être annulée alors qu’aucun dol n’a été commis par certains membres de l’assemblée, dès lors que l’un d’entre eux était insane2711.

Que conclure ? Quel chemin suivre ? La délibération, archétype de l’acte unilatéral à partie plurale, constitue la voie d’expression d’un groupement. Or un groupement n’a pas de volonté propre : sa volonté n’est jamais que le produit de celles des personnes physiques qu’il rassemble, même si ces volontés ont fusionné en une délibération. Partant, il paraît difficile d’ignorer les vices ayant affecté les volontés individuelles. Il reste que l’insécurité serait trop importante si tout membre du groupement pouvait invoquer la nullité de la délibération en raison, par exemple, d’un vice de son consentement. Une telle conséquence, fâcheuse, pourrait être évitée en posant deux principes : (i) la nullité d’une délibération ne devrait être encourue que si et seulement si le ou les vote(s) annulé(s) ont eu un rôle déterminant dans celle-ci : dit autrement, quand bien même tel(s) vote(s) serai(en)t nul(s), la majorité requise à l’adoption de la délibération resterait atteinte (théorie du « vote utile »2712 ) et (ii) la nullité d'un vote pour vice du consentement ne devrait être retenue qu'au prix d'un aménagement des exigences posées pour la nullité des contrats. Ainsi le dol devra émaner d'un des autres membres du groupement et l'erreur sera considérée comme portant sur une qualité essentielle (C. civ., art 1133 2713) lorsqu’une telle qualité aura été expressément ou tacitement convenue avec les autres membres du groupement et que ceux-ci auront contracté en considération de celle-ci.

611 Observation sur la distinction entre les contrats plurilatéraux, les actes unilatéraux à partie plurale et les actes unilatéraux individuels. Suivant la nature d’un groupement de personnes, suivant qu’il est ou non doté de la personnalité morale, les techniques juridiques ne sont pas les mêmes.

Si le groupement est doté de la personnalité morale, celle-ci fera écran entre ses membres et le cocontractant en sorte que le contrat sera bien bipartite et non à partie plurale ; pour autant, il sera parfois nécessaire d’autoriser la conclusion de ce contrat par un acte unilatéral à partie plurale. Ainsi une société conclut des contrats en son nom et pour son compte en sorte qu’elle n’est pas une partie plurale aux contrats conclus, parfois après avoir été autorisée par une décision d’assemblée générale qui constitue pour le coup un acte unilatéral à partie plurale.

Si le groupement n’est pas doté de la personnalité morale, le contrat passé avec celui-ci sera nécessairement à partie plurale ; le consentement de la partie plurale s’exprimera non pas par un acte unilatéral à partie plurale mais par la somme d’actes unilatéraux individuels. Ainsi, des indivisaires, lorsqu’ils consentent à la conclusion d’un acte, expriment autant d’engagements qu’ils sont et non un engagement unique sous la forme d’une décision collective.

Section 2 - Typologie des contrats multipartites

612 Intérêts et distinction. La plupart du temps, les besoins individuels sont satisfaits par un simple échange – au sens économique – entre deux parties. A souhaite quelque chose de la part de B (la propriété ou la jouissance de sa chose, un service ou encore une somme d’argent) et B, quelque chose de la part de A (idem). Un contrat bipartite permet alors de satisfaire les besoins des deux parties.

Mais il se peut que les besoins individuels ne puissent être satisfaits par un tel échange ; un contrat bipartite est alors inadapté, un contrat multipartite devant être conclu. Quelles sont ces situations ?

Il est possible de distinguer deux figures, en fonction des intérêts en présence.

(i) Dans une première série d’hypothèses (les « groupements »), les parties ne souhaitent pas réaliser un échange, mais agréger leurs richesses en constituant un groupement (ces richesses seront des apports dans une société, des connaissances ou une activité dans une association, des parties communes dans une copropriété d’immeuble bâti ; etc.). Les raisons pour lesquelles ce groupement existe sont diverses : une propriété commune (copropriété des immeubles bâtis), la réalisation d’une activité destinée à dégager des profits en vue de se les partager (société) ou non (association)2714. Un contrat, le plus souvent encadré par la loi, organise le fonctionnement du groupement : statuts ou règlement de copropriété par exemple. Que le groupement soit ou non doté de la personnalité morale2715, il est porteur d’un intérêt propre (ex. intérêt social) distinct des intérêts de ses membres, souvent identiques pour chacun (en principe mêmes droits et obligations pour les associés). Le groupement lui-même (le résultat) repose sur des engagements (les moyens) qui lui ont donné naissance, souvent consignés dans des contrats bipartites. Ainsi il n’y aurait pas de société (contrat multipartite) sans « contrats d’apport »2716 (contrats bipartite)2717.

Si les rapports entre associés sont clairement régis par les statuts (voire par un pacte d’associés), les rapports entre chaque associé et la société le sont par ce qu’un auteur a appelé le « contrat d’apport »2718, contrat bipartite par lequel « une personne – l’associé – s’engage envers une autre – la société – à lui apporter un bien ou son industrie et à contribuer à ses pertes, en contrepartie d’un ensemble de droits sociaux »2719 . Le contrat d'apport est créateur pour l'associé de droits (droits pécuniaires : droits aux bénéfices, au remboursement de l'apport, au boni de liquidation ; droits politiques : droit à l'information, droit de vote, etc.) et d'obligations (faire un apport ; contribuer aux pertes). En comparaison, le contrat de société est celui par lequel « deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter » (C. civ., art 1832. La société est la résultante des contrats d'apport (d'ailleurs pas toujours identiques : les apports ne sont pas identiques, les droits sociaux peuvent aujourd'hui conférer des droits distincts). Ceux-ci donnent naissance à celle-là, qui s'en détache : la personne créée et son mode de fonctionnement échappe à la relation entre l'associé et la société 2720.

(ii) Dans une seconde série d’hypothèses (les « opérations multipartites »), les parties souhaitent réaliser un échange, mais un échange entre plus de deux parties. Par exemple, A souhaite quelque chose de la part de B qui souhaite quelque chose de la part de C qui souhaite quelque chose de la part de A ; celui qui achète un bien à un vendeur sur une plateforme de vente en ligne bénéficie d’une garantie après-vente particulière de la part de la plateforme ; en vue de la réalisation d’un ouvrage au profit de C, A doit réaliser une prestation X pour une contrepartie Y, et B une prestation W pour une contrepartie Z. Ces contrats se distinguent des précédents dans la mesure où ils n’instituent pas un groupement doté d’un intérêt propre qui soit distinct des intérêts des participants à l’opération. Mais ils sont si divers qu’il est difficile de considérer qu’ils forment une catégorie homogène. L’opération multipartite, comme c’était le cas pour le groupement, repose là encore sur l’agrégation des engagements individuels des parties prenantes.

En quoi ces contrats se distinguent-ils des groupes de contrats2721 composés de banals contrats bipartites ? Après tout, quelle différence entre, par exemple, deux échanges bipartites et un échange tripartite ? Eh bien, une différence majeure, pourvu que l’on ait à l’esprit la distinction entre l’instrumentum et le negotium. On s’intéresse en général à l’instrumentum lorsqu’il s’agit d’envisager la validité formelle d’un contrat ou encore sa preuve. Mais l’instrumentum présente au moins un autre intérêt capital. En effet, il est en quelque sorte présumé constater un negotium autonome, indépendant de tout autre accord qui pourrait avoir eu lieu entre les parties ou entre une des parties et un tiers. Chaque fois qu’une opération pluripartite est envisagée, plusieurs moyens de réaliser s’offrent aux parties : soit dresser plusieurs instrumenta, autant que de rapports bipartites, soit ne dresser qu’un instrumentum, rassemblant tous les rapports entre toutes les parties. Retenir le second parti, c’est a priori faire le choix de l’interdépendance des engagements2722 alors que retenir le premier, c’est a priori faire le choix de l’indépendance des engagements. « A priori », dans les deux cas, dans la mesure où, d’une part, plusieurs instrumenta constatant autant de negotia distincts peuvent être rendus interdépendants par une clause idoine ou par la réunion des conditions posées par l’article 11862723 et où, d’autre part, un seul instrumenta constatant les negotia peut comporter une clause d’indépendance de ceux-ci. Sous ces réserves, il reste que l’existence d’un ou de plusieurs instrumenta constitue respectivement une présomption d’interdépendance ou non des rapports juridiques entre les parties à l’opération2724.

La distinction entre le contrat organisant le fonctionnement d’un groupement et le contrat permettant la réalisation d’une opération multipartite n’est pas simplement cosmétique, elle est substantielle.

Dans un contrat bipartite, l’interdépendance des engagements des parties constitue le principe – A s’engage à mettre un bien à disposition de B car B s’engage à lui verser un loyer, et réciproquement – et ne pose pas de difficulté2725 : l’altération d’un engagement ou son inexécution aura nécessairement des conséquences sur l’engagement réciproque. Dans un contrat multipartite, les choses se présentent différemment suivant que l’on envisage le groupement ou l’opération multipartite.

En présence d’un groupement, en principe, les engagements des membres du groupement ne sont pas interdépendants les uns des autres, pour deux raisons principales : les membres du groupement se sont souvent engagés davantage pour rejoindre le groupement que pour rejoindre les autres membres du groupement2726 et le groupement étant en toute hypothèse doté d’un intérêt propre, il ne doit pas être en principe affecté par l’altération ou l’inexécution de l’engagement de tel de ses membres2727. En somme, le groupement éclipse ses membres.

En présence d’une opération multipartite, au contraire et en principe, les engagements des parties à l’opération sont interdépendants les uns des autres : chaque partie joue un rôle a priori essentiel au succès de l’opération. Toutefois, dans certains cas, l’intervention de telle partie n’est pas pour autant déterminante pour les autres ou une des autres, auquel cas l’altération ou l’inexécution de l’engagement n’aura pas de conséquence sur l’opération.

Cette distinction demeure imparfaite car elle ne permet probablement pas d’appréhender tous les contrats multipartites. On se bornera ici à mentionner les pactes d’associés qui n’instituent pas un groupement comme le font les statuts et qui ne sont pas passer en vue de réaliser une opération déterminée. Par où l’on voit l’intérêt essentiel de stipulations relatives à leur interprétation, modification, cession et inexécution. A défaut, la casuistique règnera même si les principes régissant les statuts exerceront souvent, probablement, une puissante force attractive.

613 Plan. Ces propos liminaires nous conduisent à distinguer le groupement (§ 1) de l’opération multipartite (§ 2).

§ I - Le groupement

614 Loi et contrat. Les groupements étant sources de conflits, le législateur a le plus souvent réglementé leur fonctionnement : règles relatives à l’indivision, règles spéciales relatives aux sociétés, à la copropriété des immeubles bâtis, par exemple. Pour autant, la loi enjoint ou permet parfois aux parties de fixer leurs propres règles, soit pour seconder la législation, soit le cas échéant pour l’aménager. C’est ainsi que la société repose obligatoirement sur des statuts et la copropriété des immeubles bâtis sur un règlement de copropriété2728 et que les règles de l’indivision peuvent être aménagées par une convention d’indivision.

615 Principe directeur : l’existence d’un intérêt propre au groupement. Comme on l’a vu2729, le groupement est doté d’un intérêt propre, ce qui explique que les engagements des membres du groupement soient gouvernés par un principe d’indépendance et par un principe de dynamisme.

616 Principe d’indépendance des engagements des membres du groupement. Ce principe d’indépendance se vérifie à plusieurs égards.

Primo, la validité de ce contrat est dans une certaine mesure détachée des engagements individuels dont il est le produit. Cela est évident lorsqu’une personne intègre indirectement un groupement en prenant la place d’un autre, par un acte translatif en général (une « partie dérivée » ; ex. l’acquéreur de droits sociaux ou d’un lot de copropriété) : la nullité d’un tel acte est sans incidence sur la validité du groupement. Cela est parfois le cas également lorsqu’une personne intègre directement le groupement (une « partie originaire » ; ex. associé fondateur ou souscrivant une augmentation de capital). Ainsi, en ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement ni de l’incapacité, à moins que ceux-ci n’aient atteint tous les associés fondateurs2730. De même aurait-on peine à comprendre qu’un règlement de copropriété établi par le propriétaire d’un immeuble divisé en vue de sa vente par lots puisse être annulé en raison d’un vice du consentement de celui-ci. En définitive, la nullité du contrat (ou d’une de ses stipulations) ne pourra guère être obtenue qu’en raison de son illicéité, commune à tous les engagements.

Secundo, la modification de ce contrat obéit à des règles particulières en ce qu’elle peut être le plus souvent faite à la majorité, en vue de ne pas paralyser le groupement. En particulier, le principe suivant lequel un contrat ne peut être modifié d’un commun accord des parties, à moins que cette modification n’augmente les engagements individuels des membres du groupement2731. C’est ainsi que les statuts d’une société2732 ou le règlement de copropriété peuvent dans certains cas être modifiés à la majorité2733. Il arrive que le nombre de parties à un groupement augmente, par exemple à la suite d’une augmentation de capital dans une société ou à la suite de nouvelles adhésions à une association2734. Dans tous les cas, le nouveau cocontractant adhère à un contrat déjà formé qui a le plus souvent commencé à produire ses effets.

Tertio, s’agissant de l’exécution du contrat, parce que les obligations qui pèsent sur tout membre du groupement le sont dans l’intérêt propre du groupement lui-même et non dans l’intérêt des autres membres, si un membre du groupement manque à ses obligations (absence de paiement des charges de copropriété, construction d’un ouvrage en violation du cahier des charges du lotissement, absence de libération d’un apport), les autres ne pourront le lui reprocher en leur nom et pour leur compte ou encore refuser eux-mêmes de s’exécuter2735. Seul le groupement pourra reprocher à l’un des membres son manquement et inversement2736.

À l’occasion d’une convention de sortie conclue entre des actionnaires minoritaires et des tiers, la Cour de cassation belge a considéré qu’« [u]ne convention entre plusieurs parties dans laquelle chaque partie occupe une position juridique qui lui est propre et dans laquelle les droits et les obligations des parties sont à ce point indissociablement liés entre eux que la convention ne peut être divisée en conventions partielles, ne peut être résolue partiellement »2737. Et l’on comprend, a contrario, qu’en cas de droits et obligations non indissociablement liés, la résolution put n’être que partielle.

617 Principe de dynamisme. Tout groupement est appelé à évoluer, ce qui se traduit par un aménagement de certains mécanismes classiques.

Primo, la circulation du contrat appelle une précision capitale. Les contrats de groupement ne circulent pas véritablement. En revanche, il est dans certains cas possible de céder le bien qui permet de se trouver soumis à ce contrat. Le règlement de copropriété lie les propriétaires d’un lot et le contrat de société, c’est-à-dire les statuts2738, les propriétaires de droits sociaux. Dit autrement, pour devenir partie à ces contrats, il convient d’en conclure un autre en amont, celui qui permettra de devenir propriétaire du bien et, partant, partie au contrat que nous envisageons ici. Par exemple, pour devenir partie au règlement de copropriété, je dois acquérir un lot de copropriété et pour devenir partie au contrat de société, je dois acquérir des droits sociaux. Pour d’évidentes raisons, avant de devenir partie au contrat multipartite, une personne aura dû avoir préalablement à l’intégration du groupement pouvoir avoir eu connaissance du contrat en régissant l’organisation. Cela ne pose pas de difficulté pour les statuts ou pour le règlement de copropriété qui font l’objet d’une mesure de publicité2739.

Secundo, quant à l’interprétation du contrat de groupement, s’il est permis de se référer à l’intention des parties, encore faut-il que ce soient les parties originaires2740. De fait, pour les parties qui n’ont pas participé à la conclusion du contrat, une telle recherche n’a pas de pertinence. En témoigne, en droit des traités, une ordonnance rendue par la Cour permanente internationale de justice, dans laquelle il fut exclu de se référer aux travaux préparatoires du Traité de Versailles à l’égard de parties non signataires : « Considérant que trois des Parties en cause en la présente affaire n’ont point participé aux travaux de la Conférence qui a préparé le Traité de Versailles ; que, dès lors, le compte rendu de ces travaux ne peut servir à déterminer, à leur égard, la portée du Traité »2741. Ce sont alors des règles d’interprétation objective qu’il convient de retenir en ce cas2742.

618 Conclusion. Un groupement, doté d’un intérêt propre, est détaché au moins techniquement des engagements de ses membres créateurs ou de ceux des membres qui l’ont par la suite intégré. Toute législation et toute décision qui intéressent ce type de contrat devraient prendre en considération l’indépendance des engagements des membres du groupement et la vocation du groupement à voir ses membres évoluer.

§ II - Les opérations multipartites

619 Distinction. Dans le sillage de ce qui a été vu2743, deux types d’opérations multipartite peuvent être dégagés.

Dans une première série de cas, l’intervention de toutes les parties est essentielle à la réalisation de l’opération. C’est le cas, par exemple, d’une opération de cotraitance : les cotraitants sont liés à celui pour lequel ils œuvrent dans des termes différents, en fonction de leur tâche à accomplir2744.

En droit de la commande publique, en particulier, les groupements momentanés d’entreprises constitue une bonne illustration de ce type de contrats. Il s’agit d’une association d’entreprises (les cotraitants), non dotée de la personnalité morale, qui présente une offre commune pour exécuter un marché. Ces entreprises sont liées par un « contrat de groupement » qui relève du droit privé2745. Les entreprises peuvent préférer constituer une véritable société, le plus souvent dotée de la personnalité morale, pour réaliser l’opération.

Dans une seconde série de cas, l’opération pourrait être réalisée sans l’intervention de toutes les parties, mais l’intervention de certaine(s) apporte(nt) une « plus-value ». C’est le cas, par exemple, des contrats conclus entre un vendeur ou un prestataire et un client par l’entremise d’un intermédiaire, dès lors que cet intermédiaire, à l’occasion de la conclusion d’une opération, est rendu débiteur ou se retrouve créancier. Les contrats conclus par l’intermédiaire de plateformes en ligne illustre bien ce phénomène. Par exemple, un opérateur de plateforme de vente de marchandises offre une garantie particulière pour les achats effectués sur sa plateforme en cas de désordres de la chose vendue par le fournisseur. C’est encore le cas des contrats conclus de distribution conclus entre une tête de réseau et une société distributrice et son dirigeant, afin que la première s’assure que le contrat soit bien exécuté par la personne en qui elle a placé sa confiance, souvent le dirigeant.

620 Intérêts de la distinction ? Si, a priori, dans une opération multipartite, les engagements des parties sont interdépendants, comme le sont les engagements pris dans le cadre d’un contrat bipartite, cette interdépendance peut être plus ou moins importante. Elle le sera a priori d’autant plus que l’on est dans une hypothèse relevant de la première série de cas ci-dessus mentionnée. Quoiqu’il en soit, il s’agit là d’une directive très vague. De fait, l’intervention a priori essentielle de telle personne pourra être remplacée par une autre et ce qui n’apparaît être qu’une plus-value pour certains sera essentielle pour d’autres. Dès lors, les contrats doivent être le plus précis possible sur les difficultés qui pourraient se poser et qui ne trouveraient pas leur solution dans des règles particulières.

En droit de la commande publique, il existe des règles particulières concernant la responsabilité des participants à l’opération commune. Il convient de distinguer suivant qu’ils sont tenus ou non solidairement2746. Dans le premier cas, chaque participant répond de la défaillance des autres alors que, dans le second, chaque participant ne répond que de sa propre défaillance, des systèmes intermédiaires étant évidemment concevables (par ex., en droit de la commande publique, le groupement momentané d’entreprises peut être conjoint, mais avec une responsabilité solidaire du mandataire2747).

Deux décisions méritent d’être toutefois rapportées, même si elles ne tranchent pas les difficultés de manière générale. Primo, la chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé que « dans les rapports entre cofidéjusseurs, le dol peut être invoqué par la caution qui se prévaut de la nullité du cautionnement lorsqu'il émane de son cofidéjusseur »2748. Autrement dit, la nullité du contrat de cautionnement ne saurait être opposée au créancier, puisqu’elle n’a d’effet qu’entre les cofidéjusseurs. Secundo, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré, au sujet de la validité d’une donation-partage, qu’une cour d’appel avait « justement retenu que le donataire pouvait invoquer, comme cause de nullité de la donation-partage, non seulement le dol du donateur, mais aussi celui de son copartagé »2749.

Synthèse – structuration du contrat

Premier impératif : les concepts. Une règle d’or : tout contrat soumis au droit français doit être rédigé en considération des concepts du droit français2750. Les concepts du contrat doivent être ceux de la loi qui le régit.

On pourrait être tenté de prêter une attention toute particulière aux concepts dont le contenu est tributaire de la volonté ou de la psychologie des parties, comme le concept d’« éléments déterminants », par rapport à d’autres, dont le contenu est apprécié par le juge, comme le concept de « force majeure » ou celui d’« inexécution suffisamment grave ». Mais, en réalité, la volonté n’est jamais véritablement absente ; en s’en tenant à ces deux exemples, les parties peuvent réputer cas de force majeure des cas qui n’en sont pas2751 et un lien pourrait être établi entre les obligations déterminantes pour les parties et l’inexécution suffisamment grave2752.

Deuxième impératif : écarter les règles supplétives inadéquates et les règles qui prévoient des mécanismes de neutralisation. Une règle supplétive, dès lors qu’elle n’a pas été écartée, s’impose avec autant de vigueur qu’une règle impérative. C’est pourquoi les parties doivent d’interroger sur l’opportunité d’une mise à l’écart ou non. Parfois même, la règle est impérative, mais offre le moyen de la neutraliser. Il en va ainsi de l’article 1161 : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. (...) En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié. » La règle est impérative, mais le conflit d’intérêt peut être levé par les parties2753.

Troisième impératif : expliquer le contexte de la conclusion du contrat. En droit commun des contrats, le contrôle du contenu du contrat par le juge est important. Il n’est que de penser au contrôle de la substance des obligations essentielles ou du déséquilibre significatif. Des clauses a priori choquantes pourraient s’avérer ne pas l’être si elles sont justifiées par des raisons légitimes ou une contrepartie.

Trame. La trame suivante n’est évidemment qu’une trame possible parmi tant d’autres. Très succincte, elle permet néanmoins d’envisager les principales questions qu’il convient de se poser s’agissant de la rédaction de tout contrat.

§ III - Identité des parties

Il est d’usage de commencer par identifier les parties qui contractent, suivant des moyens qui varient suivant qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales.

Lorsque l’on contracte avec une personne morale, il est parfois souhaitable de contracter également avec tel dirigeant ou tel associé si c’est en considération de leur personne que le contrat a été conclu (ex. le contrat de franchise est en pratique souvent conclu avec la personne morale franchisée et son dirigeant).

§ IV - Capacité et pouvoirs

La question de la capacité et des pouvoirs est essentielle dans la mesure où seule la personne capable (et le cas échéant ayant les pouvoirs requis) peut consentir. Il est donc important de le vérifier en établissant l’acte en interrogeant les parties et en procédant aux vérifications requises.

§ V - Contexte dans lequel les parties consentent

L’objet de ce paragraphe est d’expliquer à partir de quelles considérations de fait2754 ou de droit les parties ont consenti2755.

Il est également important de déterminer lesquelles de ces considérations sont déterminantes ou ne le sont pas, dans la mesure où ceci a une influence directe sur le périmètre du devoir d’information (C. civ., art 1112-1, la nullité pour vice du consentement (C. civ., art 1130, l'étendue de la nullité d'une clause du contrat (C. civ., art 1184 ou la caractérisation d'un ensemble indivisible de contrats (C. civ., art 1186.

S’agissant en particulier du périmètre du devoir d’information voire de la question de la nullité pour vice du consentement, il est a priori possible d’énumérer ce qui n’est pas déterminant par rapport à ce qui l’est mais il apparaît impossible d’énumérer tous les éléments déterminants.

En somme, il est difficile de prérédiger entièrement cette partie du contrat, dont le contenu est par définition contingent.

§ VI - Définitions

Les termes de la langue français en général et de langue juridique en particulier étant le plus souvent polysémiques, une liste de définitions est particulièrement bienvenue2756.

§ VII - Rétractation

Il s’agit ici de déterminer si une ou plusieurs parties bénéficient d’un droit de se dédire, moyennant ou non une contrepartie.

§ VIII - Objet principal du contrat

Il s’agit ici de déterminer les obligations des parties qui expriment l’échange ou la coopération souhaités par les parties.

Il peut être utile de déterminer les « obligations déterminantes » pour les parties. En effet, même s’il ne s’agit pas là d’un concept employé en tant que tel par la loi, il devrait être pris en compte par le juge pour déterminer si l’inexécution est suffisamment grave, notamment pour justifier une résolution.

Un audit de l’équilibre du contenu du contrat ne paraît pas sur ce point nécessaire, dès lors que le contrôle du déséquilibre du contrat ne porte pas sur l’objet principal du contrat.

§ IX - Adaptation du contrat

Faut-il ou non prévoir un mécanisme d’adaptation ? Si oui, peut-on raisonnablement se satisfaire du mécanisme légal ?

§ X - Indépendance ou interdépendance du contrat envers d’autres

L’interdépendance de plusieurs contrats pouvant ne pas être fondée sur la volonté des parties mais sur des éléments objectifs, il peut être sage pour les parties de prendre parti sur cette question.

§ XI - Divisibilité ou indivisibilité des clauses du contrat

Certaines des clauses pouvant être inefficaces, il convient d’en préciser les conséquences sur le reste du contrat.

§ XII - Inexécution du contrat

Il convient ici de déterminer les conséquences de l’inexécution du contrat, que celle-ci soit ou non imputable à l’une des parties.

Il s’agit de distinguer les mesures d’altération du contrat des mesures de condamnation du débiteur.

S’agissant des mesures d’altération du contrat :

§ XIII - Force majeure

Il convient ici de déterminer les cas qui ne remplissent pas les conditions de la force majeure ou dont on n’est pas certain qu’ils les remplissent. Attention toutefois à ce qu’une telle clause ne prive pas de sa substance l’obligation essentielle...

§ XIV - Cession de contrat

Il est important d’anticiper la cession de contrat s’il n’est pas question de l’exclure. Il convient de se poser la question de l’accord du futur cédé à la cession et à la libération du cédant, afin d’éviter une « prise d’otage » de ce dernier le moment venu.

§ XV - Droits des tiers

On peut vouloir tenter de briser la jurisprudence Myr’Ho2758 en prévoyant que le contrat ne reconnaît aucun droit aux tiers dont ces derniers pourraient se plaindre.

§ XVI - Après-contrat

Quelles clauses survivront ou non à la fin du contrat ? Seront-ce les mêmes suivant la manière dont il a pris fin ?

§ XVII - Miscellanées

On prévoira les directives d’interprétation, la loi applicable, une éventuelle confidentialité de tout ou partie du contrat, éventuellement une clause d’intégralité, les autorités compétentes pour juger des litiges, etc.