Droit des contrats

Cyril Grimaldi

Agrégé des facultés de droit
Professeur à l’Université Paris 13

2024

Introduction

1 Droit des contrats ? L’expression « droit des contrats » est communément employée pour désigner l’ensemble des règles applicables à tout contrat. Ce sur quoi l’on fera deux observations liminaires.

En premier lieu, le « droit des contrats », ainsi entendu, est parfois appelé « droit commun des contrats », par opposition au « droit spécial des contrats », qui désigne les règles spéciales à des contrats prévus et régis par la loi : droit de la vente, droit du bail, etc. On notera à cet égard que l’expression « droit spécial des contrats » renvoie à un droit qui peut être plus ou moins spécial : ainsi le droit de la vente d’immeuble à usage d’habitation est plus spécial que le droit de la vente d’immeuble qui est plus spécial que le droit de la vente… Le droit spécial des contrats ne doit jamais être ignoré par qui s’intéresse au droit commun des contrats, dans la mesure où le droit spécial déroge au droit commun chaque fois que la règle spéciale est incompatible avec la règle générale.

En second lieu, le droit des contrats, chose originale, se compose de règles qui sont souvent descriptives plus que prescriptives : il n’est pas tant question de prescrire aux individus telles conduites que de décrire les conditions dans lesquelles les individus s’engagent en contractant et dans quelle mesure ils sont ainsi liés. Un exemple parmi tant d’autres : l’article 1114 C. civ. qui prévoit que « l'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation » ne prescrit rien de particulier, mais décrit ce qu'est une offre, en droit. Les règles prescriptives ne sont pas inexistantes en la matière, mais elles sont simplement moins nombreuses que dans d'autres. Ainsi peut-on mentionner la règle de l'article 1169 C. civ. qui prévoit qu'« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » et prescrit donc aux parties de ne pas conclure des contrats déséquilibrés à l'excès. C'est d'ailleurs parce qu'il existe bien des règles prescriptives que la question se pose d'éventuels aménagements conventionnels, possibles dès lors que la règle en cause est supplétive

2 De l’ancien droit des contrats... Les dispositions du Code civil de 1804 relatives au droit des contrats et plus généralement au droit des obligations ne furent pas les plus discutées, les codificateurs s’en remettant pour l’essentiel aux écrits de Domat et de Pothier. De fait, la discussion de leur contenu par les différents tribunaux et Cours fut quasiment inexistante, ces derniers préférant faire porter leurs efforts sur le droit de la famille et le droit des biens1. Il est révélateur que ce n’est pas dans un livre à part entière que le droit des obligations fut logé, mais dans le livre III intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », ce qui était à l’évidence inapproprié2. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.

Si on laisse de côté quelques retouches ponctuelles du droit des contrats, relatives aux clauses pénales3, à la signature électronique4, et aux contrats électroniques5, les textes du droit commun des contrats demeurèrent inchangés jusqu’en 2016. Toutefois, la stabilité des textes ne doit pas éclipser un double phénomène.

En premier lieu, le droit commun des contrats a connu de profondes évolutions. D’une part, la jurisprudence, bien aidée par la doctrine, a réalisé un travail sans égal d’interprétation des textes et, disons-le, de création de « règles », tant et si bien que le droit des contrats (et plus généralement le droit des obligations) était devenu un « droit jurisprudentiel ». D’autre part, l’essor des textes porteurs de droits fondamentaux – nationaux ou internationaux – et la reconnaissance de leur juridicité6 ont revitalisé le « droit écrit » des contrats, tout en octroyant encore au juge un pouvoir considérable, compte tenu de la grande généralité de ces instruments.

En second lieu, les règles spéciales à certains contrats se sont considérablement développées. Compte tenu de la diversification des activités, les contrats nommés, qui sont des contrats prévus et réglementés par la loi, sont aujourd’hui innombrables et à côté des règles spéciales l’on trouve des règles très spéciales et hyper spéciales. Pour ne prendre qu’un exemple, s’il existe un droit de la vente, il existe aussi un droit de la vente immobilière, un droit de la vente d’immeubles bâtis, un droit de la vente d’immeuble bâti aux fins d’habitation, etc. Parce que les règles spéciales complètent ou dérogent souvent aux règles de droit commun, les Leçons contenues dans cet ouvrage mentionneront les plus importantes7 d’entre elles.

La qualification d’un contrat en tel contrat nommé (vente, bail, mandat) est doublement importante. D’une part, certaines règles sont appelées à le régir à titre impératif. D’autre part, certaines règles sont appelées à le régir à titre supplétif. En conséquence, l’opération de qualification est cruciale, qui suppose en amont que soient définis les éléments essentiels d’une catégorie de contrat (éléments essentiels à la qualification ; ex. dans la vente : le transfert de propriété et le prix) et en aval de vérifier si on les retrouve dans le contrat envisagé. Quid du titre donné au contrat par les parties ? Si à l'évidence il ne lie pas le juge (CPC, art 12 al. 2 8 ; les parties auront bon jeu de nommer bail ce qui est une vente, cela reste une vente), le titre reste important au cas où il ne serait pas incompatible avec le contenu du contrat, seulement lacunaire9.

3 ... Au nouveau droit des contrats ... La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures énonçait dans son article 8 :

« Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du Code civil, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme (...) »

De cette habilitation s'ensuivra l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ci-après, l’Ordonnance). Si l’Ordonnance consolide de nombreuses règles d’origine jurisprudentielle, elle comporte d’importantes innovations, qui étaient parfois en germe dans la jurisprudence (comme l’abus de dépendance10) ou induites de règles spéciales (comme la réduction de prix11). Dans tous les cas, l’Ordonnance s’est inspirée de différentes propositions académiques12 : l’« avant-projet Catala » (2005)13, l’« avant-projet Terré » (2008)14, mais aussi les différents projets d’harmonisation européenne du droit des contrats15, sans compter les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international16. Les règles relatives aux contrats figurent désormais au sein du titre III « Des sources d’obligations » du livre III « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », dans un sous-titre I : « Le contrat ». Ce sous-titre comporte quatre chapitres : « Dispositions liminaires » (chapitre 1), « La formation du contrat » (chapitre 2), « L’interprétation du contrat » (chapitre 3) et « Les effets du contrat » (chapitre 4). Une ordonnance ne donnant pas lieu à des travaux préparatoires, elle est accompagnée d’un rapport de présentation17 . Tel fut donc le cas, s'agissant de l'Ordonnance n° 2016-131 18.

L'Ordonnance du 10 février 2016 fut ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ci-après, la Loi de ratification). L’ambition du législateur fut double : clarifier des dispositions obscures de l’ordonnance par des dispositions interprétatives et modifier certaines dispositions, notamment celles qui avaient suscité de la part de la doctrine les critiques les plus vives.

4 Technique législative, leitmotivs, et sauts de cabri. Que les pouvoirs publics aient entendu recourir à des ordonnances pour réformer le droit des contrats pouvait se comprendre dans la mesure où il s’agit d’un droit essentiellement technique19. L’objet premier du droit des contrats n’est pas (ou n’était pas, à l’origine) de protéger les uns contre les autres ou de hiérarchiser des valeurs : liberté, égalité, solidarité, etc. Dans une certaine mesure, le droit des contrats n’est pas tant prescriptif que descriptif : il n’a pas tant pour ambition de prescrire aux individus des comportements que de décrire la procédure de formation du contrat et les mesures offertes aux contractants au cas où ils seraient victimes d’une inexécution.

Il reste que le recours aux ordonnances n’est pas une garantie de résultat. Disons-le d’emblée, si les textes du nouveau droit des contrats sont de loin plus intelligibles que les anciens, le résultat n’est pas parfait. De fait, les textes finaux apparaissent comme un melting pot rassemblant des textes de différents projets, nationaux ou internationaux, piochés ici ou là par une administration guère inspirée. Pouvait-on espérer que la loi de ratification améliorât la chose ? Les travaux préparatoires révèlent que les parlementaires ne sont pas des techniciens du droit des contrats (les erreurs d’analyse, que l’on retrouvait aussi dans le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance, sont fréquentes), que des questions plus que mineures les ont parfois occupées (le sort de l’offre en cas de décès du destinataire...20) et que des questions majeures ont été mal envisagées (le contrôle des clauses créant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion21) ou pas du tout (la détermination du prix en droit commun22).

Comme le révèle le rapport au président de la République qui accompagne l’Ordonnance, ce sont deux objectifs principaux qui ont été poursuivis : la « sécurité juridique », qui « vise tout d’abord à rendre plus lisible et plus accessible » le droit des contrats, mais aussi « l’attractivité du droit français, au plan politique, culturel, et économique » (rien de moins !23). Sécurité, lisibilité, accessibilité, attractivité... Autant de paradigmes qui, tels des miroirs aveuglants, ont empêché ceux qui se sont mis à l’ouvrage de s’intéresser à l’essentiel : la cohérence et la rationalité du nouveau droit des contrats. « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant la sécurité ! la lisibilité ! l’accessibilité ! l’attractivité !... mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien », soufflerait de Gaulle.

5 Esprit général du droit des contrats. La réforme a profondément affecté l’esprit général du droit des contrats.

En premier lieu, alors que, nous le disions, le droit des contrats était traditionnellement et globalement descriptif, dans le nouveau droit, les prescriptions sont multiples au stade de la formation du contrat : la garantie d’un consentement libre et éclairé est renforcée par la consécration d’un devoir général d’information24 et par l’interdiction d’abuser de l’état de dépendance d’autrui25, et le contenu du contrat est placé sous le contrôle du juge, qu’il s’agisse de contrôler les clauses contredisant la portée de l’obligation essentielle26 ou les clauses créant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion27. Pourquoi ? Alors que les règles du Code civil de 1804 avaient été forgées à partir du postulat que ceux qui s’apprêtent à contracter sont des personnes égales (dans leurs connaissances, leur puissance, etc.), le nouveau droit des contrats ne pouvait ignorer que tel n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi, d’une part et en amont, il s’efforce de rétablir une certaine égalité entre les parties avant la conclusion du contrat (par les exigences renforcées de transparence et de bonne foi) et, d’autre part et en aval, après la conclusion du contrat, il octroie au juge des pouvoirs en vue de parvenir à un certain équilibre (par un contrôle du contenu du contrat ou de l’abus dans l’exercice d’une prérogative). Ce double objectif, traditionnellement réservé aux droits spéciaux (droit de la consommation, droit spécial des baux, droit des pratiques commerciales, etc.), ne l’est plus.

En second lieu, dans le nouveau droit des contrats, les prérogatives reconnues à un cocontractant au stade de l’exécution du contrat ont connu un essor important : la fixation du prix28, la mise en œuvre par la victime elle-même de mesures en cas d’inexécution par le débiteur de ses obligations29, par exemple30. La reconnaissance de prérogatives unilatérales au sein d’un mécanisme par essence multilatéral – le contrat – n’est pas choquante dès lors que l’abus est sanctionné en aval par le juge. Au-delà, dans certains cas, elle est un facteur de célérité et de désengorgement des tribunaux : on songe spécialement aux mesures offertes au créancier victime d’une inexécution.

6 Figures oubliées du droit des contrats. Il est a priori étonnant que des figures contractuelles qui se sont considérablement développées au cours des décennies passées n’aient pas fait l’objet d’une attention plus minutieuse du législateur. On songe pour l’essentiel aux contrats multipartites34 , tout juste mentionnés par le Code civil (art 1101 « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes (...) »35) et aux contrats qui ne réalisent pas tant un échange qu’une collaboration entre les parties36. Ce silence s’explique peut-être par la grande hétérogénéité de ces « catégories » de contrats, rebelles à toute systématisation qui soit sûre. Il reste que la formulation de certaines directives aurait pu être tentée37.

7 Liberté contractuelle, valeur constitutionnelle. Après avoir considéré dans un premier temps « qu’aucune disposition de la Constitution ne garanti[ssait] le principe de liberté contractuelle »38 , le Conseil constitutionnel a expressément reconnu la valeur constitutionnelle du principe de « la liberté contractuelle », qui « découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » 39. La liberté contractuelle n’est toutefois pas une liberté classique. D’une part, elle subit, probablement plus que les autres, de nombreuses atteintes en raison de la multiplication des dispositions d’ordre public, et, d’autre part, la liberté contractuelle est elle-même subordonnée aux autres droits et libertés, substantielles : droit au respect de la vie privée, droit de propriété, etc.

Appliquer à un contrat une loi postérieure à sa conclusion constitue un changement de contexte que les parties n’ont pas pu anticiper lorsqu’elles ont fixé les termes du contrat, notamment le prix de la prestation. Dès lors, une telle application – que ce soit au titre d’une application rétroactive ou même d’une simple application immédiate – ne devrait-elle pas, en raison du principe de la liberté contractuelle, être exceptionnelle ?

L’examen des décisions rendues révèle pourtant que tel n’est pas le cas. D’une part, le juge constitutionnel40 censure rarement le législateur pour avoir appliqué la loi nouvelle aux contrats en cours et, d’autre part, le juge judiciaire considère souvent, lorsque la loi nouvelle ne comporte pas de dispositions transitoires, qu’il convient d’appliquer la loi nouvelle aux contrats en cours, cette application étant possible en vertu du principe d’application immédiate41.

En s’en tenant ici à la jurisprudence constitutionnelle42, on observera que le Conseil exerce un contrôle de l’application de la loi dans le temps en vertu de l’article 1643 voire de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 44.

De règle générale, depuis une décision n° 2019-812 du 15 novembre 2019, le Conseil constitutionnel formule le principe dans les termes suivants : « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs ». D’un point de vue méthodologique, le Conseil constitutionnel (i) caractérise l’existence ou non de l’une des deux situations visées et, (ii) dans l’affirmative, établit si l’atteinte portée aux intérêts lésés est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant45.

Comme l’a explicité le Conseil constitutionnel46 :

(i) « Une atteinte à une situation légalement acquise est constituée lorsque la loi nouvelle s’applique à des situations juridiques constituées avant son entrée en vigueur. Il s’agit donc d’un contrôle de la rétroactivité de la loi (...) Il en va ainsi, par exemple, de la réduction rétroactive de la durée pour laquelle une autorisation d’émettre a été accordée47 (...). À l’inverse, des dispositions qui ne jouent que pour l’avenir ne sauraient porter atteinte à une situation légalement acquise (...). Il en va de même de la création d’une nouvelle faculté de résiliation, en ce qu’elle s’applique aux contrats conclus après son entrée en vigueur48 ».

(ii) « La remise en cause des effets qui pouvaient être légitimement attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs se distingue du cas précédent en ce que le contrôle du Conseil constitutionnel ne se limite pas au caractère rétroactif de la mesure mais s’étend à la remise en cause, par la loi, des attentes légitimes que les justiciables avaient pu former à partir de la situation légale dans laquelle ils étaient placés. Ce sont donc les conséquences futures de la loi sur l’anticipation légitime formée à partir d’une situation juridique née dans le passé qui sont examinées par le législateur. Ce faisant, le Conseil constitutionnel s’assure tout d’abord de l’existence d’une telle situation juridique, puis du caractère légitime ou non de l’attente qu’elle a pu faire naître. En distinguant, dans sa formulation de principe, la situation née sous l’empire du droit antérieur et la remise en cause, par la disposition législative contestée, des effets qui pouvaient en être légitimement attendus, le Conseil constitutionnel a visé le cas où une situation juridique n’a pas produit entièrement tous ses effets de droit [Si elle l’avait fait, le problème serait celui d’une atteinte rétroactive à la situation légale en cause], ceux-ci étant encore en cours de réalisation ou susceptibles d’intervenir dans le futur. Il y a donc une dissociation temporelle entre la situation d’origine et celle escomptée à l’arrivée, la loi contestée intervenant entre ces deux moments. Dans cette perspective, ce qui fonde le caractère légitime de l’attente, c’est la plus ou moins grande certitude juridique que les effets attendus découlent nécessairement de la situation initiale. »

S’agissant en particulier de la matière contractuelle, l’application de la loi dans le temps est contrôlée depuis une décision du 10 juin 199849 rendue à l’occasion du contrôle de la loi Aubry I . Le Conseil y décida que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». Par la suite, le Conseil sollicitera l'article 4 et l'article 16 DDHC 50 en en faisant application distributive, suivant qu’il est question de rétroactivité au sens strict ou d’application immédiate de la loi aux contrats en cours. En substance, si l’application rétroactive de la loi suppose un motif « impérieux », l’application immédiate ne nécessite qu’un motif « suffisant ».

Une décision rendue en 2016, qui concernait la question de la mise à disposition de locaux aux organisations syndicales par les collectivités territoriales ou leurs groupements, en fournit une parfaite illustration51. La loi nouvelle, en vue d’assurer aux organisations syndicales les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la liberté syndicale, instituait un droit à indemnisation au profit d’une organisation syndicale lorsque la collectivité territoriale ou le groupement décidait de lui retirer la disposition de locaux dont elle avait bénéficié pendant plus de cinq ans sans lui proposer de locaux de substitution, sauf convention expresse contraire. La loi prévoyait son application aux conventions en cours à la date de la publication de la loi et même aux conventions ayant pris fin avant cette date. Le Conseil constitutionnel a censuré cette double modalité d’application de la loi dans le temps.

(i) S’agissant des conventions ayant pris fin à la date de la publication de la loi, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur la garantie des droits, protégée par l'article 16 DDHC , qui encadre l’application rétroactive de la loi (hors le cas de la loi pénale)52. Il a jugé que les conditions posées par sa jurisprudence pour admettre l’application rétroactive de la loi n’étaient pas réunies dès lors, d’une part, que le cas des décisions de justice ayant force de chose jugée n’était pas réservé et, d’autre part, que le motif d’intérêt général poursuivi par le législateur ne revêtait pas un caractère impérieux53.

(ii) S’agissant des conventions en cours à la date de la publication de la loi, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur la protection des contrats légalement conclus, qui découle de l’ article 4 DDHC , qui encadre l’application immédiate de la loi nouvelle. Précisément, l’atteinte est disproportionnée dès lors que l’application de la loi « a pour effet d’obliger les collectivités et leurs groupements soit à proposer des locaux de substitution aux organisations syndicales soit à leur verser une indemnité, sans qu’ils aient été mis en mesure de s’en exonérer préalablement par une stipulation expresse » (nous soulignons)54.

Le Conseil constitutionnel paraît faire un sort particulier aux contrats s’inscrivant dans un « statut légal »55 . Le Conseil a en effet jugé « qu'en modifiant y compris pour les baux en cours, le cadre légal applicable à la détermination des charges récupérables pour les habitations à loyer modéré, le législateur n'a pas porté atteinte aux conventions légalement conclues ; (...) par suite, le grief tiré d'une atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, garanti par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, doit être écarté » 56. La même année, le Conseil a de nouveau jugé, au sujet de l’application immédiate aux contrats en cours de l’interdiction faite aux distributeurs d’eau d’interrompre la distribution d’eau pour défaut de paiement de l’usager, que « le législateur pouvait modifier, y compris pour les conventions en cours, le cadre légal applicable aux contrats de distribution d’eau afin de mettre en œuvre cet objectif de valeur constitutionnelle sans porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus »57.

8 Valeur des règles relatives au droit des contrats. Seule une disposition prescriptive est susceptible d’être qualifiée de supplétive ou impérative.

Une telle qualification n’aurait pas de sens pour une disposition descriptive, qu’elle définisse une notion (par exemple, l’article 1124, qui définit la promesse unilatérale58) ou un processus (par exemple, l’article 1113, qui énonce que le contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’une acceptation59).

S’agissant de la valeur des dispositions prescriptives du nouveau droit des contrats, ni l’Ordonnance ni la Loi de ratification ne contiennent d’indications.

Le rapport au président de la République contient certes une indication importante :

« L’ordonnance n’affirme pas expressément dans un article spécifique le caractère supplétif de volonté de ses dispositions. En effet, leur caractère supplétif s'infère directement de l'article 6 du Code civil et des nouveaux articles 1102 et 1103, sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné. Il n’y a donc pas lieu de préciser pour chaque article son caractère supplétif, qui constitue le principe, le caractère impératif étant l’exception. La subsistance dans certains articles de la mention “sauf clause contraire” n’autorise par conséquent aucune interprétation a contrario et ne remet nullement en cause le principe général du caractère supplétif des textes : ce rappel résulte seulement d’un pur souci didactique prenant en compte les souhaits exprimés par les professionnels au sujet de certains textes particuliers (en particulier sur le régime des obligations) »60.

Il reste qu’un « rapport » n’est pas une source du droit61, et que celui-ci en particulier laisse dubitatif : comment, par exemple, considérer que la disposition prohibant les clauses créant un déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion dont le caractère impératif n’est pas exprimé, soit supplétive ? Le « rapport » demeure néanmoins utile à l’interprète en ce qu’il emprunte « à la fois aux travaux préparatoires et aux actes d’exécution de la norme. (...). Tourné vers le passé, il explique les motifs de la réforme, sa genèse, son esprit, éventuellement sa méthode et les choix qu’elle opère. Orienté vers l’avenir, le rapport suggère des pistes d’interprétation plus ou moins directement déduites des objectifs énoncés et s’autorise même à formuler certaines directives »62.

Quant aux travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi de ratification, ils montrent que le Sénat avait proposé une liste non exhaustive de dispositions considérées comme étant impératives63. Évidemment, le juge ne sera pas lié par celle-ci, d’autant plus que la méthode fut critiquée par l’Assemblée nationale64.

En tout état de cause, le juge est libre des méthodes d’interprétation de la loi65 et donc de ne pas suivre le rapport ou les travaux préparatoires66 . Il sera en revanche tenu de retenir le caractère supplétif ou impératif d'un texte si celui-ci ressort explicitement du texte lui-même : « sauf clause contraire » (C. civ., art 1216-1 al. 2), « [l]es parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (C. civ., art 1112-1 al. 5), « [c]ette disposition est d'ordre public » (C. civ., art 1104 al. 2), par exemple.

9 Application dans l’espace du droit des contrats. Le nouveau droit des contrats est sans incidence sur les conflits dans l’espace des règles relatives au droit des contrats68. Chaque fois qu’un contrat est « international », c’est-à-dire lorsqu’il met en jeu « les intérêts du commerce international »69, la loi applicable est désignée par le règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). Celui-ci prévoit que les parties sont libres de désigner la loi applicable au contrat (art. 3.170 : principe de la loi d’autonomie) et, qu’à défaut de choix, la loi est désignée par le règlement (sauf cas particulier – ils sont nombreux –, il s’agit en principe de « la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle » (art. 4.2)).

10 Application dans le temps du nouveau droit des contrats71 . De règle générale, l'application de la loi dans le temps en matière contractuelle obéit au principe général figurant à l'article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif » 72.

S’agissant de l’application dans le temps des dispositions du nouveau droit des contrats, celle-ci est définie par les dispositions transitoires de l’Ordonnance et de la Loi de ratification, celles-ci ayant d’ailleurs été modifiées par celles-là. On observera in limine que celles-ci ne prévoient pas d’application rétroactive des règles nouvelles – sous réserve de certaines dispositions de la Loi de ratification dites « interprétatives » de l’Ordonnance102 et d’une modification d’une disposition transitoire de l’Ordonnance par la Loi de ratification103 -, de sorte qu'en vertu de l'article 2 du Code civil 104, celles-ci sont dépourvues de toute rétroactivité.

D’après l’article 9 de l’Ordonnance :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.

Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public105.

Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation106. »

D’après l’article 16, I de la Loi de ratification :

« La présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018.

Les articles 1110, 1117, 1137, 1145, 1161, 1171, 1223, 1327 et 1343-3 du Code civil et les articles L. 112-5-1 et L. 211-40-1 du Code monétaire et financier, dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques conclus ou établis à compter de son entrée en vigueur.

Les modifications apportées par la présente loi aux articles 1112, 1143, 1165, 1216-3, 1217, 1221, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1347-6 et 1352-4 du Code civil ont un caractère interprétatif. »

Il convient dès lors de distinguer trois périodes.

11 Application dans le temps. Contrats conclus avant le 1er octobre 2016 : principe. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis au droit antérieur à celui de l’Ordonnance (art. 9 al. 2 ord.), conformément aux principes de non-rétroactivité et de survie de la loi ancienne en matière contractuelle107 : la validité, les effets passés (principe de non-rétroactivité) et les effets futurs (principe de survie de la loi ancienne) relèveront en principe de la loi ancienne. Il a été « précisé » par une disposition rétroactive de la Loi de ratification que la survie de la loi ancienne valait même pour les « effets légaux » des contrats et les dispositions « d’ordre public » du nouveau droit des contrats (art. 16, III, L. ratif.).

À la lettre, la précision suivant laquelle la loi nouvelle s’applique pas, même dans ses dispositions « d’ordre public », est un coup d’épée dans l’eau car seules des dispositions qui relèvent d’un ordre public « impérieux »108 sont applicables aux contrats en cours, et non les « simples » dispositions d’ordre public. Toutefois, il faut dépasser la lettre du texte pour en saisir l’esprit : malgré les approximations du texte109, les parlementaires ont souhaité qu’aucune disposition de l’Ordonnance ne puisse s’appliquer aux contrats conclus antérieurement. Cette démarche mérite d’être approuvée dès lors qu’elle respecte pleinement les prévisions des parties et conduit à faire l’économie d’une distinction ô combien délicate entre l’ordre public « simple » et l’ordre public « impérieux »...

12 Application dans le temps. Contrats conclus avant le 1er octobre 2016 : application immédiate de la loi nouvelle aux interpellations interrogatoires. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis aux dispositions nouvelles de l’Ordonnance relatives aux interpellations interrogatoires reconnues à l’égard du pacte de préférence (art. 1123 al. 3 et 4110), des pouvoirs du représentant (art. 1158111) et de l’annulation d’un contrat (art. 1183112) (art. 9 al. 3 ord.).

Cette application « anticipée » de l’Ordonnance heurte la raison : elle est non seulement inopportune en ce que ces interpellations sont dangereuses pour celui qui n’y répond pas – d’autant plus que l’interrogé n’aura pas pu être renseigné sur leur sens et leur portée lors de la conclusion du contrat sous l’empire du droit ancien –, mais aussi illégitime, en ce qu’aucune considération d’ordre public ne justifie de telles dispositions transitoires.

13 Application dans le temps. Contrats conclus après le 1er octobre 2016 et avant le 1er octobre 2018 : application des dispositions de l’Ordonnance et des dispositions interprétatives de la Loi de ratification. Les contrats conclus après le 1er octobre 2016 sont soumis aux dispositions nouvelles de l’Ordonnance, date de son entrée en vigueur (art. 9 al. 1 ord.) ainsi qu’aux dispositions interprétatives de la Loi de ratification qui sont énumérées dans son article 16, I alinéa 3.

S’agissant des dispositions interprétatives, il convient de rappeler qu’une loi « ne peut être considérée comme interprétative qu’autant qu’elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverses »113 et que faisant corps avec la loi ancienne, elle s’applique aux situations antérieures à son entrée en vigueur114, y compris aux instances en cours115. Toutefois, il semblerait que la Cour de cassation ne s’estime pas liée par la qualification retenue par le législateur, encore que des décisions claires manquent à ce sujet116. En contrepoint, les autres dispositions de la Loi de ratification, « non interprétatives » (art. 16, I, al. 2 L. ratif.), ne devraient a priori pas s’appliquer aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur le 1er octobre 2018 (art. 16, I al. 1 L. ratif.).

La distinction entre dispositions « interprétatives » et les autres pourrait avoir un effet pervers. Le législateur, en considérant que certaines dispositions n’étaient pas interprétatives, n’a-t-il pas nécessairement considéré qu’elles devaient conduire à retenir des solutions différentes ? À suivre un tel raisonnement, les juges seraient nécessairement tenus de retenir des solutions distinctes suivant qu’ils appliquent les règles de l’Ordonnance ou celles – non interprétatives – de la Loi de ratification. Pour ne prendre qu’un exemple, la notion de contrat d’adhésion devrait nécessairement être entendue différemment dans l’Ordonnance et dans la Loi de ratification. Outre qu’une telle approche serait inopportune en ce qu’elle morcellerait à l’excès dans le temps le droit des contrats, elle serait également légitime dans la mesure où les dispositions considérées dans la Loi de ratification comme non interprétatives de l’Ordonnance, le plus souvent reprennent un texte qui n’était pas clair...

14 Application dans le temps. Contrats conclus après le 1er octobre 2018. Les contrats conclus après le 1er octobre 2018 sont soumis aux dispositions nouvelles de la Loi de ratification, date de son entrée en vigueur (art. 16, I, al. 1 L. ratif.).

Point sensible : de la prescription de l’exercice d’une prérogative Lorsque l'exercice d'une prérogative nécessite une action en justice, celle-ci peut se heurter à la prescription, fin de non-recevoir qui rend irrecevable l'action intentée (CPC, art 122 31). Or de nombreuses prérogatives peuvent désormais être mises en œuvre par une notification. Il n’est que de penser à la résolution32 . Sans aucun doute la prescription pourra également être opposée à celui qui met en œuvre la prérogative, même si ce n'est pas par une action en justice. Mais comment et à quel moment pourra-t-elle l'être ? À première vue, comme c'est le cas pour les fins de non-recevoir (CPC, art 123 33), on pourrait penser que la prescription puisse en principe être invoquée à tout moment. Pourtant, dans le cadre d’une action en justice, la prescription est nécessairement invoquée avant que le juge ne prononce sa décision. Dès lors, quid, s’agissant de la résolution par notification, lorsque la partie à qui l’on voudrait opposer la prescription a d’ores et déjà notifié la résolution ? Est-il possible de lui opposer après coup la prescription ? En cas de litige, le juge réputera-t-il la notification n’avoir jamais eu lieu ou se contentera-t-il d’allouer des dommages-intérêts ?

Aménagements conventionnels Comment écarter une disposition supplétive ? En principe, il suffit purement et simplement pour les parties d’indiquer qu’elles l’écartent. Toutefois, lorsque c’est un tiers qui établit l’instrumentum du contrat et que ce tiers est tenu d’un devoir de conseil – ce qui est souvent le cas –, il aura tout intérêt à expliciter dans l’instrumentum le sens de la disposition écartée afin de se ménager la preuve que les parties ont bien compris la portée de l’acte67.

Point sensible : de l'application de l'article 2 du Code civil en matière contractuelle En matière contractuelle, la jurisprudence a dégagé à partir de l'article 2 du Code civil un principe ( 1 et deux exceptions ( 2 (1) Le principe : la survie de la loi ancienne Le principe de la survie de la loi ancienne et l’éviction corrélative de la loi nouvelle se manifeste à un triple égard. Primo, la validité du contrat ou de telle(s) de ses clauses s’apprécie à l’aune de la loi ancienne. Le principe de survie de la loi ancienne interdit un réexamen de la validité du contrat73 à l’aune de la loi nouvelle : un contrat valable au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être annulé au regard d’une loi postérieure74 et, réciproquement, un contrat nul au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être validé au regard d’une loi postérieure75. La Cour de cassation a même considéré qu’un contrat valable au regard de la loi applicable au jour de sa conclusion ne saurait être déclaré caduc pour l’avenir au regard d’une loi postérieure76. Secundo, les effets passés du contrat relèvent de la loi ancienne. Le principe de la survie de la loi ancienne interdit à la loi nouvelle de revenir sur les effets passés du contrat77. Ainsi l’échange de prestations dans le passé ne saurait être remis en cause par l’effet de la loi nouvelle ; en particulier, cet échange ne saurait donner lieu à des restitutions. Tertio, les effets à venir du contrat relèvent de la loi ancienne. Le principe de la survie de la loi ancienne interdit à la loi nouvelle de régir les effets à venir du contrat78 : « aux termes de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif ; (...) il en résulte que les effets des contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle, même s'ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi demeurent régis par les dispositions sous l'empire desquelles ils ont été passés »79. A chaque fois, la survie de la loi ancienne chasse l’application de la loi nouvelle car celle-ci trahirait les prévisions des parties. Or cette trahison est la même que l’on revienne sur des obligations expressément stipulées ou sur des obligations prévues par la loi sur la foi de laquelle les parties avaient contracté80. (2) Les exceptions : l’application de la loi nouvelle Il existe des exceptions au principe de la survie de la loi ancienne qui conduisent à l’application de la loi nouvelle au contrat en cours et donc à un changement des « règles du jeu » en cours de partie. La jurisprudence distingue deux exceptions. Primo, la jurisprudence refuse que la loi nouvelle remette en cause les effets passés du contrat si elle ne l’a pas elle-même expressément prévue. C’est l’exception de rétroactivité : « la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur, aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur »81. C’est ainsi que la loi nouvelle ne conduira jamais, sauf disposition transitoire expresse contraire, à revenir sur les effets passés du contrat. Secundo, la jurisprudence n’admet que la loi nouvelle régisse les effets futurs du contrat que dans certains cas. C’est l’exception d’application immédiate de la loi nouvelle. D’une part, c’est le premier cas, la loi nouvelle sera applicable aux contrats en cours lorsque des considérations impérieuses le justifient82, ce qui présuppose a priori une disposition d’ordre public83. Toutefois, toutes les dispositions d’ordre public ne sauraient s’appliquer aux contrats en cours, sauf à vider de toute substance le principe de survie de la loi ancienne ; d’impérieuses considérations de les appliquer aux contrats en cours doivent exister84. D’autre part, c’est le second cas, la loi nouvelle sera applicable aux contrats en cours lorsqu’elle est élément du statut légal dans lequel s’intègre le contrat : c’est la théorie des effets légaux du contrat. La notion de statut légal et ses implications en matière de conflit de lois dans le temps a été développée par Roubier85. Mystérieuse dès l’origine, la notion le demeure à ce jour86. On comprend néanmoins qu’un contrat s’inscrit dans un statut légal lorsqu’il est soumis à un ensemble de règles présentant un certaine consistance et cohérence. Ceci expliquerait pourquoi la Cour de cassation fait application de cette théorie le plus souvent87 en matière de baux88, même lorsqu’il s’agit d’aller à l’encontre de l’intention probable du législateur89. Il reste que la notion de statut légal continue de soulever d’innombrables difficultés, ainsi que cela a déjà été relevé90. À partir de quel seuil considèrera-t-on que le contrat s’inscrit dans un ensemble de règles présentant une certaine consistance et cohérence ? À supposer que l’on soit en présence d’un tel ensemble, n’appliquera-t-on l’exception tirée de l’existence d’un statut légal que lorsque la loi nouvelle modifie une règle préexistante, ou aussi lorsque la loi nouvelle ajoute aux règles préexistantes (et a fortiori crée un nouveau statut légal) ?91. Quelles que soient les réponses que l’on apporte à ces questions, l’exception tirée de l’existence d’un statut légal trahira toujours la prévision des parties, et ce, sans conditions impérieuse d’application immédiate de la loi nouvelle, prévision qui pourtant constitue le fondement principal du principe de survie de la loi ancienne. L’exception tirée de l’existence d’un statut légal doit donc être entendue très restrictivement. Au-delà, les domaines des deux exceptions au principe de survie de la loi ancienne (rétroactivité et application immédiate) ne sont pas toujours faciles à distinguer. Tel est le cas chaque fois que la clause d’un contrat n’ayant pas encore pris effet (ex. clause de non-concurrence post-contractuelle) ou prenant effet de manière répétée dans le temps (ex. clause d’intérêt dans un prêt) ne serait pas valable au regard de la loi nouvelle. Est-ce qu’appliquer la loi nouvelle à un contrat déjà conclu et priver ainsi d’efficacité pour l’avenir92 une clause qu’il comporte constitue une application rétroactive de la loi (ce qui suppose alors une disposition expresse en ce sens dans la loi nouvelle) ou une application immédiate (ce qui suppose « seulement » d’être dans un des deux cas susvisés) ? L’acception que l’on a de la rétroactivité peut être large ou stricte. On peut à cet égard partir de l’exemple pris par Roubier dans Le droit transitoire93 : le législateur décide de limiter, dans les contrats de prêts, le maximum du taux d'intérêt à 6 % alors que, d'après la loi précédente, la fixation des intérêts au taux de 7 % était licite. Appliquer cette loi aux contrats en cours pour les intérêts non encore échus, est-ce faire une application rétroactive ou immédiate de la loi nouvelle ? Suivant une acception large de la rétroactivité, qui est l’acception classique94, il y a bien rétroactivité dans ce cas : « ce que la loi critique, c’est (...) la formation du contrat donc un fait antérieur qui était alors parfaitement licite, à savoir le contrat qui stipulait des intérêts à 7 % » ; or, « la loi ne peut revenir sur les conditions dans lesquelles un contrat a été passé sans qu'il y ait rétroactivité »95. Mais parce que l’application de la loi dans une telle situation ne conduirait pas à revenir sur les intérêts déjà servis par l’emprunteur au prêteur, Roubier parle de « rétroactivité tempérée »96. Suivant une acceptation stricte de la rétroactivité, dès lors qu’il n’est pas question de revenir sur les effets passés du contrat, il ne saurait être question de rétroactivité. La raison qui en est donnée par Bach tient en une phrase : « en matière de contrats, il convient de distinguer l'acte en tant qu'opération normatrice, en tant qu'acte créateur de droit et d'obligations, et les normes juridiques créées par les clauses du contrat, qui vont déterminer la conduite, les actes, de chacun des cocontractants à l'égard des autres ou à l'égard des tiers »97. Appliquant ceci à l’exemple rapporté plus haut, l’auteur note que l’application de la loi nouvelle ne fait « que substituer à une norme contractuelle, une norme législative, mais elle ne le ferait par hypothèse que pour l'avenir et sans que la loi ancienne ait, au moment de la conclusion du contrat, donné l'assurance aux cocontractants que les normes par eux posées auraient valeur obligatoire jusqu'au terme prévu pour le contrat ; il est donc inexact d'affirmer qu'elle remettrait en cause les conditions de formation du contrat, et l'on ne voit pas, dès lors, comment l'application de cette loi pourrait être qualifiée de rétroactive »98. S’agissant de l’application du plafond de l’usure à des prêts en cours, de nombreuses décisions ont été rendues, qui ont retenu de la rétroactivité une interprétation large99. Mais la jurisprudence n'a pas consacré de manière solennelle un principe général de résolution de la difficulté soulevée100, peut-être d'ailleurs parce qu'elle pas été nettement identifiée. On peut néanmoins mentionner un arrêt récent et important de la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant retenu que « la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur (...) remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé »101.

Point sensible : des cas difficiles d’application dans le temps du nouveau droit des contrats On a jusqu’à présent réfléchi à l’application dans le temps du nouveau droit des contrats à un contrat en considération de la date de sa conclusion à un instant t. Quelques cas particuliers qui pourraient soulever des difficultés méritent à présent quelque attention. En premier lieu, il se peut que le contrat se soit formé dans la durée. Primo, et s’agissant de la loi applicable aux pourparlers, par principe, il faut appliquer les règles de conflit de loi dans le temps régissant la matière extracontractuelle, dès lors que le contrat n’est pas à ce stade conclu : on retiendra ainsi en principe la loi en vigueur à la date de la réalisation du fait dommageable. Tel sera le cas pour une rupture fautive des pourparlers engagés avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ou encore de la révocation fautive d’une offre faite également avant. Toutefois, il faut réserver deux séries de cas particuliers. D’une part, lorsqu’un contrat régissait les pourparlers et que la question concerne ce contrat, ce sont les règles de conflit de loi dans le temps applicable en matière contractuelle qui doivent s’appliquer. D’autre part, lorsque les pourparlers entamés sous le droit ancien ont conduit à la conclusion d’un contrat sous le droit nouveau et que la question concerne un fait s’étant produit alors que le droit ancien était en vigueur mais ayant une incidence sur le contrat conclu, quelle règle de conflit de loi dans le temps retenir ? Par exemple, si un abus d’un état de dépendance117 a été commis avant que le nouveau droit n’entre en vigueur, peut-il être sanctionné alors qu’il ne l’était pas (ou pas de la même façon) sous l’empire du droit ancien ? Dès lors que la « situation » s’est parachevée sous l’empire du droit nouveau, c’est l’application de celui-ci qui devrait en principe l’emporter. Secundo, que décider lorsque l’une des parties a exprimé son consentement avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (ce serait le cas de l’offrant ou du promettant s’étant engagé dans une promesse unilatérale118), et l’autre après (ce serait le cas de l’acceptant ou du bénéficiaire de la promesse unilatérale ayant levé l’option) ? Non sans dogmatisme, on considère en général que le contrat ayant été formé après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, il est soumis à celle-ci. Une telle solution est néanmoins très critiquable, chaque fois que les parties n’ont pas entendu artificiellement empêcher l’application de la loi nouvelle119. Prenons l’exemple d’une promesse unilatérale de vente : le contenu du contrat de promesse a été défini par les parties en contemplation d’un droit (le droit ancien) et l’on ne comprend pas que le seul fait que l’option soit levée après l’entrée en vigueur du droit nouveau suffise à emporter soumission du contrat à celui-ci. De même, comment se satisfaire qu’une personne ayant émis une offre dont le contenu a été défini en contemplation d’un droit (le droit ancien) puisse emporter la formation d’un contrat soumis au droit nouveau pour la seule raison que l’acceptation est parvenue postérieurement à l’offrant à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle120 ? Dans tous les cas, la soumission du contrat au droit nouveau pose des problèmes théoriques et pratiques : déjouer les prévisions de celui qui s’est engagé constitue une atteinte excessive à sa liberté contractuelle121 et d’inévitables difficultés d’articulation entre le contrat et le droit nouveau se poseront. En deuxième lieu, la prolongation après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle d’une relation contractuelle peut également susciter quelques hésitations. Primo, la prorogation laissant subsister l’ancien contrat, le principe est celui de la survie de la loi ancienne122. Mais n’y a-t-il pas quelque artifice à empêcher ainsi l’application de la loi nouvelle ? Et si la seule raison qui a conduit les parties à proroger le contrat plutôt qu’à le renouveler ou à le laisser se reconduire était l’éviction de la loi nouvelle ? Secundo, la tacite reconduction ou le renouvellement exprès emportant la formation d’un nouveau contrat, le principe est celui de l’application de la loi nouvelle123. Si la solution s’impose, on prendra garde à privilégier un renouvellement exprès en adaptant le contrat à la loi nouvelle plutôt qu’à le laisser tacitement se reconduire, le contrat n’étant alors plus adapté à la loi à laquelle il est soumis. En troisième lieu, la modification après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle du contrat conclu antérieurement suscite d’importants doutes. Si le contrat a fait l’objet d’une novation, nul doute qu’il sera soumis, en tant que nouveau contrat, à la loi nouvelle. Si, en revanche, il a fait l’objet d’un simple avenant non novatoire, de redoutables difficultés verront le jour. D’un côté, l’avenant est lui-même un contrat qui doit être soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion, c’est-à-dire au nouveau droit (au moins en ce qui concerne sa formation et sa validité) ; d’un autre, le contrat modifié ayant été conclu sous l’empire du droit ancien, on ne voit pas pourquoi, dès lors qu’il subsiste (l’avenant n’étant pas novatoire), il devrait être soumis au droit nouveau. Faut-il alors envisager un dépeçage du contrat : les effets du contrat seront soumis au droit nouveau pour ceux qui ont été modifiés par l’avenant, les autres restant soumis au droit ancien124 ? Mais est-ce seulement pratiquement concevable ? Dans le doute, la solution la plus sûre est donc de provoquer une novation du contrat, tout en réservant le cas échéant le maintien des sûretés (C. civ., art 1334 125). En quatrième lieu, ce sont les actes juridiques pris, après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, en vertu d’un contrat conclu antérieurement qui soulèvent plusieurs questions. On vise notamment la conclusion d’un contrat-cadre avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et d’un contrat d’application après, mais aussi, la mise en œuvre, après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, de prérogatives conférées par le contrat conclu avant (détermination du prix, mise en œuvre d’une clause résolutoire, etc.). S’il ne fait guère de doute que le contrat-cadre reste soumis au droit ancien, le contrat d’application étant un nouveau contrat, celui-ci devrait être par principe soumis au droit nouveau126. Quant à la mise en œuvre de prérogatives découlant du contrat, il faut y voir par principe un effet du contrat conclu antérieurement et soumettre cette mise en œuvre au droit ancien. En cinquième lieu, s’agissant enfin des questions de preuve, des distinctions sont nécessaires. D’un côté, s’il est bien acquis en jurisprudence que les règles nouvelles relatives à la charge de la preuve ne s’appliquent pas aux instances en cours127, la question demeure de leur application à des faits passés. D’un autre côté, s’agissant des règles relatives aux modes de preuve, il ressort de la jurisprudence que si les preuves préconstituées (écrit) et les présomptions légales sont soumises à la loi en vigueur au jour de leur constitution, les autres (témoignage) le sont à la loi en vigueur au jour où elles sont établies128.

Chapitre 1 - Le contrat et les contrats

Plan

15 Localisation. Les questions relatives à la définition du contrat et à la diversité des contrats sont envisagées dans le Code civil au chapitre Ier (« Dispositions liminaires ») du sous-titre consacré au contrat.

16 Qu’est-ce qu’un contrat ? Le contrat est défini à l’article 1101 comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Le contrat est le fruit de volontés qui se sont accordées en vue de l’obtention de résultats : l’achèvement d’une maison, la réparation d’un véhicule, la mise à disposition d’un appartement, la fourniture d’un logiciel, le paiement d’une somme d’argent, etc.

Pour parvenir à ces résultats, les parties « s’obligent », en sorte que l’obligation apparaît comme un moyen ; elle est un pont entre l’accord des parties et les résultats attendus. C’est pourquoi le plus souvent le contrat a pour objet la création d’obligations : ainsi du contrat par lequel une personne donne à bail l’un de ses biens à une autre et qui donne lieu à l’obligation de faire jouir en contrepartie de l’obligation de payer un loyer. Mais le contrat peut également avoir pour objet la modification d’obligations : ainsi du contrat par lequel les parties modifient un précédent contrat (on parle alors d’avenant). Il peut enfin avoir pour objet la transmission d’obligations : ainsi du contrat opérant une cession de créances, de dettes ou de contrat.

Plus généralement, le contrat produit des effets de droit qui n’ont pas nécessairement pour objet des obligations. C’est notamment le cas des contrats constitutifs ou translatifs de droits réels (ex. : la vente), mais aussi de ceux instituant un groupement de biens (ex. la fondation) ou de personnes (ex. la société ou l’association).

En tout état de cause, le contrat modifie nécessairement la situation juridique des parties. Partant, ne sont pas des contrats, d’une part, les actes qui ne font que rappeler la loi129 et, d’autre part, les actes qui ne traduisent pas un engagement de leur auteur de s’engager juridiquement : les engagements d’honneur, de courtoisie, les gentlemen agreements, les non binding offers, etc.

17 Le contrat est à l’acte juridique ce qu’est l’espèce au genre. Les contrats constituent une sous-catégorie de la catégorie des actes juridiques. De fait, les actes juridiques « peuvent être conventionnels ou unilatéraux » (C. civ., art 1100-1 al. 1 in fine). Les actes juridiques sont conventionnels, c’est-à-dire des contrats, lorsqu’ils reposent sur plusieurs volontés. Ils sont unilatéraux, c’est-à-dire des actes unilatéraux, lorsqu’ils reposent sur une seule volonté.

La première catégorie, celle des contrats, n’appelle pas à ce stade d’observations particulières – les contrats font l’objet de cet ouvrage – sauf à observer que s’il est fait référence à la volonté de plusieurs parties, les textes du code qui établissent le régime du contrat ont été pensés pour un contrat conclu à deux alors que de nombreux sont conclus à plus de deux : contrat de société, conventions collectives, (certains) traités... Ces derniers, les contrats « multipartites », font l’objet d’un chapitre spécial135.

Quant à la deuxième catégorie, celle des actes unilatéraux, régulièrement discutée, elle est bien une réalité, même lorsqu’il s’agit pour l’auteur de l’acte de s’obliger : « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [l’article 1100-1 al. 1] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci », indique le rapport au président de la République. Les actes unilatéraux136 produisent des effets alors même qu’ils n’ont pas donné lieu à un accord de volontés entre l’auteur de l’acte et son (ou ses) destinataire(s).

C’est notamment ce qui distingue l’acte juridique unilatéral du contrat unilatéral : si les deux n’obligent qu’une partie, le contrat unilatéral suppose un accord de volontés, à la différence de l’acte juridique unilatéral137.

Les actes unilatéraux sont légion en droit : reconnaissance d’un enfant, testament, constitution d’une société ou d’une entreprise unipersonnelle, promesse d’exécuter une obligation naturelle, promesse de récompense, engagement de l’employeur envers ses salariés, engagements entre États, mais aussi et surtout, offre et acceptation138. En réalité, tout acte juridique est ou repose – lorsqu’il est un contrat – sur des actes unilatéraux – l’offre et l’acceptation étant eux aussi des actes unilatéraux. C’est pourquoi il est vain de rechercher en vue d’une énumération les actes juridiques unilatéraux139. Ils sont partout.

Tous les actes juridiques ont ceci en commun d’être des « manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit » (C. civ., art. 1100-1 al. 1 in limine), définition approximative mais qui ne pose pas de difficulté en pratique. En réalité, l’acte juridique est un engagement, comme le révèle son régime : l’exigence d’une capacité, d’un consentement libre et éclairé, d’une preuve en principe préconstituée, etc.140 Certes, le législateur a fait le choix de ne pas définir un régime des actes juridiques, préférant établir un régime des contrats, mais comme il l’a prévu, les actes juridiques141 « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. » (C. civ., art. 1100-1 al. 2)142.

18 Qu’est-ce qu’une obligation ? Trois éléments constitutifs L’obligation désigne un lien entre deux personnes, le débiteur et le créancier, par lequel le premier doit accomplir une prestation au profit du second. De cette définition ressortent trois éléments constitutifs.

19 Qu’est-ce qu’une obligation ? Premier élément constitutif : un lien entre deux personnes L’obligation est un lien entre deux personnes : elle institue un rapport personnel. Il ne s’agit pas d’un rapport réel, c’est-à-dire d’un rapport entre une personne et une chose (comme le droit de propriété et les autres droits réels) ou d’un rapport entre deux choses (comme l’est une servitude). Le droit des obligations est le droit des rapports personnels alors que le droit des biens est le droit des rapports réels.

Le lien obligationnel peut être appréhendé de deux points de vue. Du point de vue actif, du créancier, l’obligation se nomme créance. Ainsi le client d’un réparateur est titulaire d’une créance de réparation et le réparateur, d’une créance de somme d’argent. De même, l’acheteur est titulaire d’une créance de délivrance contre le vendeur et le vendeur, d’une créance de somme d’argent contre l’acheteur. Du point de vue passif, du débiteur, l’obligation se nomme dette. Ainsi le client d’un réparateur est tenu d’une dette de somme d’argent envers le réparateur, et ce dernier, d’une dette de réparation. De même, l’acheteur est tenu d’une dette de somme d’argent à l’égard du vendeur et le vendeur, d’une dette de délivrance envers l’acheteur. On s’aperçoit donc que créance et dette sont donc les deux revers d’une même médaille, les deux faces que présente une obligation.

20 Qu’est-ce qu’une obligation ? Deuxième élément constitutif  l’obligation a pour objet l’accomplissement d’une prestation L’obligation a pour objet l’accomplissement d’une prestation qui consiste soit en une action – réparer un véhicule, verser des dommages-intérêts en vue de réparer un préjudice – soit en une abstention – ne pas concurrencer tel individu par exemple, ne pas causer un dommage par sa faute à autrui.

21 Qu’est-ce qu’une obligation ? Troisième élément constitutif  l’obligation est un devoir pour le débiteur. Si l’obligation est un devoir pour le débiteur, il importe de bien distinguer deux choses : c’est une chose de dire que le débiteur est tenu d’une obligation, c’en est une autre de savoir si le créancier peut contraindre le débiteur à l’exécuter ou à mettre en œuvre une autre mesure en cas d’inexécution. À cet égard, et dans l’échelle de la contrainte, on peut distinguer trois types d’obligations.

Tout en bas de l’échelle de la contrainte, l’on trouve les obligations morales, pour lesquelles la contrainte n’est qu’intérieure. Ce sont celles qui trouvent leur source, tantôt, dans la morale individuelle de chacun : aller voter, se rendre au culte, aider son voisin, etc. et, tantôt, dans des engagements d’honneur, engagements qui traduisent la volonté de leur auteur de s’obliger moralement, non juridiquement. On en trouve de tels engagements dans différentes sphères. Dans la sphère amicale, et dans ce cas, on parle plus volontiers d’acte de courtoisie : voici un individu qui assure à un autre qu’il viendra pour dîner chez lui tel soir. Dans la sphère professionnelle : voilà une société qui s’engage sur l’honneur à soutenir sa filiale du mieux qu’elle le pourra ou un insolvable qui s’engage sur l’honneur à rembourser ses créanciers en cas d’un retour à meilleure fortune. Dans la sphère publique, les États prennent souvent des engagements envers les autres États sans intention de se lier juridiquement. Quelle que soit la source de l’obligation morale, nul ne peut en obtenir l’exécution forcée ou toute autre mesure en cas d’inexécution. C’est que le droit laisse en dehors de sa sphère le civisme, la religion, la courtoisie, etc. Aussi, si de telles obligations sont sanctionnées, c’est par la conscience du débiteur – le débiteur aura mauvaise conscience –, mais aussi parfois par la réprobation des autres : celle de l’entourage ou de la société. En définitive, de telles obligations n’intéressent pas véritablement le juriste.

Tout en haut de l’échelle de la contrainte, l’on trouve les obligations juridiques, pour lesquelles la contrainte est étatique. Ce sont celles qui trouvent leur source soit dans la loi, entendue le plus largement possible, comme la règle de droit, soit dans la volonté du débiteur, dans les limites autorisées par la loi. Le créancier peut en obtenir l’exécution forcée ou mettre en œuvre toute autre mesure en cas d’inexécution. Ainsi le vendeur peut exiger de l’acheteur qu’il verse le prix de la chose qu’il a voulu acquérir et l’État, par la voie de son procureur, peut demander au juge qu’un délinquant purge une peine en raison d’une infraction.

Au milieu de l’échelle, l’on trouve les obligations naturelles, qui empruntent aux obligations morales et aux obligations juridiques. Elles trouvent leur source dans une espèce de morale sociale. Ainsi, si les enfants sont obligés juridiquement de subvenir aux besoins de leurs parents et autres ascendants (art. 205), de même que le sont les gendres et belles-filles envers leurs beaux-parents (art. 206) – c’est l’obligation alimentaire –, il n’en va pas de même entre frères et sœurs. De sorte qu’un frère ne pourrait demander aux tribunaux, à l’État, de contraindre sa sœur à l’aider s’il est dans le besoin. Néanmoins, parce que la société estime qu’il est conforme à la morale que frères et sœurs subviennent à leurs besoins, l’on considère qu’ils sont liés par une obligation alimentaire naturelle. De même, un débiteur tenu d’une véritable obligation juridique – par exemple, l’acheteur doit payer le vendeur – ne peut être contraint par le créancier de la payer qu’autant qu’elle n’est pas prescrite, c’est-à-dire une fois qu’un certain laps de temps s’est écoulé. Une fois prescrite, la dette du débiteur perd sa qualité d’obligation juridique. Pour autant, parce que la société estime qu’il est conforme à la morale que l’on paye toujours ses dettes, l’on considère qu’une telle obligation dégénère en une obligation naturelle. On voit, avec ces deux exemples, que l’obligation naturelle apparaît tantôt comme une « obligation morale renforcée » (obligation naturelle d’aliments), tantôt comme une « obligation juridique diminuée » (obligation prescrite). En tout état de cause, il appartient au juge de les dénicher. Les obligations naturelles sont assez rares, mais la jurisprudence en rappelle régulièrement l’existence143.

Il s’évince deux conséquences de la qualification d’obligation naturelle. Primo, le paiement volontaire, et non fait par erreur144, d’une obligation naturelle, interdit au solvens d’obtenir restitution de ce qui a été payé à l’accipiens . C'est ce que prévoit aujourd'hui le Code civil : la restitution n'est « pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées » (C. civ., art 1302 al. 2). Cela est très important car, en principe, celui qui paie une dette dont il n'est pas tenu peut en obtenir la restitution sur le fondement des règles du « paiement de l'indu ». Secundo, le débiteur d’une obligation naturelle qui a pris l’engagement de l’exécuter est tenu par son engagement. Un tel engagement a pour effet de transformer l’obligation naturelle en obligation juridique et d’assurer au créancier un moyen de contraindre le débiteur145. Ainsi que l’a affirmé la Cour de cassation, « l’engagement unilatéral pris en connaissance de cause d’exécuter une obligation naturelle transform(e) celle-ci en obligation civile »146. Désormais, la règle figure à l’article 1100 alinéa 2, encore que, curieusement, le terme d’obligation naturelle ne soit pas employé, puisqu’il est seulement prévu que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire147 ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui. » Le rapport au président de la République qui accompagne l’Ordonnance ne laisse pourtant aucun doute sur ce point : ce sont les obligations naturelles qui sont seules visées148.

La distinction entre les obligations morale, naturelle et juridique étant connue, il importe de souligner à présent que le droit des obligations ne s’intéresse qu’aux obligations juridiques et naturelles et, statistiquement aux premières dans l’immense majorité des cas.

22 Droit commun et droit spécial des contrats : poupées russes. Le droit commun des contrats régit par principe tout contrat, même s’il fait l’objet de règles spéciales, voire très spéciales149. Ainsi la vente d’un immeuble bâti relève de règles qui lui sont propres, des règles relatives à la vente de tout immeuble, des règles relatives à la vente, et enfin des règles du droit commun. C’est ce qu’exprime l’article 1105 alinéa 1, qui énonce que les contrats, « qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du [sous-titre Ier relatif au contrat ». Autrement dit, generalia specialibus non dérogant.

Ce n’est qu’en cas d’incompatibilité entre une règle générale et une règle spéciale, c’est-à-dire d’antinomie entre deux règles partageant au moins pour partie le même champ d’application, que la règle spéciale prime la règle générale, ce qu’on tire de l’article 1105 alinéa 3, qui prévoit que les « règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ». Autrement dit, specialia generalibus derogant.

Toute la question est de savoir s’il y a ou non incompatibilité entre la règle générale et la règle spéciale150. Cela ne pose parfois pas de difficulté151, mais il n’en va pas toujours ainsi. La question se pose dans un premier temps de définir si les deux règles, générale et spéciale, s’appliquent en tout ou partie à la même situation, si elles ont, en tout ou partie, le même champ d’application. Dans un deuxième temps, il importe de déterminer si les conditions de mise en oeuvre posées par les règles – par hypothèse applicables152 – ou si les prescriptions qu’elles édictent diffèrent. Dans un troisième temps, enfin, il convient d’observer si l’application de la règle générale en plus de celle de la règle spéciale contrarierait les objectifs de cette dernière : en somme, la règle spéciale a-t-elle été prise parce que la règle de droit commun n’était pas adaptée ?

23 Contrats synallagmatiques et unilatéraux. La distinction des contrats synallagmatiques et des contrats unilatéraux est prévue à l’article 1106 : alors que le contrat est synallagmatique « lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres » (al. 1), il est « unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci » (al. 2). Ce qui est donc essentiel dans un contrat synallagmatique, c’est que les contractants « s’obligent réciproquement » : non seulement ils sont tous obligés, mais les obligations se servent mutuellement de contrepartie. Ainsi le vendeur transfère la propriété, met le bien à disposition de l’acheteur, le garantit contre les vices cachés et l’éviction, en contrepartie de quoi l’acheteur s’oblige à en payer le prix. En revanche, le cautionnement n’est pas un contrat synallagmatique car les obligations (essentiellement d’information) supportées par le créancier153 ne sont pas la contrepartie de l’obligation de la caution154. Manque le « lien d’échange »155 entre les prestations, caractéristique du contrat synallagmatique.

Les intérêts attachés à cette distinction concernent la preuve du contrat156, le jeu de l’exception d’inexécution157, et la perpétuité de l’exception de nullité158.

Le Code civil ne fait pas référence aux contrats synallagmatiques imparfaits, aux contrats qui, unilatéraux lors de leur conclusion, sont devenus synallagmatiques en cours d’exécution. En raison de leur nature hybride, leur régime emprunte aux régimes des contrats synallagmatiques et unilatéraux. Aux premiers, ils empruntent le mécanisme de l’exception d’inexécution, parce qu’elle se conçoit159 ; aux seconds, ils empruntent les règles de preuve car au moment de la conclusion du contrat, rien ne laisse entendre que le contrat deviendra synallagmatique et en tout état de cause, l’étendue de l’obligation éventuelle est inconnue.

24 Contrats onéreux et gratuits. La distinction des contrats onéreux et des contrats gratuits est prévue à l’article 1107 : le contrat est à titre onéreux « lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure » alors qu’il est à titre gratuit « lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie ». In limine, il doit être observé que peu importe ce qui est attendu et ce qui est ou non effectivement reçu : seul importe ce que les parties ont voulu en concluant le contrat. La plupart des contrats sont onéreux dans la mesure où une personne n’est en général prête à octroyer à l’autre un avantage que dans la mesure elle en reçoit un autre en contrepartie. Ce n’est que dans certaines circonstances qu’une personne est disposée à le faire sans contrepartie.

Les intérêts attachés à cette distinction sont très nombreux. Le régime des contrats conclus à titre gratuit, en particulier des libéralités, apparaît comme un régime dérogatoire au régime de droit commun, prévu par le Code civil, qui serait celui des actes à titre onéreux160 . En premier lieu, lorsque le contrat est onéreux, sa validité est subordonnée à ce qu'« au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » (C. civ., art 1169 161 ). En deuxième lieu, les contrats à titre gratuit obéissent à des règles de capacité ou de pouvoirs plus strictes (C. civ., art 387-2 administration des biens du mineur ; C. civ., art 470 curatelle ; C. civ., art 494-6 al. 4 : habilitation familiale ; C. civ., art 476 tutelle ; C. civ., art 490 mandat de protection future ; C. civ., art. 1422 : disposition des biens communs). En troisième lieu, celui qui s'engage à titre gratuit est tenu à des obligations moins strictes que celui qui s'est engagé à titre onéreux. Ainsi le donateur ne garantit pas le donataire contre l'éviction - sauf contre son fait personnel - ou les vices cachés 162 (A cheval donné on ne regarde pas les dents) et les manquements du débiteur sont appréciés avec plus de bienveillance dans un contrat à titre gratuit que dans un contrat à titre onéreux163. En quatrième lieu, l’acte à titre gratuit est plus fragile. Primo , il peut être contesté plus facilement qu'un acte à titre onéreux dans le cadre d'une action paulienne (C. civ., art 1341-2 164). Secundo , le contrat conclu à titre gratuit l'est en général « en considération de la personne » du cocontractant en conséquence de quoi il peut être annulé sur le fondement de l'erreur sur la personne (C. civ., art 1134 165). Tertio, « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité » alors qu’en principe, elle « n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. » (C. civ., art. 1135). Quarto , les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière sont nuls lorsqu'ils ont été accomplis au cours de la période suspecte précédant l'ouverture d'une procédure collective (C. com., art. L. 632-1. Quinto le prêteur à usage, s'il ne peut, en application du droit commun, « retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée » (C. civ., art 1888, « si, pendant ce délai, ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre » (C. civ., art 1889.

En général, les contrats synallagmatiques sont à titre onéreux et les contrats à titre unilatéral sont à titre gratuit. Toutefois, il existe des contrats unilatéraux à titre onéreux, spécialement lorsque celui qui ne s’oblige pas (le contrat est unilatéral) a néanmoins fourni une prestation à l’autre (le contrat est onéreux), laquelle participait de la formation du contrat : ainsi le prêt à intérêt, lorsqu’il est réel166, n’oblige que l’emprunteur mais est conclu à titre onéreux. Existe-t-il également des contrats synallagmatiques à titre gratuit ? On évoque parfois la donation avec charges : il s’agit certes d’un contrat synallagmatique puisque les deux parties sont obligées, mais s’agit-il d’un contrat à titre gratuit, dès lors que le donateur reçoit un avantage ? En réalité, il est permis ici de voir ici un contrat qui serait onéreux à hauteur de la charge et gratuit au-delà167.

25 Contrats commutatifs et aléatoires. La distinction des contrats commutatifs et des contrats aléatoires est prévue à l’article 1108 : le contrat est commutatif « lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit » (al. 1) alors qu’il est aléatoire « lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain » (al. 2). Les contrats commutatifs et aléatoires sont des contrats à titre onéreux168 : dans un contrat commutatif, chaque partie s’engage à « procurer à l’autre un avantage » et dans un contrat aléatoire, « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ». La définition du contrat commutatif appelle deux observations. D’une part, il est excessif d’affirmer que l’avantage procuré par l’une des parties est « regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit » : l’équivalence, même subjective, des avantages n’est pas un élément de qualification169. D’autre part, il est tout à fait possible de considérer que dans un contrat aléatoire, « chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit », par où l’on voit que la définition des contrats commutatifs est trop large. C’est pourquoi est utile la précision suivant laquelle, dans un contrat aléatoire, « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ». En effet, et en substance, dans un contrat aléatoire, on ne sait pas, au moment de la conclusion quelle(s) prestation(s) sera(ont) délivrée(s). Ainsi, dans un contrat d’assurance, le versement d’une indemnité d’assurance dépendra dans son existence et son étendue de la réalisation d’un sinistre ; dans un jeu et dans un pari, le versement d’un gain dépendra dans son existence et son étendue du résultat et de la participation des autres joueurs.

Parmi les intérêts qu’il y a à distinguer les contrats commutatifs des contrats aléatoires, on affirme souvent en premier lieu que « l’aléa chasse la lésion », ce qui signifie que si un contrat s’avère, en cours d’exécution, déséquilibré au vu de ce que les parties ont effectivement reçu, il ne saurait être annulé en raison d’une contrepartie dérisoire. C’est exact dans la mesure où n’encourt pas un risque d’annulation le contrat d’assurance lorsque le sinistre ne s’étant pas réalisé, aucune indemnité n’a été versée à l’assuré, ou encore le contrat de jeu lorsque le joueur aura perdu. Pour autant, on peut tout à fait concevoir que soit annulable le contrat aléatoire lorsque, au moment de sa conclusion, l’engagement de l’une des parties apparaît dérisoire au vu de celui de l’autre. Il convient à cette fin de mettre en perspective les prestations (et leur étendue) qui seraient dues avec la probabilité de survenance de l’événement incertain dont elles dépendent. Ainsi, dans une vente en viager, le montant du bouquet et des arrérages sera déterminé en fonction de la probabilité de la date de survenance du décès de celui sur la tête de qui la rente a été constituée (en général, le crédirentier)173. Lorsque tel n’est pas le cas, ce n’est pas que le contrat est aléatoire et rescindable pour cause de lésion, le contrat n’est pas aléatoire faute d’aléa, et, commutatif, il est rescindable pour cause de lésion174. On affirme également souvent que « l’aléa chasse l’erreur », ce qui signifie que lorsque les parties ont accepté un aléa, par exemple quant à l’authenticité d’une œuvre, le fait que cet aléa devienne une certitude en défaveur d’une des parties, par exemple l’œuvre s’avérant fausse, la nullité ne peut être encourue. Ainsi, l’article 1133 alinéa 3 dispose que « [l]’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité »175. Toutefois, l’annulation du contrat pour erreur est possible lorsqu’une erreur a été commise sur les éléments permettant d’évaluer l’aléa176. Cette erreur peut d’ailleurs avoir été provoquée par l’autre177. Finalement, le seul véritable intérêt de la qualification d’un contrat en un contrat aléatoire est qu’il n’est alors pas possible d’y voir un contrat à titre gratuit, puisque seuls les contrats onéreux sont susceptibles d’être aléatoires (mais alors l’intérêt de la qualification est dérivé...). On en trouve une bonne illustration avec l’épisode jurisprudentiel des contrats d’assurance-vie mixtes. En somme, la notion de contrat aléatoire est mystérieuse et son régime n’apparaît pas si original qu’on peut le penser à première vue : les contrats aléatoires constituent-ils une véritable catégorie autonome de celle des contrats commutatifs ?

26 Contrats consensuels et formalistes. La distinction des contrats consensuels et formalistes intéresse la forme dans laquelle les consentements des parties doivent se rencontrer pour former valablement le contrat.

Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme « par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression » (C. civ., art. 1109 al. 1), solennel, « lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi » (C. civ., art. 1109 al. 2), et réel , « lorsque sa formation est subordonnée à la remise d'une chose » (C. civ., art. 1109 al. 3). Si les contrats en principe consensuels, ils sont exceptionnellement solennels ou réels (C. civ., art 1172 181).

Lorsque le contrat est consensuel, le contrat est valablement formé quelle que soit la forme dans laquelle les consentements des parties se sont rencontrés : l’accord peut être verbal, écrit, résulter de gestes, etc.

Lorsque le contrat est solennel, la validité du contrat est subordonnée à l’accomplissement d’une formalité consistant en l’établissement d’un certain type d’écrit (sous signature privée ou authentique) qui, le cas échéant, comporte certaines mentions. À défaut de respecter la forme requise, le contrat est en principe182 « nul » (C. civ., art 1172 al. 2), « sauf possible régularisation » ( ibid. ). Techniquement, une régularisation n'est pas une « confirmation », c'est-à-dire une renonciation à invoquer la nullité de l'acte (C. civ., art 1182 183). Elle est une « voie de rattrapage », qui consiste à rendre valable un acte annulable « en lui apportant l’élément qui lui fait défaut »184. L’intérêt de la régularisation, par rapport à une réfection du contrat – consistant à refaire un accord respectant les conditions posées par la loi185 -, est de produire effet rétroactivement entre les parties. La régularisation doit-elle être prévue par un texte ? La réponse paraît être négative, la jurisprudence considérant par exemple que la nullité de la vente de la chose d'autrui (C. civ., art 1599 186) est couverte dès lors que le vendeur a acquis, après la vente, la chose d’autrui187.

Lorsque le contrat est réel, ce n’est pas la validité mais la formation du contrat qui est subordonnée à l'accomplissement d'une formalité, la remise de la chose qui en fait l'objet (C. civ., art 1172 al. 3). Ces contrats sont aujourd'hui rares et l'on ne compte guère plus que le dépôt, le prêt à usage, le prêt de consommation qui n'est pas consenti par un professionnel du crédit 189, ainsi que le don manuel, soit des contrats dont le rôle économique est mineur. Le dessaisissement de la chose, le plus souvent gratuit190, permettra au propriétaire de la chose de prendre la mesure de son engagement. Un contrat réel dont la formalité de remise de la chose n’aurait pas été respectée n’en serait pas moins valable (à l’exception du don manuel191, qui est un substitut de don authentique, d’un contrat solennel), quoique non pleinement efficace : son inexécution ne donnera lieu qu’au versement de dommages-intérêts192. Il est d’ailleurs très fréquent de conclure un contrat avant la remise de la chose, en vue d’en expliciter les conditions.

27 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Ordonnance v. Loi de ratification. Les définitions du contrat de gré à gré et d’adhésion retenues par l’ordonnance ont été modifiées par la Loi de ratification193, considérée comme n’étant pas sur ce point « interprétative », en sorte que, théoriquement, les définitions retenues auraient évolué. Toutefois, celles-ci sont si sujettes à discussion que rien n’empêchera la jurisprudence d’interpréter les définitions posées par l’Ordonnance dans le même sens que celles posées par la Loi de ratification.

On commencera donc par exposer les définitions de la Loi de ratification avant d’envisager brièvement celles de l’Ordonnance.

28 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Loi de ratification. D’après l’article 1110, le contrat de gré à gré est « celui dont les stipulations sont négociables entre les parties » alors que le contrat d’adhésion est « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». On est de prime abord surpris par l’absence de symétrie entre les deux définitions, alors pourtant que tous les contrats devraient être soit de gré à gré, soit d’adhésion194. Si le critère de négociabilité des « stipulations » ou des « clauses »195 semble être le véritable et unique critère de distinction196, il eut fallu définir le contrat d’adhésion comme « celui dont les stipulations ne sont pas négociables entre les parties », encore que le sort des contrats dont certaines clauses seulement sont négociables ne serait pas déterminé. Quoi qu’il en soit, il faut considérer que tout contrat qui n’est pas d’adhésion est de gré de gré, cette dernière catégorie constituant une catégorie résiduelle197 en ce qu’elle regroupe les « contrats de droit commun ».

Avant d’envisager les différents éléments des définitions retenues par le législateur, observons d’emblée qu’il était vain de rechercher une « bonne » définition du contrat d’adhésion, tant les situations concevables sont diverses au-delà des cas caricaturaux.

Bien entendu, il y a les situations, qui ne posent pas de difficultés, dans lesquelles une partie impose l’entier contenu du contrat à l’autre (contrat d’adhésion) ou celui où les deux parties élaborent entièrement le contrat à deux (contrat de gré à gré ; encore que ce cas ne soit pas si simple qu’il y paraît). Au-delà, une infinité d’hypothèses, qui sont autant de zones grises, sont concevables : une partie qui dispose d’une trame prérédigée impose l’essentiel à l’autre et accepte de revenir sur le reste, une partie qui ne dispose pas d’une trame prérédigée impose l’essentiel à l’autre et élabore le reste avec l’autre ; une partie qui dispose ou non d’une trame prérédigée accepte d’effacer ou de modifier – le plafond d’une clause limitative de responsabilité – une ou plusieurs clauses importantes, de manière marginale ou sensible – le plafond d’une clause limitative de responsabilité passe de 1 000 000 d’euros à 1 050 000 ou à 1 500 000 euros – ; une partie impose telles clauses du contrat et l’autre partie telles autres clauses, que ces clauses soient imposées mutuellement à partir ou non de trames prérédigées par les deux parties ; une partie impose telles clauses du contrat et accepte à la demande de l’autre d’« accorder » telles autres à l’autre, etc. Et, de règle générale, est-ce négocier que de proposer une première matrice « inacceptable » et, en raison de la protestation de l’autre partie, proposer une autre matrice (le cas échéant déjà prête) qui l’est moins ? Et négocier, est-ce revenir sur sa clause, accepter une autre clause en contrepartie sans modifier la clause imposée ?

Toutes ces illustrations rendent compte de la vanité d’une définition en général (sait-on seulement quelles hypothèses l’on a en vue ?) et des définitions retenues en particulier. Vérifions-le.

En premier lieu, s’agissant de la négociabilité ou non des stipulations du contrat, ce qui importe au fond est que les clauses aient ou non pu être négociées, peu important qu’elles l’aient été effectivement, comme le suggère l’emploi du terme « négociable ». Au-delà, les notions de négociation ou de négociabilité s'annoncent particulièrement délicates à définir... Par exemple, comment appréhender les stipulations qu'une partie n'aura pas voulu modifier mais qui, en raison des réticences de l'autre, auront donné lieu à des concessions dans d'autres stipulations ? Comment appréhender la situation dans laquelle une partie aura proposé un premier contrat et, en raison des réticences de l'autre, un second, cette fois « à prendre ou à laisser », un peu plus favorable à cette dernière ?

Probablement, avec le temps, la Cour de justice, s’agissant d’interpréter la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, apportera des éléments de comparaison intéressants. En effet, il faut se rappeler que celle-ci ne prévoyait le contrôle que des seules clauses « n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle » (art. 3), même si la France a fait le choix de contrôler toutes les clauses et pas seulement celles-ci.

D'un point de vue probatoire, par application du principe posé à l'article 9 du Code de procédure civile 198, déterminer qui doit prouver quoi dépendra de la prétention. Si une partie prétend que le contrat doit être interprété contre celui qui l’a rédigé ou qu’une clause doit être jugée abusive parce que l’on est en présence d’un contrat d’adhésion, ce que l’autre conteste, la qualification de contrat d’adhésion devra être rapportée par celui qui prétend y avoir adhéré. Si en revanche une partie prétend que le contrat doit être interprété en sa faveur parce qu’elle est débitrice et que le contrat est de gré à gré, ce que l’autre conteste, c’est la qualification de contrat de gré à gré qui devra être rapportée. À moins que l’on considère qu’un contrat est normalement de gré à gré et, à ce titre, est présumé l’être.

En pratique, celui qui a intérêt à ce que soit retenue la qualification de contrat de gré à gré devra veiller à se préconstituer les preuves d’une possibilité de négociation voire d’une négociation effective, et à ce que ceci n’ait pas été couvert par la confidentialité...

En second lieu, s’agissant de la détermination à l’avance des clauses par l’une des parties, on ne voit guère ce qu’apporte cet élément de définition à la notion de contrat d’adhésion : toute clause non négociable est nécessairement déterminée à l’avance par l’une des parties199. C’est néanmoins l’occasion de se poser deux importantes questions.

(i) Comment qualifier les contrats dont les clauses ont été déterminées à l’avance par un tiers et non par une partie ? La question a été envisagée à l’occasion des travaux parlementaires, puisqu’il a été fait référence au contrat « rédigé par un tiers à la demande de la partie (notaire, avocat, contrat-type de location saisonnière...) »200. Et le législateur semble avoir considéré, sans distinction, qu’il s’agissait bien dans ce cas de contrats d’adhésion201. En réalité, tout devrait dépendre du rôle du tiers et il convient à cet égard de distinguer les contrats rédigés à la demande des contrats prérédigés.

S’agissant des contrats rédigés à la demande, tout pourrait dépendre du contexte : si le tiers a rédigé le contrat à la demande d’une partie, agissant comme son « porte-plume », il a effectivement rédigé un contrat susceptible d’être qualifié de contrat d’adhésion si les autres conditions en sont remplies ; si le tiers a en revanche rédigé le contrat à la demande des deux parties sans que l’une n’en ait imposé le contenu à l’autre, le contrat sera a priori considéré comme un contrat de gré à gré. S’agissant des contrats prérédigés, les choses sont plus délicates. Si le tiers joue le rôle d’un éditeur de modèles de contrats à la disposition, la question de savoir s’il s’agit ou non d’un contrat d’adhésion dépendra du point de savoir si une partie au contrat en a imposé le contenu à l’autre ; le « tiers-éditeur » n’étant pas partie au contrat, la question est sans objet à son égard. Mais il est d’autres hypothèses où ce tiers ne joue pas simplement ce rôle, soit que le modèle de contrat qu’il a rédigé s’impose, pour telle ou telle raison, aux parties, soit que le tiers soit lui-même partie au contrat qui devient alors multipartite202. Les contrats proposés par des plateformes numériques qui mettent en relation deux parties (market place) illustrent au mieux ce phénomène. Les contrats qui sont conclus par l’intermédiaire de market places, s’ils créent des obligations entre les parties mises en relation, en créent également entre celles-ci et la plateforme, tant et si bien que celle-ci est également partie au contrat. Ne convient-il pas alors de distinguer suivant les relations nouées au sein du contrat multipartite ? Dans les relations entre chacune des parties mises en relation et la plateforme, le contrat devrait pouvoir être considéré comme un contrat d’adhésion : le contrat devrait s’interpréter contre elle et l’appréciation d’un éventuel déséquilibre significatif devrait pouvoir être opéré, le plus souvent d’ailleurs à l’aune du droit de la consommation. En revanche, dans les relations entre les seules parties mises en relation, on ne peut que convenir de ce qu’aucune partie n’a imposé à l’autre le contenu contrat. L’application de la règle d’interprétation contra proferentem n’aurait guère de sens et si le contenu du contrat était significativement déséquilibré au détriment d’une des parties, serait-il légitime de le contrôler alors que la partie avantagée n’est pas responsable d’un tel contenu203 ?

(ii) Comment qualifier les contrats d’ores et déjà conclus mais auxquels postérieurement d’autres adhèrent à leur tour (par ex., règlement de copropriété, cahier des charges d’un lotissement ou statuts d’une société), le cas échéant en succédant à une partie (cession de contrat)205  Là encore, la difficulté n’a pas été ignorée lors des travaux préparatoires206. À juste titre, il fut observé qu’« un contrat de gré à gré le demeure toujours, puisque le code le définit par les seules conditions de sa formation, c’est-à-dire les modalités de négociation de ses stipulations, de sorte que l’adhésion ultérieure d’une nouvelle partie ne saurait en aucun cas avoir d’effet quant à sa qualification de contrat de gré à gré »207. Autrement dit, si le contrat était de gré à gré lors de sa conclusion, il le restera malgré toute substitution de parties postérieure. Pour s’en convaincre, il suffit de raisonner sur une cession de contrat : il ne serait pas compréhensible qu’un contrat de gré à gré puisse se muer en un contrat d’adhésion dès lors qu’il serait cédé sans que ses termes ne soient rediscutés... Ce qui importe,

En troisième lieu, l’expression d’« ensemble de clauses non négociables » pose de sérieuses difficultés.

L’expression avait été proposée par l’Assemblée nationale en vue de définir les « conditions générales »208 auxquelles le Code civil fait référence depuis l'Ordonnance. Mais, non seulement le contrat d'adhésion n'est plus défini par référence à des « conditions générales », et les « conditions générales » visées à l'article 1119 209 ne sont pas définies !

Il ressort des travaux préparatoires que l’expression ne renvoie pas aux « stipulations essentielles », notion jugée aux « contours indéterminés » et qui « nourriraient une abondante jurisprudence »210.

Au-delà, on peut hésiter entre deux approches. Suivant une première, littérale, il y aurait « ensemble de clauses non négociables » lorsqu’il y en a plus d’une. On ne saurait la retenir : on en comprend mal les ressorts (pourquoi un contrat changerait-il de régime au motif que plus d’une de ses clauses est imposée à l’autre ?) et la difficulté rebondirait nécessairement quant à la définition de ce qu’est une « clause »211, même si, en droit de la consommation, la Cour de justice a déjà apporté d’utiles précisions sur cette question212. C’est pourquoi l’on peut préférer une seconde approche, aux termes de laquelle il y aurait « ensemble de clauses non négociables » lorsque le principal ne l’est pas. C’est semble-t-il ce qu’ont souhaité les parlementaires, qui ont entendu viser « les contrats dont l’essentiel des stipulations sont soustraites à la négociation (...) », le contrat de gré à gré étant donc « celui dont au moins l’essentiel des stipulations – et non les stipulations essentielles (...) – est négociable »213. C’est donc le principe suivant lequel l’accessoire suit le principal qui aurait été retenu. Il demeure qu’en pratique, un tel système est quasiment « impraticable », sauf pour le juge à disposer d’une balance magique qui mesurerait le poids des clauses214... Une certitude, toutefois : il n’y a pas que les contrats de masse qui soient désormais concernés215.

En fin de compte, la soustraction à la négociation des clauses du contrat constitue l’élément essentiel de la définition du contrat d’adhésion. Dans ce type de contrat, une partie adhère au contenu du contrat proposé par l’autre, sans négociation possible. Ce faisant, on rétablirait une symétrie entre les définitions des contrats d’adhésion et de gré à gré Par ailleurs, le régime juridique du contrat d’adhésion se comprendrait : celui qui impose le contenu du contrat doit répondre des abus de sa position qui se sont traduits par l’insertion de clauses créant un déséquilibre significatif et des obscurités des clauses dont il est l’auteur. Le régime des contrats d’adhésion profiterait ainsi à toute personne qui n’a pu négocier le contenu de son contrat, qu’elle en ait ou non pris effectivement connaissance. « Les catégories juridiques n’étant pas un “donné” mais un “construit” »216, il reviendra à la jurisprudence de donner à la catégorie des contrats d’adhésion une colonne vertébrale ».

29 Contrats de gré à gré et d’adhésion : Ordonnance. L’article 1110, tel qu’il ressortait de l’Ordonnance, prévoyait que le contrat de gré à gré était « celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties » et le contrat d’adhésion, « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». En se limitant à l’essentiel, on relèvera deux différences avec le dispositif revu par la Loi de ratification.

En premier lieu, le contrat de gré à gré (et, en négatif, le contrat d’adhésion) n’était pas défini par la circonstance que ses clauses étaient négociables mais le fait qu’elles ont été négociées. Toutefois rien n’interdira217 à la jurisprudence, et tout l’invitera même218, à considérer que c’est la négociabilité plus que la négociation effective qui fait le contrat de gré à gré.

En second lieu et c’est la différence a priori essentielle avec le nouveau dispositif, le contrat d’adhésion supposait des « conditions générales », expression non définie mais dont on peut penser qu’elle visait « l’ensemble des clauses contractuelles types rédigées avant la conclusion de contrats individuels dans lesquelles elles sont destinées à s’intégrer »219. Selon certains, seuls les contrats standardisés auraient été alors susceptibles d’être qualifiés de contrats d’adhésion, l’objet de la réforme ayant alors été pour l’essentiel d’étendre aux professionnels la protection offerte par le Code de la consommation aux non-professionnels220. Cette position pouvait ne pas convaincre, pour plusieurs raisons. Primo, à suivre cette analyse, les contrats particulièrement longs et complexes et souvent peu lus ou compris dans le détail, mais qui ne seraient pas standardisés parce qu’offerts qu’à un seul (voire à plusieurs personnes déterminées), ne pourraient être qualifiés de contrat d’adhésion et emporter l’application du régime correspondant. Il en irait de même des contrats dont l’instrumentum, sans renvoyer à des « conditions générales », comprendrait des clauses qui sont reprises à l’identique ou simplement reprises dans leur substance, moyennant des aménagements, dans d’autres contrats, notamment de distribution221. Secundo, on ne voit pas pourquoi la seule circonstance que l’on est présumé ou réputé ne pas prendre connaissance des conditions générales suffirait à emporter l’application d’un régime protecteur.

30 Contrat-cadre et contrats d’application225 . Le contrat-cadre est un « accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures » tandis que des contrats d'application « en précisent les modalités d'exécution » (C. civ., art 1111. Il ne s'agit pas tant ici d'établir une nouvelle distinction entre deux types de contrats, que d'isoler un contrat spécial, le contrat-cadre, en précisant qu'il est mis en œuvre notamment par des contrats d'application. La définition retenue du contrat-cadre est d'ailleurs très vague, puisqu'il n'est fait référence qu'à des « caractéristiques générales de (...) relations contractuelles futures », sans autres précisions. Sont concernés notamment les contrats de distribution (franchise, concession, etc.) ou de maintenance qui prévoient les « caractéristiques générales » de la relation relatives aux conditions d'approvisionnement, aux exclusivités territoriales, au savoir-faire, au point de vente, au prix, aux modalités de certaines prestations, etc.

L’article  1164 C. civ. comprend d’ailleurs une règle relative au prix dans les contrats-cadres sur laquelle nous reviendrons, et ce qui nous donnera l’occasion d’approfondir la notion de contrat-cadre226 : dans ces contrats, « il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (al. 1) et « [e]n cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. (al. 2) ».

31 Contrats à exécution successive et contrats à exécution instantanée . Le contrat à exécution instantanée « est celui dont les obligations peuvent s'exécuter en une prestation unique » alors que le contrat à exécution successive « est celui dont les obligations d'au moins une partie s'exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps » (C. civ., art 1111-1. Cette distinction introduite lors de la réforme résulte de l'effort conjugué de la doctrine et de la jurisprudence, mais le résultat est décevant. Primo, les notions manquent de clarté. Pour l’essentiel, les concepts de « prestation » et de « prestation unique » sont-ils objectifs ou subjectifs, une prestation pouvant en ce cas être unique pour les uns, et non pour les autres ? Secundo, afin d’établir une symétrie entre les notions, pourquoi ne pas avoir opposé les contrats dont les « obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique » (ce que sont les contrats à exécution instantanée) à ceux dont les « obligations ne peuvent pas s’exécuter en une prestation unique » (ce que seraient les contrats à exécution successive) ou bien les contrats dont les « obligations d’au moins une partie ne s’exécutent pas en plusieurs prestations échelonnées dans le temps » (ce que seraient les contrats à exécution instantanée) aux contrats dont les « obligations ne peuvent pas s’exécuter en une prestation unique » (ce que sont les contrats à exécution successive) ? En fin de compte, l’opposition retenue est bancale car elle ne repose pas sur un critère, mais sur deux. Autrement dit, c’est la pluralité des prestations d’une part et le fait qu’elles s’exécutent de façon échelonnée dans le temps qui caractérisent le contrat à exécution successive, peu important (à supposer que cela fût possible, qu’elle puisse s’exécuter en un trait de temps). On s’aperçoit ainsi que la définition du contrat à exécution successive est suffisamment compréhensive pour englober les contrats à exécution instantanée dont l’exécution est fractionnée dans le temps. On retiendra néanmoins qu’a priori un contrat à exécution instantanée comme la vente ne dégénère pas en un contrat à exécution successive pour la seule raison que les parties ont choisi d’en fractionner l’exécution227 dans le temps : ainsi la vente d’une tonne de farine, que la tonne soit ou non livrée en fractions de 100 kilos, reste un contrat à exécution instantanée car elle est susceptible de s’exécuter en une seule livraison. Au-delà, on se perdra en conjectures : le critère de la « prestation unique » repose sur une vue de l’esprit et se révèle impraticable228. Comment qualifier une cure de sevrage ou un abonnement à un journal, lorsque chaque numéro est accompagné d’un élément d’une maquette à monter ? Probablement la jurisprudence ne sollicitera plus cette distinction mais celle des contrats à exécution continue (dont il est possible de considérer qu’ils donnent lieu à plusieurs prestations) et à exécution globale (dont il est possible de considérer qu’ils donnent lieu à une prestation unique). Tout ceci explique peut-être pourquoi aucune conséquence n’est attachée par la réforme à cette distinction...

Traditionnellement, en droit civil, l'intérêt majeur de la distinction de ces deux types de contrats concernait le sort du contrat partiellement inexécuté et en particulier l'étendue des restitutions. Depuis la réforme, les effets de la résolution (C. civ., art 1229 229 sont toutefois déconnectés de cette distinction puisqu’il est prévu que lorsque « les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre » et que lorsque « les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation »230. Chaque fois que le contrat a été conclu en considération de son entière exécution – indivisible –, toute inexécution, à quelque moment qu’elle survienne, devrait être sanctionnée par l’anéantissement total du contrat. Lorsque tel n’a pas été le cas, il n’y a en revanche pas de raison de revenir sur l’exécution du contrat qui a procuré définitivement satisfaction aux parties. C’est donc un critère subjectif, la volonté des parties, qui serait le critère déterminant. Ainsi, devrait être pleinement rétroactive la résolution d’un contrat de cure de sevrage ou d’abonnement à un journal, lorsque chaque numéro est accompagné d’un élément d’une maquette à monter. Il reste aujourd’hui que les contrats à exécution successive font l’objet d’un traitement spécial en droit des procédures collectives . Les créanciers dont les créances résultent d'un contrat à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues, même si elles ne sont pas nées (C. com., art. L. 622-24 al. 6 231) et donc a fortiori si elles ne sont pas exigibles. D'après l'article R. 622-22 du Code de commerce 232, il faut distinguer : lorsque le contrat à exécution successive a été conclu antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, les créanciers dont les créances, nées régulièrement après le jugement d’ouverture autres que les créances de la procédure, résultent d’un contrat à exécution successive déclarent leurs créances, pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d’une évaluation ; lorsque le contrat est conclu postérieurement à ce jugement, les créanciers déclarent leurs créances pour la totalité des sommes échues et à échoir, sur la base d’une évaluation, dans un délai de deux mois à compter de la première échéance impayée, qu’elle ait été ou non régularisée. Enfin, on peut se demander si le principe de la prohibition des engagements perpétuels est a priori insusceptible de s’appliquer aux contrats à exécution instantanée, aux contrats dont la durée n’est pas une composante233...

32 Contrats conclus intuitu personae et contrats non conclus intuitu personae. Certains contrats sont conclus en considération de la personne du cocontractant, les contrats conclus intuitu personae, d’autres non. Ainsi, en général, une personne donnera tel bien à son enfant parce qu’il est son enfant alors que telle personne vendra sa voiture à telle autre, peu important qui elle est.

En réalité, les choses ne sont pas si simples. L’expression « intuitu personae », comme de nombreuses formules latines, a le mérite de la concision, mais présente le défaut de l’approximation. Qu’est-ce qu’un contrat conclu intuitu personae, conclu en considération de la personne ? Est-ce un contrat conclu en considération de l’identité civile d’une personne, de telle(s) de ses qualité(s), de son patrimoine ? Existe-t-il des contrats qui soient conclus sans égard pour aucune de ces considérations ? Parce que tout dépend évidemment des circonstances, il est regrettable que des contrats comportent une clause se bornant à affirmer que le contrat est, ou n’est pas, conclu intuitu personae234. Il conviendrait de préciser en considération de quoi exactement une personne s’est engagée envers une autre.

On le mesure bien à la lueur des intérêts du contrat conclu intuitu personae. Le contrat conclu intuitu personae est nul en cas d'erreur sur les qualités essentielles du contractant (C. civ., art 1134 235 ) et caduc en cas de décès ou de disparition du cocontractant (C. civ., art 1186 al. 1 236 ). On dit parfois qu'un tel contrat est incessible, mais en réalité la cession de contrat étant toujours subordonnée à l'autorisation du cédé (C. civ., art 1216 al. 1 237), le régime des contrats intuitu personae ne présente pas de spécificité.

Aménagements conventionnels Il faut distinguer des actes qui ne font que rappeler la loi, ceux qui, en plus de constituer un authentique contrat, renvoient aux dispositions de la loi130. Un tel renvoi peut poursuivre plusieurs objectifs. Primo, le renvoi peut avoir pour effet de soumettre le contrat à des règles qui ne sont pas applicables131 ou qui ne le sont pas encore132. Une telle soumission est possible, sauf à ce qu’elle emporte éviction de règles d’ordre public normalement applicables133. Secundo, le renvoi peut avoir pour effet de rappeler les règles applicables au contrat. Un tel rappel n’est pas rare lorsque le contrat est établi par un tiers-rédacteur, qui pourra ainsi se ménager la preuve qu’il avait correctement informé les parties de leurs droits et obligations. Il convient néanmoins de prendre garde à ce que la seule reproduction de la loi sera parfois insuffisante, lorsque son sens et sa portée méritent d’être explicités134. Tertio, le renvoi peut avoir pour effet d’incorporer au contrat les règles applicables. Ceci pourrait de prime abord étonner dans la mesure (i) où les règles impératives s’imposent de toute façon aux parties et (ii) où les règles supplétives s’imposent à elles pareillement dès lors qu’elles n’ont pas été écartées. Pour comprendre l’intérêt d’une telle incorporation, il faut envisager le cas de règles (supplétives ou impératives) qui viendraient à disparaître de l’ordre juridique, en raison de leur abrogation notamment. Si ces règles n’ont pas été incorporées au contrat, elles ne régiront plus les relations futures des parties alors que si elles l’ont été, elles les régiront, comme n’importe quelle clause contractuelle.

Point sensible : de la distinction des contrats aléatoires et des contrats comportant un aléa Tout contrat, en ce qu’il a vocation à déployer ses effets dans l’avenir et en ce qu’il s’appuie sur une certaine représentation d’un état des choses au moment où il est conclu, comporte de nombreux aléas : les cocontractants se sont-ils engagés sur la base d’exactes représentations ? Les conditions se réaliseront-elles ? À quel moment les termes viendront à échéance ? Quelles obligations devront être exécutées et quelles garanties seront mises en œuvre ? Exécuteront-elles leurs obligations ? Comment les exécuteront-elles ? Que réserve le hasard ? On prendra garde à ne pas qualifier d’aléatoire tout contrat dès lors que le résultat escompté par une des parties est susceptible de ne pas être atteint. On en saurait soutenir qu’un contrat mettant à la charge d’une partie une obligation de moyens170 est un contrat aléatoire dans la mesure où l’obtention du résultat attendu n’est pas certaine. Un cas particulier mérite d’être mentionné, celui des contrats qui libèrent une partie des risques qu’elle doit normalement supporter. C’est le cas des contrats passés « aux risques et périls d’une partie », en particulier de la vente dite « aux risques et périls » de l’acheteur. Si l’on passe sur l’ambiguïté de cette expression (encore que l’article 1629 prévoit expressément que « le vendeur, en cas d’éviction, est tenu à la restitution du prix, à moins que l’acquéreur (...) n’ait acheté à ses périls et risques »171), en réalité, ces contrats ont pour particularité de renverser la charge des risques, en raison d’une suppression des garanties normalement dues en vertu de la loi. C’est la raison pour laquelle, en principe, la conclusion de telles opérations ne devrait être possible que lorsque les garanties écartées ne sont pas d’ordre public172. Ne faut-il pas réserver en tout état de cause la qualification de contrat aléatoire aux contrats pour lesquels le risque s’est concrétisé au jour de la conclusion du contrat, notamment parce qu’il existe un litige sur la propriété du bien vendu (cession de droits litigieux) ou sur la qualité du bien vendu (vente d’une œuvre dont l’authenticité est contestée) ?

Droit spécial : des contrats d’assurance-vie mixtes Traditionnellement les contrats d’assurance-vie étaient tous de véritables contrats d’assurance, c’est-à-dire de véritables contrats aléatoires. On distinguait alors les contrats d’assurance « en cas de décès » garantissant le risque de décès avant une certaine date moyennant des primes perdues en cas de survie à l’échéance, des contrats d’assurance « en cas de vie » garantissant le risque de survie au-delà d’une certaine date, moyennant des primes perdues en cas de décès avant l’échéance. Les premières ont pour objectif d’assurer à la famille du défunt des moyens de subsistance (capital ou rente) en cas de décès de l’assuré et les secondes ont pour objectif d’assurer à l’assuré des moyens de subsistance (capital ou rente) de l’assuré en cas de survie, souvent pour financer sa retraite. Avec le temps, les compagnies d’assurances se sont mises à proposer la conclusion de contrats d’assurance « mixte », dans lesquels, moyennant versement de primes, l’assureur s’engage à reverser soit à l’assuré lui-même s’il est encore en vie, soit aux bénéficiaires désignés par lui s’il est décédé entre-temps, les sommes versées capitalisées et augmentées d’intérêts. L’assuré étant certain que les primes versées ne seront pas perdues, il s’agit de contrats de capitalisation, la seule incertitude tenant à l’identification de la personne qui bénéficiera du reversement. S’agit-il de véritables contrats d’assurance, de contrats aléatoires, ou de contrats commutatifs (l’enjeu était de savoir, s’il s’agissait d’actes à titre gratuit, de libéralités178) ? Pour des raisons d’opportunité économique179 , dans quatre arrêts rendus en chambre mixte le 23 novembre 2004, la Cour de cassation a considéré que « le contrat d'assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1, 1 et R. 321-1, 20 du Code des assurances et constitue un contrat d'assurance sur la vie » 180. Cette solution est, en droit, peu justifiée : on peine à voir en effet en quoi dans de tels contrats « les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain », dès lors que les primes ne sont jamais versées à fonds perdu. Le seul aléa concerne l’identité du destinataire du versement, mais il ne s’agit pas d’un aléa affectant les « avantages » et les « pertes » qui résulteront du contrat.

Droit spécial : de la régularisation prévue ou de la régularisation exclue En droit des sociétés , la régularisation est parfaitement admise. S'agissant des sociétés en général, il est prévu qu'en « cas de nullité d'une société ou d'actes ou délibérations postérieurs à sa constitution, fondée sur un vice de consentement ou l'incapacité d'un associé, et lorsque la régularisation peut intervenir, toute personne, y ayant intérêt, peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l'opérer, soit de régulariser, soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (art. 1844-12 al. 1). Et s'agissant des sociétés commerciales, il est mentionné que si « les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution » (C. com., art. L. 210-7 al. 2). En droit des libéralités, il est prévu en contrepoint qu’en « cas de vice de forme, une donation entre vifs ne peut faire l’objet d’une confirmation. Elle doit être refaite en la forme légale »188 et qu’« [a]près le décès du donateur, la confirmation ou exécution volontaire d’une donation par les héritiers ou ayant cause du donateur emporte leur renonciation à opposer les vices de forme ou toute autre cause de nullité » (art. 931-1). Sont exclues ce faisant, tant la confirmation que la régularisation.

Droit spécial : de l’action préventive en droit de la consommation En droit de la consommation, les associations de défense des consommateurs peuvent, au titre de l'action dite « préventive », demander au juge d'ordonner « la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d'exécution. » (C. consom., art. L. 621-8. La Cour de cassation a décidé que l’action préventive pouvait être exercée contre un organisme proposant un modèle de contrat de location saisonnière aux bailleurs et locataires, tout en restant tiers au contrat, au motif que « l'action préventive en suppression de clauses illicites ouverte aux associations agréées de défense des consommateurs a vocation à s'appliquer aux modèles types de contrats destinés aux consommateurs et rédigés par des professionnels en vue d'une utilisation généralisée »204. Cette solution crée un hiatus entre l’action collective, qui peut être intentée par l’association de défense des consommateurs contre le tiers, et l’action individuelle, qui ne peut être intentée que si et seulement si le contrat conclu lie un professionnel à un consommateur...

Point sensible : de l’impossibilité de distinguer le principal de l’accessoire et de la nécessité d’un contrôle clause par clause Il est une difficulté commune aux définitions retenues par l’Ordonnance et la Loi de ratification. Parce qu’il est impossible en pratique de distinguer le principal de l’accessoire, parce que l’abus réside la plupart du temps dans le déséquilibre des clauses accessoires et qu’en tout état de cause l’objet principal du contrat et l’inadéquation du prix à la prestation sont hors de portée du contrôle du juge222, parce qu’on ne voit pas pourquoi toute clause obscure imposée par une partie à une autre ne s’interpréterait pas contre la première... ... Le juge sera peut-être invité à dépasser la lettre du texte et à privilégier une approche clause par clause sans égard à la qualification préalable du contrat223, ce qui pourrait d’ailleurs être l’approche retenue en droit des pratiques restrictives de concurrence224. Ainsi, chaque fois qu’une clause aura été imposée par une partie à une autre, elle devrait s’interpréter contre son auteur et pouvoir faire l’objet d’un contrôle au titre du déséquilibre significatif. Il reste, et c’est une donnée très importante, que le fait que le contrat ait été ou non « dans l’ensemble » négocié est un élément majeur pour déterminer s’il y a déséquilibre significatif. Ainsi, lors de la vérification d’un éventuel déséquilibre causé par une clause qui n’était pas négociable, il faudra tenir compte des concessions éventuellement faites lors de la négociation des clauses négociables ou du simple fait que d’autres clauses étaient négociables, même si elles n’ont pas été négociées. Toutes les clauses négociables doivent être prises en compte, même celles qui portent sur l’objet principal du contrat ou l’adéquation du prix à la prestation. De fait, ce n’est pas parce que ces clauses sont hors du contrôle du juge qu’elles ne peuvent pas rétablir un équilibre du contrat menacé par telle ou telle clause suspectée de créer un déséquilibre significatif.

Aménagements conventionnels Rédiger une clause d’intuitu personae est difficile, pour plusieurs raisons. Primo, il convient de déterminer la personne en considération de laquelle le contrat est conclu. Cela suppose, lorsque le contrat est conclu avec une personne morale, de déterminer si c’est en considération de la personne morale, de sa holding, de ses dirigeants ou associés (etc.), qu’il l’est. Secundo, il convient de déterminer si c’est en considération de l’identité de la personne et/ou de telle(s) de ses qualités que le contrat est conclu. Un contrat conclu avec une personne physique peut l’être intuitu personae alors que l’identité de cette dernière est indifférente, à la différence de certaines de ses qualités : solvabilité, réputation, nationalité, etc. De même, un contrat conclu avec une personne morale peut aussi l’être intuitu personae alors que sa raison ou sa dénomination sociale, ou encore son numéro SIREN, sont parfaitement indifférents. Tertio, lorsque le contrat est conclu avec une personne morale, et en particulier en considération de la personne de ses dirigeants ou de ses associés, la question se pose du sort, d’un point de vue technique, du contrat en cas de changement de dirigeants ou d’associés. En principe, le contrat sera caduc. Il est néanmoins souvent stipulé en pratique qu’il sera résolu, ce qui suppose nécessairement l’inexécution d’une obligation. Mais laquelle ? Le départ de dirigeants ou d’associés pouvant leur être imposé ou procéder de leur choix, techniquement, pour parler de résolution, il faudrait prévoir que la personne morale s’engage à maintenir tels dirigeants ou associés et à se porter fort238 qu’ils se maintiendront. Tout cela peut paraître artificiel...

Chapitre 2 - La formation du contrat

Plan

33 Localisation. Au sein du Code civil, c’est le chapitre II du sous-titre Ier consacré au contrat, intitulé « La formation du contrat », qui comprend quatre sections, la première section portant sur « [l]ar conclusion du contrat », la deuxième section sur « [l]a validité du contrat », la troisième, sur « [l]a forme du contrat », et la quatrième, sur « [l]es sanctions ».

34 Un processus. Il est ici question de s’interroger uniquement sur le processus de formation du contrat : la manière, le moment et la forme de la rencontre des consentements des parties. Peu importe à ce stade que le contrat ait été valablement formé. On envisagera plus tard l’étude des conditions de validité du contrat mentionnées à l’article  1128 C. civ. 239 ainsi que celles de la nullité et de la caducité240.

C’est en revanche dans ce chapitre que l’on étudiera la forme de la rencontre des consentements, pour la double raison que la forme est intimement liée au processus de rencontre des consentements et qu’elle participe autant de l’existence que de la validité du contrat.

35 Plan. Un contrat se forme par la rencontre des consentements des parties (section 1). La période antérieure est envisagée par le Code civil dans la sous-section 1, intitulée « Les négociations » (section 2).

Section 1 - La période antérieure à la rencontre des consentements

36 Plan. Jusqu’à la réforme, la période antérieure à la rencontre des consentements n’était pas prévue et réglementée par le Code civil, qu’elle donne ou non lieu à des négociations du contrat projeté. Cette période est gouvernée par la liberté contractuelle (§ I), laquelle connaît toutefois connaît des limites générales (§ II).

§ I - Le principe de liberté

37 Liberté de contracter et de ne pas contracter. En vertu du principe de liberté contractuelle, une personne est libre de contracter ou non et donc d’engager ou non des négociations, avec qui elle veut.

38 Les négociations (ou pourparlers). Il est fréquent que la conclusion d’un contrat soit précédée de négociations. La liberté domine en droit commun cette période, les parties étant libres dans les manières de conduire les négociations et de les rompre à tout moment.

Droit spécial : de l’obligation de ne pas contracter ou de contracter En premier lieu, il est parfois interdit à une personne de contracter avec une autre. C’est le cas en général lorsque la loi établit une incapacité spéciale de jouissance dans telle hypothèse241 . Au-delà, il existe des cas particuliers. Ainsi un crédit immobilier au sens du Code de la consommation « n'est accordé à l'emprunteur que si le prêteur a pu vérifier que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ce contrat » (C. consom., art. L. 313-16. En second lieu, il est parfois interdit à une personne de refuser de contracter avec une autre. Primo, le refus de vente entre un professionnel et un consommateur est interdit (C. consom., art. L. 121-11 al. 1 242). Entre professionnels, la question du refus de vente a connu une importante évolution. Sanctionné pénalement par une loi du 21 octobre 1940 relative à la législation sur les prix et par l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique, puis dépénalisé par l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, il a finalement été autorisé par la loi n° 96-588 du 1 er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre dans les relations commerciales, dite Loi Galland. Si les raisons d’être de la prohibition du refus de vente étaient diverses, il s’agissait surtout de tenir compte du contexte de pénurie et des réticences des fournisseurs à distribuer leurs produits aux grands distributeurs qui commençaient à apparaître. Ces raisons ayant disparu, en principe un fournisseur peut refuser de vendre ses produits à un acheteur. Toutefois, le refus de vente est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle sanctionnable243. Secundo, importée des États-Unis244, la théorie des infrastructures essentielles, reçue par le droit européen245 et le droit national246 de la concurrence constitue également une atteinte très importante à la liberté contractuelle. L’infrastructure essentielle est celle qui est indispensable à un opérateur économique souhaitant fournir un service ou un produit sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel se trouvent ces infrastructures247, en ce sens qu’il n’existe pas pour lui de « solutions alternatives économiquement raisonnables »248 ou de « substitut réel ou potentiel »249 : ce sont des biens corporels – équipements permettant l’acheminement et le stockage du carburéacteur dans un aéroport250, installations portuaires pour transbordeurs de passagers et de véhicules251, hélistation252, accès à une boucle de télécommunication253, etc. – ou incorporels – outil statistique d’échantillonnage destiné à permettre des études de marché254, le répertoire SIRENE255, grille des programmes d’une chaîne de télévision256, etc. À moins qu’il puisse justifier de considérations objectives257, l’opérateur détenant l’infrastructure essentielle a l’obligation d’en permettre l’accès aux autres opérateurs à des conditions équitables et non discriminatoires258, dès lors qu’il est en situation de monopole ou de position dominante259, qu’un tel accès est possible260, et qu’un refus risquerait d’entraîner une élimination de la concurrence261. Le refus d’accès à l’infrastructure essentielle ne sera sanctionné que s’il fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs262 ou s’il constitue une entrave au développement technique au préjudice du consommateur263. Si l’atteinte portée au droit de propriété et à la liberté contractuelle est manifeste, les autorités de concurrence estiment qu’elle est justifiée et, partant, non excessive, en raison des conditions qui sont posées264. Tertio, en vue de lutter contre le pouvoir de marché de certains opérateurs économiques, le droit de la concurrence – encore lui ! – a développé un outil, les injonctions structurelles, qui portent atteinte au droit de propriété, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle. L’injonction structurelle permet à une autorité de concurrence de contraindre un opérateur économique à modifier sa structure, le cas échéant en cédant certains de ses actifs. S’agissant du droit des pratiques anticoncurrentielles, ce pouvoir est reconnu de manière générale en droit de l’Union européenne à la Commission par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [devenu 101 TFUE] et 82 [devenu 102 TFUE] du traité265 et en droit français depuis l'ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (ECN +), à l'article L. 464-2 du Code de commerce. Dès avant, le législateur français était allé encore plus loin en insérant dans le Code de commerce un nouvel article L. 752-27 concernant le commerce de détail dans certains territoires ultramarins. Lorsqu'une entreprise ou un groupe d'entreprises en position dominante exerce une activité de commerce de gros ou de détail et que des préoccupations de concurrence s'élèvent en raison de prix ou de marges élevés, l'Autorité de la concurrence peut leur faire part de ses « préoccupations » et, en l'absence d'engagements de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence, leur enjoindre « de modifier, de compléter ou de résilier (...) tous accords et tous actes par lesquels s'est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges » et « de procéder à la cession d'actifs si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective ». L'ensemble du dispositif repose sur l'idée qu'il faut mettre un terme à des « préoccupations de concurrence » dues à des « prix ou (...) marges élevés ». Mais est-ce bien là l'objet du droit de la concurrence que d'intervenir en l'absence de « restrictions de concurrence »266 ? En tout état de cause, le dispositif, tel qu’il a été repris et aménagé dans la Loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, a été jugé conforme à la liberté d’entreprendre par le Conseil constitutionnel, compte tenu notamment de la situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie267. Dans sa décision no 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Conseil constitutionnel a sanctionné une disposition de la loi qui permettait à l’Autorité de la concurrence de prononcer, sous certaines conditions, en France métropolitaine, des injonctions structurelles imposant la modification des accords ou la cession d’actifs d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, en cas d’existence d’une position dominante et de détention d’une part de marché supérieure à 50 % par cette entreprise ou ce groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail. Précisément, l’Autorité de la concurrence aurait pu, aux termes de la disposition litigieuse, enjoindre à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé ne pouvant excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique s’étant traduit par des prix ou des marges élevés et qu’elle pouvait, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder, dans un délai ne pouvant être inférieur à six mois, à la cession d’actifs, y compris de terrains, bâtis ou non. La censure a été prononcée au motif qu’il est porté « tant à la liberté d’entreprendre qu’au droit de propriété une atteinte manifestement disproportionnée au regard du but poursuivi »268. Finalement, l’injonction structurelle a pour effet de remettre en cause la concurrence par les mérites et surtout de sanctionner ceux qui ont – trop bien ? – réussi : l’atteinte portée au droit de propriété paraît excessive et de nature à décourager les stratégies d’expansion des acteurs économiques269.

Aménagements conventionnels Spécialement dans les relations d’affaires, les négociations peuvent durer un certain temps et donner lieu à la remise d’informations sensibles entre les parties. C’est pourquoi il est fréquemment conclu un contrat les encadrant : le contrat définit comment celles-ci devront être conduites, en prévoyant le cas échéant des obligations d’exclusivité, de confidentialité, etc. L’intitulé de « contrat de négociation » doit être préféré à d’autres, peu évocateurs (« accord de principe », « protocole d’accord », etc.). Les règles relatives à l’inexécution des obligations contractuelles s’appliquent bien évidemment en cas de méconnaissance des obligations stipulées dans le contrat de négociation. Il pourrait être opportun de stipuler à cet égard une clause d’indemnisation forfaitaire270 (clause pénale) afin d’éviter toute discussion sur le préjudice réparable et d’inciter chaque partie de respecter ses obligations. Toutefois, en application du principe de liberté contractuelle, la conclusion d’un contrat de négociation ne préjuge pas de la conclusion du contrat projeté. Les négociations peuvent toujours être rompues, conformément aux règles de droit commun par l’une des parties271.

Droit spécial : de l’encadrement légal de la conduite des négociations En droit de la distribution, la loi encadre très précisément les négociations entre fournisseurs et distributeurs. Ainsi, les « conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale »272, ce qui signifie que le contenu du contrat qui sera conclu entre le fournisseur et le distributeur doit donc être négocié à partir de la proposition du fournisseur qui figure dans ses conditions générales273. Ces conditions générales voient leur contenu défini par la loi, puisqu’elles doivent comprendre « le barème des prix unitaires », « les éventuelles réductions de prix » et « les conditions de règlement »274. Dans le cadre d’une négociation commerciale, elles doivent être en principe transmises au distributeur, suivant les produits en cause, dans un certain délai afin que la convention dite récapitulative soit conclue avant une certaine date bien précise275.

§ II - Les limites générales

39 Plan Au cours des négociations, les parties sont tenues par un devoir de bonne foi (A) et du devoir de confidentialité (B). Par ailleurs, elles sont tenues, dans la perspective de la conclusion d’un contrat, d’obligations précontractuelles d’information (C). Enfin, le libre choix du cocontractant connaît également certaines limites (D).

A - Le devoir de bonne foi

40 Un devoir légal d’ordre public . Les contrats « doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (C. civ., art 1104 al. 1). Par ailleurs, l'« initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles », s'ils « sont libres », « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi » (C. civ., art 1112 al. 1). Il s'agit donc d'un devoir d'ordre public.

41 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Généralités. À l’occasion des négociations, le devoir de bonne foi, s’il se manifeste à tout moment et à maints égards276, fait surface le plus souvent à l’occasion de la rupture de celles-ci lorsqu’elle est décidée unilatéralement par une des parties. Si, en principe, toute personne ayant entamé des négociations a le droit de les rompre, l’abus dans l’exercice de ce droit est une faute et oblige son auteur à réparer le préjudice subi par l’autre en vertu des règles de la responsabilité civile extracontractuelle277.

Avant la réforme de 2016, l’état du droit résultait d’un arrêt Manoukian rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 novembre 2003278 . Consacrant cette solution, la loi prévoit désormais que la « faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages » (C. civ., art 1112 al. 2) 279. Tant la faute que le préjudice appellent des observations.

42 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Faute. La faute qu’il s’agit ici d’envisager ne consiste pas dans la violation d’une obligation visée par un texte spécial : manquement au devoir de confidentialité280, manquement à l’obligation précontractuelle générale d’information281, etc. Il est question d’envisager ici les fautes commises par celui qui a rompu les pourparlers et qui peuvent être diverses : une partie a entamé ou prolongé282 les négociations sans intention de contracter, notamment pour éviter que son partenaire négocie avec autrui ; elle a fait preuve d’une légèreté blâmable283 ; elle a caché un élément important rendant la conclusion du contrat aléatoire, par exemple la nécessité d’obtenir un financement284 ; elle a fait croire jusqu’au dernier moment à la conclusion du contrat et s’est brutalement ravisée285. Une question régulièrement posée aux tribunaux est de déterminer si celui qui rompt les pourparlers commet un abus si la rupture n’est pas motivée. Même si la jurisprudence antérieure à la réforme manquait de clarté, il en ressort néanmoins que lorsque les pourparlers étaient très avancés, et la décision de les rompre, brusque, cette décision devait être justifiée par des motifs légitimes286. En tout état de cause, la Cour de cassation a estimé dans l’arrêt Manoukian que rien n’interdit – sauf clause d’exclusivité – pour une partie en pourparlers de contracter avec un tiers : « le simple fait de contracter, même en connaissance de cause, avec une personne ayant engagé des pourparlers avec un tiers ne constitue pas, en lui-même et sauf s’il est dicté par l’intention de nuire ou s’accompagne de manœuvres frauduleuses, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur ».

43 Manquement au devoir de bonne foi dans les négociations. Préjudice . Lorsque la rupture est fautive, l'auteur de la rupture doit réparer le préjudice de la victime, sachant qu'en tout état de cause, l'auteur de la rupture ne pourra se voir imposer la conclusion forcée du contrat. Le préjudice ne comprend « ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages » (C. civ., art 1112 al. 2). La victime sera donc, pour l'essentiel, indemnisée pour les pertes subies en raison des négociations (ex. frais de négociations)287, non du gain qu’elle aurait tiré de la conclusion du contrat (ex. plus-value du bien qu’elle comptait acquérir et revendre immédiatement). Quant à la perte de chance de la victime d’avoir pu conclure un contrat avec un tiers, elle devrait être possible, comme elle l’était sous l’empire du droit ancien288. En tout état de cause, conformément aux règles du droit commun de la responsabilité, le préjudice est souverainement apprécié par les juges du fond289.

Point sensible : de la cohérence de la jurisprudence ? Seuls les dommages causés par la faute commise doivent donner lieu à réparation290. Il convient donc, dans une approche casuistique, d’identifier les types de fautes et de s’interroger sur les dommages qui en sont résultés. On envisagera trois cas. Cas n° 1 : une personne engage des pourparlers en sachant très bien qu’elle ne conclura jamais de contrat avec l’autre partie, en raison de quoi elle rompra à un moment ou à un autre les pourparlers. À la suite de la rupture, tous les frais de négociation engagés par cette dernière doivent être indemnisés car si la première s’était comportée raisonnablement, elle n’aurait jamais entamé de pourparlers et les frais engagés ne l’auraient pas été. Il devrait en aller de même de la perte de chance d’avoir conclu le contrat avec un tiers, encore qu’on puisse en discuter si la victime n’était pas tenue par un engagement d’exclusivité dans les négociations. Cas n° 2 : une personne engage des pourparlers avec l’intention de conclure un contrat avec l’autre partie, mais se rend compte plus tard qu’elle ne le désire plus, tout en poursuivant néanmoins les pourparlers qu’elle finira par rompre. Tous les frais de négociation engagés par la victime de la rupture mais seuls les frais engagés après le moment où l’auteur de la rupture avait renoncé à conclure le contrat doivent être indemnisés. En effet, si l’auteur de la rupture s’était comporté raisonnablement, il n’aurait pas poursuivi les pourparlers et les frais auraient cessé d’être engagés. Il en va de même de la perte de chance d’avoir conclu le contrat avec un tiers si cette chance a été manquée postérieurement à la faute commise par l’auteur de la rupture (sous la même réserve que précédemment, en l’absence d’engagement d’exclusivité). Cas n° 3 : une personne engage des pourparlers avec l’intention de conclure un contrat avec l’autre partie, mais se rend compte plus tard qu’elle ne le désire plus, et rompt aussitôt, « brusquement », les pourparlers, sans motif légitime. C’est le cas le plus difficile. En effet, la brutalité de la rupture ne constitue ni « la cause des frais [de négociation] »291 ni la cause de la chance perdue d’avoir conclu un contrat avec un tiers292. Ne faudrait-il pas même saluer l’auteur de la rupture d’y avoir mis fin le plus rapidement possible ?293 Certes, moralement, il pourrait apparaître choquant de laisser l’auteur de la rupture s’en tirer sans rien devoir à l’autre partie et l’on pourrait être tenté de le condamner à indemniser cette dernière de la perte de chance de conclure le contrat294. Il reste que l’évaluation d’un tel dommage est en pratique très difficile et qu’elle porte atteinte en théorie à la liberté contractuelle, précisément à celle de ne pas contracter. C’est pourquoi, en fin de compte, on pourrait préférer retenir l’impunité de l’auteur de la rupture295. La victime devra donc subir les risques de la négociation avortée (de même que l’auteur qui lui aussi pourrait avoir engagé des frais et perdu des occasions) en raison de l’absence d’atteinte à l’un de ses droits : le droit au contrat n’existe pas en droit français !

B - Le devoir de confidentialité

44 Truisme . Celui « qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun » (C. civ., art 1112-2. Cette disposition est mal formulée. D'une part, toute information, même confidentielle, peut être utilisée par la partie qui se la voit remettre lors des pourparlers (sinon, on ne la lui remettrait pas...). D'autre part, qu'une information ne puisse être divulguée sans autorisation est un truisme.

Droit spécial : du secret des affaires La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires296 a introduit dans le Code de commerce un nouveau titre V (« De la protection du secret des affaires ») au sein du livre I. Le secret d’affaires est défini et fait l’objet d’une protection particulière, sous réserve de certaines exceptions297, en cas d’utilisation ou de divulgation illicite. Le secret d’affaires est défini comme « toute information répondant aux critères suivants : 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret »298. Il pourrait s’agir par exemple du savoir-faire d’un franchiseur, transmis à ses franchisés. Il y a utilisation ou divulgation illicite du savoir-faire lorsque la divulgation est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui l’a obtenu de manière illicite299 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation300, peu important à cet égard que l’obligation dont s’agit découle de l’obligation de confidentialité qui lie les parties aux pourparlers ou des obligations d’un contrat d’ores et déjà conclu301. Celui à qui a été divulgué de manière illicite un secret d’affaires et qui l’utilise ou le divulgue, agit également de manière illicite302. L’obtention, la divulgation ou l’utilisation illicite d’un secret d’affaires engage naturellement la responsabilité civile de son auteur303. À cet égard, la loi fixe la manière d’évaluer les dommages-intérêts304. La victime peut, en plus ou à la place des dommages-intérêts, obtenir « toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte »305, tels que l’interdiction des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires, la destruction ou remise de tout élément contenant le secret des affaires, la destruction ou la confiscation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires, etc. Le juge peut également ordonner toute mesure de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires306. En contrepoint, des garanties procédurales ont été prévues afin d’assurer, en cours de procédure, le maintien du caractère « secret » du secret des affaires307. En cas de recours dilatoires ou abusifs d’une prétendue victime, celle-ci pourra être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant est plafonné à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts et, en l’absence de demande de dommages et intérêts, à 60 000 €308.

Aménagements conventionnels Deux séries d’aménagements peuvent être envisagées au sujet des informations confidentielles. En premier lieu, les parties ont tout intérêt à préciser, soit dans le contrat de négociation éventuellement conclu, soit dans le document renfermant l’information elle-même, celles des informations qui sont confidentielles (et, le cas échéant, la manière dont elles pourront être utilisées ou divulguées). À défaut, on peut toutefois penser que certaines informations sont confidentielles par nature. En second lieu, la sanction de l’inexécution de l’obligation de non-utilisation ou de non-divulgation consistera probablement dans la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de son auteur en l’absence d’un contrat de négociation, et de la responsabilité contractuelle en présence d’un contrat de négociation et en cas de manquement à l’une de ses clauses, ce qui permettra de mettre en œuvre des clauses destinées à régir l’inexécution contractuelle (clauses d’indemnisation forfaitaire, limitative de responsabilité, etc.). Le rapport au président de la République est en ce sens : la « responsabilité sera en principe de nature extracontractuelle, sauf aménagement conventionnel de cette phase de négociation et de sa rupture ».

C - Les obligations précontractuelles d’information

45 Plan. Il est crucial de distinguer plusieurs obligations précontractuelles d'information : l'obligation générale précontractuelle d'information de droit commun qui pèse sur celui qui sait quelque chose (1) et les obligations précontractuelles d'information de droit spécial qui pèsent sur telle personne en raison de sa qualité, de celle de son cocontractant, ou encore du contrat projeté, indépendamment du point de savoir si celui qui doit informer connaît l'information qu'il doit à l'autre (2). Techniquement différentes, ces obligations d'information se cumulent : le créancier d'une obligation spéciale d'information est également créancier de l'obligation générale d'information.

1 - L’obligation générale précontractuelle d’information de droit commun qui pèse sur « celui qui sait quelque chose »

46 Plan. L’obligation précontractuelle d’information est prévue à l’article 1112-1 :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Il s’agit d’une obligation précontractuelle en ce qu’elle est due avant que les parties ne consentent au contrat. Pour l’essentiel, la réforme de 2016 a consolidé la jurisprudence antérieure, tout en apportant des précisions. L’idée générale est que celui qui connaît une information déterminante du consentement de l’autre doit, dans certaines limites – on n’est pas obligé de tout dire à l’autre –, l’en informer avant que ce dernier ne consente. Ce devoir doit être précisé quant à son domaine (a) et à son régime (b).

47 Observation liminaire : portée de l'article 1112-1 . On s’intéresse dans la grande majorité des cas à la méconnaissance de l’obligation précontractuelle d’information lorsqu’un contrat a par la suite été conclu . Il se peut néanmoins qu'une partie ait fait le choix de ne pas conclure un contrat parce que l'autre ne lui délivrait pas les informations qu'elle devait lui délivrer. Est-il possible alors pour celle qui a renoncé à la conclusion du contrat pour ne pas avoir été suffisamment informée de rechercher la responsabilité de l'autre et d'obtenir indemnisation de son préjudice ? La réponse doit être positive, car il y a bien eu méconnaissance d'une obligation et un préjudice en est résulté. Et ce d'autant plus que, ce faisant, le rétenteur d'informations a manqué plus généralement à son devoir de se comporter de bonne foi (C. civ., art 1104.

a - Domaine

48 C. civ., art 1112-1 al. 1 à 3 . Le domaine de l'obligation précontractuelle d'information est circonscrit par les trois premiers alinéas de l'article 1112-1 Distinguons le domaine ratione personae du ratione materiae de cette obligation.

49 Domaine ratione personae. Est débiteur de cette obligation, toute personne qui connaît une information. Parce que toutes les personnes sont visées, sont concernés tant les professionnels que ceux qui ne le sont pas309. Parce que seules les personnes qui connaissent une information sont débitrices, on ne pourra reprocher à une partie de ne pas avoir informé l’autre alors qu’elle ne connaissait pas l’information litigieuse, même si cette ignorance était illégitime310 . Par où l'on voit que cette obligation d'information se distingue des autres multiples obligations précontractuelles prévues par des lois spéciales pour des contrats spéciaux (CCH, art. L. 271-4 pour la vente d'immeubles bâtis 311 , C. com., art. L. 330-3 pour certains contrats de distribution 312, etc.)313. En effet, dans toutes ces hypothèses, le débiteur doit informer le créancier alors même qu’il ignorerait les informations en question : c’est pourquoi il doit s’informer pour informer... Il reste que la jurisprudence pourra tempérer cette exigence en considérant qu’au vu des circonstances, telle personne ne pouvait ignorer tel élément (fiction) ou bien que telle personne était présumée connaître tel élément (présomption)314. En tout état de cause, si le législateur veut être certain que tel type d’information soit délivré dans telle situation (au regard de la qualité des parties et de l’objet du contrat notamment), il doit établir un devoir spécial d’information en ce sens, sans compter sur le devoir général de l’article 1112-1.

Est créancier de cette obligation, celui qui ignore légitimement une information mais aussi celui qui fait légitimement confiance à son cocontractant.

S’agissant, d’une part, de l’ignorance, elle doit être légitime. C’est qu’il pèse sur chacun un « devoir de vigilance »315 qui s’exprimait jadis en droit de la vente par l’adage Emptor debet esse curiosus (l’acheteur se doit d’être curieux)316. Ainsi considère-t-on en général que chacun doit connaître ce que tout le monde connaît317 et recueillir les informations facilement accessibles pour un coût raisonnable318. L’appréciation du caractère légitime de l’ignorance appelle une appréciation au moins en partie in concreto. Compte tenu notamment de l’objet du contrat et de la qualité des parties, l’ignorance sera considérée comme étant ou non légitime.

S’agissant, d’autre part, de la confiance légitime du créancier dans son cocontractant, on peut être réservé. En effet, il est difficile d’accepter qu’une personne qui ignorait de manière illégitime une information puisse se plaindre de ne pas avoir été informée par celui à qui elle faisait légitimement confiance. Et puis, dans quels cas peut-on ou non faire légitimement confiance à autrui ? Probablement doit-on interpréter cette disposition comme suit : l’ignorance du créancier devrait toujours être légitime mais le caractère « légitime » sera apprécié différemment suivant la nature de la relation et le sera plus souplement lorsque la relation traduit une « convergence des intérêts »319 : mandat, société, fiducie, etc. En tout état de cause, malgré les doutes que peut suggérer la référence à la « confiance légitime », on peut y voir l’écho en législation de la jurisprudence Vilgrain qui met à la charge du dirigeant social320 qui acquiert les droits sociaux d’un associé un devoir de loyauté renforcé321 et dont il est peu probable qu’elle ait été abandonnée par le législateur322.

50 Domaine ratione materiae. L’obligation précontractuelle d’information est cantonnée semble-t-il à des renseignements objectifs et ne porte pas sur des conseils323 ou des mises en garde324. En effet, le terme « information » doit être entendu dans son sens strict, compte tenu notamment de son étendue très large.

Il ressort de l’article 1112-1 que seules les informations remplissant deux conditions doivent être dispensées.

La première condition est subjective : seule l’information déterminante du consentement de l’autre doit être dispensée, c’est-à-dire l’information qui, si elle est donnée, conduira celui qui la reçoit soit à ne pas contracter soit à le faire à des conditions différentes. Il convient néanmoins de relever, au moins en droit de la consommation, que lorsque le défaut d’information porte sur des « éléments essentiels » du contrat, la Cour de cassation semble présumer le caractère déterminant du consentement du consommateur325.

La seconde condition est objective : sont dues les informations qui ont un « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties »326 à l’exception de celle portant sur « l’estimation de la valeur de la prestation »327. On s’aperçoit ainsi que l’information doit porter sur les seuls éléments – le contenu du contrat et la qualité des parties – qui sont de nature à constituer le siège d’une erreur cause de nullité328 – ce qui explique d’ailleurs que l’information n’ait pas à porter sur la valeur de la prestation, l’erreur sur la valeur n’étant pas une cause de nullité329. La référence au « contenu du contrat » ne sera probablement pas entendue restrictivement comme ne visant que ses stipulations, mais comme renvoyant aussi à ce sur quoi porte le contrat (ex. la chose faisant l’objet de la vente). Supposons que soit vendu un appartement avec une vue sur mer. Qu’il soit ou non indiqué dans l’acte que l’appartement ait une vue sur mer (une telle indication est une hypothèse d’école) doit être tenu pour indifférent, si le vendeur sait que la vue est compromise en raison d’un projet de construction330.

51 Portée de l’obligation générale précontractuelle d’information. Il est évidemment matériellement impossible pour une personne de donner toutes les informations qui ont un lien, même direct et nécessaire, avec le contenu du contrat ou la qualité des parties et qui sont déterminantes du consentement du cocontractant. De fait, nul ne peut savoir tout ce que l’autre partie ignore et tout ce qui est déterminant pour elle.

Si l’on voit dans l’obligation d’information une manifestation du devoir de bonne foi, on pourrait considérer qu’une personne ne doit délivrer que les informations dont elle sait (ou dont elle doit savoir) qu’elles sont ignorées de l’autre et dont elle sait (ou dont elle doit savoir) qu’elles sont déterminantes du consentement de ce dernier (voire celles dont on ne peut ignorer qu’elles le sont). Il s’agirait donc de sanctionner celui qui, intentionnellement, n’a pas informé l’autre et celui qui ne pouvait pas ignorer qu’il devait l’informer. Il n’est toutefois pas acquis qu’une telle solution s’impose : si l’article 1137 alinéa 2 prévoit que « [c]onstitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »331, l’article 1112-1 ne comporte pas une telle formule, puisqu’il indique seulement que « [c]elle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Aménagements conventionnels Il est parfaitement envisageable de faire déclarer aux parties dans une clause ce qui n’est pas déterminant de leur consentement (ex. la présence de pesticides sur la propriété achetée). Ce faisant, elles ne pourront invoquer par la suite une méconnaissance du devoir d’information. Bien entendu, une telle clause devra être sincère, sauf à constituer une fraude qui sera tenue en échec en cas de contentieux.

b - Régime

52 Preuve . Il appartient à celui qui s'en prétend créancier de rapporter la preuve que les conditions d'application de l'article 1112-1 sont réunies, et au débiteur de rapporter la preuve qu'il a informé le créancier (C. civ., C. civ., 12-1 al. 4) 332. Concrètement, si une personne agit en responsabilité ou en nullité en soutenant qu’elle n’a pas été informée, elle devra dans un premier temps tenter de rapporter la preuve que l’information litigieuse lui était due et, si elle y parvient, l’autre partie devra, dans un second temps, tenter de rapporter la preuve que cette information avait été délivrée.

54 Valeur impérative . Les parties « ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (C. civ., art 1112-1 al. 5). Que ce devoir d'information soit d'ordre public se comprend d'autant plus qu'il est fondé sur le devoir de bonne foi, lui-même d'ordre public (C. civ., art 1104 al. 2). Toutefois, parce qu'une règle impérative ne l'est qu'autant qu'elle est applicable, le caractère impératif de l'obligation d'information n'interdit pas de faire déclarer - sincèrement - à telle partie que tel élément n'est pas déterminant de son consentement 334.

56 Sanctions de l’inexécution . Outre « la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat (...) » (C. civ., art 1112-1 al. 6).

S’agissant de l’annulation du contrat, elle est possible dès lors que les conditions posées pour l’annulation pour vice du consentement sont réunies338.

Quant à la responsabilité du débiteur, elle est toujours encourue, peu important que les conditions de l’annulation pour vice du consentement soient réunies339. En effet, par hypothèse, le créancier aura subi un préjudice car l’information non délivrée était « déterminante » de son consentement. Tout au plus peut-on réserver le cas où l’information, déterminante lors de la conclusion du contrat, ne le serait plus au moment où le créancier entend invoquer l’inexécution de l’obligation d’information pour obtenir une indemnisation. Il y a tout lieu de penser que le débiteur du devoir d’information engagera aussi sa responsabilité sur le fondement de ce texte si, n’ayant pas rempli son devoir, l’autre partie a refusé de conclure le contrat340.

Aménagements conventionnels Parce qu’il appartient au débiteur de rapporter la preuve qu’il a bien informé le créancier, il est important de reproduire dans l’acte ou dans une annexe les déclarations effectuées à ce titre par le débiteur. Quid de la clause, le plus souvent insérée par le débiteur de l’obligation d’information, suivant laquelle telle partie déclare avoir été parfaitement informée ? S'agissant du devoir général d'information (C. civ., art 1112-1, on peut être dubitatif. Comment une partie peut-elle attester avoir été informée de tout ce qui était déterminant de son consentement alors que nul n'est à même lorsqu'il s'engage de pouvoir faire une liste de tout ce qui est déterminant de son consentement. Il n'est que de penser à une vente à l'occasion de laquelle le vendeur reste muet sur un élément important et si peu fréquent qu'il était légitime pour l'acheteur de ne pas y avoir pensé (ex. installation prochaine d'une usine dans le voisinage immédiat d'une maison de campagne). S’agissant des devoirs spéciaux d’information, les choses se présentent différemment. Une partie peut en principe attester avoir reçu les informations énumérées par la loi. Il reste que la jurisprudence333, quoique n’étant pas d’une clarté absolue, semble ne voir dans pareille attestation qu’un indice dès lors qu’elle est souvent contenue dans une clause de style.

Point sensible : des informations secrètes Comment régler la difficulté dans laquelle se trouve une personne qui connaît des informations qui devraient être délivrées à l’autre en vertu de l’article  1112-1 C. civ., mais qui a l’interdiction de le faire ? Probablement convient-il de distinguer suivant la cause de l’interdiction. Si l’interdiction découle d’un texte335, on pourrait considérer que ce texte spécial, incompatible avec le texte général, l’emporte et autorise le sachant à contracter sans informer son partenaire. Si l’interdiction découle d’un contrat conclu avec un tiers ou d’une négociation antérieure avec un tiers à l'occasion desquelles des informations confidentielles ont été délivrées, par application du principe de la force obligatoire des contrats (C. civ., art 1103 336 ) et de l'interdiction de divulguer des informations confidentielles (C. civ., art 1112-2 337), le « sachant » serait a priori enfermé dans un dilemme s’il contracte, soit qu’il méconnaisse son devoir d’information, soit qu’il le respecte en violant les droits d’un tiers... Ne faut-il pas considérer, comme précédemment, qu’il puisse contracter sans informer l’autre ?

2 - Les obligations spéciales précontractuelles d’information

55 Idée générale. En raison de l’asymétrie d’information qui existe entre ceux qui s’apprêtent à contracter, la loi considère parfois que telle personne doit, en toute circonstance, informer telle autre. Peu importe que le débiteur de l’information connaisse réellement l’information ; il doit la connaître, ce pour quoi il devra souvent s’informer pour informer l’autre partie.

56 Inventaire à la Prévert. Il est impossible d’énumérer toutes les obligations spéciales précontractuelles d’information. On se contentera d’en relever parmi les plus importantes.

Le droit de la consommation est particulièrement riche. Le titre Ier (« Information des consommateurs ») du livre Ier (« Information des consommateurs et pratiques commerciales ») du Code de la consommation prévoit une obligation générale d’information341, une information sur les prix et conditions de vente342, une information sur les conditions sociales de fabrication des produits343, ainsi que la remise de contrats types sur demande du consommateur344. Toujours en droit de la consommation, le législateur a prévu pour certains contrats, notamment les contrats de crédit, des obligations d’information supplémentaires345.

En réalité, on retrouve encore de nombreuses obligations d’information spéciales dans toutes les branches du droit : droit immobilier (ex. vente d’un immeuble bâti346, d’un lot de copropriété347, d’une installation classée348), droit de la distribution (ex. contrat de distribution avec engagement d’exclusivité et mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle349), etc.

57 Distinctions. Les différentes obligations d’information se distinguent à plusieurs titres.

En premier lieu, quant à leur mise en œuvre : tantôt l’information fait l’objet d’un document remis au créancier un certain temps avant la conclusion du contrat (ex. contrat de distribution avec engagement d’exclusivité et mise à disposition de signes de ralliement de la clientèle350), tantôt elle fait l’objet de mentions dans l’acte (ex. vente de fonds de commerce351), tantôt l’information n’obéit à aucune exigence de forme particulière (ex. obligation générale d’information précontractuelle du droit de la consommation352).

En deuxième lieu, le plus souvent la loi se borne à exiger du débiteur de l’obligation d’information qu’il donne au créancier certains renseignements objectifs. Ainsi, en matière de vente, conseiller, c’est informer l’acheteur « quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue »353. Ratione personae, on considère en général que le vendeur, si et seulement s’il est professionnel, est tenu de conseiller l’acheteur. Il en est tenu « envers un client dépourvu de toute compétence en la matière »354, peu importe qu’il soit profane ou professionnel355. Et si ce devoir cesse envers l’acheteur compétent, de même spécialité, il perdure envers un acheteur non compétent, même accompagné d’un vendeur de même spécialité356. Ratione materiae, le devoir de conseil était traditionnellement cantonné aux choses complexes, mais il a été étendu avec le temps à toutes choses357. Il arrive que le législateur attende davantage du débiteur lorsqu’on l’oblige à conseiller voire à mettre en garde le créancier, sachant que ces obligations ont été dégagées par la jurisprudence, avant, pour certaines d’entre elles, d’être consacrées par la loi. En matière de crédit immobilier, la loi prévoit désormais que « le prêteur ou l’intermédiaire de crédit met en garde gratuitement l’emprunteur lorsque, compte tenu de sa situation financière, un contrat de crédit peut induire des risques spécifiques pour lui »358.

En troisième lieu, les obligations spéciales d’information diffèrent encore quant à leurs sanctions. Elles consistent certes le plus souvent dans la nullité en cas de vice du consentement359 et dans la responsabilité en cas de préjudice. Mais d’autres sanctions sont parfois édictées. Ainsi, la méconnaissance de l’obligation générale d’information précontractuelle du Code de la consommation est sanctionnée par une amende administrative360, de même que l’information sur les prix et conditions de vente361. D’ailleurs, ces sanctions spéciales ne sont pas exclusives d’une action en nullité en cas de vice du consentement. En comparaison, la méconnaissance de l’obligation d’information des actionnaires avant la tenue d’une assemblée n’est sanctionnée que par une nullité facultative de l’assemblée362.

D - Le choix du cocontractant

58 Limites générales et particulières. Si le principe de liberté contractuelle implique la faculté de choisir son contractant, il connaît une limite générale et plusieurs limites spéciales.

59 Limite générale : l’interdiction des discriminations . La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 363 prohibe toute discrimination directe ou indirecte notamment dans l’accès aux biens et services ou dans la fourniture de biens et services. D’après son article 1 :

« Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».

Autrement dit, il n’est pas possible de procéder à des discriminations visées par cette loi lorsque l’on vend un bien ou lorsque l’on fournit un service.

60 Limites particulières : la préférence. Certains mécanismes, dits de préférence, permettent à une personne, si elle le désire, de bénéficier d’une priorité dans la conclusion du contrat ou de se substituer au cocontractant avec qui une partie a d’ores et déjà contracté. La préférence peut être prévue par la loi ou par un contrat.

61 Limites particulières : la préférence légale. Lorsque le droit de préférence est prévu par la loi, il est d’usage de parler de droit de préemption. Par exemple, le locataire titulaire d’un bail d’habitation bénéficie d’un droit de priorité dans l’acquisition de l’immeuble loué368, de même que les communes le peuvent, dans certains cas se substituer à l’acquéreur d’un immeuble ou d’un fonds de commerce369.

62 Limites particulières : la préférence contractuelle. Lorsque la loi n’a pas prévu de droit de priorité au bénéfice d’une partie, un contrat ou la clause d’un contrat a pu en prévoir un : c’est le pacte de préférence, prévu et réglementé à l’article 1123. Le pacte de préférence est « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle se déciderait de contracter » (al. 1).

S’agissant des sanctions encourues en cas de violation du pacte, il est prévu que « [l]orsqu'un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi » et que « [l]orsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu » (al. 3).

En premier lieu, et en toute hypothèse, lorsqu’un contrat a été conclu en violation du pacte, le bénéficiaire peut donc obtenir la réparation du préjudice subi. Il le peut évidemment auprès du débiteur du pacte, auteur d’une inexécution contractuelle, mais aussi du tiers qui se serait rendu complice, ce qui suppose en principe que soit rapportée la double preuve qu’il connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir371. Toutefois, (i) si le pacte figure dans un acte publié aux fins de l’opposabilité aux tiers, le tiers qui contracte avec le débiteur du pacte peut se voir reprocher une « faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur »372 et (ii) en cas de collusion frauduleuse ayant empêché le bénéficiaire d’exprimer sa volonté, la responsabilité du tiers n’est pas subordonnée à cette double preuve373.

En second lieu, lorsque le tiers avait connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier dispose également de la faculté d’agir en nullité du contrat (auquel il n’est pourtant pas partie) ou de demander sa substitution dans les droits du tiers. Par ailleurs, comme précédemment, en cas de collusion frauduleuse ayant empêché le bénéficiaire de se prononcer, la nullité ou la substitution devrait pouvoir être obtenue pour cette seule raison. On observera que la nullité374 sera préférée à la substitution notamment chaque fois que le débiteur du pacte aura conclu le contrat à des conditions non conformes à celles prévues par le pacte (par exemple, au prix de la vente projetée qui était d’ores et déjà fixé). Elle ne devrait cependant pas donner un droit subséquent au profit du bénéficiaire à la conclusion du contrat aux conditions éventuellement prévues dans le pacte : le débiteur du pacte n’a jamais émis une offre en ce sens375. Conformément aux règles de preuve, il appartient au bénéficiaire qui réclame une sanction de rapporter la preuve de la réunion de ces conditions. À cet égard, la double preuve de la connaissance du tiers de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, si elle est difficile à rapporter, n’est pas pour autant impossible376 ; elle est, en toute hypothèse, écartée en cas de collusion frauduleuse. Il reste que, de manière générale, il serait de bonne politique que la jurisprudence posât une présomption de connaissance par le tiers de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte lorsqu’il est acquis que ce tiers connaissait l’existence du pacte377.

La loi a institué une interpellation interrogatoire au bénéfice des tiers. Il est ainsi prévu que « [l]e tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir » et que « [l]'écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat ». Cette prérogative est dans l’intérêt du tiers et non dans celui du bénéficiaire, puisqu’elle n’est pour le tiers qu’une faculté (à moins que « peut » signifie « doit », ce qui serait pour le moins étonnant). Aussi bien elle offrirait au tiers qui l’exercerait un moyen d’éviter tout débat ultérieur sur sa mauvaise foi ou sur l’existence d’une collusion frauduleuse. Mais, en contrepoint, il ne semble pas que l’on puisse réputer de mauvaise foi le tiers qui connaîtrait l’existence du pacte ou en présumerait l’existence pour la seule raison qu’il n’aurait pas interrogé le bénéficiaire378, même si on peut le regretter. On observera que le délai laissé au bénéficiaire du pacte doit être fixé et raisonnable (la faculté d’interroger devra, comme toute prérogative, être exercée de bonne foi), ce qui s’appréciera au regard de l’opération envisagée et des modalités du pacte de préférence : vente d’un local d’habitation ou d’un fonds de commerce, péremption-priorité ou préemption-substitution, etc.

Une difficulté se présentera rapidement : l’exercice de l’interpellation interrogatoire par le tiers vaut-il purge du droit de préférence ? Ainsi, si le contrat est conclu avec le tiers sous condition du non-exercice du droit de préférence par le bénéficiaire et que celui-ci, interrogé par le tiers, dit ne pas vouloir s’en prévaloir, la condition est-elle levée ? En principe et a priori, la réponse doit être négative. En effet, le pacte prévoit souvent des règles de purge précises, de fond (comme la transmission d’une offre, d’un projet conclu avec un tiers, etc.) et de forme, auxquelles l’action interrogatoire, dont les contours sont définis par la loi, n’est pas soumise. D’ailleurs, le bénéficiaire ne sera pas toujours en mesure d’indiquer au tiers s’il entend ou non exercer son droit, tant que ne lui sont pas communiqués les éléments requis par le pacte en vue d’effectuer sa purge. En tout état de cause, la stipulation d’une clause de confidentialité dans le pacte de préférence ou dans un acte contenant ledit pacte ne saurait permettre à la personne interrogée de refuser de répondre ou de répondre par la négative tout en pouvant se prévaloir du pacte379 : l’essence du pacte de préférence est qu’il puisse être opposé aux tiers et ne le sont que les actes qui sont préalablement portés à leur connaissance... Aussi bien pourrait-il être opportun de prévoir soit que le pacte de préférence n’est pas confidentiel, soit, a minima, que son existence ne l’est pas.

Droit spécial : de la négociation commerciale et de la discrimination La Cour de cassation, s’inspirant d’anciens textes, avait défini la discrimination comme « le fait pour une entreprise de pratiquer ou d’obtenir à l’égard d’un partenaire économique des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou d’achat différents, sans justification par des contreparties réelles, de ceux négociés avec des concurrents du partenaire, créant de ce fait un désavantage ou un avantage dans la concurrence pour ce dernier »364. Les pratiques de discrimination ont été sanctionnées pénalement par un décret du 4 juin 1958 avant d'être dépénalisées par l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Les raisons d’être de la sanction des pratiques discriminatoires ont évolué : à l’origine, l’interdiction des discriminations avait pour but de protéger les grands distributeurs qui suscitaient la réticence des fournisseurs alors que par la suite, elle avait pour but de protéger les fournisseurs contre les grands distributeurs. Les économistes se sont montrés hostiles à une telle interdiction per se de discriminer : interdire la discrimination revient à limiter la négociation. C’est la raison qui a conduit le législateur à finalement autoriser les pratiques discriminatoires, par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). Toutefois, la discrimination est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle prohibée, ce qui peut être le cas des remises de fidélité accordées par une entreprise en position dominante365. Lorsque les pratiques discriminatoires étaient sanctionnées, la faculté reconnue à tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur d'avoir des conditions générales de vente « différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services » supposait que ces catégories soient « fixées par voie réglementaire en fonction notamment du chiffre d'affaires, de la nature de la clientèle et du mode de distribution » (anc. C. com., art. L. 441-6. Depuis que les pratiques discriminatoires ne le sont plus, une telle condition n'est plus posée. Le vendeur est donc libre de déterminer les catégories d'acheteurs : grossiste, revendeur de détail, GSA, cash and carry, vendeur à distance, etc. 366. Toutefois, depuis la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (Egalim 2), une nouvelle pratique restrictive est sanctionnée, consistant, s'agissant de produits alimentaires et produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, à « pratiquer, à l'égard de l'autre partie, ou d'obtenir d'elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles (...) en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ». Le sens et la portée de ce texte sont bien mystérieux : quelle frontière entre la libre négociation et la discrimination367 ?

Aménagements conventionnels Le terme « traiter » invite à préciser dans le pacte les contours de l’engagement pris par le débiteur. Le rédacteur peut à cet égard s’inspirer des différents droits de préemption reconnus en législation, dont les modalités sont très diverses. Pour l’essentiel, il s’agira de déterminer ce à quoi s’oblige le débiteur et à quel moment. À quoi s’oblige-t-il ? Selon les stipulations du pacte, le débiteur s’oblige à faire au bénéficiaire une proposition de contracter ferme (offre) ou non (invitation à entrer en pourparlers, qui permettrait au débiteur de renoncer à l’opération au cas où le bénéficiaire souhaiterait exercer son droit). S’il s’agit d’une offre, son contenu est-il d’ores et déjà fixé dans le pacte, est-il librement défini par le débiteur, est-il celui sur lequel il se sera accordé avec un tiers que le titulaire du droit de préférence aurait la faculté d’exclure en exerçant un droit de substitution370 ? À quel moment l’obligation du débiteur du pacte est-elle exigible ? Tout dépend là encore des clauses du pacte et l’on observera d’ailleurs que cette question est, d’une certaine manière, relative à l’objet de la préférence (spéc. préférence dans le bénéfice d’une offre ou dans le contrat). Si le pacte est muet, il doit être possible de faire auparavant une offre à un tiers, voire conclure une promesse avec lui, (sous condition suspensive de non-exercice de la préférence dans ce cas). Ce dernier cas sera d’ailleurs le processus normal en présence d’une préemption-substitution. Au-delà, il convient de faire preuve d’une grande minutie quant à la détermination de plusieurs éléments : le bien (ex. tout ou partie) qui forme l’assiette du pacte, les actes (ex. à titre onéreux, gratuit) et les droits qui en font l’objet (ex. propriété, démembrement), les actes interdits au débiteur (ex. conclusion d’un bail, constitution d’un droit réel), la durée de validité du pacte (ex. deux ans), les conditions de la notification (durée, modalités de paiement, etc.) qui sera éventuellement faite, ainsi que la durée pour réaliser la vente en cas d’exercice de la préférence, etc.

Section 2 - La rencontre des consentements

63 Plan. Il faut, pour que le contrat se forme, que les parties accordent leur volonté, que leurs consentements se rencontrent. Cette rencontre se fait suivant une certaine technique, question envisagée dans les sous-sections 2 à 4 de la section 1 (« La conclusion du contrat ») du chapitre Ier (« la formation du contrat ») (sous-section 1) et dans une forme en principe librement choisie par les parties, question envisagée dans la section 3 (« La forme du contrat ») du chapitre Ier (« la formation du contrat ») (sous-section 2).

Droit spécial : de l’acte passé par une société qui ne peut être partie Une « partie » est normalement une « personne », c’est-à-dire un sujet de droit. Lorsque le contrat a été « conclu » par une « partie » qui n’a pas la personnalité juridique, par principe, le contrat ne devrait pas exister, puisqu’il n’est possible d’imputer tel consentement à telle personne. Ce principe connaît toutefois des aménagements en droit des sociétés. En premier lieu, l’acte peut avoir été passé par des associés agissant au nom d’une société en formation avant son immatriculation380. Deux techniques permettent d’imputer un tel acte à la société, une fois formée381. D’une part, il existe une procédure dite de « reprise des engagements ». Cette situation est expressément envisagée par l’article 1843 : les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant son immatriculation sont liées par les contrats qu’elles ont passés, mais la société, une fois immatriculée, peut « reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci »382. D’autre part, il est fréquent en pratique de stipuler dans le contrat conclu entre les associés et un tiers une clause dite « de substitution », permettant aux associés de se substituer la société, une fois celle-ci formée. La mise en œuvre d’une telle clause dispense du respect de la procédure de reprise des engagements383 ; en particulier, l’acte n’a pas à être conclu « au nom de la société en formation ». En second lieu, l’acte peut avoir été passé par une société non immatriculée, et non par des associés agissant en son nom (hypothèse précédente). D’après la jurisprudence, un tel acte est nul, de nullité absolue384. Si la qualification d’« acte inexistant » peut apparaître de prime abord plus exacte, la solution de la nullité permet au cocontractant de la société qui s’est immatriculée entre-temps de faire exécuter le contrat, si l’action en nullité est prescrite385.

Sous-Section 1 - Les techniques de rencontre des consentements

64 Plan. Le contrat est « formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager » (C. civ., art 1113 al. 1 386) (§ I). Toutefois, la technique de conclusion du contrat est différente lorsque les parties ont conclu préalablement une promesse de contracter (§ II) ou ont échangé leurs conditions générales (§ III).

Droit spécial : de la portée de l’autorisation ou de l’agrément d’un tiers dans le processus de conclusion du contrat La loi exige parfois qu’un tiers (le juge, le conseil de famille, etc.) autorise la conclusion d’un contrat, ou le ratifie (voire l’homologue). On en trouve des illustrations dans plusieurs branches du droit : en droit de la famille387, en droit des procédures collectives388, notamment. Par ailleurs, la loi ou la convention des parties peuvent également prévoir un agrément d’une des parties. Ainsi le bailleur peut être amené à agréer le locataire cessionnaire si une clause du bail le prévoit389 et, de manière générale, le cédé doit donner son « accord » à la cession d'un contrat (C. civ., art 1216 390). La question de savoir si un contrat peut être conclu sous la condition de l’autorisation ou de l’agrément d’un tiers (cela ne fait pas de doute pour la ratification puisque, par hypothèse, le contrat a d’ores et déjà été conclu) sera abordée à l’occasion de l’étude de la condition dans le chapitre qui lui est consacré391.

§ I - L’acceptation d’une offre

66 Plan . Le contrat « est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager » (C. civ., art 1113 al. 1).

Si l’offre précède l’acceptation, le laps de temps qui s’écoule entre l’offre et l’acceptation peut être plus ou moins important, voire être quasi inexistant lorsque les parties s’accordent au moment de la signature d’un instrumentum.

Étudions l’offre (A), puis l’acceptation (B).

A - L’offre

66 Plan. Envisageons les conditions de l’offre (1) puis son effet (2).

1 - Conditions

67 Plan. Les éléments constitutifs de l’offre (a) doivent être distingués de ses caractères (b).

a - Éléments constitutifs

68 Fermeté et précision. L’offre « comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation » (C. civ., art 1114 392). Dit autrement, l’offre est une proposition de contracter qui doit être précise et ferme.

69 Proposition précise. L’offre doit être précise en ce qu’elle comporte tous « les éléments essentiels du contrat envisagé » c’est-à-dire les éléments essentiels à la validité du contrat projeté, que ceux-ci aient ou non été au préalable négociés ou déterminés unilatéralement par une partie. Ces éléments essentiels varient suivant le type de contrat dont la conclusion est offerte. Par exemple, une vente, pour être valable, suppose une chose et un prix déterminés, de sorte que l’offre de vente ne sera valable que si elle détermine la chose vendue et le prix de vente. Il existe un test pour déterminer si l’offre est suffisamment précise : un simple « oui » doit pouvoir valablement former le contrat envisagé.

Ce principe doit être assorti d’un double correctif.

En premier lieu, en vertu de règles spéciales, l’offre doit parfois comporter, pour être efficace, non seulement les éléments essentiels à la validité du contrat projeté, mais aussi des éléments accessoires. C’est très fréquemment le cas lorsqu’une personne est tenue de faire une offre à une autre en vertu d’un droit de préemption, voire d’un droit de préférence conventionnel (suivant la manière dont le pacte de préférence est rédigé). Pour ne prendre qu’un exemple, l’article 815-14 prévoit que l’indivisaire qui entend « céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir ». On voit bien que l’offrant est tenu de préciser dans son offre d’autres éléments que la chose et le prix.

En second lieu, en toute hypothèse, l’offre comporte en général d’autres éléments que les éléments essentiels, c’est-à-dire des éléments accessoires. Ainsi, dans une vente, l’offre énoncera souvent les modalités de paiement du prix, la date et le lieu de livraison, etc. D’ailleurs, le « projet contractuel » étant contenu dans l’offre dès lors que l’acceptation n’est qu’un simple acquiescement, l’offre devrait393 comporter, outre les éléments essentiels à la validité du contrat, la totalité des éléments du contrat.

70 Proposition ferme. L’offre est une proposition ferme de contracter en ce qu’elle exprime la volonté de son auteur d’être lié contractuellement en cas d’acceptation401. Si une proposition est assortie de réserves, il faut distinguer. N’est pas une offre la proposition de contracter assortie de réserves discrétionnaires : par exemple, Paul propose de vendre sa maison mais il doit encore réfléchir ou encore une banque peut faire une « offre » de crédit tout en se réservant la possibilité d’étudier le dossier des éventuels emprunteurs. En revanche, chaque fois que les réserves ne sont pas discrétionnaires, en ce qu’elles ne dépendent pas de la volonté de l’auteur de la proposition, on considèrera la proposition de contracter comme étant une véritable offre : ainsi constitue une véritable offre la proposition de contracter faite dans la limite des stocks disponibles ou encore la proposition faite par le prêteur sous réserve d’agrément du dossier par l’assureur402. On est alors souvent en présence d’un acte juridique affecté d’une condition.

Point sensible : des documents publicitaires (et les clauses d’intégralité) Comment le droit appréhende-t-il les éléments contenus dans des documents publicitaires ? Trois solutions générales sont concevables au regard des règles du droit des contrats394 : (i) tenir ces éléments pour indifférents, (ii) considérer que leur destinataire a pu contracter en en tenant compte (logique des vices du consentement) et (iii) considérer que ces éléments ont pu intégrer le contrat et obliger en conséquence leur auteur (logique de l’inexécution). En principe, dès lors que les documents publicitaires sont suffisamment précis395 et qu’ils ne vont pas au-delà d’une « exagération d’usage »396, la Cour de cassation ne semble pas les tenir pour indifférents. Ainsi lui est-il déjà arrivé de considérer que les documents publicitaires obligeaient leur auteur397. Mais le plus souvent elle considère que ces documents peuvent être à l’origine d’un vice du consentement chez leur destinataire398, à moins que le contrat comporte une clause aux termes de laquelle le consentement des parties n’a pas été donné en considération des éléments figurant dans le document publicitaire, conformément toujours à la logique des vices du consentement399. Toutefois, dès lors que le contrat conclu comporte une clause « d’intégralité » (dite encore « des quatre coins »), les documents publicitaires devraient être tenus pour indifférents. Comme toute clause, les clauses d’intégralités ne sont pas normalisées et sont donc en pratique stipulées en des termes différents. Mais elles ont, en général, un double objet. En premier lieu, elles interdisent aux parties ou au juge de se référer à la période précontractuelle pour interpréter ou définir le contenu du contrat. Elles ont donc naturellement pour effet d’écarter tout document publicitaire aux fins d’interprétation ou de délimitation du contenu du contrat. C’est ce que la Cour de cassation a jugé de la manière la plus claire qui soit400. En second lieu, elles circonscrivent le contenu du contrat à ce que l’écrit qui comprend la clause, renferme. Sur ce point, l’efficacité des clauses d’intégralité est peut-être moins assurée. Si ces clauses assurent à chaque partie que l’autre ne pourra prétendre qu’un acte antérieur comportait d’autres obligations, prérogatives et devoirs pour les parties, elles ne leur assurent pas qu’une partie n’invoquera pas un acte postérieur comportant d’autres obligations, prérogatives et devoirs... On peut probablement se prémunir d’un tel risque en stipulant une autre clause aux termes de laquelle l’acte ne pourra être modifié autrement que dans une certaine forme, notamment par écrit.

b - Caractères

71 Trois séries. Les différentes offres peuvent être distinguées en raison de leur(s) destinataire(s), de leur(s) durée(s) et de leur degré de spontanéité.

72 Destinataire(s) de l’offre. Ainsi que le prévoit l’article 1114, l’offre peut être adressée à une personne déterminée (Paul offre de vendre sa maison à Pierre) ou à personne indéterminée (Paul offre, par une « petite annonce » au public, de vendre sa maison)403. Dans le premier cas, le contrat sera formé par l’acceptation du destinataire désigné de l’offre ; dans le second, il le sera par l’acceptation du premier acceptant.

73 Durée(s) de l’offre. Deux délais. Non envisagée par le Code civil, la durée d’une offre appelle une distinction. Il convient en effet de distinguer le délai d’efficacité404 de l’offre de celui de son irrévocabilité.

74 Durée(s) de l’offre. Délai d’irrévocabilité. À compter du moment où elle parvenue à son destinataire405, l’offre ne peut plus être révoquée « avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable » (C. civ., art 1116 al. 1). C'est le délai d’irrévocabilité406. Que l’offre soit irrévocable est un des signes qu’elle est un engagement, un acte juridique407.

Quid si ce délai n’est pas respecté par l’offrant ? La loi indique que la rétractation de l’offre en violation de cette interdiction « empêche la conclusion du contrat » (C. civ., art 1116 al. 2), et qu'elle n'engage que « la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat » (C. civ., art. 1116 al. 3). Autrement dit, la rétractation est illicite et sanctionnée, mais efficace, en ce qu'elle empêche la conclusion du contrat. La situation du destinataire d'une offre n'est donc pas véritablement plus enviable que celle de la victime d'une faute commise à l'occasion des négociations, car dans ce cas aussi, « la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu » (C. civ., art 1112 al. 2) 408. Toute offre étant un engagement, sa violation aurait dû être assortie expressément d’une sanction plus énergique...

76 Durée(s) de l’offre. Délai d’efficacité. À l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, l’offre est « caduque », ce qui signifie qu'elle s'éteint (C. civ., art 1117 al. 1). C'est le délai d’efficacité.

À l’échéance de ce délai, point n’est donc besoin pour l’offrant de révoquer son offre, elle disparaît d’elle-même.

Avant même l’échéance de ce délai, l’offre est caduque en cas de décès ou d’incapacité de l’offrant ou de décès de son destinataire409 (C. civ., art. 1117 al. 2)410. Existe-t-il d’autres causes de caducité anticipée ? La question se pose notamment en cas d’incapacité du destinataire de l’offre. On peut hésiter : certes, seule est expressément prévue la caducité de l’offre en cas de décès de son auteur, cela ne l’est pas en cas d’incapacité de son destinataire mais, n’est-il pas opportun que l’offre faite à une personne capable disparaisse en raison d’un tel changement de contexte, ô combien important ? À la recherche d’éventuelles autres causes de caducité, on peut s’interroger sur le refus de l’offre ou d’une contre-offre . Si le refus de l'offre doit rendre celle-ci caduque car le destinataire a marqué sa volonté de ne pas l'accepter, la contre-offre (de laquelle on peut rapprocher « l'acceptation non conforme à l'offre » à laquelle se réfère l'article 1118 C. civ.) est d'analyse plus difficile : si celle-ci vaut nouvelle offre 411, le destinataire de l’offre a-t-il pour autant entendu refuser définitivement l’offre initiale ou cherche-t-il seulement à négocier, quitte à accepter l’offre initiale si son auteur n’entend pas négocier ?

76 Degré de spontanéité. Il est des offres qui sont faites de façon tout à fait spontanée, et d’autres, non. On désigne par ces dernières les offres qui sont faites dans un cadre préétabli plus ou moins précis : offre faite dans le cadre d’un pacte de préférence ou encore offre faite dans le cadre d’un appel d’offres, privé418 ou public419. Il s’agit dans tous les cas d’offres, mais elles s’insèrent dans un cadre juridique qu’il convient de respecter.

Aménagements conventionnels Si la loi distingue bien la question de l’efficacité de celle de l’irrévocabilité de l’offre, il semble que le délai raisonnable auquel elle se réfère à l’article 1116 (délai d’irrévocabilité) et à l’article 1117 (délai d’efficacité) soit le même dans les deux cas412. Il est néanmoins tout à fait envisageable de dissocier délai d’efficacité et d’irrévocabilité, de prévoir expressément que l’offre est à tout moment librement révocable413, la règle étant, faute de précision particulière, supplétive (ex. l’offre est efficace pour six mois mais révocable au bout d’un mois ; l’offre est efficace pour six mois mais révocable à tout moment ; l’offre est efficace pour six mois et irrévocable au cours de ce délai). Il est également possible de faire du délai d’irrévocabilité un délai de préavis (ex. l’offre pourra être révoquée à tout moment mais la révocation ne prendra effet que dix jours après qu’elle est parvenue à son destinataire).

Droit spécial : de quelques offres particulières Certaines offres présentent des singularités quant à leur régime. En premier lieu, le délai d’efficacité de certaines offres particulières relève d'un traitement circonstancié. Ainsi l'offre faite par voie électronique demeure efficace « tant qu'elle est accessible par voie électronique de son fait » (C. civ., art 1127-1 al. 2). Par ailleurs, en droit de la vente internationale de marchandises, une « offre verbale doit être acceptée immédiatement, à moins que les circonstances n'impliquent le contraire » (art 8 Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980). En deuxième lieu, la révocation414 d’une offre faite à personne indéterminée soulève un certain nombre d’incertitudes415. Probablement faut-il distinguer l’offre faite au public, c’est-à-dire à tous, de l’offre faite à toutes les personnes appartenant à un groupe déterminé (des salariés d’une entreprise par exemple). Si, à défaut de délai déterminé, un délai raisonnable semble s’imposer dans ce second cas, ne doit-on pas considérer que l’offre puisse être révoquée sans délai dans le premier416 ? En troisième lieu, si, en principe, une révocation fautive, avant terme, empêche la formation du contrat, en droit spécial, une telle révocation est parfois tenue pour indifférente et n’empêche pas, en cas d’acceptation, la formation du contrat. Ce devrait notamment être le cas chaque fois que la loi instaure un délai de réflexion interdisant au destinataire d’accepter l’offre avant un certain délai417 : on comprendrait mal que ce délai qui est dans l’intérêt du destinataire de l’offre et auquel il ne peut renoncer, se retourne contre lui, si l’offrant pouvait révoquer de manière illicite, mais efficacement, son offre....

2 - Effet : l’octroi d’un droit d’option

77 Prise d’effet : acte réceptice. L’offre est un acte réceptice en ce qu’elle lie son auteur au moment où elle parvient à son destinataire ; elle peut être rétractée « tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire » (C. civ., art 1115, conformément à la théorie de la réception.

La loi est en revanche muette sur la date de prise d’effet de la rétractation de l’offre. À ce sujet, il faut avoir à l’esprit qu’un acte juridique engage et plus généralement produit effet parce qu’il a été voulu et parce qu’il est parvenu à son destinataire chez qui il a suscité des attentes420. C’est ainsi que l’acceptation peut être librement rétractée tant qu’elle « n’est pas parvenue à l’offrant », et que l’efficacité de cette rétractation suppose que la rétractation « parvienne à l’offrant avant l’acceptation »421 (C. civ., art 1118: de fait, lorsque l'acceptation parvient à l'offrant, le contrat est techniquement formé (C. civ., art 1121. Il convient de retenir des règles identiques au sujet de l'offre : d'une part, elle ne peut être librement rétractée que « tant qu'elle n'est pas parvenue à son destinataire » (C. civ., art 1115 et, d'autre part, l'efficacité de cette rétractation suppose que la rétractation parvienne au destinataire avant l'offre 422. Certes, l’argument suivant lequel un contrat serait techniquement formé est sans objet mais, en tout état de cause, la rétractation de l’offre, même faite antérieurement à sa réception, trahirait les attentes de l’acceptant, dès lors qu’elle est reçue postérieurement à l’offre.

78 Pouvoir du destinataire de l’offre de former le contrat. Le ou les destinataire(s) d’une offre bénéficie(nt) d’un droit d’option : celui de former ou non le contrat. C’est un droit dont le destinataire de l’offre bénéficie sans contrepartie puisqu’il n’a pris par hypothèse aucun engagement. Le seul moyen dont bénéficie une personne de monnayer le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat est de conclure un contrat préparatoire avec le bénéficiaire d’un droit d’option : c’est la promesse unilatérale de contrat423.

B - L’acceptation

79 Plan. Il convient d’envisager les conditions de l’acceptation (1) puis son effet (2).

1 - Conditions

80 Fermeté et univocité. L’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. Celle-ci doit être ferme et univoque.

L’acceptation n’a pas à être précise , comme doit l'être l'offre. C'est que tout est dit, par hypothèse, dans l'offre. L'acceptation n'est qu'acquiescement. En revanche, si l'acceptation n'est pas conforme à l'offre en ce qu'elle ajoute, retranche, ou modifie, elle « est dépourvue d'effet, sauf à constituer une offre nouvelle » (C. civ., art 1118 al. 2). En somme, l'acceptation est le miroir de l'offre.

81 Fermeté. L’acceptation doit être ferme. En principe, l’acceptation doit être, comme l’offre, dépourvue de réserves discrétionnaires424. Mais il semble aussi qu’elle doive être dépourvue de toute réserve, même non discrétionnaire. En effet, le destinataire de l’offre ne saurait imposer par exemple une condition à son acceptation, si l’offrant ne lui a pas proposé : ce serait une contre-offre.

82 Univocité. L’acceptation doit être univoque. L’adhésion peut revêtir différentes formes, pourvu qu’elle ne soit pas univoque : elle peut résulter d’un écrit (bon de commande), d’un geste (on lève la main aux enchères), d’un comportement (le commencement d’exécution du contrat).

Une question classique est de savoir si le silence vaut acceptation. Dans le prolongement de la jurisprudence antérieure à la réforme425, la loi prévoit que le silence « ne vaut pas acceptation, à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières » (C. civ., art 1120. Ce n'est donc qu'exceptionnellement que le silence, normalement équivoque, vaut donc acceptation, parce qu'il est alors univoque. Si, en principe, « qui ne dit mot refuse », dans certains cas, « qui ne dit mot consent » 426. La loi en prévoit trois. D’abord, les cas où la loi ou l’usage, notamment professionnel, prévoit que le silence gardé par une partie vaut acceptation. Ensuite, en cas de relations d’affaires antérieures entre les parties qui se sont traduites par la conclusion répétée de contrats de même nature sans acceptation formelle, le silence vaudra acceptation ; ce n’est plus l’usage professionnel, mais l’habitude des parties qui ôteront au silence son équivoque427. Enfin, des circonstances particulières peuvent ôter au silence son caractère équivoque : en cas d’offre faite dans le seul intérêt du bénéficiaire par exemple428, mais pas seulement429. En toute hypothèse, l’accomplissement d’un « fait actif » n’est pas exigé de la part de celui qui a conservé le silence430.

83 Moment. L’acceptation doit être faite tant que l’offre est efficace, avant que cette dernière ne soit caduque.

Mais quid tant que la cause de caducité n’est pas connue du destinataire de l’offre ? Une offre pourrait-elle par exemple être acceptée entre la survenance du décès ou de l’incapacité et la connaissance de cet événement par le destinataire de l’offre431 ? L’analogie avec les dispositions relatives au mandat conduirait à y répondre par l’affirmative. En effet, si l’article 2003 prévoit que le mandat prend fin par « la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire », l’article 2008 précise que si « le mandataire ignore la mort du mandant ou l’une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu’il a fait dans cette ignorance est valide ». Mais cette dernière disposition n’a-t-elle pas pour objet, sinon pour effet, de protéger les tiers ?

2 - Effet : la formation du contrat

84 Formation du contrat. L’acceptation forme le contrat : l’offre et l’acceptation, deux actes unilatéraux, se mêlent au point de disparaître et de donner naissance à un contrat.

85 Rétractation de l’acceptation . Le contrat étant conclu « dès que l'acceptation parvient à l'offrant » (C. civ., art. 1121), c'est à cet instant qu'elle produit son effet. C'est pourquoi, d'une part, l'acceptation peut être librement rétractée tant qu'elle « n'est pas parvenue à l'offrant », et, d'autre part, l'efficacité de cette rétractation est subordonnée au fait que la rétractation « parvienne à l'offrant avant l'acceptation » (C. civ., art 1118: dès lors que l'acceptation est parvenue à l'offrant, le contrat est techniquement formé (C. civ., art. 1121) et, en tout état de cause, la rétractation de l'acceptation, même faite antérieurement à sa réception, trahirait les attentes de l’offrant, dès lors qu’elle a été reçue postérieurement à l’acceptation.

86 Cas particulier d’un délai rétractation et de réflexion, cooling off period. Aux termes de l’article  1122 C. civ., la « loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion, qui est le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ou un délai de rétractation, qui est le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement »432.

Parce que le temps fait réfléchir et que la conclusion de certains contrats présente un certain degré de gravité, des lois spéciales exigent en effet parfois le respect d’un délai de réflexion ou d’un délai de rétractation. Ces délais sont le plus souvent reconnus par des dispositions qui sont d’ordre public. Tant et si bien qu’il n’est pas possible d’y renoncer433. Le consentement donné avant l’échéance d’un délai de réflexion aura donné lieu à un contrat nul434, le cocontractant ne pouvant s’y opposer en offrant de démontrer l’intégrité du consentement donné prématurément435. On rencontre des difficultés d’un autre ordre en présence d’un délai de réflexion. Le droit immobilier en témoigne : si celui qui s’apprête à acquérir un immeuble bâti en concluant une promesse bénéficie à certaines conditions d’un délai de rétractation qui court après l’accomplissement de certaines formalités et la remise de certains documents, comment régler le sort de l’acte définitif de vente si le délai n’a pas été purgé ou l’a mal été ? Un délai de rétractation qui n’a jamais commencé à courir court-il indéfiniment ?436

Quant aux délais qui seraient prévus par contrat, on ne conçoit guère qu’il puisse s’agir de délais de réflexion449 ; en revanche, la stipulation de délais de rétractation, de clauses de dédit, est en pratique commune.

La clause de dédit doit être distinguée de la clause permettant de rompre de manière anticipée un contrat à durée déterminée. Alors que la première instaure un droit de rétractation qui ne devrait jouer qu’avant que le contrat n’ait commencé à être exécuté, la seconde offre un droit de rupture avant terme d’un contrat en cours d’exécution. La distinction n’est cependant pas toujours nette : tantôt la jurisprudence assimile la clause de rupture anticipée à une clause de dédit et tantôt elle requalifie même la clause de rupture anticipée en clause pénale en raison du montant de l’indemnité stipulée, ce qu’elle se refuse de faire en présence d’une authentique clause de dédit450.

La validité d’une clause de dédit n’est pas en principe subordonnée à la stipulation d’une indemnité, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation451. Toutefois, une faculté de dédit qui ne serait reconnue qu’à une partie et qui ne serait pas assortie d’une indemnité pourrait participer à la création d’un déséquilibre significatif sanctionné dans certains cas452. En tout état de cause, le bénéficiaire du dédit peut y renoncer453.

En toute hypothèse, l’exercice du droit de rétractation et l’absence d’acceptation à l’issue du délai de réflexion sont en principe discrétionnaires (au fond) et n’ont pas à être motivés (sur la forme). Toutefois, la faculté de se rétracter, comme toute faculté, est susceptible d’abus454 et l’on conçoit que la faculté de rétractation puisse être subordonnée à tel motif (au fond) et ait à être motivée (sur la forme).

La question se pose de savoir si un contrat peut être exécuté avant l’échéance du délai de rétractation. Par principe, la réponse doit être négative, dès lors le contrat n’est pas parfaitement formé. La faculté de mettre fin à un contrat après qu’il a commencé à être exécuté constitue en réalité une faculté de résiliation. Il reste que le législateur permet parfois l’accomplissement de certains actes participant d’un début d’exécution du contrat455.

87 Intérêts de la détermination du moment de la formation du contrat. La détermination du moment de la formation du contrat importe à plusieurs égards : la rétractation de l’acceptation n’est plus possible car un contrat a vu le jour, de nombreux délais commencent à courir, notamment des délais de prescription, la loi applicable est en principe celle en vigueur à ce moment, et c’est à ce moment encore qu’est déterminé le lieu où demeure le consommateur en vue de désigner la juridiction compétente458.

88 Intérêts de la détermination du lieu de la formation du contrat. La détermination du lieu de formation du contrat importe moins. Traditionnellement, en droit international privé, la forme des contrats était soumise à la loi du lieu de formation du contrat (locus regit actum). Mais le Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), prévoit dans son article 11 que, lorsque les parties se trouvent dans des pays différents, le contrat est « valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi d’un des pays dans lequel se trouve l’une ou l’autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion ou de la loi du pays dans lequel l’une ou l’autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là », ce qui fait perdre à la détermination du lieu de formation du contrat son intérêt. Le lieu de formation reste, de manière très résiduelle, important en vue de déterminer la juridiction compétente en matière prud’homale459.

89 Plan. La date et le lieu de formation du contrat ne font pas difficulté lorsque les deux cocontractants concluent le contrat en un même lieu et expriment leur consentement au même instant, chaque fois qu’il y a unité de lieu et de temps. Les choses sont plus compliquées lorsque cette unité de lieu et de temps n’est pas respectée, lorsque l’on est en présence d’un contrat entre absents, d’un contrat conclu à distance. Il existe un principe qui vaut pour tous les contrats (a), aménagé en présence d’un contrat électronique (b).

Droit spécial : de certains délais de rétractation et réflexion Un droit de réflexion ou de rétractation est reconnu le plus souvent au profit d’une partie non professionnelle qui s’apprête à conclure un contrat important. Le droit de la consommation reconnaît un droit de se rétracter au profit du consommateur qui a conclu un contrat à distance ou hors établissement437, un contrat conclu à distance portant sur des services bancaires, financiers et d’assurance438, un contrat de courtage matrimonial439, au profit de l’emprunteur qui a conclu un crédit à la consommation440 – cependant que celui qui a conclu441 ou renégocié442 un crédit immobilier bénéficie d’un délai de réflexion –, de même que celui qui a conclu un prêt viager hypothécaire443 ou qui a conclu avec un établissement privé dispensant un enseignement à distance444. En droit du travail, en cas de rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée, à « compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation »445. En droit de la famille, bénéficient d’un délai de réflexion ceux qui ont conclu une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire446. En droit immobilier, le non-professionnel bénéficie d’un délai de rétractation pour tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitation ou la vente d’immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière447 et il existe un délai de rétractation de 14 jours pour les contrats de jouissance d'immeuble à temps partagé448.

Droit spécial : de règles spéciales à certaines rétractations L’article  1590 C. civ. prévoit que « [s]i la promesse de vendre a été faite avec des arrhes chacun des contractants est maître de s’en départir, (al. 1) Celui qui les a données, en les perdant, (al. 2) Et celui qui les a reçues, en restituant le double. (al. 3) ». Les arrhes ne sont en réalité qu’une indemnité de dédit, versée dès la conclusion du contrat par l’acheteur. Dans la vente avec arrhes, le dédit est donc bilatéral, car le vendeur peut lui aussi se désengager, lui aussi en payant. L’article 214-1 du Code de la consommation prévoit d’ailleurs que « [s]auf stipulation contraire, pour tout contrat de vente ou de prestation de services conclu entre un professionnel et un consommateur, les sommes versées d’avance sont des arrhes (...) ». Et, de règle générale, dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, « sont présumées abusives (...) sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet [d'] (...) autoriser le professionnel à conserver des sommes versées par le consommateur lorsque celui-ci renonce à conclure ou à exécuter le contrat, sans prévoir réciproquement le droit pour le consommateur de percevoir une indemnité d'un montant équivalent, ou égale au double en cas de versement d'arrhes (...) si c'est le professionnel qui renonce » (C. consom., art. R. 212-2, 2 ). Autrement dit, si le consommateur bénéficie d'une faculté de dédit moyennant indemnité, si le professionnel peut se dédire, ce devra être également moyennant une indemnité équivalente.

Point sensible : de la renonciation à la rétractation Alors que la Cour de cassation avait jugé s’agissant du droit de rétractation reconnu par la Code de la construction de l’habitation qu’il n’était pas possible pour celui s’étant rétracté de renoncer à sa rétractation456, elle a jugé postérieurement le contraire s’agissant d’un droit de rétractation conventionnel457. Cette dernière décision est d’autant plus remarquable qu’elle se fonde sur l’ancien article 1134 alinéa 1 du Code civil posant le principe de la force obligatoire des contrats, tout comme les décisions antérieures. Cette dernière solution est critiquable. Primo, l’exercice du droit de rétractation emporte la destruction du contrat « en voie de formation », sans que l’on comprenne bien par quel miracle il serait possible de le faire « ressusciter ». Secundo, pourquoi la rétractation serait susceptible de renonciation, non les autres droits potestatifs ? Tertio, la solution est source d’une grave insécurité juridique (pour quelle durée, d’ailleurs ?) pour le cocontractant qui s’expose au repentir de celui s’étant rétracté. C’est la raison pour laquelle, si la jurisprudence devait se maintenir en l’état, il serait peut-être opportun de ne permettre qu’au cocontractant de celui s’étant rétracté de soutenir que ce dernier a renoncé à sa rétractation. En réalité, il conviendrait de considérer qu’à la suite de la rétractation et de l’anéantissement du contrat, un nouveau contrat a pu se former, le cas échéant tacitement, encore que si tel est le cas, ce nouveau contrat relèverait de tout droit de rétractation d’origine légale.

a - Le principe

90 Solutions envisageables. Pour l’essentiel, il existe quatre solutions envisageables : le moment ou le lieu où l’acceptant déclare accepter l’offre (thèse de la déclaration) ; le moment ou le lieu où l’acceptant expédie son acceptation (thèse de l’émission) ; le moment ou le lieu où l’offrant reçoit l’acceptation (thèse de la réception) ; le moment ou le lieu où l’offrant prend connaissance de l’acceptation (thèse de l’information). Il est d’ailleurs possible de retenir une thèse pour résoudre la question du moment et une autre pour résoudre celle du lieu.

91 Solutions retenues par le Code civil. Le législateur a apporté une réponse nette alors que la jurisprudence antérieure n’en offrait pas460. D’une part, « le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant » (C. civ., art 1121 461 et, d’autre part, il « est réputé être conclu au lieu où l’acceptation est parvenue » (ibid.)462.

92 Modes de communication de sa manifestation de volonté. L’offre comme l’acceptation peuvent être transmises par tout mode de communication.

La signification par voie d’huissier en constitue un excellent, dès lors qu’elle fait foi de sa date et de son contenu466.

La voie postale souffre en comparaison de certains handicaps : une lettre simple ne fait foi ni de son contenu ni de son envoi ou de sa réception et la lettre recommandée avec accusé de réception, si elle fait foi de son envoi et de sa réception, ne faisait traditionnellement pas foi de son contenu tel qu’allégué par l’expéditeur467. Il en va toutefois différemment aujourd’hui avec l’envoi recommandé électronique (CPCE, art. L. 100 s. et R. 53 s.468). Commençons par observer que l’« envoi recommandé électronique » est par principe « équivalent »469 à l’envoi par lettre recommandée dès lors qu’il satisfait à certaines exigences470. Constitue un « envoi recommandé électronique » la « lettre recommandée électronique »471. S’agissant de celle-ci, le processus commence par un envoi donnant lieu à la remise à l’expéditeur d’une preuve du dépôt électronique de l’envoi comportant certaines mentions, conservée au moins un an par l’expéditeur472. Le prestataire informe le destinataire, par voie électronique, qu’une lettre recommandée électronique lui est destinée – sans indication de l’identité de l’expéditeur – et qu’il a la possibilité, pendant un délai de quinze jours, d’accepter ou non sa réception473. Si le destinataire accepte la lettre, le prestataire la lui transmet, établit une preuve de la réception (comportant les mêmes mentions que la preuve de dépôt) par le destinataire des données transmises et du moment de la réception, et la conserve pour une durée d’au moins un an474. Mais si le destinataire refuse la lettre ou ne la réclame pas, le prestataire établit une preuve de ce refus ou de cette non-réclamation, qu’il met à disposition de l’expéditeur, et qu’il conserve pour une durée d’au moins un an475 . En toute hypothèse, le processus garantit à l'expéditeur une preuve du contenu de l'envoi. Enfin, en cas de retard dans la réception ou en cas de perte des données, la responsabilité du prestataire est celle de tout prestataire de services postaux du fait de la perte ou de l'avarie des envois postaux, autres que les colis, dont le régime est défini à l'article R. 2-1 du Code des postes et des communications électroniques 476.

Droit spécial : du cas très particulier de la donation La loi prévoit que la donation entre vifs « n’engagera le donateur, et ne produira aucun effet, que du jour qu’elle aura été acceptée en termes exprès » et que l’« acceptation pourra être faite du vivant du donateur par un acte postérieur et authentique, dont il restera minute ; mais alors la donation n’aura d’effet, à l’égard du donateur, que du jour où l’acte qui constatera cette acceptation lui aura été notifié » (C. civ., art 932 463). Interprétant cette disposition, la Cour de cassation considérait que la donation se formait à l’égard du donataire, dès son acceptation, et à l’égard du donateur, au moment de la notification de cette acceptation464. Autrement dit, entre l’acceptation et la notification de celle-ci au donateur, le bien est approprié par deux personnes différentes, ce qui explique que le donataire puisse accomplir des actes de propriétaire. Il serait souhaitable que la jurisprudence prenne prétexte de la réforme des textes relatifs à la formation du contrat pour mettre fin à cette bizarrerie465.

Point sensible : de la notification par courrier et de la preuve de son contenu Quid lorsque le destinataire d’un courrier conteste son contenu tel qu’allégué par l’expéditeur ? Qui doit prouver quoi ? Certaines décisions laissent entendre qu’il convient de distinguer suivant que le destinataire allègue ou non avoir reçu une enveloppe vide : si le destinataire n’allègue pas avoir reçu une enveloppe vide, mais une enveloppe ayant un autre contenu que celui allégué par l’expéditeur, c’est à ce dernier qu’il appartiendrait de rapporter la preuve (quasi impossible) du contenu de l’envoi477 ; si au contraire le destinataire allègue avoir reçu une enveloppe vide, c’est à lui de « prouver que celle-ci était vide et non pas à l’expéditeur d’établir que l’acte notifié était contenu dans cette enveloppe »478. D’autres décisions ne font pas cette distinction byzantine et retiennent qu’« il appartient au destinataire, qui conteste le contenu de l’envoi, d’établir l’absence du document l’informant de la modification intervenue »479. D’ailleurs, la distinction est difficilement praticable : que décider lorsque l’expéditeur prétend avoir envoyé plusieurs documents et que l’expéditeur prétend n’avoir reçu que certains d’entre eux ?480.

b - Cas particulier du contrat conclu en la forme électronique

93 Distinction – plan. La détermination du processus de conclusion du contrat en la forme électronique est l’œuvre de la directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur , transposée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), dont les dispositions qui nous intéressent ont été transposées dans le Code civil.

Deux procédures doivent être distinguées suivant que le contrat est conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel (α) ou qu’il ne l’est pas (β

a. - Le contrat conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel

94 Trois temps . Les articles 1125 et 1127-2 C. civ. organisent une procédure de conclusion du contrat qui s'impose aux parties, à moins qu'elle n'ait été écartée par elles à la condition qu'elles soient toutes deux professionnelles (art 1127-3 al. 2).

Dans un premier temps, aux fins d'information du client, l'offrant met à disposition des clients potentiels ses conditions contractuelles qui le lient tant qu'il ne les a pas retirées (les fameuses conditions générales de vente ou de service) (C. civ., art 1127-1.

Dans un deuxième temps, le destinataire de l'offre doit avoir eu « la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d'éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation définitive », afin que le contrat soit valablement conclu (C. civ., art 1127-2 al. 1). C'est donc le vendeur ou prestataire de service qui a la qualité d'offrant. L'acceptation par le client se réalise en deux temps : par la commande et par la confirmation de la commande - règle du « double clic » 481.

Dans un troisième temps, le professionnel accuse réception de la commande (C. civ., art 1127-2 al. 2). Bien que la disposition ne soit pas parfaitement claire, il semble que le contrat soit formé par la confirmation de la commande, et non par l'accusé de réception de celle-ci par le professionnel. S'il en allait ainsi, le professionnel pourrait empêcher le processus de conclusion du contrat en n'accusant pas réception. En réalité, l'accusé de réception atteste que la confirmation de la commande, c'est-à-dire l'acceptation est bien parvenue à son destinataire.

95 Réception ou émission ? La loi prévoit que la « commande », la « confirmation de l’acceptation de l’offre » – il faut comprendre, confirmation de la commande - et l'« accusé de réception » sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès (C. civ., art 1127-2 al. 3). Cette disposition ne fait que définir ce qu'est la réception, sans la consacrer explicitement ou y attacher des conséquences. On peut néanmoins penser que dans l'esprit du législateur, c'est bien au moment de la réception que la « commande », la « confirmation de l'acceptation de l'offre » et « l'accusé de réception » prennent effet.

96 Technique et date de conclusion du contrat. La question de la date de conclusion du contrat n’est pas envisagée expressément par les textes. Toutefois, on ne voit pourquoi celui-ci ne se formerait pas, comme en droit commun, par l’acceptation d’une offre. Le texte employant depuis la réforme l’expression d’acceptation « définitive » (C. civ., art. 1127-2 al. 1), c’est bien celle-ci qui devrait former techniquement le contrat. Parce que la théorie de la réception paraît avoir été reçue par la loi (C. civ., art. 1127-2 al. 3) et parce que telle est, au demeurant, la solution du droit commun482, elle doit également être retenue ici.

b. - Le contrat non conclu via un site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel

97 Simple échange. Lorsque le contrat n’est pas conclu via le site internet dédié d’un vendeur ou d’un prestataire de service professionnel, il l’est par un échange de courriers électroniques. Dans ce cas, quelle que soit la qualité des parties (professionnelle ou non), l’article 1127-3 alinéa 1 prévoit que la procédure décrite aux articles 1127-1 et 1127-2 est sans application, sans pour autant que ne soit précisé comment se forme le contrat... L’article 1127-3 renvoie au seul troisième alinéa de l’article 1127-2 : « la commande, la confirmation de l’acceptation de l’offre et l’accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès ». Il est donc permis de penser que le contrat, dont la seule particularité est d’avoir été conclu par échange de courriers électroniques, se formera lors de la réception de l’acceptation par l’offrant.

98 Conclusion – diversité des offres. En conclusion on relèvera que la présentation qui a été faite de l’offre et de l’acceptation, si elle est commandée par les textes qui leur sont consacrés, manque souvent de réalisme en pratique. Il est en effet assez rare que l’on distingue clairement l’offre de l’acceptation483. Par exemple, lorsqu’une personne recourt à un prestataire de service, c’est en général – mais pas toujours – ce dernier qui fait une offre, mais celle-ci fait souvent l’objet d’une contre-offre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé : les deux parties prennent tour à tour la qualité d’offrant. Autre exemple, lorsque deux entreprises négocient un contrat important, elles échangent fréquemment par mails des projets de contrat, en général avec un numéro, par ex. V1, V2, etc. ; le jour où la signature du contrat est prévue – ce qui suppose évidemment un accord sur un projet –, celui qui prendra juridiquement la qualité d’offrant sera le premier à avoir signé le contrat, le plus souvent quelques secondes avant que l’autre n’accepte en signant à son tour. Parler d’« offre » et d’« acceptation » dans ce dernier cas est assez artificiel.

§ II - Les promesses de contrat

99 Plan. Il existe deux types de promesses de contrat : la promesse unilatérale (A) et la promesse synallagmatique (B). L’une et l’autre, qui préparent la conclusion du contrat définitif, sont elles-mêmes des contrats et sont soumises aux règles qui les gouvernent.

Parce que les parties qui « promettent » donnent d’ores et déjà leur consentement au contrat final, les conditions de fond et de forme du contrat projeté sont celles de la promesse. Tel n’est cependant pas toujours le cas et des règles spéciales peuvent par exemple soumettre telles promesses à tel formalisme.

Droit spécial : du formalisme des promesses de cession d’un droit réel immobilier conclues pour une longue durée En raison de la gravité des promesses de longue durée, surtout pour le vendeur qui va voir son bien « immobilisé », toute promesse unilatérale ou synallagmatique de vente484 , consentie par une personne physique et qui a pour objet la cession d'un immeuble ou d'un droit réel immobilier et dont la durée est supérieure à dix-huit mois (ou toute prorogation d'une telle promesse portant sa durée totale à plus de dix-huit mois) est nulle si elle n'est pas constatée par un acte authentique (CCH, art. L. 290-1 485).

A - La promesse unilatérale

100 Premières vues. La promesse unilatérale est prévue et réglementée à l’article 1124. Elle est le « contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire » (al. 1).

Si promettant et bénéficiaire ont consenti à la promesse, seul le promettant a d’ores et déjà consenti au contrat définitif puisqu’il ne « manque que le consentement du bénéficiaire ». Quant au bénéficiaire, il dispose d’un droit d’option, comme le destinataire d’une offre486.

101 Différence entre l’offre et la promesse unilatérale de contrat. Il existe deux différences majeures entre la promesse unilatérale de contrat et l’offre.

En premier lieu, le bénéficiaire d’une promesse unilatérale, à la différence du bénéficiaire d’une offre, peut se voir imposer des obligations car il y aura consenti, la promesse étant un contrat. Si, en théorie, la promesse unilatérale de vente est un contrat unilatéral dans la mesure où seul le promettant s’est engagé, en pratique, elle est le plus souvent synallagmatique, le bénéficiaire supportant des obligations. Tout spécialement, il est fréquemment stipulé à sa charge une indemnité due au cas où il déciderait de ne pas lever l’option, une indemnité d’option (appelée en pratique « indemnité d’immobilisation »), sous réserve de la faculté de se rétracter gratuitement489.

En second lieu, le droit d’option du bénéficiaire d’une promesse unilatérale est plus solide que celui du destinataire d’une offre. D’une part, à la différence de l’offre501, la promesse unilatérale survit au décès ou à l’incapacité d’une partie502. D’autre part, la révocation de la promesse unilatérale est inefficace503.

102 Sanctions de l’inexécution de la promesse : mesures offertes à la victime. La loi invite à distinguer deux hypothèses lorsque le promettant ne respecte pas sa promesse.

En premier lieu, la révocation de la promesse « pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis » (C. civ., art 1124 al. 2). La loi a brisé la jurisprudence antérieure (jurisprudence Cruz) qui retenait504 l’efficacité de la révocation de la promesse, même si elle était illicite, ce qui avait pour conséquence d’exposer le promettant à ne devoir que des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice – souvent exclusivement moral – subi par la victime. La jurisprudence administrative505, qui avait fait sienne la jurisprudence Cruz, abandonnera-t-elle sa position ?

En second lieu, le contrat « conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul » (C. civ., art 1124 al. 3) 508. Il convient donc de distinguer : lorsque le tiers qui a conclu le contrat était de bonne foi, le bénéficiaire doit se contenter de dommages-intérêts auprès du promettant ; dans le cas contraire, le bénéficiaire se voit reconnaître une action en nullité509. Quid lorsque le promettant a conclu avec un tiers un contrat qui n’est pas le contrat promis, mais qui en contrarie l’exécution ?510 Faut-il distinguer suivant que le contrat conclu avec le tiers rende l’exécution du contrat impossible (le bien promis à la vente a été donné), ou qu’elle ne la rende pas impossible, mais cause un préjudice au bénéficiaire qui lèverait l’option (le bien promis à la vente a été loué) ? La solution la plus simple est probablement d’ouvrir dans tous les cas l’action en nullité au bénéficiaire en considérant qu’un tel contrat a été conclu en violation de la promesse unilatérale. Au demeurant, en pratique, les promesses assurent bien au bénéficiaire une jouissance libre du bien, laquelle ne sera pas possible si le bien est à l’usage d’un tiers...

L’hypothèse de la révocation d’une promesse et celle de la conclusion d’un contrat violant la promesse unilatérale peuvent être combinées, lorsque la conclusion d’un contrat conclu avec un tiers a été précédée d’une révocation. Il convient là encore de distinguer.

Si, entre la révocation et la conclusion du contrat avec un tiers, il y a eu levée de l’option par le bénéficiaire , le contrat promis est considéré comme s'étant formé avec ce dernier (C. civ., art 1124 al. 2). S'élève alors un conflit entre deux contrats, celui qui l'a été avec le bénéficiaire et celui qui l'a été avec le tiers, le second devant être inopposable en principe au premier. Toutefois, en cas de conflit de ventes immobilières, l'article 1198 C. civ. retient une solution particulière : « Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d'acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu'il soit de bonne foi. » 511 . Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l'Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière512 abroge en effet l'article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.).

Si, entre la révocation et la conclusion du contrat avec un tiers, il n’y a pas eu levée de l’option, le contrat conclu avec le tiers est nul par application de l’article 1124 alinéa 3.

103 Évaluation des dommages-intérêts. Dès lors que la conclusion d’une promesse empêche toute révocation efficace de la part du promettant, le bénéficiaire victime d’une inexécution devrait pouvoir réclamer une indemnisation, soit de l’intérêt négatif (en vue de mettre la victime dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas conclu la promesse), soit de l’intérêt positif (en vue de mettre la victime dans une situation équivalente de celle qui aurait été la sienne si la promesse n’avait pas été inexécutée) et permettre ainsi l’indemnisation pour la perte des avantages attendus du contrat513 . Par ailleurs, l'inexécution étant dolosive, tous les préjudices, même non prévisibles, devraient être indemnisés (C. civ., art 1231-3 514)515.

Aménagements conventionnels Il est important de stipuler une durée dans la promesse. Si la promesse unilatérale n’est pas assortie d’une durée, l’état du droit n’est pas certain. La jurisprudence considérait par le passé tantôt que la promesse pouvait être résiliée dès la conclusion de la promesse487, tantôt qu’elle ne pouvait l’être qu’après mise en demeure du bénéficiaire de lever l’option488. Cette dernière solution est préférable et paraît désormais être imposée par le nouvel article  1211 C. civ. : « Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable. » Si la promesse unilatérale est assortie d’une durée, celle-ci est librement définie par les parties. Il peut être prévu une franchise ou des fenêtres pour lever l’option : l’option pourra ne pas être levée avant telle date (on parle de franchise) ou à l’intérieur d’intervalles déterminés (on parle de fenêtres).

Droit spécial : de la promesse unilatérale d’achat immobilière En présence d’une promesse unilatérale d’achat, l’article  1589-1 C. civ.  prévoit qu’est « frappé de nullité tout engagement unilatéral souscrit en vue de l’acquisition d’un bien ou d’un droit immobilier pour lequel il est exigé ou reçu de celui qui s’engage [et lui seul] un versement, quelles qu’en soient la cause et la forme »490. Le législateur a souhaité éviter que des professionnels de l’immobilier réalisent une certaine forme d’« enchères » en recueillant le maximum d’offres, et en exigeant des offrants qu’ils aient à payer une certaine somme, sans garantie de voir leur offre acceptée et sans garantie de retrouver leur pécule rapidement...

Aménagements conventionnels Qu’est-ce qu’une indemnité d’option ou une indemnité d’immobilisation en matière immobilière ? Dans une promesse unilatérale, la somme exigée par le bénéficiaire en contrepartie de l’option qui lui est octroyée est une « indemnité d’option » (quoique souvent nommée, en pratique, « indemnité d’immobilisation »)491 : si le bénéficiaire refuse de lever de l’option, la somme stipulée sera due492 au promettant493. En contrepoint, dans toute promesse, unilatérale ou synallagmatique494, l’indemnité qui serait due pour le cas où la vente ne se réaliserait pas en raison de la défaillance fortuite d’une condition (par exemple, en cas de non-obtention d’un permis de construire), est une véritable indemnité d’immobilisation, c’est-à-dire une indemnité qui constitue la contrepartie de l’obligation pour le propriétaire d’immobiliser son bien tant que la condition est pendante495. Toutefois, en vertu d’une règle spéciale, une telle indemnité ne peut être stipulée en contrepartie de la condition suspensive d’obtention d’un crédit immobilier au sens du Code de la consommation496. Quelle qu’elle soit, l’indemnité n’est pas révisable, sauf si les parties l’ont convenu, expressément ou tacitement, en général en fonction de la durée d’immobilisation du bien497. Traditionnellement, lorsque l’indemnité stipulée en contrepartie du droit d’option était très importante, la Cour de cassation requalifiait la promesse unilatérale en promesse synallagmatique498. La requalification avait pour fin de faire échapper les promesses à la nullité pour défaut d’enregistrement ; mais elle était critiquable, faute pour le bénéficiaire d’avoir pris un engagement d’achat. La Cour de cassation avait semble-t-il reviré dans une hypothèse où l’enjeu de la qualification était de déterminer le caractère propre ou commun du bien formant l’assiette de la promesse499. Pourtant, plus récemment encore, un arrêt, certes inédit et ambigu, a semblé considérer qu’une cour d’appel ne pouvait requalifier une promesse unilatérale en une promesse synallagmatique « sans relever que la promesse de vente était assortie d’une indemnité si importante par rapport au prix de vente qu’elle privait [le bénéficiaire] de sa liberté d’acheter ou de ne pas acheter »500.

Aménagements conventionnels Est-il possible pour un promettant, que la promesse soit unilatérale ou synallagmatique, de conclure une promesse tout en étant assuré qu’il pourra se « désengager » moyennant, le cas échéant, le paiement d’une somme d’argent au bénéficiaire ? Oui, s’il a été stipulé une clause de dédit (C. civ., art 1122 506) au profit du promettant. Stipuler une clause d’indemnisation forfaitaire ou une clause pénale507 serait inefficace car le bénéficiaire resterait libre de préférer de demander l’exécution en nature de la vente.

Aménagements conventionnels Il est possible de renforcer l’efficacité de la promesse en prévoyant une clause d’indemnisation forfaitaire ou une clause pénale516 à la charge du promettant en cas de violation de sa promesse unilatérale. Plutôt que de chercher à obtenir l’exécution forcée du contrat, qui est complexe, voire impossible si le contrat a été conclu avec un tiers de bonne foi, le bénéficiaire se contentera de dommages-intérêts d’ores et déjà fixés, pour un montant le cas échéant élevé et donc comminatoire.

B - La promesse synallagmatique

104 Pas de texte de droit commun. La promesse synallagmatique est, depuis 1804, évoquée au sujet de la vente, à l’article 1589, qui prévoit que « [l]a promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ».

En réalité, tous les contrats peuvent faire l’objet d’une promesse synallagmatique517 et il est regrettable que la promesse synallagmatique en général n’ait été envisagée, ni par l’Ordonnance, ni par la Loi de ratification.

La promesse synallagmatique peut être définie comme le contrat par lequel les deux parties, qui se sont accordées sur les éléments essentiels d’un contrat, promettent de le conclure518. À la différence de la promesse unilatérale, les deux parties ont d’ores et déjà consenti au contrat définitif. C’est d’ailleurs pourquoi la promesse synallagmatique de tel contrat équivaut à ce contrat519.

105 Intérêt de la promesse synallagmatique de vente ? La promesse synallagmatique de contrat n’offre de véritable intérêt que lorsqu’elle n’équivaut pas à ce contrat. Ce sera le cas notamment lorsque les parties auront érigé en élément essentiel un élément qui ne l’est pas d’après la loi. Par exemple, le vendeur et l’acheteur d’un immeuble conviennent que leur accord devra être constaté en la forme notariée alors que la vente d’immeuble est en principe consensuelle. La promesse synallagmatique qu’il conclurait par acte sous signature privée ne vaudrait donc pas vente en ce cas et l’exécution forcée ne serait pas possible. Mais, parce qu’elle est efficace, si une des parties refuse de constater la vente en la forme authentique, elle expose à des dommages-intérêts520.

106 Cas particulier des promesses croisées. Il n’est pas rare, en matière d’ingénierie financière, de recourir à des promesses unilatérales croisées. En 2005, la Cour de cassation avait considéré que « l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu’elles sont stipulées dans les mêmes termes »524. Le raisonnement est erroné : si aucune des parties ne lève l’option dont elle est bénéficiaire, la vente ne peut pas se former. Dans des décisions postérieures525, la Cour de cassation avait reconnu, sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, l’efficacité de la révocation par une partie de la promesse : n’était-ce pas là reconnaître qu’il s’agissait de réelles promesses unilatérales et non d’une promesse synallagmatique ? Dans une décision plus récente, la Cour de cassation a alimenté toutes les spéculations en approuvant une cour d’appel d’avoir « retenu que les promesses d’achat et de vente que s’étaient consenties les parties étaient synallagmatiques, ayant le même objet et stipulées dans les mêmes termes, et partant, que la vente était parfaite dès la levée de l’option »526. Promesse synallagmatique et levée d’option ? Les mots jurent entre eux !

Aménagements conventionnels Les promesses synallagmatiques étant le plus souvent assorties de conditions, le bien est immobilisé : il est alors possible, sauf exception légale521, de stipuler une indemnité d’immobilisation qui serait due au propriétaire au cas où la condition défaillirait indépendamment de la volonté des parties522. Celle-ci ne doit pas être confondue avec l’indemnité que doit verser le bénéficiaire d’une promesse unilatérale au promettant au cas où il ferait le choix de ne pas lever l’option, l’indemnité d’option (très fréquemment appelée en pratique également « indemnité d’immobilisation »). On a déjà rencontré ces questions523.

Aménagements conventionnels La clause de réitération527 est la clause qui, stipulée dans une promesse de vente d’un immeuble, prévoit que les parties « réitèreront » leur accord dans l’acte définitif de vente passé en la forme authentique en vue de sa publication. On trouve une telle clause dans les promesses de vente sous signatures privées ou authentiques, unilatérales ou synallagmatiques, que la promesse vaille ou non vente. La réitération n’est ni une condition ni un terme528, elle est l’objet d’une obligation. En stipulant une clause de réitération, les parties s’obligent à réitérer leur accord en signant l’acte définitif. Si la clause de réitération met à la charge des parties une obligation de réitérer, celle-ci n’est pas immédiatement exigible : cela est évident lorsque la promesse est unilatérale et que l’option n’a pas été levée, mais cela l’est également, quelle que soit la promesse, tant que les conditions n’ont pas toutes été levées. L’obligation de réitération à laquelle sont soumises les parties n’est jamais exigible avant une certaine date qui constitue un terme ; elle est assortie d’un terme suspensif529. La date est en général d’ores et déjà fixée lors de la conclusion de la promesse : le terme est certain. Mais il se peut que celle-ci ne le soit pas, notamment lorsqu’il est prévu que l’obligation de réitérer sera exigible lors de la levée de la dernière condition : le terme est incertain. En tout état de cause, une partie ne peut pas exiger de l’autre qu’elle réitère avant le terme, l’obligation n’étant pas exigible ; elle ne le peut qu’à l’échéance du terme. Si l’obligation de réitérer est assortie d’un terme suspensif, la question se pose de savoir de combien de temps chaque partie dispose pour contraindre l’autre à réitérer, une fois ce terme échu. C’est cette fois la question du terme extinctif de l’obligation de réitérer. La réponse est claire : une partie peut contraindre l’autre à réitérer tant que la promesse est valable, d’où l’intérêt de stipuler un terme extinctif à la promesse. Ainsi pourra-t-il être stipulé que la promesse sera efficace quinze jours, un mois ou plus, après la date fixée pour la réitération. Chacune des parties disposera de ce délai pour exiger de l’autre qu’elle réitère, si la réitération n’est pas spontanée. Mais que décider si un tel délai n’est pas stipulé ? Faut-il considérer que la promesse sera caduque à l’issue d’un délai raisonnable ? Faut-il au contraire raisonner en termes de prescription ?530 En définitive, les promesses de vente devraient comporter un double terme : un terme suspensif à l’échéance duquel les parties doivent réitérer et un terme extinctif à l’échéance duquel la promesse est caduque et les parties, libérées531.

§ III - L’échange de conditions générales

107 Premières vues. À l’occasion notamment de ventes de marchandises (ou de prestations de service), il est fréquent que le vendeur (ou le prestataire de service) professionnel, plutôt que de discuter les termes du contrat avec tous ses clients, énonce tout ou partie du contenu des contrats des ventes (ou des prestations de service) qu’il propose dans des conditions générales de vente – CGV – (ou conditions générales de prestation de service). Si l’acheteur ou le client est lui aussi un professionnel, il est possible qu’il dispose lui aussi de ses propres conditions générales d’achat – CGA. Les conditions générales se caractérisent donc par leur « prérédaction » et l’« indifférenciation [de leurs] termes »532.

Si les conditions générales jouent un rôle très important tant dans les relations entre professionnels que dans les relations consuméristes, la communication des conditions générales se fait différemment et les conflits entre conditions générales n’existent qu’entre professionnels (les consommateurs n’en ayant pas).

Les difficultés concernent pour l’essentiel les conditions d’opposabilité des conditions générales au cocontractant et les conflits entre conditions générales incompatibles, sachant qu’en pratique, les litiges portent le plus souvent sur les clauses attributives de juridiction533 ou de réserve de propriété534.

108 Formation du contrat à la suite d’un échange de conditions générales. Il est difficile de parler ici de formation du contrat par la rencontre d’une offre et d’une acceptation dans la mesure où chaque partie propose à l’autre le contenu du contrat alors que dans le schéma classique de la rencontre d’une offre et d’une acceptation, c’est l’offrant seul qui le propose. On verra d’ailleurs que le contrat peut ici se former malgré des discordances entre les conditions générales535, alors que cela est impossible lorsqu’il y en a entre une offre et une acceptation536.

109 Communication des conditions générales. Même si aucun texte de droit commun ne le prévoit, en vertu du droit spécial, les conditions générales doivent être transmises aux potentiels clients qui en font la demande.

110 Contenu des conditions générales. Si le droit commun est muet sur le contenu des conditions générales, le droit spécial ne l’est pas.

111 « Opposabilité » des conditions générales. Les conditions générales d’une partie ne sont « opposables » à l’autre et détermineront (en tout ou partie) le contenu du contrat que si et seulement « elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées » (C. civ., art 1119 al. 1 542), la preuve pesant sur celui qui s’en prévaut543.

Cette condition sera remplie si, comme c’est souvent le cas en pratique, les conditions générales figurent sur les bons de commande, par exemple au verso. Quid cependant lorsqu’un document signé par une partie renvoie aux conditions générales que cette partie déclare avoir acceptées ? La jurisprudence antérieure manquait de clarté : si certains arrêts pouvaient laisser entendre qu’il s’agissait là d’un procédé établissant (ou réputant établir) la connaissance du signataire544, d’autres arrêts, meilleurs, paraissaient exiger au moins implicitement la preuve que les conditions générales avaient été effectivement portées à la connaissance de celui à qui on voulait les opposer545 : c’est le cas des conditions générales figurant au verso de l’acte signé546 ou lorsque les parties sont en relations d’affaires, dès lors que celle à qui les conditions étaient opposées les a véritablement acceptées, même tacitement547. En tout état de cause, les conditions générales doivent être clairement reproduites. Tel ne sera pas le cas des clauses pratiquement illisibles ou difficilement lisibles548. La jurisprudence se livre à une appréciation in concreto549.

En second lieu, en cas d’incompatibilité entre conditions générales552 (battle of forms), le législateur français a fait le choix de la neutralisation des conditions générales contradictoires (knock out rule) plutôt que celui de la prévalence des dernières conditions générales communiquées par l’acceptant (last shot rule)553 ou celle des premières conditions générales communiquées par l’offrant non expressément écartées par l’acceptant (first shot rule)554. En effet, l’article 1119 dispose qu’« [e]n cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet » (al. 2). Autrement dit, le contrat est formé mais expurgé des clauses incompatibles. Si l’on raisonnait purement et simplement en termes d’offre et d’acceptation, en raison de l’incompatibilité des deux consentements, le contrat ne serait pas formé. Par où l’on voit que la règle du miroir555 est ici écartée.

112 Cas particulier des conditions particulières incompatibles avec des conditions générales. Par application de l’article 1119, « [e]n cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières » (al. 3). On peut y voir une banale application de l’adage specialia generalibus derogant que la jurisprudence antérieure avant la réforme avait dégagée557. Tantôt les conditions particulières précisent des éléments que l’on ne trouve pas dans les conditions générales (le prix et la chose par exemple), tantôt elles y dérogent.

Droit spécial : de la communication des conditions générales Dans les relations consuméristes, les conditions générales font l’objet du titre premier « conditions générales des contrats ») du livre deuxième (« Formation et exécution des contrats ») du Code de la consommation, même si ce titre ne traite pas stricto sensu des « conditions générales » au sens où nous les entendons ici, mais davantage du contenu du contrat. Dans les relations entre professionnels, toute « personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui établit des conditions générales de vente est tenue de les communiquer à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle »537. En toute hypothèse, lorsque le contrat est conclu par voie électronique538 , « [q]uiconque propose à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les stipulations contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction » (C. civ., art 1127-1, sans pour autant qu'une sanction soit spécifiquement prévue.

Droit spécial : du contenu des conditions générales Dans les relations consuméristes, les conditions générales mentionnent, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie539, « l’existence, les conditions de mise en œuvre et le contenu de la garantie légale de conformité et de la garantie relative aux défauts de la chose vendue, dues par le vendeur » et, le cas échéant, « l’existence d’une garantie commerciale et d’un service après-vente »540. Dans les relations entre professionnels541, les conditions générales doivent comporter, au-delà des conditions de vente, qui décrivent les droits et obligations non pécuniaires des parties (moment de paiement du prix, du transfert de propriété, monnaie, etc.), un certain nombre de rubriques : le barème des prix unitaires (ou barèmes d’écart), qui désigne les prix des marchandises à l’unité en fonction du nombre des marchandises commandées (ex. : 2 euros entre 1 et 100 ; 1 euro entre 101 et 200, etc.) ; les éventuelles réductions de prix (« RRR » et escompte), qui désignent les diminutions du prix : Remises (réductions de prix immédiates, accordées en raison des quantités achetées), Ristournes (réductions de prix différées se traduisant donc par un remboursement au client d’une partie du prix versé) conditionnelles (en raison par exemple des quantités vendues, de la progression des ventes, etc.) ou non conditionnelles (ristourne de fin d’année payable au début de l’année suivante), les Rabais (réductions de prix en cas d’exécution défectueuse par le fournisseur de sa prestation, en raison par exemple de la mauvaise qualité des marchandises, les escomptes (réductions de prix en cas de paiement anticipé) ; les conditions de règlement, qui renvoient aux modes de paiement (virement, chèque, CB, etc.), aux délais de paiement, aux conditions de taux et de mise en œuvre des intérêts de retard et au montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Droit spécial : de certaines exigences de forme particulières En général, toute clause qui, « directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée » (CPC, art 48 550). Cette clause obéit à une exigence de forme particulière car on n’y prête pas forcément toujours attention en contractant, faute d’envisager que les choses puissent un jour mal aller... Dans les relations consuméristes, sont de manière irréfragable présumées abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « [c]onstater l’adhésion du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l’écrit qu’il accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n’est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n’a pas eu connaissance avant sa conclusion »551, ce qui renvoie directement à l’acceptation des conditions générales du professionnel, même si celles-ci ne sont pas expressément visées.

Point sensible : de la portée de la neutralisation des conditions générales incompatibles La neutralisation des clauses incompatibles des conditions générales n’est pas toujours neutre. En effet, en raison du « vide » laissé par l’effacement des clauses incompatibles, la règle supplétive s’appliquera, souvent en faveur de l’une des parties. On peut prendre l’exemple de la propriété réservée. Il est fréquent que le vendeur dans ses conditions générales prévoie une clause de réserve de propriété. Si l’acheteur a pris le soin d’indiquer dans ses conditions générales d’achat, par une clause idoine, qu’il devient acquéreur des marchandises conformément au droit commun, avant même d’en avoir payé le prix, cette clause et celle prévoyant une réserve de propriété se neutraliseront car elles sont incompatibles556. Mais in fine, c’est bien l’acquéreur qui aura gain de cause car la règle supplétive de droit commun relative au transfert de propriété trouvera à s’appliquer...

Sous-Section 2 - La forme de la rencontre des consentements : consensualisme et formalisme

113 Avènement progressif du consensualisme. En vertu du principe du consensualisme, les consentements engagent les parties quelle que soit la forme dans laquelle ils ont été échangés. Tel n’a pas toujours été le cas. En droit romain, la plupart des contrats étaient formalistes558, encore qu’au fil du temps, quatre contrats devinrent consensuels : la vente, le louage, la société et le mandat. Sous l’Ancien droit, et sous l’influence du droit canonique en particulier, le consensualisme va finir par l’emporter, tant et si bien qu’au xvie siècle, Loysel (1536-1617) affirmait : « on lie les bœufs par les cornes et les hommes par la parole ». Finalement, en 1804, la forme du contrat n’est pas évoquée au titre des conditions nécessaires à la validité d’une convention. Depuis la réforme du droit des contrats, l’article 1172 prévoit expressément que « [l]es contrats sont par principe consensuels ».

114 Avantages v. inconvénients. Le consensualisme présente des avantages : éviter qu’une personne prenne prétexte que le contrat n’ait pas été passé dans les formes requises pour se désengager par opportunisme et permettre la conclusion de contrats rapidement pour un coût minimal. Toutefois, le consensualisme présente en retour des inconvénients : les parties peuvent contracter sans réfléchir suffisamment à la portée de leur engagement et l’absence de forme imposée rend plus difficile la preuve de l’existence d’un contrat et de son contenu, en même temps que l’absence de publicité en rend l’opposabilité aux tiers plus compliquée.

115 Principe du consensualisme, exceptions et tempéraments – Plan. En raison de ses nombreux avantages, le consensualisme a été érigé en principe. Néanmoins, ses inconvénients ont été pris en considération de deux façons. En premier lieu, la conclusion de certains contrats particulièrement graves a justifié l’imposition de formes destinées à faire réfléchir les parties, ce qui constitue des exceptions au consensualisme (§ I). En second lieu, afin de ménager la preuve des contrats et d’assurer plus facilement l’opposabilité de certains contrats aux tiers, des tempéraments au consensualisme ont également été apportés (§ II).

Deux observations :

(i) La loi exige parfois que les consentements ne puissent être donnés qu’après une autorisation, un avis, ou le respect d’une certaine procédure, alors même que le contrat serait consensuel. Cela est fréquent lorsque celui appelé à consentir est incapable d’exercer ses droits et fait l’objet d’une mesure de protection559. On parle de formalités habilitantes.

(ii) En tout état de cause, la jurisprudence est réticente à faire une application pure et simple du principe du consensualisme lorsque le contrat est un contrat grave, pourtant non assujetti par la loi à des règles de forme. La vente immobilière en constitue un très bon exemple. Alors qu’elle reste encore aujourd’hui par principe un contrat consensuel560, les juges sont réticents à considérer que la vente est formée par la simple rencontre d’une offre et d’une acceptation sans forme précise561.

§ IV - Les exceptions au consensualisme : le formalisme

116 Plan. Il existe deux types de contrats formalistes, les contrats réels (A) et les contrats solennels (B).

A - Les contrats réels

117 Notion et domaine. Dans un contrat réel562, « la loi subordonne la formation » du contrat « à la remise de la chose » (C. civ., art 1172. Seuls les contrats portant sur une chose sont susceptibles de constituer des contrats réels, mais tous les contrats portant sur une chose ne sont pas des contrats réels.

La catégorie s’épuise peu à peu avec le temps et aujourd’hui, seuls les prêts, à l’exception des prêts de consommation consentis par un professionnel du crédit563, le dépôt et le don manuel sont des contrats réels, soit des contrats qui, économiquement, jouent un rôle mineur.

118 Le dessaisissement fait réfléchir. On considère que la remise de la chose permet à celui qui se dessaisit de la chose de prendre conscience de la gravité de son acte (ce qui explique que les prêts de consommation consentis par un professionnel du crédit, qui n’a pas à être protégé, soient devenus des contrats consensuels), ce qui justifie que le contrat ne soit formé qu’à ce moment précis.

119 Portée de la formalité. Tout accord des volontés antérieur à la remise de la chose s’analyse par conséquent en une promesse contrat réel. Celle-ci est en principe valable mais son inexécution ne donnera lieu qu’à des dommages-intérêts en cas d’inexécution et non à la remise de la chose564. Toutefois, la promesse de don manuel est nulle565, probablement car en principe le don est un contrat solennel566, ce qui suppose qu’il doive être conclu dans une certaine forme, comme la promesse de don.

B - Les contrats solennels

120 Notion. Dans un contrat solennel567, la « validité » du contrat « est subordonnée à l’observation des formes déterminées par la loi à défaut de laquelle le contrat est nul, sauf possible régularisation » (C. civ., art 1172 al. 3). Le contrat solennel est celui qui, pour être valable, doit être conclu par un écrit signé des parties.

Le Code civil ne comporte une définition de l’écrit et de la signature que depuis une loi du 13 mars 2000 568. L’écrit est défini comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support » (C. civ., art 1365. Quant à l'article 1367 al. 1 C. civ., il prévoit que « la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose [et] manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte (...) ».

121 Écrit électronique . Une loi du 21 juin 2004 573 a prévu la possibilité de contracter par voie électronique des contrats solennels, la question étant dominée par un principe d’équivalence entre l’acte matériel et l’acte électronique : « [l]orsqu'un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique (...) » (art. 1174 al. 1574).

Ce principe est assorti de corollaires : d'une part, lorsque la loi exige « une mention écrite de la main même de celui qui s'oblige, ce dernier peut l'apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu'elle ne peut être effectuée que par lui-même » (C. civ., art 1174 al. 2), d'autre part, lorsque l'écrit sur papier est « soumis à des conditions particulières de lisibilité ou de présentation, l'écrit électronique doit répondre à des exigences équivalentes » (C. civ., art 1176 al. 1).

Quant à la mise en œuvre du principe, la loi apporte une triple précision : l'exigence d'un « formulaire détachable » est satisfaite « par un procédé électronique qui permet d'accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie » (C. civ., art 1176 al. 2), l'exigence d'une « pluralité d'originaux » posée pour les contrats synallagmatiques 575 est réputée satisfaite lorsque « le procédé permet à chaque partie de disposer d'un exemplaire sur support durable ou d'y avoir accès » (C. civ., art 1375 al. 4), et l'exigence d'un « envoi en plusieurs exemplaires » est réputée satisfaite par voie électronique « si l'écrit peut être imprimé par le destinataire » (C. civ., art 1177.

Le principe d’équivalence connaît enfin des exceptions : le recours à l'écrit électronique n'est pas permis pour les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions (C. civ., art 1175. En revanche, lorsque l'acte est authentique, le recours à l'écrit électronique est autorisé 576.

122 L’écrit fait réfléchir et présente certaines garanties. On considère que la solennité fait réfléchir les parties, ce qui explique que les contrats solennels soient des contrats particulièrement graves, comme tous les contrats formalistes d’ailleurs. Par ailleurs, lorsque l’écrit doit être signé des parties et contresigné par un tiers, il peut présenter certaines garanties, comme celle de la date de conclusion : c’est le cas des actes authentiques et contresignés par avocat.

De règle générale, et quel que soit le contrat conclu, l’écrit est vertueux. Comme on l’a relevé, l’écrit « est, tout d’abord, nécessaire pour concevoir. La palabre connaît ses limites. Nous n’avons pas seulement appris à lire, la plume à la main, mais, tout pareillement, à réfléchir ainsi. La faiblesse même de notre esprit qui ne peut développer plusieurs idées à la fois nous impose de griffonner, disposer les unes par rapport aux autres, voire dessiner ou symboliser par divers schémas nos idées et puis à les modeler, les sculpter en chaînes de mots, phrases, alinéas, paragraphes... et nous pensons à l’instant que, sans écrit, nous n’aurions ni pensé ni prononcé la phrase que nous venons d’écrire ! Nul juriste, eût-il à sa disposition le cerveau le plus puissant et l’expérience la plus poussée, ne pourrait par la force de sa seule pensée, fût-elle secourue par la richesse du verbe et l’art du geste, concevoir, à un certain taux de nuance et de subtilité, le contrat qu’à l’aide de l’écrit qu’il façonnera aisément. Tout comme le sculpteur heurtant la pierre et le peintre choisissant et disposant des couleurs traduisent dans leur art leurs sensations ou sentiments, le juriste a besoin de l’écrit pour maîtriser sa pensée, la conduire, la faire progresser. »577

Tout accord des volontés antérieur à l’accomplissement de la formalité, qui s’analyse en une promesse de contrat solennel, est-il nul s’il ne respecte pas les formes du contrat solennel ?578 C’est vrai par principe, chaque fois que l’exigence d’un écrit est en partie au moins justifiée par la protection des parties (ex. donation). Mais lorsque ce sont les intérêts des tiers qui sont en cause (ex. hypothèque), la jurisprudence reconnaît une certaine efficacité à ces promesses : valables, leur inexécution ne donne lieu qu’à des dommages-intérêts579.

123 Distinction – plan. Les solennités requises de l’écrit signé des parties ne sont pas les mêmes pour tous les contrats solennels. Il faut distinguer les contrats pour lesquels un acte authentique ou contresigné par avocat(s) est exigé (1) des contrats pour lesquels un acte sous seing privé suffit (2).

Point sensible : du courriel et de l’écrit Lorsque la loi exige que tel contrat soit conclu par écrit, peut-il l’être par un échange de courriels569 ? Cette question en réalité est double : (i) un échange de courriels constitue-t-il un écrit et si oui, (ii) cet écrit est-il considéré comme étant signé ? À la première question, la Cour de cassation570 a répondu par l'affirmative. S'était posée la question de savoir si un échange de courriels pouvait valoir conclusion d'un contrat écrit au sens de l'article L. 222-17 du Code du sport, exigeant que le contrat en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 du même code soit « écrit ». La Cour de cassation jugea d'une part, que l'article L. 222-17 du Code du sport « n'impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d'un acte écrit unique » et d'autre part, aux visas de l'« article L. 222-17 du Code du sport, ensemble l'article 1108-1 du Code civil [devenu 1174 du Code civil] », qu'il résultait de ce dernier texte que « lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil [devenus 1366 et 1367 du Code civil] » et que la cour d'appel avait violé ces textes en considérant « qu'un message électronique ne peut, par nature, constituer l'écrit concentrant les engagements respectifs des parties ». Mais à la seconde question, et dans la même affaire (!), la Cour de cassation571 a répondu par la négative. Elle a estimé que « si le contrat en vertu duquel l'agent sportif exerce son activité peut être établi sous la forme électronique, il doit alors être revêtu d'une signature électronique » et que des courriels échangés ne sont pas revêtus d’une signature électronique. Toutefois, chaque fois qu’un écrit n’est pas exigé par la loi, rien ne s’oppose à ce que des parties échangent leur consentement par courriels (on relèvera d’ailleurs que la loi elle-même reconnait un tel mode de formation du contrat572).

1 - Les contrats pour lesquels un acte authentique ou contresigné par avocat est exigé

124 Plan. Les actes authentiques sont les actes conclus par les parties par-devant un officier public (notaire, huissier, maire, etc.) et les actes contresignés par un avocat sont ceux sur lesquels un avocat appose son contreseing. On envisagera ici uniquement les contrats devant obligatoirement être conclus en la forme authentique ou contresignés par avocat, tout en ayant bien à l’esprit que tous les contrats peuvent l’être (qui peut le plus peut le moins). Dans tous les cas, l’acte qui n’est pas authentique ou d’avocat pour défaut de forme vaut néanmoins comme acte sous seing privé si les conditions de validité d’un tel acte sont réunies (réduction par conversion)580 : la question est alors essentielle de savoir si l’intervention de l’officier public ou de l’avocat était requise à peine de nullité...

On envisagera les règles légales (a) puis les assouplissements jurisprudentiels (b).

a - Les règles légales

125 Certains contrats graves . Quatre contrats prévus et réglementés par le Code civil doivent être conclus par acte authentique : la donation (art 931, le contrat de mariage (C. civ., art. 1594), la constitution d'hypothèque (C. civ., art. 2127) et la subrogation conventionnelle par volonté du débiteur (C. civ., art 1346-2. Mais il en existe d'autres aujourd'hui, prévus et réglementés hors du Code civil : c'est notamment le cas de la vente d'immeuble à construire lorsqu'elle a pour assiette un immeuble d'habitation (CCH, art. L. 261-11. Parfois, la loi exige le contreseing d'un avocat. Ainsi est-il aujourd'hui possible de divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire (C. civ., art. 229-1 s.).

126 Raisons d’être de la formalité. Dans toutes ces hypothèses, l’exigence s’explique en général par la gravité de ces actes pour celui qui s’oblige, et parfois par la protection des tiers, s’agissant en particulier de la subrogation conventionnelle par le débiteur581. En effet, le devoir de conseil et les garanties de sécurité offertes par l’officier public voire l’avocat permettent d’éclairer les parties, d’assurer la liberté de leur consentement et de garantir la sécurité du contrat.

b - Les assouplissements jurisprudentiels

127 Double manifestation. La jurisprudence a assoupli, sur deux points en particulier, l’exigence d’authenticité.

En premier lieu, la jurisprudence a admis, de façon exceptionnelle, la validité de certaines promesses non authentiques de contrats solennels, quoique l’efficacité en soit limitée. Ainsi, une promesse non authentique d’hypothèque, valable, pourra être sanctionnée par des dommages-intérêts si elle n’est pas tenue582.

En second lieu, la jurisprudence a admis la validité de donations conclues autrement qu’en la forme authentique, en raison de considérations essentiellement pratiques. La donation n’étant toutefois pas devenue un contrat consensuel, seules sont reconnues en jurisprudence les formes qui garantissent une suffisante protection des parties. Ainsi sont admis les dons manuels, les donations indirectes et les donations déguisées. Ripert (1880-1958) proposait de dire que le dépouillement ou l’énergie dépensée à faire le montage ou le déguisement montraient bien que la donation avait été réfléchie583.

2 - Les contrats pour lesquels un acte sous seing privé suffit

128 Plan. Nous verrons les règles légales (a) puis les assouplissements jurisprudentiels (b).

a - Les règles légales

129 Accomplissement de la formalité. Doivent donner lieu à un écrit sous signature privée de nombreux autres contrats. L’acte sous signature privée est un acte signé par les parties, peu important qu’elles l’aient ou non écrit, sachant que la signature « identifie celui qui l’appose » et « manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte » (double fonction d’identification et d’approbation ) (C. civ., art 1367.

130 Mentions manuscrites. Parfois, afin de mieux protéger les parties, la loi exige au surplus que les parties écrivent elles-mêmes tout ou partie du contenu de l’acte (« mention manuscrite »).

La loi prévoyant le texte exact de la mention manuscrite, le cocontractant doit être particulièrement vigilant et se livrer à un travail de « relecture » afin de vérifier que l’auteur de la mention manuscrite a bien « copié » le texte. Si tel n’est pas le cas, chaque fois que la mention est exigée ad validitatem, l’acte sera en principe nul. Mais que décider si l’écart entre la mention manuscrite exigée par la loi et ce qui a été écrit est tout à fait mineur ? Aujourd’hui, la jurisprudence se montre moins pointilleuse qu’elle ne le fût jadis et tolère la simple « erreur matérielle » qui « n’affecte ni le sens ni la portée des mentions manuscrites prescrites » et « n’en rend pas sa compréhension plus difficile pour la caution ». Tel sera le cas en présence d’une erreur de ponctuation584, d’une signature mal placée585, voire de l’emploi d’autres termes que ceux prévus par la loi, s’ils sont neutres586. En contrepoint, en présence d’une « erreur non matérielle », le cautionnement n’est pas valable, sauf à pouvoir être réduit, si la difficulté concerne non pas tant la compréhension par la caution du sens de son engagement que son étendue587.

En tout état de cause, l'acte qui est conclu en la forme authentique ou contresigné par un avocat est toujours dispensé de reproduire les mentions manuscrites exigées par la loi (C. civ., art 1369 al. 3 et C. civ., art 1374 al. 3).

Droit spécial : de quelques mentions manuscrites Le droit de la consommation exige souvent l’apposition d’une mention manuscrite. Lorsqu’une personne entend acquérir notamment un immeuble à usage d’habitation et que l’acte d’acquisition indique que le prix sera payé sans l’aide d’un ou plusieurs prêts, cet acte porte, de la main de l’acquéreur, une mention par laquelle celui-ci reconnaît avoir été informé que s’il recourt néanmoins à un prêt il ne pourra se prévaloir de son défaut d’obtention pour être libéré de la vente588. Par ailleurs, une mention manuscrite doit être apposée par la « personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution » pour une opération de crédit à la consommation ou de crédit immobilier589. Toujours en matière de cautionnement, de manière générale, une mention manuscrite doit être apposée par la « personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel »590.

b - Les assouplissements jurisprudentiels

131 Le doute profite au consensualisme. Jacques Flour avait relevé dans une célèbre étude que, chaque fois qu’ils le pouvaient, les tribunaux minimisaient la portée des textes exigeant une forme, en ne retenant pas que la forme est requise à peine de nullité de l’acte591. Intervenant a priori et raisonnant en général, le législateur verrait davantage les aspects positifs du formalisme que le juge, qui intervient a posteriori , et constate que certains contractants cherchent à se désengager en invoquant par opportunisme une irrégularité formelle. Ainsi, la jurisprudence a souvent tendance à considérer que lorsque la loi n'indique pas qu'un écrit est exigé à peine de nullité, c'est qu'il ne l'est qu'à titre de preuve. On en trouve un exemple en droit des assurances. D'après l'article L. 112-3 du Code des assurances, le contrat d'assurance est « rédigé par écrit en français en caractères apparents » ; or, comme l'a décidé la Cour de cassation, « si le contrat d'assurance doit, dans un but probatoire, être signé par les parties, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l'assureur et de l'assuré » 592.

§ V - Les tempéraments au consensualisme

132 Plan . Les formes « exigées aux fins de preuve ou d'opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats » (C. civ., art 1173. On entend ici envisager les formes qui sont exigées, non pour la validité du contrat, mais pour sa preuve (A) ou son opposabilité aux tiers (B).

A - Les règles de preuve

133 En principe par écrit . La loi pose le principe de la preuve littérale pour les actes juridiques, pourvu que leur valeur excède une certaine somme - 1 500 euros - et que l'on ne soit pas entre commerçants (C. civ., art 1359 al. 1) 593. À défaut d’écrit, l’acte reste pleinement valable, mais sa preuve sera très délicate. On envisagera ces règles dans le chapitre 14594.

La différence entre une forme exigée ad validitatem et une forme qui l’est ad probationem doit être tempérée. Certes, dans le premier cas, non dans le second, le défaut d’écrit n’entraîne pas en lui-même la nullité de l’acte. Reste que la distinction entre un contrat que l’on ne peut pas prouver et un contrat annulé est fragile (idem est non esse aut non probari, c’est la même chose de n’être pas que de ne pas être prouvé). Toutefois en présence d’un commencement de preuve par écrit ou en cas d’impossibilité morale ou matérielle d’avoir pu établir ou de produire un écrit, la preuve de l’acte est libre et il peut être prouvé par tout moyen (notamment par témoins).

B - Les règles d’opposabilité

134 Principe : seuls sont opposables aux tiers les contrats portés à leur connaissance. En principe, les contrats ne sont opposables aux tiers qu’à la condition que ceux-ci en aient connaissance (C. civ., art 1200, implic.). Or cette preuve peut être difficile à rapporter alors qu'il est crucial de pouvoir opposer son contrat aux tiers. C'est le cas notamment d'une clause de non-concurrence imposée à un salarié, que l'ancien employeur voudrait opposer au nouveau.

135 Cas particulier : certains contrats sont opposables aux tiers dès qu’ils ont été publiés, peu important qu’ils en aient eu effectivement connaissance. Le législateur a prévu que certains contrats, dès lors qu’ils étaient publiés, étaient opposables aux tiers qui étaient réputés les connaître, indépendamment de leur connaissance réelle. C’est le cas des actes portant mutation de droits immobiliers595, des sûretés réelles596, des actes portant transmission ou modification de droits attachés à un brevet597 et marques598, etc.

Tantôt, cette publicité est la seule voie de l’opposabilité : en son absence, peu important la connaissance effective par les tiers de l’acte puisque l’acte ne leur sera jamais opposable. Tantôt, cette publicité est une voie de l’opposabilité qui s’ajoute à celle de droit commun qui suppose la connaissance effective des tiers : en son absence, le contrat sera opposable aux tiers qui en ont eu effectivement connaissance. S’agissant de l’opposabilité des droits réels immobiliers, c’est aujourd’hui ce second parti qui est en général retenu. Révélateur, l’article 1198 alinéa 2 dispose que « [l]orsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi » (nous soulignons). Autrement dit, le droit du premier acquéreur, même non publié, peut être opposé au second, dès lors que ce dernier en avait connaissance. Cette règle est toutefois appelée à évoluer : l'Ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière599 abroge en effet l’article 1198 al. 2 C. civ., pour lui substituer la suivante, « Lorsque deux titulaires de droits réels concurrents portant sur un même immeuble tiennent leur droit d'une même personne, le premier titre rendu opposable dans les conditions de l'article 710-32 est préféré. Toutefois le premier alinéa n'est pas applicable lorsque le premier titre rendu opposable a été fait par fraude des droits nés antérieurement. » (fut. art. 710-37 C. civ.).

On reviendra sur ces règles dans le chapitre 9 consacré aux effets du contrat à l’égard des tiers600.

Chapitre 3 - La qualité des consentements

Plan

136 Localisation. La qualité des consentements fait l’objet de la première sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II consacré à « La formation du contrat ».

137 Première des conditions de fond posées à l’article 1128. Pour qu’un contrat se forme, il doit y avoir eu rencontre des consentements, processus que nous avons décrit dans le chapitre 2601.

Pour qu’un contrat se forme valablement , des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent en outre être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »602. Dans le cadre de ce chapitre, c’est la première condition qui nous intéresse, et plus précisément l’intégrité du consentement, l’existence du consentement étant une condition d’existence même du contrat, envisagée dans le précédent chapitre comme il vient d’être rappelé. Quant à la deuxième et à la troisième conditions, elles feront l’objet respectivement des chapitres 4603 et 5 604.

138 Plan. S’agissant de l’intégrité du consentement, la condition se dédouble : le consentement doit être, d’une part, réel (section 1), et, d’autre part, intègre (section 2).

Section 1 - La réalité du consentement

139 Facultés cognitives . Comme le rappelle le Code civil dans ses dispositions relatives au contrat, « [c]onformément à l'article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat » (C. civ., art 1129. De fait, l'article 414-1 C. civ. pose exactement la même exigence. Et l'on retrouve (encore !) celle-ci au sujet des donations par l'article 901 C. civ. 605. L’idée générale est que le consentement d’une personne qui n’a pas la faculté naturelle de comprendre ce à quoi elle s’engage n’est pas réel et est donc sans portée.

Tel est le cas de la personne atteinte d’un trouble mental, par exemple de la maladie d’Alzheimer, ou de toute autre maladie affectant ses facultés cognitives606. L’intérêt de cette disposition se manifeste essentiellement lorsque la personne atteinte d’un trouble ne fait pas l’objet d’une mesure de protection. En revanche, lorsque tel est le cas, des règles spéciales607 prennent le relais du dispositif de droit commun.

Les articles 414-1 et 1129 peuvent également être invoqués par celui qui, en dehors de toute maladie, n’était pas doté de discernement au moment de l’acte, par exemple parce qu’il était sous l’emprise de l’alcool ou, dans certaines circonstances, d’une « grande fatigue »608. Elles peuvent l’être également, par analogie, par ceux qui ne peuvent réellement consentir à un acte en le signant – la personne illettrée et celle qui ne maîtrise pas la langue du contrat609 – et par ceux qui n’en comprennent pas la portée610...

D’un point de vue probatoire, l’article 414-1 précise que c’est à celui qui agit « en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ». La jurisprudence interprète cette disposition avec pragmatisme : lorsqu’une personne est habituellement en état de dégradation mentale, elle est présumée l’être au moment de la conclusion de l’acte, sauf preuve contraire que le contrat a été conclu au cours d’un intervalle de lucidité611.

140 Sanction : nullité . Le Code civil pourrait laisser entendre que dans un tel cas le consentement n'existerait pas, l'article 1129 figurant dans un paragraphe intitulé « L'existence du consentement ». Partant, c'est le contrat lui-même qui n'existerait pas, en sorte que celui-ci ne se serait pas même formé. Autrement dit, il ne serait pas nécessaire d'agir en nullité pour le détruire puisque celui-ci est dépourvu d'existence. Il reste que l'article 414-1 C. civ. prévoit expressément le contraire : le contrat existe mais il est annulable.

Parce qu’il s’agit d’une nullité relative612, l’action n’appartient qu’à l’intéressé de son vivant (C. civ., art. 414-2 al. 1). À sa mort, il faut distinguer. Si la nullité des donations et testaments peut être invoquée par les héritiers sans restriction613, la nullité des autres actes pour insanité d’esprit ne peut l’être que dans trois cas : « l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental », « il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice », « une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future » (C. civ., art. 414-2 al. 2 s.). Cette disposition, qui limite les cas de recours en annulation, ne porte pas atteinte, d’après le Conseil constitutionnel614 , au droit à un recours effectif garanti par la Constitution (DDHC, art. 16) dès lors que « le législateur a entendu assurer un équilibre entre, d'une part, les intérêts des héritiers et, d'autre part, la sécurité des actes conclus par le défunt et en particulier des transactions », qu'il a entendu, « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, éviter les difficultés liées à l'administration de la preuve de l'état mental d'une personne décédée » 615, et que « ces dispositions ne font pas obstacle à l’exercice, par les héritiers, des actions en nullité qui seraient fondées sur les règles du droit commun des contrats [violences, fraudes ou abus de faiblesse] »616.

Section 2 - L’intégrité du consentement

141 Consentement libre et éclairé. Un consentement est intègre lorsqu’il remplit deux conditions.

En premier lieu, le consentement est éclairé, ce qui suppose que son auteur se soit fait une exacte représentation des circonstances de fait et de droit avant de consentir. Tel n’est pas le cas s’il a commis une erreur. On distingue deux types d’erreurs : l’erreur commise spontanément par l’errans et l’erreur provoquée intentionnellement par autrui. On parle tout simplement d’erreur dans le premier cas et de dol dans le second.

En second lieu, le consentement est libre, en ce que son auteur n’a pas été illégitimement contraint de consentir. S’il a été, il y a eu violence.

142 Plan. Lorsque le consentement n’est pas éclairé ou libre, lorsqu’il a été donné à la suite d’une erreur, d’un dol ou d’une violence, il est vicié. Les vices du consentement font l’objet de règles propres (§ II) et de règles communes (§ III).

Point sensible : du consentement de la personne morale617 La personnalité morale, quelle que soit l’analyse que l’on en fasse, est une construction juridique anthropomorphiste. Ainsi, quoique les personnes morales contractent, nul ne prétend qu’elles consentent par elles-mêmes. Alors que le consentement des personnes physiques est une réalité, le consentement des personnes morales est une fiction. Cela étant, comment appréhender le consentement des personnes morales, et notamment son intégrité ? Le point de départ de toute réflexion réside dans le fait que le consentement de la personne morale est le résultat d’une décision prise par tel organe compétent de la personne morale (ex. le dirigeant) au nom et pour le compte de la personne morale. Au-delà, se pose « la question de la pertinence d’une théorie dont le but est de protéger l’intelligence de la volition humaine, la volonté de la personne morale présentant la singularité d’être, non pas une volonté psychologique, mais une volonté purement formelle, une volonté juridique, une volonté abstraite »618. C’est ce qui peut expliquer que certains619 mécanismes protecteurs du consentement soient réservés aux personnes physiques620... sans pour autant que cela soit toujours justifié, dès lors que derrière le masque de la personne morale, on trouve bien des personnes physiques. La jurisprudence reconnaît aux personnes morales la faculté d’invoquer un vice du consentement, aux conditions du droit commun621. Et c’est bien dans le consentement des personnes habiles à engager la personne morale et elles seules622 que les vices s’apprécieront. C’est ainsi qu’à un moyen qui faisait valoir que le vice de violence ne peut concerner que « la violence exercée sur une personne physique », la Cour de cassation répondit que « le consentement d'une société est exprimé par ses représentants légaux, personnes physiques vis-à-vis desquelles la violence peut avoir effet »623.

§ I - Les règles communes à tous les vices du consentement

143 Deux règles communes. Il existe deux règles communes à tous les vices du consentement, qui tiennent au caractère déterminant du vice et à la nature de la nullité encourue, qui est relative.

144 Caractère déterminant du vice . L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement « lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes » (C. civ., art 1130. C'est donc à une « recherche (...) au conditionnel passé » 624 qu’il faut se livrer : qu’aurait fait tel contractant s’il ne s’était pas mépris, s’il n’avait pas été trompé ou s’il n’avait pas subi de contrainte ?

En premier lieu, le vice du consentement doit avoir été déterminant du consentement de celui qui s’en plaint. Alors que ce caractère déterminant du vice devrait être apprécié cas par cas, comment comprendre que l’article  1130 C. civ. précise que le caractère déterminant s’apprécie « eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné » ? En effet, qu’apporte une telle précision s’il s’agit seulement de vérifier le caractère ou non déterminant du vice ? On pourrait peut-être comprendre cette disposition comme objectivant dans une certaine mesure une notion par essence subjective. Mais parce que l’appréciation du vice doit toujours se faire in concreto – il ne s’agit jamais que d’apprécier dans un cas particulier l’intégrité d’une volonté –, la disposition pourrait avoir une visée d’ordre probatoire : de fait, plus le vice est, au vu des faits, généralement considéré comme déterminant, plus le juge sera enclin à le reconnaître. Et inversement.

En deuxième lieu, lorsque la partie dont le consentement a été vicié aurait contracté à des conditions différentes, mais qui ne le sont pas substantiellement, le vice ne peut être considéré comme déterminant au sens de la loi. La victime ne pourra donc obtenir l’annulation du contrat. Mais parce que tout préjudice doit être réparé, elle devrait pouvoir obtenir l’indemnisation du préjudice subi. Par où l’on voit une consécration en creux et dans une certaine mesure625, de la théorie du vice du consentement incident, au-delà de celle du dol incident626. En fin de compte, le vice du consentement incident constituera demain dans certains cas un moyen indirect, mais probable, de rééquilibrage du contrat par l’octroi de dommages-intérêts.

En troisième lieu, les juges considèrent parfois qu’en cas de réticence dolosive, la dissimulation – qu’on présuppose intentionnelle – d’une information présumerait en quelque sorte le caractère déterminant de celle-ci et donc de l’erreur qui en est découlée627. Tout est certes affaire de circonstances, mais il convient de prendre garde à ne pas déduire mécaniquement de la dissimulation le caractère déterminant de l’erreur.

146 Nullité relative. Les vices du consentement sont une cause de « nullité relative du contrat » (C. civ., art 1131 645). Ainsi, seule la personne dont le consentement a été vicié peut agir en nullité, ainsi que ses ayants cause universels646. En effet, c’est elle que la loi protège, non son cocontractant. Quant au point de départ de la prescription de l’action, dans le sillage de l’article 2224 C. civ.647, l’article 1144 C. civ. prévoit que le délai « ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé »648. Le point de départ est donc flottant, mais par application du droit commun de la prescription, l’action ne pourra être engagée plus de vingt ans après la conclusion du contrat (art. 2232649).

Point sensible : de l’articulation de l’action en nullité et de l’action en responsabilité en cas de méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information L’action en nullité doit être articulée avec une action en responsabilité, chaque fois que le vice du consentement a été causé par une faute du cocontractant, que celui-ci ait commis une violence, un dol, ou même qu’il ait causé non intentionnellement une erreur en n’exécutant pas une obligation d’information précontractuelle dont il ignorait qu’elle lui incombait. C’est en cas de méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information que l’on rencontre les difficultés les plus importantes. Elles se posent dans deux hypothèses, lorsque seule l’action en responsabilité est exercée, ou lorsqu’elle l’est en même temps qu’une action en nullité628. À cet égard, l’état du droit est très incertain, notamment en ce que certaines décisions fixent l’indemnisation en considération de l’annulation ou non du contrat, d’autres non. En tout état de cause, c’est toujours de perte de perte de chance dont il est question et non d’indemnisation égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée629. S’il y a donc bien des décisions (I), le « droit de l’évaluation » reste à construire (II). I. Les décisions Deux hypothèses doivent être distinguées. Première hypothèse : seule l’action en responsabilité est exercée. Lorsque seule une action en responsabilité est exercée par la victime, la Cour de cassation n’a pas fixé de cap certain. Plusieurs arrêts énoncent que lorsque la victime a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable « correspond uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses ». Mais attention, car si certains de ces arrêts utilisent cette formule pour exclure l’indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter630, d’autres le font pour exclure d’autres types de préjudice, sans se prononcer clairement sur le refus de l’indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter631, d’autres encore se prononçant sur des demandes mêlant tous ces préjudices632. D’autres arrêts énoncent que lorsque la victime a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable « correspon[d] uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, ou de ne pas contracter », pour exclure l’indemnisation des pertes subies et du gain manqué révélés par les résultats comptables633. D’autres arrêts encore énoncent que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est « constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies », pour exclure notamment l’indemnisation des pertes subies et du coût de la procédure collective, sans distinguer suivant que la victime agit ou non par ailleurs en nullité634. Peu de certitudes donc, sauf l’exclusion de l’indemnisation du gain manqué et des pertes subies, au moins dans leur totalité. En admettant que la victime puisse être indemnisée de la perte de chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, la Cour de cassation reconnaît bien que la victime a perdu une chance de ne pas avoir conclu le contrat tel qu’il a été conclu. Dès lors, il serait critiquable d’exclure par principe l’indemnisation de la perte de chance de ne pas avoir contracté du tout, et le cas échéant d’avoir contracté avec un tiers. D’ailleurs, la Cour de cassation elle-même semble parfois ne pas faire différence entre tous ces préjudices. Ainsi a-t-elle considéré dans un arrêt récent, au sujet d’une action en responsabilité intentée par des acquéreurs d’un bien revendu entre-temps, que les juges du fond en évaluant « souverainement le préjudice à un pourcentage appliqué à la perte de valeur de ce bien à la revente, [avaient] indemnisé une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses »635. Seconde hypothèse : lorsque tant une action en responsabilité qu’en nullité est exercée par la victime, on peut considérer, par une interprétation a pari ou a contrario des arrêts précédemment cités, que la victime pourra être indemnisée de la perte de chance de ne pas avoir contracté et donc de ne pas avoir pu contracter avec un tiers, mais aussi des dépenses636 voire des pertes637 subies en raison de la conclusion du contrat. II. Un « droit de l’évaluation » à construire638 Observation liminaire sur le rôle des plaideurs et l’importance des notions de comptabilité. Parce que les juges se prononcent au vu des demandes et des arguments des plaideurs, ceux-ci jouent un rôle crucial dans l’élaboration du droit. Cela vaut tout particulièrement s’agissant de l’évaluation du préjudice, au vu du constat fait ci-dessus. On prendra ainsi garde à distinguer les pertes comptables des dépenses et, parmi celles-ci les dépenses d’investissement (amortissables ou non, utiles ou non, même après l’expiration du contrat), des charges d’exploitation. On gardera également à l’esprit qu’une société qui fait des pertes (notamment lors de ses premiers exercices) peut avoir une valeur économique. Critère pertinent : existence d’une erreur déterminante ? Il n’est pas pertinent de distinguer suivant que seule une action en dommages-intérêts est exercée ou qu’elle l’est en même temps qu’une action en nullité : en effet, ce n’est pas parce qu’un contrat n’aurait pas été conclu que la victime en demandera la nullité (dont les conséquences pourraient être trop compliquées : ne pas agir est plus simple qu’effacer ses agissements...)639. Seule importe la question de savoir si la victime établit que la méconnaissance de l’obligation d’information a provoqué chez elle une erreur (erreur simple ou consécutive à un dol) déterminante, qu’elle n’aurait pas conclu le contrat (ou qu’elle aurait conclu à des conditions substantiellement différentes). En revanche, en toute hypothèse, la victime ne peut demander à être placée dans la situation qu’elle pouvait espérer au vu de l’information qui lui a été délivrée : l’objet de la responsabilité n’est pas d’indemniser celui dont les expectatives ont été déçues à hauteur de celles-ci, mais de le replacer dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n’avait pas été commise (retour au statu quo ante)640. Première hypothèse : la victime établit qu’elle a été trompée par une erreur déterminante. Il est ici établi que la victime n’aurait pas contracté (ou l’aurait fait à des conditions substantiellement différentes) si elle avait été correctement informée. Dès lors qu’il est acquis que la victime n’aurait pas contracté au jour de la conclusion du contrat, peu importe, au jour où elle agit, qu’elle fasse le choix de ne pas demander l’annulation du contrat et d’agir seulement en responsabilité. Au cas où le contrat serait annulé, la victime devra autant que faire se peut être replacée dans la situation qui aurait été la sienne si elle n’avait pas conclu le contrat. En raison de l’annulation du contrat, on procédera aux restitutions641. En raison de la mise en œuvre de la responsabilité, on indemnisera la victime, conformément au droit commun de la responsabilité civile : de la perte subie (au vu du résultat d’exploitation, mais en tenant compte de la valeur de l’entreprise, le cas échéant), mais aussi du gain manqué ou, plus exactement, l’analyse contrefactuelle étant toujours incertaine, de la « perte de chance » d’avoir réalisé un tel gain en concluant un contrat plus avantageux avec un tiers ou avec le cocontractant. Au cas où le contrat ne serait pas annulé parce que l’annulation n’en a pas été demandée (les conditions d’annulation étant par ailleurs remplies), là encore, la victime devra autant que faire se peut être replacée dans la situation qui aurait été la sienne si elle n’avait pas conclu le contrat. On l’indemnisera comme précédemment, sous réserve de quelques aménagements pour tenir compte, le cas échéant, de la poursuite du contrat entre les parties. Seconde hypothèse : la victime n’établit pas qu’elle a été trompée par une erreur déterminante. Il n’est pas acquis qu’elle n’aurait pas contracté, mais elle a pu perdre une chance de ne pas contracter. On voit bien que ce qui distingue cette hypothèse de la précédente, c’est l’incertitude qui tient à ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu de manquement à l’obligation précontractuelle d’information. Dès lors, le contrat étant maintenu par hypothèse, si l’on décide d’indemniser la victime nonobstant l’absence de preuve du caractère déterminant de l’erreur, l’indemnisation sera calculée sur la base de l’indemnisation de la victime qui établit le caractère déterminant de son erreur mais fait le choix de n’agir qu’en responsabilité, la perte de chance étant affectée d’un coefficient d’incertitude642 pour tenir compte de l’absence de preuve du caractère déterminant de l’erreur. Bien entendu, le cocontractant peut toujours démontrer que l’erreur n’était pas déterminante pour échapper à l’indemnisation d’un tel préjudice. En toute hypothèse, la Cour de cassation ne subordonne pas l’indemnisation du préjudice résultant d’un manquement à une obligation d’information à la certitude que la victime n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes643. Par ailleurs, le juge ne peut refuser d’indemniser une perte de chance dont il constate l’existence en se fondant sur le fait que c’est la réparation de de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée644.

§ II - Les règles propres à chaque vice du consentement

146 Plan. Distinguons les règles propres à l’erreur (A), au dol (B) et la violence (C).

A - L’erreur

147 Plan. L’erreur consiste en une fausse représentation des circonstances sur laquelle s’est fondée une personne pour consentir à un contrat : l’errans s’est trompé sur un motif l’ayant conduit à contracter. Le Code civil invite à distinguer l’erreur sur un motif intrinsèque (sur les « qualités essentielles », C. civ., art 1132( 1 de l’erreur sur un motif extrinsèque (un « simple motif », C. civ., art 1135( 2.

Aménagements conventionnels Dans le langage juridique, il est important de distinguer ce qu’est un « motif » d’une « condition ». Le terme « condition » est employé dans la pratique contractuelle en vue de renvoyer, selon les cas, à des concepts très différents : on l’emploie d’abord, à travers l’expression « conditions du contrat », pour désigner n’importe quelle « clause » du contrat ; on l’emploie ensuite pour désigner les circonstances dans lesquelles une personne a émis son consentement, c’est-à-dire les « motifs » (représentations d’un état préexistant) qui peuvent être le terreau d’une erreur ; on l’emploie enfin, et cette fois à juste titre, pour désigner la modalité de l’obligation, c’est-à-dire la véritable « condition » (événement futur et incertain), suspensive ou résolutoire650.

1 - L’erreur sur un motif intrinsèque

148 Plan. Envisageons l’objet (a) puis les caractères (b) de l’erreur.

a - L’objet de l’erreur

149 Plan. D’après l’article 1132, l’erreur, qui peut être de fait ou de droit, porte sur les « qualités » de la prestation (α) ou du cocontractant (β

c. - L’erreur sur les qualités de la prestation

150 Prestation de l’un ou de l’autre. L’erreur est une cause de nullité lorsqu’elle porte sur les « qualités de la prestation » (C. civ., art 1132, étant précisé qu'il peut s'agir de la « prestation de l’une ou de l’autre partie » (C. civ., art 1133 al. 2). Dans le sillage d'un arrêt Poussin651, l’erreur peut donc être invoquée par celui qui s’est mépris sur sa propre prestation.

151 « Qualités de la prestation » : substance ou autres qualités de la prestation. En posant que l’erreur, pour être source de nullité, doive porter sur les « qualités de la prestation », la loi exige qu’elle porte sur la substance même de la prestation sou sur d’autres qualités.

Cela étant, l’erreur peut être de fait ou de droit.

En premier lieu, s’agissant de l’erreur de fait, celle qui suppose une fausse représentation de circonstances de fait, elle peut en premier lieu porter sur la substance. Ainsi l’erreur peut concerner la substance de la voiture vendue – son kilométrage, par exemple. De même elle peut porter sur la substance du travail promis par un plombier – l’étendue des travaux promis. Mais l’erreur peut porter sur d’autres qualités de la prestation. Suivant un exemple fameux emprunté à Pothier, « [s]i, voulant acheter une paire de chandeliers d’argent, j’achète de vous une paire de chandeliers que vous me présentez à vendre, que je prends pour des chandeliers d’argent, quoiqu’ils ne soient que de cuivre argenté ; quand même vous n’auriez eu aucun dessein de me tromper (...), la convention sera nulle, parce que l’erreur dans laquelle j’ai été détruit mon consentement »652, mais il y aura également erreur si j’achète des chandeliers que je croyais avoir appartenu à Napoléon, alors que tel n’est pas le cas.

Comment appliquer le principe suivant lequel l'erreur est une cause de nullité quand elle « porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie » (C. civ., art 1133 al. 2), lorsque l'erreur porte sur des droits sociaux cédés ? Dans les faits, il n'est pas rare que le cessionnaire 653 se plaigne à la suite d'une méprise sur les actifs ou le passif de la société et que donc les droits sociaux acquis valent moins que ce qu'il pensait : s'agit-il d'une erreur sur les « qualités essentielles de la prestation », cause de nullité, ou simple « erreur sur la valeur », indifférente ? La jurisprudence considère que l'erreur ne porte sur les qualités essentielles de la prestation que si la société ne peut « poursuivre l'activité économique constituant son objet social »654 ; à défaut c'est une erreur sur la valeur655. Cette impossibilité pour la société de poursuivre son activité peut, comme on l'a vu, résulter de l'absence d'actifs essentiels à l'activité656, ou d'un important passif dissimulé657.

En second lieu, s’agissant de l’erreur de droit, celle qui suppose une fausse représentation de l’état du droit658, les choses sont plus complexes. Commençons par observer qu’elle porte sur la substance même de la prestation lorsqu’elle porte sur l’existence ou la nature des droits qui font le contenu du contrat659, alors qu’elle sera considérée comme une erreur sur les motifs extrinsèques, lorsqu’elle porte sur d’autres motifs (la Cour de cassation utilise alors souvent l’expression ambiguë d’erreur sur « les conséquences juridiques » d’un acte)660.

Pour bien comprendre dans quel cas un contrat peut être annulé pour erreur de droit, il faut garder à l’esprit l’adage suivant lequel nul n’est censé ignorer la loi. En vertu de cet adage – dont la lettre embrasse trop –, nul ne peut se prévaloir de l’ignorance de la loi pour échapper à son application. Mais l’adage n’interdit pas à celui s’est engagé de se prévaloir de l’ignorance qu’il avait de la loi au moment où il s’est engagé, si c’est pour échapper à son engagement (un contrat ou une offre).

Point sensible : de l’erreur sur la nature du contrat Il arrive qu’une partie à un contrat soutienne s’être méprise sur la nature du contrat qu’elle a conclu, le plus souvent après qu’une décision de justice s’est prononcée à ce sujet. Dans certains cas, le juge aura retenu une autre qualification que celle qui le fut par les parties (auquel cas l’erreur aura été commise par les deux parties)661 alors que dans d’autres il aura retenu une qualification alors qu’aucune ne le fut par les parties (auquel cas l’erreur n’aura pas été nécessairement commise par toutes les parties). Dès lors que la qualification a une influence sur le contenu du contrat, ce qui sera souvent le cas, il est permis d’y voir une erreur sur la substance du contrat (voire une erreur-obstacle662)663. Mais encore faut-il, comme pour toute erreur, que celle-ci ait été déterminante du consentement de l’errans664 et excusable665.

d. - L’erreur sur les qualités du cocontractant

152 Intuitus personae ? L’erreur est une cause de nullité lorsqu’elle porte sur les qualités du cocontractant, telle son identité, mais pas seulement. Ainsi, celui qui donne un bien à une personne qu’elle croit être son fils peut en demander la nullité si celle-ci s’avère ne pas l’être, de même que la personne qui contracte avec un professionnel dans la conviction erronée qu’il a les diplômes et les qualifications requises. La Cour de cassation a également considéré que celui qui cautionne une dette dans l’ignorance de ce que le débiteur principal était frappé de l’interdiction d’exercer une activité commerciale peut demander la nullité du cautionnement666 (c’est un cas particulier, puisque le débiteur est tiers au contrat de cautionnement).

Deux cas particuliers suscitent un certain contentieux.

Le premier cas est celui de l’erreur dans les « compétences »667 de son contractant. La jurisprudence y voit le plus souvent une erreur inexcusable668 ou non déterminante669. Mais il arrive également qu’elle soit retenue, au titre de l’erreur sur la personne670. La casuistique règne, et les directives manquent. À la réflexion, admettre une telle erreur reviendrait à brouiller la frontière entre ce qui relève de la formation et de l’exécution du contrat. De fait, chaque fois que l’exécution du contrat n’aura pas été satisfaisante pour l’une des parties, celle-ci pourrait obtenir l’annulation du contrat pour erreur, délaissant ce faisant le terrain naturel des sanctions de l’inexécution du contrat. La prendre en considération par principe est un moyen trop commode d’anéantir un contrat mal exécuté : contracter, et notamment choisir son cocontractant, comporte toujours des risques. Admettre l’erreur dans les compétences du contractant n’est-ce pas permettre d’une certaine manière l’erreur sur le fait que le contrat allait bien être exécuté, ce qui, en droit, n’a pas de sens ?

Le second cas est celui de l’erreur sur la solvabilité du débiteur. La jurisprudence admet dans certains cas qu’une telle erreur soit une cause d’annulation du contrat. C’est le cas en matière de cautionnement, encore qu’il faille immédiatement préciser que le débiteur n’est pas le cocontractant de la caution (c’est le créancier qui contracte avec la caution), mais un tiers (un peu particulier, il est vrai)671. En réalité, les difficultés consistent ici, plus qu’ailleurs encore, à distinguer ce qui relève des qualités du débiteur et ce qui relève des « simples motifs », pour parler comme la loi, les conditions d’annulation étant plus strictes dans ce second cas672.

Aménagements conventionnels Il n’est pas rare qu’un contrat indique qu’il est conclu (ou non) intuitu personae. La formule est aussi répandue qu’imprécise puisqu’elle revient à dire que le contrat est conclu en considération de la personne. Mais, précisément, le contrat est-il conclu en considération de l’identité et/ou de telle(s) autre(s) qualité(s) de la personne ? Si le contrat est conclu avec une personne morale, l’est-il en considération de la personne morale elle-même et/ou de tel(s) dirigeant(s) ou associé(s) ? On a déjà rencontré cette question673 et on la retrouvera à l’occasion de l’étude de la caducité674 et de la cession de contrat675.

Droit spécial : de l’erreur en mariage À l’origine, l’ancien article  180 C. civ., relatif à la nullité du mariage, qui visait « l’erreur dans la personne », ne renvoyait, d’après la jurisprudence, qu’à « l’erreur qui porte sur l’identité de la personne et par le résultat de laquelle l’une des parties a épousé une personne autre que celle à qui elle croyait s’unir »676. Mais par une loi du 11 juillet 1975, le législateur a modifié la disposition en prévoyant que la nullité du mariage peut être demandée « [s]'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne ».

b - Les caractères de l’erreur

153 Deux caractères. Pour que l’erreur soit une cause d’annulation du contrat, elle doit présenter deux caractères : porter sur les qualités essentielles et être excusable.

154 Qualités essentielles entendues subjectivement. L’erreur doit porter sur les « qualités essentielles » (C. civ., art 1132. Or, d'après l'article 1133 C. civ., il s'agit des qualités « qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». Ce sont donc deux conditions subjectives et cumulatives (« et ») qui sont requises pour qu’une qualité soit considérée comme essentielle.

En premier lieu, il s’agit des qualités « en considération desquelles les parties ont contracté ». Si l’on veut distinguer cette première condition de la seconde, il faut comprendre que la qualité doit avoir été déterminante pour l’errans. Il s’agirait donc d’une application de l’exigence générale formulée à l’article  1130 C. civ.677. Elle s’apprécie bien évidemment in concreto678. Au-delà, le texte doit être interprété utilement : il ne saurait exiger que les deux parties à un même contrat aient contracté toutes deux en considération de telle qualité, mais seulement que le demandeur en nullité l’ait fait.

En second lieu, les qualités doivent avoir été « expressément ou tacitement convenues ». Cette exigence est fondamentale en vue d’assurer la sécurité des transactions : la circonstance que telle qualité était déterminante pour l’errans doit avoir été expressément ou tacitement convenue avec le cocontractant. Aussi, la simple connaissance par le cocontractant de l’errans du caractère déterminant pour lui de telle qualité paraît insuffisante pour emporter la nullité du contrat679. Toutefois, en présence d’un acte à titre gratuit et par une interprétation a fortiori de l’article 1135680, peu importe que l’erreur revête ce caractère en présence d’une libéralité et, par analogie peut-être, de tout acte à titre gratuit681.

En tout état de cause, lorsque les parties sont convenues que le contrat présentait, s’agissant de telle qualité de la prestation, un caractère aléatoire , l'erreur ne saurait être par la suite invoquée si cette qualité fait défaut. C'est ce qu'exprime l'article 1133 al. 3 C. civ. : « L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité » 682. Il faut toutefois réserver le cas de l’erreur qui porterait sur les éléments d’appréciation de l’aléa683.

155 Excusable . L'erreur doit être « excusable » (C. civ., art 1132. Si l'erreur était facilement décelable, ou si elle n'a pu être décelée à la suite d'une faute commise par l' errans, elle sera considérée comme inexcusable : De non vigilantibus non curat praetor684. En s’en tenant à la jurisprudence antérieure, le caractère excusable ou non de l’erreur sera apprécié in concreto, en considération de la nature du contrat envisagé, de la nature de la chose ou du travail sur lequel il porte, de la qualité des parties. Le contentieux porte le plus souvent685 sur l’acquisition d’œuvres d’art686, le recrutement de personnel687.

Le cas particulier de l’erreur sur la valeur d’une chose ou d’une prestation suscite d’importantes difficultés. Chacun devant s’assurer de la valeur des choses ou des prestations qu’il fournit ou reçoit, l’article 1136 prévoit que l’erreur sur la valeur « par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-­ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité »688. De fait, prendre en compte l’erreur sur la valeur conduirait le plus souvent à sanctionner la lésion, laquelle ne l’est en principe pas en droit français689. Bien entendu, si l’erreur sur la valeur prend sa source dans une erreur sur les qualités de la prestation, le contrat pourra être annulé (par exemple, des chandeliers en cuivre ont été payés au-delà de leur valeur, l’acheteur les ayant cru lors de l’acquisition être en argent). Il en va de même chaque fois que l’erreur trouvera sa source dans des éléments de valorisation erronés690. Si l’idée qui sous-tend une telle règle est que chacun doit s’assurer de la valeur de ce qu’il reçoit ou procure à l’autre – son erreur est dans une certaine mesure inexcusable –, la frontière est parfois ténue avec l’erreur sur la substance, à la lecture de certains arrêts691. L’erreur sur la valeur doit être distinguée de l’erreur sur l’unité monétaire et de l’erreur d’« affichage ». En cas d’erreur sur l’unité monétaire (ex. le vendeur avait entendu vendre son bien en nouveaux francs alors que l’acheteur comptait l’acheter en anciens francs), la jurisprudence considère, on le verra692, tantôt que le contrat n’est pas formé en ce qu’il y a eu une erreur-obstacle, tantôt que le contrat n’est pas valable en ce qu’une erreur sur la substance de la prestation (l’unité monétaire) a été commise. En cas d’erreur d’« affichage » (ex. le vendeur a affiché un prix de vente inférieur au prix souhaité, à la suite d’une erreur matérielle), la jurisprudence considère tantôt que l’on est en présence d’une erreur qui n’est pas cause de nullité693, tantôt que le contrat ne s’est pas formé694.

L’erreur sur la valeur doit être mise en perspective avec l’erreur sur la rentabilité d’un bien ou d’une prestation. Est-il possible d’obtenir la nullité d’un contrat conclu dans l’expectative de réaliser un certain résultat comptable, lorsqu’un tel résultat n’a pas été atteint ? Par exemple, un industriel acquiert une machine pensant que son chiffre d’affaires s’en trouvera amélioré ou encore un commerçant conclut un contrat de franchise avec un franchiseur dans le même espoir ; or ni la machine ni la franchise ne permettent de dégager le chiffre d’affaires escompté695. Traditionnellement, la Cour de cassation considérait que « l’appréciation erronée de la rentabilité économique de l’opération n’était pas constitutive d’une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement »696. Mais, depuis quelques années, elle admet que peut donner lieu à l’annulation du contrat une erreur commise par un franchisé sur la rentabilité de l’activité « portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante »697. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’« erreur sur la rentabilité », étant entendu qu’il est ici question de rentabilité économique et non de rentabilité technique698. La Cour de cassation a par ailleurs précisé que « [l]'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur »699. Dès lors que la Cour de cassation ne retient de sanction que lorsque l’« erreur » prend sa source dans des comptes prévisionnels fantaisistes établis par le franchiseur de manière fautive, c’est naturellement sur le terrain de la responsabilité que les difficultés devraient être tranchées700. Et non sur celui de l’« erreur sur la rentabilité » qui n’est pas une erreur au sens de la théorie des vices du consentement, et qui est en tout état de cause un instrument inadapté pour trancher les difficultés qu’elle entend résoudre.

Primo, alors que toute erreur est en théorie susceptible être caractérisée dès la conclusion du contrat, l’erreur sur la rentabilité n’est a priori susceptible de l’être qu’après la conclusion du contrat, souvent longtemps après Dans les décisions rapportées, il a ainsi fallu attendre la clôture des comptes envisagés par les prévisionnels pour déterminer si erreur il y avait eu. Certes, certains diront que l’erreur pouvait être caractérisée lors de la conclusion du contrat, par une expertise sérieuse des comptes prévisionnels établis. Mais un juge sera-t-il vraiment enclin à annuler un contrat avant même la fin de l’exercice comptable (ou de plusieurs exercices comptables), au prétexte que les chiffres escomptés lui apparaissent « irréalisables » ? Secundo , seule l'erreur « sur les qualités essentielles de la prestation due » (C. civ., art 1132 constitue un vice du consentement. Or le franchisé qui s'est mépris sur les chiffres qu'il allait réaliser ne s'est pas mépris sur les prestations qui font le contenu du contrat. Le franchisé ne s'est pas mépris sur ce que le franchiseur lui a procuré (savoir-faire, signes de ralliement de la clientèle et assistance, etc.) ou ce qu'il lui a procuré (droit d'entrée, redevances, etc.). Ce n'est donc qu'au prix de contorsions contre-nature que l'on intègre les résultats prévisionnels du franchisé aux prestations réciproquement procurées au titre du contrat de franchise 701... Le rattachement de l’erreur sur la rentabilité à l’erreur sur la substance ou les qualités essentielles en matière de franchise n’est permis que si l’on admet qu’une erreur puisse porter sur une prédiction, en particulier une prédiction comptable. Ceci implique nécessairement une extension du domaine de l’erreur, traditionnellement cantonné aux fausses représentations d’un état de fait ou de droit contemporain à la conclusion du contrat, et qui engloberait alors les fausses prévisions d’un état à venir702. Si la tentation d’une telle extension peut se comprendre dans la mesure où représentations et prévisions sont les moteurs d’un consentement, il n’en demeure pas moins que toute assimilation doit être, technique juridique oblige, rejetée. C’est pourtant bien à une telle assimilation que procède la jurisprudence en reconnaissance l’« erreur sur la rentabilité », l’erreur sur l’avenir. Sortie de son lit, la notion d’erreur s’en trouve ainsi déformée et les hypothèses, dans lesquelles l’erreur sur la rentabilité sera retenue, imprévisibles. Tertio, depuis la seconde décision rapportée703, il est acquis que l’erreur sur la rentabilité ne pourra être invoquée par le franchisé que si elle prend racine dans les déclarations du franchiseur, son cocontractant. Or c’est là une condition que l’on ne retrouve pas s’agissant des autres erreurs et qui ne peut d’ailleurs qu’entretenir une confusion avec le dol, encore que, c’est important, la Cour de cassation n’exige pas que les déclarations du franchiseur fussent être intentionnellement mensongères. Certes, pour celui qui pense que la difficulté doit être résolue sur le terrain de la responsabilité, cette décision est la bienvenue. De fait, si le franchisé avait pu invoquer une erreur en se fondant sur les prévisionnels par lui établis, le franchiseur serait associé à son insu ou contre son gré à la mauvaise fortune de l’entreprise du franchisé. Comment s’en satisfaire ?! Il reste que l’exigence posée par cette décision révèle une fois de plus que l’erreur sur la rentabilité n’est pas une erreur comme les autres, puisqu’elle obéit désormais à un régime ad hoc. Quarto, la logique du vice du consentement est celle du tout ou rien, de l’existence ou de l’absence de vice et donc du maintien ou de la destruction du contrat. Or, d’une part, le succès ou l’insuccès d’une franchise est plus ou moins important, et il n’est pas rare d’ailleurs aujourd’hui que des entreprises aux résultats médiocres soient hautement valorisées. D’autre part, le succès ou l’insuccès d’une franchise est aussi plurifactorielle. De même qu'un arbre mal planté mais bien arrosé peut donner de beaux fruits, un arbre bien né mais mal entretenu pourra ne donner que des fruits gâtés. C'est ainsi qu'une opération a priori non rentable pourra s’avérer rentable, et inversement. C’est là l’essence de toute entreprise. Alors que la mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur laisse une marge de manœuvre au juge dans l’évaluation d’éventuels dommages-intérêts, l’erreur sur la rentabilité conduira à l’anéantissement rétroactif du contrat, sans pour autant qu’on évite toute discussion sur les dommages-intérêts dans la mesure où une telle erreur suppose de toute façon une faute du franchiseur... En conclusion, voici en effet une erreur (i) qui n’est a priori susceptible d’être caractérisée qu’après la conclusion du contrat, (ii) qui ne porte pas sur qualités des prestations dues au titre du contrat ; (iii) qui nécessairement, comme le dol, est imputable au cocontractant de l’errans et (iv) qui aboutit à une solution radicale, l’anéantissement du contrat, là où l’aléa, inhérent à toute entreprise, pourrait conduire à une solution plus mesurée. De règle générale, celui qui ne veut s’engager sans être assuré de résultats à venir ne le pourra sans clause de garantie de la part de son contractant. À défaut, la rentabilité est toujours extérieure au contrat et seule la responsabilité devrait pouvoir, le cas échéant, venir au secours de l’entrepreneur déçu de ses résultats.

Illustration : la vente d’une œuvre d’art La vente d’une œuvre d’art a donné lieu à un contentieux important sous l’empire du droit antérieur à la réforme, mais les solutions devraient rester les mêmes aujourd’hui. Dans l’affaire du Poussin, des époux avaient décidé de vendre un tableau qu’un expert avait attribué à l’École des Carrache, en en fixant la valeur à 1 500 F. Il fut vendu 2 200 F, mais ainsi qu’ils le peuvent, les Musées nationaux préemptèrent. On s’aperçut alors qu’il s’agit d’un Poussin dont la valeur était donc bien supérieure. Les vendeurs demandèrent l’annulation de la vente en invoquant une erreur substantielle. Ils l’obtinrent car la vente avait été consentie dans la conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être l’œuvre de Nicolas Poussin704. Dans l’affaire table de Boulle, des époux avaient acquis sur adjudication une table d’époque Louis xvi, le catalogue comportant les mentions « accidents et restaurations ». Les acheteurs ayant plus tard découvert que la table avait fait l’objet, lors de sa restauration au XIXe siècle, de transformations, ils agirent en nullité en invoquant une erreur sur les qualités substantielles (on dirait aujourd’hui, « essentielles ») et en responsabilité contre le commissaire-priseur et l’expert. La question était celle de savoir si les restaurations dont avaient été avertis les acquéreurs par le catalogue lors de l’acquisition et qui avaient nécessité une transformation du bien, ce dont cette fois ils n’étaient pas avertis, pouvaient caractériser une erreur substantielle705. Constatant que les mentions du catalogue « avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté ce meuble n’avait subi aucune transformation depuis l’époque Louis xvi de référence », la Cour de cassation censura les juges du fond qui avaient refusé de prononcer la nullité de la vente706. Sur renvoi, la cour d’appel de Paris estima, par décision du 21 septembre 2010, que les acheteurs n’avaient pas établi avoir « consenti à la vente en considération de la seule intégrité matérielle de la table prise en son entier et avec la volonté d’acquérir un meuble conservé dans son état d’origine ». Autrement dit, la cour d’appel n’a pas nié que la transformation n’était pas une qualité substantielle, mais a considéré que l’erreur commise n’était pas déterminante. Dans une décision du 20 octobre 2011, la Première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel ayant souverainement estimé que les acquéreurs s’étaient engagés en considération de « l’installation de la marqueterie Boulle sur ce meuble d’époque Louis xvi et l’estampille C.I. Dufour » et « de la provenance du meuble issu de la collection Salomon de Rothschild »707, et non de l’absence de transformations, en conséquence de quoi la nullité ne pouvait être prononcée. L’arrêt porte finalement sur le caractère déterminant de l’erreur alors qu’il concernait initialement la notion d’erreur sur les qualités essentielles.

2 - L’erreur sur un motif extrinsèque

157 Plan. L’erreur sur un motif extrinsèque est nommée erreur sur un « simple motif » (C. civ., art 1135. D'après l'alinéa 1 er de cette disposition, il s’agit d’une erreur sur un motif « étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant ». On est en présence d’une erreur sur les motifs chaque fois qu’il y a fausses représentations portant sur des éléments extérieurs au contrat.

Envisageons l’objet (a) puis les caractères (b) d’une telle erreur.

a - L’objet de l’erreur

157 Distinction. L’erreur peut être, là encore, de fait ou de droit708.

158 Fausse représentation d’un état de fait. L’erreur sur un motif extrinsèque se conçoit dans tout acte. C’est le cas dans les actes à titre onéreux. Par exemple, une personne acquiert des tuiles qui résistent au gel car elle pense que les siennes n’y résistent pas. C’est également le cas, dans des actes à titre gratuit. Par exemple, une personne donne des biens à une fondation qui protège les animaux parce qu’elle pense, à tort, ne pas avoir d’enfants. Les illustrations en jurisprudence concernent le plus souvent des actes à titre gratuit709, et rarement des actes à titre onéreux710.

159 Fausse représentation de l’état du droit. Les erreurs qui résident dans une fausse représentation de l’état du droit ne sont pas rares. Par exemple, une personne fait par erreur une offre prioritaire à une personne qu’elle croit, à tort, être titulaire d’un droit de préemption711.

Quid lorsqu’une personne acquiert un bien croyant, à tort, pouvoir bénéficier de mesures fiscales favorables ?

Traditionnellement, la jurisprudence considère qu’il s’agit d’une erreur sur un motif extrinsèque712, ne pouvant emporter la nullité que si ce motif avait été intégré au champ contractuel par une stipulation expresse713. C’est ainsi qu’une plaquette publicitaire indiquant à tort tel avantage fiscal pouvant être retiré de l’opération ne peut emporter l’annulation du contrat si elle précise être dépourvue de valeur contractuelle714.

Toutefois, récemment, une décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation a laissé entendre qu’il s’agirait d’une erreur sur un motif intrinsèque, une erreur sur la substance715. La solution a certes été rendue sous l’empire du droit ancien, mais elle n’aurait pas été différente en application du droit nouveau.

Les motifs juridiques ayant conduit une personne à contracter pouvant être très divers716. Selon la Cour de cassation, lorsque l’erreur porte sur les conséquences juridiques d’un acte (l’obtention de mesures fiscales favorables par exemple717), elle doit être considérée comme une banale erreur sur les motifs extrinsèques et remplir les conditions strictes qui sont posées en vue de l’annulation de l’acte. En revanche, lorsque l’erreur a consisté pour l’errans à s’être cru obligé de contracter, peu importe d’après la jurisprudence que lesdites conditions soient réunies, probablement parce qu’il n’est guère envisageable qu’elles le soient.

b - Les caractères de l’erreur

160 Erreur excusable. L’erreur doit en principe être excusable (C. civ., art 1132 « L'erreur (...), à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat »). Celui qui a commis une erreur qu'il n'aurait pas dû commettre est déchu du droit d'invoquer son erreur. Par où l'on voit que derrière l'exigence du caractère excusable de l'erreur se niche une incombance718, celle de se renseigner sur telle ou telle circonstance. L’appréciation du caractère excusable de l’erreur se fait in concreto, en considération notamment de la qualité de l’errans ; la jurisprudence est plus sévère avec le professionnel qu’avec celui qui ne l’est pas719.

Avant la réforme, la Cour de cassation avait décidé, au sujet de l’erreur de droit commise par celui qui avait notifié une offre alors qu’il se croyait à tort obligé de le faire, que le caractère excusable de l’erreur n’était pas requis720. Cette solution, difficilement justifiable, doit être tenue pour enterrée par la réforme, qui pose une exigence générale quant au caractère excusable de l’erreur721.

161 Représentation expressément entrée dans le champ contractuel ? La question de savoir si l’erreur, pour donner lieu à l’annulation du contrat, doit consister en une fausse représentation expressément entrée dans le champ contractuel, appelle une distinction.

En premier lieu, dans les actes à titre onéreux, en raison de la grave insécurité juridique qui règnerait si tout contractant pouvait invoquer des motifs extrinsèques pour obtenir l’annulation d’un contrat, l’article  1135 C. civ. exige que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». La loi a ainsi consacré la jurisprudence antérieure722. Toutefois, celui qui a mal informé l’autre sur un élément qui l’a conduit à contracter, sans que cette considération n’ait été expressément érigée en élément déterminant du consentement, engage sa responsabilité723 ; si cette mauvaise information a été délivrée sciemment, le contrat pourra le cas échéant être annulé pour dol724.

En second lieu, dans les libéralités, et peut-être par analogie725, dans les actes à titre gratuit, cette condition est écartée par l’alinéa 2 de l’article 1135726. L’idée qui justifie que l’errans (celui qui s’est appauvri) puisse plus facilement obtenir la nullité de l’acte est la suivante et tient à ce que dans la balance des intérêts en présence, la pesée est nécessairement différente dans les actes à titre onéreux et dans les actes à titre gratuit : celui qui s’est enrichi moyennant un sacrifice mérite davantage de conserver ce qu’il a reçu que celui qui s’est enrichi sans un tel sacrifice. Il reste que l’annulation lèse pareillement, quel que soit l’acte en cause, l’intérêt des tiers727. Finalement, la loi ne distingue pas ce qui aurait peut-être mérité de l’être, suivant que le gratifié a ou non disposé (consommé ou aliéné) de ce qu’il a reçu...

Point sensible : de l’erreur-obstacle Il se peut que les parties aient émis des consentements qui ne se sont rencontrés qu’en apparence : les parties n’ont en réalité pas voulu la même chose. Comme le relevaient Planiol et Ripert au siècle dernier, « c’est un malentendu, ce n’est pas un contrat »728. Les erreurs-obstacle sont rares, car les personnes savent en général bien communiquer. On en trouve néanmoins quelques illustrations en jurisprudence. Par exemple, telle partie a voulu vendre tel bien et l’autre acheter tel autre (erreur sur l’assiette du contrat, erreur in corpore)729 ; ou encore, telle personne pensait vendre en euros ce que l’autre pensait acquérir en francs (erreur sur la nature du contrat, erreur in negotio)730. À la réflexion, cependant, la notion d’erreur-obstacle est confondante. En effet, de deux choses l’une : soit les volontés déclarées des parties concordent en ce qu’elles se sont manifestées, par exemple, dans un écrit cohérent et non ambigu (ex. s’agissant d’une vente : le bien est décrit de la même façon dans tout l’acte ; le prix est libellé dans telle unité monétaire) signé par les deux parties. Si l’un des cocontractants s’est mépris sur ce à quoi il a déclaré consentir, on est en présence d’une erreur classique qui procède d’une discordance entre la volonté déclarée d’une partie et sa volonté réelle et il est abusif de parler d’erreur « obstacle »731. soit les volontés déclarées des parties ne concordent pas en ce qu’elles se sont manifestées, par exemple, dans un écrit incohérent ou ambigu (ex. s’agissant d’une vente : le bien n’est pas décrit de la même façon dans tout l’acte ; le prix n’est pas libellé dans une unité monétaire) signé par les deux parties. Alors aucun contrat ne s’est formé car il y a au fond une discordance entre les deux volontés déclarées et il est abusif de parler d’« erreur » : le contrat n’est pas nul, mais inexistant en sorte que le juge devrait se borner à constater, à la demande de l’une ou l’autre des parties, que le contrat n’existe point, sans avoir à le détruire732. En conclusion, on appliquerait volontiers le test suivant : est-ce que l’acte instrumentaire, lorsqu’il en existe, est susceptible d’exécution ou d’appeler une sanction en cas d’inexécution ? Si oui, le contrat existe, même s’il est annulable en raison de l’erreur qu’aurait commise une partie ; dans le cas contraire, il n’existe pas.

B - Le dol

162 Erreur provoquée intentionnellement. Le dol désigne le comportement d’une personne destiné à induire en erreur une autre pour la décider à conclure un contrat. Il est une erreur provoquée intentionnellement.

163 Double avantage du dol sur l’erreur. La victime d’un dol est doublement avantagée par rapport à la victime d’une erreur. En premier lieu des erreurs qui ne sont normalement pas sanctionnées sur le terrain de l’erreur le sont sur celui du dol. En effet, l’erreur « qui résulte d’un dol est toujours excusable » et « elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat » (C. civ., art 1139 733. En second lieu, la victime peut obtenir la réparation de son préjudice causé par le dol, celui-ci étant une faute. À cet égard, il convient d’observer que toute victime d’une erreur découlant d’une information erronée ou d’une absence d’information qui devait être délivrée par le cocontractant pourra obtenir des dommages-intérêts même si le manquement n’est pas intentionnel et qu’il n’y a donc pas dol, car faute et préjudice, il y a bien.

164 Plan. Envisageons l’objet du dol (1) puis ses caractères (2).

1 - L’objet du dol

165 Plan. Le dol se compose d’un élément matériel (a) et d’un élément intentionnel (b), éléments dont la réunion est souverainement appréciée par les juges du fond734.

a - L’élément matériel

166 Deux types. On distingue deux sortes de dol : le dol par action et le dol par abstention (réticence dolosive).

167 Dol par action. Le dol par action consiste dans « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges » (C. civ., art 1137 al. 1 735). Il peut s’agir d’un simple mensonge – ce tableau « est de Picasso » alors qu’il s’agit d’une copie – ou encore d’une manœuvre – le compteur kilométrique d’une voiture est trafiqué736

Il convient de réserver ce que l’on appelle parfois l’« argument de vente ». De fait, l’exagération d’un cocontractant sur les qualités de sa prestation est souvent considérée comme un argument de vente autorisé ; on y voit un dolus bonus, par opposition au dolus malus737. Le commerce n’a-t-il pas toujours ainsi fonctionné ?

168 Dol par abstention (réticence dolosive). Le dol par abstention consiste dans « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » (C. civ., art 1137 al. 2 738). Il s’agit de sanctionner un silence coupable, une réticence dolosive. Parce que le silence n’est coupable que lorsque celui qui s’est tu était tenu d’informer, il ne saurait y avoir de réticence dolosive sans obligation précontractuelle d’information. Ainsi, aucune obligation d’information ne pesant sur l’acheteur d’informer le vendeur de la valeur de ce qui lui est vendu, il ne saurait y avoir de réticence dolosive739, même si l’acheteur est professionnel740 . C'est pourquoi le rapport au président de la République qui accompagne l'Ordonnance est critiquable lorsqu'il énonce que « [l]a réticence dolosive est consacrée (article 1137 alinéa 2), sans toutefois la subordonner à l'existence d'une obligation d'information par ailleurs consacrée à l'article 1112-1, le texte mettant l'accent sur l'intention de tromper ».

Au lendemain de la réforme, la question s’est donc posée de savoir si ce texte était le vecteur d’une information précontractuelle bis au champ d'application distinct de celui de l'article 1112-1 celui qui sait que tel élément est déterminant du consentement de l'autre doit le dire à l'autre, alors même cet élément n'a pas « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ». Notamment, lorsqu'une partie indique spontanément à l'autre à l'occasion des pourparlers que tel élément va la déterminer à contracter et que celle-ci s'aperçoit que celle-là se fourvoie, elle devrait alors corriger la réalité. Faudrait-il aller jusqu'à informer l'autre de la valeur de la prestation ?

Un amendement proposé par le Sénat en vue de modifier l’article 1137 et « de subordonner la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles une obligation d’information préalable existe »741 était à cet égard légitime et opportun. Mais, une fois de plus, l’absence de réflexion globale et technique suffisante eut raison de cette proposition et l’article 1137 vu adjoindre un troisième alinéa dans le seul dessein de sauver la jurisprudence Baldus742 en n’obligeant pas les parties à s’informer sur la valeur de la prestation. Ainsi est-il désormais743 prévu que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » Au vrai, en retenant cette solution a minima, l’article 1137 pose peut-être plus de difficultés qu’il n’en résout. En effet, cet alinéa étant introduit par le terme « néanmoins », on pourrait être tenté de considérer que la réticence dolosive n’est en général pas subordonnée à l’existence d’une obligation d’information préalable... Cette interprétation, pour les raisons évoquées ci-dessus, doit cependant être fermement rejetée. Soit la loi oblige telle personne à informer telle autre et toute dissimulation intentionnelle sera dolosive, soit elle n’oblige pas telle personne à informer telle autre et le silence est en toute circonstance, licite.

b - L’élément intentionnel

169 Intention de tromper. Que l’on soit en présence d’un dol par action ou par abstention, celui-ci ne sera caractérisé que s’il a été commis intentionnellement. Cela est évident pour le dol par action, car il n’existe pas de mensonge et de manœuvre (au sens où l’article 1137 les entend) qui ne soit pas intentionnel. En revanche, cela ne l’est pas forcément pour le dol par abstention dans la mesure où un silence, même coupable, peut ne pas être intentionnel. C’est pourquoi, mettant fin à des incertitudes jurisprudentielles, l’article 1137 alinéa 2 prévoit que la dissimulation doit avoir été « intentionnelle »744. D’un point de vue probatoire, la jurisprudence semble déduire parfois, de l’importance des informations non révélées et de la connaissance de ce caractère, le caractère intentionnel de l’absence de révélation745.

En cas de manquement non intentionnel à une obligation précontractuelle d’information, la victime ne pourra pas certes pas obtenir la nullité du contrat pour dol, mais elle pourra obtenir réparation de son préjudice, car il y a bien faute, et même l’annulation du contrat pour erreur (spontanée) si les conditions en sont réunies ; on l’a déjà dit746.

2 - Les caractères du dol

170 Plan. Ils concernent l’origine (a) et le caractère déterminant (b) du dol.

a - L’origine

171 Cocontractant et tiers assimilés. Si l’article 1137 vise le dol « d’un cocontractant »747, l’article 1138 précise que le dol « est également constitué s’il émane du représentant748, gérant d’affaires749, préposé ou porte-fort750 du contractant » (al. 1751) ou d’un « tiers de connivence » (al. 2752). Alors que l’alinéa 1 vise des « alter ego »753 du contractant, l’alinéa 2 vise des complices754.

En raison de la « proximité » de ces tiers avec l’une des parties, il est normal qu’on impute à celle-ci le comportement dolosif de celui-là. Deux précisions méritent d’être apportées. Primo, par une interprétation a contrario – justifiée par le caractère dérogatoire de l’imputation du comportement dolosif à autrui –, le dol qui émane de tiers non mentionnés par l’article 1138 n’est pas une cause d’annulation du contrat. Dans ce cas, le contrat ne pourra être annulé que si l’erreur provoquée par le tiers est une cause d’annulation du contrat sur le terrain de l’erreur (spontanée), comme l’avait décidé la jurisprudence sous l’empire du droit ancien755. Secundo, il y a tout lieu de penser que dans le cas précis où le représentant est un mandataire756, la solution suivant laquelle le mécanisme d’imputation dérogatoire permettait à la victime du dol d’agir en nullité, non d’agir en responsabilité contre son contractant757, sera maintenue en application des textes issus de la réforme du droit des contrats.

Droit spécial : des libéralités Avant que ne soit réformé le droit des contrats, le dol d’un tiers était une cause de nullité des libéralités, en vue de protéger le disposant758. Rien ne justifie que cette jurisprudence soit remise en cause par les nouvelles dispositions, les auteurs de la réforme n’ayant manifestement pas cherché à remettre en cause ce particularisme des libéralités.

b - Le caractère déterminant

172 Exigence de droit commun. Celui qui se prétend victime d’un dol doit démontrer que l’élément sur lequel il a été trompé revêtait pour lui une importance telle que, s’il avait été au courant de la réalité, il n’aurait pas conclu le contrat. Cette exigence, qui n’est pas expressément mentionnée au sujet du dol, découle de l’article 1130. Toutefois, on l’a vu, certaines décisions tirent du caractère intentionnel d’une réticence dolosive le caractère déterminant de l’erreur qui en est découlée759.

C - La violence

173 Plan. La violence affecte la liberté du consentement760 et non son caractère éclairé. Le consentement a été donné sous la contrainte sans que pour autant, il y ait eu une fausse représentation de la réalité. Envisageons l’objet de la violence (1), puis ses caractères (2).

1 - L’objet de la violence

174 Plan. Il est un cas général (a) et des cas particuliers (b).

La question se posera inévitablement de déterminer si une situation ne présentant pas toutes les conditions d’un cas particulier de violence peut néanmoins relever du cas général. Par exemple, une situation ne pouvant être caractérisée d’abus de dépendance761 peut-elle néanmoins constituer un cas de violence ?

a - Le cas général

175 Deux éléments . Il y a violence « lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » (C. civ., art 1140. La violence suppose ainsi une contrainte de la part de l’auteur et une crainte qui s’ensuit chez la victime.

176 La contrainte. La contrainte est susceptible de plusieurs manifestations. Primo, elle peut être physique : par exemple, une personne menace une autre de mort ou de blessures ou de détruire ses biens si elle ne conclut pas le contrat. La plupart du temps, la violence n’est que morale : le harcèlement sexuel caractérise un acte de violence, justifiant l’annulation d’un acte de rupture d’un commun accord d’un contrat de travail762. Secundo, elle peut s’exercer sur l’auteur du consentement ou sur celle d’un de ses proches. Peu importe le destinataire de la contrainte, dès lors que la crainte se produit chez l’auteur du consentement.

Comme on l’a justement relevé, « le Code civil laisse à penser que, même si la victime craignait pour la fortune ou la personne d’un tiers avec lequel elle n’entretient aucun lien, et qu’elle ne contractait que pour éviter à ce tiers la matérialisation d’un mal considérable, le contrat ne pourrait pas être annulé... Quid si une personne ne s’est engagée que parce que l’autre partie menaçait de tuer “le premier venu” ? L’engagement ne serait-il pas forcé et le consentement du contractant vicié ? Aussi (...) on comprend mal pourquoi le législateur ne s’est pas contenté de l’exigence de la crainte d’un mal considérable (...) peu important que la menace ait porté sur sa fortune ou sa personne, ou sur celle d’autrui »763. Ce serait un mauvais signal sur l’état de nos mœurs si la jurisprudence interprétait donc, à la lettre, le texte764.

Le terme « contrainte » est trop large, en ce qu’il pourrait englober non seulement la contrainte personnelle exercée par une personne –, mais aussi la contrainte contextuelle - causée par d'autres circonstances : telle personne contracte car elle est dans le besoin, par exemple -. Or la violence, dit-on, ne peut sanctionner qu'une contrainte personnelle : elle est exercée « par une partie ou par un tiers » (C. civ., art 1142 765. Dit autrement, parce que la violence « suppose la pression d’une contrainte par une personne sur une autre, il ne paraît pas possible d’assimiler l’état de nécessité à la violence »766. Les faits montrent néanmoins que la contrainte est le plus souvent un alliage, comme le révèlent la jurisprudence767 et la prohibition par la loi de l’abus d’un état de dépendance768. La jurisprudence sera appelée à jouer un rôle majeur dans les années à venir à ce sujet.

La violence est en tout état de cause une contrainte qui doit être illégitime. Tel sera le cas si la contrainte constitue en elle-même un comportement sanctionné : un fait de harcèlement sexuel, notamment. Mais on peut très bien considérer qu’une contrainte non sanctionnée en elle-même puisse donner lieu à une violence : par exemple, une personne menace de dénoncer le comportement répréhensible de telle autre si elle ne contracte pas avec elle. En revanche, la jurisprudence considère en général que les simples pressions d’ordre économique qu’une entreprise exerce sur une autre pour la conduire à contracter avec elle ne constituent pas une contrainte illégitime769.

177 La crainte. La contrainte exercée par une personne sur une autre ne donnera lieu à l’annulation du contrat que si elle a suscité chez cette dernière une crainte qui l’a conduite à contracter et sans laquelle elle ne l’aurait pas fait.

En tout état de cause, la crainte est purement appréciée in concreto. Avant la réforme, elle était également entendue in concreto770 , mais la loi enjoignait de tenir compte de paramètres abstraits (C. civ., anc. art 1112 al. 2 : « On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes »).

b - Les cas particuliers

178 Menace d’une voie de droit. Si, en principe, la menace d’une voie de droit « ne constitue pas une violence » (C. civ., art 1141, c'est parce que la contrainte est légitime771. Ainsi du vendeur qui menace de faire jouer une clause pénale si l’acheteur ne signe pas l’acte notarié de vente772. Il en va toutefois autrement « lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif », car la contrainte est cette fois illégitime773. Ainsi de celui qui signe une reconnaissance de dette sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance774, ou de celui qui conclut un contrat avec une personne pour éviter que cette dernière ne la dénonce pour une infraction pénale sans aucun rapport775.

179 Abus de dépendance. Généralités. Une personne qui estime avoir été contrainte de contracter en raison de son état de vulnérabilité peut-elle agir en nullité du contrat conclu, son consentement ayant été contraint et non donné librement ? Si, traditionnellement, la réponse était négative, la jurisprudence puis la loi ont infléchi cette position.

Trois systèmes principaux776 peuvent se concevoir en vue de sanctionner une telle contrainte. Le premier consiste à exiger une situation de dépendance ou de faiblesse, un abus d’exploitation de cette situation et un contrat déséquilibré qui n’aurait pas été autrement conclu : c’est le système de la lésion qualifiée. Le deuxième consiste à exiger une situation de dépendance ou de faiblesse, un abus d’exploitation et un contrat qui n’aurait pas été autrement conclu, peu important qu’il soit ou non déséquilibré : c’est le système de la violence économique. Le troisième consiste à se contenter d’une situation de dépendance ou de faiblesse ayant abouti à un contrat qui n’aurait pas été autrement conclu : c’est le système du vice de faiblesse.

180 Abus de dépendance777. Jurisprudence antérieure à la réforme du droit des contrats. Avant la réforme, la Cour de cassation avait retenu le système de la violence économique dans deux arrêts778, encore qu’elle n’ait rendu aucune décision significative l’appliquant779 ! Depuis la réforme, la Cour de cassation, faisant application du droit antérieur, a également retenu un tel système, au profit d’un avocat qui estimait avoir été contraint d’accepter des honoraires particulièrement faibles780.

181 Abus de dépendance. Législation. Depuis la réforme du droit des contrats, il existe désormais un vice d’abus de dépendance, qui peut être rapproché du système de la lésion qualifiée : il y a également violence « lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (C. civ., art 1143.

Les mots « à son égard » furent ajoutés par la Loi de ratification, dans une disposition considérée comme interprétative781, en sorte que l’article 1143 doit être ainsi lu, même pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la Loi de ratification.

Cinq conditions ressortent du nouveau texte, dont on ne peut prédire s’il sera appliqué strictement ou non par les juges.

182 Abus de dépendance. Législation. Première condition. La première condition consiste dans l’état de dépendance dans lequel se trouve la victime à l’égard de l’auteur de l’abus.

L’origine de la dépendance n’est pas précisée : si la loi vise « l’état de dépendance dans lequel se trouve [le] cocontractant [d’une partie] à son égard », elle n’exige pas que les parties soient d’ores et déjà en relation contractuelle782, autrement dit que l’état de dépendance découle de la conclusion d’un « contrat de dépendance »783.

Quant à la nature de la dépendance, elle n’est pas davantage précisée : elle pourra être économique, mais aussi psychologique, affective, etc.784 Quid de la personne en elle-même fragile, vulnérable, dépendante ? Le rapport au président de la République accompagnant l’Ordonnance visait bien les « personnes vulnérables ». Mais, alors même que la Loi de ratification n'est qu'interprétative, l'ajout par celle-ci des termes « à son égard » n'est pas neutre. Il ressort des travaux préparatoires que « la lettre de l'article 1143 du Code civil ne permet pas de protéger, au sens strict, une personne considérée comme faible ou vulnérable, mais bien une partie à un contrat qui se trouverait dans une situation de dépendance, c'est-à-dire une personne en position de sujétion par rapport à une autre » 785, en l’espèce le cocontractant. Autrement dit, la dépendance doit désormais être perçue comme une notion relative (on est dépendant d’un autre786) et non absolue (on est dépendant en raison de son état). Sur quoi, trois précisions. Primo, on peut voir là un écho au principe suivant lequel la violence doit être personnelle et non contextuelle787. Secundo, il ne faut pas surestimer cette opposition : plus une personne est elle-même vulnérable, plus elle sera encline à devenir dépendante d’une autre, notamment psychologiquement : la secte exploite bien les faiblesses préexistantes de ses membres. Tertio , ce n'est pas parce que l'article 1143 C. civ. ne sanctionne l'exploitation abusive que par celui qui tient un autre sous sa dépendance que celui qui exploite abusivement celui qui est dépendant d’un tiers ne sera pas sanctionné : elle le sera le cas échéant en vertu du principe général de responsabilité pour faute (C. civ., art 1240 et, si l'auteur de l'abus est un « faux » tiers (l'auteur de l'abus et celui qui tient la victime sous sa dépendance appartiennent au même groupe de sociétés) ou une « personne interposée », en raison de ses liens avec celui qui tient la victime sous sa dépendance, l'article 1143 C. civ. devrait trouver à s'appliquer.

La jurisprudence des juges du fond est pour le moment, sur la question, partagée. À raison, il a été décidé que la personne qui contracte alors qu’elle connaît des difficultés financières ne peut invoquer un état de dépendance788. Et si certaines décisions ont laissé entendre que celui qui n’était pas dépendant de l’autre ne pouvait invoquer un état de dépendance789, d’autres ne posent pas une telle exigence, à tout le moins lorsque l’état de dépendance invoqué n’est pas matériel, mais psychologique ou physique790.

183 Abus de dépendance. Législation. Deuxième condition. La deuxième condition tient à ce qu’une personne a abusé de l’état de dépendance, en usant de moyens contraires à l’éthique, sans qu’il soit réellement possible d’en donner de définition plus précise : il s’agira souvent de menaces ou de pressions de toute sorte. L’hypothèse dans laquelle au terme d’une longue négociation, une partie impose, à la dernière minute, des conditions nouvelles et défavorables à l’autre qui a pris de dispositions telles qu’il est pour elle difficile de refuser ces modifications – qu’elle n’aurait pas acceptées au départ – donnera probablement lieu à contentieux791. Si, selon certains, la constatation d’un avantage manifestement excessif devrait suffire pour établir l’abus792, tel n’est pas selon nous le cas : outre que l’on gommerait dans le texte la condition d’« abus », cela reviendrait à sanctionner la lésion dans les contrats de dépendance, ce qui serait manifestement excessif793. La jurisprudence des juges du fond paraît bien exiger réellement un abus794.

184 Abus de dépendance. Législation. Troisième condition. La troisième condition consiste dans l’engagement qui a été pris par la victime. Il ne faudrait pas croire que le législateur a retenu la logique du « tout ou rien »795, en ne prévoyant pas que l’abus puisse être sanctionné si l’engagement a été pris à des « conditions substantiellement différentes » de celles dans lesquelles il aurait été pris dans un autre contexte. En effet, c’est l’engagement qui révèle un avantage manifestement excessif qui est sanctionné. On y vient.

185 Abus de dépendance. Législation. Quatrième condition. La quatrième condition tient à ce que l’engagement pris révèle un avantage manifestement excessif. Ce sera le cas si le contrat est manifestement déséquilibré796, mais peut-être la jurisprudence estimera-t-elle que l’avantage excessif peut être extrinsèque : par exemple, l’acquéreur d’un bien dut s’endetter excessivement pour acquérir un bien qui ne lui est pas utile. Si l’abus de dépendance était retenu en présence d’un contrat non lésionnaire, on s’éloignerait alors d’un pur système de lésion qualifiée.

186 Abus de dépendance. Législation. Cinquième condition. La cinquième condition consiste dans le lien de causalité entre l’engagement pris et la « contrainte » puisqu’est visé l’engagement que la victime « n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte ». On pourrait y voir l’expression du caractère déterminant de la violence797, mais le lien de causalité n’est pas tant entre l’abus et l’engagement qui en est découlé qu’entre la situation de dépendance et ledit engagement.

187 Abus de dépendance. Législation. Distinction entre abus de dépendance et menace d’une voie de droit. La frontière entre l’abus de dépendance et la menace d’une voie de droit n’est pas évidente, comme en témoigne un arrêt de la Cour de cassation rendu sous l’empire du droit ancien798. La Première chambre civile avait en apparence sollicité l’ancien vice de violence économique dans une affaire où, pour annuler une transaction, les juges du fond avaient retenu la contrainte économique exploitée par l’un des signataires de l’acte pour amener l’autre à lui consentir une indemnité d’un montant particulièrement élevé. En l’espèce, un constructeur s’était vu contraint de transiger avec une petite société, afin que cette dernière cesse d’attaquer systématiquement ses permis de construire.

Droit spécial : de la myriade d’abus de dépendance Le législateur n’a pas attendu la réforme du droit des contrats pour sanctionner telle ou telle forme d’abus d’un état de dépendance. Les droits spéciaux le montrent bien. Le droit pénal sanctionne comme délit l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse « soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables »799. Ne sont visées que les personnes physiques, peu important que l’acte soit à titre gratuit ou onéreux. Le droit de la consommation sanctionne dans trois séries d’hypothèses un abus de faiblesse : – « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte »800 ; – « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour obtenir des engagements : 1° Soit à la suite d’un démarchage par téléphone ou télécopie ; 2° Soit à la suite d’une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, effectuée à domicile et assortie de l’offre d’avantages particuliers ; 3° Soit à l’occasion de réunions ou d’excursions organisées par l’auteur de l’infraction ou à son profit ; 4° Soit lorsque la transaction a été faite dans des lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé ou dans le cadre de foires ou de salons ; 5° Soit lorsque la transaction a été conclue dans une situation d’urgence ayant mis la victime de l’infraction dans l’impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés, tiers au contrat »801 ; - « le fait d'abuser de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour se faire remettre, sans contreparties réelles, des sommes en numéraire ou par virement, des chèques bancaires ou postaux, des ordres de paiement par carte de paiement ou carte de crédit ou bien des valeurs mobilières, au sens de l'article 529 du Code civil » 802. Ces pratiques sont sanctionnées, civilement, par la nullité du contrat803 et, pénalement, comme des délits804. On observera que les abus sanctionnés par le Code pénal et le Code de la consommation sont des abus qui consistent souvent à profiter de la vulnérabilité intrinsèque de la personne, en sorte que son consentement n’a pas été donné ni librement ni de manière éclairée. Le droit des transports prévoit, au sujet de l’assistance en mer, qu’« un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés [notamment] si : 1° Le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables (...) »805. Ce texte spécial est important dans la mesure où le « danger » n’est pas imputable au cocontractant mais à des circonstances extrinsèques. Quant au droit de la concurrence, il sanctionne comme pratique anticoncurrentielle « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur », « dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence »806. Trois conditions doivent être réunies : un état de dépendance économique d’une entreprise envers une autre, une exploitation abusive de cet état, et le fait que cette exploitation soit susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence. Ces conditions sont si difficiles à caractériser – spécialement l’état de dépendance807 – que l’abus de dépendance économique n’est presque jamais retenu808. À l’origine, celui-ci fut « défini » par la loi comme l’état de l’entreprise « qui ne dispose pas de solution équivalente »809 à celle de rester sous la domination de celui dont elle se plaint d’un abus. Si la référence à l'absence de solution équivalente a été supprimée de l'article L. 420-2, alinéa 2, par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE), c’est dans des circonstances assez mystérieuses qui ne révèlent pas une intention de rupture de la part du législateur. C’est ce qui explique qu’à peine quelques semaines après l’adoption de la loi, le Conseil de la concurrence relevait que « si, au cours des débats [parlementaires], s’est manifestée la volonté de permettre de sanctionner plus facilement l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, la discussion sur la manière d’obtenir ce résultat et la solution adoptée pour y parvenir ont concerné l’atteinte à la concurrence sur le marché ; qu’à aucun moment les débats n’ont porté sur la condition tenant à l’absence de solution équivalente »810. Il ressort aujourd’hui de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence une pluralité de critères destinés à retenir ou non un état de dépendance économique, sans que l’on ne sache trop s’ils participent d’un faisceau d’indices ou s’ils constituent de véritables conditions indépendantes et cumulatives : la part du dominant dans le chiffre d’affaires du dominé, de la notoriété et de la part de marché du dominant, et encore et toujours de la possibilité d’obtenir une solution équivalente811. Tous ces éléments ne doivent pas être mis sur le même plan : il convient de distinguer ceux qui intéressent l’« état de dépendance économique » de ceux qui concernent l’« imputabilité » de cet état. L’« état de dépendance économique », en premier lieu, devrait être caractérisé dès lors que le chiffre d’affaires de celui qui se plaint de son état est substantiellement réalisé grâce à celui dont il se prétend être dépendant : la dépendance économique désigne la situation d’une entreprise dont la prospérité, voire l’existence même dépendent d’une autre812 ? L’état de dépendance économique établi, il convient de vérifier, en second lieu, qu’il n’est pas « imputable » à celui qui s’y trouve : « la notion de “dépendance” est une notion objective qui ne résulte pas des choix stratégiques de l’entreprise qui allègue qu’elle est en situation de dépendance ». C’est ici seulement que devraient par principe intervenir les critères de « notoriété »813, de « part de marché » du dominant, ainsi que celui de la « possibilité d’obtenir une solution équivalente » pour le dominé, tous ces éléments étant liés. En effet, si le dominé peut, malgré son état de dépendance, en sortir, en contractant avec d’autres partenaires disposant également d’une certaine part de marché et d’une notoriété comparable, alors il dispose de solutions équivalentes (il peut contracter « dans des conditions techniques et économiques comparables »)814. L’état de dépendance lui étant imputable, il ne saurait se prévaloir de son état afin de bénéficier de la protection spécifique qui en découle815. Évidemment, le jeu des clauses d’exclusivité est de nature à exercer une influence sur cette difficulté. En l’absence de telles clauses, la dépendance économique sera plus facilement imputée à un choix délibéré du dominé (sauf structure particulière du marché)816. En présence de telles clauses, il en ira différemment et on ne saurait imputer l’état de dépendance économique au dominé au prétexte qu’il a consenti auxdites clauses, dès lors que ce qui est stigmatisé, c’est davantage l’impossibilité de sortir d’une relation de dépendance que le fait d’avoir contribué à s’y retrouver817. C’est pourquoi la Cour de cassation s’attache à vérifier que les juges du fond ont fait ressortir l’absence d’obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de l’entreprise prétendant être dominée, en raison de l’absence de clause d’exclusivité – absence d’obstacle juridique – et d’une certaine pression concurrentielle subie par celui qui serait dominant – absence d’obstacle matériel818. Ce raisonnement en deux temps – caractérisation de l’état de dépendance, puis détermination de son imputabilité – n’est pas celui suivi par la Cour de cassation, qui opère par raccourci819.

2 - Les caractères de la violence

188 Plan. Envisageons l’origine (a) puis le caractère déterminant (b) de la violence.

a - L’origine

189 Cocontractant ou tiers. La violence est une cause de nullité « qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers » (C. civ., art 1142. Pourquoi, sur ce point, des règles différentes sont-elles retenues pour le dol et la violence ? Probablement parce que l'impératif de sécurité juridique doit céder en présence d'une violence, fait jugé plus grave qu'un simple dol.

Toutefois, s’agissant de l’abus de dépendance économique, cas particulier de violence, la lettre de l’article 1143 exige que l’abus émane d’une partie : « (...) une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant (...) »820. L’esprit du texte est dans le sens de sa lettre : il s’agit de sanctionner le comportement qu’a eu une partie pour en tirer à son profit un avantage manifestement excessif. Un abus de dépendance doit donc a priori ne pouvoir être imputé qu’à une partie.

b - Le caractère déterminant

191 Exigence de droit commun. Bien que cela ne soit pas rappelé par les textes propres à la violence, comme tous vices du consentement, le vice de violence doit avoir été déterminant , ce qui signifie que sans l'acte de violence, la partie n'aurait pas contracté (C. civ., art 1130.

Chapitre 4 - La capacité et la représentation

Plan

191 Localisation. « La capacité et la représentation » font l’objet de la deuxième sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II consacré à « La formation du contrat ».

192 Qui peut contracter ? En droit des contrats, les notions de capacité et de représentation ont pour objet de déterminer ceux qui peuvent contracter, que ce soit pour leur compte ou pour le compte d’autrui.

La capacité désigne plus particulièrement la faculté d’une personne de devenir partie à un contrat (capacité de jouissance) et de le conclure elle-même (capacité d’exercice). Par exemple, est-ce qu’un médecin peut se voir consentir une donation de la part de l’un de ses patients ? Est-ce qu’un mineur peut acheter tel bien ?

La représentation désigne un mécanisme d’imputation particulier de la qualité de partie au contrat. En principe, est partie à un contrat celui qui le conclut. Mais peut être partie au contrat celui pour le compte de qui le contrat a été conclu. La représentation est le mécanisme par lequel une personne, le représentant, conclut un contrat auquel elle ne sera pas partie, car elle le conclut pour le compte d’une autre, le représenté. Par exemple, un mandataire est chargé de vendre le bien d’autrui ; ou encore, les représentants légaux d’un mineur décident de vendre un bien lui appartenant. Par où l’on voit que la technique de la représentation est parfois utilisée en considération de l’incapacité d’exercice d’un sujet : il existe des points de contact entre la capacité et la représentation.

193 Plan. Seule la capacité est envisagée de manière générale par l’article 1128 qui énonce les conditions de validité du contrat. En effet, si la question de la capacité (section 1) se pose chaque fois qu’un contrat est conclu, celle de la représentation (section 2) ne se pose que lorsque la personne qui s’apprête à conclure un contrat le conclut pour le compte d’autrui.

Section 1 - La capacité

194 Plan. Il convient de distinguer, à titre de summa divisio, la capacité de jouissance (§ I) de la capacité d’exercice (§ II). À ce sujet, si l’article 1145 envisage bien ces deux types de capacité, les articles suivants n’envisagent que la seconde, les incapacités de jouissance étant prévues et régies par des règles spéciales.

Pour qu’un contrat se forme valablement , on a vu que des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »821. Dans le cadre de ce paragraphe, c’est donc la deuxième condition qui nous intéresse.

§ I - La capacité de jouissance

195 Plan. Envisageons le contenu (A) puis la sanction de cette condition (B).

A - Contenu de la condition

196 Plan. La capacité de jouissance est « l’aptitude à devenir titulaire d’un droit ou d’une obligation »822. En matière contractuelle, elle désigne plus particulièrement l’aptitude d’une personne à devenir partie à un contrat. Il convient à ce titre de distinguer la capacité des personnes physiques (1) de celle des personnes morales (2).

1 - Les personnes physiques

197 Pleine capacité des personnes physiques. Parce que toute personne physique « peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi » (C. civ., art 1145 al. 1), les personnes physiques disposent par principe d'une pleine capacité de jouissance, ce qui est la conséquence directe de la liberté individuelle (DDHC, art 4 823)824 . Et parce qu'une personne ne peut plus être privée de tous ses droits depuis que la mort civile a été abolie en 1854 825, les incapacités de jouissance sont toujours spéciales.

La plupart du temps, l’édiction d’une incapacité de jouissance est destinée à protéger un intérêt particulier. Tantôt il s’agit de protéger une personne des autres : ainsi, s’il est en principe interdit à toute personne travaillant dans un établissement hébergeant des personnes âgées ou dispensant des soins psychiatriques d’acquérir un bien appartenant à ces pensionnaires, c’est que l’on craint que ne soit abusivement exploitée la faiblesse de ces derniers826 . Tantôt il s'agit de protéger une personne d'elle-même. C'est ainsi que les mineurs non émancipés ne peuvent avoir la qualité de commerçant et effectuer des actes de commerce à titre habituel (C. com., art. L. 121-2 827 ) et que le mineur de moins de seize ans ne peut consentir de libéralité (C. civ., art 903 828).

Parfois, l’incapacité de jouissance peut aussi avoir pour but la protection de l’intérêt général . C'est la raison pour laquelle certaines personnes ne peuvent se marier, un frère et une sœur par exemple (C. civ., art 162 829).

2 - Les personnes morales

198 Capacité limitée des personnes morales. La capacité de jouissance des personnes morales830 est par principe limitée, en vertu d’un principe de spécialité. De fait, l’existence d’une personne est, à la différence de celle d’une personne physique, tendue vers la réalisation d’un objet. Par exemple, telle société a pour objet l’achat pour revendre de produits électroménagers et telle association pour objet la protection des espèces menacées. Dès lors, la personne morale ne peut avoir une pleine capacité de jouissance comme l’a une personne physique. Si les personnes physiques peuvent en principe accomplir tous les actes (licites) qu’elles souhaitent, les personnes morales ne peuvent accomplir en principe que celles qui rentrent dans leur objet831, tel qu’il résulte des statuts et de la loi.

Les dispositions du Code civil relatives au droit des contrats ne comportent pas de disposition substantielle relative à la capacité des personnes morales ; il est seulement dit que la capacité des personnes morales est « limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles » (C. civ., art. 1145 al. 2).

L'article 1145 al. 2 C. civ. n'est donc plus aujourd'hui qu'un texte d'annonce renvoyant à des textes spéciaux. Il faut néanmoins rappeler que la disposition, issue de l'Ordonnance, a fait l'objet d'une réécriture par la Loi de ratification. Elle prévoyait à l'origine que la capacité des personnes morales était « limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d'entre elles ». Il pouvait ainsi être inféré de cette disposition que les actes entrant dans l'objet social mais dépourvus d'utilité pour la personne morale étaient nuls. Outre que le sens et la portée de la notion d'« utilité » étaient particulièrement sujets à controverse (quel rapport, notamment, en matière de sociétés, avec la notion d'« intérêt social » ?), la rupture avec le droit en vigueur, notamment en ce qui concerne les sociétés, aurait été manifeste et dangereuse 833. C’est ce qui explique que la Loi de ratification soit revenue sur ce texte. Même si le nouvel article 1145 alinéa 2 n’a pas été considéré comme étant interprétatif834, il est fort probable que la jurisprudence interprétera l’ancien article 1145 alinéa 2 conformément au nouveau.

S’agissant en particulier des sociétés, il convient d’appliquer les règles qui leur sont propres. Or, en principe, une société n’a la capacité d’accomplir que les actes qui entrent dans son objet social statutaire. Toutefois, la limitation de la capacité à l’objet statutaire est plus apparente que réelle, à un triple égard. En premier lieu, comme le relevait la première version de l’article 1145 (celle de l’Ordonnance) il est possible à une société d’accomplir des actes accessoires à ceux qu’autorise l’objet social. Par exemple, une société qui a pour objet l’achat pour revendre de viennoiseries pourra acheter pour revendre accessoirement des pâtisseries835. En deuxième lieu, à l’égard des tiers de bonne foi, les dirigeants engagent la société même par les actes passés en dehors de l’objet social, dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et les sociétés par actions836. La société ne peut donc invoquer le dépassement de l’objet social à l’encontre des tiers de bonne foi pour échapper aux actes accomplis, mais une action en responsabilité contre le dirigeant qui passé l’acte pourra être engagée s’il en est découlé un préjudice. En troisième lieu, la jurisprudence a décidé de manière générale qu’un tiers ne peut interdire à une société commerciale d’exercer toute activité commerciale qui ne rentre pas dans son objet social dès lors qu’elle n’est « ni soumise à autorisation préalable, ni interdite, ni contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs », « le non-respect des formalités prescrites pour les mentions au registre du commerce et des sociétés n’ayant aucune incidence sur son caractère licite ou illicite »837.

Droit spécial : des objets des différentes catégories de groupements Si l’objet d’un groupement est en principe défini dans les statuts par les membres de celui-ci, cet objet doit être conforme à l’objet ou au but du groupement tel qu’il est défini par la loi. À cet égard : - une société est instituée « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter » (C. civ., art 1832 832 ; – une association est instituée « dans un but autre que de partager des bénéfices » (art. 1 L. 1er juillet 1901 relative au contrat d’association) ; - un groupement d'intérêt économique est institué en en vue « de faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même. » (C. com., art. L. 251-1 al. 2) ; – un syndicat des copropriétaires a pour objet « la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes » (art. 14 al. 4 L. n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis).

B - Sanction de la condition

199 Nullité . Un acte accompli par une personne qui n'en avait pas la capacité (de jouissance) est un acte nul, de nullité relative ou absolue suivant la nature de l'intérêt protégé par la règle transgressée. Tout dépend donc de l'intérêt poursuivi par la règle énonçant une incapacité de jouissance. Ainsi les règles édictant des empêchements à mariage sont sanctionnées par une nullité absolue (C. civ., art 184 838) puisque l’intérêt général est en cause. C’est pourquoi l’article 1147 C. civ., qui dispose sans nuances que l’« incapacité de contracter est une cause de nullité relative », ne peut donc concerner que l’incapacité d’exercice.

§ II - La capacité d’exercice

200 Premières vues. La capacité d’exercice est l’aptitude d’une personne à exercer les droits dont elle est titulaire, « l’aptitude à faire valoir par soi-même et seul un droit dont on est titulaire sans avoir besoin d’être représenté ni assisté à cet effet par un tiers »839. La question de la capacité d’exercice est seconde par rapport à celle de la capacité de jouissance : la question de savoir si une personne peut exercer un droit ne se pose donc que si et seulement si elle est titulaire du droit. En matière contractuelle, précisément, la capacité d’exercice désigne la capacité d’une personne à conclure le contrat auquel elle est destinée à devenir partie : si elle est dotée de cette capacité, elle le pourra ; à défaut, elle sera représentée ou assistée par un tiers.

Pourquoi une personne ne pourrait-elle pas exercer elle-même les droits dont elle titulaire, et notamment conclure les contrats qui vont la lier ? La question se pose dans des termes différents suivant que la personne dont s’agit est une personne morale ou une personne physique. Une personne morale étant une « abstraction », elle n’est pas en mesure d’exprimer une volonté et donc d’exercer les droits dont elle est titulaire : ce sont ses organes qui vont le faire pour elle. Quant à la personne physique, elle exerce normalement les droits dont elle est titulaire, et lorsque la loi ne le lui permet pas, c’est qu’elle se trouve dans une situation dans laquelle elle n’est pas en mesure d’exprimer une volonté suffisamment autonome. On ne parle d’ailleurs en pratique d’« incapacité d’exercice » qu’à l’endroit des personnes physiques. Parce qu’il s’agit de protéger l’incapable (de lui-même et des autres), les règles relatives à l’incapacité des personnes physiques protègent toujours l’intérêt privé de l’incapable lui-même.

201 Plan. Là encore, il faut distinguer la capacité des personnes morales (A) de celle des personnes physiques (B).

A - Les personnes morales

202 Distinctions . Il convient, ainsi qu'y invite l'article 1145 al. 2 C. civ. en renvoyant à des règles spéciales, de respecter les procédures d'engagement des personnes morales prévues par les règles qui leur sont spécialement consacrées. Or ces règles varient suivant la nature de la personne morale (société, association, etc.), le contrat dont la conclusion est envisagée (convention libre, convention réglementée), et ce que prévoient les statuts, pour l’essentiel.

203 Illustrations : pouvoirs des représentants légaux. En principe, les représentants légaux d’une société doivent agir dans les limites de l’objet social, lequel délimite en principe la capacité de jouissance de la société, même si l’on a vu qu’il y avait des nuances840. La question que l’on se pose ici est celle des actes accomplis dans l’objet social, mais par un représentant qui n’avait pas les pouvoirs suffisants pour le faire. Si les limitations légales des pouvoirs des représentants sont opposables aux tiers, il n’en va pas de même des limitations statutaires : c’est le cas dans les sociétés civiles (C. civ., art 1849 al. 3 : « Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers » 841) et dans les sociétés commerciales (C. com., art. L. 223-18 pour les SARL 842 , C. com., art. L. 225-56 pour les sociétés anonymes 843 , C. com., art. L. 226-7 pour les sociétés en commandite par action 844 et C. com., art. L. 227-6 845 pour les SAS).

B - Les personnes physiques

204 Plan. Les personnes physiques, même placées sous un régime de protection (1) disposent d’une sphère de capacité (2).

En tout état de cause, parce que pour « consentir valablement, il faut être sain d’esprit », l’article  1129 C. civ.846 prévoit que le contrat conclu par une personne dont les facultés mentales sont altérées au jour de la conclusion du contrat est nul, alors même qu’elle n’aurait pas fait l’objet d’une mesure de protection (notamment parce que personne n’a pris l’initiative d’en instaurer une)847.

1 - Le régime de protection des personnes physiques

205 Distinction . Sont « incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : 1° Les mineurs non émancipés ; 2° Les majeurs protégés au sens de l'article 425 du présent code » (C. civ., art 1146. Alors que normalement, les premiers sont des incapables parce qu'ils ne sont pas encore capables, les seconds étaient des personnes capables devenues incapables.

206 Mineurs non émancipés. Les mineurs non émancipés sont de règle générale incapables d’exercer les droits dont ils sont titulaires, en particulier de conclure des contrats : ils sont frappés d’une incapacité générale d’exercice.

Toutefois, parce qu’ils ne sont pas frappés d’une incapacité de jouissance, les mineurs peuvent être parties à des contrats, mais ceux-ci seront conclus en leur nom et pour leur compte par leurs représentants légaux – les administrateurs légaux ou le tuteur848.

207 Majeurs protégés. En vertu du principe général énoncé à l’article 425, « [t]oute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique ».

Cette protection peut avoir été organisée par le majeur lui-même, alors qu’il était apte à exprimer une volonté libre et éclairée, par la conclusion d’un mandat de protection future (art. 477 s.) : le majeur définit à l’avance les modalités de sa protection et la personne qui le protègera si un jour il n’est plus sain d’esprit. À défaut d’un tel mandat, ou si un tel mandat s’avère insuffisant, la protection sera organisée par la loi sous le contrôle du juge à travers, suivant un ordre décroissant de gravité, une tutelle (art. 440 s.), une curatelle (art. 440 s.), ou une sauvegarde de justice (art. 433 s.). Par ailleurs, il est également possible pour le juge des tutelles d’habiliter une ou plusieurs personnes, choisies parmi certains membres de sa famille, à représenter un majeur en vue de passer certains actes en son nom : c’est l’habilitation familiale qui peut être générale ou spéciale (art. 494-1 s.). Ce n’est pas une mesure de protection judiciaire dans la mesure où le juge des tutelles ne peut la prononcer au titre des mesures de protection judiciaires849 et où il n’est pas appelé à intervenir ensuite du prononcé de l’habilitation. Prononcée pour une durée limitée, elle prendra fin notamment si le majeur est placé sous sauvegarde de justice, sous curatelle ou sous tutelle. On peut enfin mentionner les mesures d’accompagnement judiciaire (art. 495 s.) : lorsque la gestion par une personne majeure de ses prestations sociales n’est pas satisfaisante et que sa santé ou sa sécurité en est compromise, le juge des tutelles peut à certaines conditions ordonner une mesure d’accompagnement judiciaire « destinée à rétablir l’autonomie de l’intéressé dans la gestion de ses ressources » (art. 495 al. 1).

Certaines de ces mesures emportent l’incapacité du majeur protégé, d’autres non.

Le majeur sous sauvegarde de justice (sous réserve des actes pour lesquels un mandataire spécial a été désigné ; art. 435), le majeur protégé par un mandataire de protection future (arg. art. 488), le majeur bénéficiant d’une habilitation familiale spéciale (sous réserve des droits dont l’exercice a été confié à la personne habilitée ; art. 494-8 al. 1), et le majeur bénéficiant d’une mesure d’accompagnement judiciaire (sous réserve de la perception et de la gestion des prestations incluses dans la mesure d’accompagnement judiciaire ; art. 495-3) ne sont pas incapables de contracter : ils ont la capacité d’exercice. Cela peut se comprendre pour le majeur sous sauvegarde de justice dont les facultés mentales ne sont que légèrement atteintes, mais cela se comprend beaucoup plus difficilement pour le majeur protégé par un mandataire de protection future dans la mesure où ses facultés mentales peuvent être atteintes comme le sont celles d’un majeur sous curatelle ou tutelle.

Le majeur sous tutelle, le majeur sous curatelle et le majeur bénéficiant d’une habilitation familiale générale n’ont en revanche pas la capacité d’exercice850. Cette incapacité, en vue de protéger les droits des tiers, doit faire l’objet d’une publicité : une mention « RC » (Répertoire civil) est portée sur l’acte de naissance de l’intéressé851.

208 Sanction : nullité. En vertu de l’article  1147 C. civ., l’incapacité de contracter « est une cause de nullité relative »853.

En réalité, il faut distinguer. Si l'acte accompli par un mineur, un majeur sous tutelle ou un majeur faisant l'objet d'une habilitation (l'acte relevant des pouvoirs de la personne habilitée à le représenter) est nul sans condition particulière, en curatelle, la nullité ne sera prononcée que si le majeur a « subi un préjudice » (C. civ., art 465.

En tout état de cause, parce que la nullité est relative, seule la personne protégée – et non son cocontractant – peut s’en prévaloir. Si, en application des règles relatives aux nullités854, chaque partie, y compris l’incapable, devra restituer à l’autre ce qu’elle a reçu du contrat, il existe une règle particulière à l’article  1352-4 C. civ.855.

209 Sanction : obstacles à la nullité. La loi dresse trois séries d’obstacles au succès d’une action en nullité.

Une première série d'obstacles est envisagée à l'article 1151 al. 1 C. civ., qui prévoit que le contractant capable « peut faire obstacle à l'action en nullité engagée contre lui en établissant que l'acte était utile à la personne protégée et exempt de lésion ou qu’il a profité à celle-ci »856. Bien ne soient a priori concernés que les actes que l’incapable n’avait pas le pouvoir de conclure seul, on comprend que le cocontractant pourrait néanmoins en obtenir le maintien en établissant, en substance, soit qu’ils étaient lors de leur conclusion objectivement équilibrés (« exempt de lésion ») et intéressants pour l’incapable (« utile »)857, soit que par la suite ils lui devinrent profitables858 (« profité »859). Cela reviendrait « de fait à transformer la nullité pour incapacité en une forme de nullité pour simple lésion »860, appréciée au moment de la conclusion du contrat et par la suite, et ainsi à subordonner l’annulation des actes accomplis par un incapable à l’existence d’un préjudice pour lui861. Exit, ce faisant, les actes nuls per se ! Outre que ce ne semble pas avoir été l’intention du législateur, retenir une telle lecture serait contraire à l’esprit qui gouverne le droit des incapacités : ce n’est « pas l’équilibre du contrat que l’exigence de la capacité vient protéger », c’est « plus fondamentalement le consentement » : « peu importe que le cocontractant ou le juge estiment que l’acte était utile ou profitable à l’incapable. Si ce dernier demande l’annulation, il doit l’obtenir »862.

Une deuxième série d'obstacles est envisagée à l'article 1151 al. 2 C. civ., qui dispose que le contractant capable peut aussi « opposer à l'action en nullité la confirmation de l’acte par son cocontractant devenu ou redevenu capable »863. Il ne s’agit là que d’une conséquence du caractère relatif de la nullité864.

Une troisième série d’obstacles est envisagée à l’article  1152 C. civ. et concerne la prescription : « La prescription de l'action court : 1° À l'égard des actes faits par un mineur, du jour de la majorité ou de l'émancipation ; 2° À l'égard des actes faits par un majeur protégé, du jour où il en a eu connaissance alors qu'il était en situation de les refaire valablement ; 3° À l'égard des héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l'objet d'une habilitation familiale, du jour du décès si elle n'a commencé à courir auparavant ». L'idée générale est que l'action en nullité ne se prescrit qu'à compter du jour où l'incapable est devenu ou redevenu capable ou, s'il ne l'est pas redevenu, au jour de son décès : le point de départ est donc reporté dans le temps. C'est ainsi que la prescription de l'action en nullité des actes accomplis par un mineur court à compter de sa « majorité » ou de son « émancipation », de ceux accomplis par un majeur protégé, « du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement » et au cas où ce dernier serait décédé, au plus tard à compter de son « décès ». En tout état de cause, le délai butoir de l'article 2232 C. civ. s'applique, interdisant ainsi d'agir en nullité plus de vingt ans après la conclusion du contrat.

Point sensible : de l’incapable commerçant ? En principe, seul un majeur est en principe doté de la capacité d’exercer une activité commerciale. Il convient toutefois de distinguer plusieurs hypothèses. En premier lieu, à certaines conditions, le mineur émancipé peut être commerçant. C'est ce que prévoit l'article L. 121-2 du Code de commerce : « [l]e mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d'émancipation et du président du tribunal de grande instance s'il formule cette demande après avoir été émancipé ». C'est la raison pour laquelle le mineur non émancipé ne peut exercer une activité commerciale lui conférant la qualité de commerçant : exercer en son nom propre ou en tant qu'associé d'une société de personnes (société en nom collectif, par ex.) de tels associés ayant la qualité de commerçants. Au contraire, rien n'interdit à un mineur de devenir associé d'une société de capitaux (SARL ou société anonyme, par ex.) ou d'une société de personnes ayant une activité civile. Les droits sociaux sont alors souscrits en son nom par son représentant légal par application du droit commun de l'incapacité d'exercice. En second lieu, et s’agissant des majeurs, il convient de distinguer. S’agissant du majeur sous tutelle , l'article 509, 3 C. civ. interdit au tuteur, même autorisé par le juge, « d'exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ». Si le tuteur ne peut jamais exercer une activité commerciale ou libérale au nom de la personne qu'il représente, c'est que l'on a considéré que le majeur en tutelle était incapable de jouir de la qualité de commerçant. S’agissant du majeur en curatelle, l’article 467, alinéa 1 prévoit que la personne en curatelle « ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ». L’exercice d’une activité commerciale n’étant, on vient de le voir, pas permis en tutelle, même avec l’autorisation du juge, a fortiori, il ne devrait pas être possible pour le majeur sous curatelle d’exercer une activité commerciale sans l’assistance de son curateur. En revanche, cette disposition ne permet pas de savoir si l’exercice d’une profession commerciale ou d’une profession libérale est autorisé au majeur sous curatelle avec l’assistance de son curateur. Si une telle faculté était reconnue, sa mise en œuvre serait en pratique extrêmement difficile dans la mesure où le curateur devrait continuellement assister le majeur protégé. Elle l’a cependant été, par un avis de la Cour de cassation852. Quant au majeur sous sauvegarde de justice , rien ne s'oppose à ce qu'il puisse exercer une activité commerciale ou libérale. En effet, l'article 435, alinéa 1 in limine C. civ. prévoit qu’il « conserve l’exercice de ses droits ». Il n’en demeure pas moins que la situation est périlleuse pour les tiers, dans la mesure où l’alinéa 2 prévoit que les actes conclus par le majeur sous sauvegarde « (...) peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès (...) ». Le danger pour les tiers est d’autant plus grand que, contrairement à ce qui se passe en cas de tutelle ou de curatelle, le jugement d’ouverture de la sauvegarde de justice ne fait pas l’objet d’une inscription au registre du commerce et des sociétés. On retrouve une même difficulté lorsque la personne protégée fait l'objet d'un mandat de protection future puisque, d'une part, la personne protégée n'est pas privée de sa capacité et que, d'autre part, le Code de commerce ne prévoit pas de publicité au registre du commerce et des sociétés alors même que là encore, les actes conclus « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d'excès » (C. civ., art 488.

2 - La sphère de capacité des personnes physiques incapables

210 Disposition générale. Tout incapable d’exercer les droits dont il est titulaire bénéficie néanmoins d’un îlot de capacité : toute personne incapable de contracter « peut néanmoins accomplir seule les actes courants autorisés par la loi ou l’usage, pourvu qu’ils soient conclus à des conditions normales » (C. civ., art 1148. La validité d'un acte accompli par un incapable sera donc subordonnée à la réunion de deux conditions : il s'agit d'un acte courant autorisé par la loi ou l’usage (première condition) et conclu à des conditions normales (seconde condition).

S’agissant de la première condition865, sont visés des actes dont il est raisonnable d’autoriser la conclusion parce qu’ils sont sans danger. L’expression « actes courants866 autorisés par la loi ou l’usage » renvoie à d’autres dispositions propres à telle mesure de protection : l’article  388-1-1 C. civ. indique que si l'administrateur légal représente le mineur dans tous les actes de la vie civile, c'est « sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes » ; l'article 408 C. civ. dispose que si le tuteur prend soin de la personne du mineur et le représente dans tous les actes de la vie civile, c'est « sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage » autorise le mineur à agir lui-même ; l'article 473 al. 1 C. civ. prévoit que si le tuteur représente la personne en tutelle dans tous les actes de la vie civile, c'est « [s]ous réserve des cas où la loi ou l'usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même ». Tantôt c'est la loi qui autorise l’incapable à accomplir seul un acte. Ainsi le majeur sous curatelle peut tester seul (art. 470). De règle générale, la loi confère au juge le pouvoir d’accorder au majeur sous tutelle (art. 473 al. 2) ou au majeur (art. 471) sous curatelle la possibilité de passer seuls certains actes. Tantôt c’est l’usage qui permet à l’incapable d’accomplir seul l’acte. Cela se vérifie notamment pour le mineur : parce qu’il est difficilement admissible qu’un « petit enfant » de 8 ans soit traité comme « grand enfant » de 17 ans, on admettra que celui-ci puisse passer des actes que celui-là ne peut pas ; plus le mineur est âgé, plus son incapacité d’exercice est rognée.

S’agissant de la seconde condition, il faut comprendre qu’alors même que tel acte serait autorisé par la loi ou l’usage, celui-ci doit encore être conclu à des conditions normales. Pour l’essentiel, il ne doit pas être lésionnaire867 et dépourvu d’intérêt pour l’incapable. Dès lors que cette condition n’est pas posée par les textes spéciaux, on peut s’interroger sur sa portée. On pourrait être tenté d’y voir un texte général auquel les textes spéciaux dérogeraient, mais il s’agit là d’un trompe-l’œil, dès lors que ce texte s’adresse spécialement aux incapables visés par les textes spéciaux...

En tout état de cause, par application du droit commun, l’acte pourra être annulé sur le fondement des articles  1129 C. civ. et 414-1 C. civ. 868 s’il est établi que la personne protégée n’était pas saine d’esprit au moment de la conclusion du contrat.

211 Dispositions propres aux mineurs. L’article  1149 C. civ., d'une part, précise les circonstances dans lesquelles les actes courants accomplis par le mineur peuvent être remis en cause et d'autre part, élargit la sphère de capacité des mineurs telle qu'elle est définie de règle générale par l'article 1148 C. civ.

Si la loi indique que « la simple déclaration de majorité faite par le mineur ne fait pas obstacle à l'annulation » (C. civ., art 1149 al. 2), c'est une règle de bon sens qui doit être retenue par analogie pour les majeurs protégés. Décider le contraire reviendrait à ruiner en grande partie leur protection.

En premier lieu, les « actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion » (C. civ., art 1149 al. 1). Cette disposition peut apparaître superfétatoire, si on la met en perspective avec l'article 1148 C. civ. 869 dès lors qu’un acte lésionnaire (C. civ., art 1149 n'est pas un acte conclu à des conditions normales (C. civ., art 1148. Reste que la sanction est précisée : la nullité 870, a priori facultative. En énonçant que la nullité n'est pas encourue « lorsque la lésion résulte d'un événement imprévisible » (C. civ., art 1149 al. 2), le législateur rappelle que la lésion s'apprécie au jour de la conclusion du contrat.

En second lieu, le mineur « ne peut se soustraire aux engagements qu’il a pris dans l’exercice de sa profession » (C. civ., art 1149 al. 3). Cette disposition est très importante. Elle signifie que le mineur qui exerce une profession ne peut remettre en cause les actes qu'il a accomplis dans l'exercice de celle-ci en invoquant sa condition de mineur. Comme on l'a relevé, il s'agit d'une « sorte d'émancipation par et pour le travail » 871.

212 Dispositions propres aux majeurs protégés. Il est renvoyé par l’article  1150 C. civ. à des règles spéciales prévoyant en des termes identiques que les actes que cette personne a valablement passés peuvent être rescindés pour simple lésion, c’est-à-dire rétroactivement anéantis, ou réduits en cas d’excès, c’est-à-dire rééquilibrés872.

Section 2 - La représentation

213 Premières vues. Il y a représentation, en droit, lorsqu’une personne (le représentant) conclut un contrat ou tout autre acte juridique pour le compte d’une autre (le représenté).

Tantôt, le représentant n’est que la « courroie de transmission » du consentement du représenté. Ce dernier a bien participé au negotium (ex. mandat de vendre tel bien à telles conditions), mais il ne pourra participer à la confection de l’instrumentum, signer l’écrit par exemple, car il est empêché d’être présent. Dans ce cas, l’intervention du représentant est purement matérielle, ce de quoi l’on peut tirer plusieurs conséquences, notamment que les éventuels vices du consentement devront être appréciés dans la personne du représenté et non du représentant.

Tantôt, le représentant est bien plus qu’une courroie de transmission du consentement du représenté, puisque c’est lui qui va participer au negotium (ex. mandat de vendre tel bien aux conditions déterminées par le mandataire) et, accessoirement, à la confection de l’instrumentum. Dans ce cas, l’intervention du représentant n’est plus purement matérielle, elle devient intellectuelle, ce de quoi l’on peut tirer plusieurs conséquences, inverses des précédentes, notamment que les éventuels vices du consentement devront être appréciés dans la personne du représentant.

Évidemment, des situations intermédiaires peuvent se présenter (ex. mandat de vendre tel bien aux conditions déterminées par le mandataire, à l’exception du prix), qui appellent une approche des difficultés cas par cas.

Il existe trois sources de représentation : conventionnelle (ex. mandat873), légale (ex. représentation des mineurs non émancipés et des majeurs sous tutelle874), judiciaire (ex. représentation de l’absent875, de l’époux empêché876, d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté877).

Il n’existait avant la réforme que des règles spéciales aux différents types de représentation, même si au-delà des règles spéciales, on appliquait souvent par analogie les règles propres au mandat, qui étaient les plus complètes878.

214 Distinction de la représentation parfaite et imparfaite. La distinction entre représentation parfaite et imparfaite est consacrée et explicitée à l’article 1154.

D’une part, lorsque le représentant « agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté » (al. 1). La représentation est parfaite, le représentant étant « transparent » ; c’est la solution la plus courante, que l’on retrouve dans le mandat et dans différentes hypothèses de représentation judiciaire.

D’autre part, lorsque le représentant « déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l’égard du tiers contractant » (al. 2). La représentation est imparfaite, le représentant étant cette fois « opaque » puisqu’il fait écran entre le représenté et le tiers, en sorte que c’est lui qui participe à l’exécution du contrat – il réclame et se voit réclamer l’exécution du contrat – même si, économiquement, c’est le représenté qui profite ou souffre des opérations conclues ; c’est l’hypothèse du contrat de commission879, mais aussi du mandat à effet posthume880.

215 Pouvoirs du représenté. Est-ce que la représentation implique le dessaisissement du représenté, c’est-à-dire son incapacité d’exercer de passer les actes pour lesquels le représentant a reçu pouvoir ? La loi établit une distinction entre la représentation légale ou judiciaire d’un côté et la représentation conventionnelle d’un autre : l’« établissement d’une représentation légale ou judiciaire dessaisit914 pendant sa durée le représenté des pouvoirs transférés au représentant » (C. civ., art 1159 al. 1) alors que la « représentation conventionnelle laisse au représenté l'exercice de ses droits » (C. civ., art 1159 al. 2). On comprend en effet que celui qui donne mandat à un autre ne perd pas le droit de conclure lui-même les actes qui l'engageront !

Pourtant, le dessaisissement n’est pas tant la conséquence de la source légale ou judiciaire de la représentation que la conséquence de ce que la personne qui donne le pouvoir n’est pas celle qui est représentée (ex. mandat à effet posthume).

216 Pouvoirs du représentant. Principe de spécialité . La loi pose un principe de spécialité : le « représentant légal, judiciaire ou conventionnel n'est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés » (C. civ., art 1153, sachant que le sort des actes accomplis en dehors des pouvoirs ou à la suite d'un détournement de ceux-ci est réglé aux articles 1156 C. civ. et 1157 C. civ. 915.

La question de l’exacte détermination des pouvoirs octroyés au représentant est donc essentielle. À ce sujet, l’article 1155 prévoit d’abord, dans le sillage de l’article 1988916 propre au mandat, que « [l]orsque le pouvoir du représentant est défini en termes généraux, il ne couvre que les actes conservatoires et d’administration » (al. 1917), à l’exclusion des actes de disposition. Le pouvoir de « gérer » les biens du représenté est normalement considéré comme un pouvoir donné en termes généraux.

L’article 1155 prévoit ensuite, dans le sillage de l’article 1987918 relatif au mandat, que « [l]orsque le pouvoir est spécialement déterminé, le représentant ne peut accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire » (al. 2919). Si cette disposition est effectivement dans le prolongement de l’article 1987, elle est davantage descriptive que prescriptive et signifierait que le représentant peut se voir confier des affaires déterminées ou toutes les affaires du représenté, voire que le représentant, s’il ne peut qu’accomplir les actes qui lui sont permis (manifestation du principe de spécialité), peut néanmoins accomplir les actes qui en « sont l’accessoire ».

En vertu du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil, « [c]onstituent des actes d’administration les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal920.

Figure d’abord dans la colonne 1 du tableau constituant l’annexe 1 du présent décret une liste des actes qui sont regardés comme des actes d’administration.

Figure ensuite dans la colonne 1 du tableau constituant l’annexe 2 du présent décret une liste non exhaustive d’actes qui sont regardés comme des actes d’administration, à moins que les circonstances d’espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu’ils répondent aux critères de l’alinéa 1er en raison de leurs conséquences importantes sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie » (art. 1921).

Par ailleurs, « [c]onstituent des actes de disposition les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire922.

Figure encore dans la colonne 2 du tableau constituant l’annexe 1 du présent décret une liste des actes qui sont regardés comme des actes de disposition.

Figure enfin dans la colonne 2 du tableau constituant l’annexe 2 du présent décret une liste non exhaustive d’actes qui sont regardés comme des actes de disposition, à moins que les circonstances d’espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu’ils répondent aux critères de l’alinéa 1er en raison de leurs faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie. » (art. 2923).

Annexe 1 Liste des actes regardés comme actes d’administration ou comme actes de disposition
Colonne 1 : actes d’administration Colonne 2 : actes de disposition
I. – Actes portant sur les immeubles : I. – Actes portant sur les immeubles :
- convention de jouissance précaire (C. civ., art 426, al. 2) ; - disposition des droits relatifs au logement de la personne protégée, par aliénation, résiliation ou conclusion d'un bail (C. civ., art 426, al. 3) ;
- conclusion et renouvellement d'un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (C. civ., art 595 et 1718 ou preneur ; - vente ou apport en société d'un immeuble (C. civ., art 505, al. 3) ;
– bornage amiable de la propriété de la personne protégée ; - achat par le tuteur des biens de la personne protégée, ou prise à bail ou à ferme de ces biens par le tuteur (C. civ., art 508, al. 1) ;
– travaux d’améliorations utiles, aménagements, réparations d’entretien des immeubles de la personne protégée ; - échange (C. civ., art 1707;
– résiliation du bail d’habitation en tant que bailleur ; - acquisition d'immeuble en emploi ou remploi de sommes d'argent judiciairement prescrit (C. civ., art 501;
– prêt à usage et autre convention de jouissance ou d’occupation précaire ; - acceptation par le vendeur d'une promesse d'acquisition (C. civ., art 1589;
- déclaration d'insaisissabilité des immeubles non professionnels de l'entrepreneur individuel (art. L. 526-1 du Code de commerce) ; - acceptation par l'acquéreur d'une promesse de vente (C. civ., art 1589;
– mainlevée d’une inscription d’hypothèque en contrepartie d’un paiement. – dation ;
– tout acte grave, notamment la conclusion et le renouvellement du bail, relatif aux baux ruraux, commerciaux, industriels, artisanaux, professionnels et mixtes, grosses réparations sur l’immeuble ;
– constitution de droits réels principaux (usufruit, usage, servitude...) et de droits réels accessoires (hypothèques...) et autres sûretés réelles ;
- consentement à une hypothèque (C. civ., art 2413;
– mainlevée d’une inscription d’hypothèque sans contrepartie d’un paiement.
II. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels : II. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d’argent : 1° Sommes d’argent :
- ouverture d'un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 4) ; - modification de tout compte ou livret ouverts au nom de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 1 et 2) ;
- emploi et remploi de sommes d'argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (C. civ., art 468 et 501; - ouverture de tout nouveau compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (C. civ., art 427, al. 1 et 2) ;
- emploi et remploi des sommes d'argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (C. civ., art 501; - ouverture de tout compte, y compris d'un compte de gestion du patrimoine, auprès de la Caisse des Dépôts et consignations (C. civ., art 427, al. 3, et art 501, al. 4) ;
– perception des revenus ; - lorsque la personne protégée a fait l'objet d'une interdiction d'émettre des chèques, fonctionnement de ses comptes sous la signature de la personne chargée de la mesure de protection et disposition par celle-ci de tous les moyens de paiement habituels (C. civ., art 427, al. 7) ;
– réception des capitaux ; - emploi et remploi des capitaux et des excédents de revenus (C. civ., art 468 et 501;
– quittance d’un paiement ; – à compter du 1er février 2009 : contrat de fiducie par une personne sous curatelle (C. civ., art 468, al. 2) ;
– demande de délivrance d’une carte bancaire de retrait. – clôture d’un compte bancaire ;
– ouverture d’un compte de gestion de patrimoine ;
– demande de délivrance d’une carte bancaire de crédit.
2° Instruments financiers : 2° Instruments financiers (au sens de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier) :
- résiliation d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (C. civ., art 500, al. 3). - conclusion d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (C. civ., art 500, al. 3) ;
- vente ou apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé (C. civ., art 505, al. 3) ;
- vente d'instruments financiers (C. civ., art 505, al. 4).
3° Autres meubles, corporels et incorporels : 3° Autres meubles, corporels et incorporels :
– louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d’usage courant ou de faible valeur ; - aliénation des meubles meublants du logement ou résiliation ou conclusion d'un bail sur ces meubles (C. civ., art 426, al. 3) ;
- vente ou apport d'un fonds de commerce en société (C. civ., art 505, al. 3) ;
– perception des fruits ; – louage-prêt-vente-échange-dation de meubles de valeur ou qui constituent, au regard de l’inventaire, une part importante du patrimoine du mineur ou du majeur protégé ;
– location d’un coffre-fort. – vente-échange-dation d’un fonds de commerce ;
– conclusion d’un contrat de location-gérance sur un fonds de commerce.
III. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale : III. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
– candidature aux fonctions de gérant et d’administrateur ;
- copropriété des immeubles bâtis : actes visés aux art. 25 à 28-1, 30, 35 et 38 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
IV. – Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale : IV. – Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
- en cas d'indivision légale : vente d'un bien indivis pour payer les dettes de l'indivision (C. civ., art 815-3 3°]). – communauté conjugale : actes qu’un époux ne peut pas faire seul ;
– indivision conventionnelle : actes que le gérant ou l’un des coïndivisaires ne peut pas faire seul ;
– en cas de démembrement du droit de propriété : vente-échange-dation du droit démembré, actes auxquels les titulaires des droits démembrés doivent consentir conjointement, grosses réparations non urgentes.
V. – Actes à titre gratuit : V. – Actes à titre gratuit :
- inventaire (C. civ., art 503; - donation consentie par une personne protégée majeure (C. civ., art 470, al. 2 et 476, al. 1 er) ;
- acceptation d'une succession à concurrence de l'actif net (C. civ., art 507-1; - partage amiable (C. civ., art 507;
- acceptation d'un legs universel ou à titre universel à concurrence de l'actif net (C. civ., art 507-1 et 724-1; - acceptation pure et simple d'une succession (C. civ., art 507-1, al. 1 er) ;
- acte de notoriété (C. civ., art 730-1; - révocation d'une renonciation à une succession ou à un legs universel ou à titre universel (art 507-2 du Code civil) ;
- action interrogatoire à l'encontre des héritiers taisants (art 771, al. 2, du Code civil) ; - acceptation pure et simple d'un legs universel ou à titre universel (C. civ., art 724-1;
- mandat aux fins de partage (C. civ., art 837; - révocation d'une renonciation à un legs (C. civ., art 724-1;
– acceptation de legs à titre particulier et de donation non grevés de charge ; - choix par le donataire de rapporter en nature le bien donné (C. civ., art 859;
– délivrance de legs ; - renonciation à une succession (C. civ., art 507-1, al. 2) ;
– déclaration de succession ; - renonciation à un legs (C. civ., art 724-1;
– attestation de propriété. - renonciation à une action en réduction des libéralités excessives après le décès du prémourant (C. civ., art 920;
– acceptation de legs à titre particulier et de donations grevés de charges ;
– renonciation à un legs universel grevé de charges ;
- révocation d'une donation entre époux (C. civ., art 953;
– consentement à exécution d’une donation entre époux.
VI. ― Actions en justice : VI. – Actions en justice :
- toute action en justice relative à un droit patrimonial de la personne sous tutelle (C. civ., art 504, al. 2) ; - toute action en justice relative à un droit extrapatrimonial de la personne sous tutelle (C. civ., art 475, al. 2) ;
– tout acte de procédure qui n’emporte pas perte du droit d’action. - toute action en justice relative à un droit patrimonial ou extrapatrimonial de la personne en curatelle (C. civ., art 468, al. 3) ;
- action par la personne chargée de la protection en nullité, rescision ou réduction, selon le cas, des actes accomplis par la personne protégée (C. civ., art 465, al. 6) ;
– tout acte de procédure qui n’emporte pas perte du droit d’action.
VII. – Assurances : VII. – Assurances :
– conclusion ou renouvellement d’un contrat d’assurance de biens ou de responsabilité civile. - demande d'avance sur contrat d'assurance (C. assur., art. L. 132-21.
VIII. – Actes de poursuite et d’exécution : VIII. – Actes de poursuite et d’exécution :
- mesures conservatoires (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991) ; - saisie immobilière (C. civ., art. 2206, al. 1 et art. 13 du décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006).
- procédures d'exécution mobilière (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991).
IX. – Actes divers : IX. – Actes divers :
- indivision légale : actes visés par l'article 815-3 1° et 2) du Code civil (acte d'administration des biens indivis et mandat général d'administration) ; - transaction et compromis et clause compromissoire au nom de la personne protégée (C. civ., art 506;
– tout acte relatif à l’animal domestique de la personne protégée. ― changement ou modification du régime matrimonial (C. civ., art 1397;
- souscription ou rachat d'un contrat d'assurance-vie et désignation ou substitution du bénéficiaire (C. assur., art. L. 132-4-1 et C. mut., art. L. 223-7-1;
- révocation du bénéfice non accepté d'un contrat d'assurance-vie (C. assur., art. L. 132-9 et C. mut., art. L. 223-11;
- confirmation de l'acte nul pour insanité d'esprit (C. civ., art 414-2;
- confirmation d'un acte nul pour avoir été accompli par le tuteur ou le curateur seul (C. civ., art 465, al. 8) ;
– convention d’honoraires proportionnels en toute ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires.
Annexe 2 Liste des actes regardés comme des actes d’administration ou de disposition sauf circonstances d’espèce
Colonne 1 : actes d’administration Colonne 2 : actes de disposition
I. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels : I. – Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d’argent : 1° Sommes d’argent :
– paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital ; – prélèvement sur le capital à l’exclusion du paiement des dettes ;
– octroi de délai raisonnable en vue du recouvrement de créances. – emprunt de sommes d’argent ;
– prêt consenti par la personne protégée.
2° Instruments financiers (au sens de l'art. L. 211-1 du Code monétaire et financier) : 2° Instruments financiers (au sens de l'art. L. 211-1 du Code monétaire et financier) :
– actes de gestion d’un portefeuille, y compris les cessions de titres à condition qu’elles soient suivies de leur remplacement ; – cession du portefeuille en pleine propriété ou en nue-propriété ;
– exercice du droit de vote dans les assemblées, sauf ce qui est dit à propos des ordres du jour particuliers ; – acquisition et cession d’instruments financiers non inclus dans un portefeuille ;
– demandes d’attribution, de regroupement ou d’échanges de titres ; – nantissement et mainlevée du nantissement d’instruments financiers.
– vente des droits ou des titres formant rompus ;
– souscription à une augmentation de capital, sauf ce qui est dit sur le placement de fonds ;
– conversion d’obligations convertibles en actions admises à la négociation sur un marché réglementé.
3° Autres meubles, corporels et incorporels : 3° Autres meubles, corporels et incorporels :
– cession de fruits ;
– vente-échange-dation de droits incorporels ;
– conclusion d’un contrat d’exploitation d’un droit ou d’un meuble incorporel.
II. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale : II. – Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
– engagement de conservation de parts ou d’actions. – tout apport en société non visé à l’annexe 1 ;
– détermination du vote sur les ordres du jour suivants : Reprise des apports – Modification des statuts – prorogation et dissolution du groupement – fusion – scission – apport partiel d’actifs – agrément d’un associé – augmentation et réduction du capital – changement d’objet social – emprunt et constitution de sûreté – vente d’un élément d’actif immobilisé – aggravation des engagements des associés ;
– maintien dans le groupement ;
– cession et nantissement de titres.
III. – Actes relatifs à la vie professionnelle : III. – Actes relatifs à la vie professionnelle :
– conclusion et rupture d’un contrat de travail en qualité d’employeur ;
– conclusion et rupture d’un contrat de travail en qualité de salarié ;
- adhésion à un contrat d'assurance de groupe en cas de vie dont les prestations sont liées à la cessation d'activité professionnelle ou adhésion à un contrat de prévoyance complémentaire (sauf en matière d'assurance-vie : C. assur., art. L. 132-4-1 et L. 132-9 et C. mut., art. L. 223-7-1 et L. 223-11;
- adhésion à un contrat d'assurance afférent au risque décès dans le cadre d'un contrat collectif (C. assur., art. L. 141-5 et C. mut., art. L. 233-6).
IV. – Assurances : IV. – Assurances :
– acceptation de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie sans charge. – acceptation de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie avec charges ;
– versement de nouvelles primes sur un contrat d’assurance-vie.
V. – Actes divers : V. – Actes divers :
– contrat de crédit

217 Pouvoirs du représentant. Distinction. Les actes accomplis par le représentant qui n’aurait pas respecté les limites des pouvoirs conférés, dans leur objet (actes accomplis sans pouvoir ou au-delà des pouvoirs) ou leur but (actes accomplis à la suite d’un détournement de pouvoirs), sont sanctionnés, encore qu’ils le soient différemment.

218 Pouvoirs du représentant. Absence de pouvoirs. L’acte accompli sans pouvoir ou au-delà des pouvoirs (C. civ., art 1156 est en principe inopposable924 par le tiers au représenté. Cette sanction est légitime et opportune.

La sanction est en premier lieu légitime. Le pseudo représentant n’ayant pas le pouvoir de représenter le représenté, il n’est pas possible d’imputer à ce dernier les actes passés pour son compte. L’inopposabilité « n’est pas tant une sanction, que la constatation d’un état de fait »925, celle d’un acte que le représenté peut tenir pour inexistant à son endroit926. D’une certaine manière, l’article  1156 C. civ. est un corollaire du principe de l'effet relatif des contrats (C. civ., art 1199 927) : le représenté ne peut être lié par un acte auquel il n’a pas consenti lui-même ou par l’intermédiaire d’une personne à qui il avait conféré le pouvoir de consentir pour elle.

La sanction est en second lieu opportune. De fait, l’inopposabilité est plus commode pour le représenté, puisqu’il n’a « rien à faire », alors que la nullité suppose une action en justice, laquelle se prescrit au surplus. La sanction de l’inopposabilité rompt avec le droit antérieur (du mandat) puisque l’acte accompli en dehors des pouvoirs par un mandataire semblait être annulable à la demande du représenté928 (l’article 1998, propre au mandat, est particulièrement imprécis, se contentant d’indiquer que le mandant « est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné » (al. 1) et qu’il « n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement » (al. 2)).

L’inopposabilité du contrat est écartée au profit du tiers de bonne foi. En effet, le tiers qui a « légitimement cru » dans les pouvoirs du représentant pourra opposer le contrat au représenté. On retrouve l’idée qui a présidé à l’admission par la jurisprudence de la théorie du mandat apparent929. Par ailleurs, le tiers qui « ignorait » (sans qu’il soit précisé que cette ignorance doive être légitime) que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs pourra préférer obtenir l’annulation du contrat930, sanction qui a suscité la perplexité931. La nullité, à défaut d’avoir fait l’objet d’un accord, devant être prononcée par le juge, le contrat mandaté est valable jusqu’à ce moment, sans pour autant être efficace, dans la mesure où il est inopposable au représenté. Deux possibilités, donc : soit le représenté le ratifie, soit le tiers en provoque l’annulation932. L’annulation aurait pour effet de rompre tous les liens dans l’opération prétendument triangulaire et de procéder aux restitutions, si des prestations ont été effectuées en vertu du contrat mandaté conclu. En tout état de cause, on comprend que l’article 1156 interdit au tiers de demander la nullité du contrat s’il n’ignorait pas que l’acte était accompli sans ou au-delà des pouvoirs et espérait une ratification du pseudo représenté. En somme, l’intérêt pour un tiers de conclure le contrat mandaté sans ignorer que le « représentant » n’a pas les pouvoirs nécessaires réside essentiellement dans le porte-fort933 que souscrira souvent ce dernier : le « représentant » se porte-fort que la personne qu’il entend représenter ratifiera le contrat mandaté conclu.

En tout état de cause, en cas de ratification de l’acte par le représenté, l’inopposabilité ne peut plus être invoquée (par le représenté), pas plus que la nullité (par le tiers). Quant au moment de la ratification, elle doit être possible tant que le représenté n’a pas manifesté sa volonté auprès du tiers de tenir le contrat comme lui étant inopposable934. Quant aux effets de la ratification, ils sont doubles : rendre l’acte valable et opposable au représenté. A priori, La ratification joue rétroactivement935. Toutefois, si la rétroactivité est de principe entre les parties, en va-t-il de même à l’égard des tiers ? C’est douteux936 , dès lors que la loi prévoit le contraire s'agissant de la confirmation d'un acte, qui joue « sans préjudice (...) des droits des tiers » (C. civ., art 1182 al. 4).

220 Pouvoirs du représentant. Détournement de pouvoirs. L’acte accompli à la suite d’un détournement de pouvoirs au détriment du représenté (C. civ., art 1157, c'est-à-dire dans un autre intérêt que celui de ce dernier (ex. le mandataire d’un acheteur payé par une commission proportionnelle ne tente pas d’obtenir le prix le plus bas auprès du vendeur), ce qui appelle une appréciation plus fine de l’opération, est également sanctionné, mais autrement : l’acte est en effet en principe valable.

Toutefois, il pourra être annulé à la demande du représenté942, chaque fois que le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

Bien que cette faculté n’ait pas été prévue, la ratification doit être offerte au représenté. Elle a ici techniquement pour effet de rendre l’acte valable chaque fois que le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

220 Pouvoirs du représentant. Synthèse. En schématisant, alors que les actes accomplis sans ou au-delà des pouvoirs sont en principe non efficaces, sauf bonne foi du tiers, les actes accomplis à la suite d’un détournement de pouvoirs sont en principe efficaces, sauf mauvaise foi de ce dernier. En tout état de cause, le représentant a commis une faute et engage sa responsabilité, le cas échéant avec le tiers de mauvaise foi, envers le représenté.

221 Interpellation interrogatoire. Eu égard aux sanctions qui frappent l’ensemble des actes accomplis en dehors des pouvoirs ou à la suite d’un détournement de pouvoirs, l’article  1158 C. civ. instaure une « interpellation interrogatoire » au bénéfice du tiers qui doute de « l’étendue du pouvoir » du représentant conventionnel943 « à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure »944.

Le tiers peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte. Le peut-il alors même qu’il ne douterait pas de l’étendue mais de l’existence même de pouvoir ? Distinguer serait oiseux : d’une part, agir au-delà de pouvoirs est agir sans pouvoir et, d’autre part, on ne voit pas pourquoi l’action ne pourrait être engagée lorsque l’on craint un pouvoir falsifié ou périmé. L’interpellation doit, en toute hypothèse, être permise945.

À défaut de réponse, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. On mesure ici la gravité particulière de l’absence de réponse : une personne va se trouver engagée par un acte alors qu’elle n’y avait pas consenti. Comme cela a été exactement relevé, l’article 1158 « conduit à donner au silence la valeur d’acceptation [et à] reconnaître une nouvelle source d’obligation car on peine à y voir une obligation de nature authentiquement contractuelle »946 . Certes, l'« écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte » (C. civ., art 1158 al. 2), mais il eut été préférable d'indiquer que cette sanction est celle qui est prévue expressément par une disposition légale (autrement dit : « [l]'écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, conformément à l'article 1158 al. 2, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte »).

Pourrait-on imaginer des tiers se faire une profession de « l’interrogation », en pariant sur le silence des personnes interrogées ? Ce serait oublier que l’interpellation interrogatoire est une prérogative qui, comme toute prérogative, doit être mise en œuvre de bonne foi947 (cela vaut aussi pour la détermination du délai, qui doit être raisonnable).

222 Double représentation et contrepartie. L’article  1161 C. civ.  interdit la double représentation ainsi que la faculté pour le représenté de se porter contrepartie, à peine de nullité de l’acte accompli948, sauf l’autorisation a priori de la loi ou du représenté ou la ratification a posteriori de ce dernier : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. (al. 1) En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié. (al. 2) ».

La lettre du texte a été retouchée par la Loi de ratification, dans une de ses dispositions devant s’appliquer aux contrats conclus après le 1er octobre 2018, dès lors qu’elle n’est pas considérée comme interprétative949. Alors qu’en vertu de l’Ordonnance, il était prévu qu’« [u]n représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté », en vertu de la Loi de ratification, il est désormais prévu qu’ « [e]n matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. » La nouvelle version apporte à la première deux précisions.

Primo, l’interdiction ne concerne que la représentation des personnes physiques et non celle de toutes les personnes, y compris morales. Cette première précision était attendue : dès lors qu’il existe en droit des sociétés des règles précises sur les « conventions réglementées » ayant pour but de remédier aux conflits d’intérêts950, il était inutile et dangereux de leur appliquer le texte général de l’article  1161 C. civ.951. Dans l’élan, c’est la représentation de toutes les personnes morales qui a été écartée du champ d’application de l’article  1161 . Reste toutefois le cas d’un contrat conclu entre une personne physique représentée et une personne morale, par hypothèse elle aussi représentée. Le représentant de la personne morale pourrait-il également représenter la personne physique ou encore un tiers pourrait-il représenter et la personne morale et la personne physique ? La lettre du texte ne permet pas de répondre à cette question de manière certaine ; mais son esprit ne commande-t-il pas de considérer le texte applicable tout en limitant la faculté d’agir en nullité à la personne physique952 ?

Secundo, l’interdiction ne vise plus les « deux parties au contrat », mais les « parties au contrat en opposition d’intérêts ». D’une part, même si cela s’imposait déjà, le texte joue quel que soit le nombre de parties au contrat. D’autre part, le législateur a envisagé le cas du contrat conclu au moins par une partie plurale. Par exemple, deux époux vendent un immeuble commun à une ou plusieurs personnes. Bien qu’il puisse exister des conflits d’intérêts au sein d’une partie plurale (ex. les deux époux sont en instance de divorce et l’un d’entre eux est « prêt à tout » pour exaucer les souhaits de celui qui désire le quitter), il semble que le législateur ait estimé, au vu de l’application de l’article 1161, que ceux formant la partie plurale étaient mus par de mêmes intérêts953.

Au-delà des précisions apportées par la Loi de ratification, l’article  1161 C. civ. constitue une rupture avec les solutions traditionnellement applicables au mandat954. Le double mandat était en principe admis955, sauf l’impossibilité pour le mandataire d’intérêt commun de représenter deux concurrents956 et les hypothèses dans lesquelles le double mandat était prohibé par la loi957 . Quant à la possibilité de se porter contrepartie, elle était également en principe admise sauf, pour l'essentiel, en matière de vente (C. civ., art 1596 958).

D’après le rapport au président de la République, « [l]'article 1161 clarifie enfin les règles applicables en cas de conflit d’intérêts entre le représentant et le représenté ou le tiers, conformément à ce qui est admis dans les projets européens ». Or, non seulement ce texte ne clarifie rien, mais revient sur le droit existant et continue de soulever, même après la Loi de ratification, de très graves interrogations, essentiellement quant à son champ d’application. A-t-il vocation à s’appliquer à toutes les situations d’intermédiation, dans lesquelles l’intermédiaire n’est pas stricto sensu un représentant, mais où il est considéré comme un mandataire (on pense notamment à l’agent immobilier, « mandataire », d’après la loi Hoguet) ? La question se pose d’autant plus que le conflit d’intérêts paraît plus prégnant lorsqu’un intermédiaire négocie pour le compte des deux parties que lorsqu’une personne ne fait que représenter deux parties qui ont négocié les termes du contrat mais qui ne peuvent être présentes lors de sa conclusion. Le texte a-t-il par ailleurs vocation à s’appliquer aux situations dans lesquelles il existe deux représentants distincts, mais qui sont subordonnés à la même personne (ex. deux clercs d’une même étude) ? Le texte a-t-il plus généralement vocation à s’appliquer lorsque les représentants ne sont que les porte-plume de leur donneur d’ordre ?959

224 Caducité en cas d’incapacité ou d’interdiction du représentant . Les pouvoirs du représentant « cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction » par l'effet d'une caducité (C. civ., art 1160 même si le texte n'y fait pas expressément référence, on est bien dans une hypothèse de caducité au sens de l'article 1186 al. 1 C. civ. 961). Certes, ce n’est pas le représentant qui est appelé à devenir partie aux contrats à conclure pour le compte du représenté en sorte que l’on pourrait s’interroger à première vue sur la pertinence de cette disposition. Mais il faut bien concéder que ce n’est pas la même chose d’être représenté par une personne ab initio incapable ou interdite – et que l’on a néanmoins choisie – et par une personne devenue incapable ou interdite962... Reste la question de l’incapacité et de l’interdiction à laquelle il est fait référence : s’agit-il de celle de conclure le contrat projeté ou de celle d’être représentant ? En bonne logique, le mécanisme de la représentation conduit à retenir la seconde branche de l’alternative.

Droit spécial : du mandat, de la commission et du courtage Le contrat de mandat est celui par lequel « une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » (art. 1984). Cette définition est relativement imprécise et on peut la préciser triplement. Primo, l’objet du pouvoir est d’accomplir des actes juridiques. Si l’intermédiaire n’accomplit aucun acte mais se borne à rapprocher des personnes, c’est un courtier. S’il accomplit des actes matériels, du moins à titre principal, on est en présence d’un contrat de prestation de service (contrat d’entreprise). Secundo, le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant, ce pourquoi le mandant est partie au contrat conclu par le mandataire et les actes juridiques conclus produiront des effets dans son patrimoine. Tertio, le mandataire n’est pas subordonné au mandant, à défaut de quoi il serait considéré comme un salarié. De nombreux intermédiaires sont qualifiés par la loi d’agents (agents commerciaux881 ou agents immobiliers882, par exemple) et, partant, considérés comme des mandataires. Pourtant, le plus souvent, ces agents n’en sont pas de véritables alors même que la loi les réputerait comme tels, dès lors qu’ils n’ont pas le pouvoir de conclure des contrats au nom et pour le compte du donneur d’ordre. Ainsi l’agent commercial est un « mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale »883 et l’agent immobilier ne peut « engager son mandant pour l’opération envisagée à moins qu’une clause de ce mandat ne l’y autorise expressément »884. Ils sont donc bien plus proches des courtiers que des mandataires. Cela n’empêche pas que, en tant que de raison, on leur applique les règles relatives au mandat, et désormais celles relatives à la représentation. Le contrat de commission est celui par lequel une personne, le commissionnaire, a reçu d’une autre, le commettant, le pouvoir d’agir ostensiblement (celui qui a reçu de tels pouvoirs d’agir, mais de façon occulte, est un prête-nom885) en son nom propre mais pour le compte de ce dernier. C’est une hypothèse de représentation imparfaite, envisagée à l’article 1154 alinéa 2. La loi réputant actes de commerce « [t]oute entreprise de (...) de commission »886, le commissionnaire est un commerçant. Le recours à la commission est possible en tout domaine, encore qu’il soit particulièrement fréquent en droit des transports887, en droit douanier888 ou en droit de la distribution889. Le Code de commerce consacre au contrat de commission en général deux dispositions. Primo , l'article L. 132-1, après avoir donné une définition du commissionnaire (« Le commissionnaire est celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant »), renvoie pour son régime au droit commun du mandat (« Les devoirs et les droits du commissionnaire qui agit au nom d'un commettant sont déterminés par le titre XIII du livre III du Code civil »). De fait, les rapports entre le commettant et le commissionnaire sont similaires à ceux d'un mandataire. Secundo , l'article L. 132-2 reconnaît au commissionnaire un privilège 890 . Le contrat de commission relève également aujourd'hui des dispositions du Code civil relatives à la représentation, et en particulier de l'article 1154 alinéa 2 : lorsque le représentant « déclare agir pour le compte d'autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l'égard du cocontractant. » Par où l'on voit que le contrat de commission se distingue du mandat dans les rapports avec les tiers. Comme il a été suggéré 891, le contrat de commission invite à distinguer les « effets personnels » des « effets réels » du contrat passé par le commissionnaire892. D’une part, le commissionnaire a personnellement la qualité de partie au contrat conclu avec le tiers : c’est lui qui réclame l’exécution du contrat au tiers et c’est à lui seul et non au commettant que ce dernier peut la réclamer (sauf le cas particulier de la commission de transport893). D’autre part, c’est le commettant qui profite ou souffre des effets patrimoniaux du contrat : dans une commission à la vente, le bien ne transite pas par le patrimoine du commissionnaire et le commettant fait sien le prix de la vente894 ; dans une commission à l’achat, le bien acquis appartient au commettant. Le contrat de courtage est celui par lequel une personne, le donneur d’ordre, en charge une autre, le courtier, de rechercher un tiers en vue de conclure un contrat avec ce dernier. L’activité de courtage étant réputée être un acte de commerce895, des dispositions sont consacrées au courtier dans le chapitre Ier (« Des courtiers ») du titre III du livre Ier du Code de commerce. Il reste que l’on n’y trouve qu’une seule règle générale, à l’article L. 131-11, laquelle prévoit que le fait pour un courtier d’être chargé d’une opération de courtage pour une affaire où il avait un intérêt personnel, sans en prévenir les parties auxquelles il aura servi d’intermédiaire est puni d’une amende sans préjudice de l’action des parties en dommages-intérêts et de sa radiation s’il est inscrit sur la liste des courtiers, dressée conformément aux dispositions réglementaires. Quant aux autres dispositions, elles concernent en réalité certains courtiers particuliers que sont les courtiers de marchandises, les courtiers interprètes et conducteurs de navires, les courtiers de transport par terre et par eau896. Ces règles relatives à des opérations de courtage spécial ne sont pas pour autant les seules et il existe, hors du Code de commerce, d’autres règles particulières à d’autres types de courtage : c’est le cas pour les courtiers en assurance897 qui sont des intermédiaires en assurance au sens du livre V du Code des assurances, pour les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement898, pour les courtiers en vins899, pour ceux qui fournissent des services de placement au sens du Code du travail900, mais aussi pour plusieurs « agents » dépourvus en principe du pouvoir de conclure des contrats, tels l’agent commercial901, l’agent immobilier902 et l’agent sportif903. Quant aux courtiers dont l’activité n’est pas régie par des règles spéciales, on peut mentionner les places de marché (qui ne sont pas de simples hébergeurs904), mais aussi les courtiers matrimoniaux, ainsi que les courtiers « para-matrimoniaux » qui n’intermédient pas forcément en vue du mariage ou d’une union stable... Ainsi, le courtage est a priori susceptible d’intervenir dans tout secteur économique, sauf à relever qu’il est pénalement sanctionné, au nom de valeurs supérieures, dans certaines hypothèses : est ainsi interdit le fait d’apporter son entremise pour favoriser contre un paiement l’obtention d’un « organe »905, « de tissus, de cellules ou de produits humains »906, « d’embryons humains »907, « du sang »908, « de gamètes »909. Une question classique est celle de l’application au contrat de courtage, par analogie, des règles du mandat, voire aujourd’hui celles de la représentation. Si les règles techniques visant à imputer à une personne un acte conclu par autrui et à lui faire supporter les frais et pertes occasionnés (le remboursement des avances et frais engagés sur le fondement de l’article  1999 C. civ. et l'indemnisation des pertes de gestion prévue à l'article 2000 C. civ.) ne peuvent par principe être appliquées au courtage, d'autres pourraient l'être, d'autant plus que certains courtiers sont désignés par la loi comme des mandataires (c'est le cas de l'agent immobilier ou de l'agent commercial, comme il vient d'être vu). Ainsi se posera la question de la licéité du double courtage (pourtant en pratique très fréquente), au-delà de la disposition visée du Code de commerce qui prohibe la faculté pour le courtier de devenir la contrepartie de son donneur d'ordre 910, au vu du nouvel article  1161 C. civ. qui dispose qu’« [e]n matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté » (al. 1, réd. L. ratif.911), l’acte accompli étant nul, « à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié » (al. 2)912. Il est vrai que les conflits d’intérêts contre lesquels vise à lutter cette disposition sont bien réels. Par ailleurs, l’indemnisation en fin de contrat de certains courtiers, comme cela se fait pour certains mandataires, se pose régulièrement913.

Droit spécial : du mandat a effet posthume Toute personne « peut donner à une ou plusieurs autres personnes, physiques ou morales, mandat d'administrer ou de gérer, sous réserve des pouvoirs confiés à l'exécuteur testamentaire, tout ou partie de sa succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou de plusieurs héritiers identifiés » (C. civ., art 812 al. 1). Si un tel mandat dessaisit les héritiers, qui sont les personnes représentées, c'est parce que celui qui a donné pouvoir (le défunt) n'est pas celui qui est représenté. Il reste que les héritiers peuvent mettre fin au mandat en aliénant les biens mentionnés dans le mandat ( C. civ., art 812-4, 5), ce qui montre qu'ils ne sont pas totalement dessaisis.

Droit spécial : du mandat En présence d’un mandat, il conviendra de mettre en perspective l’article  1156 C. civ. avec la disposition spéciale de l'article 2005 C. civ. aux termes de laquelle la « révocation notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l'ignorance de cette révocation, sauf au mandant son recours contre le mandataire ». De fait, le mandataire révoqué est certes devenu sans pouvoir, mais encore faut-il demander si la révocation est opposable aux tiers. D’une part, dans les rapports internes, la révocation prend effet au moment où elle est portée à la connaissance du mandataire révoqué (arg. art.  2006 C. civ.937). Le mandataire révoqué doit remettre immédiatement au mandat l’expédition de la procuration qu’il lui avait donnée (art.  2004 C. civ.938). Cette restitution permet d’empêcher le mandataire révoqué d’user frauduleusement du pouvoir. D’autre part, dans les rapports externes, la révocation prend effet au moment où elle est portée à la connaissance des tiers : « La révocation notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l’ignorance de cette révocation, sauf au mandant son recours contre le mandataire » (art.  2005 C. civ.)939. La jurisprudence considère que le fait d’avoir retiré au mandataire la procuration dont il était détenteur n’interdit pas aux tiers de prétendre qu’ils ont ignoré la révocation du mandat940. Au contraire, si le tiers a traité avec le mandataire dans l’ignorance de la révocation, l’acte est valable à son égard et doit être exécuté par le mandant, sauf le recours de celui-ci contre le mandataire941.

Droit spécial : du courtage Les conflits d'intérêts étant particulièrement aigus, l'article L. 131-11 du Code de commerce 960 interdisait déjà avant la réforme au courtier d'être chargé d'une opération de courtage pour une affaire où il avait un intérêt personnel, sans en prévenir les parties auxquelles il aura servi d'intermédiaire. Ce texte ne donne toutefois pas lieu à conflit et il n’y a pas de décisions significatives qui en font application.

Droit spécial : du mandat La portée de l’article  1160 C. civ. devra être tempérée en présence d'un mandat, en raison de certaines règles spéciales. Ainsi, le mandataire de bonne foi pourra invoquer l'article 2008 C. civ. aux termes duquel « si le mandataire ignore la mort du mandant ou l'une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu'il a fait dans cette ignorance est valide » et les tiers de bonne foi, l'article 2009 C. civ., d'après lequel « (...) les engagements du mandataire sont exécutés à l'égard des tiers qui sont de bonne foi ».

Chapitre 5 - Le contenu du contrat

Plan

224 Localisation. « Le contenu du contrat » fait l’objet de la troisième sous-section de la deuxième section intitulée « La validité du contrat » du chapitre II intitulé « La formation du contrat ».

Pour qu’un contrat se forme valablement , on a vu que des conditions de fond, posées par l'article 1128 du Code civil doivent être remplies : « 1 Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain »963. Dans le cadre de ce chapitre, c’est donc la troisième condition qui nous intéresse.

On verra toutefois qu’il n’est pas question d’envisager le seul but stricto sensu, mais aussi qu’il s’agit également des buts poursuivis par les parties964.

225 L'article 1101 ne dit pas tout... On sait que le contrat est défini par le Code civil comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (C. civ., art 1101 965). Cette définition appelle des précisions liminaires, quant à la définition et quant aux sources du contenu du contrat.

226 Définition du contenu du contrat : obligations, prérogatives et incombances. Le contenu du contrat ne se limite pas à la création, la modification, la transmission ou l’extinction d’« obligations », c’est-à-dire de créances et de dettes. Si le contenu du contrat se limitait à cela, les instrumenta ne seraient pas aussi épais que ce qu’ils le sont en pratique ! Certes, les obligations forment bien le cœur du contrat dans la mesure où ce sont elles qui permettent aux parties d’obtenir les prestations966 qu’elles attendent du contrat. Mais en périphérie, le contrat confère aux parties des prérogatives et met parfois à leur charge des incombances.

En premier lieu, l’obligation est le lien de droit qui astreint son titulaire passif, le débiteur, à une prestation (action ou abstention) envers son titulaire actif, le créancier967.

En deuxième lieu, une prérogative est un droit conféré à une partie qui lui permet de modifier la situation contractuelle968. Il s’agit par exemple du droit de lever une option, du droit de déterminer unilatéralement le prix en cours d’exécution du contrat, du droit de résoudre le contrat, du droit de réduire le prix, etc. On se rend bien compte qu’elle n’est pas une créance, en ce qu’elle ne tend pas à obtenir l’exécution d’une prestation de la part d’une autre personne, en ce qu’elle n’a pas de titulaire passif. Pouvoir par essence unilatéral, la prérogative est susceptible d’abus969.

En troisième lieu, une incombance est un devoir qui pèse sur une partie préalablement à la mise en œuvre d’un droit, créance ou prérogative et dont « l’inobservation expose son auteur non à une condamnation, mais à la perte des avantages attachés à l’accomplissement du devoir »970. Il s’agit par exemple du devoir de mettre en demeure le débiteur de s’exécuter avant de résoudre le contrat, du devoir pour le bénéficiaire d’un pacte de préférence de signaler un changement d’adresse afin qu’on lui permette d’exercer sa préférence (l’incombance précède la prérogative), du devoir de signaler un sinistre à son assureur dans un délai déterminé pour obtenir une indemnité ou de faire des réserves lors de la réception d’un bien pour ne pas être déchu du droit de se plaindre des défauts apparents (l’incombance précède la créance), etc. On se rend encore bien compte que l’incombance n’est pas une dette, en ce qu’elle ne tend pas à l’exécution d’une prestation due à une autre personne, en ce qu’elle n’a pas de titulaire actif.

227 Sources du contenu du contrat. Il n’y a pas d’identité nécessaire entre ce que les parties ont exprimé en contractant et ce à quoi elles seront tenues. En effet, la loi prévoit que le contrat oblige non seulement à ce que les parties ont exprimé mais aussi aux suites qui découlent de la loi, de l'usage et de l'équité (C. civ., art 1194 974).

Ainsi, dans une vente, le vendeur est normalement tenu de la garantie des vices cachés alors même que les parties n’auraient rien stipulé ou même auraient voulu l’écarter, tout simplement parce que la loi le prévoit et que dans ce cas précis elle est d’ordre public.

228 Plan. Dans cette mesure, on distinguera le contenu exprimé (section 1) du contenu imposé (section 2).

Point sensible : de la prérogative qui est aussi une obligation ou une incombance ? La Cour de cassation juge parfois que l’absence d’exercice d’une prérogative constitue une faute971. Il en va ainsi de l’absence d’exercice de la faculté pour un transporteur de décharger la marchandise dans un autre port en raison des grèves affectant les ports français972. Il en va également ainsi de l’absence d’exercice de la faculté pour un bailleur de mettre en œuvre une clause résolutoire pour non-paiement des loyers, car il fait supporter de mauvaise foi les conséquences du non-paiement du loyer pendant une longue période sur les tiers garants973. Ces décisions ouvrent la boîte de Pandore et il est impérieux d’en circonscrire le domaine. De fait, les hypothèses dans lesquelles l’exercice par une personne d’une prérogative qui lui est reconnue peut servir les intérêts d’autrui sont évidemment très nombreuses. Une piste : plutôt que de se demander si l’exercice d’une prérogative par son titulaire sert aussi l’intérêt d’autrui, ne faudrait-il pas se demander si la prérogative a été reconnue non pas seulement dans l’intérêt de son titulaire, mais aussi dans celui de tiers déterminés ?

Section 1 - Le contenu exprimé

229 Plan. Le contenu exprimé doit être déterminé (§ I), possible (§ II), équilibré (§ III) et licite (§ IV).

En revanche, peu importe que les obligations qui font le contenu du contrat aient « pour objet une prestation présente ou future » (C. civ., art 1163 al. 1).

Droit spécial : des contrats portant sur les choses futures Un contrat qui porte sur une chose future est un contrat qui peut être dangereux. En s’engageant d’ores et déjà à céder ou à acquérir un bien à venir, les parties aliènent leur liberté – parfois leur force de travail car elles devront réaliser le bien – et prennent des engagements au regard de biens qu’elles n’ont pas, qu’elles ne voient pas, qui n’existent pas, ce qui suppose de leur part un effort d’abstraction particulier. C’est la raison pour laquelle les contrats portant sur des choses futures retiennent particulièrement l’attention du législateur. Tantôt, ces contrats sont réglementés : c'est le cas notamment des donations de biens à venir (C. civ., art 1081 s.), de la vente d'immeuble à construire qui peut prendre la forme d'une vente à terme ou, beaucoup plus souvent, d'une vente en l'état futur d'achèvement (CCH, art 1601-1 s. et L. 261-1 s.). En revanche, le « bail en l'état futur d'achèvement », qui connaît un important succès en pratique et qui s'appuie le plus souvent sur une vente en l'état futur d'achèvement ne fait pas l'objet de règles particulières. Tantôt, ces contrats sont interdits en raison de l'atteinte excessive à la liberté qu'ils causent : le pacte sur succession future (C. civ., art 722 975 ) en raison de la liberté testamentaire, la cession globale d'œuvre future (CPI, art. L. 131-1 976) en raison de la liberté de création, notamment.

§ I - Détermination

230 Plan. Il faut distinguer la détermination du contenu en général (A) de la détermination des obligations portant sur une somme d’argent (B).

A - Le contenu en général

231 Sens et portée. Le Code civil ne prévoit pas directement que le contenu du contrat doive être déterminé lors de sa conclusion. Mais il l’exige indirectement en posant que l'obligation soit « déterminée ou déterminable » (C. civ., art 1163 al. 2), précision devant être apportée que ce n'est pas seulement l'obligation, mais tous les effets qui sont concernés (ex. transfert de propriété de tel bien).

C’est une exigence de bon sens que les parties doivent s’être accordées dès la conclusion du contrat afin d’être en mesure de savoir à quoi elles se sont engagées. On ne comprendrait pas qu’une partie puisse déterminer seule, une fois le contrat conclu, ce à quoi elle est obligée ou ce à quoi l’autre l’est à son endroit. Si tel était le cas, ce sont les fondements mêmes de la liberté contractuelle qui s’en trouveraient sapés : savoir ce à quoi l’on s’engage et savoir ce à quoi l’autre s’engage977.

Cela étant, l’obligation n’a pas à être déterminée, elle peut n’être que déterminable.

232 Obligation déterminée. L’obligation est déterminée lorsqu’elle est identifiée. Par exemple, l’obligation de transférer la propriété d’un terrain est identifiée par les références cadastrales, l’obligation de transférer la propriété de marchandises l’est par leur quotité et leur type et l’obligation de réaliser des réparations l’est par la nature des travaux à effectuer. Lorsque l’obligation n’est pas déterminée, le contrat n’est pas valable978, et probablement même pas formé.

233 Obligation déterminable. L’obligation est déterminable lorsqu’elle est identifiable . La « prestation » est considérée comme étant « déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire » (C. civ., art 1163 al. 3). En réalité, si la jurisprudence ancienne était reconduite, deux conditions devraient être réunies : d'une part, les parties ont prévu les éléments de sa détermination ; d’autre part, ces éléments ne dépendent pas d’un nouvel accord de volonté des parties ou même de la volonté unilatérale d’une partie. Ainsi est déterminable l’objet de la vente portant sur tous les biens, même non désignés, d’un garde-meubles979, mais ne l’est pas celui qui a pour objet la distribution et la vente de produits dont la liste, qui devait être annexée à l’acte, ne l’a pas été980 ou encore le mandat de vente d’un terrain à détacher d’une parcelle sans davantage de précision, référence cadastrale et plan annexé981.

234 Qualité de la prestation ? Ce sont les parties qui déterminent la qualité des prestations dues. Si elles ne l’ont pas fait – ce qui est possible : c’est la prestation elle-même et non sa qualité qui doit être déterminée ou déterminable en vertu de la loi –, c’est au juge qu’il reviendra de le faire, à partir de critères posés par la loi : lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, « le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie » (C. civ., art 1166 984)985. En pratique, c’est souvent le prix qui permettra d’éclairer les attentes légitimes du créancier et du débiteur. Par exemple, le nettoyage d’une voiture est de plus ou moins bonne qualité suivant la formule choisie et le prix payé.

Point sensible : de la détermination en partie unilatérale du contenu du contrat Il existe une difficulté chaque fois qu’une clause contractuelle confère à l’une des parties, dans une certaine mesure, une prérogative lui permettant de déterminer l’objet du contrat. La Cour de cassation a rendu deux décisions concernant des contrats de location de vidéocassettes, par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 23 mai 1995982, et par la chambre commerciale, le 19 novembre 1996983. Dans la première espèce, un contrat de location de cassettes vidéo est conclu entre un propriétaire bailleur et un commerçant voulant ouvrir un point club vidéo en vue de les louer à son tour à sa clientèle. Le contrat prévoyait pour une durée de 12 mois la location de 200 vidéocassettes réparties par genre (« karaté, enfant, policier », etc.) sans que soient mentionnés les titres, et sachant que le locataire propriétaire du vidéoclub disposait d’une faculté d’échange gratuit au sein d’un genre . La Cour de cassation considère l'objet du contrat déterminable en application de l'ancien article 1129 C. civ. : « la désignation de l'objet du contrat était déterminée quant à l'espèce et à la quantité, et que son identification dépendait, pour le surplus, de la volonté du locataire, et non du bailleur ». Il y avait une prérogative suffisamment circonscrite (par le genre) du bailleur, au surplus balancée par une réelle prérogative du locataire (par la faculté d’échange gratuite). Dans la seconde espèce, un contrat de même nature prévoyait pour une durée de 4 mois renouvelable, la location de 200 vidéocassettes réparties non pas par genre mais par série (films récents, grands succès, autres films) et si une faculté d’échange des cassettes au sein de leur série respective était reconnue au locataire, seul le premier échange était gratuit, les suivants étant facturés au prix respectif de chaque série. La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir annulé le contrat après avoir relevé que « la répartition des films entre les séries n’obéit à aucune logique et laisse ainsi [au bailleur] la définition discrétionnaire de l’objet de la convention, en lui permettant de répartir, à sa guise, entre les séries, les films donnés en location, à des rémunérations différentes » et « que si des échanges de cassettes étaient prévus au contrat, seul le premier échange était gratuit ». Ici, la prérogative du bailleur était trop importante (par la série) et n’était pas balancée par une réelle prérogative du locataire (par la faculté d’échange onéreuse).

B - Les obligations monétaires

235 Modèles théoriques. Les obligations monétaires font, depuis la réforme du droit des contrats et dans le sillage de la jurisprudence antérieure986, l’objet de règles particulières quant à leur détermination. En s’en tenant à la seule question de la détermination initiale du prix, sans envisager celle de sa révision, les modèles possibles sont déjà nombreux. On peut en, s’en tenant au principal, en distinguer cinq987.

236 Plan. Si les règles du Code civil comportent deux règles spéciales relatives à la détermination du prix pour les contrats-cadres et les contrats de prestation de service (2), il n’existe pas expressément de règle générale (1).

1 - Une règle générale ?

237 Le prix, une prestation ? S’il n’existe pas de règle générale expresse dans le Code civil relative à la détermination du prix, on peut se demander si une telle règle ne figurerait pas à l’article  1163 C. civ. qui exige que les parties aient, au moment de la conclusion du contrat, déterminé les prestations qui font l’objet de leurs obligations. De fait, l’article  1163 C. civ. énonce que « l’obligation a pour objet une prestation » qui doit être « déterminée ou déterminable », comme le prévoyait naguère et un peu autrement l’ancien article  1129 C. civ.

Est-ce que l’article  1163 C. civ. s’applique au prix, autrement dit, que le prix est une prestation au sens de ce texte ? La lettre du texte ne s’y oppose pas, certes, mais on peut douter que cela soit conforme à son esprit. À titre liminaire, si le législateur avait considéré le prix comme une « prestation » au sens de l’article  1163 C. civ., on peut penser qu’il l’aurait dit expressément eu égard à l’importance de la question, lui qui s’est montré si soucieux de l’accessibilité et de l’intelligibilité des nouveaux textes. Mais là n’est pas l’essentiel. Le rapport au président de la République indique, non sans emphase, au sujet de l’article  1163 C. civ., que « conformément au droit positif, (...) l’objet de l’obligation (...) doit être (...) déterminé ou déterminable, conformément aux principes actuels du Code civil » (nous soulignons) : le législateur n’a donc semble-t-il pas voulu rompre avec les solutions antérieures dégagées par la jurisprudence à partir de l’ancien article  1129 C. civ. Or, depuis plusieurs arrêts rendus en 1995989, la Cour de cassation considérait l’ancien article  1129 C. civ. comme n’étant pas applicable au prix, en conséquence de quoi celui-ci n’avait pas à être déterminé.

L'article 1163 C. civ. pourrait donc ne pas concerner le prix, et le prix n'aurait pas à être déterminé, ce qui expliquerait pourquoi le rapport prévoit que ce ne sont que les « dispositions suivantes », soit les articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ., qui « s’intéressent plus particulièrement au prix ». Si tel était bien le cas, il resterait à prendre parti sur deux questions. En premier lieu, le juge devrait se voir reconnaître, en cas de désaccord des parties sur la détermination du prix en cours d’exécution, un pouvoir de fixation du prix, même si tel n’était pas le cas sous l’empire de la jurisprudence de 1995. Ne pas l’admettre mènerait à une impasse telle qu’on en connaît en matière de baux commerciaux lorsque les parties ont prévu un loyer binaire, en partie fixe et en partie variable : en cas de désaccord lors du renouvellement, le juge ne s’estime pas compétent pour réévaluer la partie fixe du loyer si les parties ne lui ont pas accordé ce pouvoir990. En second lieu, si le prix n’a pas à être déterminé, il est évident qu’il peut l’être. Pourrait-on alors fixer un mode de détermination dépendant de la volonté d’une des parties, comme la jurisprudence de 1995 l’admettait ? Si l’on s’en tient au rapport, la solution pourrait être négative : « Compte tenu du danger qu’il y aurait à autoriser une fixation unilatérale du prix dans tous les contrats, le champ de ce texte a été limité aux contrats-cadres ». Mais le rapport est inexact, dans la mesure où la fixation unilatérale du prix par une des parties est aussi et expressément autorisée dans les contrats de prestation de service991. D’ailleurs, ne pas admettre un tel mode de fixation du prix conduirait concrètement à une remise en cause de la jurisprudence rendue au sujet des taux d’intérêt dans les contrats de prêts. De fait, sous l’empire du droit ancien, la Cour de cassation avait appliqué la solution retenue en 1995 au taux d’intérêt d’une opération de crédit, en conséquence de quoi il était tout à fait possible pour la banque, malgré les termes de l’article 1907 C. civ.992, de retenir un taux d’intérêt dépendant de son « taux de base »993.

En conclusion, donc, dans le creux des textes, c’est le modèle n° 4, le plus libéral, qui pourrait être retenu. Si au contraire l’article  1163 C. civ. devait s’appliquer à la détermination du prix, ce serait le modèle n° 1 qui s’appliquerait, le moins libéral.

2 - Les règles spéciales

238 Plan. S’il n’existe pas de règle générale expresse dans le Code civil relative à la détermination du prix, on peut se demander si une telle règle ne figurerait pas à l’article  1163 C. civ. qui exige que les parties aient, au moment de la conclusion du contrat, déterminé les prestations qui font l’objet de leurs obligations. De fait, l’article  1163 C. civ.C. civ.

Il s'agit ici d'évoquer les règles spéciales issues de l'ordonnance, soit les articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ . S'agissant des règles issues des articles 1164 C. civ. et 1165 C. civ., elles concernent, d’une part, la détermination du prix des contrats pris en application d’un contrat-cadre et des contrats de prestation de service (a) et, d’autre part, la sanction de l’abus en cas de détermination unilatérale dans ces contrats, puisque l’on verra qu’elle est possible (b).

Droit spécial : des applications du modèle n° 1 Il y a une multitude de règles spéciales, dans le Code civil ou hors du Code civil, lesquelles exigent le plus souvent que le prix soit déterminé, en interdisant de retenir un mode de calcul dépendant de la volonté d’une des parties (modèle n° 1) : la vente994, le bail d’habitation995, le contrat de promotion immobilière996, le contrat d’assurance997, le contrat conclu avec un agent immobilier998, les conventions récapitulatives conclues entre le fournisseur et le distributeur à l’issue de la négociation commerciale999, les contrats conclus entre un professionnel du droit et son client1000 et peut-être l’ensemble des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur1001.

a - La détermination du prix dans les contrats-cadres et les contrats de prestation de service

Plan. Les règles diffèrent pour le contrat de prestation de service (α) et le contrat-cadre (β

e. - Les contrats de prestation de service

239 Questions. Qu’est-ce qu’un contrat de service ? Quelle est la règle applicable à la détermination du prix dans ces contrats ? Le régime éclairant la notion, il faut commencer par envisager cette seconde question avant la première.

L’article 1165 C. civ. est écarté par la Cour de cassation lorsqu’il existe un texte spécial « envisageant » la question de la détermination du prix pour une prestation de service particulière. C’est ainsi qu’elle a considéré que les règles régissant la mission d’expertise-comptable1002 tenaient en échec ce texte, alors pourtant que ces règles n’envisagent pas expressément la question de la détermination du prix…. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a par ailleurs considéré que dès lors que le prestataire en question ne disposait pas du pouvoir de fixer le prix, c’est au juge qu’il revenait de le fixer, dès lors que des prestations ont été réalisées1003.

240 Régime : modèle n° 5. D’après l’article 1165, « à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. » C’est donc très clairement le modèle n° 5 qui est retenu.

Primo, donc, le prix n’a pas à être déterminé (ou déterminable) lors de la conclusion du contrat, comme sous l’empire du droit ancien1004, et ce malgré les termes de l’article  1710 C. civ. qui prévoyait et prévoit toujours que « [l]e louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. »

Secundo, lorsque le prix n’est pas déterminé (ou déterminable) lors de la conclusion du contrat, la loi reconnaît au prestataire de service le droit de fixer le prix alors que sous l’empire du droit ancien, c’est le juge qui le faisait lorsque les parties ne s’accordaient pas1005. Le prestataire gagne en quelque sorte une prérogative que le juge perd1006. C’est pourquoi le rapport au président de la République commet une erreur lorsqu’il relève que « [c]onsacrant (...) une jurisprudence de la Cour de cassation, l’ordonnance autorise le créancier à fixer unilatéralement le prix dans les contrats de prestation de service, tels les contrats d’entreprise, lorsque les parties ne l’ont pas fixé avant l’exécution. » Il y a bien là une rupture avec le droit ancien. La rupture n’est-elle que théorique, le client pouvant toujours contester devant le juge le prix qu’il estimerait abusif ? Non, semble-t-il, pour deux raisons. D’une part, sous l’empire du droit ancien, en cas de désaccord des parties, le prix était fixé par le juge alors que, désormais, il l’est par le prestataire, en sorte qu’il est exigible dès cet instant, alors même qu’il serait contesté. D’autre part, et en conséquence, sauf remise en cause ultérieure de celui-ci par un juge, des dommages-intérêts moratoires seront dus dès la fixation unilatérale du prix par le prestataire.

Tertio, dans les contrats de prestation de service donnant lieu au paiement d’honoraires, alors même que le prix aurait été fixé d’un commun accord, le juge devrait pouvoir, comme c’était le cas avant, en contrôler le montant et sanctionner l’excès1007, à moins que la prestation ait été librement payée une fois le service rendu1008. Manifestement le législateur n’a pas entendu revenir sur cette solution.

241 Notion. L’expression de contrat de prestation de service est parfois entendue de manière si large qu’elle comprendrait tous les contrats non translatifs de propriété. C’est du moins ce qui ressort du Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant qui définit la « Prestation de services » comme un « [t]erme générique englobant, à l’exception de la fourniture de produits (en pleine propriété), celle de tout avantage appréciable en argent (ouvrage, travaux, gestion, conseil, etc.), en vertu des contrats les plus divers (mandat, entreprise, contrat de travail, bail, assurance, prêt à usage, etc.) »1009. Toutefois, une telle définition n’apparaît pas ici appropriée.

Primo, rien ne commande de retenir la même définition de la prestation de service en toute matière : en droit de la libre prestation de service1010, en droit international privé (au sens du règlement Rome I1011 ; l’ordre juridique européen n’est pas le même), en droit fiscal, en vue de l’application de l’article  1127-1 C. civ. relatif au processus de conclusion d’un contrat par voie électronique1012, et en vue de l’application de l’article  1165 C. civ

Secundo, si le prix n’a pas à être déterminé lors de la conclusion d’un contrat de prestation de service, c’est, dit-on (mais est-ce bien toujours le cas ?) que cela est a priori difficile voire, dans certains cas, impossible. C’est ce qui pourrait justifier que le bail, le prêt ou la constitution d’usufruit, notamment, ne soient pas être considérés comme des contrats de prestation de service au sens de l’article 1165 C. civ. : la détermination du prix ne pose pas de problème pour ceux-ci.

f. - Les contrats-cadres

242 Questions1013. Qu’est-ce qu’un contrat-cadre ? Quelle est la règle applicable à la détermination du prix dans ces contrats ? Cette fois, parce qu’il existe une définition légale de la figure, l’inversion des questions ne se justifie pas.

243 Notion. L’article  1111 C. civ. le définit comme « l’accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d’application en précisent les modalités d’exécution. » La définition ne brille pas par sa clarté, même si l’on comprend qu’il n’y a pas de contrat-cadre sans contrat d’application. Si l’on peut y ranger sans difficulté certains contrats de distribution et de maintenance, il demeure des incertitudes. Certains ont suggéré d’y inclure les ouvertures de crédit, probablement en vue de les faire profiter de la possibilité d’asseoir le taux sur le taux de base de la banque. Mais, d’une part, on a vu qu’un tel détour n’était pas nécessaire si l’on retient une règle générale libérale1014 et, d’autre part, si tel n’était pas le cas, un simple prêt n’ayant rien d’une convention-cadre, la référence au taux de base de la banque ne serait plus possible.

244 Régime : modèle n° 4, a priori. Dans les contrats-cadres, « il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (C. civ., art. 1164)1016. Malgré une lettre ambiguë, l’article 1164 ne traite pas de la détermination du prix du contrat-cadre lui-même, mais de celle des contrats pris pour son application. En effet, c’est la détermination du prix des contrats d’application qui a toujours fait difficulté et non celle du contrat-cadre. À cet égard, si l’article 1164 C. civ., prévoit la possibilité de fixer un mode de prix dépendant de la volonté d’une partie, permet-il de ne rien prévoir (on retiendrait le modèle n° 4, comme pour la règle générale) ou exige-t-il que le prix soit déterminé (on retiendrait le modèle n° 2, ce qui serait un retour à la jurisprudence Alcatel du 29 décembre 19941017) ? Là encore, la règle la plus libérale doit, semble-t-il, prévaloir.

On peut, sur la fixation du prix dans le contrat-cadre, faire trois observations.

Primo, dans un contrat-cadre de distribution, en application duquel des ventes seront conclues, il est acquis que le prix de ces dernières pourra être fixé par le fournisseur unilatéralement si le contrat-cadre le prévoit. Il faut ici relever néanmoins une zone d’ombre qui n’est pas nouvelle. Si le contrat-cadre de distribution oblige le distributeur à acheter les marchandises du fournisseur et/ou ce dernier à les lui vendre, le cas échéant dans des quantités prédéfinies, n’est-on pas en présence de promesses de vente qui supposent un accord sur le prix ? Parce qu’il serait inopportun d’y répondre par l’affirmative, mais parce que l’interrogation est bien légitime, il faut y réfléchir. L’idée ne pourrait être défendue que s’il y a bien une promesse de vente, celle-ci a perdu son identité dans le contrat-cadre qui l’intègre, ce qui conduirait donc à écarter les règles de la vente.

Secundo, dans un contrat-cadre de prestation de service, en application duquel des prestations de service seront rendues, il est acquis que le prix des prestations pourra être fixé par le fournisseur unilatéralement si le contrat-cadre le prévoit. Il ne faudrait pas croire que l’article  1165 C. civ. reconnaissant de toute façon au prestataire une prérogative légale de fixer le prix, l’article  1164 C. civ. serait superflu. L’intérêt de reconnaître ce pouvoir au prestataire dans le contrat-cadre est d’interdire au client de refuser de conclure les contrats de prestation de service en application du contrat-cadre, faute d’accord sur le prix fixé par le prestataire : les parties se sont accordées dès le contrat-cadre sur la méthode de détermination du prix des prestations de service.

Tertio, si l’article  1165 C. civ. concerne la question de la détermination du prix des contrats d’application et non des contrats-cadres, qu’en est-il de la détermination du prix du contrat-cadre lui-même ? La question se pose notamment au sujet du contrat de franchise, qui prévoit presque systématiquement le paiement de redevances à la charge du franchisé. Au vrai, la question est théorique dans la mesure où le mode de calcul est toujours déterminé, et le plus souvent indépendant de la volonté d’une partie car assis sur des considérations objectives telles que le chiffre d’affaires du franchisé. Il n’empêche qu’elle se pose. À cet égard, il est possible de considérer les contrats-cadres eux-mêmes comme des contrats de service.

Droit spécial : de quelques contrats-cadres spéciaux Le contrat-cadre étant un outil privilégié d’organisation d’une relation de distribution, souvent déséquilibrée, le législateur en a réglementé certains. C’est le cas notamment des conventions récapitulatives prévue aux articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce et qui sont conclues entre un fournisseur et un distributeur à l'issue d'une négociation commerciale 1015. On peut également mentionner le contrat d’intégration prévu aux articles L. 326-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime et qui est conclu entre un producteur et un industriel ou distributeur, dès lors qu'il comporte obligation réciproque de fournitures de produits ou de services.

b - La sanction de l’abus dans la détermination du prix dans les contrats-cadres et les contrats de prestation de service

245 Abus d’exercice d’une prérogative contractuelle. Les articles 1164 et 1165 sanctionnent tous deux l’abus dans l’exercice d’une prérogative contractuelle1018, celle de fixer le prix unilatéralement.

246 Constitution de l’abus. Dans le contrat de prestation de service, l’abus résultera d’une comparaison entre le prix exigé et le travail fourni. À cet égard, il sera tenu compte d’un certain nombre d’éléments, telles la qualité du travail et la réputation du prestataire. En tout état de cause, comme c’était le cas auparavant, le client du prestataire sera interdit d’invoquer l’abus du prix fixé unilatéralement chaque fois que le prix a été accepté par le client après service rendu1019 et l’excès du prix fixé d’un commun accord, chaque fois que le prix aura été payé après service effectué1020. Dans le contrat-cadre, l’abus devrait supposer non seulement un prix objectivement discutable1021, mais aussi, en amont, l’absence de solution alternative pour le client1022. On observera que dans tous les cas, la loi prévoit une obligation de motivation (dont on trouvait, pour la prestation de service, le germe dans la jurisprudence antérieure1023) du montant du prix fixé en cas de contestation. Cela permettra au juge de caractériser plus facilement l’abus ou l’absence d’abus, ce qui n’est pas sans conséquence sur la charge de la preuve qui pèse normalement sur la victime1024.

247 Sanction de l’abus . L'idée générale est que l'exercice abusif d'une prérogative n'est pas l'inexécution d'une obligation. C'est ce qui explique que les articles 1164 et 1165 ne renvoient pas à l'ensemble des mesures offertes au créancier en cas d'inexécution par l'article 1217 C. civ. Pour autant, il faudra expliquer pourquoi certaines des mesures prévues à l'article 1217 C. civ. ne sont pas ici applicables.

Primo, seules deux des mesures mentionnées à l’article  1217 C. civ.  sont ici reconnues. En cas d’abus dans la fixation du prix, il est prévu tant pour le contrat de prestation de services que le contrat-cadre que le juge pourra octroyer des dommages-intérêts. Devront-ils être d’un montant tel qu’on retrouve un prix correspondant à la valeur de marché ou qu’on gomme le seul excès ?1025 C’est l’éternelle question de la sanction de l’excès. S’il apparaît plus satisfaisant intellectuellement de gommer le seul excès, en pratique, il est plus simple de retenir la valeur de marché. Cela a, au surplus, des vertus prophylactiques en décourageant la fixation d’un prix excessif qui sera invariablement ramené à la valeur-marché. Outre l’octroi de dommages-intérêts, la résolution est expressément offerte à la victime de l’abus dans un contrat-cadre mais aussi dans un contrat de prestation de services, depuis que la loi de ratification, dans une disposition interprétative1026, a corrigé une malfaçon de l’ordonnance1027. S’agissant du contrat-cadre, la question se pose du contrat résolu ? On évoque en général la résolution du contrat-cadre, mais n’est-ce pas excessif ? Ne conviendrait-il pas davantage de résoudre les seuls contrats d’application ?

Secundo, les autres mesures prévues à l’article  1217 C. civ.  ne sont pas ici reconnues, notamment parce que l’exercice abusif d’une prérogative ne se confond pas avec l’inexécution d’une obligation. Il en va ainsi d’abord de l’exécution en nature. Le législateur avait envisagé dans le projet d’ordonnance que le juge puisse réviser le prix – ce qui s’approchait d’une exécution en nature –, mais il ne l’a pas autorisé dans la version définitive (il faut cependant réserver ce qui a été vu au sujet des contrats donnant lieu au paiement d’honoraires). Il en va ainsi ensuite de la réduction de prix, probablement car cela permettrait à celui qui n’avait pas, en vertu de la loi ou de la convention, le pouvoir de fixer unilatéralement le prix, la possibilité indirecte de le faire. Il en va ainsi enfin de l’exception d’inexécution, encore qu’ici, on puisse exprimer des doutes. Il serait en effet paradoxal que la victime puisse résoudre le contrat, c’est-à-dire y mettre fin, le cas échéant par notification, mais qu’elle ne puisse faire opposer l’exception d’inexécution, c’est-à-dire le suspendre.

§ II - Possibilité

248 Distinction. L’exigence de la possibilité est prévue à l’article  1163 C. civ. Si l’exécution du contrat est impossible pour toute personne (vente d’une poule avec des dents), alors le contrat est nul, voire inexistant. Conçoit-on en effet que si l’action en nullité n’était pas possible (comme étant prescrite, par exemple), une sanction du fait de l’inexécution (qui aura nécessairement lieu, par hypothèse) puisse être prononcée ? En contrepoint, si l’exécution du contrat n’est pas possible pour le cocontractant mais l’est pour un tiers (construction d’un bâtiment), le contrat est valable mais son inexécution sera sanctionnée.

§ III - Équilibre

249 Plan. Il convient de distinguer l’équilibre économique du contrat (A) de son équilibre juridique (B).

A - Équilibre économique

250 Principe de commutativité subjective – Liberté de conclure des contrats lésionnaires... ... Jusqu’à un certain point . Parce que dans un contrat commutatif, « chacune des parties s'engage à procurer à l'autre un avantage qui est regardé comme l'équivalent de celui qu'elle reçoit » (C. civ., art 1108 al. 1), il est sans importance que le contrat soit objectivement déséquilibré. L'article 1168 C. civ. le confirme : dans « les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n'en dispose autrement. » On dit encore que la lésion n’est pas une cause de nullité des contrats. Encore faut-il préciser que sont en réalité visés, malgré la lettre du texte, tous les contrats à titre onéreux, en ce compris les contrats unilatéraux (ex. prêt à intérêt non consenti par un professionnel du crédit par exemple).

Il est toutefois une limite à ne pas franchir : un « contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire » (C. civ., art 1169 1028. Autrement dit, lorsque la contrepartie convenue est inexistante ou quasi inexistante (chaque fois que le prix est vil), le contrat est nul. La contrepartie sera dérisoire lorsque la prestation reçue par un des contractants sera très déséquilibrée par rapport à celle qu’il fournit1029. Si le terme illusoire est plus mystérieux, on peut penser que la contrepartie sera tenue pour illusoire lorsqu’il est à peu près certain qu’un contractant ne pourra recevoir la contrepartie escomptée1030. Tel serait le cas d’une cession de clientèle qui était particulièrement attachée à la personne du cédant1031 ou d’un quelconque contrat aléatoire qui ne présente pas d’aléa sérieux.

La référence à la « contrepartie » est appréciée différemment suivant le type de contrat onéreux.

Lorsque le contrat est synallagmatique, il faut distinguer. S’il est commutatif, la contrepartie des obligations d’une partie réside en général dans les obligations assumées par l’autre : ainsi les obligations du vendeur trouvent leur contrepartie dans les obligations de l’acheteur, et réciproquement. Il se peut néanmoins que la contrepartie des obligations d’une partie se trouve à l’« extérieur » du contrat : par exemple, un contractant accepte de s’obliger en considération, non pas tant des obligations que son cocontractant assume au titre du même contrat, mais au titre de celles qu’il assume au titre d’un autre. Si le contrat est unilatéral, une seule partie assumant par hypothèse des obligations, la contrepartie de celles-ci ne peut résider dans les obligations de l’autre. S’il est aléatoire, la contrepartie des obligations de l’une des parties réside encore semble-t-il dans les obligations assumées par l’autre : la contrepartie de l’obligation de miser du joueur réside dans l’obligation de verser un gain si le joueur gagne, la contrepartie de l’obligation du souscripteur d’une assurance de dommage de verser les primes, dans la couverture du risque par l’assureur, celle du débirentier, dans le transfert de la propriété d’un bien à son profit, etc., peu important que la contrepartie dépende d’un événement incertain. Toutefois, l’appréciation du caractère non dérisoire de la contrepartie se fait différemment dans le contrat commutatif et le contrat aléatoire. Dans le premier, il suffit de mettre en balance les obligations et de regarder si celles assumées par l’une des parties n’apparaissent pas dérisoires. Dans le second, il importe de mettre en perspective l’importance de la contrepartie avec la probabilité de survenance de l’événement incertain duquel en dépend l’octroi. Ainsi le contrat par lequel un joueur participe au loto comporte une cause, même si le joueur a très peu de chances de gagner, car sa mise est très substantiellement inférieure au lot espéré (En réalité, le cas du loto est très particulier car le gain espéré est fonction de la somme des mises de l’ensemble des joueurs. Par ailleurs, en ce qui concerne l’appréciation de l’aléa, il est difficile d’envisager isolément le contrat liant un joueur à l’organisme de jeu des contrats conclus entre ledit organisme et les autres joueurs. Le contrat conclu par un joueur pourrait ne plus apparaître aléatoire si un autre joueur avait, en concluant le même contrat, plus de chances de gain...) ; de même en va-t-il du contrat de vente en viager même si le décès du crédirentier est proche, dès lors que le montant des arrérages est suffisamment élevé. Autrement dit, la contrepartie doit être d’autant plus importante (gain au loto, montant des arrérages versés) que le risque de ne pas la percevoir est élevé (ne pas avoir le bon tirage, décéder rapidement)1032.

Lorsque le contrat est unilatéral et à titre onéreux – ce qui est l’hypothèse –, la contrepartie des obligations de l’obligé se trouvera nécessairement dans un avantage octroyé par le cocontractant. Ainsi l’obligation pour l’emprunteur de verser un intérêt au prêteur résidera dans l’avance octroyée par le prêt.

Droit spécial : de la lésion parfois sanctionnée Dans plusieurs hypothèses, la lésion est sanctionnée : vente d’immeuble1033 ou d’engrais1034, partage1035, cession de droits d’exploitation d’une œuvre1036, charges de copropriété1037, contrats conclus par des personnes protégées dans leur sphère de capacité1038, contrats d’assistance en mer1039, usure1040. Le plus souvent, la lésion est sanctionnée car le cocontractant qui a subi la lésion n’était pas en mesure compte tenu de sa position de faiblesse de défendre au mieux ses intérêts : l’incapable ne peut être le meilleur juge de ses intérêts et le vendeur d’immeuble peut devoir vendre pour payer ses dettes, par exemple. On peut également observer que dans de nombreux contrats, le prix ne peut être supérieur à un plafond : on songe au loyer initial d’un bail d’habitation dans certaines zones, au loyer de tous baux d’habitation et baux commerciaux renouvelés, aux honoraires des agents immobiliers pour certaines prestations, au taux d’intérêt – qui ne peut être usuraire–, etc. Inversement, dans d’autres contrats, le prix ne peut être inférieur à un plancher . Ainsi n'est-il pas possible de revendre à perte (C. com., art. L. 442-5 même si l'interdiction, en l'état, est probablement contraire au droit européen), de proposer aux consommateurs des prix abusivement bas (C. com., art. L. 420-5, et une entreprise en position dominante ne peut pratiquer des prix prédateurs. Deux cas particuliers méritent quelques approfondissements. Il s’agit en premier lieu des honoraires convenus avec un mandataire1041 ou un professionnel libéral1042. Alors même que le prix aurait été fixé d’un commun accord, le juge devrait pouvoir, comme c’était le cas avant la réforme, en contrôler le montant et sanctionner l’excès, à moins que la prestation ait été librement payée une fois le service rendu1043. Il s’agit en second lieu du droit des pratiques restrictives de concurrence . En vertu de l'article L. 442-1, I du Code de commerce, « [e]ngage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : 1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » . Alors que le 2° sanctionne classiquement le déséquilibre juridique, le 1° paraît sanctionner de manière générale le déséquilibre économique, la lésion, ce qui est très difficilement acceptable. Il est crucial que la jurisprudence cantonne un tel contrôle tant l'atteinte qu'il porte à la liberté contractuelle, en s'intéressant au cœur du contrat, est importante et singulière 1044.

B - Équilibre juridique

251 Plan. Deux types de clauses spécifiques qui altèrent l’équilibre juridique du contrat sont prohibés : les clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion (1) et les clauses qui privent de leur substance l’obligation essentielle dans tout contrat (2).

De telles clauses sont réputées non écrites, ce qui signifie qu’elles sont réputées ne pas exister1045.

1 - Les clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion

252 Droit commun. D’après l’article  1171 C. civ., « [d]ans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (al. 11046), sachant que l’« appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (al. 21047).

On observera à titre liminaire que l’article  1171 C. civ. a été réécrit à l’occasion de la Loi de ratification. Alors que l’Ordonnance avait prévu que « [d]ans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (nous soulignons), depuis la Loi de ratification, seules celles qui sont non négociables et déterminées à l’avance par l’une des parties sont susceptibles de l’être. Ainsi les clauses du contrat d’adhésion qui étaient négociables ne pourront être réputées non écrites par le juge. La précision est salutaire et on peut espérer que le juge la considère comme interprétative, même si ce n’est pas ce qu’a retenu la Loi de ratification1048.

253 Étendue du contrôle. Le contrôle opéré à l’aune de l’article  1171 C. civ. ne concerne ni « l’adéquation du prix à la prestation », ni « l’objet principal du contrat ».

La première exclusion, qui concerne « l’adéquation du prix à la prestation » est conforme au principe général suivant lequel la lésion n'est pas en principe une cause de nullité des contrats (C. civ., art 1168 1063.

La seconde exclusion, qui concerne « l’objet principal du contrat », est a priori plus mystérieuse. Afin d'en saisir le sens et la portée, il faut remonter à la source. Cette expression figure dans la loi n° 95-96 du 1 er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial (art. 1) et dans la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs qu’elle transpose. Le sens de l’expression « objet principal du contrat » est livré dans un de ses Considérants :

« Pour les besoins de la présente directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; (...) l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses ; (...) il en découle, entre autres, que, dans le cas de contrats d’assurance, les clauses qui définissent ou délimitent clairement le risque assuré et l’engagement de l’assureur ne font pas l’objet d’une telle appréciation dès lors que ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur ».

Par où l’on voit que c’est principalement le contrat d’assurance que le législateur européen a eu à l’esprit, même si tous les contrats sont finalement concernés. Par la suite, la jurisprudence européenne a précisé que l’objet principal du contrat désignait en réalité ses « obligations essentielles »1064.

En définitive, c’est tout ce qui ne formera pas le cœur – entendu comme les obligations essentielles – du contrat d’adhésion qui sera contrôlé. S’il sera donc permis de contrôler les obligations dites accessoires, il semble qu’en pratique l’essentiel du contrôle concernera autre chose. À cet égard, il faut se rappeler qu’un contrat ne se borne pas à la création d’obligations en vertu desquelles telle partie doit telle prestation à l’autre ; le contrat comporte des clauses qui organisent la relation contractuelle1066.

Primo, il octroie des prérogatives1067, c’est-à-dire des pouvoirs de modifier la situation contractuelle (ex. fixer le prix ; mettre en œuvre une clause de dédit, une clause pénale, une clause résolutoire ; exercer une action interrogatoire).

Secundo, il met à la charge des parties des incombances1068, c’est-à-dire des devoirs devant être accomplis préalablement à l’exercice d’un droit (ex. se renseigner sauf à se voir opposer le caractère inexcusable d’une erreur ; mettre en demeure le débiteur avant de se plaindre d’une inexécution ; faire une demande de prêt ; répondre à une action interrogatoire).

Or la jurisprudence rendue en matière de « clauses abusives », tant en droit de la consommation qu’en droit des pratiques restrictives, montre bien que c’est dans la répartition de ces prérogatives et incombances que gît le plus souvent le déséquilibre significatif : telle partie a des prérogatives que l’autre n’a pas, telle autre supporte des incombances que l’autre ne supporte pas. Le plus souvent cette répartition inégale sera d’ailleurs stipulée en vue de déroger à des règles supplétives1069. Il apparaît que le contrôle du déséquilibre significatif, contrairement à ce que pourrait laisser entendre une interprétation littérale de ses termes, ne portera pas tant sur les obligations (entendues stricto sensu), que sur les clauses organisant la situation contractuelle en créant prérogatives et incombances.

Bien entendu, au regard de la lettre du texte, générale, d’autres types de stipulations pourraient être considérées comme constituant un déséquilibre significatif1070.

Le nouveau contrôle en droit commun des clauses créant un déséquilibre significatif est une révolution majeure. Alors qu’auparavant, seules les clauses illicites, qui heurtaient une prescription précise, étaient sanctionnées, désormais des clauses licites en elles-mêmes seront sanctionnées dès lors que, créant un déséquilibre significatif, elles sont abusives. Les juges devront faire montre de la prudence la plus grande, eu égard aux incertitudes très importantes dans lesquelles sont les rédacteurs d’actes. Qu’il est difficile en effet de savoir si telle(s)s clause(s) ne crée(nt) pas un simple déséquilibre autorisé, mais un déséquilibre significatif1071 sanctionné.

Droit spécial : des droits de la consommation et des pratiques restrictives Les clauses abusives sont interdites en droit de la consommation, entre un professionnel et un consommateur ou non professionnel1049, en droit des pratiques restrictives de concurrence, entre partenaires commerciaux1050, et désormais en droit commun des contrats, même si le dispositif concerne les seuls contrats d’adhésion. Toutefois, les dispositifs du droit de la consommation et du droit des pratiques restrictives sont plus « puissants » que celui du droit commun. En droit de la consommation, non seulement le juge peut déclarer abusive toute clause qui répond à la définition qui en est donnée par la loi, mais il existe deux listes de clauses irréfragablement1051 et simplement présumées abusives1052 et une commission des clauses abusives recommande la suppression ou la modification des clauses qui présentent un caractère abusif1053. Quant aux sanctions, la stipulation d’une clause abusive est par ailleurs sanctionnée par une amende administrative prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, c’est-à-dire la DGCCRF1054. Quant au cadre procédural, des associations de consommateurs peuvent agir dans l’intérêt collectif des consommateurs1055, en représentation conjointe1056, exercer une action de groupe1057. Dans le cadre d’une action dans l’intérêt collectif des consommateurs, le juge peut ordonner la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur ou dans tout contrat en cours d’exécution et il est possible de demander au juge de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs dans le cadre d’une action civile1058 ou d’une action autonome1059. En droit des pratiques restrictives, le contrôle du juge porte sur l’entier contrat car il n’est pas indiqué qu’il ne peut porter sur l’« objet principal du contrat » ou l’« adéquation du prix » à la prestation, comme c’est le cas en droit de la consommation et en droit commun. Par ailleurs, l’action peut être introduite par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une clause créant un déséquilibre significatif1060. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation de la pratique litigieuse, faire constater la nullité des clauses illicites, demander la répétition de l’indu et également demander le prononcé d’une amende civile (ibid.). Toutefois, élément qui n’est pas nécessairement favorable à la victime, l’action doit être portée devant des juridictions spécialisées1061, sans que la victime ne puisse préférer agir sur le fondement de l’article 11711062.

Point sensible : de l’obligation essentielle La notion d’« obligation essentielle » est aussi employée qu’elle est imprécise. À vrai dire, elle ne signifie rien, en elle-même : « essentielle », oui, mais à quoi ? De fait, la notion d’obligation essentielle est susceptible de renvoyer, suivant le contexte, à trois réalités1065. Primo, elle peut renvoyer aux obligations déterminantes du consentement des parties (obligations essentielles au consentement des parties ; ex. A n’aurait pas contracté avec B s’il ne s’était pas engagé à le livrer avant telle date). Secundo, elle peut renvoyer aux obligations nécessaires pour emporter telle qualification ; ce sont les obligations qui sont nécessaires au rattachement d’un contrat à une catégorie donnée (obligations essentielles à la qualification ; ex. la qualification de vente suppose l’obligation de payer un prix). Tertio, elle peut renvoyer aux obligations imposées par la loi aux parties (obligations essentielles au maintien de l’ordre public ; ex. la vente emporte une garantie d’éviction du fait personnel qui est d’ordre public).

2 - Les clauses qui privent de leur substance l’obligation essentielle

254 Cœur du contrat. D’après l’article 1170, « [t]oute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. » Le dispositif concerne tous les contrats et, pour l’essentiel, ce qui formera l’objet principal du contrat. Par où l’on voit que l’article 1170 permet de contrôler ce qui n’était pas possible à l’aune de l’article 11711072.

Il s’agit d’une règle d’origine jurisprudentielle qui par le passé était le plus souvent appliquée pour apprécier la validité des clauses limitatives de responsabilité1073. De manière générale, on s’aperçoit ainsi que l’article 1170 permet de contrôler non seulement l’étendue substantielle des obligations, mais aussi la sanction de leur inexécution1074. C’est du reste ce qu’avait retenu en substance il y a fort longtemps un célèbre arrêt de la Cour de cassation : « un contrat ne peut légalement exister s’il ne renferme les obligations qui sont de son essence et s’il n’en résulte un lien de droit pour contraindre les contractants à les exécuter »1075. Mais les virtualités de ce texte sont grandes1076.

En tout état de cause, « est réputée non écrite la clause 1) qui porte atteinte au cœur même du contrat1077 ; 2) qui y porte atteinte dans une mesure considérable »1078. Les exclusions d’assurance et les limitations de responsabilité ne sont pas en effet en elles-mêmes inefficaces.

Comme on l’a fait observer, le contrôle des clauses créant un déséquilibre significatif étant cantonné aux contrats d’adhésion, on ne saurait a priori sanctionner dans un contrat de gré à gré de telles clauses, non pas à l'aune de l'article 1171 C. civ. (inapplicable), mais à l'aune de l'article 1170 C. civ., pris comme « instrument de contournement de l'article 1171 1079. On ajoutera d’ailleurs que les deux dispositions ne concernent pas les « mêmes parties » du contrat : alors que l’article 1170 C. civ. s’intéresse aux clauses portant sur les obligations essentielles , l'article 1171 C. civ. interdit tout contrôle de l'objet principal du contrat, c'est-à-dire des obligations essentielles 1080. Reste que la distinction, en théorie nette, ne le sera probablement pas en pratique : il n’est que de penser aux clauses dites parfois de « force majeure »1081 ou aux clauses d’indemnisation (clause limitative de responsabilité, clause d’indemnisation forfaitaire, etc.).

Droit spécial : les clauses d’exclusion de garantie dans les contrats d’assurance En vertu de l’article L. 113-1 C. ass., « [l]es pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police » (nous soulignons). Daprès la Cour de cassation, « une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’ellevidelagarantiedesasubstance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire »1082C’est à l’aune de cette interprétation de cette disposition du Code des assurances qu’ont été écartées de nombreuses clauses d’exclusion de garantie1083. Mais les juges du fond n’ont pas à relever d’office cette règle1084. Le texte spécial de l'article L. 113-1 du Code des assurances a été jugé comme étant exclusif de l'application de l'ancien article 1131 1085 et il devrait en aller de même aujourd’hui de l’article 1170.

§ IV - Licéité

255 Plan. Le contrat « ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » (C. civ., art 1162. Ce à quoi il faut ajouter que l'article 6 prévoit que l'on « ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».

Il convient de distinguer les normes de contrôle, les normes auxquelles on ne peut déroger (A), de l’objet du contrôle, ce que l’on peut contrôler (B).

A - Les normes de contrôle

256 L’ordre public. Que le contrat doive être conforme à l’ordre public est une évidence. Ceci explique que les arrêts sanctionnant les contrats portant atteinte à l’article 1162 ne soient pas nombreux1086. Il convient donc de déterminer celles des règles qui sont d’ordre public avant de vérifier si les parties n’y ont pas porté atteinte.

Un pan important de l’ordre public est aujourd’hui composé des droits fondamentaux, dont la valeur est supra-législative, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être librement remis en cause par les trois « pouvoirs » constitués : législatif, exécutif, judiciaire. Alors qu’à l’origine ces droits étaient des droits des personnes privées contre l’État (effet vertical), depuis plusieurs années, la plupart de ces droits peuvent également être invoqués par les personnes privées contre d’autres personnes privées, notamment par un contractant contre son cocontractant (effet horizontal1093). Évidemment, pas plus que les pouvoirs constitués, les cocontractants ne peuvent remettre en cause librement ces droits. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’aucune atteinte ne soit pas possible ; il est possible d’y porter atteinte, si celle-ci, en substance, poursuit un objectif légitime et est proportionnée1094.

257 Les bonnes mœurs. Que le contrat doive être conforme aux bonnes mœurs ne ressort pas de l’article  1162 C. civ., mais de l'article 6 C. civ. On en tire qu'un contrat qui serait conforme à la loi pourrait néanmoins ne pas l'être aux bonnes mœurs.

Portalis, dans l’exposé des motifs du titre préliminaire du code civil (4 Ventôse an XI) affirmait ainsi que conventions contraires aux bonnes mœurs «  sont proscrites chez toutes les nations policées [et] les bonnes mœurs peuvent suppléer les bonnes lois : elles sont le véritable ciment de l’édifice social ». A cet égard, le droit français se rapproche du droit allemand, puisque le BGB, très clair sur ce point, distingue clairement la contrariété du contrat à la loi (§134) de la contrariété du contrat aux bonnes mœurs (§138).

On peut définir les bonnes mœurs comme la morale des bonnes gens à un instant donné dans une société donnée. De fait, c’est de bonne morale qu’il est question celle-ci est relative, dans le temps et l’espace1101.

Le cas des Fleurs du mal témoigne du caractère évolutif des bonnes mœurs. Le Tribunal correctionnel de la Seine le 20 août 1857 condamna Baudelaire à une amende lors de la publication des Fleurs du Mal et ordonna la suppression du recueil de six poèmes. Mais près d’un Siècle plus tard, le 31 mai 1949, la Chambre criminelle de la Cour de cassation revenait sur la condamnation : « si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des Fleurs du mal et apparaître aux premiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ». « Autre temps, autres mœurs », disait le poète grec Pindare.

Le cas des donations faites entre concubins illustre également le caractère évolutif des bonnes mœurs. Le Code civil mit certes un terme aux incapacités de recevoir et de donner entre concubins. Mais la Cour de cassation considéra très tôt qu’étaient nulles les libéralités entre concubins « qui avaient pour cause impulsive et déterminante la formation, le maintien ou la reprise de relations immorales »1102, invitant ainsi à scruter les mobiles de l’auteur de la libéralité, que le concubinage fût ou non adultérin. La Cour de cassation revira en 1999 en considérant de règle générale que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec la bénéficiaire »1103, allant jusqu’à décider par un arrêt d’Assemblée plénière du 29 octobre 20041104 qu’était valable une libéralité faite en vue de rémunérer des faveurs sexuelles (la maîtresse avait clairement écrit à son amant : « pas d’argent, pas d’amour »...).

L’exigence de conformité du contrat aux bonnes mœurs donne lieu aujourd’hui à peu de contentieux1105. Cela peut s’expliquer pour deux raisons. En premier lieu, les pratiques contraires aux bonnes mœurs sont le plus souvent condamnées par la loi, le recours à l’ordre public rendant inutile le recours aux bonnes mœurs1106. En second lieu, aujourd’hui, tout ce qui n’est pas interdit est le plus souvent non contraire aux bonnes mœurs1107. Il faut voir là une manifestation de l’essor des libertés individuelles, qui connaît cependant une limite importante : Si la liberté individuelle permet aux individus d’adopter des comportements qui autrefois auraient été interdits comme contraires aux bonnes mœurs, il est un roc sur lequel toutes libertés se brisent : la dignité.

Depuis une loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, l'article 16 du code civil dispose : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». A l'occasion de l'examen de la constitutionnalité de cette loi, le Conseil constitutionnel a même considéré que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » 1108. L'année suivante, dans l'affaire dite du « lancer de nains », le Conseil d’Etat a élevé la notion de « dignité humaine » au rang de composante de l'ordre public1109.

Illustrations : de la personne dans tous ses états Les limites à la liberté contractuelle sont particulièrement visibles lorsqu’est en jeu « la personne ». En premier lieu, on ne peut en principe disposer des éléments du corps humain : la Cour de cassation a admis que « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité des personnes »1087. Aujourd’hui, l’article 16-1 consacre le principe de non-patrimonialité du corps humain : « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Il existe néanmoins à ce principe des exceptions, au rang desquelles la possibilité de disposer à titre gratuit des éléments et produits du corps humain. En deuxième lieu, on ne peut disposer des droits de la personnalité. Ainsi on ne peut vendre son droit à l’image, son droit au respect de la vie privée. En revanche, et c’est une sérieuse limite au principe, on peut monnayer une atteinte limitée à ce droit, a priori par la conclusion d’un contrat d’exploitation d’une image ou d’une information relative à la vie privée ou a posteriori, lors d’un litige. En troisième lieu, il convient de mentionner le cas des cessions de clientèle. On a toujours admis que l’on peut céder les clientèles commerciales (clientèles de commerçants) à l’occasion de la cession d’un fonds de commerce. On le refusait à l’égard des clientèles civiles1088 (clientèles de professions libérales) au prétexte du fort intuitu personae dans la relation entre un professionnel et sa clientèle, ce qui n’était pas convaincant, pour une double raison. En premier lieu, le problème est de toute façon mal posé : on ne cède jamais des clients, même en matière commerciale, mais seulement les éléments attractifs de la clientèle – l’emplacement, l’enseigne, etc. – qui forment ce que l’on appelle un fonds. En second lieu, en quelque matière que ce soit, les clients sont toujours libres de ne pas contracter avec le cessionnaire. D’ailleurs, en matière civile, il était permis de présenter sa clientèle au successeur, même moyennant finance, non de la lui céder1089. La solution de la Cour de cassation était donc hypocrite dans la mesure où la présentation avait bien pour effet de céder la clientèle. Tout n’était qu’une question de mots : un acte intitulé « cession de clientèle » était nul, non un acte intitulé « présentation de clientèle ». Cette subtilité a cessé depuis un arrêt qui a retenu que « si la cession de clientèle médicale (...) n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient »1090. En réalité, cet arrêt reconnaît l’existence d’un fonds libéral comme il existe un fonds de commerce, et qui forme l’assiette de la cession. Il reste une limite qui tient à la préservation de la liberté de choix des clients. Autrement dit, le médecin cédant, si ses clients le souhaitent, peut soigner ces derniers et le dossier médical ne peut être transmis au cessionnaire contre l’avis du client. De même, la Cour de cassation a eu à connaître d’une clause qui interdisait à un notaire ayant cédé son office de se réinstaller sur le territoire de certaines communes et l’obligeait à reverser les sommes qu’il pourrait recevoir des clients de l’office cédé qui l’auraient suivi dans les communes où il avait le droit de se réinstaller, pendant une période de dix ans. La Cour de cassation a considéré que la clause, par la sanction de la privation de toute rémunération du travail accompli, soumettait le cédant à une pression sévère de nature, sinon à refuser de prêter son ministère, du moins à tenter de convaincre le client de choisir un autre notaire, de sorte que la liberté de choix de cette clientèle n’était pas respectée : la clause est donc nulle1091. En contrepoint, la Cour de cassation a estimé que ne pouvait être annulée une clause de garantie de clientèle contenue dans un acte de vente d’un fonds d’un expert-comptable par laquelle le cédant devait rembourser au cessionnaire la partie du prix correspondant à la clientèle qui ne s’adressait pas à lui pour une autre raison que sa faute lourde, dès lors que la cour d’appel n’avait pas « constaté que ladite clause portait atteinte à la liberté de choix des clients »1092. Ces arrêts peuvent être conciliés. Dans la première espèce, la clause de rétrocession d’honoraires qui conduit le professionnel à travailler gratuitement incite à refuser les clients, ce qui porte finalement atteinte à leur liberté ; dans la seconde espèce, la clause de garantie de clientèle qui ne conduit pas à rétrocéder les honoraires et à travailler gratuitement n’a pas un tel effet incitatif et donc des effets comparables quant à la liberté de choix des clients (en réalité, le cédant reverse au cessionnaire le prix de la chose qui s’est volatilisé).

Droit spécial : de la mise en œuvre de la protection de certaines libertés fondamentales Plusieurs dispositions spéciales manifestent l’impossibilité de porter librement atteinte aux droits fondamentaux. S’agissant du droit de propriété, les clauses d’inaliénabilité sont contrôlées dans les actes à titre gratuit1095, onéreux1096, et dans les statuts des sociétés1097. S’agissant de la liberté d’entreprendre, les clauses d’exclusivité et de non-concurrence sont étroitement contrôlées par différents corps de règles1098. Et, de règle générale, en droit du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »1099.

Droit spécial : des bonnes mœurs En s'en tenant au Code civil, au-delà de l'article 6 C. civ., deux dispositions font expressément référence aux bonnes mœurs : l'une est relative à la naturalisation (C. civ., art 21-23 « Nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonnes vie et mœurs (...) ») et l'autre aux régimes matrimoniaux (C. civ., art 1387 « La loi ne régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent ». Les décisions qui y font référence ne sont pas nombreuses, sans être pour autant inexistantes1100.

B - L’objet du contrôle

258 Plan. Bien que l’article 1162 fasse partie d’une sous-section intitulée « Le contenu du contrat » et que l’article 1128 ne vise que l’exigence d’un « contenu licite », l’article 1162 exige que soient licites, non seulement le « contenu » (1) du contrat, mais aussi son « but » (2).

1 - Le contenu du contrat

259 Contrôle des prestations . Le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (…) par ses stipulations (…) » (C. civ., art 1162. Le contrôle du contenu du contrat ne pose pas de difficultés particulières. Pour l'essentiel, le contrat doit obliger les parties à se procurer des prestations licites. C'est ainsi que « la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente... » 1110 ou encore que la cession d’un fichier clientèle informatisé qui contient des données à caractère personnel non déclaré à la CNIL est nulle car portant sur une chose qui n’est pas dans le commerce juridique1111. Les difficultés concernent pour l’essentiel l’appréciation du caractère licite de la prestation. En tout état de cause, il serait excessif de considérer que chaque fois qu’un contrat porte sur une chose qui a été fabriquée, construite, ou modifiée sans les autorisations requises, le contrat est nul. Si la vente de stupéfiants l’est manifestement, tel n’est pas le cas de la vente d’un appartement ayant fait l’objet de travaux sans les autorisations requises !

2 - Le but du contrat

260 But du contrat ou buts des contractants ? Le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (…) par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » (C. civ., art 1162 1112.

La référence au « but du contrat » faite par l’article  1162 C. civ. est maladroite. De fait, un contrat ne poursuit pas de but. Ce sont les parties qui en poursuivent, un ou plusieurs. Le « but » doit être entendu au sens de « mobile ». À cet égard, il convient de relever que les mobiles poursuivis par les contractants sont infinis, comme le sont les pensées et les désirs, et qu’ils sont propres à chacun. Suivant ce que comptent faire deux vendeurs d’un même bien pour un même prix avec la somme d’argent reçue, les buts par eux poursuivis seront ou non licites.

Celui qui loue une maison en vue en vue d’y installer une affaire de prostitution poursuit un but illicite, ce qui rend annulable le contrat conclu. De même, est nul le contrat d’assurance prévoyant que le versement d’une indemnité à l’organisateur de l’événement en cas d’abandon, d’annulation ou d’ajournement d’une exposition exhibant des cadavres1113. Le cas particulier des dettes de jeu doit être mentionné. Aux termes du laconique article 1965, « la loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari ». On tire de cette disposition que les contrats de jeu sont nuls en raison de leur objet et que les contrats destinés à favoriser le jeu, comme le prêt, sont nuls pour but illicite1114. Toutefois, ne sont pas nuls en raison de leur objet les contrats de jeu ou de pari conclus avec une société autorisée par la loi, tel un casino régulièrement exploité. Mais, même dans ce cas, le prêt consenti en vue de favoriser le jeu reste nul pour but illicite1115.

Bien que cela paraisse acquis en droit français, il n’y a rien d’évident à ce que le droit sanctionne par la nullité du contrat le but illicite poursuivi par un cocontractant. La vente d’un couteau de cuisine à une personne qui entend l’utiliser pour commettre un meurtre doit-elle être annulée ? Si le contenu du contrat n’est pas en lui-même illicite, mais que sa conclusion est l’occasion, soit de conclure un autre contrat au contenu illicite, soit d’exercer une activité illicite, ce contrat et cette activité seront per se sanctionnés sans que l’annulation du contrat initial soit nécessaire voire simplement utile... Ce n’est pas tant le but illicite qui doit être sanctionné, que sa concrétisation1116 ou sa prévention (fonction mal remplie par les procédures d’annulation et de restitutions).

En tout état de cause, le droit français continue aujourd’hui de prescrire un contrôle des buts. À cet égard, on observera que peu importe que le mobile ait été connu de l’autre. Dans un souci de sécurité juridique, la jurisprudence avait longtemps posé que le motif illicite ou contraire aux bonnes mœurs, pour entraîner la nullité de l’acte, devait être connu des deux parties1117, avant de revirer1118, encore que la jurisprudence n’était pas si clairement établie1119. La règle est désormais consolidée depuis la réforme du droit des contrats (art.  1162 C. civ.).

261 Quid des effets du contrat ? Le but est parfois entendu très largement comme désignant les effets d’un contrat, lesquels ne se confondent pas avec son contenu.

Un arrêt rendu par la Première chambre civile le 4 novembre 20111120 l’illustre bien. La Cour de cassation y examina la validité d’un contrat de courtage matrimonial conclu entre un homme marié en instance de divorce et un organisme à qui il avait menti sur sa qualité d’homme encore marié. L’organisme, qui finit par être au fait, demanda la nullité du contrat pour but immoral (à l’époque, pour cause immorale). D’après la Cour de cassation, « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause [un but] contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée ». Outre le fait que l’arrêt est critiquable en ce qu’il laisse à tort entendre que le seul le but réalisé est sanctionnable et non le seul but poursuivi1121, il confond semble-t-il ce qui relève du but d’un cocontractant et un effet du contrat. En effet, l’homme marié n’avait pas contracté dans le but de méconnaître son devoir de fidélité, mais dans le but de nouer une relation avec un tiers. De même le contenu du contrat ne violait en rien un tel devoir. En réalité, la méconnaissance du devoir de fidélité n’était qu’un effet (au demeurant simplement potentiel) de la conclusion du contrat. À cet égard, doit-on contrôler les effets potentiellement illicites d’un contrat, qu’ils se soient ou non réalisés ?

La Cour de cassation avait d’ailleurs bien distingué, quoiqu’implicitement, le but poursuivi par un cocontractant des effets d’un contrat à l’époque où elle contrôlait les libéralités faites entre concubins1122. En effet, à l’origine, les libéralités faites entre concubins, adultères ou non, n’étaient pas condamnées en tant que telles ; elles ne l’étaient que si et seulement si elles avaient été consenties dans le but de former, continuer ou reprendre la relation de concubinage1123.

Section 2 - Le contenu imposé

262 L’équité, l’usage et la loi . Le contenu du contrat n'est pas entièrement déterminé par les parties. Si, traditionnellement et naturellement, il appartient aux parties de déterminer le contenu du contrat en sorte que celui-ci à une source volontaire, d'après l'article 1194 du Code civil, les contrats « obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi ». Il s'agit d’obligations et plus généralement d’effets1124 dits « complétifs » en ce qu’ils complètent le contenu du contrat1125.

En premier lieu, le contenu du contrat est en partie défini par la loi ou par les usages. À ce titre, le droit propose aux parties des règles destinées à gouverner leur relation : c’est le cas des règles supplétives que l’on retrouve dans la loi et les usages. Mais parfois, le droit impose aux parties des règles destinées à gouverner leur relation : c’est le cas des règles impératives que l’on retrouve dans la loi mais rarement dans les usages, par nature supplétifs1126.

En second lieu, le contenu du contrat est en partie défini par l’équité alors pourtant qu’il est dit que l’équité n’est pas une source du droit1127. Au titre de l’équité, le pouvoir conféré au juge est important car c’est lui qui la dégage. C’est ainsi que sur ce fondement, la Cour de cassation a enrichi le contenu de certains types de contrats qui viennent s’ajouter aux obligations stipulées par les parties. Ont ainsi été dégagées une obligation de sécurité dans le contrat de transport de personnes1128 et dans tous les contrats dans lesquels la sécurité des personnes ou des biens est susceptible d’être affectée (vente, entreprise, bail, etc.), une obligation d’information et de conseil dans les contrats de vente, de prêt et de prestation de service1129, une obligation de garantir celui qui travaille pour soi dans le cadre d’une convention d’assistance bénévole1130 ou d’un contrat de travail1131 et dont l’objet est de garantir l’assistance des dommages causés à un tiers, une obligation pour l’employeur de prendre en charge les moyens nécessaires au salarié pour qu’il accomplisse son travail1132. De telles obligations sont tantôt tenues pour impératives1133, tantôt pour supplétives1134.

Chapitre 6 - La nullité et la caducité

Plan

263 Localisation. « Les sanctions » de la formation du contrat que sont la nullité et la caducité font l’objet de la quatrième section du chapitre II intitulé « La formation du contrat ». La nullité et la caducité sont deux causes d’anéantissement du contrat, envisagées dans deux sous-sections de cette section.

Si la nullité sanctionne bien un défaut dans la formation du contrat – l’absence d’un élément essentiel à la validité d’un contrat (ou d’une clause du contrat) lors de sa conclusion –, tel n’est pas le cas de la caducité, qui frappe le contrat en raison de circonstances diverses : la perte d’un élément essentiel à la validité ou à l’efficacité d’un acte, l’échéance de la durée d’une offre, etc. Il n’était donc guère judicieux de les envisager ensemble, dans cette partie du Code civil au surplus.

Si la nullité est envisagée au sein du chapitre 2 comme ayant pour objet le contrat, il se peut que seule une clause soit nulle. Est-ce que la nullité de la clause emportera celle du contrat ? Nous reviendrons sur cette question1135.

264 Plan. On envisagera dans cette leçon les hypothèses de nullité et de caducité (section 1) ainsi que leur mise en œuvre (section 2). Quant aux effets de l’anéantissement, qui sont d’ailleurs variables, on les envisagera dans le chapitre 10.

Section 1 - Hypothèses de nullité et de caducité

265 Plan. Distinguons la nullité (§ I) de la caducité (§ II).

§ I - La nullité

266 Plan. Après avoir précisé la notion de nullité (A), on exposera la distinction des nullités relatives et nullités absolues (B).

A - Notion

267 « Nul donc annulable » . Un contrat « qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul » (C. civ., art 1178 al. 1). C'est ainsi qu'est nul le contrat conclu par une partie dont le consentement a été vicié 1136 ou le contrat dont le contenu est illicite1137.

L’expression de « nullité » est trompeuse. En effet, la nullité, on y reviendra1138, doit être prononcée par le juge ou convenue entre les parties. Autrement dit, un contrat nul est en réalité annulable tant que la nullité n’a pas été prononcée.

269 Nullité textuelle ou virtuelle ?1158 Les conditions de validité des contrats sont posées par l’article  1128 C. civ. et un contrat « qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul » (C. civ., art 1178.

Deux précisions importantes doivent à cet égard être apportées.

(i) Certaines règles sont prescrites à peine de nullité du contrat sans qu’elles énoncent des conditions de validité du contrat posées par l’article 1128 : c’est le cas par exemple des règles instituant des droits de préemption.

(ii) D’autres règles ne sont pas prescrites à peine de nullité du contrat. De deux choses l’une alors : soit ces règles sont des conditions de validité du contrat au sens de l’article  1128 C. civ. et leur méconnaissance sera ce faisant sanctionnée par la nullité en vertu de l'article 1178 C. civ., soit elles n'en constituent pas au sens de l'article 1128 C. civ., et la question se pose de savoir si leur méconnaissance peut être sanctionnée par la nullité. Dans ce dernier cas, la règle transgressée doit-elle être expressément sanctionnée par la nullité pour que cette sanction soit encourue ? Autrement dit, les nullités sont-elles textuelles ou virtuelles ?

En dépit de la formule évocatrice de l’adage « pas de nullité sans texte », le principe est aujourd’hui que les nullités sont virtuelles et non textuelles1159. Pour ne prendre qu’un seul exemple parmi tant d’autres, le mariage entre personnes de même sexe, avant qu’il ne fût autorisé, fut sanctionné par la Cour de cassation par la nullité1160, de même que le mariage du mort civil1161 alors même qu’aucun texte ne prévoyait cette sanction et qu’au surplus la matière du mariage est souvent présentée comme un des berceaux1162 de l’adage1163. Si les nullités sont donc en principe virtuelles, dans quels cas la méconnaissance d’une règle est-elle sanctionnée par la nullité ? Que la règle doive être impérative est bien entendu une condition nécessaire, puisqu’il est permis de déroger à une règle supplétive. Pour autant, il ne saurait s’agir d’une condition suffisante, comme le révèle la jurisprudence. En réalité, il appartient au juge de s’interroger sur la finalité de la règle méconnue afin qu’il détermine si la nullité est une sanction appropriée. L’intention du législateur joue évidemment un rôle majeur. Ainsi est-il permis de considérer que lorsque le prêteur encourt, en vertu de la loi, la déchéance du droit aux intérêts1164, le contrat ne saurait être nul bien qu’une disposition légale impérative ait été méconnue par le prêt. Lorsqu’on ne peut déceler l’intention du législateur – parfois parce qu’elle n’existe pas, le législateur ne s’étant pas posé la question –, la casuistique est inévitable. C’est ainsi que la jurisprudence considère en général que la méconnaissance d’une obligation précontractuelle d’information n’est pas sanctionnée par la nullité du contrat1165, sauf à ce que le consentement du créancier ait été vicié, dès lors la finalité d’une telle obligation est d’assurer le consentement éclairé du créancier. La casuistique ne doit cependant pas conduire à des solutions incohérentes. C’est pourquoi on eut aimé que la Cour de cassation expliquât pourquoi la conclusion d’une opération de banque conclue en violation du monopole bancaire n’en emporte pas la nullité1166 à la différence d’une consultation juridique délivrée par une personne qui n’en a pas la capacité1167, même si l’on voit bien que prêter de l’argent ne suppose pas les mêmes compétences que celles nécessaires à l’établissement d’une consultation juridique... L’efficience de la règle impérative ne justifie-t-elle pas l’annulation ?

Point sensible : de la nullité, de l’inexistence et du réputé non écrit Lorsque l’on évoque la nullité, il convient de la distinguer de notions voisines.            En premier lieu, un contrat nul doit être distingué d’un contrat inexistant. Si un contrat nul est un contrat qui ne remplit pas les conditions posées par la loi pour sa validité, un contrat inexistant est un contrat qui ne s’est pas même formé, le plus souvent parce que les consentements des parties ne se sont pas rencontrés : par exemple, les volontés déclarées des parties ne sont pas concordantes (l’un veut vendre un chien que l’autre veut prendre à bail), une offre falsifiée ou venue à expiration a été « acceptée ». Le juge n’ayant pas à détruire ce qui n’existe pas, on considère traditionnellement que : 1°/l’inexistence n’a pas à être prononcée par le juge, 2°/aucune action n’est nécessaire et donc qu’aucune prescription n’est encourue1139, 3°/aucune confirmation n’est possible, 4°/tout intéressé peut s’en prévaloir. Certaines décisions paraissent parfois s’écarter de ces directives de bon sens, mais ces décisions peuvent s’expliquer par le fait que le juge a en réalité tenu le contrat pour nul et non pour inexistant1140. En second lieu, une clause nulle doit être distinguée d’une clause réputée non écrite. Si une clause nulle est une clause qui ne remplit pas les conditions posées par la loi pour sa validité, une clause réputée non écrite est une clause qui, bien que stipulée, est réputée ne pas l’avoir été1141. Le « réputé non écrit » est une notion qui existait déjà dans le Code de 1804, à l’article 900, qui disposait que les conditions impossibles, illicites et contraires aux bonnes mœurs, étaient « réputées non écrites ». L’expression a fait florès et on la retrouve aujourd’hui dans différentes matières : le droit de la copropriété1142, des sociétés1143, des baux1144, des assurances1145 et, s’agissant des clauses abusives, en droit de la consommation1146 et en droit commun des contrats1147 mais pas – au moins en s’en tenant à la lettre du texte – en droit des pratiques restrictives de concurrence1148. Le « réputé non écrit », s’il est véritablement autonome de la nullité, doit être tenu pour une situation d’« inexistence » : de même qu’il est des contrats inexistants, il est des clauses réputées inexistantes. En conséquence, nul besoin d’une action en justice pour l’éradiquer et donc de prescription encourue1149, aucune confirmation possible1150, tout intéressé peut s’en prévaloir1151. L’étude de la jurisprudence montre que tel est parfois effectivement le cas : il n’est pas nécessaire de saisir le juge1152 pour faire disparaître une clause réputée non écrite. C’est d’ailleurs cette différence conceptuelle entre la nullité et le réputé non écrit qui a conduit le législateur à substituer la sanction du réputé non écrit à celle de la nullité en matière de baux commerciaux1153 : exit, ce faisant, la prescription biennale1154. Toutefois, dans certaines matières, la jurisprudence assimile le réputé non écrit à une simple nullité partielle1155. Il existe donc de grandes incertitudes lorsque le législateur emploie l’expression de « clause réputée non écrite ». La question se posera rapidement de déterminer si chaque fois que les nouvelles règles du droit des contrats visent le « réputé non écrit » (ex. art.  1170 C. civ. et 1171 C. civ.) un régime autonome de celui de la nullité trouvera à s'appliquer. Lorsque la clause d’un contrat est infectée d’un vice de nature à la réputer non écrite, la Cour de cassation invite les juges du fond à se demander si la clause doit être entièrement réputée non écrite ou si elle ne peut l’être que partiellement. La clef de la distinction réside dans la divisibilité ou non de la clause1156. Et on ne voit pas pourquoi ce qui vaut pour la sanction du « réputé non écrit » ne vaudrait pas pour celle de la « nullité ». En définitive, le choix entre la sanction de la « nullité » et du « réputé non écrit » est avant tout un choix de politique juridique du législateur, voire du juge1157.

Droit spécial : des matières régies par le principe des nullités textuelles Par exception, dans certaines matières, les nullités sont textuelles. En procédure civile , on distingue les vices de forme des vices de fond. S'agissant des premiers, « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public » (CPC, art 114 al. 1) et la nullité « ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public » (CPC, art 114 al. 2). Quant aux vices de fond, ils sont énoncés à l'article 117 du Code de procédure civile : « Le défaut de capacité d'ester en justice ; Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ; Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice ». La sanction n'est en revanche pas précisée. À cet égard, la Cour de cassation considère que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du Code de procédure civile » 1168. En droit du travail, et s’agissant du licenciement, la jurisprudence de la Cour de cassation est désormais bien assise et se trouve résumée dans cette formule : « le juge ne peut annuler un licenciement en l’absence de disposition le prévoyant expressément et à défaut de violation d’une liberté fondamentale »1169. En droit des sociétés, le droit positif est le résultat d’une « longue marche du législateur » qui s’est traduite par une admission de plus en plus stricte des nullités en la matière1170. Aujourd’hui, deux dispositions, relevant l’une du droit commun des sociétés, l’autre du droit commun des sociétés commerciales, retiennent l’attention, précision faite qu’elles doivent être interprétées à l’aune de la directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, chaque fois qu’elle est applicable (elle l’est en France aux société anonyme, société en commandite par actions, société à responsabilité limitée, société par actions simplifiée)1171. La première disposition, l’article 1844-10, invite à distinguer trois hypothèses, ce qui montre que la question de savoir si la nullité est textuelle ou virtuelle n’appelle pas nécessairement une réponse binaire (comme pourraient le laisser accroire ces imprécises expressions) : la « nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions de l’article 1832 et du premier alinéa des articles 1832-11172 et 18331173, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »1174. Autrement dit, la nullité de la société est encourue chaque fois en cas de méconnaissance d’une part des règles posant les conditions de validité de tout contrat – la société étant un contrat – et d’autre part de certaines règles déterminées du titre IX consacré au droit commun des sociétés. la « clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite »1175. Cette disposition est ambiguë car elle distingue nettement la « nullité » du « réputé non écrit » alors que cette distinction n’est pas claire en droit positif1176. Quoi qu’il en soit, que la clause statutaire contrevienne aux règles expressément sanctionnées par la nullité de la société ou qu’elle contrevienne aux règles impératives du titre IX consacré au droit commun des sociétés qui n’est pas expressément sanctionnée par la nullité et ce faisant soit réputée non écrite1177, elle n’est jamais efficace. la « nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l'exception du dernier alinéa de l'article  1833 C. civ., ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »1178. Autrement dit, la nullité des actes ou délibérations est encourue en cas de méconnaissance d’une part des règles posant les conditions de validité de tout contrat et d’autre part des règles impératives du titre IX consacré au droit commun des sociétés. Peu importe donc que la règle impérative prévoie la sanction de la nullité, pourvu qu’elle figure dans ledit titre1179. La seconde disposition, l’ article L. 235-1 du Code de commerce , invite à distinguer deux hypothèses : – la « nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement ni de l’incapacité, à moins que celle-ci1180 n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l'article 1844-1 du Code civil » (al. 1). La nullité de la société ou d'un acte modifiant les statuts est donc encourue en cas de méconnaissance soit des règles posant les conditions de validité de tout contrat soit des règles du livre II « Des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique » du Code de commerce qui prévoient expressément cette sanction. S'agissant des règles relatives à la validité des contrats, il convient de distinguer les SARL et les sociétés par actions des autres sociétés commerciales (sociétés en nom collectif et sociétés en commandite simple) à deux égards. D'une part, les causes de nullité des SARL et des sociétés par actions doivent être interprétées à l'aune de la directive n° 2017/1132 du 14 juin 2017, restrictive. Ainsi, alors même que l'article 1844-10 C. civ., de droit commun, prévoit que la nullité est encourue pour absence d'apport ou d' affectio societatis (par le renvoi à l'article 1832 C. civ.), dès lors que ces causes de nullité ne sont pas prévues par la directive, elles ne paraissent pas pouvoir être retenues. Elles pourraient l'être en revanche à l'égard des sociétés non régies par la directive, les sociétés en nom collectif et sociétés en commandite simple. D'autre part, lorsque la nullité est invoquée pour vice du consentement ou incapacité d'un ou plusieurs associés, la nullité des SARL et des sociétés par actions suppose que le vice ou l'incapacité ait atteint tous les fondateurs (à défaut, seule la souscription de l'associé incapable ou dont le consentement a été vicié est nulle) alors que la nullité des autres sociétés commerciales est encourue alors même qu'un seul associé serait atteint. S'agissant des règles du livre II, il n'existe en réalité qu'une seule règle, à l'article L. 235-2 du Code de commerce (défaut d'accomplissement des formalités de publicité dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple 1181), le maintien de celle-ci étant probablement dû à un oubli puisqu’en 1966 on supprima toutes les autres causes de nullité pour vice de forme ou de publicité1182. Quoi qu’il en soit, en dehors de ces cas, aucune nullité n’est encourue1183. Dans le cas particulier des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés par actions, le non-respect de certaines conditions de validité de tout contrat ne sera sanctionné que si tous les associés fondateurs sont concernés. – la « nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre1184, à l'exception de la première phrase du premier alinéa de l'article L. 225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l'article L. 225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833 du Code civil » (al. 2)1185. Autrement dit, sous réserve des exceptions expressément mentionnées par le texte, la nullité des actes ou délibérations ne modifiant pas les statuts est encourue chaque fois que sont méconnues d’une part les règles posant les conditions de validité de tout contrat – les actes et délibérations étant des actes juridiques – et d’autre part toutes les règles impératives propres aux sociétés du livre II : « Des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique » du Code de commerce. Tout manquement à une des dispositions impératives visées emporte la nullité, peu important que cette sanction soit prévue par ladite disposition1186, mais aucun manquement à une autre règle ne peut être sanctionné par la nullité (ex. méconnaissance de l’intérêt social1187).

B - Distinction

271 Nullités absolues et relatives. La nullité « est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général » (C. civ., art 1179 al. 1 1188) et « est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé » (C. civ., art 1179 al. 2 1189).

L’opposition entre l’intérêt privé et l’intérêt général est résolument manichéenne, pour ignorer les cas intermédiaires dans lesquels un intérêt non pas individuel, mais catégoriel, est protégé : l’intérêt de la famille ou encore l’intérêt des créanciers dans une procédure collective1190. Fort heureusement, la loi règle souvent les difficultés : c’est le cas lorsqu’un contrat méconnaît les règles relatives à la disposition du logement1191 ou encore lorsqu’un acte interdit a été conclu au cours de la période suspecte1192.

Il est par ailleurs souvent impossible de déterminer si la règle transgressée protège un intérêt particulier ou l’intérêt général, d’autant plus qu’« il revient à la loi [toujours], expression de la volonté générale, de définir l’intérêt général »1193 . Ainsi, les règles de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs qui protègent le locataire titulaire d’un bail à usage d’habitation et qui donc a priori concerne des intérêts privés ont évidemment des répercussions sur le marché locatif et donc l’intérêt général. Autre illustration, les règles qui prescrivent qu’un acte juridique soit conclu dans une certaine forme ou les règles qui instituent des formalités dans le processus de conclusion d’un tel acte peuvent poursuivre des buts divers : protéger un contractant et donc un intérêt privé (c’est le cas des mentions manuscrites exigées par la loi pour les cautionnements souscrits par des consommateurs1194), protéger l’intérêt général (c’est le cas de la règle exigeant l’enregistrement des promesses unilatérales de vente, en vue de déjouer des fraudes fiscales), tantôt les deux (c’est le cas des donations où il est question de protéger les deux parties et les intérêts du fisc). La jurisprudence est donc conduite à s’interroger sur la finalité de la règle transgressée1195.

Malgré les incertitudes relatives au critère de distinction, le critère de l’intérêt sauvegardé explique d’une part que ne puissent être confirmés que les contrats nuls de nullité relative et non ceux qui le sont de nullité absolue1196 car il n’est pas dans l’intérêt général que de permettre aux parties de renoncer à faire disparaître le contrat qui le contrarie, et d’autre part que lorsqu’elle est absolue, la nullité puisse être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt car encore une fois l’intérêt général le commande, et que lorsqu’elle est relative, seule puisse agir la partie1197 que la loi entend protéger1198.

Droit spécial : de la nullité et de la confirmation L’impossibilité de confirmer un acte nul de nullité absolue et la possibilité de confirmer un acte nul de nullité relative connaissent toutefois des exceptions. De la possible confirmation d’une donation entachée d’une cause de nullité absolue... Alors même que la donation non passée dans les formes requises est nulle de nullité absolue1199, la confirmation, certes impossible pour le donateur (art. 931-1 al. 1 : « En cas de vice de forme, une donation entre vifs ne peut faire l’objet d’une confirmation. Elle doit être refaite en la forme légale »), est néanmoins possible pour ses héritiers ou ayant cause (art. 931-1 al. 2 : « Après le décès du donateur, la confirmation ou exécution volontaire d’une donation par les héritiers ou ayant cause du donateur emporte leur renonciation à opposer les vices de forme ou toute autre cause de nullité. » ). ... À l’impossible confirmation d’un crédit consenti à un consommateur entaché d’une cause de nullité relative. Si un crédit immobilier ne peut être accepté avant l’expiration d’un délai de dix jours (délai de réflexion), la Cour de cassation a considéré que la nullité de l’acceptation prématurée ne peut être « couverte par la réitération de l’acceptation »1200. N’est-ce pas pourtant excessif : pourquoi celui qui par erreur aurait accepté le neuvième jour serait-il privé du droit d’accepter le onzième1201 ?

§ II - La caducité

270 Article  1186 C. civ. et autres. Si, en vertu de l’article  1186 C. civ., un contrat est caduc dans deux hypothèses, il en existe en droit commun d’autres, tant et si bien que l’on peut finalement distinguer quatre hypothèses de caducité.

271 Première hypothèse : disparition d’un élément essentiel ( C. civ., art 1186 al. 1 ). Un contrat est caduc « si l’un de ses éléments essentiels disparaît »1202. L’expression « éléments essentiels » est vague, tellement vague, qu’on a pu y voir une « démission législative »1203. L’idée générale paraît néanmoins être la suivante : « le contrat est, toute sa vie durant, porté par des “éléments” alimentant en continu sa force obligatoire, à la manière d’un courant électrique »1204 : si ces éléments viennent à disparaître, le contrat aussi. On pourrait dès lors et a priori envisager deux séries d’éléments.

D’une part, pourraient être visés les éléments essentiels à l’exécution du contrat, en ce que leur disparition rend impossible l’exécution du contrat (ex. un contrat d’approvisionnement porte sur une marchandise retirée du commerce). Toutefois, en ce cas, le contrat sera le plus souvent considéré comme résolu pour cas de force majeure (C. civ., art 1218 1205)1206. Aussi bien la caducité ne devrait être retenue que lorsque les conditions de la force majeure ne sont pas réunies. Ainsi, si des parties envisagent une convention de fourniture de marchandises sur une certaine durée alors qu’il est prévisible qu’avant même l’échéance, la marchandise sera retirée du marché, les conditions de la force majeure ne seront pas remplies, mais celles de la caducité le seraient1207.

D’autre part, pourraient être visés les éléments en considération desquels une partie s’était engagée, en ce que leur disparition bouleverse le contexte dans lequel le contrat avait été conclu. Par exemple, une partie s’était engagée en considération de la personne du cocontractant qui est décédé1208 ou en considération de tout autre élément1209 qui a disparu. On voit bien ici la proximité cette fois avec la nullité pour erreur : il n’est pour autant pas question d’erreur dans la mesure où l’intégrité du consentement s’apprécie une fois pour toutes lors de la conclusion du contrat. En fin de compte, il y aurait donc erreur lorsqu’une personne s’est trompée sur un élément en considération duquel elle a contracté et caducité lorsqu’un élément en considération duquel elle a contracté a disparu. Cette proximité justifierait que la caducité ne soit possible qu’à la condition que les éléments ayant disparu soient entrés dans le champ contractuel, comme cela est exigé en cas d’erreur1210. En tout état de cause, le fait qu’un contrat n’ait pas procuré l’intérêt escompté ne saurait être une cause de caducité – mais reste la possibilité de stipuler une clause particulière et le jeu éventuel de la théorie de l’erreur sur la rentabilité1211.

272 Deuxième hypothèse : non-réalisation d’un élément essentiel (à la perfection de l’acte). Un contrat est encore caduc, bien que le terme ne soit pas expressément employé par la loi, lorsqu’il est conclu sous une condition suspensive et que celle-ci ne s'est pas réalisée (C. civ., art 1304-6 al. 3 : « En cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé. » ) 1214. Par exemple, la vente d’un immeuble sous condition de l’obtention d’un prêt est caduque si le prêt n’est pas accordé.

Une telle hypothèse est très proche de celle de la disparition d’un contrat interdépendant, la condition suspensive étant, à certains égards, un moyen de rendre interdépendants plusieurs contrats.

273 Troisième hypothèse : arrivée de l’échéance de l’acte . Il est également possible de considérer qu'un contrat est caduc, bien que cela ne soit pas expressément prévu de manière générale par le Code civil, lorsqu'il arrive à son terme. C'est la solution d'ailleurs expressément prévue au sujet de l'offre, « caduque à l'expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l'issue d'un délai raisonnable » (C. civ., art 1117 al. 1). Par ailleurs, pour des raisons de politique juridique, il est également prévu que l'offre est caduque « en cas d'incapacité ou de décès de son auteur, ou de décès de son destinataire » (C. civ., art 1117 al. 2) 1215.

274 Quatrième hypothèse : disparition d'un contrat interdépendant (C. civ., art 1186 al. 2 et 3) . Lorsque plusieurs contrats sont interdépendants, l’anéantissement de l’un emporte la caducité de l’autre1216.

Droit spécial : des causes de caducité prévues dès 1804 dans le Code civil Le Code civil, dès 1804, prévoyait expressément plusieurs causes de caducité concernant les donations (C. civ., art 1088 « Toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s'ensuit pas ») et les legs (v., au sein du chapitre relatif aux « Dispositions testamentaires », la section 8 consacrée à la révocation des testaments et à leur caducité).

Droit spécial : de la proximité entre nullité et caducité Le droit des assurances illustre les liens entre nullité et caducité, l’une ou l’autre étant retenue dans l’assurance de chose, suivant le moment de la perte de la chose assurée. Si l’assurance « est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri ou ne peut plus être exposée aux risques »1212, « [e]n cas de perte totale de la chose assurée résultant d’un événement non prévu par la police, l’assurance prend fin de plein droit et l’assureur doit restituer à l’assuré la portion de la prime payée d’avance et afférente au temps pour lequel le risque n’est plus couru »1213, cette hypothèse de disparition de plein droit étant en réalité un cas de caducité. Le droit de la représentation offre également une illustration d'un tel lien. D'un côté, le contrat de représentation est nul si l'une des parties était incapable ou interdite de le faire ; d'autre part, il est caduc si cette incapacité ou cette interdiction survient en cours d'exécution du contrat (C. civ., art 1160 « Les pouvoirs du représentant cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction. »).

Section 2 - Mise en œuvre

275 Plan. Un contrat est en théorie susceptible d’être anéanti de quatre manières : par une décision du juge, par un accord des parties, par la décision unilatérale de l’une d’entre elles, automatiquement1217.

Si la nullité peut être prononcée en vertu d’une décision du juge ou d’un accord des parties (§ I) rien n’est malheureusement prévu par la loi s’agissant de la caducité (§ II).

§ I - La nullité

276 Plan. Il est des règles communes à toutes les nullités (A) et des règles propres à chaque type de nullité (B).

A - Règles communes à tous les types de nullité

277 Mise en œuvre de la nullité. Généralités. La nullité peut résulter d’une décision du juge, ce qui a toujours été le cas, ou d’un accord des parties, ce qui est a priori nouveau1218 (C. civ., art 1178 al. 1). Cette dernière faculté permettrait, d'après le rapport au président de la République, « d'éviter dans les cas les plus simples la saisine d'un juge et il a paru opportun de la consacrer pour des raisons de simplicité et d'efficacité ». En aucun cas, toutefois, la nullité ne peut être prononcée par une partie seule, contrairement à la solution retenue par de nombreux droits étrangers et à la solution retenue s'agissant de la résolution 1219.

278 Mise en œuvre de la nullité. Nullité judiciaire. La nullité judiciaire est la voie traditionnelle du prononcé d’une nullité. Le juge saisi d’une demande d’annulation doit en général la prononcer, si les conditions en sont réunies : elle est de droit. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il dispose d’un réel pouvoir d’appréciation, que la nullité est pour lui facultative.

279 Mise en œuvre de la nullité. Nullité conventionnelle. La nullité conventionnelle se distingue de la révocation d’un contrat d’un commun accord en ce qu’elle doit reposer sur une cause de nullité, à la différence de la seconde.

L’accord de « nullité conventionnelle » peut, bien entendu, comme tout contrat être annulé. Il s’ensuivrait que le contrat annulé par suite de l’accord de nullité conventionnelle lui-même annulé redeviendrait efficace.

280 Prescription de l’action en nullité. L’action en nullité se prescrit par cinq ans , par application du droit commun (C. civ., art 2224 1225). Toutefois, l’exception de nullité, opposée à une demande d’exécution du contrat ou à toute autre action fondée sur le contrat1226, est en principe imprescriptible (naguère en vertu de la maxime Quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum alors érigée en « principe » par la Cour de cassation1227 ) : de fait, lorsqu'un contrat est annulable et qu'une partie ne s'en voit pas réclamer l'exécution, elle peut penser que l'autre y a renoncé en raison du vice de l'acte ou, en tout cas, elle peut ne pas voir d'utilité à agir en nullité. Si toutefois elle se voyait réclamer l'exécution du contrat, même après l'échéance du délai de prescription de l'action en nullité, l'imprescriptibilité de l'exception l'autoriserait à demander la nullité à tout moment, pourvu toutefois que le contrat « n'[ait] reçu aucune exécution » (C. civ., art 1185 1228)1229. C’est que si le contrat avait commencé à être exécuté, le défendeur ne pouvait ignorer que son cocontractant attendait de lui qu’il l’exécute : l’exception de nullité sera soumise à la prescription quinquennale et son point de départ devrait coïncider avec celui de la prescription de l’action en nullité1230. Il reste que la distinction entre le contrat qui n’a reçu aucune exécution et les autres est parfois redoutable, notamment lorsque le contrat faisait naître une obligation de ne pas faire1231... Quoi qu’il en soit, depuis que les actions relatives aux contrats se prescrivent en principe toutes par cinq ans, l’invocation de l’exception n’aura de véritable intérêt que lorsque l’action exercée par une partie, telle une action en exécution forcée, n’est pas prescrite alors que l’action en nullité l’est1232.

Quant au point de départ de la prescription, il se situe en principe au jour de la conclusion du contrat , car c'est à compter de ce jour que l'action est « née » au sens de l'article 2224 C. civ. 1233 – d’où l’intérêt de déterminer le moment de la formation du contrat. Toutefois, il est trois correctifs importants. Primo , en cas d'erreur, de dol ou de violence, le délai ne commence à courir qu'à compter du jour où l'erreur ou le dol ont été découverts, ou à compter du jour où la violence a cessé (C. civ., art 1304 al. 2) : c'est en effet à compter de cette date que la victime est en mesure de critiquer l'acte qui avait été passé. Secundo , à l'égard des mineurs, le délai ne commence à courir qu'à compter de la majorité (C. civ., art 1304 al. 3) : c'est en effet à compter de cette date que le mineur devient capable de critiquer l'acte qui avait été passé, en son nom, alors qu'il était incapable. Tertio , et en tout état de cause, le délai butoir de vingt ans de l'article 2232 C. civ. court à compter de la naissance de l'action, c'est-à-dire de la conclusion du contrat, devrait constituer un couperet à toute action en nullité quel qu'en soit le point de départ.

Quid de la prescription s’agissant de la nullité conventionnelle ? Supposant par hypothèse un accord, la nullité conventionnelle ne devrait pas être affectée par quelque prescription (sauf le jeu d’une erreur de droit ?). La question se serait toutefois posée si la nullité par notification avait été admise en droit français ; il n’eut guère été envisageable de ne pas appliquer les règles relatives à la prescription.

Droit spécial : des nullités facultatives Les cas de nullité facultative d’un acte juridique sont rares. C’est le cas en matière de procédures collectives , des paiements effectués au cours de la période suspecte : « Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements » (C. com., art. L. 632-2 al. 1). Le droit des incapacités1220 appelle une réponse nuancée. Lorsque le majeur est placé sous sauvegarde de justice, les actes qu'il a passés « peuvent être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d'excès alors même qu'ils pourraient être annulés en vertu de l'article 414-1 (C. civ., art. 435 al. 2). La nullité est donc bien facultative, sachant que le juge doit prendre « notamment en considération l'utilité ou l'inutilité de l'opération, l'importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté » (ibid.). Il devrait en aller de même des actes courants accomplis par le mineur : les « actes courants accomplis par le mineur peuvent être annulés pour simple lésion » (C. civ., art 1149 al. 1). Plus ambigu est l'article 465 qui concerne le majeur sous curatelle : « Si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l'acte ne peut être annulé que s'il est établi que la personne protégée a subi un préjudice ». Si préjudice il y a, le juge peut-il ou doit-il prononcer la nullité ?

Point sensible : de la nullité conventionnelle, une nullité comme les autres ? Pour l’essentiel, la nullité conventionnelle soulève deux séries de difficultés. En premier lieu, elle ne saurait avoir un champ d’application aussi large que celui de la nullité judiciaire. Il n’est que de penser à la nullité d’un mariage : comment concevoir que les parties puissent convenir de sa nullité ? Comment alors délimiter le champ d’application de la nullité conventionnelle ? Une piste : lorsque l’acte est solennel, l’annulation de celui-ci doit être judiciaire, à moins que l’accord d’annulation ne soit passé dans les mêmes formes (ce qui suppose que cela soit possible1221, et ce qui n’est pas le cas en matière de mariage). De même, lorsque l’acte, bien que non solennel, a été conclu en la forme authentique en vue de sa publication et qu’il a été publié, par exemple au fichier immobilier, l’annulation devrait être judiciaire, les parties ne pouvant contraindre le notaire à instrumenter l’accord d’annulation en vue de sa publication. En second lieu, s’agissant des effets de la nullité conventionnelle, il faut probablement distinguer. Entre les parties, la nullité conventionnelle doit produire les mêmes effets que la nullité judiciaire, notamment quant à la rétroactivité, à défaut de quoi la nullité conventionnelle ne présenterait pas d’intérêt sensible par rapport à un banal accord révocatoire du contrat. Les parties devront seulement prendre garde à préciser si la nullité est totale ou seulement partielle. À l’égard des tiers, les difficultés sont plus importantes. Par principe, encore, on ne voit pas pourquoi les effets d’une nullité conventionnelle seraient distincts de ceux d’une nullité judiciaire, dès lors que les conditions de l’annulation sont bien réunies et que la nullité conventionnelle n’est pas frauduleuse1222. De fait, un contrat, comme une décision de justice, est opposable aux tiers1223. Et par comparaison, la résolution par notification produit les mêmes effets qu’une résolution judiciaire, même à l’endroit des tiers. Certes, il est probable que des « nullités simulées » (comme des « résolutions simulées ») ayant pour objet ou effet de léser les droits des tiers verront le jour. Mais, de même que les tiers peuvent agir en tierce-opposition d’une décision de justice prononçant la nullité d’un contrat, ils devraient pouvoir tenir pour inopposable un accord d’annulation lésant leurs intérêts. Il ne serait dès lors pas choquant, en cas de contestation d’un tiers, de faire peser sur les parties la preuve de la réalité de la cause de la nullité1224 : seraient ainsi ménagés les intérêts des tiers et ceux des parties. On mentionnera enfin le cas d’un tiers particulier, le fisc . Chaque fois que le contrat annulé avait donné lieu au paiement d'un impôt, la double question de la restitution de l'impôt et du non-paiement d'un nouvel impôt se trouve posée. Le vieil article 1961 alinéa 2 du Code général des impôts, qu'il conviendrait peut-être de réexaminer un jour, prévoit, notamment en matière de vente d'immeubles, que « dans tous les cas où il y a lieu à annulation, [les droits d'enregistrement ou la taxe de publicité foncière lorsqu'elle tient lieu de ces droits et la contribution prévue à l'article 879 perçus sur l'acte annulé (...) ne sont restituables que si l'annulation (...) a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée. » À suivre ce texte à la lettre, point de salut si l'annulation n'est pas judiciaire !

B - Règles propres aux nullités relatives et absolues

281 Plan. Les règles propres aux nullités relatives et absolues concernent les titulaires du droit d’agir (1) et la faculté du titulaire de renoncer au droit d’agir (2).

1 - Titulaires du droit d’agir

282 Qualité et intérêt. En application des règles de procédure civile, la personne qui demande la nullité doit avoir qualité et intérêt à agir (CPC, art 31 1234).

En premier lieu, ont qualité à agir la personne que la loi protège en cas de nullité relative (C. civ., art 1181 al. 1 ; ainsi dans un contrat nul pour erreur, seule la victime de l'erreur et non son cocontractant peut invoquer la nullité 1235) et toute personne en cas de nullité absolue (C. civ., art. 1180 al. 1 ; par exemple les parties à un contrat illicite, leurs créanciers, le ministère public qui défend l’intérêt général1236, etc.). Davantage de personnes ont donc qualité à agir en nullité absolue qu’en nullité relative. En général, lorsqu’un contrat est nul de nullité relative, c’est une partie qui peut agir en nullité ; toutefois, exceptionnellement, c’est un tiers qui le peut, car c’est lui que la loi protège (ex. méconnaissance d’une promesse unilatérale de vente1237).

En second lieu, a intérêt à agir la personne qui trouve une utilité à ce que la nullité soit prononcée (la condition est importante spécialement en matière de nullité absolue car toute personne a « qualité » pour agir...). Il se peut néanmoins que celui qui a un intérêt à agir en présence d’un contrat nul de nullité absolue poursuive en agissant un intérêt privé, et non l’intérêt général. Ceci peut conduire à des résultats à première vue injustes, mais qui assurent, même de manière contingente, la préservation de l’intérêt général.

Illustration : seuls comptent la qualité et l’intérêt à agir, non les mobiles ! La Cour de cassation a eu à connaître d’une hypothèse dans laquelle une société avait conclu un contrat avec une commune, avant d’en demander la nullité – le contrat ne s’étant pas avéré profitable –, le maire n’ayant pas reçu pouvoir pour conclure le contrat. Les juges du fond avaient refusé de faire droit à la demande en nullité de la société au motif que celle-ci était exercée « dans le seul but, parfaitement étranger à l’intérêt général qu’elle invoque, d’échapper aux stipulations d’un contrat qu’elle a librement signé et exécuté pendant huit années ». Leur décision est cassée, aux motifs que « la méconnaissance des dispositions d’ordre public relatives à la compétence de l’autorité signataire d’un contrat conclu au nom de la commune est sanctionnée par la nullité absolue, en sorte qu’elle peut être invoquée par toute personne, justifiant ainsi d’un intérêt légitime à agir »1238.

2 - Renonciation au droit d’agir

283 Conditions. La confirmation est l’acte « par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce (...) » (C. civ.,art 1182 al. 1). Seuls les contrats nuls de nullité relative peuvent donner lieu à une confirmation (C. civ., art 1180 al. 2 et C. civ., art 1181.

Quant au fond, la confirmation doit être libre et éclairée . C'est ce qui explique qu'en cas de violence, la confirmation ne peut intervenir « qu'après que la violence a cessé » (C. civ., art 1182 al. 3 in fine). C’est ce qui explique également que celui qui renoncerait à agir en nullité pour toute cause que ce soit ne le ferait pas valablement s’il ne connaît pas la ou (les) cause(s) de nullité au moment où il renonce.

Quant à la forme, la confirmation peut être expresse ou tacite . Lorsqu'elle est expresse, il est prévu que l'« acte mentionne l'objet de l'obligation et le vice affectant le contrat ». La loi exige-t-elle un acte instrumentaire ? Si la lettre du texte pourrait le laisser à penser, c'est douteux, car on ne comprendrait pas alors que la confirmation puisse être tacite. Or il est bien indiqué que l'« exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation » (C. civ., art 1182 al. 3 in limine).

Quant au moment de la confirmation, elle « ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat » (C. civ., art 1182 al. 2 1239). On ajoutera qu’elle ne peut intervenir que lorsque le renonçant sait exactement ce à quoi il renonce et y renonce librement, ce qui rejoint l’exigence d’une confirmation libre et éclairée.

284 Objet et Effet. La confirmation n’emporte ni formation d’un nouveau contrat valable qui succèderait à un contrat annulable, ni même validation rétroactive d’un contrat annulable. Elle est une abdication du droit d’agir – pour le confirmant et ses ayants cause universels – en nullité : la confirmation « emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés (...) » (C. civ., art 1182 al. 4).

La confirmation est doublement relative.

Primo, lorsque plusieurs personnes peuvent agir en nullité relative, « la renonciation de l’un n’empêche pas les autres d’agir » (C. civ., art 1181 al. 3).

Secundo, en tout état de cause, sont réservés les « droits des tiers », c’est-à-dire les droits acquis par les tiers entre la conclusion du contrat et la confirmation1245. De prime abord, la précision laisse dubitatif : si des droits ont été acquis par des tiers après la conclusion du contrat, c’est probablement sur la foi du contrat conclu, en sorte que la confirmation, loin de porter atteinte à leurs droits, les consolide. Il reste que dans certaines hypothèses, la précision pourrait être utile. On met souvent en avant l’exemple suivant : une personne qui vend un bien au titre d’un acte de vente annulable, puis donne ledit bien à un tiers tenant la vente pour nulle, et enfin confirme l’acte de vente : si les droits du tiers donataire n’étaient pas préservés, il serait évincé. Il reste que le donataire a acquis un bien à un moment où il appartenait à un tiers, faute pour la vente d’avoir été annulée préalablement à la donation... En tout état de cause, sous cette réserve de la protection des droits des tiers, la confirmation leur est bien entendu opposable. C’est ainsi que les créanciers du confirmant ne pourront exercer par voie oblique l’action en nullité pour le compte de leur débiteur ayant confirmé l’acte annulable – mais il leur reste l’action paulienne1246.

285 Interpellation interrogatoire. Depuis la réforme du droit des contrats, il est possible de contraindre le titulaire d’une action en nullité, lorsque celle-ci est relative, à prendre parti en renonçant ou en agissant , sans attendre l'échéance de la prescription, afin de mettre fin aux incertitudes sur le devenir du contrat. En effet, la loi ouvre une interpellation interrogatoire à son cocontractant, en prévoyant qu'une partie « peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (C. civ., art 1183 al. 1). Autrement dit, il est possible de contraindre une personne, en l'interpellant, soit à agir en nullité, soit à confirmer le contrat.

Si le texte ne vise que l’interrogation d’une partie par une partie au contrat, c’est parce que, statistiquement, dans l’immense majorité des cas, c’est une partie au contrat qui a qualité pour agir en nullité lorsque celle-ci est relative et c’est une partie au contrat qui a intérêt à interroger. Aucune raison ne commande une interprétation du texte a contrario : dans certaines circonstances, un tiers doit pouvoir interroger ou être interrogé. Ainsi le tiers qui a acquis un bien au mépris d’une promesse unilatérale de vente devrait pouvoir interroger le bénéficiaire (interrogation d’un tiers par une partie au contrat annulable) et le tiers qui entend acquérir un bien auprès de celui qui a lui-même acquis le bien au mépris d’un droit de préemption ou de préférence devrait pouvoir, afin de « sécuriser » l’opération, interroger le titulaire du droit de préférence ou de préemption (interrogation d’un tiers par un tiers au contrat annulable).

À la différence des autres interpellations interrogatoires, le délai ne saurait être fixé par l’auteur de l’interpellation. En effet, dès lors que le mécanisme a pour effet d’affecter le délai normal de prescription, on ne comprendrait que celui-ci ait le pouvoir de fixer lui-même et lui seul un délai. Raison pour laquelle la loi l’a fait : il est de six mois.

S’il est précisé que la « cause de la nullité doit avoir cessé », c’est une maladresse. De fait, la cause de la nullité s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et à ce seul moment. Par conséquent, une cause de nullité ne peut pas « cesser ». Lorsque l’errans s’est rendu compte de son erreur après la conclusion du contrat, la cause de nullité n’a pas pour autant cessé : il peut bien entendu agir en nullité et on ne conçoit pas d’ailleurs qu’il ait pu le faire avant ! Ce que le législateur a probablement voulu dire, c’est que la confirmation devant être libre et éclairée1247, ne peut répondre efficacement à une interpellation que celui qui le fait de manière libre et éclairée (ex. la violence a cessé, l’errans a découvert son erreur, l’incapable est devenu capable, etc.).

Formellement, l’interpellation doit être faite par écrit, et cet écrit doit mentionner « expressément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé » (al. 2). En effet, il est important pour la personne interrogée de savoir ce à quoi elle s’expose si elle ne répond pas à l’interpellation, même s’il eut été préférable que le législateur exigeât dans l’interpellation la mention du texte de loi attachant au silence une telle conséquence1248. L’inexécution de ce devoir doit être sanctionnée par la perte du droit de se prévaloir du silence conservé par la personne interrogée, même si la loi ne le prévoit pas : c’est une véritable incombance1249.

Droit spécial : de la clause de non-contestation d’un droit de propriété industrielle Il n’est pas rare, notamment dans un contrat de licence de marque ou de brevet, que soit stipulée une clause aux termes de laquelle le licencié s’interdit de contester la validité de la marque ou du brevet. Si la Cour de cassation en a semble-t-il reconnu la validité par le passé, leur interprétation est stricte1240 et cette solution pourrait être remise en cause au regard de l’article  1182 C. civ. Au cas où l’annulation d’un brevet ou d’une marque serait prononcée, la nullité ayant aujourd’hui un effet erga omnes1241, on voit mal comment le contrat de licence pourrait survivre à celle-ci. Si la validité de telles clauses devait être remise en cause, il devrait être permis de concéder une licence « aux risques et périls » du licencié1242, le contrat devenant aléatoire. On relèvera par ailleurs que dès lors que le commerce entre États membres est affecté et qu’est applicable le règlement (UE) n° 316/2014 de la Commission du 21 mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie , la clause de non-contestation est exclue du bénéfice de l'exemption (art. 5 § 1, b)1243). Comme l’a relevé la Commission, « les droits de propriété intellectuelle non valables devraient être éliminés, parce qu’ils paralysent l’innovation au lieu de la favoriser »1244.

Droit spécial : de l’interpellation interrogatoire dans certains domaines particuliers En premier lieu, l’interpellation interrogatoire existait déjà en droit des sociétés . En droit commun des sociétés, il est prévu qu'en cas de « nullité d'une société ou d'actes ou délibérations postérieurs à sa constitution, fondée sur un vice de consentement ou l'incapacité d'un associé, et lorsque la régularisation peut intervenir, toute personne, y ayant intérêt, peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l'opérer, soit de régulariser, soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (...) » (C. civ., art 1844-12 1250 ). Et la même règle figure à l'article L. 235-6 du Code de commerce, en ce qui concerne le droit commun des sociétés commerciales 1251. En second lieu, la question se pose de savoir si l’interpellation interrogatoire de droit commun, qui a pour effet de raccourcir la prescription, pourra jouer dans les matières où la prescription ne peut faire l’objet d’aménagements conventionnels , comme c'est le cas en droit de la consommation (C. consom., art. L. 218-1 1252)1253. Dans la mesure où ce n’est pas la convention mais la loi qui instaure l’interpellation interrogation, celle-ci devrait pouvoir naturellement jouer.

§ II - La caducité

286 Automatisme ? Aucune disposition n’est consacrée à la mise en œuvre de la caducité, l’article 1187 alinéa 1 prévoyant uniquement que la caducité « met fin au contrat »1254. Joue-t-elle de plein droit, suppose-t-elle une décision du juge, des parties ou de l’une d’entre elles1255 ?

Dans le silence de la loi, c’est à la raison et au pragmatisme qu’il faut s’en remettre, lesquels invitent à distinguer.

Soit l’exécution du contrat est devenue objectivement impossible, sans que l’on soit en présence d’une cause de résolution du contrat1256 : la caducité jouerait alors de plein droit à supposer que ce soit également le cas pour la force majeure.

Soit l’exécution du contrat est encore objectivement possible, mais le contexte dans lequel il a été conclu a été tellement modifié que l’on est en présence d’une cause de caducité : la caducité devrait être prononcée, et cela par celle des parties dans l’intérêt de qui l’élément disparu servait les intérêts, sans intervention nécessaire du juge1257.

Chapitre 7 - L’interprétation du contrat

Plan

287 Localisation. « L’interprétation du contrat » fait l’objet du chapitre III.

288 Qu’est-ce qu’interpréter ?1258 Interpréter, c’est donner sens. En principe, les règles d’interprétation ont pour objet de dégager la commune intention des parties1259, dans le prolongement du principe d’autonomie de la volonté1260. Le juge doit donc mener un travail d’historien pour rétablir, au moment de la conclusion du contrat la commune intention des parties. Mais parce que cette commune intention est parfois difficile et parfois même impossible1261 à dégager, le Code civil prévoit des règles d’interprétation subsidiaires – on parle parfois d’interprétation objective.

289 Que doit-on interpréter ? Ce qui doit être interprété est l’instrumentum, support tangible du contrat1262. C’est donc à la volonté déclarée des parties qu’il faut donner sens, parce que celle-ci est censée constituer l’exact reflet de leurs deux volontés internes. En revanche, l’interprétation ne s’intéresse pas à l’éventuel hiatus qui pourrait exister, « une fois leur sens connu », entre la volonté interne et la volonté déclarée de chacune des parties, entre les volontés internes ou encore entre les volontés déclarées de celles-ci : c’est là une question qui regarde l’existence de la rencontre des consentements ou leur validité.

290 Quand interpréter ? Parce qu’interpréter c’est donner sens à ce qui n’en a pas, l’interprétation est requise chaque fois que l’instrumentum n’est pas clair, ce qui n’est pas rare. Comme on l’a observé, le « langage, qu’il soit exprimé oralement ou par écrit, n’est jamais qu’un véhicule imparfait de la pensée », et « [a]utant et peut-être plus que d’autres, le langage juridique souffre de cette infirmité congénitale »1263. En contrepoint, lorsque l’instrumentum est clair, il n’y a pas lieu à interprétation, car il n’y a pas à donner sens à ce qui en a déjà ou, si l’on préfère, il n’y a pas à donner un sens différent à l’instrumentum de celui qui s’en évince clairement : ce serait le dénaturer. C’est ainsi que l’article 1192 prévoit qu’ « [o]n ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Reste qu’à dire que l’interprétation commence là où cesse la clarté, la question n’est que déplacée, car il s’agit alors de savoir quand un instrumentum n’est pas clair, quand il se révèle obscur. On peut, semble-t-il, distinguer deux types d’obscurité.

Il est, en premier lieu, des cas d’obscurité intrinsèque, où l’obscurité ressort de la seule lecture de l’instrumentum. Par exemple, nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval et le lui livre « en écartant toute garantie des vices mais en restant tenu des défauts cachés ». De quoi suis-je tenu ? Une telle clause, susceptible de recevoir plusieurs sens, doit être interprétée.

Il est, en second lieu, des cas d’obscurité extrinsèque, où l’obscurité ressort de la mise en perspective de l’instrumentum, soit avec d’autres documents, soit avec des circonstances de fait particulières. Par exemple, nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval « et le lui livre » alors que dans le document portant quittance du prix, « il est convenu que Paul en prenne livraison ». M’appartient-il de livrer le cheval à Paul ou seulement de le lui mettre à disposition ? Il faudra interpréter. Autre exemple : nous sommes convenus avec Paul dans l’instrumentum que je lui vende mon cheval, alors que j’ai un « cheval de chair et de sang » mais aussi « un cheval de bois ». Nous sommes-nous accordés sur la vente du même cheval1264 ? Il faudra à nouveau interpréter.

Il convient par ailleurs de mentionner le cas de l’erreur matérielle1265 : l’écrit aura beau jeu d’être « clair » s’il ne reflète pas la volonté des parties.

Section 1 - Le contenu des règles d’interprétation

291 Règle subjective principale : la commune intention des parties. Le principe est simple, est énoncé à l’article 1188 alinéa 1 : le contrat s’interprète « d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. » Les contrats étant obligatoires dans la mesure où les parties ont voulu s’engager, il serait incompréhensible que la commune intention1266 des parties ne soit pas au premier chef recherchée afin d’interpréter un contrat.

Trois observations peuvent être formulées.

Primo, la recherche de cette commune intention sera parfois vaine, soit que cette commune intention fasse défaut – les parties n’ont pas envisagé la difficulté objet du litige ou il est établie que leur intention ne fut pas la même au moment de contracter, soit que le juge ne parvienne à l’établir.

Tertio, la recherche de la commune intention ne se conçoit pleinement que lorsque le contenu du contrat a été établi par les parties après avoir été négocié. Lorsque les obligations contractuelles figurent dans un instrumentum qui a été prérédigé par une des parties et imposé à l'autre, l'existence d'une commune intention des parties n'est pas exclue, mais elle est plus hasardeuse. Celle qui n'a pas rédigé l'instrumentum n'aura pas toujours pris connaissance de tous ses termes et, même si elle a pris connaissance, elle ne les aura pas toujours entendus de la même façon que le rédacteur.

Tertio, il convient de relever que le plus souvent les parties rédigent leur contrat en contemplation de la loi. Or, lorsque la loi a été modifiée postérieurement à ce qu’elle était lors de la conclusion du contrat, faut-il interpréter la commune intention des parties au regard de la loi applicable au jour de la conclusion du contrat ou de la loi applicable au jour du litige ? Nul n’étant devin, c’est à juste titre que la Cour de cassation retient la première des deux solutions envisageables1267.

292 Règles objectives subsidiaires : interprétation raisonnable, utile et cohérente . À titre subsidiaire, il est prévu que « [l]orsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation » (C. civ., art 1188 al. 2). Cette règle est très vague et difficile d'application : comment rétrospectivement placer un tiers dans la situation dans laquelle étaient les parties lorsqu'elles ont conclu le contrat ? En réalité, il y a fort à parier que c'est très rapidement le juge qui vêtira les habits de la « personne raisonnable » et retiendra le sens qu'il perçoit.

En tout état de cause, le juge pourra trouver quelque secours dans deux autres règles d'interprétation, très proches, et bien plus sûres. La première est celle de l'interprétation cohérente : « [t]outes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier » et « [l]orsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci » (C. civ., art 1189 1268 ; la seconde est celle de l'interprétation utile : « [l]orsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun » (C. civ., art. 1191). Cette seconde règle, qui vise à donner « effet » aux clauses polysémiques, est particulièrement importante et le plus souvent mise en œuvre en vue de fixer arbitrairement un sens au contrat obscur, un « sens validant ». Les règles posées par ces deux dispositions doivent être considérées comme des moyens permettant au juge de mettre en œuvre l'article 1188 C. civ. et non comme des moyens d'aller à l'encontre de ce dernier 1269.

293 Règle objective très subsidiaire ou dérogatoire ? L’interprétation contra proferentem et contra creditorem. L’article  1190 C. civ. indique que « [d]ans le doute », « le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. » Cette règle est aussi dure dans un contrat d’adhésion pour le rédacteur de l’acte qui supporte le risque d’obscurité (contra proferentem) qu’elle est profitable dans un contrat de gré à gré au débiteur (contra creditorem). La référence au « doute » persistant laisse entendre que la règle serait subsidiaire par rapport à celle de l’article 1188. D’ailleurs, si tous les contrats sont de gré ou d’adhésion, et que l’article  1190 était dérogatoire à l'article 1188 et non subsidiaire, cette dernière disposition serait sans application 1270...

Quoi qu’il en soit, l’idée d’interpréter un acte contre une personne (le rédacteur ou le créancier) suscite une interrogation d’ordre logique : faut-il systématiquement donner raison à celui en faveur d’une personne (l’adhérent ou le débiteur) alors même que son interprétation est déraisonnable ? Il serait excessif de faire droit aux prétentions les plus exotiques d'une partie pour la seule raison que l'article 1190 lui est favorable. Par où l'on voit que l'article 1188 dans son second alinéa ne sera peut-être pas tout à fait exclu. Conçoit-on une interprétation contra proferentem ou contra creditorem « déraisonnable » ?

294 Synthèse. Au fond, la logique paraît être la suivante : soit la commune intention peut être décelée et il faut la rechercher avant tout ; soit elle ne l’est pas, et on interprétera l’acte conformément aux attentes d’une personne raisonnable, à l'aide le cas échéant des règles objectives prévues par le Code. Si les incertitudes subsistent, le contrat sera interprété en faveur du débiteur dans un contrat de gré à gré et contre le rédacteur de l'acte dans un contrat d'adhésion, tout en veillant à ce que l'interprétation ne soit pas déraisonnable...

Section 2 - La valeur des règles d’interprétation

295 Plan. La valeur des règles d’interprétation doit être appréciée à l’égard des juges (§ I) et des parties (§ II).

§ I - À l’égard du juge

296 Pouvoir souverain des juges du fond. La Cour de cassation a très vite reconnu, dans l’arrêt Lubert rendu le 2 février 18081271, un pouvoir souverain aux juges du fond dans l’interprétation des contrats. L’interprétation des contrats est donc considérée comme une question de fait1272. Les raisons en sont diverses : d’abord, la Cour de cassation doit assurer l’unité des règles de droit et a priori n'a pas d'égards à la diversité des contrats ; ensuite, elle ne dispose pas de moyens lui permettant de se livrer à des investigations de fait lui permettant de déceler la volonté des parties (notamment les procédés prévus aux articles 10 et 11 du Code de procédure civile) ; enfin, elle pourrait craindre, à vouloir contrôler l'interprétation des juges du fond, un afflux important de pourvois.

Ces raisons sont plus ou moins convaincantes : d'abord, interpréter les contrats, c'est assurer leur force obligatoire et donc le respect de la loi (C. civ., art 1103 1273) ; ensuite, si la Cour de cassation ne dispose pas des moyens de s’assurer de la bonne interprétation des contrats donnée par les juges du fond, rien ne s’oppose à ce qu’elle s’assure du respect par ces derniers d’une certaine méthode d’interprétation ; enfin, l’afflux des pourvois ne devrait pas être sensible, lorsque l’on sait le nombre déjà important de ceux qui invoquent la dénaturation.

297 Contrôle de la dénaturation. La Cour de cassation s’est octroyé, dans l’arrêt Veuve Foucauld rendu le 15 avril 18721274, le pouvoir de sanctionner l’éventuelle dénaturation des contrats par les juges du fond, ce qui signifie qu’en présence d’un contrat clair et précis (par la suite, nous ne ferons que référence à la « clarté », la « précision » en constituant un des éléments d’appréciation), les juges du fond ne pourront retenir un autre sens que celui-ci qui s’évince de la lettre du contrat. Il y a dénaturation du contrat lorsque les juges du fond l’ont interprété dans un sens différent de celui qui ressortait de sa lettre claire et précise.

Or, d’après la Cour de cassation, « une clause est claire et précise lorsqu’elle n’est susceptible d’un seul sens »1275. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de l’interpréter en lui donnant un autre sens : « lorsque les conventions sont claires et précises, aucune considération d’équité n’autorise le juge à modifier, sous prétexte de les interpréter, les stipulations qu’elles renferment »1276. C’est ce qui ressort aujourd’hui de l’article 1192 : « [o]n ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ». Reste que la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation est assez souple ; elle se laisse en effet volontiers convaincre de l’ambiguïté d’une convention, autorisant alors l’interprétation.

298 Simples directives d’interprétation. Dans un arrêt rendu par sa chambre des requêtes le 16 février 1892, la Cour de cassation avait eu à connaître d’un pourvoi formé par le créancier d’un cautionnement qui reprochait aux juges du fond de n’avoir interprété la convention qu’au vu de l’intention de la caution, non de leur intention commune. Le pourvoi fut rejeté, la Cour estimant « que le législateur, dans l’article 1156 [devenu l’article 1188 alinéa 1], a inscrit des conseils aux juges, pour l’interprétation des conventions, sans caractère impératif, et n’a imposé aucune règle absolue, dont l’inobservation puisse donner ouverture à cassation »1277. Auparavant déjà, la Cour de cassation avait considéré, pareillement, que l’ensemble des règles d’interprétation n’énonçait que de simples conseils donnés aux juges1278. Et depuis, elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de rappeler sa jurisprudence1279.

En contrepoint, toutefois, on note certaines décisions qui ont donné quelque force aux règles d’interprétation.

La plus symptomatique1280 est celle rendue par la Première chambre civile le 20 janvier 19701281. Au visa de l’article 1156 et après avoir énoncé que, « selon ce texte, on doit, dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes », la Cour de cassation casse, pour fausse application de cet article, une décision qui, « après avoir énoncé qu’il convenait de faire prévaloir l’intention des parties sur le sens littéral des termes de la convention, s’est bornée, à cet effet, à déterminer la seule intention de la dame Y en contractant avec la société française de recours sans aucunement faire état ni de la volonté, ni de l’acceptation de celle-ci ». La mise en perspective avec la décision rendue en 1892 est éloquente.

À l'avenir, et bien que l'interprétation des contrats relève en principe du pouvoir souverain des juges du fond, l'on pourrait souhaiter que les dispositions relatives à l'interprétation se voient reconnaître le statut de règles de droit, à tout le moins, l'article 1188 alinéa 1. Ce faisant, et en application de l'article 604 du Code de procédure civile (le « pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit »), leur inobservation pourrait donner lieu à un pourvoi en cassation. La Cour de cassation contrôlerait ainsi le principe mais non l'exercice de l'interprétation. Il est d'ailleurs probable que la Cour de cassation reconnaisse la valeur contraignante de l'article 1190 qui pose le principe de l'interprétation contra proferentem dans les contrats d’adhésion1282 (et peut-être celle de l'interprétation contra creditorem dans les contrats de gré), dans le sillage de sa jurisprudence rendue à l'aune de l'article L. 211-1 alinéa 2 du Code de la consommation 1283. Par ailleurs, une clause dérogeant au principe de l’interprétation contra proferentem pourrait être constitutive d'un déséquilibre significatif au sens de l'article 1171 1284 , à moins qu'elle soit purement et simplement tenue pour nécessairement inefficace, si la règle est considérée comme étant d'ordre public. Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques , il faut également relever que l'article L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire prévoit notamment que les juges du fond peuvent solliciter l'avis de la Cour de cassation avant de statuer sur l'interprétation d'une convention présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Autrement dit, un contrat standardisé pourrait faire l’objet d’un tel avis de la Cour de cassation.

Point sensible : de la valeur contraignante des règles d’interprétation En premier lieu, c’est surtout « en droit spécial » que la Cour de cassation française est plus encline à reconnaître la force contraignante des règles d’interprétation. Ainsi en va-t-il de l’article 1602 qui, après avoir énoncé que « [l] e vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige », dispose que « [t]out pacte obscur ou ambigu s’interprète contre le vendeur ». En effet, dans un arrêt rendu le 13 avril 19991285 la Cour de cassation approuve un tribunal d'avoir « exactement déduit (...) que la convention conclue entre les parties devait être interprétée en faveur des [acheteurs] ». Quant à l'article L. 211-1 alinéa 2 du Code de la consommation, qui énonce que « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible » et qu'elles « s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel », il donne lieu à un contrôle par la Cour de cassation, depuis deux arrêts rendus par les première et deuxième chambres civiles de la Cour de cassation, respectivement le 21 janvier 2003 1286 et le 13 juillet 20061287. À l’étranger, tant le droit belge que le droit italien affirment le caractère contraignant des règles d’interprétation pour les juges du fond. En droit belge , la jurisprudence a évolué. Pendant longtemps, elle a considéré que les articles 1156 et suivants du Code civil étaient de simples conseils et non des règles impératives 1288. Mais, dans un arrêt rendu le 25 juin 1942, la Cour de cassation belge considéra que « le juge avait le devoir de rechercher dans le contexte de l’acte et dans les faits constants de la cause, l’intention que les parties avaient voulu traduire dans l’écrit »1289 à ce stade, le caractère impératif de l’article 1156 du Code civil était acquis1290. Par la suite, la Cour de cassation belge conférera expressément ce caractère impératif à l’article 1162 du Code civil1291. Aujourd’hui, la doctrine s’accorde à étendre ce caractère aux autres dispositions relatives à l’interprétation du Code civil1292. En droit italien, un arrêt rendu le 30 janvier 1995 par la Cour de cassation italienne est venu fixer la jurisprudence sur l’interprétation des contrats : si la Cour relève que l’interprétation du contrat, qui vise à souligner une vérité historique – la volonté commune des parties –, est typiquement un jugement de fait, institutionnellement réservé au juge du fond, ce jugement est attaquable devant le juge de cassation en cas de violation des canons légaux d’herméneutique contractuelle1293.

§ II - À l’égard des parties

299 Règles supplétives ? Bien que les règles contenues aux articles 1188 et suivants paraissent davantage s’adresser aux juges, et en particulier aux juges du fond, elles sont parfois qualifiées en doctrine de règles supplétives1294. Quoi qu’il en soit, la question se pose de savoir si les parties peuvent préciser, écarter ou modifier les règles d’interprétation qui sont prévues aux articles 1188 et suivants1295. Si certaines clauses d’interprétation doivent pouvoir être stipulées efficacement (par exemple celle qui établirait une hiérarchie entre les clauses de l’instrumentum), il serait curieux que les parties puissent enjoindre au juge d’interpréter des obligations négociées dans un sens différent de celui qui ressort de leur volonté commune.

Aménagements conventionnels Deux séries de clauses peuvent conduire à diminuer l’office du juge. En premier lieu, des clauses peuvent limiter le champ des investigations du juge. À cet égard, l’on évoque souvent la clause d’intégralité1296, dont la portée dépend cependant étroitement de sa rédaction. Le plus souvent, cette clause a pour effet d’interdire au juge de compléter les dispositions de l’instrumentum à partir d’autres éléments antérieurs à la conclusion du contrat1297. Mais, ainsi rédigée, la clause, et c’est ce qui nous intéresse, n’interdit pas au juge d’interpréter les dispositions de l’instrumentum litigieux au vu d’autres éléments. Ainsi les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international prévoient-ils que « le contrat écrit qui contient une clause stipulant que le document renferme toutes les conditions dont les parties sont convenues ne peut être contredit ou complété par la preuve de déclarations ou d’accords antérieurs. Ces déclarations ou accords peuvent cependant servir à l’interprétation du document » (art. 2.1.17)1298. En second lieu, en vue de prévenir l’interprétation par le juge, le mieux est encore que le contrat soit clair. Dans cette perspective, la plupart des instrumenta comportent des définitions des termes employés. Dans cette perspective encore, les Incoterms1299 apparaissent comme des standards fort utiles à la détermination du sens à donner aux stipulations de contrats parfois lapidaires. Reste à se demander si, en pratique, les parties cherchent bien à prévenir toute interprétation du juge ou bien si, au contraire, elles ne l’encouragent pas à interpréter. De fait, on relève bien souvent, en pratique, que les conseils de deux parties, en vue de parvenir à un accord, s’accommodent fort bien d’une obscurité qui permettra, le cas échéant, à chacune des parties de faire son miel.

Chapitre 8 - Les effets du contrat entre les parties

Plan

300 Localisation. « Les effets du contrat entre les parties » font l’objet de la première section du chapitre IV intitulé « Les effets du contrat ». Elle se compose de deux sous-sections, l’une consacrée à la « [f]orce obligatoire » et l’autre à l’« [e]ffet translatif ».

301 La loi des parties. Un contrat emporte des effets pour les parties qui sont variables suivant son contenu. On envisagera les effets de tout contrat (section 1) puis les effets particuliers des contrats translatifs (section 2).

Section 1 - Les effets de tout contrat

302 Plan. À l’égard des parties, le contrat est une norme. C’est d’une part une norme contraignante en ce qu'un débiteur doit exécuter ce qu'il a promis : « [l]es contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (C. civ., art 1103: tout contrat est doté de la force obligatoire (§ I). C'est d'autre part une norme comportementale en ce qu'un débiteur doit s'exécuter d'une certaine manière : « [l]es contrats doivent être (...) exécutés de bonne foi » (C. civ., art 1104 al. 1) (§ II).

§ I - La force obligatoire

303 Plan. Envisageons les fondements de la force obligatoire du contrat (A), ses manifestations (B), et la limite tenant à sa révision ou résiliation pour imprévision (C).

A - Fondements

304 Diverses conceptions. Plusieurs conceptions du contrat peuvent expliquer sa force obligatoire.

Suivant une conception subjective, la force obligatoire est fondée sur la volonté des parties qui se sont engagées : un contrat est obligatoire parce que les parties ont voulu s’engager. Il serait néanmoins excessif de penser que la seule volonté suffise à engager son auteur : si une personne s’engage en son for intérieur envers une autre, par exemple en acceptant une offre dont elle est destinataire, elle ne sera pas liée pour autant. Pourquoi ? Tout simplement parce que, ce faisant, celui qui s’est « engagé » n’a suscité aucune attente chez l’autre qui n’a pas reçu son engagement. Aussi, il est probablement plus exact de considérer que la force obligatoire des contrats et plus généralement des actes juridiques, repose tant sur la volonté que sur les attentes que cette volonté a pu susciter.

Suivant la conception objective, la force obligatoire est fondée sur la loi, sur l’article 1103. Cette explication est peut-être insuffisante : on a peine à imaginer que les contrats ne seraient plus obligatoires, si l’article 1103 n’existait pas. C’est qu’il est dans la nature des choses d’un contrat d’être obligatoire : il n’y a pas de société sans contrat. La force obligatoire du contrat serait une règle supra-législative, (elle est le corollaire de la liberté contractuelle qui a valeur constitutionnelle) de droit naturel, dit-on parfois. Il ne faut cependant pas minorer le rôle de la loi : celle-ci peut toujours disposer que tel contrat ou telle stipulation est nulle en lui ôtant sa force obligatoire, ou encore enrichir le contenu d’un contrat d’obligations qu’elle imposerait. Aussi bien, la force obligatoire des contrats, dans une perspective objectiviste, serait tant fondée sur la loi que sur le droit naturel, qui ressort de la nature des choses1300.

305 Pertinence des diverses conceptions. La question du fondement de la force obligatoire de l’obligation est une question que l’on peut se poser sans fin. Probablement les deux conceptions, bien comprises, peuvent être invoquées pour expliquer des règles particulières.

En premier lieu, la conception subjective explique ou expliquerait certaines règles du processus de la formation du contrat. Parce que la force obligatoire de l’acte juridique repose sur la volonté, la volonté doit être libre et éclairée lors de son émission. Parce que la force obligatoire de l’acte juridique repose également sur les attentes de son destinataire, celui-ci devrait pouvoir être retiré tant qu’il n’est pas parvenu à son destinataire : l’offre (C. civ., art 1115 et l’acceptation (C. civ., art 1118 al. 2) peuvent être rétractées tant qu’elles ne sont pas parvenues à leur destinataire.

En second lieu, la conception objective explique que les règles de droit objectif peuvent enrichir1301 (C. civ., art 1194 voire prohiber certains contrats ou stipulations1302 (C. civ., art 6.

B - Manifestations

306 Plan. La force obligatoire du contrat se manifeste au premier chef et tout naturellement dans l’obligation qu’ont les parties de l’exécuter, de « payer » (1), et dans la procédure de modification ou révocation du contrat (2).

1 - Le paiement

307 Principe du paiement. Le « paiement est l’exécution volontaire de la prestation due » (C. civ., art 1342 al. 1 1303). Parce que le contrat est doté de la force obligatoire, les prestations promises doivent être « payées », c’est-à-dire exécutées volontairement par les parties.

Le paiement produit un double effet libératoire (du débiteur) et extinctif (de la dette) (C. civ., art 1342 al. 3). Toutefois, lorsque la dette est payée, non par le débiteur, mais par un tiers (par exemple une caution) qui n'est pas animé par une intention libérale, ce dernier peut être subrogé dans les droits du créancier. En payant au créancier la dette de son débiteur, le tiers « prend sa place » et peut à son tour réclamer le paiement de la dette au débiteur. Techniquement, la créance est transmise au tiers qui peut s’en prévaloir à l’encontre du débiteur : la dette n’est pas éteinte et le débiteur, s’il est libéré à l’égard du créancier originaire, ne l’est pas à l’endroit du tiers devenu créancier. L’intérêt principal de la subrogation pour le tiers est de profiter des accessoires de la créance payée et notamment des sûretés qui y étaient attachées. Indépendamment de son recours subrogatoire, le tiers qui a payé la dette d’autrui dispose en principe d’un recours personnel contre le débiteur dont il a payé la dette (qui dépend du rapport juridique entre le solvens et le débiteur : mandat, caution, gestion d’affaires, paiement de l’indu1304).

309 Auteur du paiement. Celui qui effectue le paiement, le solvens, est généralement le débiteur, mais ce peut aussi être un tiers, comme il vient d’être vu : le paiement « peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (C. civ., art 1342-1. Différentes raisons peuvent l'expliquer : il est animé d'une intention libérale (il réalise ce faisant une donation indirecte), il y est tenu (il est un garant du débiteur), il s'y croit à tort tenu, il vient en aide au débiteur.

Le refus du créancier ne sera légitime que chaque fois que la personne du débiteur importe dans l’exécution de la prestation. Tel ne sera pas le cas pour le paiement d’une obligation monétaire – pourvu que l’auteur du paiement soit capable de le faire – mais tel pourra être le cas pour le paiement d’une obligation non monétaire : par exemple, un client ne veut pas qu’un autre entrepreneur que celui avec lequel il a contracté effectue les réparations convenues.

311 Bénéficiaire du paiement . Le créancier et lui seul doit en principe être payé, dès lors qu'il est capable de recevoir le paiement (C. civ., art 1342-2 al. 1). S'il ne l'est pas, le paiement devra être effectué à la personne ayant en charge ses intérêts ; le paiement qui serait fait à l'incapable ne serait pas libératoire, sauf si ce dernier en a tiré profit (C. civ., art. 1342-2 al. 1, in fine).

Ce principe est assorti d’un tempérament et de deux exceptions.

Le tempérament consiste en ce que le paiement peut être effectué à un tiers désigné par le créancier (C. civ., art 1342-2 al. 1), par exemple un mandataire.

La première exception tient à ce que le paiement fait à un tiers est encore valable si le créancier l’a ratifié ou en a profité (C. civ., art 1342-2 al. 2), par exemple parce que la somme d'argent versée au tiers lui a été reversée.

La seconde exception tient à ce que le paiement fait à un créancier apparent est valable dès lors qu'il a été effectué de bonne foi (C. civ., art 1342-3; chaque fois que le paiement a été fait à tiers dont le solvens avait toutes les raisons de croire qu’il était le créancier et qu’il l’a effectivement cru (ex. usurpation d’identité), alors le paiement est valable. En revanche, l’article est sans grande utilité lorsqu’il s’agit de considérer que le paiement fait à celui qui a cédé sa créance sans en avertir le cédé est libératoire : les règles relatives à la cession de créance suffisent à fonder la solution (« La cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »).

313 Moment du paiement. Le paiement « doit être fait sitôt que la dette devient exigible » (C. civ., art 1342 al. 2 1305), c’est-à-dire dès la conclusion du contrat, si la loi ou une clause du contrat n’a pas reporté l’exigibilité des obligations. Ainsi la délivrance de la chose louée doit être immédiate, sauf si l’exigibilité de l’obligation de délivrance n’a pas été reportée dans le temps, par l’effet d’un terme suspensif.

311 Lieu du paiement. Le paiement « doit être fait au domicile du débiteur » (C. civ., art 1342-6 1306) : on dit que les dettes sont quérables, qu’il appartient au créancier de se déplacer pour se faire payer. La loi réserve bien évidemment la volonté1307, la décision et la règle contraires.

312 Objet du paiement. Le débiteur doit payer tout ce qu’il doit et exactement ce qu’il doit.

En premier lieu, le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible (C. civ., art 1342-4 al. 1).

En deuxième lieu, le créancier peut accepter de recevoir en paiement autre chose que ce qui lui est dû (C. civ., art 1342-4 al. 2), ce qui veut surtout dire qu'il peut le refuser. Seul l'accord du créancier permettra au débiteur de s'acquitter de sa dette en payant autre chose que ce qui était dû au titre du contrat. C'est le mécanisme de la dation en paiement, c’est-à-dire la remise, à titre de paiement et avec l’accord des deux parties, d’une chose différente de celle qui faisait l’objet de l’obligation1310.

En troisième lieu, « le débiteur d’une obligation de remettre un corps certain est libéré par sa remise au créancier en l'état, sauf à prouver, en cas de détérioration, que celle-ci n'est pas due à son fait ou à celui de personnes dont il doit répondre » (C. civ., art 1342-5. Celui qui doit délivrer ou livrer un corps certain n'est donc tenu que de le faire dans l'état qui est le sien à ce moment. Toutefois, si la chose est détériorée, il ne sera libéré que si cette détérioration ne lui est pas imputable, qu'elle l'est à un cas de force majeure.

En quatrième lieu, s’agissant du paiement d’une somme d’argent, le principe du nominalisme est consacré (C. civ., art 1343 al. 1), sous réserve d'une double exception.

Primo, la dette de somme d’argent peut être indexée (C. civ., art 1343 al. 2), sous réserve de respecter la stricte réglementation du Code monétaire et financier 1311. En substance, si l’indexation est en principe interdite1312, il existe des exceptions. Pour l’essentiel1313, l’indexation est libre, quel que soit l’indice choisi, pour les dettes alimentaires1314 et les titres de créance et instruments financiers à terme1315 ; l’indexation est possible sur le niveau général des prix pour certaines dettes énumérées par la loi, comme celles issues de remboursement de prêts professionnels1316 ; l’indexation, quelle que soit la dette, est possible si l’indice présente « une relation directe » avec l’objet du contrat ou l’activité de l’une des parties1317 (par exemple, la dette de l’acheteur d’un immeuble à construire peut être indexée sur l’indice du coût de la construction bâtiment BT01 ou encore, la dette de remboursement d’un prêt peut être indexée sur une monnaie étrangère car le change a un lien direct avec les opérations de banque1318).

Secundo, certaines dettes qui n’ont pas pour objet un montant nominal, mais la valeur d’un bien ou d’un service (« dette de valeur [d’un bien ou d’un service] »1319) : le débiteur « d’une dette de valeur se libère par le versement de la somme d’argent résultant de sa liquidation » (art. 1343 al. 3). La somme qui sera finalement due sera celle égale à la valeur du bien ou du service qui fait l’objet de l’obligation, au jour de son exigibilité1320. Par exemple, lorsqu’un héritier rapporte à la succession une donation, le montant à rapporter est égal à la valeur du bien reçu, appréciée au jour du partage (C. civ., art 843 et C. civ., art 860 1321. De même, celui qui est tenu de réparer un préjudice doit indemniser la valeur du préjudice au jour de la décision qui ordonne la réparation. Soit un bâtiment détruit par la faute d’un individu. L’obligation de réparation naît au jour du dommage, mais sera évaluée au jour de la décision du juge car le responsable est tenu d’une « dette de la valeur du préjudice », fixée au jour de la décision. Si, en raison de l’évolution du coût de la vie, le coût des réparations a augmenté entre le dommage et la décision, il conviendra donc d’en tenir compte.

313 Frais du paiement. Les frais du paiement « sont à la charge du débiteur » (C. civ., art 1342-7 1339). Que coût de l’exécution de l’obligation doive être supporté par le débiteur s’explique par deux raisons : d’une part, il est souvent variable suivant la personne du débiteur et on ne comprendrait pas que ce soit l’affaire du créancier (qui concevrait qu’il dût payer les salariés du débiteur qui exécuteront la prestation ?) et, d’autre part, ce coût est déjà intégré dans le prix convenu pour la prestation due par le débiteur.

314 Preuve du paiement. Dans le sillage de plusieurs décisions rendues par la Première chambre civile de la Cour de cassation1343, la loi prévoit que « le paiement se prouve par tout moyen » (C. civ., art 1342-8 1344 ), notamment par les « registres » et « papiers domestiques » qui « énoncent formellement un paiement reçu » lorsqu'il s'agit d'invoquer ces documents à l'encontre de celui qui les a tenus (art 1378-1.

La loi pose par ailleurs deux présomptions.

En premier lieu, la « remise volontaire par le créancier au débiteur de l'original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération » (C. civ., art 1342-9 al. 1). En effet, si l'acte constatant la dette a été remis au débiteur, il est probable que le créancier a été payé. Pour la même raison, le législateur a également considéré que la « même remise à l'un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l'égard de tous » (C. civ., art 1342-9 al. 2). Parce qu'il ne s'agit que d'une probabilité, il serait sage de tenir la présomption comme étant simple, alors qu'auparavant elle était considérée comme irréfragable par la Cour de cassation 1345.

En second lieu, la « mention d'un paiement ou d'une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur » (C. civ., art 1378-2 al. 1) et il en est « de même de la mention portée sur le double d'un titre ou d'une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur » (C. civ., art 1378-2 al. 2). De fait, la mention par le créancier lui-même d'un paiement présume à l'évidence qu'un tel paiement a eu lieu.

315 Imputation des paiements . Lorsqu'un débiteur est tenu de plusieurs dettes envers son créancier, la question se pose de l'imputation de son paiement partiel. Le principe est qu'il appartient au débiteur d'indiquer « lorsqu'il paie, celle qu'il entend acquitter » (C. civ., art 1342-10 al. 1). À défaut, sous l'empire du droit antérieur à la réforme de 2016, c'est le créancier qui définissait les règles d'imputation (C. civ., anc. art. 1255) ; désormais, « l'imputation a lieu comme suit : d'abord sur les dettes échues ; parmi celles-ci, sur les dettes que le débiteur avait le plus d'intérêt d'acquitter. À égalité d'intérêt, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement » (C. civ., art 1342-10 al. 2). Les règles d'imputation sont donc en faveur du débiteur et non plus du créancier dans la mesure où les dettes productives d'intérêts, car échues, seront les premières à être payées.

Droit spécial : du paiement de sommes d’argent L’exception principale au principe de la quérabilité des dettes concerne le paiement des sommes d’argent. À défaut d’une autre désignation par la loi, le contrat ou le juge, le lieu du paiement de l’obligation de somme d’argent est « le domicile du créancier »1308. L’expérience a en effet montré qu’il était plus simple de trouver le créancier pour lui verser une somme d’argent que le débiteur pour qu’il en fasse autant... Des textes spéciaux, qui concernent également le paiement d’une somme d’argent, retiennent la même solution Ainsi la prime d’assurance est en principe payable « au domicile de l’assureur ou du mandataire désigné par lui à cet effet »1309.

Point sensible : de la monnaie de paiement et de la monnaie de compte Le Code civil distingue implicitement la monnaie de paiement, qui est celle utilisée pour payer et qui ne peut être refusée par le créancier lorsqu’elle a cours légal, et la monnaie de compte, qui est celle dans laquelle est libellée une dette. « Le paiement, en France, d'une obligation de somme d'argent s'effectue en euros. Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l'obligation ainsi libellée procède d'une opération à caractère international ou d'un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s'il intervient entre professionnels, lorsque l'usage d'une monnaie étrangère est communément admis pour l'opération concernée » (C. civ., art 1343-3. Soit un prêt de somme d’argent d’une devise X. Le prêt devra être remboursé dans la devise X ou Y, suivant la monnaie de paiement convenue. Alors même que le prêt devrait être remboursé dans la devise X, il se peut que les mensualités dues soient fixées en raison de l’évolution du taux de change avec la devise Y, monnaie de compte1322. La monnaie de paiement est en principe l’euro si le paiement a lieu en France1323, l’euro étant la monnaie de la France1324. Toutefois, le paiement, même en France, peut avoir lieu en une autre devise si l’obligation ainsi libellée découle d’une « opération à caractère international »1325 ou d’un jugement étranger1326 et si les parties en sont ainsi convenues, que le paiement intervient entre professionnels, et que l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée1327. Par ailleurs, en toute circonstance, par « dérogation au premier alinéa de l’article  1343-3 C. civ., le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant »1328. En contrepoint, le recours à une monnaie de compte est en principe permis, que l’opération soit internationale ou interne, pourvu que soient respectées les règles de l’indexation1329. Il reste que, compte tenu de la dangerosité potentielle du recours à une monnaie de compte étrangère, cela est parfois interdit1330.

Droit spécial : des titres de monnaie locale complémentaires À côté de l’euro, qui a cours légal et forcé en France1331, plusieurs « monnaies » sont apparues (l’eusko, le buzuk, le galais, etc.) dans le but de promouvoir les échanges à l’échelon local : les monnaies locales complémentaires (MLC)1332. Les « titres de monnaies locales complémentaires » peuvent être émis et gérés par certains acteurs de l’économie solidaire et dont c’est l’unique objet social1333 : il s’agit de personnes morales de droit privé qui remplissent certaines conditions et dont le but est autre « que le seul partage des bénéfices »1334. La MLC ne peut donc être un instrument purement spéculatif (certaines, on l’a vu, ne sont pas convertibles). L’émetteur de monnaie locale, en échange d’euros, remet des billets ou coupons de monnaies locales, une unité de MLC égalant un euro. La MLC est analysée par la doctrine dominante comme un titre incorporant une créance contre l’émetteur1335 et la circulation de MLC en une cession de créance. La MLC est acceptée par les professionnels qui ont adhéré au réseau de monnaie locale en question. Au-delà, il existe des particularités suivant les réseaux en question. Dans certains réseaux, la MLC est ou non convertible en euro (si elle l’est, elle peut l’être pour tous ou pour les professionnels seulement, avec ou sans pénalité), se déprécie ou non périodiquement (la « fonte »). Lorsque l’émission ou la gestion de titres de MLC relève d’un service bancaire de paiement, d’un service de paiement ou de la monnaie électronique, l’émetteur ou le gestionnaire sont soumis aux règles relatives aux établissements de crédit ou aux prestataires de services de paiement, les changeurs manuels et les émetteurs de monnaie électronique1336. Il semblerait que pour parler de « services de paiement », l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution exigerait que tous les utilisateurs (et non pas seulement les professionnels) puissent se faire rembourser leurs titres de MLC en euros ou que des rendus de monnaie en euros soient faits. Même si tel était le cas, l’émetteur ou le gestionnaire qui devraient en principe se faire agréer, pourraient, le cas échéant, bénéficier d’une exemption d’agrément1337. Il reste que, une monnaie locale complémentaire n’est pas une véritable monnaie1338. Elle est un titre de créance circulant de manière simplifiée.

Droit spécial : de la vente Parce que les frais du paiement sont à la charge du débiteur, les frais à la charge de l’acheteur sont les frais qui découlent de son obligation de payer le prix et les frais à la charge du vendeur, ceux qui découlent de celle de transférer un bien conforme aux stipulations et dépourvu de vices. Les dispositions relatives à la vente explicitent cette distinction. Ainsi est-il prévu que « les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur, (...) s'il n'y a eu stipulation contraire » (C. civ., art 1608 1340) : il s’agit des frais de mise à disposition (remise des clefs, etc.), frais de division (bornage, arpentage, état descriptif de division, mise à jour du règlement de copropriété, etc.), frais de garantie de contenance. Pour les frais relatifs à la garantie d’éviction et à la garantie des vices , il n'existe pas de règle spéciale. Toutefois, en application de l'article 1342-7 C. civ. ci-dessus mentionné, les frais liés à la garantie d'éviction (apurement de la situation hypothécaire 1341 et frais d'apurement de la situation locative par exemple) et les frais liés à la garantie des vices cachés (élaboration d'un dossier de diagnostic technique, CCH, art. L. 271-4 devront être supportés par le vendeur. S’agissant en revanche des frais d’acte, l’article  1593 C. civ. apporte une utile précision en prévoyant que « les frais d’actes et autres accessoires à la vente sont à la charge de l’acheteur » car le principe suivant lequel le débiteur est tenu des frais du paiement est ici sans objet. Ces dispositions sont supplétives1342.

2 - La modification et la révocation du contrat

316 Distinction. Les contrats « ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise » (C. civ., art 1193 1346).

317 Modification. Qu’un contrat ne puisse être modifié que d’un commun accord est une règle de bon sens. Il serait même inconcevable que, par principe, chaque partie puisse modifier seule ce qui a été convenu à deux.

Reste des cas particuliers.

En premier lieu, la loi autorise parfois une partie à déterminer1347 ou à modifier1348 le contenu du contrat. Ce qui est permis par la loi dans des cas particuliers peut-il l’être de manière générale par le contrat ? Une clause peut-elle stipuler que le contrat sera modifié autrement que par un accord des parties, par la décision d’une partie seule1349 ? La réponse1350 doit par principe être négative1351. En effet, lorsque le contrat accorde à une partie le droit de modifier unilatéralement son contenu, il est difficile de considérer que le contenu est (définitivement) déterminé, ce qu’exige pourtant la loi1352. C’est qu’il n’y a pas de réelle différence entre le contrat dont le contenu serait ab initio abandonné au pouvoir d’une seule partie et celui dont le contenu, ab initio déterminé d'un commun accord, pourrait par la suite être modifié unilatéralement par une partie. C'est pourquoi doit être approuvé l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation par lequel il fut décidé que « la clause, par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier, en tout ou en partie, le contrat de travail, est nulle comme contraire aux dispositions de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil, [v. auj. C. civ., art 1193 le salarié ne pouvant valablement renoncer aux droits qu'il tient de la loi » 1353. En tout état de cause, à supposer même que le contrat puisse licitement prévoir une faculté de modification du contrat au profit d’une partie, le risque que la clause octroyant une telle faculté soit déclarée abusive est très important1354. Bien évidemment, si une telle clause était admise, tout abus dans l’exercice d’une telle prérogative serait sanctionné, conformément aux principes généraux du droit des contrats1355.

En second lieu la loi autorise parfois le juge à modifier le contenu du contrat : réviser une clause pénale (C. civ., art 1231-5, accorder un délai de grâce au débiteur pour s'exécuter (C. civ., art. 1343-5, en droit commun, C. consom., art. L. 314-20, en matière de crédits régis par le Code de la consommation), en surendettement, rééchelonner les dettes, voire les effacer (C. consom., art. L. 733-1 s.) et, depuis la réforme de 2016, modifier le contrat ou y mettre fin en cas d'application du mécanisme d'imprévision (C. civ., art 1195. Dans tous ces cas, le juge vient ainsi au secours du débiteur en souffrance pour payer ces dettes, en tempérant la rigueur du contrat.

318 Révocation. Qu’un contrat ne puisse être révoqué que par un accord des parties est encore une règle de bon sens, mais qui comporte davantage de nuances.

En premier lieu, la révocation doit être distinguée de la rétractation. La rétractation permet à une partie seule, si la loi ou le contrat le prévoit, de « retirer » son consentement au contrat, ce qui explique qu’en principe elle doit avoir lieu avant que le contrat ne soit exécuté, celui-ci étant réputé ne jamais avoir été conclu1366. En contrepoint, la révocation permet aux deux parties, d’un commun accord, de mettre fin à un contrat dont on ne considèrera pas qu’il n’a jamais existé.

En deuxième lieu, la révocation ne vaut traditionnellement que pour l’avenir dans un contrat à exécution successive, mais rétroactivement dans un contrat à exécution instantanée, sauf volonté contraire des parties1367. De fait, la « rétroactivité doit être à la mesure de l’utilité subsistante » et le contrat à exécution instantanée « obéit à une logique du tout ou rien » : « le seul moyen d’éviter une injustice entre les parties est de mettre fin au contrat pour le passé »1368. La Cour de cassation doit toutefois être invitée à reprendre la distinction entre les contrats qui ne présentent d’utilité que s’ils sont exécutés totalement et les autres, que l’on trouve à l’article  1229 C. civ.  au sujet des effets dans le temps de la résolution1369. On dit parfois qu’un accord révocatoire ne pourrait pas porter atteinte aux droits des tiers, un tel accord leur étant inopposable1370. C’est excessif, dès lors que tout contrat, même révocatoire, est opposable aux tiers. En revanche, il est permis de considérer que, conventionnellement, les parties à un contrat ne peuvent rétroactivement anéantir les droits des tiers en dehors des cas prévus par la loi1371.

En troisième lieu, la révocation du contrat peut être unilatérale si le contrat est conclu pour une durée indéterminée . En effet, en raison du principe de prohibition des engagements perpétuels (C. civ., art 1210 al. 1 1372 ), lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, « chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (C. civ., art 1211. En revanche, si le contrat est conclu pour une durée déterminée, « chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme » (C. civ., art 1212, pourvu, là encore, que la durée n'en soit point excessive au point qu'on puisse y voir un engagement perpétuel 1373.

319 Considérations de forme : absence de principe de parallélisme des formes. L’article 1173 du projet d’ordonnance avait posé un principe de parallélisme des formes1384 : « [l]es contrats qui ont pour objet de modifier un contrat antérieur ou d’y mettre fin sont soumis aux mêmes règles de forme que celui-ci, à moins qu’il en soit autrement disposé ou convenu ». De nombreux actes auraient été concernés : accords révocatoires, accords modificatifs, novation, notamment.

La réception d’un tel principe de manière aussi générale eut été fort critiquable. D’une part, lorsque la forme du contrat initialement conclu a été choisie par les parties, on ne voit pas pourquoi, en vertu du principe de liberté contractuelle, elles ne pourraient plus modifier ou révoquer leur contrat dans une autre forme. D’autre part, lorsque la forme du contrat initialement conclu a été imposée par la loi, l’exigence de la forme ne devrait s’imposer à l’acte subséquent que lorsque l’exigence de forme s’impose par analogie. C’est pourquoi il fut suggéré de retenir le principe suivant : « [s]i la finalité de la forme le commande, les contrats qui ont pour objet de modifier un contrat antérieur ou d’y mettre fin sont soumis aux mêmes règles de forme que celui-ci »1385.

Finalement, le principe de parallélisme des formes (large ou restreint) n’a pas été consacré par la réforme. Une approche casuistique continuera donc à s’imposer1386.

Droit spécial : de la modification du contrat de consommation, du contrat de travail et du contrat de franchise En droit de la consommation, les clauses de modification unilatérale du contrat sont présumées abusives. Le sont simplement celles qui, en général, réservent « au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives aux droits et obligations des parties »1356. Mais le sont irréfragablement celles qui réservent « au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre »1357. En droit du travail, compte tenu de l’évolution du contexte notamment économique, social et concurrentiel, l’employeur s’est vu reconnaître un pouvoir d’apporter sous certaines limites, des modifications dans la situation du salarié. Si le pouvoir de l’employeur a toujours pu être rattaché à son « pouvoir de direction », ses limites ont évolué jusqu’à l’arrêt Le Berre, dans lequel la Cour de cassation a finalement distingué la « modification du contrat de travail » du « changement des conditions de travail »1358. Autant la modification du contrat de travail ne peut avoir lieu que d’un commun accord, autant la modification des conditions de travail peut être imposée par l’employeur seul1359. En droit de la franchise, un pouvoir particulier a été reconnu au franchiseur afin de lui permettre de faire évoluer le réseau, notamment « de modifier [son] organisation »1360, sans recueillir l’adhésion de tous les franchisés, dès lors qu’il ne modifiait pas seul les contrats de franchise. L’hypothèse est fréquente notamment dans le cas de modification dans la gouvernance d’un réseau. Le franchiseur n’exerçant pas comme l’employeur un « pouvoir de direction », un franchisé n’étant pas un salarié, il paraît plus juste de parler d’un « pouvoir d’organisation ». C’est ainsi que le franchiseur peut faire évoluer le savoir-faire (nouvelles recettes dans une franchise de restauration), l’apparence de l’enseigne (afin de la mettre au « goût du jour »), etc. En tout état de cause, ces prérogatives ne sauraient être exercées de manière discrétionnaire ; comme toute prérogative, leur exercice ne doit pas être abusif. Par ailleurs, comme en droit du travail, en franchise, le pouvoir reconnu au franchiseur ne saurait lui permettre de modifier le contrat conclu avec le franchisé1361. La question se pose fréquemment à l’occasion de la réorganisation du réseau. L’idée générale est que l’évolution du réseau ne doit pas conduire le franchiseur à méconnaître ses obligations contractuelles1362. Mais il faut être réaliste : bien souvent, l’évolution du réseau supposera une modification plus ou moins importante des contrats. Aussi convient-il de prévoir cette difficulté dès la rédaction du contrat de franchise par des « clauses d’évolution du réseau »1363. Plusieurs solutions peuvent être envisagées. En premier lieu, on peut extraire du champ contractuel certaines questions et les faire relever du pouvoir d’organisation du franchiseur. Il s’agira par exemple de l’apparence de l’enseigne ou du contenu savoir-faire1364. De la sorte, toute modification ultérieure ne constituera pas une modification du contrat, mais l’exercice d’une prérogative de l’employeur rattachée à son pouvoir d’organisation. Il convient donc en amont de distinguer ce qui relève du pouvoir d’organisation du réseau et ce qui relève de la matière contractuelle. Mais, à cet égard, les obligations essentielles du contrat de franchise ne sauraient être arbitrairement « décontractualisées ». En second lieu, il pourrait être stipulé que l’inexécution (définitive) de telle ou telle obligation du contrat de franchise en raison de l’évolution du réseau ne donnera lieu qu’au versement d’un forfait de dommages-intérêts, sans possibilité pour les franchisés de solliciter une autre mesure comme l’exécution forcée en nature du contrat (qui compromettrait l’évolution du réseau) ou sa résolution (qui appauvrirait le réseau)1365.

Droit spécial : du droit de révoquer unilatéralement certains contrats Pour différentes raisons, la loi autorise parfois un cocontractant à mettre fin unilatéralement au contrat. Dans le dépôt, la chose déposée doit en principe être remise au déposant aussitôt qu’il la réclame, même si le contrat avait fixé un délai déterminé pour la restitution (art.  1944 C. civ.). L’intérêt du déposant est préféré à celui du dépositaire, qui de toute façon n’a pas accès aux utilités de la chose. En comparaison, dans le prêt à usage , le prêteur « ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée » (C. civ., art 1888 et « si, pendant ce délai, ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre ». L'intérêt du prêteur n'est pas préféré comme l'était celui du déposant, car cette fois la restitution anticipée nuira à l'emprunteur qui, à la différence du dépositaire, a accès aux utilités de la chose. Dans le prêt de somme d’argent, si le prêteur ne peut par principe exiger la restitution anticipée des fonds prêtés, l’emprunteur peut-il la lui imposer, afin d’éviter le paiement d’intérêts ? Le terme étant l’intérêt des deux parties, en droit commun, un tel remboursement anticipé ne serait pas possible1374. Mais en droit de la consommation, c’est la règle contraire qui l’emporte, tant pour les crédits à la consommation1375 que pour les crédits immobiliers1376. Quant au mandat, il faut distinguer. En premier lieu, le mandant « peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (C. civ., art 2004: il serait de fait intolérable qu'une personne continue à être engagée par autrui alors qu'elle ne le souhaite plus. Cette règle est tempérée en présence d'un « mandat d’intérêt commun ». Le mandataire d’intérêt commun est celui qui commercialise les produits du mandant, au nom et pour le compte de celui-ci en vue de créer, maintenir ou développer sa clientèle, en étant commissionné1377. Un tel mandat « ne peut être révoqué par la seule volonté de l’une des parties, mais seulement de leur consentement mutuel ou pour une cause légitime reconnue en justice ou enfin suivant les conditions et clauses spécifiées au contrat »1378. L’auteur de la rupture (en général le mandant), devra indemniser l’autre du préjudice subi, sans qu’il n’y ait à la qualifier d’abusive ou de brutale1379. Parmi les « causes légitimes » reconnues en jurisprudence, on peut mentionner la faute du mandataire, la cessation d’activité, l’absence de rentabilité de l’activité du mandataire, la disparition des marges bénéficiaires du mandant, la réorganisation nécessaire de l’entreprise, pourvu qu’elle soit réelle et qu’elle n’ait pas été effectuée dans le seul but de se soustraire au paiement des commissions. En second lieu, le mandataire « peut renoncer au mandat » (art 2007 al. 1 C. civ.). De fait, représenter autrui est de fait une mission éminemment personnelle à laquelle il doit pouvoir renoncer à tout moment. La faculté pour le mandataire de mettre fin au mandat est toutefois largement tempérée dans la mesure où si cela « préjudicie au mandant, il devra en être indemnisé par le mandataire, à moins que celui-ci ne se trouve dans l'impossibilité de continuer le mandat sans en éprouver lui-même un préjudice considérable » (art 2007 al. 2 C. civ.). On relèvera enfin qu’en vue de la protection de tel contractant, la loi reconnaît parfois à celui-ci le droit de mettre fin avant terme au contrat : – le locataire titulaire d’un bail d’habitation (art. 12, L. 6 juillet 19891380), d’un bail professionnel (art. 57 A L. 23 décembre 19861381 ), ou d'un bail commercial, tous les trois ans (C. com., art. L. 145-9 1382) ; – le salarié qui a conclu un contrat à durée indéterminée (C. trav., art. L. 1343-2 al. 11383).

Droit spécial : du parallélisme des formes Tantôt, dans le prolongement du droit commun, le parallélisme des formes est écarté, tantôt, au contraire, il trouve à s’appliquer. L’absence d’un principe de parallélisme des formes se manifeste en droit des libéralités. S’agissant des testaments, un testament fait dans une des formes prévues par la loi peut être révoqué ou modifié dans une autre forme que celle du testament initial, dès lors bien évidemment qu’il s’agit d’une forme permise par la loi : ainsi un testament olographe peut révoquer un testament authentique1387. S’agissant des donations, la révocation par le donataire de son acceptation doit être faite par acte notarié1388 mais la jurisprudence admet que la modification d’une donation puisse être faite autrement que par acte notarié1389. En contrepoint, un (certain) parallélisme des formes est parfois exigé. Il peut l’être d’abord à des fins de validité : le contrat de fiducie « et ses avenants sont enregistrés dans le délai d’un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France » (C. civ., art. 2109). Il peut l’être ensuite à des fins probatoires : on ne peut prouver outre ou contre un écrit que par écrit (C. civ., art 1359 al. 2 1390). Il peut l’être enfin à des fins d’opposabilité : la conclusion comme la fin d’un contrat de location-gérance doit donner lieu à publication (C. com., art. R. 144-1 1391).

C - Limite : la révision et résiliation pour imprévision

320 Premières vues. L’article  1195 C. civ. reconnaît au juge le pouvoir de mettre fin ou de modifier un contrat dont l’exécution est devenue excessivement onéreuse pour une des parties en raison d’un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion.

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Sous réserve des contrats faisant l’objet de dispositions spéciales incompatibles1392, tout contrat relève en principe de cette disposition, encore qu’en pratique le seront pour l’essentiel ceux dont l’exécution s’inscrit dans la durée : contrats de construction, contrats de bail, contrats de distribution, etc. Ont toutefois été exclus par la Loi de ratification les contrats relatifs aux instruments financiers1393, exclusion jugée conforme à la constitution malgré les différences de traitement qu’elle institue entre cession d’actions et cession de parts sociales1394. Ainsi, la cession d’un titre d’une société par action affectée d’un terme ne pourra être remise en cause en cas de bouleversement affectant leur valeur entre la date de conclusion du contrat et le terme1395. L’exclusion faite par la Loi de ratification n’ayant pas été considérée comme « interprétative » de l’Ordonnance, les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 20181396 pourraient être remis en cause, sauf pour les juges à considérer que l’exclusion était déjà implicite dans le texte issu de l’Ordonnance.

321 Rupture avec le droit antérieur1397. L’admission de la théorie de l’imprévision constitue une rupture avec une tradition bien ancrée dans la jurisprudence civile, puisque le juge judiciaire n’avait jamais accepté, depuis le célèbre arrêt Canal de Craponne1398, de modifier ou de mettre fin à un contrat en cas d’apparition d’un déséquilibre économique grave entre les prestations au cours de l’exécution du contrat.

En l’espèce, un contrat conclu en 1560 fixait la redevance due par une partie pour utiliser l’eau d’un canal. La société exploitant le canal avait demandé une augmentation de la redevance en raison de la dépréciation de la monnaie et de l’augmentation du coût de la main-d’œuvre. La cour d’appel d’Aix avait admis une augmentation de 60 centimes ; son arrêt fut cassé au visa de l’ancien article 1134 : « la règle que consacre l’[ancien] article 1134 est générale et absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même que ceux de toute autre nature. Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ».

En droit administratif, une solution différente fut retenue dans l’affaire Gaz de Bordeaux1399.

La compagnie générale d’éclairage de Bordeaux avait demandé à la ville de Bordeaux qu’elle supporte le surcoût résultant pour elle de l’envolée du coût du charbon, en raison de la guerre. Le Conseil d’État jugea que si, en principe, un contrat de concession règle de façon définitive les obligations des parties qui doivent supporter les risques d’une évolution des circonstances économiques, lorsque l’économie du contrat est bouleversée de telle manière que le concessionnaire ne peut plus assurer le fonctionnement du service dont il a la charge, il convient de rechercher une solution qui tienne compte de l’intérêt général et permette la continuation du service pour mettre fin à des difficultés temporaires. Le Conseil d’État décida d’indemniser la compagnie tenue d’assurer le service. La technique choisie est celle de l’indemnisation et l’objectif est d’assurer la pérennité du contrat en cas de bouleversement temporaire de leur économie1400. Cette particularité du mécanisme administratif se maintiendra-t-elle en dépit du nouvel article 1195 ?

322 Plan. Distinguons les conditions (1) des effets (2) du nouveau mécanisme.

1 - Conditions

323 Trois séries de conditions. Le mécanisme suppose que soient réunies trois séries de conditions : un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat », une « exécution excessivement onéreuse », et l’absence d’une clause l’écartant.

324 Un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». La première condition, un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat », appelle trois séries de précisions.

Primo, les circonstances visées peuvent être économiques (par exemple, la dépréciation monétaire ou l’évolution considérable du coût d’une matière première1401). Mais elles pourraient être fiscales, juridiques, sociales, etc. N’importe quelle circonstance est susceptible d’être prise en considération, dès lors qu’elle a participé au contexte dans lequel le contrat a été conclu.

Secundo, le changement de circonstances doit avoir été imprévisible lors de la conclusion du contrat. L’idée générale est la suivante : « l’événement, venant bouleverser l’acte de prévision, touche au cœur l’acte de volonté et agit, en quelque sorte, à la façon d’un vice du consentement a posteriori »1402. Comme dans l’absolu rien ou presque rien n’est imprévisible, le juge exigera que le changement de circonstances ait été raisonnablement imprévisible, in concreto, compte tenu des parties, de la durée du contrat, etc. Par ailleurs, le changement de circonstances ne doit pas être imputable aux parties, car il ne s’agit jamais que d’une question de répartition des risques et que ce qui dépend d’une partie ne peut constituer un risque.

Tertio, on doit être en présence d’un changement objectif des circonstances. Ainsi, a priori, une des parties ne pourra invoquer le mécanisme de l’imprévision si elle se rend compte après la conclusion du contrat d’un événement préexistant à la conclusion du contrat et qui va rendre son exécution excessivement onéreuse (ex. le sol est plus dur que prévu et la construction de l’immeuble, en conséquence, plus onéreuse). Cette découverte ne pourra donner lieu qu’à une annulation du contrat en raison de l’existence d’un vice du consentement1403.

325 Une « exécution excessivement onéreuse ». Il s’agit de la conséquence du changement de circonstances. Le changement de circonstance doit rendre « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie »1404.

Primo, le dispositif de l’imprévision n’a ni pour objet ni pour effet de rééquilibrer des contrats initialement déséquilibrés. Autrement dit, c’est en cas de modification de l’équilibre initial tel qu’il était voulu par les parties que le juge pourra mettre en œuvre ce mécanisme.

Secundo, on peut s’interroger sur la détermination précise de la conséquence du changement de circonstances : celui-ci doit il conduire à un coût d’exécution excessivement onéreux, comme le texte le laisse entendre, et/ou à un déséquilibre dans la valeur des prestations échangées ? On ne peut répondre à cette question sans égard à l’issue du processus de mise en œuvre de l’article 1195 C. civ. : la modification du contrat, ou son anéantissement.

Dès lors, deux choses l’une.

Si c’est l’équilibre initial du contrat qui est bouleversé, ce qui suppose au préalable de mettre en perspective, au regard du marché en cause, la valeur de ce qu’une partie fournit et la valeur ce qu’elle reçoit de l’autre1405, le dispositif pourrait naturellement trouver à s’appliquer, tant la modification du contrat que son anéantissement étant concevables. La question se posera alors de déterminer, en présence d’un tel bouleversement, s’il conviendra d’établir, en sus, une exécution excessivement onéreuse pour l’une des parties1406.

Si l’équilibre initial du contrat n’a pas été bouleversé, mais que l’exécution du contrat est devenue excessivement onéreuse pour l’une des parties (en raison par exemple d’une modification de la législation juridique ou fiscale), le dispositif pourrait trouver à s’appliquer – c’est ce que semble commander la lettre du texte –, mais seul l’anéantissement du contrat est concevable. De fait, ne voit pas un juge modifier l’équilibre initial et persistant du contrat. Et encore, l’anéantissement est-il véritablement justifié ? Le mécanisme de l’article 1195 C. civ. a-t-il pour objet de protéger les entreprises qui sont moins efficientes que leurs concurrentes, celles pour lesquelles les coûts d’exécution sont excessif 1407 ? En tout état de cause, il ne serait pas admissible que la jurisprudence mît en œuvre le mécanisme de l’imprévision pour la seule raison que le contrat ne présentât plus d’intérêt pour une partie. En effet, aucun contractant ne devrait avoir à subir les risques de l’entreprise de son cocontractant, auquel il n’est pas associé !

Par exemple, s’il me coûtait 60 d’exécuter une prestation valant 90 sur le marché et que je me suis engagé à commercialiser à ce prix pour 5 ans et qu’une année après la conclusion du contrat, mes coûts sont de 95 alors que la prestation vaut toujours 90 sur le marché, je ne devrais pouvoir solliciter une modification du contrat pour imprévision car, si tel était le cas, le cocontractant pâtirait injustement de l’inefficience de son cocontractant et paierait un prix supérieur à celui du marché. Toutefois, parce que l’exécution du contrat peut s’avérer ruineuse pour le prestataire, un anéantissement du contrat est concevable, mais mérite d’être discutée.

En tout état de cause, il ne serait pas admissible que la jurisprudence mît en œuvre le mécanisme de l’imprévision pour la seule raison que le contrat ne présentât plus d’intérêt pour une partie. En effet, aucun contractant ne devrait avoir à subir les risques de l’entreprise de son cocontractant, auquel il n’est pas associé !

Ainsi, celui qui s’est engagé à passer des commandes qu’il craint à présent ne pouvoir écouler ne devrait pouvoir invoquer le mécanisme de l’imprévision. De même que celui qui a emprunté pour lancer telle activité commerciale ne pourra demander révision de son prêt si le contexte de son activité a évolué défavorablement, en raison notamment d’une concurrence accrue (le chauffeur de taxi ne pourra demander la révision de son prêt au motif de la concurrence nouvelle de voitures de transport avec chauffeur (VTC)).

Tertio, le mécanisme de l’article  1195 C. civ. n’est pas exclu dans les contrats aléatoires, qui sont des contrats onéreux1408. Dès lors, si les éléments d’évaluation d’une prestation en considération d’un aléa ont été bouleversés, il n’est pas inconcevable que l’article  1195 trouve à s'appliquer. À supposer que l'homme devienne demain immortel, laisserait-on en l'état les contrats d'assurance en cas de vie ou en cas de décès ? Il n'en demeure pas moins que l'application du mécanisme en tant que tel de l'aléa ne saurait bien évidemment être remise en cause sur le fondement de l'article 1195 C. civ. Aussi bien, en définitive, la question est probablement celle de déterminer si ce sont les ressorts de l’aléa et eux seuls qui ont été bouleversés (et non le résultat du jeu du mécanisme de l’aléa, ce qui n’aurait d’ailleurs guère de sens au regard de la lettre de l’article  1195 C. civ.1409). Ainsi, celui qui a acheté en viager au doyen de l’humanité ne peut invoquer le bénéfice de la révision pour imprévision dès lors que les tables de mortalité n’ont pas elles-mêmes été bouleversées.

Quarto, si les prestations susceptibles d’être affectées ont d’ores et déjà été exécutées, le mécanisme n’a plus vocation à jouer. Comme on l’a justement souligné, « si l’exécution est achevée la richesse créée ou transférée grâce au contrat n’est plus une prestation due mais une richesse entrée définitivement dans le patrimoine du créancier. Que la chose ou le service vienne à perdre toute valeur en raison d’un événement inattendu (une autoroute est construite au fond du jardin de la maison achetée), il s’agit là d’un risque pour son patrimoine [du créancier] et non plus d’un risque du contrat »1410.

326 Un mécanisme non écarté par les parties. Le mécanisme ne doit pas avoir été écarté par les parties. Il est certain que le mécanisme peut être écarté par les parties, tant la lettre que l’esprit du texte étant en ce sens. Il ressort ainsi de l'article 1195 C. civ., qui ne prévoit pas au demeurant qu'il soit impératif, que la mise en œuvre du mécanisme suppose « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat qui rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque »1411. Et d’après le rapport au président de la République, « [c]omme l’implique la rédaction retenue, ce texte revêt un caractère supplétif, et les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat ».

Reste une question d’ordre technique, importante en pratique : le texte est-il purement et simplement supplétif , ce qui permettrait aux parties de l'écarter de la manière la plus simple qui soit (« les parties écartent l'application de l'article 1195 du Code civil ») ou est-il impératif , ce qui signifierait que si les parties peuvent écarter le mécanisme, elles doivent le faire comme le prescrit l'article 1195 C. civ., en indiquant qu'une ou plusieurs partie(s) « accepte(nt) d'assumer le risque découlant d'un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l'exécution excessivement onéreuse » ? À supposer qu'il faille retenir la seconde branche de l'alternative, la question se poserait alors de déterminer si les « circonstances » doivent être énumérées. Le rapport, qui indique que les parties pourront « choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l'économie du contrat » (nous soulignons), pourrait donner du crédit à la thèse suivant laquelle il serait nécessaire de viser les circonstances dans lesquels le mécanisme l'article 1195 ne s'applique pas. Mais en même temps, le rapport indique bien que le texte « revêt un caractère supplétif »... Quoi qu'il en soit, n'est-il pas impossible ou à tout le moins fastidieux de contraindre les parties à énumérer toutes les circonstances ou catégories de circonstances en vue d'écarter le mécanisme légal d'imprévision ? En définitive, la solution la plus simple doit être privilégiée et le texte doit donc être considéré purement et simplement comme étant supplétif. On ajoutera seulement que les parties qui auraient écarté l'article 1195 C. civ. pourraient en même temps prévoir leur propre mécanisme d'imprévision (clause de hardship, clause MAC dans les sell and purchase agreement1412) et qu’en tout état de cause, dans certains types de contrats, devrait subsister l’obligation de renégociation1413 consacrée par la jurisprudence avant la réforme dans les arrêts Huard (distributeur agissant pour son compte), Chevassus-Marche et Holder (distributeur agissant pour le compte d’autrui).

Droit spécial : des mécanismes spéciaux de révision Le dispositif de l’article  1195 C. civ. doit être mis en perspective avec des mécanismes spéciaux de révision pour imprévision et des mécanismes de revalorisation. En premier lieu, il faut mentionner plusieurs mécanismes spéciaux de révision pour imprévision. En droit des libéralités , il existe un processus de révision des conditions et charges des libéralités (C. civ., art. 900-2 à 900-8 lorsque « l'exécution en est devenue pour lui soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable » (C. civ., art 900-2, la demande n'étant « recevable que dix années après la mort du disposant ou, en cas de demandes successives, dix années après le jugement qui a ordonné la précédente révision » (C. civ., art. 900-5). En droit de la propriété intellectuelle , il est prévu en cas de cession du droit d'exploitation, « lorsque l'auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat » (CPI, art. L. 131-5 al. 1) sauf à ce que l'œuvre ait « été cédée moyennant une rémunération forfaitaire » (CPI, art. L. 131-5 al. 2). En droit du partage , lorsque le débiteur d'une soulte « a obtenu des délais de paiement et que, par suite des circonstances économiques, la valeur des biens qui lui sont échus a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion, sauf exclusion de cette variation par les parties » (C. civ., art 828. Dans toutes les hypothèses, l’admission de la révision est subordonnée à des conditions distinctes, en sorte que ces textes devraient primer l’article  1195 C. civ. (même si celui-ci autorise également le juge à résilier le contrat, ce que ne permettent pas, pour des raisons diverses, ces dispositifs spéciaux1414). Il en va différemment, dans d’autres matières. En droit de la construction, l’article  1793 C. civ.1415 qui régit le marché à forfait tient à l’écart, d’après les premières décisions rendues par les juges du fond, le jeu du mécanisme de l’imprévision1416, les parties étant en tout état de cause libres d’aménager les conditions du forfait1417. En droit de la négociation commerciale , l'article L. 441-8 du Code de commerce 1418 prescrit aux parties qui concluent un contrat d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente de certains produits (produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses, pour les produits de l’aquaculture, ainsi que pour les produits alimentaires de consommation courante issus de la première transformation de ces produits) de stipuler une clause de renégociation (sous peine d’une amende administrative) et organise sa mise en œuvre de manière minutieuse. Ce texte, qui ne va pas jusqu’à instaurer un mécanisme de révision du contrat pour imprévision, devrait trouver application aux côtés de l’article 1195 C. civ. En second lieu, il faut mentionner les mécanismes de revalorisation. On pense aux mécanismes d’indexation1419, de révision des rentes1420, de révision des loyers en droit spécial des baux1421, etc. A priori, dès lors que ces mécanismes ont pour objet de rapprocher le prix de la prestation à sa valeur, le dispositif de la révision pour imprévision n’a pas vocation à entrer en conflit avec ceux-ci. Toutefois, parce qu’ils jouent à des échéances définies, la question de la révision pour imprévision se pose entre ces échéances. Pour ne prendre qu’un exemple, la question se pose de savoir si le loyer commercial peut être révisé pour imprévision entre chaque période de révision triennale ou de renouvellement du bail. Faute d’antinomie entre ces mécanismes de révision et celui de la révision pour imprévision, un concours d’application n’est pas exclu1422.

2 - Effets

327 Trois temps. Si les conditions sont réunies, se met en place un mécanisme à triple détente à la disposition de la partie lésée.

328 Demande de révision. Dans un premier temps, la partie lésée peut demander à l’autre la renégociation du contrat. Un refus pourrait être opposé par cette dernière, sans qu’il puisse constituer une faute1423, sauf les cas où une obligation de renégociation s’imposerait (jurisprudences Huard, Chevassus-Marche et Holder1424 ). Au cours de la renégociation - à supposer qu'elle ait lieu -, la partie l'ayant demandée doit continuer à exécuter ses obligations (C. civ., art 1195 al. 1 in fine), tout comme l’autre, évidemment. Il reste que si une partie éprouve des difficultés, l’ouverture d’une procédure collective est à envisager1425.